Difficultés des familles face à la prise en charge à domicile des
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Difficultés des familles face à la prise en charge à domicile des
Difficultés des familles face à la prise en charge à domicile des patients atteints de démence en France (Poitiers) et en Espagne (Salamanque) P. THOMAS1 , E.M. ARROYO2 , C. HAZIF-THOMAS1 Résumé : Le but de l’étude était la comparaison des plaintes familiales et de ses facteurs déterminants chez l’aidant principal de malades déments dans deux pays européens. Quarante-huit familles de patients atteints de maladie d’Alzheimer ou plus rarement de démence mixte ou frontale, vivant à domicile dans les environs de Poitiers (France) et 36 familles en situations comparables vivant autour de Salamanque (Espagne), ont été inclues après accord. Tous les patients étaient traités en hôpital de jour. Un autoquestionnaire de plainte et la grille de l’ambiguïté des limites de Boss ont permis d’évaluer les difficultés des familles. Plaintes et ambiguïtés ont été listées et chiffrées. Dans le même temps, les patients ont été évalués pour le MMS, l’ADL et l’IADL. L’étude a porté sur 84 déments, 52 femmes et 32 hommes. Dans les deux pays, l’aidant principal était surtout une femme (63 femmes/21 hommes). Les aidants étaient âgés de 65,61 ± 13,53 en France, 58,11 ± 15,11 en Espagne. Le niveau de dépendance ou la nature de la démence n’influent pas sur le score de plaintes. La première plainte des familles porte sur les symptômes négatifs de la maladie (perte de motivation, repli sur soi). En France mais pas en Espagne, le score d’ambiguïté est plus important lorsque le MMS est faiblement altéré ou lorsqu’il s’agit d’un homme malade. Le niveau d’ambiguïté conditionne le score de plaintes. Il y a moins de plaintes en Espagne qu’en France cependant, bien que l’ambiguïté des limites soit comparable dans les deux pays. La présence fréquente du malade à l’hôpital de jour limite le stress familial. Mots clés : Démence, maladie d’Alzheimer, familiale, thérapie familiale. motivation, Transnational (France-Spain) comparison of the difficulty with coping for family members giving care to demented patients at home Summary: The study was aimed to analyze in two different European countries the family complaints and some related determining factors amongst the main carers of demented patients. Forty-eight families of patients with Alzheimer’s disease, or more seldom of mixed dementia or frontal dementia, living at home around Poitiers (France) and 36 families of comparable patients living in the surroundings of Salamanca (Spain) were included after their agreement to join this study. All the patients attended the day care hospitals. An autoquestionnaire of complaints and the Boss’ scale of boundary ambiguity evaluated the difficulties of the families. Complaints and boundary ambiguities were listed and scored. In the same time, the patients were evaluated for cognitive abilities by the MMSE and for functional abilities by ADL and IADL. The study has concerned 84 demented patients (52 women/32 men). In the two countries, the familial carers were mainly of female gender (63 women/21 men), and were aged 65.61 years ± 13.53 in France, 58.11 ± 15.11 in Spain.The dependence indexes level did influence the level of complaints. The nature of the dementia did not influence the perception reported by the families about their life home. The first complaint of the families concerned the negative symptoms of the illness (loss of motivation, withdrawal). In France but not in Spain, the boundary ambiguity was more important when the MMSE was mildly impaired and when the patient was of male gender. The level of boundary ambiguity conditioned the score of complaints. There is a weakest level of complaints in Spain as compared with France, whereas boundary ambiguity had a comparable level in the two countries. souffrance Key words: Dementia, Alzheimer’s disease, loss