histoire des arts - Externat Sainte Anne Montesson

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histoire des arts - Externat Sainte Anne Montesson
HISTOIRE DES ARTS
Dénoncer, servir le pouvoir
Pablo Picasso – Guernica – 1937
I – Picasso : grandes lignes de sa biographie
1881 - Naissance de Pablo Picasso le 25 octobre à Malaga (Espagne). Il est le fils de José Ruiz Blasco, professeur de dessin,
et de Doña Maria Picasso y Lopez. Très vite, il adopte le nom de sa mère : Picasso.
1893 - Picasso, qui a 12 ans, est déjà un dessinateur prodige, peint ses premières toiles. . Il a été encouragé dans sa vocation
artistique par son père.
1895 - Il intègre les Beaux-arts de Barcelone où il reçoit une formation strictement classique.
1901 - Il s'installe à Paris et décide de passer le reste de sa vie en France.
Le travail de Pablo Picasso est souvent classé par périodes. Alors que les noms de plusieurs de ses périodes ultérieures font
l'objet de débats, les périodes les plus communément acceptées de son travail sont sa période bleue (1901-1904), sa période
rose (1905-1907), sa période influencée par l'art africain (1907-1909), le cubisme analytique (1909-1912), et le cubisme
synthétique (1912-1919).
Artiste majeur et complet du XXème siècle (peintre, sculpteur, céramiste, graveur…novateur dans les styles et les techniques),
il est, avec Georges Braque, le fondateur du mouvement cubiste. Ce mouvement pose une polémique en développant une
nouvelle manière de peindre : décomposition, fragmentation des formes et multiplication des points de vue qui
apparaissent simultanément sur une même œuvre. Un même personnage est représenté à la fois de profil et de face. ‘Les
Demoiselles d’Avignon’ est l’œuvre la plus caractéristique de cette période.
Premières années
Période bleue
Première communion Ŕ 1896
Les pauvres Ŕ 1903
La Vie Ŕ 1903
Période rose
Famille d’acrobates avec singe Ŕ 1905
Cubisme
Les Demoiselles d’Avignon Ŕ 1907
Portrait d’Ambroise Vollard Ŕ 1910
L’œuvre de Picasso se caractérise jusqu’à sa mort par la recherche permanente d’une nouvelle manière de peindre, originale et
personnelle.
‘Si l'on sait exactement ce qu'on va faire, à quoi bon le faire ? ‘
Picasso
II – Contexte historique de Guernica
- Après le succès du Front populaire républicain aux élections de 1936, le général Franco tente un coup d’état déclenchant la
guerre civile espagnole le 18 juillet 1936. Elle oppose les nationalistes franquistes (droite et extrême-droite) aux républicains
(gauche).
Dans les années 1930, certains pays d’Europe sont dirigés par des dictateurs. Ainsi, l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini
aident les franquistes. La plupart des intellectuels et des artistes se rallient à la cause de la république espagnole. Beaucoup
d’entre eux s’engagent dans les milices et y laissent leur vie.
Œuvres décrivant cette période :
- L’Espoir, de Malraux
Le roman se déroule pendant la guerre d'Espagne, en 1936. Malraux se place tout au long du roman dans le camp populaire :
communiste et anarchiste s'opposant au camp fasciste, franquiste.
Les événements décrits sont d'un réalisme troublant, ce qui peut s'expliquer par le fait que Malraux s'engagea lui même du
côté révolutionnaire, politiquement et militairement pendant cette guerre.
- Pour qui sonne le Glas, d’Hemingway
Roman publié en 1940 et fortement inspiré du vécu de journaliste d’Hemingway pendant la guerre civile espagnole dont il fait
revivre l'ambiance.
- Une grande partie du pays est sous contrôle des nationalistes du Général Franco. Mais Madrid et Barcelone constituent le
cœur de la résistance républicaine. Le pays Basque formant le front nord d'opposition aux franquistes est attaqué au printemps
1937.
