Au plan mondial, la question de l`approvisionnement en eau devient

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Au plan mondial, la question de l`approvisionnement en eau devient
L'eau
Au plan mondial, la question de l'approvisionnement en eau devient chaque jour plus préoccupante. Le
constat unanimement partagé est simple : déjà précaire dans certaines régions du globe, la situation ne
pourra qu'empirer dans les années à venir. Le formidable essor démographique que va en effet connaître
notre planète dans les vingt-cinq prochaines années va nécessairement s'accompagner d'une explosion de
la consommation en eau et d'une dégradation de sa qualité. Cela risque de mettre gravement en péril le
ravitaillement en eau douce d'une grande partie de l'humanité et par voie de conséquence d'aggraver les
conflits entre pays voisins ayant des ressources communes.
Face à ce risque vital de pénurie d'eau, les rencontres internationales se multiplient pour tenter de
développer au niveau mondial une vision partagée de la gestion des ressources en eau et d'obtenir les
engagements politiques nécessaires à la résolution de ce problème à l'échelle planétaire. Mais une stratégie
d'action globale semble difficile à définir.
Au cours du XXe siècle, la population mondiale est passée de 1,7 milliards d'individus en 1900 à plus de 6
milliards en l'an 2000. Mais alors que la population triplait, la consommation en eau de l'humanité était
multipliée par plus de six, soit une augmentation deux fois plus importante !
Ce formidable essor de la consommation en eau est en effet dû non seulement à cette démographie
galopante, mais aussi à l’augmentation de la demande moyenne en eau par habitant, une conséquence de
l’accès de plus en plus facilité à l’eau potable, et de l'exceptionnel développement industriel et surtout
agricole qu’a connu le XXe siècle. Car pour subvenir aux besoins alimentaires d'une population sans cesse
croissante, il a fallu augmenter les surfaces agricoles et intensifier l'agriculture. La surface des terres
irriguées du globe terrestre a ainsi été multipliée par cinq depuis le début du siècle. Elle a notamment quasidoublé au cours des 40 dernières années, principalement en Asie (Chine, Inde, Pakistan) et aux États-Unis.
La rapidité de cet accroissement s'est toutefois ralentie après 1980 dans les pays développés.
Aujourd'hui, à l'échelle mondiale, les hommes prélèvent environ 3 800 kilomètres cubes d'eau douce chaque
année pour leurs différents usages.
Aujourd'hui, un tiers de l'humanité vit dans une situation dite de « stress hydrique », avec moins de 1700
mètres cubes d'eau douce disponibles par habitant et par an. L'eau douce est donc une denrée rare.
Pourtant, à l'échelle de la planète, elle semble ne pas manquer : environ 40 000 kilomètres cubes d'eau
douce s'écoulent chaque année sur les terres émergées, lesquels, partagés entre les 6 milliards d'individus
vivant sur Terre, devraient fournir 6 600 mètres cubes d'eau douce à chacun. Mais si ces réserves sont
globalement suffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins, elles sont réparties de façon très inégale à
la surface du globe (voir le chapitre Cycle de l’eau et réservoirs). Alors que certains pays ont la chance de
posséder d’énormes réserves qui se renouvellent chaque année, leur permettant de vivre dans l’opulence,
d’autres n’ont pas d’eau en suffisance et connaissent des difficultés d’approvisionnement extrêmement
fortes. Ceux des régions arides notamment en manquent de façon âpre. Et cette situation n’est pas en
passe de s’améliorer. Neuf pays seulement se partagent 60 % des réserves mondiales d’eau douce : le
Brésil, la Russie, les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Indonésie, l’Inde, la Colombie et le Pérou.
À cela s’ajoute le fait que la répartition de la population est elle aussi très hétérogène ce qui augmente
encore parfois les disparités.