of motivation, family suffering, family therapy. Les familles qui s’occupent de patients atteints de maladie d’Alzheimer sont sujettes à une double contrainte, de soins et de charge d’un côté, de stress psychologique d’un autre côté, voire de dépression. Les demandes familiales face à de telles difficultés, la nature des tensions psychologiques rencontrées à domicile sont mal connues. Il nous a semblé intéressant de regarder ces problèmes en portant un regard sur les familles dans deux pays différents, dans des contextes culturels et familiaux différents, qui pourraient interagir avec la prise en charge de la maladie d’Alzheimer à domicile. Le but de l’étude était la comparaison des plaintes 1 2 familiales et de ses facteurs déterminants chez l’aidant principal de malades déments dans deux pays européens. Notre réflexion vise à préciser l’aide à apporter aux patients et aux aidants familiaux pour prévenir l’institutionnalisation. Parmi les difficultés vécues, l’ambiguïté des limites qui expriment la situation du présent absent, malade présent physiquement, absent de la relation, nous a semblé un facteur primordial du stress familial. Nous avons, dans cette étude, recueilli les plaintes familiales face à des situations diverses, et nous avons corroboré celles-ci avec le vécu d’ambiguïté familiale et certains paramètres cognitifs ou d’autonomie de la démence. H ô p it al de jo u r g ér i at ri q u e, CH U d e P o i t i er s, 8 6 0 3 6 Po it i er s, F r an c e . Ce n t r o t er a pe u t i c o A l z he i me r .c / M u s i c o An t o ni o B ac i e ro 6 - 8 , S a l am a nc a 3 7 0 0 3 E sp a gn e. La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N° 27 - Avril 1999 127 L’étude a été réalisée chez les familles dont les patients vivent à domicile et sont pris en charge à l’hôpital de jour de Poitiers ou de Salamanque. Méthodes de l’étude Quarante-huit familles de patients atteints de maladie d’Alzheimer ou plus rarement de démence mixte ou de démence frontale, vivant dans les environs de Poitiers (France) et trente-six familles de patients comparables vivant dans les environs de Salamanque (Espagne) ont été incluses dans cette étude, après l’agrément des malades et celui de leur famille. Tous les patients atteints de telles pathologies et qui étaient présents dans la première quinzaine de mars 1998, dans les deux hôpitaux de jour de Poitiers ou de Salamanque, ont été ici inclus. Il n’y a pas eu de refus de participation, ni de critère d’exclusion que la fréquentation régulière du malade à l’hôpital de jour depuis au moins deux mois. Le diagnostic de maladie d’Alzheimer ou d’autre démence a été fait antérieurement, soit à l’hôpital de jour par un autre médecin que celui qui a participé à l’étude, soit dans un autre service qui nous confiait alors le patient pour sociothérapie, surveillance, ou soutien familial. A Poitiers, les patients venaient une à deux fois par semaine (en moyenne 1,5 fois), à Salamanque 5 fois par semaine. Un autoquestionnaire de plaintes a été proposé dans chaque famille, à l’aidant principal qui, dans tous les cas, vivait avec le patient ou dans le voisinage immédiat et en avait la charge directe à domicile. L’autoquestionnaire était identique à la langue près, dans les deux hôpitaux de jour. Face aux vingt-cinq situations énumérées au tableau I, l’aidant principal devait cocher l’une des cases : signe absent, présent mais pas gênant, peu gênant, gênant, très gênant, intolérable. Nous avions prévu une place supplémentaire pour une difficulté particulière non prévue. Ultérieurement, nous avons coté ces réponses respectivement 0, 0, 1, 2, 3, 4 pour chaque situation susceptible d’être gênante et nous en avons fait une somme de score de plaintes par aidant principal. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Agitation Comportement alimentaire anormal Tristesse Incontinence 14 15 S’oppose aux soins Marche sans arrêt 16 17 Délire (par exemple de persécution) Repli sur soi, démotivation Hallucinations 18 Rage, violence, agressivité Désinhibé ; ne connaît plus de limites A peur le soir lorsque la nuit tombe Anxiété, peur Crie, pleure Ne tient pas en place, incapable . de se détendre ou de se reposer Demande sans arrêt, critique Changement de personnalité Ne me reconnaît plus ou ne reconnaît plus sa famille 21 22 23 Mélange le jour et la nuit Répète ou demande sans arrêt la même chose Comportements sexuels inadéquats Va là où il ne faudrait pas ; fugue Se met en danger si non surveillé 24 25 26 Passif, ne fait rien ou peu Troubles du sommeil Autres 19 20 Tableau I - Plaintes familiales. Parmi cette liste de problèmes rencontrés à domicile chez le patient dément, l’aidant principal précisait si le signe était absent, si présent, s’il n’était pas gênant (coté 0) ; peu gênant (coté 1) ; gênant(coté 2) ; très gênant (coté 3) ; intolérable (coté 4). Le score obtenu est la somme des cotes de toutes les plaintes. L’échelle des ambiguïtés des limites de Boss (Boss et al, 1994) a été traduite en français, en espagnol, puis retraduite en anglais par des bilingues pour confronter traduction et texte original. Elle comporte quatorze questions présentées au tableau II qui ont été présentées à chaque aidant principal par un soignant de l’hôpital de jour. Aux réponses oui-non, nous avons ajouté une possibilité : je ne sais pas. Ces réponses ont été notées respectivement 1, 0, 0 et un score d’ambiguïté a donc été obtenu pour chaque réponse. Nous avons la somme des scores pour déterminer un score d’ambiguïté par aidant principal. 128 1 - Je me sens coupable quand je quitte la maison pour faire quelque chose d’agréable alors que M. X reste chez lui (elle). 2 - Je sens que c’est difficile voire impossible de vivre ma propre vie aussi longtemps que M. X requiert mon aide. 3 - Je me sens incapable actuellement de nouer de nouvelles relations amicales . 4 - Je sens que je ne peux aller nulle part sans penser préalablement aux besoins de M. X. 5 - J’ai l’impression de n’avoir aucun moment pour moi. 6 - Parfois, je ne suis pas sûr de la place que M. X a dans la famille. 7 - Je ne suis pas sûr de ce que l’on peut demander à de M. X concernant son activité dans la maison. 8 - Souvent je ne sais plus très bien la manière dont je devrais m’y prendre face à M. X. 9 - Je place la satisfaction des besoins de M. X avant les miens propres. 10 - Ma famille et moi sommes souvent en désaccord sur mes relations avec M. X. 11 - Quand je ne suis pas avec M. X, je m’interroge moi-même sur la manière dont ça se passe pour lui (elle). 12 - Les membres de ma famille tendent à négliger M. X. 13 - M. X n’a plus l’impression que je suis son époux/épouse, parent frère/sœur. 14 - Je pense beaucoup à M. X. Tableau II - Echelle d’évaluation des limites chez l’aidant familial principal de malades à domicile. Adaptée de Boss P. et al. (1990). Face à cette liste de questions, l’aidant principale était invité à répondre par Oui ; Non, ; Ne sait pas. Un score d’ambiguïté des limites est obtenu par la somme des réponses positives. Outre des renseignements pratiques concernant malades et aidants, ont été recueillis dans cette étude : MMS (Folstein et al, 1975), capacités fonctionnelles des patients mesurées par l’échelle de l’ADL (Katz, 1983) et de l’IADL (Lawton, 1969) pour chaque patient. L’étude statistique a été réalisée avec le logiciel Systat. Ont été utilisés le test t de Student, le coefficient de corrélation de Pearson, le c2, corrigé éventuellement de la correction de Yates si les effectifs théoriques étaient insuffisants, l’analyse de variance (ANOVA), le test U de Mann-Whitney pour étudier les différences entre deux groupes de variables non paramétriques. Résultats Quatre-vingt-quatre patients déments ont été inclus dans cette étude : cinquante-deux femmes (âge moyen : 74,48 ± 7,36) et trentedeux hommes (âge moyen : 77,28 ± 8,39). Il n’y avait pas de différence significative d’âge ou de répartition