Le 26 avril 1937, la légion Condor, l’unité militaire allemande de sinistre réputation, spécialement constituée pour intervenir aux
côtés des nationalistes espagnols, mène pour la première fois des bombardements d’une grande ampleur sur les villes
basques, parmi lesquelles Guernica. Les 50 tonnes de bombes incendiaires lâchées font 1800 morts sur une population de
6000 habitants. Stratégiquement, bombarder Guernica n’est d’aucune utilité. Mais militairement, pour la Luftwaffe, cette
intervention aérienne permet de tester le matériel et inaugure une nouvelle stratégie, préfigurant les assauts meurtriers contre
les villes de Grande-Bretagne lors de la Bataille d’Angleterre de 1940.
Guernica, 1er mai 1937, photos de presse de l’époque
L’évènement connait un fort retentissement politique en raison d’une série de reportages qui remplissent immédiatement la
presse internationale. Guernica devient alors rapidement le symbole des destructions massives de la guerre moderne.
III - Genèse du tableau
En janvier 1937, le gouvernement du Front Populaire Espagnol commande à Picasso une fresque destinée à orner le Pavillon
Espagnol de l’Exposition Universelle qui doit se tenir à Paris cette même année. Dans un premier temps, Picasso prévoit
d’exécuter cette commande en représentant la liberté de l’art. Le sujet doit être une scène d’atelier avec peintre et modèle.
Mais suite au bombardement, Picasso révise intégralement son idée et commence l’esquisse d’un nouveau projet le 1er mai
1937. Le 04 juin, l’œuvre est achevée et mi-juin, elle est accrochée au mur du Pavillon Espagnol.
Guernica exprime la révolte de Picasso. Bouleversé, il se sent mobilisé, se change. Son art devient un art ‘engagé’. C’est une
œuvre de dénonciation et de protestation contre la violence, les bombardements, la barbarie et les horreurs de la
guerre. Ce tableau est devenu un symbole universel de paix.
‘La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre la liberté. Le panneau auquel je travaille et que j'appellerai
Guernica exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort’.
Picasso
‘La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive contre l'ennemi.’
Picasso
Recherches et études
- Picasso réalise des travaux préliminaires permettant de suivre très précisément la genèse du tableau.
- Quarante-cinq études datées et une série photographique des divers états de la toile illustrent ce parcours et témoignent du
travail intensif.
- Seulement cinq semaines séparent les premières esquisses de l’œuvre finale, ce qui est extrêmement court compte tenu de la
complexité formelle et symbolique de l’œuvre de surcroît monumentale.
Etude
Cheval
Jambes et têtes de cheval et taureau
Têtes de cheval
Mère avec enfant mort
Cheval
Tête de femme
Homme tombant
Mère avec enfant mort
Tête de cheval
Têtes de femme en pleurs
Femme avec enfant mort
Têtes de femme en pleurs
Mère avec enfant mort
IV - Les différentes étapes
1er état, 1937
2ème état, 1937
3ème état, 1937
4ème état, 1937
5ème état, 1937
6ème état, 1937
7ème état, 1937
Guernica - état définitif, 1937
IV – L’œuvre
- Conservée de 1937 à 1981 au MoMA de New York et depuis septembre 1981 au Musée de la reine Anne Sophie, Madrid
- 349,3 X 776,6 cm
A/ Composition
1°) - le tableau se compose de trois parties s’appuyant clairement sur le triptyque*, forme classique du retable chrétien :
Triptyque* : Œuvre qui comporte trois parties pouvant parfois se replier l’une sur l’autre.
Ex : Retable de l’Agneau Mystique Ŕ Frère Van Eyck Ŕ 1432
Le triptyque était devenu un genre profane servant les propos les plus divers dans l’art figuratif et abstrait comme chez Max
Beckmann ou encore Otto Dix qui témoignait déjà des horreurs de la guerre.
Otto Dix Ŕ La Guerre Ŕ 1929,1932
Max Beckmann Ŕ Le départ - 1932
En adoptant cette composition en 1937, Picasso se situe tout à fait dans le contexte artistique de son époque.
2°) - Le centre du tableau est organisé selon une composition triangulaire. Part sa forme dynamique le triangle permet
d’évoquer des situations dramatiques évoluant vers l’espoir.
