Actes du Ve colloque international

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Actes du Ve colloque international
L’ENSEIGNANT AU SEIN
DU DISPOSITIF
D’ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE
DE LA LANGUE ÉTRANGÈRE
Actes du Ve colloque international
de l’Association des Directeurs
des Centres Universitaires d’Études Françaises
pour Étudiants étrangers
UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE – CIEF
Dijon 27-28 mai 2011
Ouvrage dirigé par
Marie-Thérèse MAURER-FEDER
ADCUEFE – RESEAU CAMPUS-FLE
© ADCUEFE
6, rue Gabriel Plançon, 25000 Besançon - France
ISBN : 978-2-9546878-0-3
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que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ”toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’éditeur ou ses ayant droits ou ayant cause est illicite” (art. L;122.4).
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L’ENSEIGNANT AU SEIN DU DISPOSITIF
D’ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE
DE LA LANGUE ÉTRANGERE
Sommaire
Marie-Thérèse Maurer
Préface
Jean-Marc Defays
E nseignant de langues : de l’homme-orchestre au chef d’orchestre.
Etat des lieux d’une discipline et d’une profession en questionnement
Isabelle Gruca
Portrait de l’enseignant de langues : un métier en perpétuelle évolution
Claire Bourguignon
L ’enseignement des langues et le CECRL :
d’une logique de contenu à une logique de projet
Mounia Sebane
L ’identité et le devenir professionnels de l’enseignant :
la formation des enseignants, un impératif pédagogique
Olga Kukharenko
Nouvelles stratégies de la formation des futurs professeurs de FLE en Russie
Robert Bouchard
P
our une centration sur l’enseignant natif en milieu homoglotte :
Dilemmes et paradoxes de l’enseignement de l’oral
Fatima Chnane-Davin
La place du FLE/FLS dans la nouvelle formation des enseignants
Claudine Fréchet
Le corrigé des productions écrites
Isabelle Puozzo Capron, Enrica Piccardo
Pour une évaluation créative en classe de langue
Stéphane Hafez
L’insécurité linguistique au Liban : le cas des futurs enseignants de français
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page 11
page 21
page 33
page 39
page 49
page 59
page 73
page 81
page 91
page 101
Maud Marcinkowski,
Pédagogie et apprentissage de la prononciation
Anne-Sophie Morel
Des rôles de l’enseignant dans la classe de littérature et FLE
Valérie Soubre
Les groupes d’activités langagières et le pilotage par la tâche
Catherine David, Dominique Abry
L ’enseignant de français langue étrangère face à une classe
d’adultes multi-niveaux, multilingue et multiculturelle.
Agnès Garletti
Instrumentation du tuteur distant et visualisation de la réflexivité
de l’apprenant de FLE en compréhension écrite
Sophie Dufour, Jean-François Grassin
Web social et communauté d’apprentissage en contexte homoglotte.
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page 123
page 135
page 139
page 153
page 165
Directeur de publication
Jacky CAILLIER, Président de l’ADCUEFE
Coordination
Marie-Thérèse MAURER, Université Lumière Lyon 2
Conseillère éditoriale
Sophie AUBIN, Université de Valence (Espagne)/GERFLINT
Comité de relecture
Dominique ABRY (Université Stendhal-Grenoble 3)
Robert BOUCHARD (Université Lumière Lyon 2)
Jean-François BOURDET (Université du Maine)
Claire BOURGUIGNON (Université de Rouen)
Elisabeth BRODIN (Université Stendhal-Grenoble 3)
Jacky CAILLIER (Université de Perpignan)
Damien CHABANAL (Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand 2)
Jean-Pierre CUQ (FIPF, Université Nice Sophia-Antipolis)
Fatima DAVIN (Université de Provence)
Jean-Marc DEFAYS (Université de Liège, Belgique)
Nicolas GUICHON (Université Lumière Lyon2)
Isabelle GUINAMARD (Université Lumière Lyon 2)
Marie-Thérèse MAURER (Université Lumière Lyon 2)
Dan SAVATOVSKY (Université de Bourgogne)
Marie-Thérèse MAURER (Université Lumière Lyon 2)
Préface
Marie-Thérèse Maurer
Depuis les vingt dernières années, l’enseignement des langues vivantes étrangères a connu
un véritable bouleversement lié non seulement au développement des nouvelles technologies, mais aussi et surtout à une approche fondamentalement différente de l’apprenant et
de son rôle dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Dans ce contexte, le Cadre Européen
Commun de Référence pour les Langues vivantes (CECRL) a été un important déclencheur
pour l’introduction d’une nouvelle démarche didactique, d’une révision de fond des pratiques
pédagogiques et pour la mise en place d’une démarche qualité permettant également une
cohérence, une harmonisation et une lisibilité internationales.
De nombreux ouvrages, thèses et articles se sont penchés sur les multiples aspects de cette
thématique, traitant notamment de l’approche par compétences, de l’usage et de la portée du
CECRL ainsi que des TIC, et développant les caractéristiques de la perspective actionnelle. C’est
donc un enseignement totalement rénové qu’il convient, à présent, de proposer. Cette constatation soulève une question essentielle : quel rôle pour l’enseignant qui, dans cette nouvelle
configuration, n’a plus grand chose à voir avec le professeur de langues « classique » ? Comment
s’adapter à une nouvelle démarche didactique tout en respectant le caractère contraignant des
programmes et des politiques d’établissement ? Comment, aussi, relever tous ces défis alors
que la formation, l’évaluation, le statut et la carrière de l’enseignant sont en pleine mutation ?
Ce sont autant d’interrogations qui nous ont amenés à consacrer le colloque international
de l’ADCUEFE-CAMPUS-FLE de mai 2011 à : L’enseignant au sein du dispositif d’ensei-gnement/
apprentissage de la langue étrangère.
Nous avons bénéficié des éclairages de plusieurs didacticiens et linguistes français et du
précieux apport de collègues étrangers d’Algérie, d’Afrique du Sud, de Belgique, du Canada,
d’Italie, du Liban, de Russie et de la Suisse sur le statut, la formation, les stratégies de l’enseignant et sur les nouvelles aptitudes à développer face à des dispositifs novateurs. Une intéressante réflexion a également été menée par rapport aux contenus et activités pédagogiques,
enrichie par des retours d’expériences et de pratiques dans des domaines aussi divers que la
phonétique, la littérature ou les réseaux sociaux.
La conférence inaugurale de Jean-Marc Defays (université de Liège) a donné le ton en
s’interrogeant sur le nouveau rôle de l’enseignant qui, de l’homme-orchestre se développe
et se transforme en chef d’orchestre, sans pour autant perdre de vue l’irréductible dimension
humaine qu’il faut préserver à tout prix. La communication d’Isabelle Gruca (université de
Sophia-Antipolis) va dans le même sens puisqu’elle propose un portrait de l’enseignant de
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langues dont le savoir-faire s’inscrit dans la communication humaine et dont le savoir-être se
transmet dans le respect de l’identité et de l’altérité et ce, malgré la modification profonde
de son rôle, notamment dans le contexte du travail en autonomie. Mais c’est surtout à travers
l’apport de la perspective actionnelle et du CECRL que cette mutation va se réaliser. C’est le
propos de Claire Bourguignon (université de Rouen) qui en développe la notion de logique
de projet remplaçant dorénavant celle de la logique de contenus et y défend le concept de
démarche communic’actionnelle visant à rendre opérationnelle la perspective actionnelle
reposant sur deux concepts-clés : « action » et « compétence ».
Une des questions essentielles dans ce contexte est celle de la formation et des missions de
l’enseignant de FLE. Elle est largement abordée par Mounia Sebane (CEIL, Mascara) qui dresse
un état des lieux peu reluisant de la formation des enseignants du supérieur en Algérie et donne
des pistes pour cette formation qui est un impératif pédagogique.
Olga Kukharenko (université de Blagovechtchensk) évoque les nouvelles stratégies
développées dans ce cadre en Russie. Elles sont basées sur l’actualisation et la valorisation
de l’introspection psycho-pédagogique, sur la mise en valeur des projets interculturels et sur
l’accompagnement des futurs enseignants lors de leur stage.
Robert Bouchard (université Lumière Lyon 2) et Fati Davin (université Aix-Marseille) évoquent,
tous deux, la situation de l’enseignant en milieu homoglotte. Robert Bouchard se penche sur le
cas de l’enseignant natif qui, dans cette situation, est la règle et attire, à la lumière de deux
corpus, l’attention sur les atouts mais aussi les ambiguïtés et difficultés que cela engendre pour
l’enseignant et l’apprenant. Fati Davin met l’accent sur l’importance de la formation en FLE
des futurs enseignants et présente des modules touchant aux domaines de la psychologie du
développement, de la sociologie, des sciences de l’éducation et des sciences du langage, testés
en IUFM et destinés à la prise en compte de la diversité des apprenants et à la facilitation de leur
apprentissage en langue.
L’évaluation reste une des figures imposées à tout enseignant et le confronte tôt ou tard à
l’insondable complexité de la docimologie. Ce point est abordé de deux manières différentes mais
qui répondent l’une et l’autre à de vraies questions que le formateur doit obligatoirement se poser.
Claudine Fréchet (université Catholique de Lyon) s’interroge sur ce que nous évaluons vraiment
lorsque nous corrigeons des productions écrites et sur les remédiations que nous pouvons proposer
pour favoriser la progression de l’apprenant. Enrica Piccardo (université de Toronto) et Isabelle
Puezzo (HEP Lausanne) plaident pour une évaluation créative en classe de langues par rapport à
la compétence plurilingue déséquilibrée, telle que le CECRL la prévoit. A partir d’une enquête qui
montre la difficulté des enseignants à percevoir positivement l’interlangue, une recherche-action
démontre qu’il est possible, à partir des activités créatives de canaliser les émotions négatives de
la production orale et de viser la réussite pour un grand nombre d’apprenants.
Dans ce contexte, il convient également de signaler la contribution de Stéphane Hafez
(université Libanaise) qui met l’accent sur l’insécurité linguistique que ressentent et expriment
les futurs enseignants de français. Après avoir procédé à un état des lieux et avoir recherché les
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causes de cette insécurité, l’auteur de l’étude propose quelques pistes permettant d’espérer une
remédiation à ce qu’il considère comme un frein sérieux à l’expansion du français au Liban.
Le rôle de l’enseignant face à différentes situations d’apprentissage fait l’objet de plusieurs
contributions. Maud Marcinkowski (université du Free State, Afrique du sud) le place dans le
contexte de la pédagogie et de l’apprentissage de la prononciation, un enseignement qu’elle
estime être à la croisée des chemins entre l’étude du système phonologique et le passage à
l’acte, qu’est l’oralité, entre l’évaluation diagnostic et la correction à envisager. L’enseignant a, là,
un rôle primordial à jouer en tant que porteur principal du modèle linguistique et facilitateur
d’apprentissage.
Anne-Sophie Morel (université de Franche-Comté) s’interroge sur les rôles de l’enseignant
dans la classe de littérature pour un public d’étudiants en FLE avec la volonté de proposer un
historique de la place et des fonctions de l’enseignant de littérature en FLE par rapport à l’évolution des différentes méthodologies du FLE et de l’apport du CECRL.
Valérie Soubre (CEPEC International, ILCF Lyon) s’appuie également sur les possibilités offertes
par le CECRL et son approche actionnelle pour évoquer les groupes d’activités langagières et
le pilotage par tâches. Si les avantages sont indéniables, ce dispositif n’est pas sans soulever de
nombreux problèmes pédagogiques et organisationnels.
Catherine David et Dominique Abry (université de Grenoble 3) abordent la question cruciale
des stratégies de l’enseignant dans la classe aux niveaux hétérogènes. C’est, pour lui, être amené
à jouer des rôles contradictoires d’évaluateur précis et de simple régulateur d’activités, de
tuteur personnalisé et de simple guide pour le travail en autonomie, d’organisateur rigoureux
et d’improvisateur, de maître et d’animateur. Cette situation d’hétérogénéité, pourtant très
courante dans les classes, fait appel à une délicate pédagogie différenciée qui devrait être
intégrée dans la formation des enseignants.
Les TIC peuvent apporter des solutions pour des situations complexes d’apprentissage ou,
plus généralement, faire bénéficier les apprenants de parcours spécifiques qui leur permettront
de progresser à leur rythme et selon les compétences à développer. Deux dispositifs innovants
sont ainsi présentés : Agnès Garletti (Université du Maine/université de Rome 3) décrit le dispositif d’instrumentation du tuteur distant et de visualisation de la réflexivité de l’apprenant qui
s’inscrit dans une recherche action et qui a pour finalité la réalisation d’une typologie d’habilités cognitives à partir de 21 questionnaires portant sur des items de compréhension écrite.
Sophie Dufour et Jean-François Grassin (université Lumière Lyon 2) font du web 2.0 dit social,
une communauté d’apprentissage en milieu homoglotte. Sur le terrain homoglotte, l’approche
interactionniste rejoint l’approche actionnelle. Participer à une communauté, c’est apprendre
en se positionnant comme acteur de sa formation. La communauté virtuelle d’apprentissage
offre, dans ce contexte, une excellente opportunité pour autant que l’intérêt et l’engagement
des membres puissent y être suscités et que la participation, les activités et les interactions y
soient organisées. Se pose alors la question du nouveau rôle de l’enseignant entre le présentiel
et le distanciel, des aptitudes complémentaires d’animateur ainsi que de spécialiste de la
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« toile » attendues et de leur valorisation.
Ces contributions et les débats animés qu’elles ont suscités lors du colloque, attestent de
la modification radicale qu’a subie le métier d’enseignant et ce, aussi bien du point de vue de
la démarche didactique que des contenus et supports de cours et des aptitudes exigées. A la
fonction « classique » de détenteur et transmetteur de savoirs se sont rajoutées celles d’animateur, de médiateur, d’organisateur, de technicien, de concepteur et de tuteur en ligne. Cette
mission multi-tâches, qui incombe désormais à l’enseignant, le place devant des exigences à
priori difficiles à satisfaire mais dont il mesure le plus souvent l’importance et l’impact positif sur
l’apprenant. Les retours de recherches-action et d’expériences pédagogiques prouvent, en effet,
que ce défi est relevé avec dynamisme et enthousiasme par nombre de collègues étrangers et
français qui souhaitent voir se pérenniser ces pratiques et ces dispositifs dans le contexte de la
perspective actionnelle. Mais, comme l’a souligné la plupart des intervenants, il est impératif de
développer et de perfectionner la formation des enseignants et de voir valoriser enfin toutes les
activités y compris celles en distanciel.
Marie-Thérèse Maurer, Université Lumière Lyon 2
Décembre 2012
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Enseignant de langues :
de l’homme-orchestre au chef
d’orchestre. Etat des lieux d’une discipline
et d’une profession en questionnement
Jean-Marc Defays
Université de Liège / Belgique
Il faut commencer par un truisme : l’enseignement et l’enseignant des langues ne sont plus
ce qu’ils étaient, que ce soit du français ou de toute autre langue étrangère (ici, LE) ; et par trois
questions aussi banales : en quoi cette profession a-t-elle changé, est-ce en mieux ou en moins
bien, où va-t-elle et où devrait-elle aller ? Nous tenterons de répondre à ces questions à la fois
sur les plans de la recherche en didactique des langues, de la méthodologie et des pratiques
enseignantes.
1. La nouvelle donne en didactique des langues étrangères (LE)
1.1. Les recherches quantitatives
Le premier constat à faire concernant les recherches actuellement menées en didactique des
LE est l’importance qu’y ont prise les approches quantitatives, expérimentales ou statistiques,
au détriment des recherches qualitatives. Même si beaucoup pensent que nous n’avons qu’à
nous féliciter du développement de ces démarches plus objectives, plus méthodiques, somme
toute plus « scientifiques », on peut tout de même craindre que cette généralisation soit parfois
abusive et qu’elle relève davantage d’un effet de progrès que d’un progrès réel. En effet, faut-il
rappeler que les méthodes quantitatives ne conviennent pas à tous les aspects de la didactique des LE, qu’elles privilégient les aspects qu’elles peuvent traiter par rapport à tout le reste
qui leur résiste, qu’elles isolent et biaisent les aspects qu’elles traitent, et qu’elles escamotent
les présupposés qualitatifs sur lesquels elles reposent et les interprétations qualitatives sur
lesquelles elles débouchent. Inévitablement, en se focalisant sur des aspects de plus en plus
précis (pour pouvoir les mesurer) de phénomènes et d’expériences aussi complexes que ceux
qui conditionnent l’enseignement-apprentissage d’une langue, on court le risque de réduire,
de démembrer, de dénaturer le champ de la didactique.