de sexe entre la France et l’Espagne, patients espagnols aussi âgés que les Français (78,66 ± 7,5 versus 78,62 ± 7,6), non significatif (ns). Vingt et un malades présentaient une démence mixte ou plus rarement frontale. Selon le MMS, 47 patients avaient un MMS supérieur à 23, 12 un MMS entre 23 et 6, 25 un MMS inférieur à 6. L’état de dépendance des malades et la répartition des malades selon le stade du MMS, la nature de la démence ne montraient pas de différence significative entre les deux pays (résultats non présentés). Dans les deux pays, l’aidant principal était le plus souvent une femme (63 femmes pour 21 hommes) et âgé(e) de 65,61 ans ± 13,55 en France, 58,11 ± 15,1 en Espagne (ns). La différence d’âge tient à ce qu’il y avait en effet autant d’épouses comme aidants que de filles en France : 16/16, mais le rapport était différent en Espagne : 5 épouses et 18 filles. Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre le score de plaintes ou le niveau d’ambiguïté et l’IADL ou l’ADL. Le niveau du MMS semble avoir une influence sur le niveau des plaintes, celles-ci sont plus importantes lorsque le MMS est modérément altéré (m = 18,46 ± 1,5) que lorsqu’il est entre 23 et 6 (m = 8,66 ± 2,98) ou lorsqu’il est très altéré (m = 12,48 ± 2,07) ; (Anova = 5,59 ; p = 0,05). La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N° 27 - Avril 1999 La nature de la démence n’influe pas sur le niveau des plaintes ou sur la perception de l’ambiguïté par les familles. Le tableau III présente le pourcentage de plaintes rapportées par l’aidant principal face à une situation donnée dans chaque pays. Le niveau de plainte est globalement moindre en Espagne qu’en France (12,139 ± 8,75 versus 17,64 ± 11,84 ; t = 5,525 ; p = 0,021). La première plainte en France est la n° 6 : repli sur soi, démotivation (62,50 % des aidants). C’est aussi la première plainte en Espagne (44,44 %) avec l’agitation (plainte n° 1) et la plainte n° 9 (crie, pleure). Six situations sont différentes statistiquement en France et en Espagne ; dans tous les cas, les réponses étaient plus importantes en France : plaintes n° 11, 18, 19, 20, 22, 23 qui concernent toutes les symptômes positifs de la maladie. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Agitation Comportement alimentaire anormal Tristesse Incontinence Délire (par exemple de persécution) Repli sur soi, démotivation Hallucinations Anxiété, peur Crie, pleure Ne tient pas en place, incapable de se détendre ou de se reposer Demande sans arrêt, critique (*) Changement de personnalité Ne me reconnaît plus ou ne reconnaît plus sa famille S’oppose aux soins Marche sans arrêt Rage, violence, agressivité Désinhibé ; ne connaît plus de limites A peur le soir lorsque la nuit tombe (*) Mélange le jour et la nuit (*) Répète ou demande sans arrêt la même chose (*) Comportements sexuels inadéquats Va là où il ne faudrait pas ; fugue (*) Se met en danger si non surveillé (*) Passif, ne fait rien ou peu Troubles du sommeil Français n = 48 Espagnol n = 36 54,17 % 29,17 % 56,25 % 45,83 % 27,08 % 62,50 % 22,92 % 62,50 % 41,67 % 31,25 % 44,44 % 27,78 % 36,44 % 44,44 % 13,89 % 44,44 % 13,89 % 32,78 % 44,44 % 38,89 % 50,00 % 37,50 % 22,92% 13,89 % 36,73 % 25 % 29,17 % 29,17 % 39,58 % 16,37 % 25,00 % 18,75 % 60,42 % 22,22 % 25 % 30,66 % 13,89 % 5,56 % 0% 11,11 % 8,33 % 35,42 % 50,00 % 43,75 % 12,50 % 0% 8,33 % 22,22 % 33,37 % 11,11 % Tableau III - Plaintes familiales, pourcentages de réponses positives. (*) : p < 0,05 au test U de Mann-Whitney sur le score obtenu pour chaque plainte, en comparant les deux pays. Coefficient a de Crombach = 0,81. Si l’on regarde la situation d’un aidant, particulièrement en France, les filles, qui sont aussi nombreuses que les épouses (n = 16) à s’occuper d’un dément, se plaignent davantage que ces dernières. Le score de plaintes pour les filles est de 22,56 ± 10,24, quant il est de 14,56 ± 12 pour les épouses, t = 2.52 ; p = 0,017. Ces différences ne sont