Les arbres poussent, les feuilles tombent et les voisins s
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Les arbres poussent, les feuilles tombent et les voisins s
Mars 2005 Bulletin d’information — Volume 7, no 3 Immobilier Les arbres poussent, les feuilles tombent et les voisins s’endurent Par Me Mario Naccarato, LL.M., avocat* Lapointe c. Degrosbois, J.E. 2005-125 (C.S.), juge Jean Guibault, 11 novembre 2004. L a chute de feuilles à l’automne et la présence d’oiseaux sont des phénomènes naturels acceptables, de ceux qu’on ne saurait reprocher à ses voisins. Trois peupliers Les parties en la présente cause sont voisins contigus et habitent la rue Victor-Hugo à Repentigny. Les défendeurs habitent leur résidence depuis 1992 et les demandeurs depuis 2001. Sur le terrain des défendeurs, il y a trois peupliers deltoïdes dont deux à troncs multiples. Depuis que les défendeurs ont fait l’acquisition de leur résidence, ces arbres ont grossi et occupent un espace important à la limite de leurs terrains respectifs. À chaque printemps, les trois arbres laissent tomber des «chatons cotonneux». Ils contiennent une substance salissante qu’il faut nettoyer. Les trois arbres en question sont les plus imposants du voisinage et, en plus de laisser tomber ces chatons, ils projettent un ombrage important et attirent aussi beaucoup d’oiseaux. Tous ces inconvénients amènent les demandeurs à présenter une demande introductive d’instance en Cour supérieure. Ils demandent qu’il soit ordonné aux défendeurs d’abattre les trois peupliers se trouvant sur leur terrain et, à défaut, que la permission leur soit donnée pour les couper euxmêmes. L’abattage est d’ailleurs le seul remède qu’ils envisagent. Les défendeurs prétendent quant à eux que les trois arbres situés sur leur terrain augmentent la valeur de leur propriété et leur procurent un ombrage agréable au cours de l’été. En outre, ils ne voient pas en quoi la présence des oiseaux causerait un inconvénient. Enfin, la chute des chatons cotonneux constitue un phénomène tout à fait naturel, comme celle des feuilles caduques et des aiguilles de pin ou de cèdre qui doivent être ramassées à l’automne. Bref, «c’est là le prix à payer pour profiter d’une nature rendant la vie urbaine plus agréable et plus saine». SOMMAIRE DROIT IMMOBILIER L'arbre, un inconvénient de voisinage ? ................................ 1 La Loi sur les biens culturels .......... 3 Droits de mutation sur une propriété grevée par emphytéose.................................... 7 Suivi législatif ................................ 8 FAMILLE Calcul des récompenses aux acquêts.................................... 5 NOTE DE LA RÉDACTION Ce bulletin accompagne les mises à jour suivantes : Feuilles mobiles Mars 2005 CD-Rom Avril 2005 Immobilier Rédaction : • François-Daniel Brodeur, [email protected] Droit corporatif canadien et québécois, Charte canadienne des droits et libertés, Contrôle de l'action gouvernementale • Me Carole Paquette, [email protected] Droit immobilier québécois, Droit de la famille québécois et L’assurance de personnes au Québec Collaboration : Mes Maryse Beaulieu, Mario Naccarato et Suzanne Pilon Coordination : François Brodeur Infographie : Pierrette Boulais Production : Impression : FalconPress Distribution : TTS Distributing Inc. Publication : PUBLICATIONS CCH LTÉE 7005, boul. Taschereau, bureau 190 Brossard (Québec) J4Z 1A7 Téléphone : (450) 678-4443 Sans frais : 1 800 363-8304 http://www.cch.ca Fréquence : 12 fois l’an Collection du Juriste est compris dans l’abonnement annuel aux publications suivantes : Droit de la famille québécois, Charte canadienne des droits et libertés, L’assurance de personnes au Québec, Droit immobilier québécois, Droit corporatif canadien et québécois. Droits réservés : Cet ouvrage ne peut être reproduit en tout ou en partie par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Dénégation de responsabilité : Personne ne peut invoquer le contenu de cette publication sans avoir préalablement obtenu l’avis d’un professionnel qualifié. L’éditeur, les auteurs et les rédacteurs ne sont pas responsables de toutes actions et décisions entreprises sur la base de l’information contenue dans cette publication, pas plus qu’ils ne peuvent être tenus responsables des erreurs ou des omissions qui auraient pu s’y glisser. L’éditeur ne fournit pas de services juridiques, comptables et fiscaux, de conseils ou d’avis professionnels et recommande la consultation d’un professionnel si des conseils s’avèrent nécessaires. Numéro de convention Poste-publications: 40064546. 