D’un pays à l’autre, les situations peuvent donc être très dissemblables. Ainsi, par exemple, entre la bande
de Gaza, en Palestine, très pauvre en eau douce (59 mètres cubes par habitant et par an), et l'Islande, où la
ressource est pléthorique (630 000 mètres cubes par habitant et par an), le rapport est de un à dix mille. De
plus, tandis que l'Asie, qui concentre près de 60 % de la population mondiale, ne dispose que de 30 % des
ressources mondiales disponibles en eau douce, l'Amazonie, qui ne compte que 0,3 % de la population du
globe, possède 15 % de ces ressources. Le manque d'eau est structurel dans le vaste triangle qui s'étend
de la Tunisie au Soudan et au Pakistan, c’est–à-dire dans plus de 20 pays d'Afrique du Nord et du ProcheOrient : chaque habitant y dispose en moyenne de moins de 1 000 mètres cubes d'eau douce par an, une
situation dite de « pénurie chronique ».
Il n’est pas rare également que des déséquilibres apparaissent au sein d'un même pays. Ils peuvent même
concerner parfois des régions peu sèches du monde. La Californie par exemple ne dispose plus d'assez
d'eau douce pour couvrir ses besoins. En Espagne, la région de Barcelone est proche du déséquilibre et
devra résoudre son problème d'approvisionnement en eau d'ici à 10 ans.
En terme de prévision, il semble désormais acquis que le réchauffement climatique en cours va encore
accentuer ces inégalités. C’est du moins ce que prédisent tous les experts (voir le chapitre Dégradations).
Outre que toutes les populations n’ont pas un égal accès à l’eau douce, plusieurs facteurs tendent à réduire
les disponibilités en eau : la mauvaise gestion, le gaspillage, et la pollution des réserves.
S’il est en effet possible de puiser sans compter dans la réserve annuelle des cours d’eau, l’exploitation des
nappes phréatiques est plus délicate et risque à terme, en cas d’excès, d'entraîner leur épuisement. À la
différence des cours d'eau, les nappes souterraines sont des réservoirs qui se renouvellent très lentement et
ne peuvent donc rapidement combler les emprunts (voir le chapitre Cycle de l’eau et réservoirs). Or,
certaines nappes, qui pourtant ne se renouvellent plus ou quasiment plus à l’échelle humaine, sont
fortement exploitées, notamment à des fins d’irrigation. Les experts estiment que les seuils correspondant à
ce qu’il est possible de prélever au milieu naturel sont déjà dépassés en de nombreux lieux. Ils prévoient
même l'épuisement, dans les 30 ans à venir, de plusieurs nappes importantes, dont l'exploitation s'est
intensifiée : +144 % en 30 ans aux États-Unis, +300 % en 10 ans en Arabie Saoudite, +100 % en 10 ans en
Tunisie ; en Chine, en Inde et en Iran, les prélèvements se sont aussi accrus.
Or, toute cette eau est le plus souvent consommée avec excès.
Le gaspillage d’eau domestique notamment peut être grand. Il croit avec le niveau de vie des populations,
les nombreux équipements qui apparaissent dans les foyers facilitant l’usage de l’eau. On le constate
d’abord dans le temps : les Européens consomment aujourd'hui 8 fois plus d'eau douce que leurs grandsparents pour leur usage quotidien. On le constate aussi d’un pays à l’autre : un habitant de Sydney par
exemple consomme en moyenne plus de 1 000 litres d'eau potable par jour, un Américain de 300 à 400
litres, et un Européen de 100 à 200 litres... alors que dans certains pays en développement, la
consommation moyenne par habitant ne dépasse pas quelques litres !
Les pertes également peuvent être très importantes. Globalement, seuls 55 % des prélèvements en eau
sont réellement consommés. Les 45 % restants sont soit perdus, par drainage, fuite et évaporation lors de
l'irrigation et par fuite dans les réseaux de distribution d’eau potable, soit restitués au milieu après usage ce
qui est le cas par exemple de l’eau utilisée pour le refroidissement des centrales électriques. Dans certaines
grandes villes d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique Latine comme Le Caire ou Mexico, jusqu'à 70 % de l'eau
distribuée est perdue par fuite dans les réseaux. Autre exemple : plus de la moitié de l’eau requise par les
modes traditionnels d’irrigation encore les plus couramment utilisés est perdue par évaporation (voir le
chapitre Usages).