1.2. Les recherches sur l’apprentissage
Dans le cadre de l’acquisitionnisme, on s’intéresse beaucoup aux mécanismes et aux stratégies
d’apprentissage, en continuant à se demander s’ils sont spécifiques à une langue, spécifiques
aux langues, ou s’ils participent à des processus cognitifs généraux. La linguistique cognitive
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et la neurolinguistique en sont toujours aux stades des hypothèses, des études cliniques, en
laboratoire, mais elles nous obligent déjà à réviser notre conception des règles linguistiques
que le peu de succès des recherches sur la Grammaire universelle (Chomsky) et que la stimulante
analyse des processus inférentiels intuitifs, hypothético-déductifs (Sperber et Wilson), avaient
depuis longtemps mises en cause. Les connexionnistes (Sokolic, Ellis, Fayol…) les abandonnent
carrément au profit d’explications à partir de régularités statistiques traitées de manière computationnelle par le cerveau. Les règles linguistiques seraient alors des sous-produits de règles plus
générales, des constructions artificielles a posteriori, et le débat de la « Grammaire universelle »
de se transformer en débat sur l’ « Apprentissage universel ». Les implications de ces théories
sont évidemment fondamentales en didactique des langues, puisqu’on en arrive à penser que
c’est le langage – sa structure comme son utilisation – qui s’adapte aux mécanismes d’apprentissage, et non l’inverse ; que ni la grammaire, ni la communication ne seraient à l’origine de
l’acquisition d’une langue qui dépendrait de mécanismes cérébraux généraux traitant comme
un ordinateur les récurrences et les associations du langage. Il n’empêche que la grammaire et
la communication continueraient à jouer un rôle sur le plan empirique, pragmatique, psychologique, culturel.
1.3. Les recherches sur les effets des instructions
Un autre domaine de recherche fort actif est celui de l’analyse, si possible de la mesure,
des impacts plus ou moins avérés, plus ou moins positifs, sur le processus d’apprentissage,
des interventions de l’environnement, en particulier scolaire, et des interactions, en particulier
avec le professeur et les condisciples. Le poncif selon lequel on n’apprend bien les langues qu’à
l’école est aussi discutable que celui qui prétend exactement le contraire ; les études (surtout
anglo-saxonnes) qui tentent d’instruire le débat et d’apprécier ce qui est (plus) profitable dans
les méthodes et les contenus d’enseignement, portent sur nature des input et output, sur les
types et l’ordre des instructions, sur les activités individuelles et de groupe, sur le traitement
des erreurs, sur les synergies entre linguistique et métalinguistique, sur le recours à différents
supports, notamment aux TICE, etc. A l’heure actuelle, je ne pense pas que l’on soit encore arrivé,
quelle que soit la question spécifique ou générale sur laquelle on se penche, à des résultats
significatifs : dans tous les cas, « ça dépend ! » reste l’ultime conclusion.
1.4. Les recherches sur les conditions d’apprentissage
Le troisième axe de recherche que nous épinglerons ici concerne l’analyse des conditions de
l’apprentissage, d’abord les conditions psychologiques – les profils (impulsif, perfectionniste,
autonome, analytique…), les représentations (sur la langue et la culture cibles, sur l’apprentissage des langues, sur soi-même comme apprenant de langue…), les motivations (à propos
de la langue, de son apprentissage, de son enseignement …)–, mais aussi situationnelles
et culturelles, favorables au processus d’apprentissage. Les recherches menées dans cette
perspective, plutôt francophones, sont plus encourageantes car elles confirment généralement,
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sondages et expériences à l’appui, ce que tous les professeurs savent depuis longtemps, à
savoir que les motivations, les besoins, les représentations positives sont indispensables, peu
importe finalement la méthode que l’on adopte et les moyens que l’on a à sa dispositions. En
attendant que les recherches sur les mécanismes d’apprentissage et sur les effets des instructions n’apportent des contributions plus décisives aux enseignants, ceux-ci peuvent continuer
à travailler sur le vecteur motivation sans risquer de se tromper.
Pas de doute que nous avons maintenant une meilleure intelligence des structures et des
fonctionnements de la langue (linguistiques, discursifs, pragmatiques), des structures, des
mécanismes et des conditions de la cognition, des vecteurs et des interactions du contexte
(situationnel, social, culturel) de communication et d’apprentissage, ainsi que de la psychologie
et des stratégies du bon apprenant en langues, mais il reste à articuler ces différentes expertises. Les nouvelles observations, les nouvelles expérimentations, les nouvelles hypothèses
dans un domaine semblent fréquemment se faire au détriment d’un autre, quand on donne
la prépondérance aux structures langagières ET/OU aux processus (linguistico) cognitifs ET/
OU aux conditions contextuelles ET/OU aux (pré)dispositions psychologiques ET/OU… . C’est
probablement l’une des principales raisons pour laquelle la méthodologie et la pédagogie des
langues n’ont pas encore (beaucoup) bénéficié de ces progrès dans les différentes branches de
la didactique.
2. Les nouveaux paramètres de la méthodologie
Les méthodes n’ont cessé de se succéder au cours du siècle dernier, en raison d’évolutions et
de révolutions dont nous mentionnerons quelques-unes ci-dessous.
Pour résumer rapidement, on peut envisager cette succession selon deux modèles ; le premier
selon un axe qui court des méthodes les plus formelles (grammaire-traduction) aux méthodes
les plus fonctionnelles (Français sur Objectif Spécifique), en passant par les méthodes audioorales, audio-visuelles, communicatives, directes, et leurs variantes. Même si Saussure lui-même
estimait que « la langue est une structure et un instrument », ces deux pôles ont longtemps été
présentés comme antagonistes dans l’enseignement des langues, comme le prouve le statut
emblématique et problématique de la grammaire (formelle) que l’on a opposée, au cours de
l’histoire des méthodes du XXème siècle, au vocabulaire, à l’apprentissage (conditionnement), à
la communication, à la grammaire implicite, à la grammaire active, à la grammaire du texte, à la
grammaire du sens, aux règles d’emploi, etc. C’est seulement maintenant que l’on distingue les
différents statuts de la grammaire – en tant que CODE (parmi d’autres systèmes), en tant que
PROCESSUS (inter-linguistique/cognitif, codique/inférentiel), en tant que COMPETENCE (qui
vise à améliorer la correction, la complexité, la fluidité de l’expression) –, et que l’on envisage
l’explication grammaticale en complément ou en synergie avec les autres vecteurs de l’apprentissage-enseignement de langues, principalement la répétition et la communication.
C’est en quelque sorte maintenant à l’enseignant de préparer la combinaison « linguistique »
- « métalinguistique » qui convient le mieux en fonction des spécificités de ses apprenants et
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de son enseignement. Quant à la recherche en matière d’acquisition, suggérons en passant
l’intérêt qu’il y aurait à la concentrer sur le contrôle épilinguistique qui se situe précisément
entre la compétence linguistique et la connaissance métalinguistique, pour mieux analyser
quand et comment un apprenant, partagé entre le souci de communication (au début) et le
souci de correction (petit à petit), parvient à gérer ce contrôle, tantôt pour le renforcer, tantôt
pour s’en libérer.
Les méthodes peuvent aussi être comparées et leur évolution retracée en fonction d’un
second modèle, sous la forme du triangle constitué par les trois pôles entre lesquels les
méthodes fixent leurs priorités : la LANGUE (méthodes linguistiques, ex : grammaire-traduction) – l’APPRENANT (méthodes psycholinguistiques, ex : suggestopédie, cognitives) – le
GROUPE (méthodes sociolinguistiques, ex : coopératives, participatives) , avec différentes
combinaisons : méthodes structuro-behavioristes (LANGUE + APPRENANT), communicatives
(LANGUES + GROUPE) et par tâches-problèmes (APPRENANT + GROUPE). On peut dire que le
centre de gravité des méthodes s’est déplacé, au cours des cinquante dernières années, de la
LANGUE vers l’APPRENANT, puis de l’APPRENANT vers le GROUPE. Compte tenu des psychologies (Skinner, Chomsky, Piaget, Vygotski…) et des sociologies ambiantes, on a effectivement
d’abord valorisé l’apprentissage solitaire en classe, puis l’auto-apprentissage, l’apprentissage
par interactions (petits groupes), et finalement l’apprentissage collectif et interactif. Selon les
cas, le groupe de la classe a été considéré tantôt comme un handicap, tantôt comme une stimulation, tantôt comme une contrainte.
Mais c’est surtout par leur objectif que les méthodes se sont différenciées, raison pour
laquelle il est si difficile de comparer leur efficacité. Si les méthodes grammaire-traduction
visaient à faire connaître la grammaire et le vocabulaire de la langue, les méthodes structuro-behavioristes prétendaient rendre l’apprenant capable de comprendre, parler, lire, écrire
la langue, et les méthodes communicatives, de communiquer en situation authentique. Les
objectifs sont encore plus ambitieux à l’heure actuelle puisque les enseignants devraient – en
plus ! – entraîner leurs étudiants à apprendre seuls une langue (perspective cognitive) et les
préparer à vivre et travailler à tout moment dans un environnement international (perspective
interculturelle).
Ainsi a-t-il fallu faire acquérir, au cours des années, aux apprenants de langues des
CONNAISSANCES (métalinguistiques et civilisationnelles), puis des REFLEXES (linguistiques),
ensuite des COMPETENCES (communicatives, entre autres culturelles), avant que ce ne soit des
STRATEGIES (d’apprenants en langues autogérés performants), et enfin un PROFIL (de locuteurs
fonctionnels, plurilingues et interculturels, établi notamment par le Conseil de l’Europe).
3. La fonction sociale du professeur de langues
A ce propos, il serait instructif de mettre en parallèle l’histoire de la didactique des langues
avec celle des idéologies, et en particulier avec les mutations ininterrompues qu’a connues le
monde économique, social et politique. A simple titre indicatif, les quelques étapes suivantes
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permettent d’intéressantes analogies :
A bien y regarder, la période des méthodes scolaires (grammaire-traduction) relevaient de
l’« artisanat » préindustriel : apprentissage de la langue petit à petit, en profondeur, selon les
règles, du début à la fin, sous les ordres d’un maître, sans finalité autre que la connaissance
gratuite, l’exercice intellectuel, l’enrichissement personnel, dans le cadre des « humanités ». La
langue et son apprentissage consciencieux représentaient en tant que tels des valeurs, personnelles, culturelles, sociales.
Vient la période de l’« industrialisation » (cf. taylorisme) de l’enseignement des langues avec
les méthodes structuro-behavioristes : découpage de l’objet de la langue en petites unités, en
structures de base, mécanisation de la production linguistique, répétitions de phrases insignifiantes, isolement et aliénation des apprenants, décontextualisation et fonctionnalisation du
langage. La langue est ici un simple matériau à (dé)monter, à produire et à utiliser (le plus vite
possible, au moindre coût).
En réaction, l’apparition de la méthode naturelle représente une tentative de « ré-humanisation » de l’enseignement des langues : remise en cause des règles au profit de l’expression
personnelle, des échanges interpersonnels et égalitaires spontanés, imitation de l’apprentissage spontané, critique du caractère institutionnel de l’enseignement, escamotage du cadre
scolaire. La langue acquiert son statut de moyen d’échange.
Avec les méthodes communicatives, on peut dire qu’on en arrive à l’ère de la « consommation » des langues, sur le modèle de la société (et de l’entreprise) moderne : structure
horizontale, en réseaux, politique de la communication, analyse des besoins, centration apprenant-client, profil d’apprenant, objectifs spécifiques. La langue est devenue un objet d’échange.
Enfin, les méthodes contemporaines participent manifestement au mouvement de la
« globalisation » : uniformisation des compétences, standardisation des enseignements, internationalisation des évaluations, quantification des résultats, recherche de rendement, avantages
concurrentiels, compétitivité des méthodes, des écoles… Les langues étrangères représentent
une des conditions essentielles du marché international des biens, du travail, des études.
Dans ces circonstances, il est difficile de mesurer le progrès accompli, puisqu’on a l’impression
de comparer des pommes et des poires vu la différence des principes de base, des conditions
et exigences culturelles et institutionnelles, des objectifs pédagogiques, des finalités sociétales,
des systèmes d’évaluations,… On pourrait tout de même conclure, de manière optimiste, qu’on
n’a pas encore inventé de mauvaises méthodes, qu’elles sont toutes bonnes à quelque chose ou
à quelqu’un de différent, qu’il faut seulement savoir choisir !
On peut tout de même se féliciter d’avoir pu tirer profit de que d’aucuns appellent la « crise
des méthodes », pour prendre mieux conscience que la pertinence d’une méthode est relative,
que son efficacité dépend des objectifs, que son choix est idéologique, et que son utilisation
valorise ET dévalorise certains aspects de la langue (de la communication, de la culture),
encourage ET décourage certains comportements ou attitudes individuels et sociaux, avantage
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ET désavantage certains types d’apprenants.
Suite à cette période critique, éclectique, sceptique (les récentes approches du type Content
Based Learning, Content and Language Integrated Learning, immersion, … ne représentent-elles
pas, d’une certaine manière aussi, des dénis de méthode ?) que nous vivons en enseignement-apprentissage des langues étrangères, on peut se demander si la méthodologie ne cède
pas le pas à la pédagogie et les concepteurs de méthodes et de programme, leurs responsabilités aux enseignants.
4. Les nouvelles conditions et pratiques de l’enseignement des langues étrangères
Les conditions dans lesquelles nous exerçons notre métier ont totalement changé en à peine
quelques dizaines d’années. Le contexte, d’abord, n’est plus le même. Vu le développement
exponentiel de la mobilité et des échanges internationaux, de la circulation des productions
culturelles, des médias et des technologies de la communication, de l’accès à l’information et
du recours à l’autoformation, l’exposition aux langues étrangères s’est radicalement intensifiée
et diversifiée. Les étudiants ont souvent l’occasion de se frotter, ne serait-ce que de manière
virtuelle et passive, aux langues et aux cultures du monde avant que le cours ne commence.
L’enseignant doit s’y adapter : revoir non seulement ses méthodes mais aussi son rôle (nous y
reviendrons), d’autant que ces occasions d’apprendre les langues en dehors de la classe sont
généralement plus attrayantes et efficientes qu’entre ses quatre murs.
Le statut des langues et les rapports, généralement concurrentiels, qu’elles entretiennent
entre elles ont été soumis a de profondes mutations. Les professeurs doivent maintenant
justifier qu’on choisisse celle qu’il enseigne, le français notamment, parfois qu’on la maintienne
au programme de son école ou de son pays. Pourquoi effectivement se donner tant de peine
et investir tant de moyens alors qu’on pronostique que seul l’anglais suffira bientôt pour entreprendre des études, pour mener une carrière dans les affaires, dans la recherche scientifique,
dans la politique et la diplomatie. Si les autres langues deviennent inutiles, que dire de ceux qui
les enseignent?
La demande en formation linguistique a beaucoup évolué aussi, plus ciblée, plus pratique,
et surtout plus pressante. On doit bien entendu se réjouir que l’enseignement des langues ne
se limite plus à celui de la grammaire et du vocabulaire; inutile de revenir sur les bienfaits des
méthodes communicatives et des documents authentiques qu’elles exploitent, sur les perspectives interculturelles qui les accompagnent. Par contre, on peut s’inquiéter que les objectifs
soient devenus à la fois si précis et si ambitieux: faire de nos étudiants des citoyens plurilingues
et pluriculturels du monde globalisé, d’une part, et, d’autre part, les rendre capables en un
temps record, qui de répondre au téléphone en allemand, qui de mener une réunion en italien,
qui de lire le journal en russe, qui de s’expatrier du jour au lendemain pour étudier ou travailler.
Parlons des ressources et des supports, justement. Les manuels et les grammaires que je
viens d’évoquer et qui étaient les pièces maîtresses de la pédagogie des langues d’antan ont
maintenant bien mauvaise presse. Ils ont été remplacés par les laboratoires de langues qui ont
donné une dimension sinon un aspect scientifique à leur enseignement, avant que l’équipement
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informatique prenne la relève et permette aux apprenants de voyager virtuellement dans
monde, éventuellement avant de s’y rendre en chair et os à l’occasion d’un séjour linguistique.
Les professeurs ont dû composer, parfois rivaliser avec ces équipements que l’on mettait
à leur disposition ou qu’on leur imposait au nom du progrès pédagogique et un peu aussi du
marché très lucratif des technologies, mais qui ont finalement moins bouleversé l’enseignement
qu’on ne l’annonçait. Le professeur et la classe, on s’en est vite rendu compte après chaque
révolution technologique, restent les vecteurs de base de l’enseignement des langues, et la
technologie, aussi sophistiquée soit-elle, reste un gadget si son utilisation n’est pas orchestrée
par le professeur… dont on ne pourra jamais faire l’économie, au grand dam du directeur des
ressources humaines.
A propos de la classe, on constate que son statut a connu aussi des hauts et des bas : l’époque
l’où ne concevait pas d’autres endroits où enseigner ou apprendre une langue étrangère est
révolu, comme celui où l’on estimait au contraire qu’il n’y avait pas pire endroit pour le faire,
quand on l’opposait à l’apprentissage « en milieu naturel ». Ainsi a-t-on tenté, avec certaines
méthodes communicatives radicales, de gommer tout ce qui pouvait paraître scolaire. Mais
Vygoski de rappeler que l’apprentissage, a fortiori celui de la langue, est une expérience sociale,
et que le classe – utilisée bien sûr à bon escient – et que les activités de groupes et les interactions entre condisciples sont indispensables aux progrès individuels, ce qui explique l’insuccès
de l’auto-apprentissage stricto sensu. Ouverte sur le monde mais aussi propice à la dynamique
du groupe, au confluent de ces forces centripètes et centrifuges incessantes, la classe reste un
endroit privilégié auquel il faut rendre tous ses droits.