2 Collection du juriste - Mars 2005 Autant d’avantages que d’inconvénients La requête demandant que soit ordonné aux défendeurs d’abattre les trois peupliers sur leur terrain est rejetée avec dépens. Pour certains, la présence d’arbres peut être source d’agrément et de qualité de vie alors que pour d’autres «un univers de béton répond beaucoup mieux à leur tempérament et à leur vision des choses». Il faut toutefois remarquer que tous les arbres, quels qu’ils soient, présentent autant d’avantages que d’inconvénients et il serait, selon le tribunal, tout à fait abusif d’abattre ces arbres parce qu’ils causent des inconvénients et obligent les voisins à ramasser leurs graines et leurs fleurs, dont la chute constitue un phénomène tout à fait normal et naturel. Les oiseaux ont une image tout aussi partagée. Les uns les perçoivent comme une source d’agrément et déploient beaucoup d’efforts pour les attirer chez eux; les autres les regardent comme une source majeure d’inconvénients. «Doit-on pour autant conclure qu’il y ait lieu d’adopter une mesure aussi radicale que l’abattage pour mettre fin à la présence des oiseaux?». En l’espèce, les défendeurs n’y sont pour rien dans la présence des oiseaux «lesquels sont attirés par l’arbre et l’utilisent comme perchoir de façon tout à fait naturelle». En obiter, le tribunal constate qu’il en serait autrement si les arbres, par la pousse de leurs racines, endommageaient les fondations ou le système de drainage des résidences voisines. Le tribunal ne retient pas le point de vue de son collègue M. le juge Louis-Philippe Landry dans l’affaire Labine-Forget c. Ionescu,1 où il a été décidé d’abattre des pins parce que les aiguilles tombaient sur la propriété voisine. Le motif suivant mérite d’être cité en entier car il mesure le degré de tolérance nécessaire au bon voisinage : « Selon le tribunal, la perte des fleurs et des chatons cotonneux au prin- Décision récente temps, tout comme la chute des aiguilles de pin et la chute des feuilles à l’automne, ainsi que la présence des oiseaux en groupe important vers la fin de l’été, sont des phénomènes naturels qui rencontrent le seuil de tolérance qui doit exister entre voisins et il serait abusif d’exiger la coupe des arbres au motif qu’ils causent des ennuis et dépassent la limite des inconvénients qui doivent être supportés lorsque l’on vit en banlieue. » Le critère de l’article 976 C.c.Q. Voilà un jugement qui détermine, dans un cas bien précis, quel est le seuil de tolérance exigé au regard des inconvénients normaux du voisinage. Ce critère est prévu à l’article 976 C.c.Q. Le tribunal n’y fait pas nommément référence mais en applique la lettre. À l’instar de l’arrêt Labelle-Forget c. Ionescu, de même qu’à la lumière des propos tenus par le juge Guibault, les points de vue sur ce qui constitue un agrément ou un inconvénient varient d’une personne à l’autre. Il faut, à notre avis, tenir compte de plusieurs éléments dont notamment 1° la nature du phénomène, 2° le danger potentiel à l’égard des résidants, 3° les lieux concernés (s’agit-il d’une campagne, d’une ville, d’une banlieue et quelle en est la population?), 4° l’usage et la coutume (selon qu’il s’agit d’une ville ou de la campagne), 5° le seuil de tolérance commune (standard objectif), et 6° le standard subjectif de connaissance et de tolérance des parties directement concernées (tel l’achat d’une résidence en connaissant les inconvénients déjà existants dans le voisinage). C’est ainsi que ces critères permettraient de mieux baliser le critère des «inconvénients normaux du voisinage» prévus à l’article 976 C.c.Q. En terminant, un ratio, à la fois pertinent et amusant rendu par la Cour d’appel française, mérite d’être cité car il dresse avec humour le juste équilibre devant être établi en pareille situation. Dans cette cause, un voisin demandait que soit détruit le poulailler du voisin Analyse Immobilier La Loi sur les biens culturels : repères Par Me Maryse Beaulieu, avocate L a Loi sur les biens culturels (L.R.Q., c. B-4) est une loi particulière qui est en lien avec le droit immobilier. Loin de nous