Enfin, le problème de l’eau dans le monde n’est pas uniquement quantitatif, il est aussi qualitatif. Car plus la
consommation d’eau augmente, plus les rejets d’eaux usées et d’effluents sont importants, qui polluent et
dégradent les écosystèmes aquatiques de façon impressionnante parfois. Cette pollution pose un grave
problème, car elle pourrait rendre les réserves progressivement inexploitables.
Outre que toutes les populations n’ont pas un égal accès à l’eau douce, plusieurs facteurs tendent à réduire
les disponibilités en eau : la mauvaise gestion, le gaspillage, et la pollution des réserves.
S’il est en effet possible de puiser sans compter dans la réserve annuelle des cours d’eau, l’exploitation des
nappes phréatiques est plus délicate et risque à terme, en cas d’excès, d'entraîner leur épuisement. À la
différence des cours d'eau, les nappes souterraines sont des réservoirs qui se renouvellent très lentement et
ne peuvent donc rapidement combler les emprunts (voir le chapitre Cycle de l’eau et réservoirs). Or,
certaines nappes, qui pourtant ne se renouvellent plus ou quasiment plus à l’échelle humaine, sont
fortement exploitées, notamment à des fins d’irrigation. Les experts estiment que les seuils correspondant à
ce qu’il est possible de prélever au milieu naturel sont déjà dépassés en de nombreux lieux. Ils prévoient
même l'épuisement, dans les 30 ans à venir, de plusieurs nappes importantes, dont l'exploitation s'est
intensifiée : +144 % en 30 ans aux États-Unis, +300 % en 10 ans en Arabie Saoudite, +100 % en 10 ans en
Tunisie ; en Chine, en Inde et en Iran, les prélèvements se sont aussi accrus.
Or, toute cette eau est le plus souvent consommée avec excès.
Le gaspillage d’eau domestique notamment peut être grand. Il croit avec le niveau de vie des populations,
les nombreux équipements qui apparaissent dans les foyers facilitant l’usage de l’eau. On le constate
d’abord dans le temps : les Européens consomment aujourd'hui 8 fois plus d'eau douce que leurs grandsparents pour leur usage quotidien. On le constate aussi d’un pays à l’autre : un habitant de Sydney par
exemple consomme en moyenne plus de 1 000 litres d'eau potable par jour, un Américain de 300 à 400
litres, et un Européen de 100 à 200 litres... alors que dans certains pays en développement, la
consommation moyenne par habitant ne dépasse pas quelques litres !
Les pertes également peuvent être très importantes. Globalement, seuls 55 % des prélèvements en eau
sont réellement consommés. Les 45 % restants sont soit perdus, par drainage, fuite et évaporation lors de
l'irrigation et par fuite dans les réseaux de distribution d’eau potable, soit restitués au milieu après usage ce
qui est le cas par exemple de l’eau utilisée pour le refroidissement des centrales électriques. Dans certaines
grandes villes d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique Latine comme Le Caire ou Mexico, jusqu'à 70 % de l'eau
distribuée est perdue par fuite dans les réseaux. Autre exemple : plus de la moitié de l’eau requise par les
modes traditionnels d’irrigation encore les plus couramment utilisés est perdue par évaporation (voir le
chapitre Usages).
Enfin, le problème de l’eau dans le monde n’est pas uniquement quantitatif, il est aussi qualitatif. Car plus la
consommation d’eau augmente, plus les rejets d’eaux usées et d’effluents sont importants, qui polluent et
dégradent les écosystèmes aquatiques de façon impressionnante parfois. Cette pollution pose un grave
problème, car elle pourrait rendre les réserves progressivement inexploitables.