Et que dire du public : les apprenants ne sont plus les élèves dociles de naguère qui étudiaient
sagement la conjugaison, le vocabulaire et la civilisation française. L’exercice intellectuel et l’édification culturelle n’ont plus les mêmes vertus que pour les générations précédentes. A eux aussi,
il faut du pratique, du « fun » au jour le jour, et des résultats à court terme. Ils n’ont plus le même
respect pour l’enseignant, ce qui est tant mieux si cela les oblige à prendre leurs responsabilités
d’apprenants, notamment dans le cadre de la pédagogie par projet ou l’autoformation. Leurs
stratégies d’apprentissage ont par ailleurs subi les contre effets de la société médiatique : leur
capacité d’attention, de concentration, de conceptualisation n’est plus la même, ce qui oblige
l’enseignant à rester concret pour être crédible, à « zapper » pour rester attrayant. En matière
de motivations et de représentations, il faut cependant distinguer celles qu’ils nourrissent
pour l’école, pour les langues en général, pour le français en particulier, chacune d’entre elles
réclamant une approche différente, même s’il faut finalement les associer.
Les départements de langues sont aussi en train de vivre de profondes mutations. Il ne
s’agit plus seulement de départements où l’on se contente d’enseigner la langue, mais des
centres de ressources à géométrie variable, en matière de langues, de culture, d’enseignement,
d’apprentissage, etc. C’est dans ce cadre qu’il faut discuter les choix et les combinaisons entre
enseignement modulaire et/ou intégré, un enseignement de langue générale et/ou de langue
des spécialités, entre enseignement individuel et/ou collectif, en petits groupes, entre enseignement présentiel et/ou à distance, entre enseignement proactif et/ou réactif aux demandes
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des étudiants, des départements ou de l’institution.
Ils sont également devenus des centres d’autoformation, des centres d’évaluation, de préparation et de passation de tests linguistiques, mais également des centres de documentations
et de formations culturelles et interculturelles où les (futurs) médecins, juristes, économistes,
enseignants, scientifiques… peuvent venir se préparer à exercer leur métier à l’étranger.
Le sort des centres de langues universitaires dépend de la nouvelle économie de l’apprentissage des langues qui est en train de se dessiner dans les universités et les autres institutions
scolaires ou académiques, entre : l’enseignement DES langues, les enseignements EN langues,
et les enseignements et séjours A L’ETRANGER.
Il nous faut donc, en concertation avec les autorités et les responsables des différentes
facultés et des relations internationales, organiser et assurer la meilleure association possible
entre ces trois volets, aussi bien dans les programmes de cours que dans le parcours linguistique de l’étudiant au cours de ses études, notamment retracé par le portfolio.
Un mot pour terminer à propos du Cadre Européen Commun de Référence. On peut se réjouir
de la « crise des méthodes » mentionnée plus haut, qui a créée et/ou qui a été conditionnée
par une période de complexité et d’incertitude, et qui permet beaucoup plus de marges de
manœuvre aux enseignants puisqu’on ne leur impose plus de méthode miracle à appliquer
à la lettre au détriment de toute autre initiative. Cette ouverture devrait leur permettre de
faire preuve de plus de créativité, de prendre davantage de responsabilités par rapport aux
cours qu’ils donnent, aux étudiants auxquels ils s’adressent, des activités qu’ils organisent.
Malheureusement, l’évaluation standardisée, notamment via le Cadre Européen Commun de
Référence, qui se décline, selon les langues, en TOEFL, en DELF, DALF, en TEF, etc., ne limitera-t-elle pas à terme la liberté que la méthodologie a accordée progressivement aux enseignants ? Si les enseignants sont moins pressés par l’obligation de moyen, l’obligation de résultat
semble devenir, par contre, de plus en plus contraignante. Attention alors aux risques des cours
de langues qui ne seraient plus que des cours préparatoires à la réussite de tel ou tel examen
linguistique international qui fait autorité dans les institutions et chez les recruteurs,… et les
enseignants de langues de devenir des répétiteurs.
Et le professeur, dans tout cela, contraint à s’adapter, est devenu ce que j’appellerai
un « homme (ou une femme)-orchestre » : à la fois un expert en langues, en pédagogie, en
psychologie, en sociologie,… ; souvent un spécialiste dans un autre domaine, la filière d’études
ou la discipline professionnelle de ses apprenants : économie, droit, physique nucléaire,… ;
un exemple à suivre en terme relationnel, culturel, personnel, ne serait-ce en se montrant
enthousiaste envers et contre tout ; un planificateur pour gérer à la fois l’enseignement différencié et les projets de groupes, en gardant un œil sur les programmes officiels ou sur le Cadre
Européen Commun de Référence ; un technicien rompu aux réglages du tableau numérique et à
la programmation informatique ; un coach qui comprend, motive, mobilise, ses élèves, comme
un entraîneur de football ; etc.
A l’ « homme-orchestre », un rôle que nous ne pourrons pas tenir longtemps, je préfère celui
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de « chef d’orchestre », une fonction essentielle, intemporelle et universelle, à nous professeurs
de langues, autrement dit celle de médiateur. Sur les principes, doublement médiateurs, entre
les générations et entre les peuples ; sur les contenus : médiateurs entre le linguistique et le
métalinguistique, entre la langue et la communication, entre la langue générale et les langues
de spécialités ; sur les modalités : médiateurs entre la classe et le monde extérieur, entre
l’individu et le groupe, entre l’humain et les techniques, entre les différentes méthodes, entre les
différentes ressources…. Fonction noble s’il en est, mais ô combien problématique et frustrante
dans la mesure où il s’agit souvent de résoudre la quadrature du cercle ! Ce n’est évidemment
pas une raison pour qu’on nous la retire en faisant de nous que de simples experts de l’apprentissage des langues et de la communication internationale, car il n’y a personne d’autre pour
l’assumer à notre place dans la formation des citoyens du monde, car il serait dangereux de la
confier à d’autres à notre place.
5. Pour une didactique hédoniste et humaniste
Car il faut également inscrire notre propos dans le nouveau cadre de la mondialisation,
surtout de la globalisation où la langue, la culture sont devenues des biens commerciaux
avant d’être des moyens d’épanouissement, d’expression, de communication. Les langues et
les cultures sont entrées en concurrence les unes avec les autres en fonction de leur utilité
économique, et sont enseignées, apprises, évaluées dans une perspective prioritairement
instrumentale. Les personnes qui les apprennent, qui les enseignent, les institutions ou firmes
qui organisent cet enseignement doivent adopter les règles du marché, se montrer rentables,
concurrentiels ; cet enseignement et les évaluations auxquelles il est censé préparer sont en
conséquence en train de s’uniformiser, de se standardiser pour faciliter le libre jeu de ce marché.
Face à cette nouvelle situation, j’en viens à me demander si nous ne devons pas nous
recentrer d’une manière ou d’une autre – quitte à faire de la résistance – sur notre vocation
première qui est de contribuer, modestement, mais sûrement, au bonheur du monde.
Au bonheur de nos apprenants d’abord à qui il faut rappeler sans cesse que l’apprentissage
d’une langue étrangère est d’abord une opportunité, celle de vivre une expérience humaine
unique qui engage toute la personnalité, qui permet de se renouveler, de se multiplier en
découvrant d’autres personnes, d’autres manières de voir le monde, d’y vivre, en jouant avec
les mots qui le disent et le façonnent, et en se libérant des limites de sa langue et de sa culture.
Aussi en appellerai-je à une pédagogie hédoniste, avec toutes les limites, les exigences, les
contraintes décrites par Michel Onfray.
Le bonheur de l’humanité ensuite, qui a probablement plus besoin d’humanité que de
langues, ou plus précisément d’humanité au travers les langues et les échanges qu’elles
permettent. Communiquer, c’est bien; s’entendre, c’est mieux, et là aussi il y va de notre responsabilité. Les nouvelles du monde que nous apprenons chaque jour à la télévision ou dans les
journaux démontrent que la cohabitation multiculturelle ne fonctionne plus. On peut dire de la
langue sans culture ce que Rabelais a dit de la « science sans conscience. »
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Notre bonheur enfin que nous éprouvons au contact avec des langues, des cultures, des
gens différents, que nous multiplions en le partageant avec nos apprenants, en le leur insufflant.
Ce bonheur-là aussi il faut le préserver, le nourrir, en refusant de devenir des techniciens de
l’apprentissage des langues, des fonctionnaires de la mondialisation, des agents de la globalisation. Si les professeurs de langues renoncent à leur vocation humaniste, ce sera une bien triste
nouvelle pour tout le monde.
20
Portrait de
l’enseignant de langues : un métier en
perpétuelle évolution
Isabelle GRUCA
Université de Nice-Sophia Antipolis
Laboratoire CTEL, EA 1758 et I3DL URE 03
Avec les différents cycles de modernité qui ne cessent de recomposer le monde depuis
quelques décennies, les systèmes éducatifs ont connu d’importants bouleversements qui ont
entièrement reconfiguré leur paysage et profondément transformé le rôle et les fonctions de
leurs acteurs. Le développement des médias et l’essor des nouvelles technologies, en dilatant
l’univers de la communication, de l’information et de la médiatisation, ont institué une culturemonde qui a contribué à ébranler les structures éducatives et à modifier les représentations du
savoir et de l’école : les frontières de la classe se sont ouvertes et l’école n’est plus l’unique source
du savoir. Dans ce contexte, et sous l’impulsion conjuguée de différents phénomènes d’ordre
politique, économique, sociétal, et sous l’action de la mondialisation, il est possible d’affirmer
que l’enseignement/apprentissage des langues étrangères est un des domaines qui a le plus
évolué et que le métier d’enseignant de langues, en particulier de français langue étrangère,
s’est considérablement métamorphosé, comme en témoigne la terminologie déployée pour le
caractériser. Du reste, dans un futur très proche, son rôle est appelé à subir à nouveau, si ce
n’est déjà fait comme en témoignent plusieurs communications de ce colloque et l’organisation
de plusieurs congrès, de profondes modifications : l’extension des cours en autonomie ou en
semi-guidage, si elle permet de répondre aux impératifs sociaux et économiques toujours pressants, n’est pas sans conséquence sur les fonctions remplies par l’enseignant, ni sur son statut.
Au regard des divers bouleversements et ruptures, il n’est pas aisé de dresser le portrait actuel d’un enseignant de langue tant la diversité des facteurs qui entrent en jeu, aussi bien dans
les fonctions que dans les interventions pédagogiques, est plurielle et complexe. Entreprise
d’autant plus délicate que son savoir-faire professionnel, basé sur la recherche, s’inscrit dans
la communication humaine et que son savoir-être, entre identité et altérité, engage sa propre
culture.
1. Quelques repères historiques Parmi toutes les disciplines qu’englobe la profession, le métier d’enseignant de langues
vivantes est sûrement celui qui a le plus évolué. Certes, les autres disciplines ont évidement
connu des modifications, mais plus dans leurs contenus que dans leurs méthodes et pratiques.
Et, parmi les langues étrangères, il est possible d’affirmer, sans contestation possible, que le métier d’enseignant de FLE est celui qui a connu une reconfiguration quasiment totale. Il n’est pas
inutile de rappeler quelques facteurs qui expliquent cette métamorphose.
21
1.1. Quelques rappels généraux
1.1.1. Les diplômes universitaires
Le premier concerne les créations de la maîtrise FLE en 1982, suivie de la mise en place de divers DESS, qui professionnalisent l’enseignement du FLE au niveau des diplômes universitaires,
balayant radicalement, si cela était encore nécessaire, le mythe du natif. Ces deux formations diplômantes instituent la discipline FLE dans le champ scientifique des formations universitaires.
Ces créations ont permis les évolutions actuelles et la présence du FLE dans les masters professionnalisant ou recherche. Et l’on connaît tous leur succès.
La mise en place, vers la fin des années 1990, du système de Validation des Acquis de l’Expérience a quasiment été inaugurée par des demandes en FLE, montrant bien ainsi le besoin de
reconnaissance de tout un corps professionnel. Beaucoup de candidats continuent à présenter
un dossier de VAE dans les universités pour faire reconnaître des compétences et un savoir-faire
professionnels par un diplôme universitaire ; il n’y a pas d’autre certification étant donné que,
malgré de nombreuses négociations dans le passé et alors que les besoins de l’école et des collèges sont de plus en plus criants, les concours n’offrent toujours pas d’options FLE ou FLS dans
leurs épreuves et, du reste, ils sont appelés, paraît-il, à disparaître.
1.1.2. La naissance d’un champ scientifique
Le deuxième facteur, et qui n’est pas des moindres, se réfère à l’édification progressive d’un
champ scientifique avec la naissance de la didactique des langues et, notamment, celle du FLE.
Inutile de s’attarder sur les difficultés qu’elle a rencontrées pour se démarquer face à certaines
disciplines ; il est plus intéressant de rappeler les problèmes épistémologiques qu’elle a soulevés pour trouver son autonomie avec les débats sur la didactique du français langue maternelle,
la didactique des langues étrangères, etc. Soulignons aussi que, probablement en raison de
cette émergence difficile, la didactique du FLE a réalisé des avancées spectaculaires dans différents domaines qui constituent son champ de recherche et qui ont eu de profondes répercussions sur le métier de l’enseignant et sur ses représentations. Pionnière, par exemple, en matière
d’évaluations et certifications, dans le domaine du FOS, de l’autonomie, etc. La didactique du
FLE poursuit ses travaux, à la croisée de l’interdisciplinarité qui la nourrit, même si son champ de
recherche n’est pas toujours reconnu dans les hautes sphères politiques. Les incidences de cette
situation sont loin d’être mineures sur le terrain et sur l’image même de l’enseignant-chercheur
de FLE, ballotté entre plusieurs sections du CNU.
1.1.3. La dimension européenne
Le troisième facteur qui explique, d’une manière indirecte, la profonde mutation des enseignants de langues étrangères, et pas uniquement de FLE cette fois-ci, relève en quelque sorte
des travaux du Conseil de l’Europe. Deux outils, au moins, peuvent être considérés comme
des moteurs principaux du changement méthodologique : Le niveau-seuil d’une part avec
l’approche communicative et, d’autre part, le Cadre européen commun de référence pour les
langues avec l’orientation actionnelle. Ces outils qui n’influent pas directement sur le statut de
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l’enseignant de langues en lui-même mais sur ses méthodes, lui attribuent, cependant, surtout
le second, une dimension européenne. Même si chaque pays conserve ses traditions éducatives et culturelles, tous les enseignants de langues parlent un langage commun et partagent
une expérience commune dans leur identité professionnelle diverse. En effet, les enseignants
qui appliquent peu ou prou les orientations du Cadre modifient forcément, d’une manière ou
d’une autre, leurs pratiques professionnelles. Le dialogue peut en être ainsi facilité et cet aspect
s’ajoute à tous les autres facteurs qui entrent en jeu pour favoriser la mobilité étudiante et enseignante.
Il y aurait bien d’autres facteurs à lister ou à analyser, qu’ils soient d’ordre politique, économique, sociétal, etc., qui ont eu des répercussions sur le statut de l’enseignant, mais qu’il est
impossible de considérer dans les limites de cet article. Pour terminer la liste de ces quelques
repères généraux, n’oublions pas la poussée fantastique des nouvelles technologies qui ont
brisé les frontières du savoir avec, notamment, la connexion magique établie par internet. Rappelons également, dans un autre ordre, le changement du statut des langues étrangères et
leur profond ancrage dans le monde du travail. Soulignons, enfin, combien, plus que jamais, les
besoins éducatifs et institutionnels actuels sont de plus en plus liés aux besoins économiques
et financiers et que le facteur temps gouverne en maître absolu, imposant un rythme qui ne
favorise pas toujours la réflexion.
1.2. Quelques repères méthodologiques
1.2.1. La tradition classique
Le statut de l’enseignant a toujours été imposé par les besoins sociétaux et relève de la politique éducative des différentes époques. Mais, son rôle est également dicté en partie par les
différentes méthodologies qui lui assignent différentes fonctions ou qui privilégient certains aspects, déterminant ainsi une posture et modifiant les représentations sociales des professeurs,
des élèves et de l’école.
Sans remonter à la méthode socratique ni rentrer dans le détail de l’histoire, tout en rappelant le rôle joué par les précepteurs privés, la fameuse « Mademoiselle » des familles aristocratiques, disons que, d’une manière classique, l’enseignant était conçu et se voyait lui-même
comme un transmetteur de savoirs et, à cette image, correspondait l’image de l’élève consommateur de connaissances extérieures qu’il s’appropriait sous l’autorité du maître. N’oublions pas
que, pour faire partie des disciplines de l’école, l’enseignement des langues étrangères a dû
calquer sa méthodologie sur ses cousines considérées comme nobles, à savoir le grec et le latin
ce qui explique, en partie, la longue tradition de l’enseignement philologique des langues, avec
les exercices de grammaire et de traduction, ce qui explique également l’importance des cours
de civilisation et, surtout, des Belles Lettres. Malgré des variations en fonction des différentes
époques et des courants méthodologiques, une seule appellation désigne cet acteur, celui de
professeur, qui ne le distingue donc pas de ses collègues des autres disciplines.
23
1.2.2. Les méthodologies audio-visuelles
La méthodologie structuro-globale audio-visuelle des années 1960, qui a permis des avancées spectaculaires dans le domaine de l’enseignement des langues vivantes, est, cependant,
tombée dans les travers dévolus au rôle excessif accordé au savoir, au détriment des styles d’enseignement propres à chaque culture, de l’action du maître et des connaissances de l’élève.
