Présentation orale : Au soleil du plafond Pierre Reverdy et Juan

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Présentation orale : Au soleil du plafond Pierre Reverdy et Juan
M31 : Les rapports texte-image
SA 2012
Jean Buchmann
Présentation orale :
Au soleil du plafond
Pierre Reverdy et Juan Gris
A quel autre objet qu’à une œuvre d’art
demande-t-on […] de ressembler à
autre chose qu’à lui-même ?
(Reverdy, 1975b, p. 45)
A. Reverdy et Gris : les conditions de création de l’œuvre
Extrait du texte explicatif rédigé par Reverdy et inséré à la fin du recueil dans sa première
édition datant de 1955 :
(1) Ce livre, achevé d’écrire sous la forme présente, voit le jour plus de trente ans après
qu’il a été conçu par ses auteurs, et Juan Gris, qui en avait assumé l’illustration, est
mort en 1927, n’ayant pu exécuter que la moitié de son travail. C’est pourquoi les
vingt poèmes ne sont accompagnés, dans le présent ouvrage, que de onze
lithographies, dont l’une, le moulin à café, figurant en frontispice, était le premier
projet modifié ensuite par le peintre. Ce premier projet a été exécuté en 1916 ou 1917.
La carence de ces dix illustrations nous a obligés à réaliser une présentation toute
différente de l’ouvrage qui, selon la première conception, devait se composer de vingt
planches sur carton rigide sous forme d’estampes, chaque poème soulignant la
gravure le concernant. […] (Reverdy, 2003, p. 147)
B. Cubisme : le contexte de son apparition
(2) Son importance [celle du cubisme] réside précisément dans un renversement de
positions pour l’homme, qui entraîne, par corollaire, un renversement de positions du
peintre. La Renaissance, c’est l’apothéose du SUJET [de l’œuvre], qui refoule la
prédominance de l’OBJET, souci essentiel des siècles antérieurs au XIIIe.
Catégoriquement le cubisme remet en question les droits de l’objet ; il portera au
paroxysme le discrédit dans lequel est tombé le sujet au cours du XIXe siècle : les
peintres valables de ce siècle peignant ‘n’importe quoi’ [référence à Manet
notamment] parce qu’ils pressentaient, et ce fut là leur génie, la primauté des valeurs
intrinsèques de la peinture sur les valeurs accessoires du sujet ; ces dernières ayant
éclipsé le peintre, par conséquent l’homme. (Gleizes & Metzinger, 1980, p. 21)
(3) [Cézanne] nous apprend à dominer le dynamisme universel. Il nous révèle les
modifications que s’infligent réciproquement des objets crus inanimés. Par lui nous
savons qu’altérer les colorations d’un corps c’est en changer la structure. Il prophétise
que l’étude des volumes ouvrira des horizons. Son œuvre, bloc homogène, se meut
sous le regard, se contracte, s’étire, fond ou s’allume, et prouve irrécusablement que la
peinture n’est pas – ou n’est plus – l’art d’imiter un objet par des lignes et des
couleurs, mais de donner conscience à notre instinct. Qui comprend Cézanne
pressent le Cubisme. (Gleizes & Metzinger, 1980, p. 41)
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C. Peinture et poésie : ambitions communes
a) L’indépendance de l’œuvre
(4) Que l’artiste approfondisse plus sa mission qu’il ne l’étende. Puissent les formes qu’il
discerne et les signes, auxquels il en incorpore la qualité, être assez éloignés de
l’imagination du vulgaire pour que la vérité qu’ils apportent ne prennent pas un
caractère général. Du trouble en effet s’instaure quand l’œuvre devient une espèce
d’unité de mesure indistinctement applicable à plusieurs catégories tant naturelles
qu’artistiques. (Gleizes & Metzinger, 1980, p. 46-47)
(5) On peut vouloir atteindre un art qui soit sans prétention d’imiter la vie ou de
l’interpréter. Comme il y eut un art qui, en prenant dans la vie des éléments de réalité,
prétendait à donner l’apparence, plus ou moins complète de cette réalité, il peut en
être un qui, ayant dégagé des moyens nouveaux ne veuille prendre à la vie que certains
éléments de réalité nécessaires à l’œuvre d’art et sans prétendre que cette œuvre d’art
puisse imiter la vie. Créer l’œuvre d’art qui ait sa vie indépendante, sa réalité et qui soit
son propre but, nous paraît plus élevé que n’importe quelle interprétation fantaisiste
de la vie réelle […] [N]ous voulons […] créer une émotion neuve et purement
poétique. (Reverdy, 1975b, p. 41)
b) Les rapports dans l’œuvre
(6) L’Image [en poésie] est une création pure de l’esprit.
Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus
ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées sont lointaines et justes, plus l’image
sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. (Reverdy,
1975c, p. 73)
 Citation reprise par Breton dans son Manifeste du surréalisme.
(7) La forme apparaît douée de propriétés identiques à celles de la couleur. Elle se
tempère ou s’avive au contact d’une autre forme, se brise ou s’épanouit, se multiplie
ou disparaît. Il arrive qu’une ellipse se change en circonférence parce qu’on l’inscrit
dans un polygone. Il arrive qu’une forme, plus affirmée que celles qui l’entourent, y
frappe toute chose à sa propre effigie. (Gleizes & Metzinger, 1980, p. 50-51)
c) Le travail du lecteur
(8) Choisir un élément revient […] à l’extraire d’une texture mentale, pour l’inscrire
ensuite dans une organisation textuelle qui le fait entrer en relation immédiate, pour
l’esprit du lecteur, avec d’autres fragments dont l’ordre syntagmatique le tient
d’ordinaire éloigné. Le poème reverdyen participe ainsi bel et bien d’une esthétique
du collage, qui caractérise non seulement la peinture des cubistes mais aussi, à la
même époque, le « poème-conversation » d’Apollinaire ou le « poème élastique » de
Cendrars. (Geinoz, 2004, p. 156)
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(9) La réflexion théorique de Reverdy semble […] distinguer – du moins
conceptuellement – deux moments dans la création du poème : d’abord la sélection
des éléments, bribes de représentations extraites séparément d’un contexte mental,
puis leur assemblage en une architecture qui les rend solidaires, en-deçà de toute
garantie référentielle. En d’autres termes, à l’opération de choix qui isole les unités
sémantiques et rythmiques répond un travail de composition qui les met en relation,
mais de manière non discursive et selon un mode essentiellement analogique, de sorte
que les deux moments demeurent sensibles dans le poème. (Geinoz, 2004, 157)
d) L’intériorité et son extériorisation
(10) Le cubisme […] outrepasse la chose extérieure pour l’envelopper et la mieux
saisir. Regarder le modèle ne suffit plus, il faut que le peintre le pense. Il le transporte
dans un espace à la fois spirituel et plastique, à propos duquel ce n’est pas tout à fait
une légèreté que de parler de quatrième dimension. Les proportions y deviennent
qualité, les sensations ne sont plus liées à un rigide système d’axes et c’est leur valeur
expressive qui, seule, détermine l’ordre de leur transcription. La situation des
différentes parties d’une figure, d’une nature morte, d’un paysage, ne dépend plus de
celle des autres parties ; elle dépend de leur situation dans l’esprit de l’artiste, de leur
situation vraie. Lorsque nous évoquons un visage, une ville, savons-nous s’il se
présente de face ou de profil ? Nous inquiétons-nous d’une exacte topographie ?
Pourtant l’image de ce visage, la vision de cette ville sont, l’une, plus ressemblante que
le meilleur portrait, l’autre, plus complète que cent cartes postales ou que cent
tableaux exécutés – avec sincérité – sous l’antique parasol. Hors de la science et de ses
appareils, l’objet, groupe de sensations, ne se laisse appréhender entièrement que par
le souvenir ou par le désir. C’est à la représentation de la réalité intérieure, la seule qui
soit du point de vue de l’art, que s’attache le cubisme. (Gleizes & Metzinger, 1980, p.
