- Fondation Pierre Arnaud
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28 24 heures | Samedi-dimanche 11-12 juillet 2015 Culture & Société Lens pose un regard noir sur blanc inédit Les frères Freitag récupèrent leurs sacs Dès 11h à Lausanne, les propriétaires de besaces en bâche sont invités à rendre leurs modèles usés Caroline Rieder «R endez-nous nos sacs!» C’est une drôle de manifestation, avec un drôle de slogan, qui attend les passants ce matin devant le MUDAC à Lausanne. Daniel et Markus Freitag se livreront à un happening. Pas pour promouvoir un nouveau modèle en bâche recyclée. Banderoles à l’appui, les Zurichois inciteront les possesseurs de sacs portant leur nom à rapporter les modèles trop usés. L’action a été montée avec une autre paire de frères, les artistes saint-gallois Frank et Patrick Riklin. Les jumeaux ont notamment reconverti en 2009 un abri antiatomique en «hôtel zéro étoile». Cette installation se voulait une réponse à la folie du luxe et au gigantisme de l’hôtellerie. Associés aux frères Freitag, ils interrogent à nouveau la société de consommation avec un projet qui flirte volontairement avec l’absurde, et interroge l’aspect cyclique des choses. Les sacs récupérés seront utilisés pour fabriquer une nouvelle bâche qui va circuler sur un vrai camion. Celle-ci servira ensuite de maté- La Fondation Pierre Arnaud scrute l’Occident depuis l’Afrique. Un parcours qui mêle sens de l’esthétique et humour Florence Millioud Henriques L’ inédit, on le plébiscite! Et plus encore lorsqu’il surgit des oubliettes des grands musées, lorsqu’il vient avec son cocktail de magie, de naturel primesautier et d’humour. Défilent alors des statuettes de femmes portant des avions sur la tête, de missionnaires, de colons ou encore de militaires français médaillés et… bien montés. Une suite dans les idées, un art métissé, le regard de l’homme noir sur l’homme blanc. Fallait-il craindre ces «Impressions d’Afrique»? Jusqu’au coup de sac de la Fondation Pierre Arnaud à Lens, les institutions se sont vautrées dans une confortable apathie, n’éprouvant pas la nécessité de dépoussiérer ces o b j e t s compagnons du quotidien du «bon sauvage» et de ses rites. Les convictions risquant de vaciller, aucun conservateur n’avait encore tendu ce miroir à l’homme blanc. Trop risqué? Le grand saut dans le vide Nicolas Menut hésite avant d’abattre son «joker». Epris de cette histoire de l’art africain encore à écrire, caution anthropologique de l’exposition valaisanne, le responsable des acquisitions documentaires pour le Musée du quai Branly à Paris préfère parler d’«audace» devant la page blanche. «On savait le corpus large, on le savait courir sur plus de 500 ans, mais nous butons sur les datations, les provenances, l’identification des auteurs comme sur l’iconographie. Pourquoi ou pour qui ce crucifix? Pourquoi tout d’un coup les figurines portent-elles des casques coloniaux? Les questions s’accumulent, la plupart resteront sans réponse. On ne savait donc pas si l’ensemble allait faire sens, c’était un pari à prendre.» La fondation de Lens l’a encore corsé en croisant ce regard avec celui de l’artiste occidental parti dans les bagages des colons. Et… comment VC6 Contrôle qualité dire? L’avantage ne tourne pas en faveur de ces derniers, oscillant entre les extrêmes, incapables de trouver le juste milieu entre un volontarisme documentaire, l’assise d’un empirisme racial et la conjuration des peurs dans la caricature. Les dieux sont tombés sur la tête A l’inverse, les autodidactes africains n’ont pas jugé, ils se sont approprié, ils ont intégré, ils ont entrelacé. Foisonnante – comme toujours dans les immenses volumes de la Fondation –, l’exposition révèle la virtuosité des sculpteurs du XVe siècle et les premiers métissages entre le profane et le sacré, elle abonde de petits trésors d’équilibre entre les vérités tribales et coloniales. L’imaginaire dopé par cet afflux de nouvelles références, les artistes ont sculpté saint Antoine comme la reine Victoria, ils ont adopté les postures christiques, offert la protection d’un parapluie à leurs figurines et même enfilé des culottes aux femmescuillères. Avec un sens inné du syncrétisme, ils ont fusionné les cultures et écrit le scénario des Dieux sont tombés sur la tête, bien avant le succès cinématographique de 1984! «Les Africains ont eu cette facilité et ce talent, appuie Nicolas Menut. Ils se sont imprégnés de la nouveauté, l’ont agrégée dans leur vocabulaire et leur quotidien.» Sans jugement. Sans hégémonie. Et… sans véritable velléité critique. «On peut imaginer que la forte présence coloniale a tué les ardeurs dans l’œuf. Mais, complète-t-il, peut-être faut-il la chercher plus discrète, plus subtile. Comme dans la disproportion en faveur du léopard qui dévore un colon anglais. Dans la caricature des postures des Occidentaux ou dans la physionomie clairement européenne de cet exhibitionniste qui a l’air d’un terrible pervers avec ses attributs dehors.» Lens (VS), Fondation Pierre Arnaud Jusqu’au di 25 oct., me-di (10 h-19 h) Rens.: 027 483 46 10 www.fondationpierrearn aud.ch (1) Missionnaire (XXe siècle) en provenance de la collection privée d’Alain Weil, l’un des cocommissaires de l’exposition de Lens. Haut de 29 cm, il a été réalisé au Ghana. (2) Les artistes africains font la preuve de leur perméabilité en intégrant aussi des références indiennes à leur art, comme dans cette Mami Wata en bois (55 x 43 cm) du XXe siècle appartenant à une collection privée. (3) Buste de femme avec un avion sur la tête, haut de 52 cm. Un très bel exemple de syncrétisme en provenance d’Afrique de l’Ouest (XXe siècle). «Nous ne savons pas encore si les gens vont jouer le jeu» Frank et Patrik Riklin Artistes riau pour un projet artistique qui ne s’achètera pas, mais que les gens pourront acquérir «uniquement à travers des actes inhabituels», annoncent les concepteurs. «Que se passe-t-il si vous ne pouvez pas acheter des choses avec de l’argent?» s’interrogent Frank et Patrik Riklin au téléphone. Ce qui sera créé concrètement, ils ne le savent pas encore vraiment. Les premiers résultats seront présentés lors de la carte blanche offerte aux frères Freitag en octobre au MUDAC. «On ne sait pas si les gens vont jouer le jeu», confient les Riklin. Car les généreux donateurs ne se verront rien remettre de matériel en échange de leur geste. Ils auront par contre la satisfaction d’avoir contribué à l’élaboration d’une nouvelle création. Lausanne, devant le MUDAC Aujourd’hui (de 11h à 14h) Carnet noir Audigier vaincu par son cancer L Plusieurs pièces exposées à Lens proviennent également de collections privées, comme ce Poteau avec tête coiffée d’un casque colonial (haut 60 cm). NICOLAS MENUT e créateur de mode et entrepreneur Christian Audigier a succombé jeudi à Los Angeles à un cancer de la moelle osseuse à l’âge de 57 ans. Le Français, qui avait exporté ses rêves de célébrité aux Etats-Unis dans les années 2000, s’était construit un empire avec sa marque de vêtements Ed Hardy. Il avait aussi remis à la mode Von Dutch et créé avec son ami proche Johnny Hallyday la griffe Smet. Ses accessoires, flanqués de têtes de mort, entre autres, avaient séduit de nombreuses stars, à l’instar de Britney Spears, Paris Hilton, Madonna ou encore Michael Jackson. Self-made-man, il était réputé pour organiser des réceptions fastueuses prisées de la jet-set. 24