L’enseignant devait s’approprier des techniques pédagogiques, rester dans les strictes limites
du cadre imposé, se réduire au rôle passif d’utilisateur d’une méthode, etc. ; l’élève, quant à lui,
n’avait que le rôle de répétiteur, voire même d’automate, sans que soient vraiment mobilisées
son intelligence et sa personnalité. Par des effets de déviance, l’enseignement structural et behavioriste des langues s’est paradoxalement dévalorisé par rapport aux autres enseignements,
puisque l’enseignement et l’apprentissage étaient assimilés, à tort ou à raison, à un conditionnement. Par voie de conséquence, la formation du professeur a été, elle aussi, dépréciée
puisqu’il suffisait, paraît-il, de savoir appliquer les consignes contenues dans un gros livre, le
fameux guide pédagogique, utiliser un magnétophone à bandes en déroulant parallèlement
un film à images fixes ou « faire des cours de conversation ».
1.2.3. L’approche communicative
Plus proche de notre époque, avec l’approche communicative, qui souligne l’importance des
besoins langagiers de l’apprenant et des divers styles d’apprentissage, prévaut une conception
beaucoup plus éclatée de l’enseignement/apprentissage. Dans cette perspective, et parallèlement aux travaux pionniers conduits par l’équipe du CRAPEL de Nancy 2 sur les auto-apprentissages, apparaît le concept clé de « centration sur l’apprenant » et, progressivement, par parallélisme, le terme d’enseignant se substitue à celui de professeur et met ainsi davantage l’accent
sur le rôle d’animateur préconisé par l’approche communicative. L’enseignant analyse donc les
besoins, guide l’apprenant vers le parcours le plus adapté à la finalité de son projet, organise
son apprentissage, favorisant, dans le groupe, la dynamique apprenants-apprenants ou apprenants-matériel, faisant de la classe plus un lieu d’échanges authentiques à caractère social qu’un
lieu strictement didactique.
1.2.4. L’approche actionnelle
Les orientations proposées par le CECR ravivent, en fait, certains des aspects développés par
l’approche communicative du tout début des années 1980 que la période éclectique de la décennie suivante a souvent malmenés. La mise en place de l’approche actionnelle conduit l’enseignant à modifier, en partie ou non, la gestion de la classe : ce sont donc essentiellement ses
pratiques qui risquent de changer : pour développer une approche par tâches, il est nécessaire,
notamment, de placer l’interaction, voire la médiation, au centre des activités, favoriser le travail
sur les stratégies des apprenants, c’est-à-dire leur apprendre à apprendre et à s’auto-évaluer,
scénariser les apprentissages au maximum pour considérer l’apprenant comme un véritable
acteur social, etc.
24
1.2.5. Les auto-apprentissages
Par ailleurs, avec les auto-apprentissages qui poursuivent leur évolution, l’enseignement
des langues vivantes, par les nouvelles ambitions qu’il affiche, ouvre d’autres horizons. Dans la
plupart des structures éducatives, l’extension des centres de ressources rend compte de cette
réalité : ceux-ci accueillent soit des étudiants en autonomie, soit en semi-guidage. Dans ces caslà, le statut et les fonctions de l’enseignant, tout comme ceux de l’apprenant, sont bouleversés
puisqu’il apprend à apprendre en transmettant, non pas ses connaissances académiques à un
groupe-classe, mais son savoir-faire didactique pour permettre quasiment à chaque apprenant
de prendre les décisions constitutives de son apprentissage et constructives de son identité.
Par ailleurs, cet enseignant élabore du matériel pédagogique, guide les apprenants vers les ressources, assure quelquefois des fonctions d’assistance technique, pédagogique, de tutorat, etc.
Dans ce cas de figure, l’enseignant a-t-il eu une formation spécifique ou a-t-il réussi à se former sur le terrain à une pédagogie à l’autonomie tout en bénéficiant probablement d’une aide
purement technique ? Y a-il eu des évaluations ? Il me semble difficile de faire évoluer des pratiques pédagogiques aussi opposées sans soutien didactique, mais également sans décharge
horaire pour pouvoir consacrer du temps et de l’énergie et à l’auto-formation, et à l’élaboration
des ressources, et à l’accompagnement pédagogique en ligne.
Depuis, pour rendre compte de la variabilité du rôle de l’enseignant de langues et des modalités du processus de transmission, on cherche un nouveau nom pour désigner cette catégorie
de personnel spécifique dont le rôle reste la gestion, le transfert des savoirs et leurs pratiques,
alors que toutes les autres disciplines ont maintenu l’appellation d’origine : conservatisme d’un
côté, modernité de l’autre ? Pas sûr.
2. Devenir enseignant de FLE avec les formations actuelles
Contrairement à la plupart des masters de Langues, Littératures et Civilisations Etrangères
qui se plient aux contraintes des concours CAPES et Agrégations et qui n’ont donc guère changé
dans leur esprit, même si figurent, ça et là, une ou deux épreuves à coloration didactique, les divers masters de FLE mis en place affichent clairement une dimension professionnalisante ou de
recherche, soit fondamentale, soit appliquée pour former des enseignants-chercheurs chargés
à leur tour de former des enseignants de langues.
2.1. Les curricula
Inutile de s’attarder sur les différents curricula offerts par les universités qui, malgré quelques
variables, présentent tous un certain nombre d’invariants qui sont à la base même du métier
d’enseignant. Certaines universités proposent uniquement des orientations spécialisées, mais
la plupart des masters développent des formations transversales avec des parcours optionnels
plus spécifiques avec, par exemple, des unités d’enseignement sur le FOS, l’enseignement du
FLE aux enfants, les diverses déclinaisons des TICE, etc. Bref, dans le cartable des futurs ensei25
gnants, figure l’ensemble des cours, qu’ils soient du côté des théories, ou des transpositions didactiques ou du côté des analyses des situations didactiques et de pratiques professionnelles ;
s’y trouvent également les données recueillies sur le savoir-faire et même, quelquefois, un
journal de formation, biographie formative et professionnelle de l’étudiant apprenti, car l’enseignement est un métier qui nécessite un apprentissage. Il va de soi que l’on tente de développer l’ensemble des compétences requises, d’équilibrer savoir, savoir-faire et savoir-agir, car le
vecteur-force sur lequel repose cette formation initiale consiste en l’acquisition d’une posture
cognitive réflexive qui définit, pourrait-on dire le « bon » professeur. Armer l’étudiant, l’apprenti, et donc le futur enseignant, aux stratégies d’apprentissage/enseignement est une véritable
compétence à développer : apprendre à apprendre n’est pas inné, mais cela s’apprend et n’est
pas une tâche aisée. D’où la nécessité de faire prendre conscience du style d’apprentissage de
chacun, de favoriser l’auto-évaluation et l’auto-apprentissage, d’engager des stratégies de remédiations, etc., bref, d’appliquer les principes généraux du Cadre à l’étudiant de master luimême, afin de le rendre autonome et conscient de son mode d’apprentissage.
La plupart des offres de formations professionnelles ne préparent pas encore vraiment le
futur enseignant aux nouvelles structures éducatives tournées vers l’autonomie, donc au nouveau métier d’enseignant, à l’exception, de certaines universités pionnières dans le domaine
déjà dans les années 70 ou 80 comme, par exemple, le CRAPEL de Nancy 2, ou d’autres qui
ont su anticiper certaines données éducatives. Certes, il y a diverses unités d’enseignement
sur l’élaboration d’outils pédagogiques pour le présentiel, l’autonomie, ou le semi-guidage ;
d’autres qui prennent en charge les TICE et l’apprentissage, le e-learning et divers autres outils
d’apprentissage (Wiki, Weblog), etc. Mais, dans l’ensemble, à part quelques exceptions, il n’y a
pas de module qui encadre toute cette remise en question des modalités de formation qu’entraîne l’apprentissage autonome en institution et qui peuvent perturber l’enseignant ou le futur
enseignant, d’autant plus que certains éléments classiques comme l’espace, le temps, les programmes, le savoir, l’action pédagogique sont entièrement éclatés. Les enseignements mis en
place devraient pouvoir anticiper les évolutions sociétales.
2.2. Le LMD et la semestrialisation
Un dernier point sur lequel je souhaiterais m’attarder concerne l’architecture proposée par
le système Licence-Master-Doctorat, outil d’harmonisation curriculaire européen. Souvent décrié, ce dispositif s’inscrit dans la nouvelle donne politique, sociale éducative. L’on a souvent
critiqué l’effet d’émiettement dû à la semestrialisation. Il est réel, mais il constitue plutôt un
atout : comment, à l’heure actuelle, peut-on prétendre tout savoir alors que l’on assiste à une
pulvérisation de spécialités de plus en plus poussées et que certaines nouveautés peuvent devenir obsolètes du jour au lendemain ? Ces caractéristiques s’inscrivent du reste dans l’esprit
même de la réforme LMD comme dans celui du CECR : acquérir des compétences partielles
dans différents domaines est le seul moyen pour répondre à la diversification croissante des
savoirs, des besoins et des objectifs. Du reste, l’architecture du LMD offre la possibilité de créer
des parcours plus ciblés avec des enseignements spécialisés. Par ailleurs, rappelons qu’il n’y a
26
pas de modèle a priori d’apprentissage ou d’enseignement achevé. Le « saupoudrage » doit
donc permettre à l’enseignant de pouvoir faire face aux multiples situations, de croiser divers
invariants, notamment institutionnels et curriculaires, tout en prenant en compte les besoins
spécifiques des apprenants.
Ainsi, le LMD permet de gérer la surabondance des recherches conduites dans différents
domaines et d’initier une formation qui doit se dérouler tout au long de la vie. Mais, comme par
le passé, la formation initiale reste le pivot central qui conduit au métier d’enseignant et la base
qui conduit à la formation continue.
3. L’enseignant de FLE : un expert aux compétences multiples
Comme l’ensemble de ses collègues, le professeur de langue étrangère est en perpétuelle
représentation : il partage les qualités du monde du spectacle (gestuelle, voix, mimiques, mise
en scène, gestion de l’espace, etc.) et des professionnels de la communication. Comme pour
l’ensemble des activités d’enseignement, le facteur humain tient un rôle essentiel. Mais l’implication psychologique et morale du professeur de langue est certainement plus importante que
celle des professeurs d’autres disciplines où les facteurs humains sont, semble-t-il, moins prégnants. L’enseignement/apprentissage d’une langue-culture, particulièrement lorsqu’elle est
étrangère, relève d’une expérience vivante, singulière, qui se vit et qui est à vivre, qui engage la
personnalité et l’identité de l’ensemble des acteurs. En tant que partenaire de la communication
interculturelle, qui est à la fois objet de son activité et instrument de sa relation avec le groupeclasse, le professeur de langue est peut-être un être qui a des relations plus humaines, plus
« affectives » avec ses étudiants et, à ce titre, il est plus exposé que ses co-disciples. Cet aspect
humain et social explique en partie la complexité de ses tâches.
3.1. En milieu hétéroglotte
Il est nécessaire d’établir une distinction entre l’enseignant natif et l’enseignant non natif
qui enseigne en milieu hétéroglotte. Certes, se pose le problème classique de l’insécurité linguistique à laquelle est confronté quelquefois cet enseignant, mais il faut reconnaître que les
cas sont de plus en plus rares, probablement parce qu’il existe à l’heure actuelle un nombre
considérable de dispositifs pour remédier à d’éventuelles lacunes ou améliorer certaines compétences.
On pourrait envisager la distinction initiale sous bien des aspects, mais je voudrais uniquement signaler une singularité du professeur de langues étrangères : tout au long de sa formation et de son métier, il est au contact d’un autre acteur, toujours présent, mais jamais là : il s’agit
de l’autre, natif de la langue-culture cible, l’étranger que l’on cherche à comprendre et à faire
comprendre et dont l’étrangeté se réduit au fur et à mesure du dialogue interculturel assuré par
l’enseignement/apprentissage. L’enseignant en langues étrangères vit une interrelation de deux
univers de signification qui le forge et le différencie : il évolue au quotidien, d’une part dans l’hu27
main et le social, ce qui explique la complexité extrême de ses tâches et, d’autre part, il vit entre
et dans sa culture maternelle et la culture étrangère, entre identité et altérité. Plus que les autres,
il est un être multiple, métis et il vit cette tension qui détermine son savoir-être professionnel et
qui engage davantage sa personnalité, son éthique.
3.2. L’enseignant de langues étrangères, un expert aux compétences multiples
Un point essentiel qui différentie nettement l’enseignant de langues de ses collègues
d’autres disciplines. Le langage est une réalité vivante, contrairement aux autres matières qui
est directement issue du monde en dehors de l’école et qui structure entièrement la vie quotidienne. Par son caractère vivant, subjectif et foisonnant, la langue offre des variables et des
évolutions importantes dont il faut tenir compte. De plus, l’enseignant de langue enseigne une
compétence de communication que diverses théories ont analysée mais qui, dans la pratique
réelle ou dans la réalité de la classe, ne se laisse pas aisément appréhender, car il faut concilier
système et emploi, linguistique et culture. Or, le langage ne se réduit pas à la connaissance
d’un code, ni à la simple utilisation de la parole, mais induit l’ensemble de ces composantes qui
entrent en jeu dans l’acte discursif auxquelles s’ajoutent des données sociologiques, anthropologiques et psychologiques. Dans un cours de langue-culture, la langue est à la fois objet et
moyen d’enseignement/apprentissage, à la fois discipline et outil ; elle joue également le rôle
de médiation pour l’appropriation des autres domaines du champ ou d’autres disciplines selon
les cas de figure.
Ainsi, assurer un cours de langue est, dès le départ, une tâche complexe : de plus, les configurations et les réalisations qu’entraîne l’enseignement/apprentissage de la compétence communicative sont à chaque fois différentes, à chaque fois multiples, dépassant souvent le cadre
étroit, mais sécurisant, de tout programme disciplinaire.
En tenant compte des mutations de ces quatre dernières décennies, on pourrait dresser une
typologie des diverses compétences professionnelles qui définissent l’enseignant de langue qui
navigue sans cesse entre savoir savant et savoir d’expérience. Il faudrait pour cela réaliser un référentiel détaillé déclinant les multiples compétences des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être
et savoir-devenir de l’enseignant de langue et ce n’est pas chose aisée. Mais, le portrait qui s’est
dessiné par petites touches au fil de ces quelques lignes présente un expert qui enseigne une
compétence de communication en langue-culture étrangère, dans diverses situations, qui orchestre un ensemble de données qui participent évidemment à la formation éducative, mais
qui vont également bien au-delà, puisque son enseignement contribue à la construction d’un
savoir-être et à la formation de citoyens du monde par l’ouverture à la différence.
3.3. Quelle terminologie ?
Sous l’impulsion des nouvelles tâches de l’enseignant dans les centres de ressources et pour
traduire un éventail de nouvelles fonctions, appréhendées par le concept de guidance, on uti28
lise une série de termes : enseignant, animateur, guide, conseiller, coordinateur, médiateur, évaluateur, facilitateur, moniteur, tuteur, coach, etc. Aucun n’est neutre, ni satisfaisant, certains sont
même très réducteurs et véhiculent des connotations négatives, contrairement à l’évolution
de maître en professeur ou au passage de professeur à enseignant. Car l’enseignant de langue
est avant tout un formateur qui remplit déjà toutes ces fonctions dans sa classe ou en dehors,
qu’elle soit traditionnelle, audio-visuelle ou équipée en matériel informatique. Mais, contrairement à ses collègues qui continuent à professer parce que la matière l’emporte sur la manière,
il vit souvent dans l’inconfort : les multiples facettes de l’objet de son enseignement, à savoir
la communication en langue-culture étrangère, dont les paramètres ne se laissent pas appréhender de manière définie et limitée et dont les éléments constitutifs ne peuvent être envisagés séparément, expliquent en partie les diverses fonctions qu’il doit remplir. L’enseignant
de langues est donc un expert, qui sait orchestrer un nombre variable de variables propres à
chaque situation de classe et qui sait monopoliser ses compétences et stratégies pour répondre
à l’individualisation de l’apprentissage. Au bout du compte, cette multiplication de termes, qui
traduit la pluralité des tâches qu’il effectue, montre en fait que son rôle se densifie et on n’a pas
évoqué ses travaux de recherches, ni ses écrits « chronophages », « nécrosants », de plus en plus
fréquents et lourds.
Les inquiétudes des enseignants devant les nouvelles caractérisations qui sont déployées
pour le rebaptiser semblent donc être justifiées, car aucune ne rend compte de l’ensemble de
leurs missions. La plupart de ces termes contribuent à les dévaloriser à l’égard de leurs collègues
du corps enseignant et l’on peut craindre le pire : face aux difficultés économiques et d’après
certaines orientations politiques qui laissent supposer que l’apprentissage des langues étrangères est un enseignement élémentaire, certains cours pourraient être confiés aux … natifs de
la langue cible afin de résoudre bien des problèmes !
