Article paru dans le journal Le Monde Diplomatique - Octobre

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Article paru dans le journal Le Monde Diplomatique - Octobre
Article paru dans le journal Le Monde Diplomatique - Octobre 2001
Rubrique: Supplément
Par Joëlle Palmieri
À Québec, globaliser la solidarité
QUÉBEC accueille, du 9 au 12 octobre 2001, la Rencontre internationale sur la globalisation de
la solidarité (1). Deuxième du genre, cette manifestation - qui réunit plus de six cents acteurs de
terrain et chercheurs du Sud et du Nord - s'inscrit dans une dynamique nouvelle : renforcer les
réseaux de l'économie sociale et solidaire en créant une coordination et une structure
internationale permanente en vue d'interpeller les grandes institutions multilatérales comme
l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) ou la
Banque mondiale.
Le but poursuivi par les deux organisateurs - le Grupo Red de Economia Solidaria del Perú et le
Groupe d'économie solidaire du Québec - est sans ambiguïté : l'économie sociale et solidaire doit
émerger, affirmer ses valeurs participatives, démontrer sa diversité, partager ses expériences et
ses succès, sortir du «micro», pour s'engager dans une démarche de reconnaissance des sociétés.
Dans la continuité des travaux entamés quatre ans plus tôt, en juillet 1997, à Lima, lors du
Symposium international sur la globalisation de la solidarité (qui avait regroupé plus de deux
cents personnes venues de trente-deux pays), les participants vont confronter leurs réflexions et
pratiques dans les domaines aussi variés que les raports Nord-Sud, les financements,
l'environnement, le développement local, l'emploi, la démocratisation du développement,
l'habitat, les services de proximité, le rôle des politiques publiques, le transfert mutuel des
savoirs... Dans tous les cas, il s'agit de fortifier les échanges, de consolider des formes de
coopération équitables, de rendre accessibles les ressources financières et techniques
indispensables au développement d'une économie qui dépasse la simple problématique de l'offre
et de la demande. Pour reprendre les termes des organisateurs, l'enjeu est de renforcer «la
position de l'économie sociale et solidaire sur les terrains politiques, éthique et culturel» et
d'«affirmer la solidarité des sociétés du Nord et du Sud autour d'une alternative à la
mondialisation libérale».
Davantage d'exclusion
SELON Mme Sandra Quintela, socio-économiste de l'Institut de politiques alternatives pour le
cône Sud (PACS), «l'économie est un système de gestion de la vie quotidienne qui met en
relation les ressources naturelles et les besoins des gens.» L'économie sociale et solidaire tente de
renouer avec ces principes initiaux, complètement occultés par le système dominant.
En effet, krachs boursiers après crises financières - Mexique en 1994, pays de l'Est en 1997, Asie
et Brésil en 1998, aujourd'hui peut-être les États-Unis -, la mondialisation libérale a fait la
démonstration de ses dangers. Elle a aussi engendré davantage d'exclusion, davantage de
précarité au Nord, davantage de pauvreté au Sud. Ni, les plans d'ajustement structurel du FMI et
de la Banque mondiale, ni les tergiversation autour de la dette publique du tiers-monde ne
peuvent combler les failles d'un système fondé sur la recherche du profit maximum.
Besoins vitaux
TANDIS que les États se désengagent, les multinationales renforcent leurs organisations et
ignorent les besoins vitaux des populations. D'où la nécessité d'autres modalités de régulation :
initiatives originales de fonctionnement démocratique local, entreprises d'un nouveau type,
politiques visant à réglementer autrement les échanges sur le plan international, nouvelles formes
de coopération au développement. C'est précisément dans tous ces champs que, depuis plusieurs
décennies, l'économie sociale et solidaire exerce son expertise et développe des pratiques dans le
monde entier.
Comme le soulignent MM. Humberto Ortiz et Gérald Larose, au nom des initiateurs de la
rencontre québécoise, «la crise a libéré un espace inédit pour l'innovation sociale, notamment
dans la zone où le "social" et l'"économique" se superposent».