La population mondiale devrait passer de 6 milliards d'individus en l'an 2000, à 8
milliards en l’an 2025. La quantité moyenne d'eau douce disponible par habitant et
par an devrait donc chuter de 6 600 à 4 800 mètres cubes, une réduction de
presque un tiers. Si parallèlement la tendance actuelle à l'augmentation des
prélèvements en eau se poursuit, entre la moitié et les deux tiers de l'humanité
devraient être en situation dite de stress hydrique en 2025, seuil d'alerte retenu par
l'Organisation des nations unies (ONU) et correspondant à moins de 1700 mètres
cubes d'eau douce disponible par habitant et par an. Le risque d’une pénurie d’eau
douce existe donc bel et bien.
L’un des problèmes majeurs en matière d'eau douce et d'alimentation humaine est
posé par l’irrigation, car pour nourrir toute la population de notre planète, la
productivité agricole devra fortement augmenter. Alors que l’irrigation absorbe déjà
aujourd’hui 70 % des prélèvements mondiaux, une consommation jugée très
excessive, celle-ci devrait encore augmenter de 17 % au cours des 20 prochaines
années. Le facteur déterminant de l'approvisionnement futur de l'humanité en eau
douce sera donc le taux d'expansion de l'irrigation. Autrement dit, seule une nette
amélioration de la gestion globale de l’irrigation permettra de réellement maîtriser la
croissance de la consommation.
Un autre enjeu de taille pour les années à venir est celui de la satisfaction de
l’ensemble des besoins en eau potable de l’humanité. Aujourd’hui, déjà un habitant
sur cinq n’y a pas accès. Or, selon l’ONU, sur les 33 mégapoles de plus de 8
millions d'habitants qui existeront dans 15 ans, 27 seront situées dans les pays les
moins développés et donc les moins à même de pouvoir répondre aux besoins. En
outre, même si de légères diminutions de la consommation en eau sont observées
depuis quelques années aux États-Unis et en Europe, les prévisions sont
alarmistes, avec 40 % d’augmentation de la consommation municipale et
domestique dans les 20 ans à venir.
Pour tenter d’inverser cette tendance, diverses solutions existent qui permettent de
diminuer la consommation en eau et d’en limiter les pertes : améliorer l’efficacité
des techniques d’irrigation et surtout généraliser l’usage des méthodes les plus
performantes, rénover les structures de production et de distribution d’eau potable
et en construire de nouvelles, préserver les réserves, lutter contre la pollution, entre
autres en assainissant les eaux usées, recycler l'eau ... (Voir le chapitre
Préservation). Mais toutes ces mesures demanderont d'énormes investissements et
seront donc coûteuses.
Ce seront donc les décisions politiques, au niveau national et international, ainsi
que les priorités d'investissements des pays et des agences de financement, qui
joueront un rôle déterminant dans la gestion future du risque de pénurie d’eau
douce à travers le monde.
Les perspectives en matière d’eau douce ne sont pas réjouissantes puisque, de
l’avis général, sa raréfaction semble inéluctable. Or, un pays qui manque d’eau est
un pays qui ne peut ni nourrir sa population, ni se développer. D’ailleurs, la
consommation en eau par habitant est désormais considérée comme un indicateur
du développement économique d'un pays. Selon une étude des Nations Unies,
l'eau pourrait même devenir, d'ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole.
C’est dire toute l’importance de cette ressource que d’aucuns appellent déjà « l’or
bleu ».
Avoir accès à l’eau est donc devenu un enjeu économique puissant à l’échelle
planétaire qui pourrait devenir, dans le siècle à venir, l'une des premières causes de
tensions internationales. Il est vrai que plus de 40 % de la population mondiale est
établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe. Autrement dit, toutes
ces populations se trouvent dans l’obligation de partager leurs ressources en eau
avec les habitants d'un pays voisin. Or, une telle situation peut être à l'origine de
conflits récurrents, notamment lorsqu’un cours d’eau traverse une frontière, car
l'eau devient alors un véritable instrument de pouvoir aux mains du pays situé en
amont. Qu’il soit puissant ou non, celui-ci a toujours théoriquement l'avantage,
puisqu'il a la maîtrise du débit de l'eau.