l’idée d’affirmer que cette législation occupe un espace prépondérant. Force est de constater, cependant, que le praticien doit demeurer alerte puisque la Loi sur les biens culturels, tout en ne s’intéressant qu’à des biens d’exception, dirait-on, a des effets que l’on ne peut qualifier de négligeables. Cette loi particulière a pour fins la conservation de biens ayant une vocation culturelle. Elle a certes fonction de mémoire, d’identité, d’histoire. De fait, ce qui préside à la protection des biens culturels s’ancre dans des valeurs collectives. L’intérêt public est d’ailleurs au cœur de la législation. On peut d’ores et déjà entrevoir les tensions que peut générer une loi de cette nature; les droits du propriétaire sur son bien relèvent du droit privé et voilà que Suite de la page 2 Les arbres poussent, les feuilles tombent et les voisins s'endurent prétendant que sa présence et les troubles occasionnés dépassaient les inconvénients normaux du voisinage. La Cour d’appel rejetait cette prétention comme suit : « des considérations de droit public peuvent contrer sa liberté absolue d’en faire ce que bon lui semble. Cette idée n’est, bien sûr, pas nouvelle. Elle demeure néanmoins d’actualité. Les biens s’échangent et les restrictions qu’engendrent la Loi s’attachent au bien. Par ailleurs, l’inventaire des biens soumis à la Loi sur les biens culturels n’est évidemment pas statique. Même si l’on argue qu’il s’agit d’une mesure d’exception, il n’en demeure pas moins que les mesures de protection peuvent survenir à un endroit ou à un autre sur le territoire dans l’espace et dans le temps. Ce souci de conservation du patrimoine n’est pas unique au Québec ou au Canada. Des instruments internationaux, de mêmes que de nombreuses législations nationales visent la protection du patrimoine. Ces préoccupations sont donc partagées mondialement et le regard porté sur la législation québécoise ne peut faire abstraction du fait Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul ne soit encore parvenu à la dresser, pas même un cirque chinois; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard); que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés; que la Cour ne jugera pas que le bateau opportune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes), dans le département Puy-de-Dôme…2 ■ » * L’auteur est chercheur au Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, McGill University. 1 [2004] J.Q. n° 22 (C.S.) 2 Riom, C.A., 7 septembre 1995, JurisData : 1995-043632. que la protection du patrimoine culturel s’inscrit dans une démarche qui n’est pas à strictement parler légaliste. La notion de patrimoine est définie par le ministère de la Culture et des Communications de la façon suivante : «Le patrimoine est constitué d’un ensemble d’éléments matériels et immatériels, d’ordre culturel, chargés de significations multiples, à dimension collective, et transmis de génération en génération» (www.mcc.gouv.qc.ca – rubrique «Patrimoine et muséologie»). Même si l’on s’attache à une définition positiviste du «bien culturel» dans le présent texte, on ne peut passer sous silence les questions que suscite une protection de ce qui est signifiant pour une société. Puisqu’il s’agit d’une Loi que l’on fréquente peut-être moins que d’autres, il est utile de la revisiter. Nous proposons un historique de cette législation afin de mieux la situer dans notre environnement normatif. Suit ensuite une description de ce que nous appellerions les éléments clés. Ce texte ne se substitue évidemment pas aux textes existants qui proposent une analyse détaillée du texte de Loi. Il fournit cependant des repères. Ces choix ne s’expliquent que par la nécessité d’exposer dans l’espace imparti une matière qui soit digeste pour le lecteur. Nous avons d’emblée affirmé que la Loi sur les biens culturels ne s’appliquait qu’en des cas d’exception. Il nous semble pertinent de voir concrètement comment se déploie cette législation au plan quantitatif. Le site du ministère de la Culture et des Communications fournit de l’information à cet égard. On peut d’ailleurs consulter, en ligne, le Répertoire des biens culturels et arrondissements du Québec à partir de la page web du Ministère : «Le registre des biens culturels du Québec compte plus de 6 500 Collection du juriste - Mars 2005 3 Analyse Immobilier biens protégés par un statut juridique attribué en vertu de la Loi sur les biens culturels. À cela s’ajoute 5 000 immeubles situés à l’intérieur de neuf arrondissements historiques. Le Québec abrite également quelque 7000 sites archéologies inscrits à l’inventaire des sites archéologiques du Québec (ISAQ). Plus de 75 municipalités se sont prévalues des modifications apportées à la Loi sur les biens culturels en 1986 pour citer plus de 140 monuments historiques et constituer 43 sites du patrimoine.» Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Avant de discuter ce qui constitue aux yeux de la Loi un «bien culturel», question que ne peut évidemment éluder le juriste, un historique de la législation fait prendre la mesure des changements. Le vocable «bien culturel» emporte d’ailleurs avec lui une certaine modernité. Ce qu’une société désire conserver de son passé est aussi alimenté par le présent. On peut déduire de cette proposition que ce qui a valeur patrimoniale est mouvant. Historique législatif La Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique trouve son origine en 1922 (S.Q. 1922, c. 30). Il s’agit de la première loi provinciale en la matière. Le préambule explicite les motifs ayant conduit à l’adoption de cette Loi : «Attendu que la conservation des monuments et objets d’art historiques ou artistiques est d’un intérêt national; Attendu qu’il existe dans la province des monuments et des objets d’art dont le caractère historique ou artistique est incontestable; Attendu que le classement est la première condition de la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique; Attendu que le classement de ces monuments s’impose;» 4 Collection du juriste - Mars 2005 Cette première législation fait en sorte d’identifier l’immeuble au monument. Ce que la législation envisage est le classement. Le critère permettant de classer un immeuble est qu’il présente, «du point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national» (art. 3). On retrouve aussi des limitations au droit de propriété : «L’immeuble classé ne peut être détruit, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si le secrétaire de la province, sur recommandation de la commission, n’y a donné son consentement.» (art. 6) On indique également le caractère «réel» du classement en ce que «[l]es effets du classement suivent l’immeuble classé, en quelques mains qu’il passe.» (art. 9) On constate que le droit de propriété n’est plus aussi absolu et que les contraintes qu’impose le classement se veut une façon de rendre la protection effective. Certains traits que l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui, sont présents. Des modifications importantes seront apportées en 1952 et en 1963. C’est d’ailleurs au cours de cette décennie que s’opère un changement de perspective : Cette conception du bien patrimonial comme objet isolé, essentiellement ponctuel, prédominera jusqu’au début des années soixante. Puis, dans les esprits comme dans la Loi s’introduira la notion d’ «ensemble architectural», tant et si bien que le mot «patrimoine» ne coiffera plus seulement les bâtiments euxmêmes, mais aussi la trame qui les unit, les voies de communication, le mobilier urbain, bref, l’ensemble des composantes du bâti traditionnel (La Loi sur les biens culturels et son application, Ministère des Affaires culturelles, Gouvernement du Québec, Québec, 1992). La Loi sur les biens culturels est sanctionnée le 8 juillet 1972 (L.Q. 1972, c. 19). L’émergence de cette Loi s’inscrit dans un continuum tout en adhérant à une conception plus vaste et plus intégrée du «bien culturel». L’importance et la nécessité de cartographier une géographie de la culture est présent. Les municipalités se verront attribuées lors d’amendements à la Loi en 1985, mis en vigueur en 1986, certains pouvoirs leur permettant d’avoir une emprise sur leur patrimoine architectural. Deux axes se dégagent donc : pouvoir partagé et protection d’éléments ponctuels et d’ensembles. Éléments clés Bien culturel Pour celui ou celle qui s’intéresse au droit immobilier, il faut savoir que la Loi ne s’intéresse pas qu’aux immeubles. Le «bien culturel» est défini à l’article 1a) de la Loi comme étant «une œuvre d’art, un bien historique, un monument ou un site historique, un bien ou un site archéologique, une œuvre