Les initiatives économiques à finalité sociales sont présentes aussi bien dans les centres urbains
qu'en milieu rural, dans les secteurs informel et formel. Leurs activités, marchandes ou non
marchandes, peuvent concerner un village entier ou un quartier. Elles peuvent avoir un statut
d'association, de mutuelle ou de coopérative, mais très souvent elles n'en ont pas. Elles sont
constituées et organisées par celles et ceux qui apportent leurs savoir-faire, et non leur capital, et
qui s'investissent en groupe en misant sur la gestion collective.
Secteurs diversifiés
CES initiatives émanent particulièrement de groupes de femmes en Afrique, en Asie, en
Amérique Latine, tout comme dans les pays du Nord, qui ne dissocient pas activités économiques
et besoins directs des familles : santé, éducation, nutrition... Ce que confirme Mme Vivian
Labrie, initiatrice de la loi sur l'élimination de la pauvreté déposée à l'Assemblée nationale
québécoise le 22 novembre 2000 : «Les garderies, ou les soins à domicile, activité autrefois non
"payées", sont devenus des secteurs économiques à part entière dans lesquels l'État est absent.
Ainsi, la PID ("production intérieure douce") prend peu à peu le pas sur le PIB (produit intérieur
brut).»
Les secteurs couverts par l'économie sociale et solidaire sont donc très diversifiés. Dans le
domaine de la création ou du maintien des emplois, on peut mentionner les talleres de producción
(ateliers de production) en Amérique latine, les groupements d'artisants en Afrique de l'Ouest, les
entreprises d'insertion en Europe et au Québec.
Partenariats internationaux
POUR ce qui est du développement agroalimentaire : les groupements villageois, les
coopératives de producteurs, les syndicats de producteurs agricoles. En ce qui concerne la
commercialisation des produits et intrants agricoles : les greniers villageois, les banques de
céréales et les systèmes collectifs de mise en marché. Pour la commercialisation collective de
l'artisanat : les associations féminines en Inde, les groupements d'artisans en Amérique andine, le
commerce équitable entre le Nord et le Sud.
En matière d'épargne et de crédit solidaire, on mentionnera les tontines en Afrique et en Asie, les
coopératives ou les caisses villageoises d'épargne-crédit en Afrique francophone, les credit
unions dans les pays anglophones , les systèmes de crédit solidaire du type Grameen Bank en
Asie (2), en Afrique et en Amérique latine, les coopératives financières dans les pays d'Europe et
d'Amérique du Nord. Dans les services collectifs de santé : les cases de santé et mutuelles de
santé en Afrique, les coopératives en Amérique latine, les mutuelles en Europe et en Amérique du
Nord. Sur la protection collective de l'environnement : les associations de reboisement et
entreprises sociales de récupération et recyclage, au Nord comme au Sud. Sur l'habitat collectif :
les associations et coopératives d'autoconstruction en Amérique latine et des associations de
quartiers en Afrique, des coopératives d'habitation dans les pays du Nord. Enfin, à propos de la
sécurité alimentaire : les cuisines collectives et les jardins communautaires en Amérique latine,
au Québec...
La diversité et l'efficacité de l'économie sociale et solidaire sont bien réelles. Le problème posé
aujourd'hui est de donner davantage de visibilité à ces formes alternatives d'économies, non
libérales et non spéculatives, et d'inciter les responsables des politiques locales, régionales ou
nationales à les accompagner, à les soutenir. La mise en place du budget participatif de Porto
Alegre (3), au Brésil, démontre que cette démarche ne procède pas d'une fumeuse utopie, mais de
la volonté politique.
Le premier Forum social mondial, tenu en janvier 2001 dans cette grande ville, avait déjà vu
germer des accords, voire des partenariats internationaux entre différents acteurs des mouvements
sociaux. Sa deuxième édition, du 31 janvier au 5 février prochain, verra sans nul doute se dégager
des alternatives durables à la logique financière, alternatives dont l'économie sociale et solidaire
est porteuse. C'est pourquoi les participants de la rencontre de Québec ne manqueront pas
d'affirmer leur engagement aux côtés des mouvements qui combattent la mondialisation libérale.
(1) www.uqo.ca/ries2001
(2)Lire Jean-Loup Motchane, «Quand les pauvres séduisent les banques», Le Monde
diplomatique, avril 1999.
(3) Lire Bernard Cassent, «Démocratie participative à Porto Alegre», Le Monde diplomatique,
août 1998.