La situation n'est pas récente. En 1503 déjà, Léonard de Vinci conspirait avec
Machiavel pour détourner le cours de l'Arno en l’éloignant de Pise, une cité avec
laquelle Florence, sa ville natale, était en guerre. Des chercheurs américains ont
également montré que depuis le Moyen Âge, les désordres sociaux en Afrique
orientale coïncidaient avec les périodes de sécheresse. Dans les sociétés
asiatiques, l'eau était un instrument de puissance politique : l'ordre social, les
répressions et les crises politiques dépendaient des caprices des pluies.
Aujourd'hui encore, les contentieux à propos de l'eau sont nombreux à travers le
monde, notamment au Nord et au Sud de l'Afrique, au Proche-Orient, en Amérique
centrale, au Canada et dans l'Ouest des États-Unis. Au Proche-Orient, par
exemple, une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l'Égypte, entièrement
tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec
dix autres États du bassin du Nil : notamment avec l'Éthiopie où le Nil bleu prend sa
source, et avec le Soudan où le fleuve serpente avant de déboucher sur le territoire
égyptien. Quant à l'Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie, où
les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l'Euphrate, prennent leur source.
L'eau de l'Euphrate a d'ailleurs souvent servi d'arme brandie par la Turquie contre
ses deux voisins : grâce aux nombreux barrages qu’elle a érigés sur le cours
supérieur du fleuve et qui lui permettent d’en réguler à sa guise le débit en aval, la
Turquie possède là, en effet, un puissant moyen de pression.
Avec l’essor démographique et l’accroissement des besoins, ces tensions
pourraient se multiplier à l’avenir. C’est ce que prédisent certains experts pour le
XXIe siècle. D’autres en revanche pensent que la gestion commune de l'eau peut
être un facteur de pacification. Ils mettent en avant des exemples étonnants de
coopération : le plus fameux est celui de l'Inde et du Pakistan qui, au plus fort
de la guerre qui les opposait dans les années 1960, n'ont jamais interrompu le
financement des travaux d'aménagement qu'ils menaient en commun sur le fleuve
Indus.
Depuis plus de 20 ans, les rencontres internationales sur l’eau se succèdent, signe d’une inquiétude des
États participants, qui tous souhaitent réfléchir à la manière de gérer de façon durable les ressources en
eau. La dégradation des réserves, les difficultés d’accès à l’eau potable que connaissent nombre de pays et
le risque de pénurie qu’encoure une part croissante de l’humanité ébranlent en effet de plus en plus les
consciences internationales. Mais si la nécessité de penser la gestion de l’eau à l’échelle planétaire gagne
progressivement du terrain, jusqu’à présent toutes ces rencontres n’ont guère été suivies de décisions ni de
mesures concrètes, les états ne parvenant pas à définir une stratégie d’action commune.
La perception de la valeur de l’eau a progressivement évolué au cours des deux dernières décennies. Lors
de la première conférence internationale sur l’eau, qui se déroulait à Mar del Plata en Argentine en 1977,
l’eau fut définie comme « bien commun », un bien donc auquel chacun devait pouvoir accéder pour ses
besoins primordiaux. Mais à cette conception idéale et proprement publique de l’eau s’est progressivement
substituée, au fur et à mesure de sa raréfaction, une vision beaucoup plus marchande : en 1992 à la
conférence de Dublin, l’eau fut cette fois clairement déclarée « bien économique ».
Par la suite, lors du premier Forum mondial de l'eau, en mars 1997 à Marrakech (Maroc), les experts
exprimèrent leur crainte que l'eau ne devienne, comme le pétrole, une denrée monnayable et chère à courte
échéance, et l'enjeu de nouvelles guerres. Quant aux deux grands Sommets mondiaux de la Terre (juin
1992 à Rio et juin 1997 à New York), ils n’ont rien apporté : peu présente au cours du premier, l’eau fut
promue « question prioritaire » lors du second, sans cependant faire l'objet d'aucune décision.