pas retrouvées en Espagne, où les chiffres sont respectivement de 11,55 ± 7,18 pour les filles (n = 18) versus 10,60 ± 11,05 pour les épouses (n = 5), ns. Le tableau IV présente le pourcentage de réponses positives aux questions relatives à l’ambiguïté des limites chez les aidants principaux dans les deux pays. Le score global d’ambiguïté n’est pas significativement différent d’un pays à l’autre : Espagne 7,67 ± 2,75, France 7,06 ± 1,43 (ns). Il est à noter le faible taux de réponses relatives à la tenue à distance de la famille (question n° 12) : 14,58 % en France, 16,67 % en Espagne, montrant probablement une cohésion familiale qui persiste malgré la maladie d’un parent. Six questions de l’échelle de Boss diffèrent statistiquement : 1 et 4 avec des pourcentages plus importants pour la France, 6, 9, 10, 13, avec des réponses positives plus fréquentes en Espagne. Il semble que les aidants français se sentent deux fois plus souvent coupables que les Espagnols (question 1) et ne s’absentent pas sans poser La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N° 27 - Avril 1999 Français N = 48 Espagnol N = 36 56,25 % 30,56 % 52,08 % 69,14 % 33,33 % 36,11 % 83,33 % 45,83 % 63,89 % 47,22 % 16,67 % 38,89 % 52,08 % 41,67 % 70,83 % 55,56 % 64,50 % 97,22 % 27,08 % 55,56 % 68,75 % 14,58 % 77,78 % 16,64 % 20,83 % 91,67 % 41,67 % 100% Je me sens coupable quand je quitte la maison pour faire quelque chose d’agréable alors que M. X reste chez lui (elle). (*) Je sens que c’est difficile voire impossible de vivre ma propre vie aussi longtemps que M X requiert mon aide. Je me sens incapable actuellement de nouer de nouvelles relations amicales. Je sens que je ne peux aller nulle part sans penser préalablement aux besoins de M. X. (*) J’ai l’impression de n’avoir aucun moment pour moi. Parfois, je ne suis pas sûr de la place que M. X a dans la famille. (*) Je ne suis pas sûr de ce que l’on peut demander à de M. X concernant son activité dans la maison. Souvent je ne sais plus très bien la manière dont je devrais m’y prendre face à M. X. Je place la satisfaction des besoins de M. X avant les miens propres. (*) Ma famille et moi sommes souvent en désaccord sur mes relations avec M. X. (*) Quand je ne suis pas avec M. X, je m’interroge moi-même sur la manière dont ça se passe pour lui (elle). Les membres de ma famille tendent à négliger M. X. M. X n’a plus l’impression que je suis son époux/épouse, parent, frère/sœur. (*) Je pense beaucoup à M. X. (*) : p< 0,05 au test de c 2 pour chaque question en comparant les deux pays. Coefficient a de Crombach = 0,75. Tableau IV - Pourcentages de réponses positives aux questions de l’échelle d’évaluation des limites chez l’aidant familial principal à domicile. d’abord le problème des besoins de leur parent, ce, avec davantage d’acuité qu’en Espagne. Les réponses plus fréquentes des Espagnols renvoient davantage à une souffrance devant la perte de rôle familial du malade ou de l’aidant (question 6, 10, 13), ou l’obligation de subvenir aux besoins du malade avant de penser à soi (question 9). Le niveau d’ambiguïté des limites conditionne dans les deux pays le score de plaintes 18 ± 4,3 lorsque 7 réponses ou plus sont positives à l’ambiguïté des limites, contre 10,3 ± 7,16 lorsqu’il y a moins de 7 réponses positives à la grille d’ambiguïté des limites (t = 3,78 ; p = 0,001). Nous n’avons pas pu démontrer qu’un niveau de plaintes élevé s’accompagnait d’un niveau important d’ambiguïté des limites. En France, mais pas en Espagne, l’ambiguïté des limites est plus importante lorsque le MMS est supérieur à 23 (8,21 ± 2,39 versus 6,31 ± 2,85 ; t = 2,48 ; p = 0,017). De la même façon, en France, l’ambiguïté des limites est plus importante lorsque le patient est un homme : 8,33 ± 2,17 versus 6,07 ± 2,89 (t = 3,08, p = 0,003). Discussion La maladie d’Alzheimer est une maladie organique, responsable d’atteintes cognitives. A l’organicité, il convient d’ajouter des facteurs environnementaux