Dans la mouvance éducative contemporaine, une réforme en cours concernant le système
universitaire risque d’affecter l’ensemble du corps professoral. Il s’agit du passage intégral au
contrôle continu qui vise à réduire le taux d’échec en licence, mais aussi, ne le cachons pas, les
charges administratives trop lourdes suite aux réductions de postes. Il faudra mettre en place
trois évaluations dans chaque unité d’enseignement en cours de semestre afin d’alléger l’examen terminal réservé aux dispensés de cours. L’enseignant, quelle que soit sa discipline, est
exposé à se transformer en machine évaluative. Entre la conception des sujets, la passation
des épreuves et la correction des copies dans un esprit formatif bien évidemment, même s’il
s’agit d’une certification, quand trouvera-t-il le temps de préparer ses cours, de concevoir ses
séquences, de scénariser des tâches, etc., de remplir les différents dossiers qu’on lui adresse toujours dans l’urgence et de faire sa recherche ? Ce système, qui présente néanmoins des atouts,
entraîne un étalement du semestre sur 15 ou 16 semaines avec, probablement, un rattrapage
de cours intensifs entre les deux semestres.
Bref, le métier a décidément bien changé, mais, malgré toutes les dégradations manifestes
qui entourent le corps professoral, il reste aux enseignants ce qui relève d’une « vocation » et ce
plaisir-là n’a pas de prix dans la société désorientée dans laquelle nous vivons.
29
Pour ne pas conclure …
On pourrait poursuivre la réflexion et décomposer encore bien des aspects pour mieux recomposer l’identité professionnelle de cet acteur, car le professionnalisme des enseignants de
langues, souvent dévalorisé par rapport à d’autres disciplines, englobe une série de paramètres
fort complexes. Peut-être encore plus que ses collègues, l’enseignant de langues poursuit son
apprentissage tout au long de sa carrière : séjours linguistiques et culturels nécessaires dans
le pays de la langue-cible, stages pédagogiques et séminaires didactiques pour compléter sa
formation et mettre en œuvre l’innovation, etc. Il pratique bien un des principes fondamentaux
préconisés par le Cadre européen commun de référence : l’auto-formation et l’apprentissage tout
au long de la vie sont des caractéristiques propres à tout professeur qui se doit toujours de faire
preuve d’un savoir-devenir.
Face à la rapidité des changements sociétaux, des progrès technologiques, à l’avalanche de
savoirs et de recherches, il est urgent, pour mener à bien les nouvelles réformes, de proposer
des formations continues, encadrées, adossées à la recherche, répondant à des besoins ciblés,
et de donner aux acteurs les moyens d’un apprentissage tout au long de la vie. Crise économique, certes, déficit financier également dans bien des institutions, mais il serait temps, afin
de doter d’une égale dignité l’ensemble des acteurs du champ et pour rééquilibrer les trois
pôles du triangle didactique, après la centration sur les savoirs et sur l’apprenant, de proposer
une centration sur l’enseignant et de donner, sur le terrain, à cet acteur central du domaine les
moyens à la mesure du capital qu’il représente et pour l’institution, et pour la société.
Parent pauvre de tout le système éducatif depuis plusieurs décennies, la formation continue
doit être réhabilitée pour que les enseignants puissent assurer leurs missions avec succès dans
la nouvelle vision de la gestion de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Les
diverses gouvernances politiques et institutionnelles ne peuvent plus faire la sourde oreille :
si elles veulent instaurer une dynamique de réflexion-action avec partage des tâches en présentiel, en semi-guidage ou pour l’autoformation instituée, elles doivent donner les moyens
nécessaires pour maintenir les niveaux de qualité de l’enseignement des langues.
Situation pessimiste ? Je ne le pense pas, car le portrait qui a été brossé est valorisant et l’enseignant de langues peut être fier de ses compétences et de son incroyable évolution. Il est vrai
que, dans le quotidien institutionnel, les tâches auxquelles il doit faire face et les difficultés qu’il
rencontre peuvent freiner son enthousiasme ; jamais, elles n’élimineront, cependant, le plaisir
qu’il a d’enseigner et d’être dans une classe, avec des apprenants ou étudiants. Le seul moyen,
me semble-t-il, pour régler le problème et du statut de l’enseignement des langues étrangères
et de la représentation de l’enseignant de langues, notamment de FLE, passe par la recherche :
c’est en donnant à la didactique des langues la place légitime à laquelle elle a droit au sein des
hautes instances scientifiques et des noosphères politico-éducatives qui nous gouvernent que
l’on parviendra à faire reconnaître les compétences professionnelles de l’enseignant de langues.
30
Bibliographie
D. ABRY et E. BRODIN (coord.), Enseigner/Apprendre le FLE et les langues étrangères à l’aide des
technologies numériques : du présentiel au nomadisme, Actes du 4° Colloque international de
l’ADCUEFE, CUEF, Université de Grenoble, 2009.
B. ALBERO, L’Autoformation en contexte institutionnel. Du paradigme de l’instruction au paradigme
de l’autonomie, L’Harmattan, (Education et Formation), 2000.
M.-J. BARBOT, Les auto-apprentissages, CLE International, (Didactique des Langues Etrangères),
2000.
M. CAUSA (coord.), Formation initiales en FLE : actualités et perspectives, Paris, Le Français dans le
monde n° 41, Recherches et applications, 2007.
I. GRUCA, « Le métier de professeur de langue étrangère », in K. SZYMANKIEWICZ et M ZAJAC,
Développer les compétences multiples chez l’apprenant et chez l’enseignant de FLE, Pologne,
Institut d’Etudes Romanes, Université de Varsovie, 2010, pp. 17-24.
Les Cahiers de l’asdifle n° 21, Quelles formations durables en FLE/FLES, Paris, ASDIFLE, 2009.
31
L’enseignement des
langues et le CECRL : d’une logique de
contenu à une logique de projet
Claire Bourguignon
IUFM de Haute Normandie
Indéniablement, l’introduction du CECRL dans l’enseignement des langues a eu un impact
sur l’enseignement et l’apprentissage des langues, ne serait-ce que par sa volonté d’harmoniser
l’enseignement des langues, non seulement au niveau des différents pays européens mais aussi au niveau des différentes langues enseignées. Au-delà de cette volonté d’harmonisation, le
CECRL a entraîné un nouveau rapport au savoir à travers la perspective actionnelle préconisée.
C’est pourquoi, dans un premier temps, nous rappellerons les fondamentaux du CECRL pour
expliquer, ensuite, en quoi la nouvelle perspective impulsée a amené à penser l’enseignement
autrement. Un des principaux vecteurs de changement dans le métier d’enseignant de langue
a été le passage d’un programme structurant l’organisation des modules de formation à un référentiel amenant la construction de projets permettant aux étudiants d’atteindre des objectifs
clairement identifiés. C’est pourquoi, dans une troisième partie, nous analyserons les modifications apportées à l’enseignement/apprentissage des langues avec le passage du programme
au référentiel. Enfin, nous terminerons notre article en illustrant notre propos, de manière
concrète, en montrant comment construire un projet adossé à un référentiel.
1. Le CECRL : les fondamentaux1.
Bien qu’il semble que, dans le CECRL, ce soit essentiellement les échelles de niveaux qui aient
retenu l’attention, le Cadre européen commun de référence pour les langues c’est aussi et avant
tout l’impulsion d’une nouvelle approche didactique. Nous avons appelé cette nouvelle démarche, « approche communic’actionnelle »2. Elle vise à rendre opérationnelle la perspective
actionnelle et repose sur deux concepts clés : « action et « compétence ». Sachant que le CECRL
définit la compétence comme « l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions
qui permettent d’agir »3, il apparaît clairement que la compétence se construit, se développe
dans l’agir, donc dans l’action pensée en termes de processus. De ce fait, dans la démarche ou
approche communic’actionnelle, il s’agit de mettre l’apprenant en action. La mise en action des
apprenants nous amène à considérer les deux autres piliers du CECRL et donc de la démarche
communic’actionnelle, à savoir les concepts de « tâche » et de « stratégie ».
1. C. Bourguignon, 2010
2. « De l’approche communicative à l’approche «communic-actionnelle »: une rupture épistémologique en
didactique des langues-cultures», in Synergie Europe N°1, 2006
3. CECRL 2001, p.15
33
De fait, mettre les apprenants en action, c’est construire des unités d’apprentissage autour
de tâches (« qui ne soit pas seulement langagières »4), sachant que l’accomplissement d’une
tâche nécessite la mise en place des stratégies selon le principe défendu par le CECRL :
Les compétences sont mises en œuvre] dans des contextes et des conditions variées en se pliant à
différentes contraintes afin de réaliser des activités langagières permettant de traiter des textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant des stratégies qui paraissent
le mieux convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer.
Est considéré comme stratégie tout agencement organisé, finalisé et réglé d’opération choisies
par un individu pour accomplir une tâche qu’il se donne ou qui se présente à lui5.
De ce fait, la démarche communic’actionnelle, opérationnalisation de la perspective actionnelle, repose sur 4 piliers : compétence, action, tâche et stratégie. Néanmoins, les échelles de
niveaux ne doivent pas être occultées dans cette démarche ; elles ont toute leur place dans
la conception d’une unité d’apprentissage. Les échelles de niveaux sont construites autour de
descripteurs définissant les capacités d’un usager de la langue en fonction de son niveau de
compétence. Cependant, leur fonction ne doit pas être pervertie. Ces échelles ne constituent
pas des normes autour desquelles on construit des modules de formation ou des tests d’évaluation mais des objectifs à faire atteindre. En ce sens, elles doivent être lues comme un référentiel.
Ceci nous amène à la deuxième partie de notre propos.
1. L’approche communic’actionnelle : une autre façon de penser l’enseignement
L’approche communic’actionnelle nous amène à repenser l’enseignement des langues. La
focalisation ne doit plus se faire sur ce qui est appris, mais sur l’utilisation faite de ce qui est appris. C’est ce qui signifie l’expression « apprentissage-usage de la langue ». Il faut passer d’une
logique d’apprentissage à une logique d’usage.
2.1. Du programme au référentiel
Dans la logique communic’ationnelle, ce qui importe, ce n’est plus la quantité de savoirs
transmis par l’enseignant et appris par l’apprenant par rapport à un programme, mais la
construction d’un projet autour d’une tâche qui permet, à la fois l’appropriation des savoirs6 et,
leur utilisation pertinente en lien avec un objectif à atteindre, ancré sur les niveaux de compétence qui constituent un référentiel. Avant de poursuivre, il est opportun de faire un rappel sur
les différences essentielles entre un programme et un référentiel.
4. CECRL, 2001, p.15
5. CECRL, 2001, p.15
6. Nous appelons « savoir », ce que l’enseignant transmet et « connaissance » ce que l’apprenant s’approprie.
La distinction est la même qu’entre « savoir-faire « et « capacité » : un même savoir-faire débouche sur des
capacités différentes. Ce n’est pas parce que l’objectif est qu’un apprenant sache lire, que tous les apprenants
auront la même capacité en tant que lecteurs.
34
Un programme est lié à un contenu qui constitue le cœur de l’enseignement. L’enseignant
construit ses cours de telle sorte qu’à la fin d’un cycle de formation le programme soit terminé.
Nous nous situons alors sur le paradigme de la connaissance. Ce qui importe, c’est que l’ensemble des savoirs du programme ait fait l’objet d’un apprentissage. Ce qui compte, c’est la
quantité de connaissances apprises. L’apprentissage se fait alors sur un mode « accumulatif ». Il
s’agit, en effet, d’accumuler un maximum de connaissances.
L'enseignant vérifiera ensuite ce que l’apprenant a retenu de tout ce qu’il a appris.
En revanche, avec un référentiel, nous nous situons sur le paradigme de la compétence. Le
référentiel est défini en termes d’objectifs à faire atteindre. Ces objectifs sont classés par rapport
à des niveaux sur une échelle. Par ailleurs, ces objectifs sont explicités à l’aide de descripteurs
qui définissent, dans le cas du CECRL, des capacités reliées au niveau visé. Ce qui compte alors,
c’est l’appropriation des connaissances, qui permettent d’atteindre tel ou tel objectif. La logique
n’est donc plus quantitative mais qualitative. Ce qui compte, ce n’est pas tant que l’apprenant
accumule des connaissances mais plutôt qu’il soit capable de les utiliser de manière pertinente.
Avant de poursuivre avec l’utilisation d’un référentiel, puisque tel est notre propos, il convient
de mettre en garde contre les problèmes que peut poser une utilisation erronée du référentiel.
Il est important de souligner que la tradition d’enseignement/apprentissage en France ne repose pas sur l’utilisation de référentiels, mais de programmes. Ainsi, le passage du programme
au référentiel doit s’accompagner d’une réflexion sur les changements induits par ce passage
de l’un à l’autre. Sans réflexion sérieuse, il est à craindre que les objectifs décrits dans les référentiels soient assimilés à des normes autour desquelles il s’agit de construire des modules de formations. Telles furent d’ailleurs, dans bien des cas, les dérives observées avec la pédagogie par
objectifs. Au lieu de concevoir l’apprentissage comme un processus au cours duquel il convient
de développer des stratégies qui permettent de mobiliser des connaissances et des capacités
pour pouvoir atteindre un objectif, l’apprentissage est centré sur la maîtrise de connaissances et
de capacités et donc sur le bachotage. Or, maîtriser ne veut pas dire être capable de mobiliser.
Pourtant, il ne saurait être question d’approche par compétence sans une volonté de développer chez les apprenants des stratégies qui permettent de mobiliser des connaissances et des
capacités en situation d’utilisation de la langue, c’est-à-dire sans leur permettre de gérer des
situations imprévues.
Empruntons un exemple à la cuisine. Pour réussir un gâteau, il ne suffit pas de connaître
des ingrédients, ni d’être capable de casser des œufs ou de les battre en neige ! La maîtrise des
connaissances (les ingrédients utiles) et des capacités (être capable de casser les œufs, être capable de faire des œufs en neige) ne suffit pas. En revanche, il est vrai qu’on ne peut pas réussir
un gâteau si l’on n’est pas capable de mobiliser des connaissances (quels ingrédients choisir) et
des capacités (ce qu’il faut savoir faire avec les œufs).
35
2.2. Comment utiliser un référentiel dans l’enseignement ?
La question essentielle est effectivement comment utiliser un référentiel dans le cadre d’une
approche qui vise à développer la compétence, sans oublier que le référentiel décrit des capacités et que la compétence, c’est l’aptitude à mobiliser des capacités et des connaissances. Aujourd’hui, dans l’enseignement des langues, le référentiel correspond aux échelles de descripteurs du CECRL. Ces échelles sont construites autour de descripteurs pour chacune des activités
langagières (activités de réception, d’interaction et de production) et en lien avec des niveaux
de compétence. Ces descripteurs définissent des capacités (à lire, à écrire, …). Pour autant, ces
descripteurs de capacités font état implicitement des connaissances utiles à leur mise en œuvre.
Ce sont donc ces descripteurs qui vont servir de base à la construction des tâches complexes.
Dans la mesure où ces tâches complexes ont pour but d’amener les apprenants vers un objectif,
elles peuvent être assimilées à des projets. Cela signifie que l’apprentissage se fait de manière
concomitante avec la réalisation du projet. Ceci diffère des pratiques habituelles dans lesquelles
le projet est souvent utilisé comment moyen de transférer des connaissances.
Dans ce cadre, la construction du projet doit d’abord commencer par l’objectif visé et donc
par l’élaboration des productions écrites et/ou orales qui vont permettre de rendre compte de
l’atteinte de l’objectif. N’oublions pas que c’est à travers une performance (et donc à travers
une activité de production) que l’on peut inférer un niveau de compétence. La compétence ne
se voit pas, elle est intrinsèque au sujet ; elle s’infère, c’est-à-dire que l’on peut en déduire un
niveau, à travers une performance qui, elle, est observable. Les activités de productions demandées ne seront que l’ « habillage » d’un descripteur correspondant à un niveau visé. A partir de
ce descripteur, qui est donc un descripteur de capacité (capacité à produire), il faudra analyser
ce qui relève de la connaissance grammaticale et linguistique d’un côté, et de la capacité pragmatique (traitement de l’information) de l’autre. Ces connaissances et ces capacités devront être
intégrées aux différentes étapes d’apprentissage, afin que les connaissances et les capacités
mobilisables dans les productions aient fait l’objet d’un apprentissage en amont. A cet égard,
il faut veiller à ce que l’énoncé des activités de production soit écrit de telle sorte que certaines
connaissances et capacités soient mobilisables. Il ne saurait être question de dire aux apprenants d’utiliser tel et tel point de grammaire par exemple, car, dans ce cas, il s’agirait d’appliquer
des connaissances et non pas de les mobiliser. Chaque étape est un pas de plus vers le niveau
visé et donc vers la réalisation du projet. Cela signifie que chaque étape doit conduire vers le
niveau final visé ; par conséquent les activités liées à l’apprentissage doivent aller de manière
croissante en termes de difficultés. Si la production qui permet de rendre compte du projet
relève d’un niveau B1, cela signifie que les premières activités proposées peuvent, et doivent,
être accessibles à un apprenant ayant un niveau de compétence A2. Il ne faut pas oublier que la
construction d’une compétence est un processus. Il convient toutefois de remarquer que l’utilisation d’un référentiel n’exclut pas l’utilisation d’un programme grammatical établi en termes
d’attendus par niveau. De fait, construire une compétence, c’est développer des stratégies qui
permettent de faire face à des situations imprévues, comme le souligne Edgar Morin, le développement des stratégies, loin de supprimer les programmes, accroît les occasions d’utiliser des sé36
quences programmées, qui économisent énergies, temps, attentions, et permettent le plein emploi
des compétences stratégiques sur les points et moments décisifs7.