cinématographique, audiovisuelle, photographique, radiophonique ou télévisuelle ;». La définition est donc large. On envisage l’œuvre d’art comme un bien meuble ou immeuble. Le «bien historique» exclut l’immeuble alors que le «monument historique» désigne expressément un immeuble. Le site, l’arrondissement, l’aire de protection réfèrent, quant à eux, à des notions d’ensemble qui sont souvent immobiliers quoique n’est pas exclue la notion d’ensemble mobilier ou d’ensemble mobilier et immobilier. Mesures de protection Le bien culturel peut être reconnu ou classé. La Loi stipule que «[l]es effets de la reconnaissance ou du classement suivent le bien culturel tant que la reconnaissance n’a pas été résiliée ou le bien déclassé.» (art. 9). Le bien culturel reconnu fait en sorte que le propriétaire du bien, tout en étant soumis à certaines obligations, l’est moins lourdement que celui dont le bien a été classé. Les municipalités qui ont aussi des pouvoirs peuvent citer un monument historique et peuvent constituer un site du patrimoine. L’aire d’intervention des municipalités est plus réduite et ne s’intéresse qu’au patrimoine immobilier. ■ Analyse Famille Calcul des récompenses dues aux acquêts d’un conjoint Toutes proportions gardées ? Par Me Suzanne Pilon, avocate Droit de la famille – 1393, 1991 R.D.F. 195 (C.S.); S.M. c. P.E.N., 2004 R.D.F. 409 (C.S.).1 D eux décisions récentes font bien ressortir la complexité et également la divergence d’opinion des juges quant au calcul de la récompense pour le remboursement d’une dette propre sur un bien propre à même les acquêts dans le cadre du partage de la société d’acquêts. Dans les deux décisions, les faits sont similaires. Dans Droit de la famille - 1393, le mari possède un immeuble au moment du mariage. Cet immeuble est un propre (art. 450 (1) C.c.Q.). À l’achat, le mari a versé un montant d’argent et financé le solde par hypothèque. Au moment de la rupture, il est mis en preuve que durant le mariage, le mari a remboursé l’hypothèque à même ses acquêts. Le tribunal considère que les propres de monsieur doivent récompense aux acquêts de monsieur conformément à la règle de la proportionnalité de l’article 475 C.c.Q. Cette récompense est donc égale à la somme des acquêts versée durant le mariage sur la valeur de l’immeuble au moment du mariage par rapport à la valeur du même immeuble au moment de la rupture, ce qui donne l’équation suivante : Acquêts versés durant le mariage Récompense aux acquêts X Dans S.M. c. P.E.N., le mari est propriétaire d’un immeuble à revenus au moment du mariage. Cet immeuble est un propre (art. 450(1) C.c.Q.). Durant le mariage, le mari rembourse l’hypothèque contractée lors de l’achat de l’immeuble à même les loyers de l’immeuble. Le juge de première instance conclut que les loyers perçus durant le mariage sont des acquêts (art. La règle générale pour le calcul des récompenses demeure la proportionnalité et elle doit s'appliquer dans tous les cas où cela est possible 449 (2) C.c.Q.) et qu’en conséquence les propres de monsieur doivent récompense aux acquêts de monsieur. Cette récompense est égale au montant des acquêts utilisés durant le mariage pour rembourser l’hypothèque. La Cour d’appel rejette l’appel considérant que le juge de première instance a bien appliqué les règles de calcul des récompenses dans le cadre du partage de la société d’acquêts. Il n’est fait aucune mention tant en première instance qu’en appel de la possi- Valeur de l'immeuble à la rupture = Valeur de l'immeuble au mariage bilité de faire un calcul proportionnel pour établir la récompense. Analyse La jurisprudence entourant le calcul des récompenses dans le cadre du partage de la société d’acquêts est peu abondante. C’est pourquoi les deux décisions citées plus haut sont intéressantes en ce qu’elles permettent de connaître la position des juges sur cette question. C’est l’article 475 C.c.Q. qui définit le mécanisme de la récompense. Sur acceptation du partage des acquêts du conjoint, on forme d’abord deux masses des biens de ce dernier, l’une constituée des propres, l’autre des acquêts. On dresse ensuite un compte des récompenses dues par la masse des propres à la masse des acquêts de ce conjoint et réciproquement. La récompense est égale à l’enrichissement dont une masse a bénéficié au détriment de l’autre. Il est important de préciser que le jeu