qui affectent sa révélation, son mode d’expression, son évolution et qui inscrivent le cours de la maladie dans un schéma soit stimulant soit de désapprentissage (Thomas, Hazif-Thomas, 1997). Parmi ceux-ci, le cadre relationnel dans lequel évolue la personne âgée, en particulier sa famille, est particulièrement important. Les symptômes négatifs de la maladie (repli sur soi, démotivation) sont pointés par les familles à tous les stades de la maladie. L’importance de la plainte relative au repli sur soi et la démotivation confirme certainement la conscience qu’ont les aidants des risques de pertes pour leurs patients. La plainte sur le manque de vitalité reste prégnante dans la famille jusqu’à un an après l’institutionnalisation de la personne démente (Elmsthal S et al, 1998). Outre la souffrance représentée par le constat 129 d’impuissance devant la perte des acquis de l’aîné, la famille au premier plan des difficultés matérielles et financières exprime souvent dans ses plaintes les risques encourus par elle par la situation à venir qu’elle appréhende non sans inquiétude. Les familles où l’investissement féminin est largement surreprésenté, payent un tribu à la maladie, lourd physiquement, psychologiquement et financièrement. L’aidant principal dans la maladie d’Alzheimer est dans trois quarts des cas de sexe féminin : l’épouse à égalité avec la fille dans la population française, cette dernière sur-représentée en Espagne. L’aidant principal est souvent lui-même âgé. Parfois, quand les soins deviennent lourds, amis et famille s’éloignent (Brodaty, Hadzi-Pavlovic, 1990). Cette situation est loin d’être constante cependant, si l’on considère la faible fréquence de la plainte de l’aidant principal face à l’isolement familial. En effet, dans notre étude, seuls quelques aidants se plaignent de délaissement du malade par sa famille. La lourdeur psychologique, physique, la sensation de perte de maîtrise de la situation, et l’isolement des aidants les rendent d’autant plus vulnérables à la dépression qu’ils se sont davantage investis (Jerrom et al, 1993 ; Brodaty, Hadzi-Pavlovic, 1990 ; Boss et al, 1990). La non-expression de la souffrance de l’aidant principal ne doit pas tromper sur les apparences. Elle peut correspondre à un déni, à une impossibilité de s’exprimer face à la perte de capacité d’une personne aimée, comme par un désir de la protéger en niant inconsciemment la réalité. Au stade de la démence sévère, la moitié des conjoints nient encore les troubles de mémoires du malade (Ross et al, 1997). L’intériorisation des douleurs morales, l’impossibilité de les exprimer et de les surmonter conduisent aussi bien au découragement qu’à la dépression. Famille et personnes âgées semble s’accrocher à une réalité qui ne sera jamais plus possible, pour être bloquée dans une situation de flou des limites de ce que la personne démente est capable de faire (Boss, 1990). La personne démente vit dans un monde d’ambiguïté. Elle n’est plus capable de donner à sa famille les repères qui permettent une relation authentique. Le dément incarne souvent un présent-absent : comme « trop présent psychologiquement » et pas toujours séparable du soi de l’aidant. Il semble que certains aidants aient davantage de difficulté pour poser des limites face au malade de sexe masculin (autorité antérieure du malade ?). D’autres ont des difficultés paradoxalement lorsque les troubles cognitifs sont encore peu marqués. Ainsi, pour Boss (Boss et al, 1990), ces situations d’ambivalence familiale sont-elles fortement à risque de dysfonctionnements familiaux, de dépression chez les aidants. Ils facilitent la régression pour la personne âgée (Thomas, Hazif-Thomas, 1997). L’ambiguïté est différente en Espagne qu’en France lorsque le MMS est peu altéré ou lorsque le patient est un homme. Cela peut s’expliquer par la plus grande distance relationnelle possible en Espagne. La prise en charge en hôpital de jour permet probablement de