Si la base du triangle est le domaine de la mort. La lumière, même faible, symbole d’espoir est placée au sommet. Le soldat
mort tenant l'épée brisée est placé à la base du triangle. La colombe, la bougie et l'œil ( ?) sont placés dans la partie
supérieure.
Picasso joue sur des schémas de composition traditionnels observés par exemple chez Géricault :
Géricault Ŕ Le radeau de la Méduse Ŕ 1818
3°) Ŕ Selon les codes du cubisme qui n’est pas un mouvement d’imitation de la réalité, diverses lignes de fuite et des raccourcis
de perspective troublent l’espace de l’œuvre d’une façon conséquente.
La scène ne se déroule ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, mais partout.
Ceci est soutenu par des parties claires et obscures dont la répartition ne permet pas de déterminer une source lumineuse
précise, et ce, malgré la présence de la bougie ou, ce qui semble être une lampe ou un soleil.
4°) - Alors qu’à l’origine, certaines des recherches et études sont en couleurs…
Tête de femme en pleurs
Tête de femme en pleurs
Mère avec enfant mort
…Le tableau est peint dans les tons exclusivement noirs, gris et blancs.
- L’absence de couleurs renforce l’aspect dramatique du sujet.
- Ce choix rappelle également les couleurs des reportages photographiques de la presse par laquelle Picasso est informé.
B/ Interprétation et symbolisme
- La composition horizontale extrêmement allongée réunit sept figures (ou groupe de figures).
Picasso refusa toujours de s’expliquer sur le symbolisme qu’il est possible de déceler, à tort ou à raison, sur la toile.
En donner une interprétation est donc relativement compliqué et, pour couper court, Picasso recourait à une lecture littérale de
ses œuvres : « Le taureau est un taureau, (…) c’est tout. Il n’y a pas de relation politique pour moi ; obscurité et brutalité oui,
mais pas le fascisme. »
- Le cheval : au centre de la composition se tient le cheval, symbole du peuple qui souffre et de la liberté mourante. La langue
pointue comme un couteau exprimerait la douleur.
La crucifixion étant l’archétype de la souffrance et de l’agonie, la lance qui transperce le flanc du cheval ferait écho à celle qui
blesse la poitrine du Christ.
Memling Ŕ La Crucifixion Ŕ 1491
Rubens Ŕ La Crucifixion Ŕ 1618
Mais c’est aussi et surtout une citation que Picasso fait de lui-même. Dans une gouache datée de 1936, le cheval à la même
position que dans Guernica. La lance et la blessure du cheval sont simplement empruntées au Minotaure.
Picasso - Minotaure blessé, cheval et personnage Ŕ 1936
Certains critiques ont émis l’hypothèse que les hachures du pelage feraient références aux caractères typographiques des
journaux de presse.
Il est possible d’y déceler également une ressemblance avec Le Beatus de la Seu d’Urgell, parchemin illustré du Xème siècle
comprenant une traduction de l’Apocalypse de St Jean selon Beatus de Liébana, moine espagnol. Une enluminure fait état
d’un cheval hachuré.
La référence à l’Apocalypse est bien entendu pertinente, compte tenu du sujet du tableau, mais elle va plus loin lorsqu’on
découvre que par ses écrits, sa résistance aux envahisseurs musulmans, Beatus préfigure la naissance de l’Espagne
indépendante et chrétienne.
Beatus de Liébana Ŕ Monstre et femme
- Le taureau : selon certaines personnes, il symboliserait la brutalité.
D'un autre coté sa forme enveloppe et protège la mère et son enfant mort dans ses bras. Le taureau serait le peuple
triomphant.
Le cheval et le taureau sont tous les deux concernés par l’agression et la violence destructrice.
Toutes les figures de Guernica sont des victimes.
Le taureau et le cheval proviennent du thème Minotaure/corrida, thème récurrent chez Picasso dans les années 30. Par leurs
rapports avec la corrida, le taureau et le cheval représentent l’Espagne. Ces symboles forts se retrouvent donc en toute
logique dans l’œuvre.