Cela signifie que plus grand sera le nombre de connaissances et de capacités mobilisables,
plus facile il sera de se concentrer sur les stratégies à mettre en place. Ainsi, faire une utilisation
croisée d’un référentiel et d’un programme permet d’inclure l’apprentissage de la grammaire
dans une démarche qui vise à mettre l’apprenant en action8 à travers la réalisation d’un projet. Prenons un exemple pour rendre notre propos plus concret. Nous avons choisi l’interaction
écrite (production écrite avec un destinataire) pour rendre compte de l’accomplissement d’un
projet. Nous visons le niveau A2. Voici le descripteur :
Peut écrire des notes et des lettres personnelles pour demander ou transmettre des informations
d’intérêt immédiat et faire comprendre les points qu’il ou elle considère importants. L’énoncé de l’interaction que nous demandons dans le cadre du projet pourrait être : « tu
rédigeras une lettre à ton ami pour lui raconter ton séjour à Paris et lui donner envie d’y aller ».
Notre énoncé n’est que l’habillage du descripteur9. Or quand on analyse le descripteur,
on se rend compte que :
• pour « écrire une note ou une lettre », un certain nombre de connaissances grammaticales
sont nécessaires : la construction des phrases simples, les connecteurs et les phrase composées, les temps présent et passé. Au niveau des capacités pragmatiques, il faut être capable
de restituer de l’information sans nécessairement être capable d’argumenter et il faut être
capable de respecter le registre de langue spécifique au format de la lettre
• pour « faire comprendre les points importants », il faut avoir des connaissances grammaticales : le superlatif et le comparatif par exemple ; au plan pragmatique, il faut être capable
de choisir les informations pertinentes et de les organiser de manière « didactique ».
Pour conclure, nous dirons qu’avec la démarche communic’actionnelle, le rôle de l’enseignant change car nous assistons à un changement de paradigme. Avec le passage du paradigme de la connaissance au paradigme de la compétence, le rôle de l’enseignant ne consiste
plus à transmettre des savoirs, mais à faciliter l’appropriation de connaissances. Faciliter l’appropriation de connaissances, c’est construire un projet qui donne du sens aux connaissances,
en montrant, à chaque étape, leur utilité par rapport à l’objectif à atteindre. L’appropriation de
connaissances, néanmoins, ne doit pas être déconnectée du développement de stratégies qui,
seules, permettent de faire face à situations imprévues et donc de rendre autonomes en tant
qu’utilisateur de la langue. Cela signifie qu’en élaborant son projet, l’enseignant doit veiller à
ce que l’apprentissage ne consiste pas simplement à l’accumulation de connaissances, mais
aussi à la mise en place de stratégies qui permettent de réfléchir à l’utilisation pertinente de
ces connaissances. Ainsi l’enseignant ne doit pas avoir pour seul objectif que les apprenants
7. E. Morin , 1985, p. 226
8. C. Bourguignon, 2010
9. C. Bourguignon, 2011
37
maîtrisent des connaissances, mais de plus qu’ils sachent les mobiliser. Enfin rappelons que
construire un projet qui vise la mobilisation de connaissances n’a de sens que si la démarche
d’évaluation est en adéquation avec la démarche d’enseignement/apprentissage10. L’évaluation
ne visera pas la maîtrise d’une connaissance ou d’une capacité par rapport à une norme pré-établie (ce qui nous renvoie à une mauvaise utilisation des échelles de niveaux mentionnée précédemment) mais la validation d’un niveau de compétence sur une échelle en lien avec le degré
de mobilisation des connaissances et des capacités.
Bibliographie
C. BOURGUIGNON, Pour préparer au Diplôme de compétence en langue – clés et conseils, Paris,
Delagrave, 2011
C. BOURGUIGNON, Pour enseigner les langues avec les CERCL. Clés et conseils, Paris, Delagrave,
2010
C. BOURGUIGNON, « L’apprentissage des langues par l’action » in L’approche actionnelle dans
l’enseignement des langues, Barcelone, Difusion, 2009, p.49-77
C. BOURGUIGNON, « De l’approche communicative à l’approche «communic-actionnelle »: une
rupture épistémologique en didactique des langues-cultures», in Synergies Europe N°1, 2006
Conseil de l’Europe, Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, Paris, Didier,
2001.
E. MORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF éditeur, 1990
E. MORIN, La Méthode, Tome 2. La vie de la vie, Paris, Seuil, 1985
10. C. Bourguignon, 2011
38
L’identité et le devenir
professionnels de l’enseignant :
la formation des enseignants,
un impératif pédagogique
Mounia Sebane
Université de Mascara (Algérie)
Nous voudrions à travers cet article dresser un état des lieux de la situation de la formation
des enseignants du supérieur en Algérie. Cette formation est quasi-inexistante à l’université. En
effet, les enseignants de langue française sont pour la plupart de nouvelles recrues, qui ont en
guise de formation un module de psychopédagogie enseigné en 4ème année et un stage pédagogique de quelques heures durant l’année. Ils sont donc incapables de mettre à profit leurs
acquis théoriques sur le terrain pédagogique, d’adapter d’une part le contenu des cours au
niveau des étudiants, de répondre d’autre part aux besoins et aux spécificités des apprenants
et enfin de s’adapter aux réformes du système par la mise en place réfléchie de formations en
Licence et en Master.
Ces enseignants doivent impérativement être formés afin de jouer le rôle qui leur est assigné
au sein, non seulement de l’université (en développant la politique éducative et linguistique du
pays) mais aussi dans la société en tentant d’être un acteur social et en promulguant les valeurs
du plurilinguisme et du pluriculturalisme.
1. Panorama linguistique de l’Algérie
L’histoire mouvementée de la langue française en Algérie et ses effets sur l’école et l’université expliquent en partie l’échec de l’apprentissage de cette langue et dans cette langue (Abid,
2003; Sebane, 2008). Tantôt langue seconde, tantôt langue étrangère, tantôt langue d’enseignement, quelquefois reniée ou ignorée totalement dans les régions les plus reculées du pays,
selon les politiques des gouvernants et, en particulier, la politique d’arabisation, la langue française change de statut sans pour autant que les méthodes d’apprentissage/ enseignement et la
formation des enseignants puissent s’adapter (Abid-Houcine, Legros et Marin, 2006).
En effet, les conflits linguistiques entre la langue arabe et la langue française se sont exacerbés avec la mise en place du processus d’arabisation en 1978. Ce processus fut entamé avec un
objectif clairement établi : remplacer le français considéré comme la langue du colonisateur par
la langue nationale et officielle, l’arabe, rétablissant ainsi la situation qui prévalait avant 1830.
C’est par le système éducatif que cette politique d’arabisation a débuté. Elle a pris d’abord la
forme de formations accélérées de professeurs, et l’augmentation du volume horaire de l’enseignement de l’arabe (10 heures sur 30 heures de cours), ensuite, pour l’arabisation totale dès la
1ère année du primaire, en faisant appel à des enseignants des pays du Moyen-Orient sans formations pédagogiques. Ces mêmes enseignants devaient assurer l’arabisation et la formation
39
des maîtres dans cette matière créant ainsi des situations d’incompréhension chez les élèves,
l’arabe dialectal égyptien étant différent de l’arabe dialectal algérien. Grandguillaume (1983,
p.50) ajoute que :
Cette arabisation [s’est faite] sans formation pédagogique. Celle des enseignants orientaux
étant plus problématique (la plupart était des artisans dans leur pays) et leur langue (égyptienne)
leur rendant la communication avec leurs élèves arabes et surtout berbères difficile, voire
impossible.
Le projet éducatif, basé sur un système entièrement bilingue jusqu’à la première réforme
scolaire en 1978, relègue l’enseignement de la langue française à la 4ème année du primaire.
Alors que dans le cycle moyen et secondaire, elle est enseignée comme une langue étrangère.
Les sections bilingues qui cohabitaient avec les sections arabisées avec un baccalauréat dans les
deux types de sections vont être progressivement remplacées par une seule et unique section
arabisée où toutes les matières telles que les sciences physiques, la chimie, les mathématiques
sont enseignées en arabe. La langue française est considérée ainsi comme une langue étrangère, au même titre que l’anglais, l’espagnol ou l’allemand.
Malgré toutes les dispositions prises à l’encontre de l’enseignement de la langue française,
cette langue n’a cependant pas disparu du système éducatif. Elle a résisté dans les cycles primaire, moyen et secondaire comme langue étrangère. Et reste langue d’enseignement à l’université dans les disciplines scientifiques comme la physique, la chimie, les sciences médicales,
les sciences économiques et ou les disciplines techniques.
Cependant, l’un des paradoxes de la politique d’arabisation – et aussi l’une des principales
causes des difficultés des étudiants – est qu’après des études menées du cycle primaire au secondaire en langue arabe, comme langue d’enseignement et de scolarisation, les modules des
filières scientifiques (médecine, sciences économiques, sciences physiques) à l’université sont
enseignés en français. Cette situation pose de sérieux problèmes d’apprentissage et d’inévitables blocages chez les étudiants incapables de construire des connaissances dans leur domaine d’étude. Beaucoup d’entre eux se trouvent en effet démunis de tout le bagage linguistique et métalinguistique nécessaire à la compréhension et à l’apprentissage tout au long de
leurs études.
C’est cette situation qui est à l’origine de grandes difficultés et de nombreux échecs non
seulement chez les nouveaux bacheliers de filières scientifiques qui sont formés en langue
arabe dans le secondaire et en langue française à l’université mais aussi chez les étudiants qui
se spécialisent en langue française. Ceux-ci se retrouvent avec un niveau A1/A2 selon le Cadre
Européen commun de référence pour les langues (CECRL, 2001). Ils ont non seulement des difficultés à communiquer avec leur professeur, mais aussi à suivre un cours magistral ou des travaux dirigés. Ils éprouvent même des difficultés à lire les textes de haut niveau et des polycopiés
et sont donc incapables de prendre des notes, de faire des synthèses ou des résumés de textes,
des exposés ou des fiches de lectures. Ce sont ces mêmes étudiants qui six années plus tard
vont enseigner à l’université…
De plus, le programme de licence classique ou même la licence nouveau régime, de Master
et Doctorat (LMD) laissent peu de place à des formations destinées aux futurs enseignants. Les
modules tels que la psychopédagogie et le stage de formation à l’enseignement ne sont pas
suffisants pour former des étudiants à ce métier fort ardu.
40
Ces mêmes étudiants, démunis linguistiquement et méthodologiquement, vont pour la
plupart postuler pour des métiers d’enseignants soit dans les cycles primaire, moyen (collège)
ou secondaire ou bien se présenter pour des concours nationaux de magister qui feront d’eux,
deux années plus tard, des enseignants à l’université. C’est là où le bas blesse !
Pour justifier ce qui vient d’être avancé plus haut, voici le programme de psychopédagogie,
qui comme nous le voyons est plus axé sur la théorie que sur la pratique :
1. Les théories en psychopédagogie : Piaget /Wallon/ Vygotsky /Bruner : 2. Le béhaviorisme.
3. Le cognitivisme. 4. Psychologie de la motivation. 5. Pédagogie de la maitrise. 6. La pédagogie
par objectifs. 7. La pédagogie par projets. 8. La pédagogie différenciée. 9. La pédagogie par les
compétences. 10. Situation problème.
De plus, sachant « qu’on définit traditionnellement l’enseignant et son enseignement par un
contenu, c’est-à-dire une matière, ou une discipline » (Perpel, 2002, p: 7), cet enseignant doit
être en mesure de fixer des objectifs, de suivre un programme, de le mettre à niveau des apprenants, d’évaluer ces même apprenants à différents moments de la formation. Car enseigner, toujours selon Perpel (2002, p. 7), c’est « tenter de communiquer une partie de ses connaissances
à des élèves qui doivent les acquérir. Ce sont ces savoirs, caractéristiques d’une matière et d’un
cycle qui constituent un programme. ».
Le niveau de compétences requis par ces enseignants doit être suffisamment élevé non seulement dans la spécialité mais dans d’autres domaines afin de pouvoir transmettre et installer
des compétences transversales chez les apprenants. « Toutefois chacun sait pour l’avoir expérimenté en tant qu’élève ou enseignant, que cette approche est à la fois nécessaire et …insuffisante. » (Perpel, 2002, p. 8).
Ce problème du niveau de compétences débattu lors du mini colloque de l’AIPU (Association
Internationale de Pédagogie Universitaire) en mai 1999 à Montréal a fait l’objet d’un rapport qui
définit les compétences de l’enseignant universitaire (Parmentier, 2000). Nous en donnons les
grandes lignes :
• Adopter une représentation de l’acte d’enseigner et d’apprendre susceptible de rendre son
activité d’enseignement la plus efficace possible (en termes de gains d’apprentissage).
• Planifier et mettre en œuvre des activités d’enseignement (choix et articulation des objectifs, des méthodes d’enseignement, des contenus, des supports, etc.) pertinentes, efficaces
et efficientes.
• Planifier et mettre en œuvre les activités d’évaluation des apprentissages (choix et articulation des critères, des méthodes d’évaluation, des instruments, techniques de correction,
etc.).
• Maîtriser les diverses formes de la communication pédagogique (expression orale et écrite,
communication non verbale, utilisation des multimédias, etc.).
• Animer et gérer les interactions dans des groupes d’étudiants de tailles diverses
• Accompagner les étudiants dans leurs apprentissages (tutorat, accompagnement méthodologique, évaluation formative, etc.).
41
Par ailleurs, ces enseignants ont suivi quelques heures de stage qui leur ont permis de valider leur 4ème année. Ces stages se déroulaient, il y a quelques années, dans les lycées avec des
enseignants chevronnés comme encadreurs. Mais ces dernières années, ils se passent au sein
du département de français avec des séances d’observation dans le module « Pratique de la
langue orale ou écrite » et une seule séance de pratique, c’est-à-dire un seul cours présenté par
l’étudiant à ses pairs de 1ère année.
Donc le seul « contact » avec le métier d’enseignant se limite à quelques heures de cours. La
donne est faussée mais identique que ce soit pour les étudiants qui se prédestinent à une carrière d’enseignants à l’université ou bien pour ceux qui vont enseigner à l’éducation nationale.
La formation est quasi inexistante.
La tâche est encore plus laborieuse dans le système LMD car ces jeunes recrues sont habilitées par la loi du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique à ouvrir
des parcours Licence et Master. Donc, elles doivent être capables d’exprimer des buts, des finalités, de les transformer en objectifs opérationnels, d’élaborer des programmes et enfin d’adapter
ces parcours à des contextes socio-économiques compétitifs dans le monde de l’emploi. Le
tout dans une parfaite harmonie à l’ère de la mondialisation avec la politique linguistique et
éducative du pays.
Ce dernier prône le pluriculturalisme, le plurilinguisme et l’ouverture sur le monde de l’apprenant algérien. L’enseignement/apprentissage des langues étrangères est revalorisé avec la
multiplication de parcours en langues qui ne peuvent qu’ouvrir les étudiants et l’université sur
le monde extérieur. Citons brièvement les grands axes de la réforme du système éducatif, préconisée par le Ministère de l’Éducation Nationale d’octobre 2003:
• Traduire à l’école les changements institutionnels, économiques, sociaux et culturels intervenus en Algérie au cours des dernières années, afin de permettre à l’école de mieux
véhiculer les valeurs de tolérance et de dialogue, et de préparer les élèves à exercer leur
citoyenneté dans une société démocratique.
• Permettre à l’école d’assurer au mieux sa fonction d’éducation, de socialisation et de qualification.
• Rendre l’enseignement accessible au plus grand nombre, et garantir à chacun des chances
égales de réussite.
• Répondre au défi de la mondialisation de l’économie, qui nécessite des qualifications de
plus en plus élevées et de plus en plus compatibles aux exigences de mobilité professionnelle – Recourir aux technologies de l’information et de la communication pour les apprentissages scolaires, et apprendre à utiliser celles-ci dans les différents secteurs de la vie active.
2. Enquête auprès de jeunes enseignants, analyse des réponses et propositions
Devant un tel constat, nous ne pouvons que nous poser la question suivante : comment
demander à des enseignants dépourvus de savoir-faire en matière d’enseignement de développer toutes ces compétences, de former des étudiants, de dispenser un savoir et un savoir-être,
42
sachant pertinemment que le métier d’enseignant nécessite non seulement l’acquisition de savoirs disciplinaires mais aussi l’acquisition de compétences pédagogiques ?
Nous posons l’hypothèse que les échecs et la baisse de niveau des étudiants, tellement décriés par les enseignants, seraient peut être dus au manque de formation des enseignants, tant
sur le plan linguistique que sur le plan pédagogique. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons
élaboré un questionnaire (cf. Annexe) que nous avons fait passer à 20 enseignants âgés entre
25 et 30 ans nouvellement recrutés à l’université. Les enseignants de l’université qui ont déjà
enseigné au lycée (donc plus anciens dans l’enseignement) ont été écartés de l’enquête.
Nous avons travaillé avec le logiciel SPSS 18, ce qui nous a permis d’avoir des résultats fiables.