limiter le stress de la famille plus efficacement en Espagne, en déchargeant la famille de son fardeau permanent. On peut peut-être encore imaginer que, lorsque les aidants sont confrontés à des patients au MMS très altéré, ils ont acquis avec le temps des méthodes de prise en charge, ou qu’ils ont fait le deuil de ce qu’il est possible de demander à leur parent. Les troubles du comportement, les stéréotypies sont difficiles à supporter par les familles ainsi que la dépendance (Bédard et al,1997 ; Hostier et al,1997). En particulier, lorsqu’elle existe, une incontinence urinaire est épuisante physiquement. Dans les deux pays, près de la moitié des aidants s’en plaignent (plainte 4). L’inversion du rythme veille-sommeil, les cris nocturnes précipitent parfois la séparation d’avec la famille (Zarit et al, 1980). Les plaintes relatives à cette difficulté ne sont pas retrouvées dans cette étude, probablement biaisée pour ce point : le malade à domicile ayant ces troubles du comportement ne peut y demeurer longtemps. Les troubles du comportement et la tolérance familiale pèsent sur la prise en charge humaine et financière (Zarit et al, 130 1980 ; Jerrom et al, 1993), la perception du soin étant aussi importante que le soin donné (Ducharme F et al, 1997). La charge psychologique propre à cette maladie est lourde pour les familles (Victoroff et al, 1998 ; Brodaty, Hadzi-Pavlovic, 1990 ; Livingston et al, 1996), en particulier pour les épouses, pour les personnes vivant au domicile d’un dément, notamment lorsque celui-ci est dépressif (Brodaty, Luscombe, 1998). C’est principalement l’agitation et particulièrement les agressions physiques contre les aidants, plus que l’atteinte cognitive des patients, qui a un impact sur la santé des aidants (Victoroff et al, 1998 ; Brodaty, Hadzi-Pavlovic, 1990). Environ un tiers des familles françaises et espagnoles se plaignent dans notre étude de l’agressivité des malades (plainte n° 16). La dépendance, le type de démence ne semble pas influer sur la plainte familiale, sous réserve de biais statistiques dus à des effectifs faibles dans notre étude. La conjonction de l’organicité de la maladie d’Alzheimer avec les facteurs environnementaux facilite une composante importante de l’expression de la maladie : la régression. La régression résulte de la combinaison de la démotivation et de la dépendance recherchée par la personne âgée. La démotivation est facilitée par le renoncement au choix imposé lorsqu’il y a surprotection familiale, la mise en échec dans les actes de la vie quotidienne, la perte de confiance en soi liée à la désafférentation sensorielle ou relationnelle... Contenir la régression implique un soutien effectif des aidants (Thomas, Hazif-Thomas 1997 ; Mittelman MS et al, 1996) et de prendre en compte les représentations que la personne âgée se fait d’elle-même et de ses rôles sociaux (Thomas, Hazif-Thomas, 1997). Cette perception du rôle social du malade et de l’aidant semble particulièrement nette en Espagne. Selon que la personne âgée est ou non perçue par son entourage comme crédible dans ce qu’elle fait et dans ce qu’elle peut donner d’elle-même, selon qu’elle est regardée ou non comme une personne digne et capable, qu’elle se sent conviée ou non à la communion familiale, le désapprentissage est plus ou moins rapide. Il l’est aussi selon la nature des feed-back relationnels et selon la volonté familiale d’accompagner la personne âgée. Comment cette volonté pourrait-elle se maintenir dans le temps si la famille ne concerve pas une claire conscience de la valeur et de la dignité humaine de leur parent malade (HazifThomas et al, 1997) ? Les relations entre le vieillard et sa famille et ses soignants sont dominées par l’ambivalence. Nous en voyons l’importance dans cette étude à travers le rôle de l’ambiguïté des limites. L’ambivalence résulte de la souffrance ou de la peur à se positionner face à une situation aux limites floues, aux enjeux ambigus. Il