81-82)
(11) […] [L]e grand mythe de l’intériorité revendiqué par le symbolisme a évolué avec
le modernisme dans un sens qui semblait a priori très éloigné de lui : celui d’une
extériorisation de la « pensée » en une forme de « lieu pensant ». […] [A]vec le
surréalisme, ce « lieu pensant » du modernisme s’est évadé du strict plan esthétique
pour gagner l’ensemble des apparences et les métamorphoser en un vaste écran
psychique. Au total ce demi-siècle d’avant-gardisme aura été l’histoire d’une
extériorisation progressive de l’intériorité romantique. (Jenny, 2002, p. 2)
(12) Voulant atteindre aux proportions de l’idéal, ne se bornant pas à l’humanité, les
jeunes peintres [c’est-à-dire les cubistes] nous offrent des œuvres plus cérébrales que
sensuelles. Ils s’éloignent de plus en plus de l’ancien art des illusions d’optique et des
proportions locales pour exprimer la grandeur des formes métaphysiques.
(Apollinaire, 1986, p. 21)
D. Poésie cubiste ?
(13) Aussi bien, s’il est difficile de trouver des moyens nouveaux dans un art, il n’est
méritoire que de les trouver propres à cet art et non pas dans un autre.
C’est-à-dire que les moyens littéraires appliqués à la peinture (et vice versa) ne
peuvent que nous donner une apparence de nouveauté facile et dangereuse. (Reverdy,
1975a, p. 16)
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(14) La réticence de Reverdy à accepter l’étiquette de « poésie cubiste » appliquée aux
poèmes publiés par Nord-Sud s’explique à la fois par le refus du syncrétisme
esthétique, caractéristique de l’âge symboliste, et par la volonté de réévaluer la place
de la poésie dans les arts. Et loin de se limiter à un slogan creux, l’esthétique
« relationnelle » de Reverdy prend corps dans une réflexion systématique des
« moyens » spécifiques de la poésie : l’ « image » et la « syntaxe ». (Jenny, 2002, p. 106)
E. Analyse : Au soleil du plafond
a) Analyse du poème : « Moulin à café »
Sur la nappe il y avait quelques grains de poudre ou de café. La
guerre ou le repos sur les fronts qui se rident ensemble. L’odeur
mêlée aux cris du soir, tout le monde ferme les yeux et le moulin
broyait du noir comme nos têtes. Dans le cercle des voix, un nuage
s’élève. Une vitre à la lèvre qui brouille nos pensées.
b) Analyse des deux lithographies de Juan Gris liées au poème :
Frontispice
Version retravaillée
c) Analyse du poème : « Compotier »
Une main, vers les fruits dressés, s’avance et, timidement,
comme une abeille, les survole. Le cercle où se glissent les doigts
est tendu dessous comme un piège – puis reprennent leur vol,
laissant au fond du plat une cicatrice vermeille. Une goutte de sang,
de miel au bout des ongles.
Entre la lumière et les dents, la trame du désir tisse sa coupe
aux lèvres.
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d) Pistes de réflexion :
(15) En somme, la réminiscence éventuelle d’objets réels dans l’œuvre plastique a pour
seule fonction de fournir un répertoire de formes dont les effets sont étudiés pour
eux-mêmes. L’œuvre est fondamentalement une recherche sur les « moyens ». Elle a
pour fonction de mettre à jour les universaux plastiques de la nature. (Jenny, 2002,
p.109)
(16) Le poème, pour Reverdy, doit […] avoir une réalité propre, s’imposer en tant
qu’objet verbal, écrit, et non en tant que véhicule d’un contenu qui l’efface. Cela
revient à dire que le texte à vocation artistique doit déjouer une logique de la
représentation, qui est tout simplement celle de la langue dans son emploi commun,
pour proposer à la lecture un autre mode d’articulation, étant bien entendu que les
mots en eux-mêmes conservent leur valeur de signes. (Geinoz, 2002, p. 149)
(17) Parce qu’elle recourt à une médiation syntaxique, la comparaison ne peut
apparaître au poète que comme une forme grossière qui fige le rapport, en le
désignant plutôt qu’en incitant à le percevoir. Figure trop rationnelle, elle équivaut à
reproduire une analyse préalable, à traduire par les mots une ressemblance
effectivement constatée. Elle remplit alors une fonction d’illustration, d’ « évocation »,
qui la discrédite aux yeux de Reverdy en tant qu’outil de création. (Geinoz, 2002, p.