Voici les résultats de notre enquête. Nous avons analysé d’abord le facteur âge, et année de
recrutement
dans notre échantillon d’enseignants pour tenter de démontrer que les facteurs
âge et l’inexpérience sont autant d’éléments qui rentrent en jeu dans ce manque de formation.
[Tableau
1 : Moyenne
d’âge des
enseignants]
Tableau
1 : Moyenne
d’âge
des enseignants
Le tableau1 montre que 26 ans est l’âge moyen des enseignants.
À la première question, « Comment définiriez-vous votre niveau de langue ?» les enseignants
ont pour la plupart situé ce niveau à un stade « intermédiaire » : 90% des enseignants interrogés
déclarent avoir un niveau intermédiaire et 8% un niveau avancé.
43
[Tableau 2 : Niveaux de langue des enseignants]
À la question « d’une échelle de 1 à 5 notez vos compétences à l’écrit et à l’oral ? », nous avons
obtenu les résultats suivants à l’écrit : plus de 50% des jeunes enseignants pensent avoir un
niveau intermédiaire, 20% un niveau faible, et 20 % un niveau élevé :
[Tableau 3 : Niveaux de compétences à l’écrit des enseignants]
44
Par contre au niveau de la compétence à l’oral, 40% des enseignants déclarent avoir le niveau
intermédiaire à l’oral mais plus de 30 % un niveau faible et plus de 20% un niveau fort. Les enseignants se sentent plus fragile à l’oral.
[Tableau 4 : Niveaux de compétences à l’oral des enseignants]
À la question « Si vous deviez suivre un stage, sur quelle compétence voudriez-vous être
formé en priorité », nous avons obtenu les résultats suivants :
[Tableau 5 : Compétences à acquérir par les enseignants]
Les enseignants sont unanimes pour répondre que c’est la compétence à enseigner qui leur
fait défaut. 35% d’entre eux déclarent qu’une formation est indispensable afin de développer
leurs compétences à l’écrit et à l’oral et enfin 5% aurait besoin d’une formation à l’oral et à l’interculturel.
45
Si nous croisons les compétences à acquérir avec le niveau de langue des enseignants, nous
obtenons les résultats suivants :
[Tableau 6 : Croisement compétences à acquérir par les enseignants et
niveaux de langue]
C’est la compétence à enseigner qui est l’une des préoccupations majeure des enseignants.
Vient ensuite le développement de la compétence à l’écrit et à l’oral et enfin la compétence à
l’oral et à l’interculturel.
En conclusion, quelques propositions…
Face aux résultats obtenus, c’est la formation qui apparaît comme le facteur essentiel et impératif pour les enseignants interrogés. Il y va de la qualité de la formation des étudiants.
Voici ce que nous proposons pour les nouvelles recrues
• la mise ne place d’un tutorat avec des enseignants expérimentés.
• la création d’instituts de formation des enseignants au niveau des universités, à l’instar des
écoles normales. Les professeurs stagiaires apprendraient à adapter leurs cours aux différents contextes d’enseignement dans lesquels ils vont évoluer. Ainsi ils seront bien préparés
à prendre conscience du rôle important qu’ils doivent jouer non seulement au sein de l’éducation nationale, mais aussi dans la société algérienne en général, leur rôle étant d’autant
plus grand que cette société est en pleine mutation.
• l’apprentissage des concepts fondamentaux de l’enseignement. Les futurs enseignants
doivent savoir choisir les démarches pédagogiques les mieux adaptées aux publics selon
les savoirs à faire acquérir. Il est impératif de leur faire prendre conscience de l’évolution de
46
la discipline qu’ils enseignent. Ils doivent développer leurs compétences dans leur domaine
et déployer des stratégies d’enseignement qui aident les apprenants à mettre en place des
stratégies d’apprentissage adéquates en fonction des objectifs définis.
• la création d’espaces de discussion, de réflexion et d’échanges d’expériences en lien avec les
associations de professeurs de français.
Une vraie réflexion pédagogique s’impose à l’université. Elle doit permettre l’acquisition de
compétences pédagogiques sérieuses et approfondies pour la nouvelle génération des enseignants. Une réforme de l’offre de formation et des curricula en licence et master est incontournable.
Bibliographie
S. ABID, « Analyse de la situation linguistique en Algérie ». Revue de Littérature et Sciences
Humaines, vol. 3, 2003, p.11-13.
S. ABID-HOUCINE, D. LEGROS ET B. MARIN. « De l’usage du manuel de langue dans la construction
d’une pensée et d’une idéologie ». Didactique et Interculturalité, 3, 2006, p.28-41.
Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues. Apprendre, enseigner,
évaluer, Didier, Paris, 2001.
G. GRANDGUILLAUME, Arabisation et politique linguistiques au Maghreb, Maisonneuve et Larose,
Paris, 1983.
Ph .PARMENTIER, Rapport du mini-colloque sur la formation pédagogique des nouveaux enseignants à l’université. Colloque de l’AIPU, mai 1999, Montréal, 2000.
Rapport du Ministère de l’éducation Nationale sur la réforme du système éducatif, 2003.
P. PERPEL, Se former pour enseigner. Édition Dunod. Paris, 2002.
M. SEBANE « L’effet de deux modalités de prise d’information (audition d’un CM vs lecture d’un
polycopié) sur la réécriture d’un texte de spécialité en langue L2. Un enjeu pour la didactique
de l’apprentissage en L2 et l’évaluation des compétences en production. » Synergies Algérie 2,
2008, p. 117-123.
Annexe
Questionnaire destiné aux enseignants de langue française
1-
Age ………………………………………………………………………….
2-
Sexe : M : o F : o
3-
Année de l’obtention de :
a. votre baccalauréat…………………………………………………..
b. de votre licence ……………………………………………………..
47
c. de votre magister ……………………………………………………
d. de votre recrutement à l’université………………………………….
4-
Comment définiriez-vous votre niveau en langue ?
o Débutant
o Intermédiaire
o Avancé
5-
D’une échelle de 1 à 5 notez vos compétences : À l’écrit …………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………
À l’oral ……………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………
6-
ombien de modules relatifs à l’enseignement avez-vous suivi durant votre cursus
C
universitaire ?
…
……………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………
7-
Si vous deviez suivre un stage, sur quelles compétences voudriez-vous être formés en
priorité :
o Compétence à l’écrit :
o Compétence à l’oral :
o Compétence à enseigner :
o Compétence culturelle :
Précisez la raison de votre choix :
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………….
48
Nouvelles stratégies
de la formation des futurs professeurs
de FLE en Russie
Olga Kukharenko
Université pédagogique d’État de Blagovechtchensk (Russie)
A l’époque du renouvellement du système éducatif en Russie, il devient indispensable de
développer les méthodes et les technologies de la formation pédagogique. La formation des
futurs professeurs se restructure, en s’inscrivant dans une logique mondiale. Le «nouvel» enseignant des écoles doit non seulement transmettre des savoirs mais aussi apprendre à apprendre
aux enfants. Il doit aussi apprendre à devenir un acteur actif de la société moderne et progresser
continuellement. Il doit être un enseignant bien instruit, intègre, compétent, initiateur, apte à
s’adapter aux nouvelles réformes, ouvert à la communication interculturelle. Son activité professionnelle s’oriente vers un enseignement créatif. Il est devenu important pour lui d’apprendre
à s’orienter parmi les spécificités des technologies modernes et d’acquérir les connaissances
et les compétences spécifiques qui en découlent pour monter des projets innovants en phase
avec les besoins des apprenants et les contextes culturels et économiques, locaux, nationaux
et internationaux.
En tant que formatrice de futurs professeurs des langues étrangères, je fais des recherches
sur le développement de leur culture professionnelle, et plus précisément sur l’introspection
psychopédagogique comme moyen de leur auto-développement professionnel.
De nombreuses recherches analysent les processus psychologiques de l’introspection
d’une personne, facteur important et condition indispensable pour son développement et son
auto-développement. Parmi ces processus nous pouvons citer : auto-conscience, auto-observation, auto-compréhension, auto-contrôle, auto-attitude, auto-régulation, etc. Les représentants
de la psychologie humaine russe (L. Vygotski, L. Bojovitch, I. Kon, F. Orlov, V. Slobodchikov, V.
Stolin, G. Tsukerman, …) parlent de l’auto-conscience d’une personne en tant qu’une évaluation
de ses possibilités subjectives au niveau de l’esprit et des émotions. Cette évaluation sert de
fondement pour ses actes et ses actions rationnels. Les concepts de l’auto-conscience (M.
Bakhtin, D. Bam, A. Lossev, V. Stolin, G. Chpet) sont basés sur l’idée principale selon laquelle
une personne conçoit elle-même ses états intérieurs et ses émotions en étudiant son propre
comportement et les conditions dans lesquelles elle se réalise. L. Vygotsky détermine l’auto-observation comme une sorte de contrôle dont des états psychologiques et des actions d’une
personne font l’objet.
Dans la psychologie américaine et européenne les questions de l’auto-conscience, l’auto-attitude, l’auto-contrôle sont étudiées dans les concepts de «l’image de soi» et du «concept de
49
soi». D. Super (1963) définit le concept de soi « comme un portrait de soi dans un certain rôle,
une certaine situation ou position, en train d’exécuter un ensemble déterminé de fonctions,
ou impliqué dans tel réseau de relations». Il présente la conception de soi comme le principe
directeur qui guide l’évolution d’une personne et sa carrière professionnelle. «Le processus du
développement professionnel est essentiellement celui du développement et de l’accomplissement de la conception de soi». Les pédagogues russes A. Markov, V. Kan-Kalik, N. Nikandrov
trouvent une corrélation entre les processus de l’auto conscience d’un professeur et le niveau de
ses compétences professionnelles. Les différents aspects de la formation de l’auto-conscience
professionnelle des pédagogues sont étudiés notamment par O. Dolgovykh, I. Vatchkov. Les
particularités de l’auto-conscience et de l’auto-contrôle du comportement sont analysées
dans les travaux de V. Morosanova et E. Aronova. La réflexivité pédagogique est examinée par
T. Morozova, G. Biktagirova comme un facteur et une base de l’auto-développement professionnel d’un professeur. G. Zvenigorodskaya a argumenté sa conception pédagogique de
l’influence de l’éducation réflexive sur le processus de l’auto-développent d’une personne qui
intensifie ses mécanismes et ses moyens de l’auto-connaissance. А. Derkatch, B. Zimnyaya, N.
Kuzmina explique la compétence auto-psychologique d’un professeur en tant qu’une capacité
de s’orienter dans son espace personnel intérieur et un empressement à un travail rationnel
visant le changement et l’évolution de ses traits et ses caractéristiques de comportement.
Les théories pédagogiques de I. Nazarova et N. Rogojkina parlent de l’autodiagnostic comme
condition du développement des compétences professionnelles d’un professeur.
Pour mieux comprendre les spécificités du développement de l’introspection psycho-pédagogique des futurs professeurs de FLE et pour former notre propre concept, il nous a été aussi
important d’étudier des idées, des positions et des conceptions philosophiques sur la question.
Nous avons basé nos recherches surtout sur les travaux de N. Berdayev, I. Kant, V. Soloviev, V.
Frankl, E. Fromm. Ces grands penseurs défendaient l’idée d’une nature humaine unique qui
n’arrête jamais de se connaître et de se développer et dont il n’est jamais possible de connaître
tout à fait les subtilités de l’âme.
Nous sommes arrivée aux conclusions suivantes :
1. L’introspection psychopédagogique est un processus psychologique complexe non
linéaire et spontané qui vise la recherche et l’étude de soi-même afin de se comprendre, de se
rendre compte de ses qualités personnelles et professionnelles, des spécificités de l’expression
de soi-même et du comportement.
2. Les qualités personnelles et professionnelles d’une personne, sa conduite et son expression
font l’objet de l’introspection psycho-pédagogique du premier niveau. Au second niveau ce sont
les qualités existentielles d’une personne qui deviennent l’objet de son introspection. Ici nous
pouvons mentionner: la prise de conscience de sa valeur unique personnelle, la compréhension
de la morale de sa conduite, l’expression personnelle dans la situation de choix de valeur, le
savoir agir conformément à sa liberté personnelle, le savoir-faire pour la résolution des difficultés de la vie, une position dans une vie active qui vise la transformation et le développement
50
de l’environnement et de soi-même en tant que sujet de cette activité.
3. La réflexion, mécanisme principal de l’introspection psycho-pédagogique, assure
l’interprétation des sens, des valeurs et des stratégies et permet à l’enseignant de mieux se
comprendre et se contrôler.
4. La culture de l’introspection psycho-pédagogique représente une néoformation psychologique personnelle de l’enseignant. Cette qualité contribue à une meilleure auto-compréhension et auto-conscience dans ses activités professionnelles et joue un grand rôle dans le
développement de la culture professionnelle de l’enseignant et donc de sa culture générale.
En fait c’est l’ensemble des connaissances, convictions, valeurs, expériences subjectives
et moyens d’expression qui assurent l’introspection psycho-pédagogique de l’enseignant et
l’oriente dans le processus de l’auto-développement professionnel.
Suite à notre analyse détaillée de la théorie philosophique, psychologique et pédagogique,
nous avons organisé notre travail experimental au sein de l’Université pédagogique d’Etat de
Blagovechtchensk avec les étudiants en 2e, 3e et 4 années, futurs professeurs de français langue
étrangère du secondaire. Nous avons organisé le processus de formation des futurs professeurs
de manière qu’ils puissent prendre cette habitude de l’auto-questionnement, de l’examen de
soi-même dans le but de changer et devenir plus performants personnellement et professionnellement. Cet enseignement a été basé sur trois objectifs principaux:
• actualiser et valoriser la culture de l’introspection psychopédagogique chez les futurs
enseignants;
• innover les moyens de la création et de la réalisation des projets interculturels;
• accompagner l’introspection psychopédagogique des futurs enseignants lors de leur
stage professionnel à l’école secondaire.
Dans le cadre de cette intervention, nous voudrions nous arrêter sur les axes principaux de
notre travail et présenter brièvement les résultats.
Axe 1: Valorisation de la culture de l’introspection psychopédagogique chez les futurs
enseignants
Afin de réaliser l’objectif d’actualiser et valoriser la culture de l’introspection psychopédagogique chez les futurs professeurs de FLE, nous avons organisé pendant une année universitaire
(deux semestres) l’enseignement d’un cours spécifique «Culture de l’introspection comme
catégorie psychopédagogique». Ce cours est destiné aux étudiants de 2e année. Il est enseigné
en deux étapes : conférences théoriques (10 heures) et cours pratiques (62 heures). La partie
théorique vise à approfondir les connaissances théoriques des étudiants sur la problématique
étudiée et à développer leur savoir-faire de l’auto-examen et l’auto-compréhension.
51
Les cours pratiques sont basés sur l’interaction intensive du formateur avec les étudiants et
celle des étudiants entre euх. Ils sont orientés vers la stimulation des processus psychologiques
de l’auto-étude de leur conscience personnelle et professionnelle. Ici nous pouvons citer des
jeux et des trainings psychlogiques de toutes sortes qui visent un travail intensif de l’autoétude.Il est évident qu’en se comprenant mieux on comprend mieux l’Autre et on accepte la
personnalité de l’Autre en tant que valeur incontestable. Cette qualité est indispensable pour
un enseignant. Parce qu’aujourd’hui, enseigner, ce n’est pas seulement transmettre des connaissances, c’est aussi concourir à la culture personnelle et intellectuelle des élèves.
L’enseignant, reconnaissant son élève comme une personnalité intègre, vise à lui donner le
goût de l’étude et l’envie de poursuivre ses apprentissages et son enrichissement intellectuel.
Pour l’enseignant, se positionner et se développer dans le cadre de sa profession, c’est réfléchir
et adopter une position éthique. Ceci est possible, de notre point de vue, par l’auto-questionnement. Tout enseignant doit se poser des questions pour pouvoir éclaircir les ressorts
de son action, pour mieux comprendre pourquoi il agit de cette façon plutôt qu’une autre; il
comprendra mieux les orientations qu’il prend sans forcément s’en rendre compte, et ce faisant,
il pourra améliorer ses gestes professionnels.
Comprendre sa position éthique est un point important pour l’enseignant. Quand on sait
précisément quelle attention on porte sur les élèves, quelles représentations on a de l’apprentissage, de son propre rôle, quand on sait quelles valeurs on porte, quelles idées on valorise, alors
on est plus conscient de sa place dans son propre métier, mais on peut aussi plus facilement
justifier ses actions dans la classe et dans l’école ou face aux parents d’élèves.
Le questionnement éthique augmente l’identité professionnelle. Selon P. Meirieu (1991)
l’éthique est «l’interrogation d’un sujet sur la finalité de ses actes, et pour ce qui concerne les
enseignants pour faire advenir un Sujet». Comme résultat de ce travail nous constatons non
seulement une meilleure auto-compréhension de soi-même chez les étudiants mais aussi la
formation de nouvelles stratégies de changement de soi-même et de programmation de
l’auto-développement personnel et professionnel.