des récompenses ne s’applique pas entre les masses des propres et des acquêts des conjoints mais à l’égard des masses d’un même conjoint, comme l’indique le deuxième alinéa de l’article 475 C.c.Q. En conséquence, s’il y a apport d’un conjoint à la masse des propres ou des acquêts de l’autre conjoint, le jeu des récompenses ne s’applique pas mais il y a possibilité de demander une prestation compensatoire ou d’utiliser tout autre recours utile, remboursement, société de fait, etc.2 D’autre part, une jurisprudence récente conclut qu’un bien détenu en copropriété par les conjoints peut laisCollection du juriste - Mars 2005 5 Il y a plusieurs étapes dans le règlement d'une faillite. Voici la première. Encore plus complète, voici la 2e édition du Précis de la faillite et de l'insolvabilité. Me PaulÉmile Bilodeau privilégie une approche toujours aussi pratique d’aide à la résolution de problèmes rencontrés au quotidien. Complexe, la faillite ? Pas quand on a de tels outils de travail. Pour commander, 1 800 363-8304. 6 Collection du juriste - Mars 2005 Analyse Famille ser présumer que ces derniers ont renoncé aux récompenses.3 La récompense est égale à l’enrichissement dont une masse a bénéficié au détriment de l’autre et c’est par la règle de la proportionnalité que se calcule cet enrichissement.4 Le Code civil prévoit huit (8) cas de récompenses. ➛ Les instruments de travail acquis avec des acquêts (art. 450 (6) C.c.Q.). ➛ Les biens acquis avec des propres et des acquêts, incluant l’assurance sur la vie, les pensions de retraite et autres rentes (art. 451 C.c.Q.).5 ➛ L’acquisition par le conjoint, déjà propriétaire en propre de la partie indivise d’un bien, d’une autre partie de ce bien (art. 452 C.c.Q.). ➛ Le bien acquis à titre d’accessoire ou d’annexe d’un bien propre ainsi que les constructions, ouvrages ou plantations faits sur un immeuble propre (art. 455 C.c.Q.). ➛ Les valeurs mobilières acquises après la déclaration de dividendes sur des valeurs propres à l’un des époux, ou acquises par suite de l’exercice d’un droit de souscription ou de préemption ou autre droit semblable (art. 456, al. 1 et 2 C.c.Q.). (Attention, voir art. 32 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57). ➛ Les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise propre de l’un des époux et réinvestis dans l’entreprise, sauf ceux nécessaires pour maintenir les revenus de cette entreprise (art. 457 C.c.Q.). ➛ Les dettes contractées au profit des propres et non acquittées (art. 478 C.c.Q.).6 ➛ Le paiement des amendes à même les acquêts (art. 479 C.c.Q.). Le cas soulevé dans les affaires Droit de la famille - 1393 et S.M. c. P.E.N. ne fait pas partie des cas de récompenses énumérés au Code civil. Il s’agit donc d’un cas de récompense qui s’ajoute aux cas énumérés. Tous les cas de récompenses ne peuvent pas donner ouverture au calcul de la proportionnalité. Il en est ainsi de la récompense pour les instruments de travail achetés avec des acquêts (art. 450 (6) C.c.Q.), le paiement des amendes à même les acquêts (art. 479 C.c.Q.) ou encore les dettes contractées au profit des propres et non acquittées (art. 478 C.c.Q.). Cependant, la règle générale pour le calcul des récompenses demeure la proportionnalité et elle doit s’appliquer dans tous les cas où cela est possible. C’est ce qui a été fait dans l’affaire Droit de la famille - 1393. Dans l’affaire S.M. c. P.E.N., le juge de première instance se contente de comptabiliser les acquêts versés durant le mariage, et la Cour d’appel n’y voit pas d’erreur. La décision dans l’affaire Droit de la famille - 1393, qui applique la règle de la proportionnalité nous semble davantage conforme au texte de l’article 475 C.c.Q. Il pourra être intéressant de suivre l’évolution de la jurisprudence sur toute cette question du calcul des récompenses dans le cadre du partage de la société d’acquêts. ■ 1 2 3 4 5 6 Appel rejeté, P.E.N. c. S.M., J.E. 2004-2120 (C.A.). P.L. c. M.I., 2001 R.D.F. 319, REJB 2001-24589 (C.S.). (Dans cette affaire, le juge applique erronément la notion de récompense alors qu’il s’agit de remboursements pour l’apport d’un conjoint au programme Aeroplan de son conjoint ou de l’apport de madame à même ses acquêts au remboursement des dettes propres de monsieur encourues avant le mariage). F.J. c. D.D., J.E. 2004-962, REJB 2004-55533 (C.S.). CAPARROS, Ernest, Les régimes matrimoniaux au Québec, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1985; Personnes, famille et successions, Collection de droit 2004-2005, vol. 3, Éditions Yvon Blais inc., 283-297, 321-323; Droit de la famille québécois, Brossard, Publications CCH ltée, vol. 2, p. 70497062; Répertoire de droit, Chambre des notaires, Famille - Doctrine, Doc. 8, Régimes matrimoniaux: fonctionnement, dissolution-liquidation, 131-136. Droit de la famille - 1249, 1989 R.D.F. 281 (C.S.). Droit de la famille - 1393, 1991 R.D.F. 195 (C.S.). Décision récente Immobilier Droits de mutation et emphytéose Une vente est une vente… Par Me Mario Naccarato, LL.M., avocat* Carrefour Repentigny inc. c. Repentigny (Ville de), J.E. 2005-300 (C.S.), juge Jean Guibault, 17 décembre 2004. Y a-t-il des droits de mutations exigibles lorsqu’un emphytéote se porte acquéreur de l’immeuble visé par l’emphytéose? Option levée Carrefour Repentigny inc. occupe un immeuble au terme d’un bail emphytéotique où les parties ont également prévu une option d’achat. Le 13 juillet 2001, l’emphytéote exerce l’option d’achat et se porte acquéreur du terrain et des améliorations qui ont été réalisées. Le contrat de vente fait état d’un droit de mutation de 74 289 $ établi en fonction d’une base d’imposition de 5 052 600 $. Cette base d’imposition n’est cependant pas acceptée par la Ville de Repentigny qui la fixe à 13 808 800 $, soit 4 850 700 $ représentant la valeur marchande du terrain et 8 952 100 $ pour les améliorations. La demanderesse paie donc, sous protêt, à la ville la somme de 205 632 $ et intente un recours en répétition de l’indu demandant le remboursement d’une somme de 131 343 $, payée à titre de droit sur les mutations immobilières selon la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, L.R.Q., c. D-15.1. Les droits de mutation consécutifs à l’acquisition de droits de propriété naissent dès qu’il y a «transfert», terme qui est défini à l’article premier de la loi comme: «Le transfert du droit de propriété d’un bien, l’établissement d’une emphytéose et la cession des droits de l’emphytéote ainsi que le contrat de louage d’un bien, pourvu que la période qui courent à compter de la date du transfert jusqu’à celle de l’arrivée du terme du contrat de louage, y compris toute prolongation ou tout renouvellement y mentionné, excède 40 ans; le mot transfert ne comprend pas le transfert fait dans le seul but de garantir le paiement d’une dette ni la rétrocession faite par le créancier.» Il n'est pas nécessaire pour le législateur d’ajouter la vente ou la cession des droits du propriétaire dans un contexte d’emphytéose pour que cette notion fasse partie de la définition de transfert Carrefour Repentigny inc. plaide un argument de texte. Puisque le législateur a prévu expressément l’assujettissement aux droits de mutation lors de «l’établissement d’une emphytéose et la cession des droits de l’emphytéote», il aurait fait de même pour le transfert des droits du propriétaire si telle était son intention. C’est ainsi que la défenderesse aurait erronément réclamé à la demanderesse la somme de 131 343 $. La ville soutient quant à elle que la définition de transfert lui permet d’imposer des droits de mutation à l’occa- sion de l’exercice d’une option d’achat prévue dans un bail emphytéotique. Une vente, point La demande de remboursement des droits de mutation payés par la demanderesse est rejetée avec dépens. Le tribunal conclut qu’il n’est «pas nécessaire pour le législateur d’ajouter la vente ou la cession des droits du propriétaire dans un contexte d’emphytéose pour que cette notion fasse partie de la définition de transfert». Il poursuit : «Le propriétaire du fond conserve ses droits de propriété, bien qu’il y ait démembrement, et ce sont ces droits qui ont fait l’objet d’une cession dans le présent dossier, en faveur de l’emphytéote». Les droits dits résiduaires demeurant entre les mains respectives de l’emphytéote et du propriétaire peuvent en effet faire l’objet d’une cession et, de surcroît, d’un droit de propriété non négligeable. Ils sont donc sujets à la définition de transfert. Commentaires La décision paraît, a priori, bien fondée mais laisse en suspens une question importante. Le titulaire d’un droit de propriété immobilière peut, nous le savons, démembrer