Mort du Torero Ŕ 1933
Minotauromachie Ŕ 1935
Minotaure et cheval Ŕ 1935
- Mère avec enfant mort :
Picasso use de modèles traditionnels pour élaborer le tableau. La mère avec son enfant mort peut être une variation de la
représentation de la Vierge Marie avec le Christ mort dans ses bras, la Pietà.
Mère avec enfant mort
Bellini - Pietà Ŕ 1468
Michel-Ange - Pietà Ŕ 1499
Dans l’étude - 1er état Picasso a esquissé une femme portant un corps. Ces deux groupes de figures : ‘Mère avec enfant mort
dans les bras’ et ‘Femme portant un corps’ du 1er état du tableau peuvent être aussi une référence à l’antique groupe de
Pasquino dont Picasso s’était déjà servi pour ses Minotaures.
1er état, détail Femme portant un corps
Groupe de Pasquino Ménélas supportant
le corps de Patrocle Reconstitution à partir d'un buste
antique du III siècle av. J.-C.
Etude pour rideau de scène, 1936
- Femme avec une lampe :
Sur la droite, une lampe à pétrole tendue par un bras d'une femme, représente le faible espoir d'un soutien pour continuer la
lutte. La lampe est dirigée vers le cheval ou le peuple. Picasso se réfère à la Statue de la Liberté qui représente de manière
générale la liberté et l'émancipation vis-à-vis de l'oppression.
Femme avec une lampe
Bartholdi - Statue de la Liberté Ŕ 1886
- Personnage tombant dans les flammes :
Des surfaces sombres et claires et des pointes irrégulières la font apparaître comme un corps s’effondrant et brûlant dans les
flammes. Elle semble être une référence à diverses œuvres classiques.
Rubens - L'Enlèvement d'Europe - 1628
Raphaël - L'incendie du Bourg Ŕ 1514
Goya Ŕ Tres de mayo Ŕ 1814
La comparaison entre ces deux tableaux doit être menée avec prudence. Goya peint 6 ans après les faits, et transmet un
message de résistance à l'oppression. Picasso peint dans l'urgence, et lance un cri de douleur face à l'anéantissement.
- Le guerrier allongé
Dans les études 3 à 6 la tête du personnage est tournée vers le bas. À partir de l’étude 7, Picasso la pivote vers le haut et la
transforme en ce qui pourrait ressembler à une statue détruite. Le guerrier ne dispose pas de corps, et ce qui est pris
généralement pour une tête et un bras tranchés s’apparentent plutôt à des moulages creux en plâtre. Picasso avait déjà peint
une nature morte intitulée ‘Tête et bras de plâtre’ en 1925, avec le même genre d’objets.
Tête et bras de plâtre Ŕ 1925
Cependant l’attitude du personnage renvoie aux enluminures du Moyen-âge, et particulièrement au manuscrit du VIIème
siècle, le Beatus de Saint Sever dont la référence au guerrier gisant semble évidente.
Manuscrit de saint Sever
Visions Prophétiques 4° Révélation
Le déluge. Cadavres des hommes, des animaux et des géants antédiluviens
V - Autres œuvres de dénonciation du pouvoir et de la guerre
- Guillaune Apollinaire - La colombe poignardée et le jet d'eau, calligramme - 1918.
- Picasso – Songes et mensonges de Franco I et II - 1937
- Paul Eluard - La victoire de Guernica (poème) – 1938
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
….
- Charlie Chaplin – Le dictateur – film sorti en salle en 1940
- Steve Reich - Différents trains, œuvre de musique contemporaine – 1985
- Sun Mu et le régime de Kim Jong-il
Bibliographie, sitographie
-
Carsten-Peter Warncke Ŕ Pablo Picasso, 1881-1973 Ŕ Edition Taschen
Ruhrberg, Schoeckenburger, Fricke, Honnel - Art du XXème siècle, Peinture, sculpture, nouveaux médias,
photographie Ŕ Edition Taschen
http://www.crdp-reunion.net/dossiers_thematiques/1mois1artiste/1mois1artiste.php?page=accueil
http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/picasso/guernica.htm
http://www.buzzmoica.fr/video/picasso-en-3d-par-lena-gieseke-8994 (vidéo du tableau en 3D)

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