Aujourd’hui, le constat est unanime parmi les experts qui diagnostiquent une crise grave si les
gouvernements n'améliorent pas leur gestion des ressources en eau. Sur les remèdes pour enrayer cette
crise, en revanche, les avis divergent. C’est ce qui est clairement apparu au cours du deuxième Forum
mondial de l'eau, qui se tenait en mars 2000 à La Haye (Pays-Bas).
Entre les 4 500 représentants d’une centaine de pays, la discussion a en effet essentiellement porté sur la
question de la privatisation de l'eau. Tandis que la Commission mondiale de l’eau, une émanation du
Conseil mondial de l’eau, plaidait pour une large privatisation de ce secteur à l'échelle mondiale, de
nombreuses Organisations non gouvernementales (ONG) condamnaient cette vision « technicoéconomique et marchande » et prônaient l’accès à l'eau comme un « droit fondamental de l'homme »,
gratuit ou tarifé à prix coûtant.
À l’issue de ce Forum, dans une déclaration commune, les divers ministres de l’environnement ou des
ressources hydriques se sont finalement contentés de qualifier l'eau d'élément « indispensable à la vie et à
la santé des hommes et des écosystèmes et une condition fondamentale au développement des pays ».
Si tout le monde s'accorde à juger qu'un changement de politique global est impératif, les solutions
proposées ne font pas l'unanimité, comme cela est très largement apparu lors du deuxième Forum mondial
de l’eau, en mars 2000 à La Haye, où deux conceptions se sont affrontées.
Aujourd’hui, la principale inquiétude porte sur les pays en développement. Dans ces pays, les réseaux de
production et de distribution de l’eau répondent rarement aux normes de potabilité, quand ils existent. Selon
le Conseil mondial de l'eau, une organisation non gouvernementale soutenue par l'Unesco et la Banque
mondiale, qui organisait ce forum, si rien n’est fait, la démographie de ces pays et surtout des pays du Sud
va entraîner de très graves problèmes d'approvisionnement en eau potable
D'énormes investissements seront donc nécessaires pour moderniser l’existant et créer de nouveaux
équipements (usines de production, réseaux de distribution, stations d’assainissement), mais aussi pour
développer de nouveaux systèmes d'irrigation. Ces investissements ont été évalués par le Conseil mondial
de l'eau à 180 milliards de dollars par an pour les 25 prochaines années, contre 75 milliards de dollars
actuellement investis chaque année.
Face aux difficultés que connaissent déjà les pays en développement, le Conseil de l'eau recommande
fortement de faire appel aux investisseurs privés, lesquels ne gèrent aujourd'hui que 5 % des ressources
mondiales. Pour les membres de ce Conseil, l'eau est un bien comme un autre, une denrée qui doit être
gérée de façon efficace. Ils préconisent donc de confier son exploitation aux compagnies privées, et de lui
attribuer un prix, évalué sur la base de son coût total (production, distribution, assainissement) et dans le
cadre de la libre concurrence et du libre commerce à l'échelle internationale, un prix qui serait directement
répercuté sur les consommateurs.
Mais les Organisations non gouvernementales (ONG) ont vivement critiqué cette façon de voir, où l'État
jouerait un rôle de « simple régulateur », rétorquant qu'une telle privatisation se ferait toujours au détriment
des populations les plus pauvres de la planète, n’assurerait pas forcément une plus grande efficacité, mais
serait en revanche susceptible de favoriser la corruption, réfutant en cela certaines affirmations. Elles ont
réaffirmé jusqu’à la fin leur conviction selon laquelle l'eau est un « droit fondamental » pour tous. Plus que le
mode de gestion, c’est la question de la fixation du prix de l'eau qui est au cœur du problème. Beaucoup
d’ONG pensent qu’effectivement le prix de l'eau devra couvrir les frais de traitement, de distribution et de
dépollution, mais refusent qu’il soit fixé par le marché. Cependant, même dans ces conditions, payer l'eau
restera hors de portée des populations les plus pauvres.
Le défi majeur du XXIe siècle en matière d’eau sera donc vraiment d'assurer la rentabilité de la gestion de
l'eau, tout en garantissant aux plus pauvres le droit d’accéder à cette ressource vitale.