son droit de propriété en concédant à un tiers l’usufruit. Or, ce qui lui reste, pendant la durée de l’usufruit, est la seule nu-propriété. Il en est de même pour le propriétaire emphytéote qui peut, selon les termes du bail emphytéotique consenti, demeurer uniquement titulaire pendant la durée de ce bail. Dans le cas de figure où le propriétaire ne percevrait aucun fruit de l’immeuble pendant la Collection du juriste - Mars 2005 7 Décision récente Immobilier durée du démembrement, son droit serait donc dépourvu de toute valeur immédiate. Toutefois, c’est à juste titre que le tribunal, en analysant la doctrine, conclut que les droits du nu-propriétaire ne sont pas pour autant sans intérêt. Ces droits dits résiduaires comportent un vis attractiva, c’est-à-dire une force d’attraction, qui permettra au nu-propriétaire de reprendre les faisceaux de droits démembrés, consentis au profit des tiers. La question de l’assiette assujettie aux droits payables pose une énigme importante au lecteur de cette décision. Bien que cela ne soit pas spécifiquement indiqué dans le jugement, il semble que la demanderesse ne nie pas les droits Immobilier Mise à jour no 147 : Législation a Loi sur le courtage immobilier (L.R.Q., c. C-73.1) ainsi que la Loi sur les compagnies (L.R.Q., c. C-38) ont été modifiées par le projet de loi 72, Loi modifiant la Loi sur les valeurs mobilières et d’autres dispositions législatives (L.Q. 2004, c. 37). Ces modifications sont entrées en vigueur le 17 décembre 2004. L Réglementation Les droits prévus au Règlement sur le tarif des droits, honoraires et frais édicté en vertu de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles ont été indexés à compter 8 Collection du juriste - Mars 2005 de mutation payables sur la seule valeur du terrain. Ce qu’elle nie en fait c’est la partie payable sur la Le propriétaire ne devient propriétaire des améliorations qu’à l’échéance de l’emphytéose; comment peut-il les transférer à l'acquéreur ? valeur des améliorations qu’elle aurait, au terme de ses obligations, construit sur le terrain emphytéo- Suivi législatif du 1er janvier 2005 selon l’avis publié à la Partie 1 de la Gazette tique. On le voit : c’est un tout autre débat que celui où l’on ne discute plus de l’existence d’un droit de mutation, mais plutôt de son étendue. C’est ainsi, croyons-nous, que les améliorations effectuées sur le terrain du propriétaire emphytéote ne font pas l’objet d’un transfert car ils ont été construits par l’emphytéote qui en demeure propriétaire comme le serait le propriétaire superficiaire1. De plus, l’emphytéote jouit de tous les droits attachés à la qualité de propriétaire dont l’accession des constructions (art. 1220, al. 1 C.c.Q.)2. Le propriétaire emphytéote ne devient propriétaire des améliorations qu’à l’échéance de l’emphytéose. Ainsi, il est erroné de dire, comme semble le faire le tribunal, qu’il y a eu transfert de propriété du terrain et des améliorations. La réclamation de la demanderesse nous paraît bien fondée dans les circonstances. ■ officielle du Québec le 18 décembre 2004, page 1278. Les montants du Règlement * L’auteur est chercheur au Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, McGill University. sur les frais exigibles pour le dépôt des plans de cadastre et 1 pour l’examen des plans non déposés (Décret 1308-93) sont indexés à compter du 1er avril 2005 (Gazette officielle du Québec, Partie 1, du 5 mars 2005). Les montants du Règlement sur le domaine hydrique de l’État (Décret 81-2003) sont indexés à compter du 1er avril 2005 (Gazette officielle du Québec, Partie 1, du 27 novembre 2004). ■ 2 F. FRENETTE, De l’emphytéose, Montréal, Wilson et Lafleur, 1983, p. 178 et suiv., par. 295 et suiv., p. 198 et suiv., par. 336 et suiv. Id. p. 187, par. 311: «Une fois investi de la vis attractiva, matérielle du constituant, l’emphytéote a non seulement le droit d’acquérir par accession tout ce que le fonds cédé produira et tout ce que les tiers ou la nature y joindront accessoirement, mais aussi l’avantage de pouvoir retenir de façon autonome la propriété des biens qu’il aura réalisée en exécution ou non de son obligation d’améliorer. Telles sont les conséquences du transfert de l’accession dans le patrimoine de l’emphytéote en application des termes mêmes de l’article 569 c.c. [l’actuel article 1200 C.c.Q.]». BUCJ