150)
e) Comparaison de deux lithographies : « Compotier » et « Bouteille »
f)
Analyse et discussion autour du poème : « La Pipe »
Sous le nuage épais la voix monte vers le plafond dans un rond
de fumée – comme son auréole. La voix et la fumée qui sortent de
la pipe ou des lèvres minces et brûlantes. L’air de la chanson dans
la nuit. Les intervalles de silence – et le feu qui s’éteint au moment
où le bruit remonte des cascades fraîches de la bouche.
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g) Pistes de réflexion :
(18) Although the chambre remains the most complete metaphor for [the figural space],
the poet of Au soleil du plafond maintains a keen interest in the world beyond, for that
is where the possibility of transcendence, both thematic and figural, seems to lie. He
therefore tries to bring external phenomena into the space of the room, or
alternatively to expand the text’s figural boundaries outwards, to embrace an ‘ideal’
reality beyond. (Rothwell, 1988, p. 309)
(19) The metaphorical transcendence of the chamber through music occurs in several
[…] poems of the collection [i.e. Au soleil du plafond]. ‘La Pipe’, for instance, exploits
a pun on its title (pipe = gosier) to set up an analogy between singing and
smoking (‘La voix et la fumée qui sortent de la pipe ou des lèvres minces’);
both the smoke and the song ascend, but the former comes up against the
ceiling while the latter carries on outwards (‘l’air de la chanson dans la nuit’,
with the pun on air suggesting a contrast with the smoky atmosphère of the
room). (Rothwell, 1988, p. 312)
F. Discussion et conclusion
1. Les moyens utilisés par Pierre Reverdy et Juan Gris pour provoquer l’émotion
poétique sont-ils toujours propres à leurs arts respectifs ?
2. A quel niveau se situent les rapports que l’on peut faire entre la peinture de Juan Gris
et la poésie de Pierre Reverdy ?
3. Réflexion sur deux citations :
« J’avoue, à la fin, que je ne suis pas peintre. » (Reverdy)
« Et moi aussi je suis peintre ! » (Apollinaire)
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G. Bibliographie
Apollinaire, G. (1986). Les peintres cubistes. Méditations esthétiques. Paris : Berg International.
Breton, A. (2008). Manifestes du surréalisme. Paris : Gallimard.
Geinoz, P. (2002). L’image de Reverdy et la synthèse cubiste. Une méthode pour relire le réel.
Compar(a)ison, 1, 145-184.
Gleizes, A. & Metzinger J. (1980). Du « Cubisme ». Sisteron : Présence.
Jenny, L. (2002). La fin de l’intériorité. Paris : P.U.F.
Kahnweiler, D.-H. (1990). Juan Gris : sa vie, son œuvre, ses écrits. Paris : Gallimard.
Reverdy, P. (1975). Sur le cubisme. In E.-A. Hubert (Ed.), Nord-Sud Self Defence et autres écrits sur
l’art de la poésie (1917-1926) (pp. 14-21). Paris : Flammarion.
Reverdy, P. (1975). Essai d’esthétique littéraire. In E.-A. Hubert (Ed.), Nord-Sud Self Defence et
autres écrits sur l’art de la poésie (1917-1926) (pp. 39-47). Paris : Flammarion.
Reverdy, P. (1975). L’Image. In E.-A. Hubert (Ed.), Nord-Sud Self Defence et autres écrits sur l’art de la
poésie (1917-1926) (pp. 73-75). Paris : Flammarion
Reverdy, P. (2003). Sable mouvant, Au soleil du plafond, La liberté des mers suivi de Cette émotion appelée
poésie (E.-A. Hubert, Ed.). Paris : Gallimard.
Rothwell, A. (1988). Cubism and the avant-garde prose-poem: figural space in Pierre Reverdy’s
Au soleil du plafond. French Studies, 42, 302-319.
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