est clair dans cette étude que le niveau des plaintes est conditionné par le niveau de l’ambiguïté. Nous n’avons pu démonter l’inverse. De plus, il y a moins de plaintes en Espagne qu’en France, bien que l’ambiguité des limites soit comparable dans les deux pays. L’angoisse de la famille peut se déplacer, non sans culpabilité, vers un versant hostile à la personne âgée, ouvrant le risque de la maltraitance si les aidants sont pas soutenus ou si l’absence de prise en charge thérapeutique de la famille laisse la porte ouverte à des interactions relationnelles de plus en plus chaotiques. La violence surgit alors pour donner à l’entourage une illusion de maîtrise du chaos. La famille est soumise à une double contrainte : désirer soigner et garder jusqu’au bout, d’un côté, et être contrainte d’abandonner les soins de l’autre côté, en raison des difficultés rencontrées, tant physiques que psychologiques. Les familles réagissent de façons variées : comportement de fuite sous de multiples prétextes, agressivité ou, au contraire, flatteries des familles à l’égard des soignants. Des conflits de loyauté (Bosnormenyi-Nagi, Spark, 1973) sont souvent catalysés par la maladie d’Alzheimer : une partie de la famille a un projet – par exemple garder la personne âgée à son domicile, ce qui est le plus souvent le projet de l’épouse – qui s’oppose à l’autre partie de la La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N° 27 - Avril 1999 famille, qui désire l’institutionnalisation – ce qui est le plus souvent le projet des enfants, surtout s’ils habitent loin. Peut-être est-ce là la raison qui peut expliquer le niveau des plaintes plus élevées chez les filles par rapport aux épouses. Ce n’est pas la seule raison. Le niveau des plaintes est moindre en Espagne alors que les filles sont plus engagées dans les soins que les épouses. Le soutien hospitalier plus intense en Espagne est certainement au premier plan du soulagement familial. Conclusions Les aidants qui s’occupent de patients atteints de maladie d’Alzheimer à domicile sont principalement de sexe féminin, volontiers âgés : une des difficultés principales rencontrées concerne des symptômes négatifs : repli sur soi, démotivation. Dans cette étude, il apparaît clairement que l’ambiguïté des limites constitue un facteur important de souffrance familiale. L’ambiguïté des limites n’est pas reliée à l’état de dépendance, mais est liée au stade de dégradation de la maladie d’Alzheimer : elle est importante au début de la maladie lorsque le MMS est peu altéré. Le niveau des plaintes dépend de l’ambiguïté des limites. Le vieillissement cérébral n’est pas lié uniquement à un vieillissement organique. Dans la maladie d’Alzheimer, existe une place pour regarder les désordres fonctionnels accessibles à une thérapeutique, pour éviter les troubles du comportement et leur conséquences sur la famille – intolérance et maltraitance – comme sur la personne âgée – la régression. Préserver une bonne relation familiale, c’est ouvrir la porte à une déculpabilisation de la famille et à une bonne intégration de la personne âgée dans son milieu de vie. Le soutien familial permet ainsi de retarder l’institutionnalisation de près d’un an (Mittelman et al, 1996). La présence fréquente du malade à l’hôpital de jour limite le stress familial. ■ England Journal of Psychiatry, 24, 351-361. Ducharme F, Levesque L, Cossette S (1997). Predictors of psychological well-being of family caregivers of older people with dementia in institutions. Health Care in later Life. An International Research Journal, 2, 3-13. Elmstahl S, Ingvad B, Annerstedt L (1998). Family caregiving in dementia: prediction of caregiver burden 12 months after relocation to group-living care. Int Psychogeriatr, 10, 127-146. Folstein MF, Folstein SE, McHugh PR (1975). Mini Mental State: A practical method for grading the cognitive status of patients for the clinician. 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