Axe 2: Apprendre à l’interculturalité en innovant
Notre choix des méthodes de travail pour cette étape a été déterminé par l’analyse de la
littérature théorique et l’expérience pratique, qui nous a permis de constater que le dialogue
des cultures représente un des moyens efficaces de l’auto-compréhension et de l’auto-développement de la personnalité de l’apprenant. Nous considérons l’interculturalité en tant
qu’enjeu didactique essentiel dans l’enseignement des langues étrangères. Par conséquent
nous constatons que l’interculturalité est un des moyens du développement de la culture de
l’introspection psycho-pédagogique d’un futur enseignant des langues étrangères et ainsi une
composante importante de sa compétence professionnelle pédagogique.
Nous avons pris en considération les idées de Marc Thomas (2005) qui dit que la compétence
52
interculturelle résulte d’un apprentissage mettant en jeu des méthodes actives d’expérimentation, des moyens d’observation, d’analyse et d’évaluation, des réflexions théoriques permettant
d’intégrer les acquis de l’expérience et de les confronter à d’autres expériences, d’autres points
de vue, d’autres interprétations. Pour nous, cet apprentissage nécessite trois conditions
indispensables :
• l’empathie : capacité à comprendre l’autre et à ressentir ce qu’il ressent sans nier les
différences et sans cesser d’être soi-même;
• le travail sur les divergences et les conflits : il permet l’explicitation des malentendus, des
émotions qu’ils suscitent, des valeurs différentes qui les génèrent, afin de passer du
conflit à la complémentarité créatrice;
• la volonté de coopération : partant du déséquilibre expérimenté dans les malentendus,
conflits et et les remises en cause de ses propres valeurs, les personnes se transforment
et trouvent un nouvel équilibre identitaire au coeur même des interactions; elles
peuvent alors coopérer et construire ensemble un monde nouveau : la complémentarité des différences engendre la créativité.
Nous croyons nécessaire d’apprendre à l’interculturalité en nous basant sur ces trois conditions tout en renouvelant les méthodes mises en pratique et en assurant le processus d’enseignement des échanges interculturels avec les locuteurs natifs dont on apprend la langue. Citons
certains projets interdisciplinaires et interculturels mis en place :
• le projet du journal francophone d’étudiant «Salut! Ça va?» publié par l’Université
pédagogique de Blagovechtchensk. Il réunit d’abord des francophones et des
amateurs de la langue française en Russie, des étudiants et des enseignants en France
et des francophones des autres pays du monde. L’objectif de ce projet est la coopération créative qui réunit non seulement des jeunes des régions et des pays différents
autour d’une affaire commune, mais surtout donne aux participants la possibilté de
s’exprimer et d’écouter les autres s’exprimer. Le partage des expériences de toutes
sortes permet de réfléchir plus sur soi, de se poser des questions et ainsi de chercher et
trouver des idées pour son développement personnel et professionnel.
• Le projet éducatif «Enseignant en Russie et en France: dialogue des cultures». Pour
sa réalisation, nous proposons à nos étudiants (4e année) d’étudier les spécificités
de l’enseignement et de la pédagogie en France, faire l’analyse comparative avec le
système de la formation des enseignants en Russie et monter un projet présentant
des pistes pour le perfectionnement du système de la formation des professeurs des
écoles en Russie. Pour cela, nous utilisons largement non seulement des documents
pris dans des méthodes de FLE et les médias français mais aussi les résultats de nos
recherches faites au sein de l’IUFM du Limousin. Lors de ces recherches nous avons
étudié et analysé les spécificités de l’enseignement pédagogique en France et avons
fait passer des questionnaires visant à révéler les différentes caractéristiques de la
culture professionnelle des futurs enseignants en France. L’utilisation de ces données
dans notre travail avec les futurs professeurs de FLE en Russie nous permet:
53
1) de faire connaître à nos étudiants le processus complexe de la formation des professeurs
en France (sa compléxité est surtout due à des réformes constantes dont nous sommes témoins
actuellement).
2) de leur faire apprendre à acquérir de «nouvelles capacités de distinction». Nos étudiants
entrent dans la culture pédagogique étrangère de l’extérieur, en y découvrant à chaque fois
de nouvelles distinctions par rapport à la leur. Ils réflechissent, se construisent, se développent
personnellement et professionnellement. Ainsi, nous avons imaginé un modèle de construction
de la culture pédadogique de nos étudiants: elle prendrait la forme d’un mouvement en spirale,
lequel, partant de Soi, se projette vers l’Autre pour revenir vers un Soi modifié.
Axe 3: Accompagnement de l’introspection psycho-pédagogique des futurs enseignants lors de leur stage professionnel à l’école secondaire
L’étape suivante de ce travail est l’accompagnement de l’introspection psycho-pédagogique
des futurs enseignants lors de leur stage professionnel à l’école secondaire (4e et 5 e années).
L’objectif est d’organiser la mise en place des projets innovants interculturels par les étudiants
stagiaires dans les écoles secondaires. Et puisque ce travail pédagogique est nouveau pour
eux et peut faire surgir certaines difficultés, nous proposons aux étudiants de se questionner
à chaque étape de la réalisation d’un projet en remplissant «une fiche de réflexion» suivant
les questions proposées. Ce questionnement leur permet de réflechir sur leurs actions, leurs
conduites, leurs compétences pédagogiques. A l’étape suivante, nous organisons la discussion
en groupes pour trouver des solutions aux difficultés qui auraient surgi. Ainsi, ensemble avec
nos étudiants, nous avons monté et réalisé plusieurs projets innovants interculturels pour les
élèves russes apprenant le français dans les écoles de la région de l’Amour, en collaboration avec
des collèges et lycées français.
« Réaménagement de la cour d’école »
Objectif : la réalisation en commun d’un projet informatique présentant les cours d’école de
trois pays différents : la France, la Colombie et la Russie extrême-orientale. Ces trois pays ont
été choisis en raison de la grande différence entre les cultures, la géographie, le climat, le mode
de vie des élèves, etc. Les élèves français (collège le Colombier d’Allassac) devaient d’abord par
mail réaliser un sondage auprès des élèves russes, français et colombiens, afin de connaître
leurs activités culturelles et sportives, l’organisation de leurs journées d’étude, la durée des
récréations, etc. ainsi que leurs souhaits pour leur cour d’ecole. Puis, grâce au logiciel Google
Earth et aux explications des élèves russes et colombiens, ils ont pu dessiner le plan de l’endroit
où le réaménagement aurait lieu pour chaque pays. Puis, il fallait l’importer au logiciel Sketchup
qui permet de dessiner les bâtiments en 3D. Finalement les élèves français ont pu faire leurs
propositions de réaménagement de cour d’école aux élèves de la Russie et de la Colombie.
Tout le travail de notre côté a été organisé par les étudiants stagiaires. Certes, les projets
réalisés par les élèves français ne sont pas tous de très haut niveau, c’était juste un projet
54
éducatif fait dans le cadre du programme en technologie. Pour nous l’objectif principal a été
atteint, celui d’organiser un dialogue interculturel. Nous avons réussi à entraîner nos élèves à cet
échange, et en général ce projet leur a permis d’avoir un vrai contact avec la France si éloignée
et dont ils étudient la langue.
« Créer et faire vivre un blog interculturel »
Objectifs: organiser un dialogue interculturel entre les élèves en français de Russie et la
France; apprendre aux élèves à utiliser les TICE, à créer un blog, à s’exprimer individuellement ou
en groupe; favoriser l’autonomie des élèves et leur prise d’initiative, leur apprendre à travailler
en équipe; élargir le regard des élèves vis-à-vis de leur environnement proche, par une mise en
perspective de leur point de vue à travers un dialogue avec des élèves dont la culture les dote
d’un point de vue différent.
Le projet « Allô! Pau? C’est Blago! » a été réalisé sur la plateforme des francoblogs gérée par le
Service d’action et de cooperation culturelle de l’Ambassade de France à Moscou, par les élèves
du Lycée Louis Barthou de Pau et de l’école №5 de Blagovechtchensk.
En premier lieu les participants au projet font connaissance par des présentations et des
échanges amicaux. Puis ils passent à la publication de billets du blog accompagnés d’images
et de photos présentant leur pays, leur ville, leur environnement proche, leurs goûts, leurs
préférences et d’autres sujets liés de près ou de loin avec le contenu de leurs cours de français.
Ce projet insiste davantage sur l’objectif de mettre les élèves face à leurs difficultés linguistiques à l’écrit tout en les mettant en valeur par le partage interculturel. Davantage porté sur la
didactique du français, ce projet nous semble fortement nécessaire pour les publics scolaires:
la correspondance avec des élèves d’une autre culture permet une valorisation individuelle, et
les difficultés rencontrées pour la compréhension écrite et la rédaction sont abordées collectivement (groupes ou binômes). Mêlant pédagogie de l’erreur (l’élève n’appréhende pas de la
même manière ses «échecs» avec un correspondant étranger et la mise en commun de son
travail), rupture des rythmes de travail (passage entre la recherche lexicale individuelle et la
réflexion de groupe d’une part mais également la possibilité de revenir sur cette correspondance durant les temps libres) et français de la communication, ce projet continuera à viser
l’excellence – critère déterminant pour notre activité – à travers une réalisation commune pour
les élèves. Cet échange permet de sensibiliser les jeunes à l’importance et à l’utilité de l’apprentissage des langues étrangères en tant que moyen de s’exprimer, de connaître une culture
originale et différente, aussi de se faire connaître.
«Protégeons notre planète ensemble!»
Il faut dire que ce projet est inédit dans son genre. Il est à nos yeux, réellement original pour
la Russie puisqu’il mêle une langue – le français - à une problématique contemporaine étudiée
dans un dialogue interculturel. Le projet concerne le développement durable et plus largement
la société civile.
55
Il a pour objectifs: d’étudier les principaux problèmes du développement durable; de faire
découvrir les différentes sources d’énergie, les formes d’économies d’énergie et des énergies
renouvelables; de faire comprendre les effets causés par le gaspillage de l’énergie, les impacts
écologiques, économiques et sociaux en France et en Russie; d’étudier des solutions techniques
mises en œuvre avec leurs avantages et leurs inconvénients dans ces deux pays; de comprendre
l’impact culturel sur l’architecture des deux pays, de pouvoir expliquer que pour un même
besoin et un même environnement et contexte géographique et culturel, on peut aboutir à des
mises en œuvre et des solutions différentes.
Au cours de l’année scolaire les élèves français du collège Ronsard à Limoges (en cours de
technologie) et les élèves russes des écoles de Blagovechtchensk, Novoboureysk, Ouglegorsk
et Kovrijka de la région Amourskaya (en cours de français) étudient les problématiques du
développement durable. Ils se concentrent surtout sur les questions de la consommation
de l’énergie et les solutions pour l’économiser. Parallèlement, ils sont amenés par groupes à
communiquer sur un blog. Ils se posent des questions pour connaître les particularités et les
spécificités des solutions apportées actuellement comme réponse aux problèmes écologiques
en France et en Russie.
Cet échange doit permettre aux élèves français et russes de présenter et de comparer les
types de structures consacrées à cette problématique sur le développement durable en France
et en Russie, les moyens et les techniques pour économiser l’énergie dans ces deux pays, ainsi
que l’impact sur l’économie locale. Le projet doit aboutir pour les élèves français et russes à la
réalisation d’affiches et de productions multimédia mettant en relief les moyens et les solutions
concernant les problèmes d’économie d’énergies. Nous organisons également le concours du
meilleur bricolage à partir d’une bouteille en plastique ou d’un gobelet. À la fin de leurs correspondances, les élèves présentent leurs projets, les uns aux autres sur un blog.
Сe projet nous permet de sensibiliser les élèves russes à l’importance et à l’utilité de l’apprentissage des langues étrangères en tant que moyen de s’exprimer, de connaître une culture
originale et différente.
Ainsi, l’analyse des recherches théoriques et pratiques sur la problématique de la culture
de l’introspection psychopédagogique démontre que plus cette qualité est développée chez
un enseignant, plus il s’oriente vers l’auto perfectionnement constant car les mécanismes
de réflexion aident l’enseignant à se questionner à chaque instant sur ses compétences, sa
conduite, son expression personnelle en lien avec sa représentation de l’enseignant idéal.
Celle-ci se construit dans la conscience de chaque enseignant d’une manière subjective sur ses
connaissances théoriques et ses expériences pratiques.
Bibliographie
G. GADEBOIS, « Choix professionnel et conception de soi » in Année psychologique, 69-2, p.
599-614.
P. MEIRIEU, Le choix d’éduquer. Éthique et pédagogie, ESF éditeur, Paris, 1991, 8e éd, 2003.
56
D. E. SUPER, « Toward making self-concept theory operational» in Career development : self
concept theory, New York: College Entrance Examination Board, 1963.
M., THOMAS, Stratégies d’interculturalité 2005. http://www.mediation-interculturelle.com.
[consulté le 30. 03. 2010].
57
Pour une centration
sur l’enseignant natif en milieu
homoglotte : Dilemmes et paradoxes
de l’enseignement de l’oral
Robert Bouchard
Université Lumière- Lyon 2
Laboratoire Icar
Notre propos se focalise sur un acteur central de la scène didactique, l’enseignant.
Ce thème n’est certes pas nouveau mais nous semble toujours mériter notre attention
collective. Cette dénomination « l’enseignant », est bien sûr un peu trop générale.
Elle cache, dans le cas de l’enseignement des langues, que les enseignants dans leur
diversité se différencient certes par leur formation mais aussi et peut-être d’abord par
leur propre rapport biographique à la « discipline » qu’ils enseignent : il existe des enseignants
non-natifs d’une part et des enseignants natifs d’autre part ; et ajoutons que ces derniers ont
tendance surtout à enseigner le Fle en France (ou en milieu francophone). Et c’est le cas bien sûr
des enseignants des Cuef.
Je ne reprendrai pas ici la description du triangle didactique et les possibilités qu’il indique
de centration sur ses trois constituants : l’enseignant, l’objet d’apprentissage – la langue (ou
l’interaction langagière, nous y reviendrons) – et/ou sur l’apprenant. Je ne rappellerai pas non
plus que c’est cette dernière centration qui - depuis longtemps déjà - est préconisée par le
discours méthodologique et ceci… de manière tout à fait rationnelle. Ce que vise de manière
difficilement contestable l’action didactique c’est bien que se produise et se développe un
apprentissage de l’oral en particulier. Il n’empêche que l’on sait bien - intuitivement déjà qu’une classe avec un enseignant-natif ne se déroule pas comme une classe avec un enseignant
non-natif. Et la notion, positive à bien des égards, de centration sur l’apprenant mérite sans
doute de sortir du cadre de la psycholinguistique cognitive qui l’a vu se développer (l’esprit
humain possède(rait) une manière et une seule d’apprendre les langues). Dans ce cadre étroit,
cette conception a le tort de transformer un peu trop l’élève-étudiant-stagiaire en une machine
à apprendre qu’il s’agit de mettre en fonctionnement de la manière la plus efficace possible.
Elle risque d’avoir pour conséquence d’inviter implicitement la réflexion didactique à se limiter
à une réflexion méthodologique, peu incline à mettre en question d’autres caractéristiques
pourtant patentes de l’activité d’apprentissage. On raffine sur ce que j’appellerai une didactique interne à la classe de langue, réduite aux potentialités de l’interaction apprenant-objet
d’apprentissage-(enseignant).
Je proposerai d’adopter ici une représentation plus sociolinguistique et interactionnelle de
l’apprenant. Celui-ci d’une part n’est pas qu’un apprenant mais dans tous les cas un individu
selon son age et l’institution visée, un élève, un stagiaire et plus fréquemment pour nous un
étudiant, ce qui indique des profils, des droits, des devoirs, des projets différents. D’autre part
59
chaque fois qu’il apprend (de) la langue, c’est dans un certain contexte, et dans le cadre d’un
certain type d’interaction. Pour nous la classe, le cadre de l’apprentissage universitaire (entre
autres…), l’identité langagière de l’enseignant, la situation homoglotte sont donc des caractéristiques inséparables de l’apprentissage réalisable et effectivement réalisé par les étudiants
inscrits dans nos établissements. Et c’est sur l’importance de ces caractéristiques (et de leur
conjonction) dans l’apprentissage de l’oral que nous voudrions centrer successivement notre
propos.
Nous nous focaliserons donc, d’abord sur l’enseignant natif et, sur le rôle réciproque, que
jouent, dans la classe de langue en France, d’une part ses explications de type méta et d’autre
part ses propres « gestes langagiers » de natif. Après nous être ainsi intéressé à l’oral de l’enseignant, nous nous intéresserons à l’oral de l’étudiant qu’il suscite, tel qu’il se donne à entendre
dans nos classes, en particulier dans des jeux de rôle. Enfin nous comparerons cet oral appris à
l’oral « acquis », - du fait d’une simple exposition sociale - par d’autres étudiants étrangers, d’âge
et de formation comparables, vivant en France depuis plus ou moins longtemps. Pour cette
étude, nous comparerons deux corpus. Le premier, polylogal (Bouchard 20091), mêle les voix
d’un enseignant et de ses étudiants étrangers, chinois en l’occurrence. Il a été recueilli dans une
classe de Fles d’un établissement privé lyonnais (corpus Li Yang 2007). Le second, monologal, a
été obtenu en situation plus expérimentale : des étudiants étrangers, de différentes disciplines
autres que le Fles, avec des séjours en France de durées différentes ont été engagés dans une
tâche de description orale d’images ambiguës (Baptiste & Belisle (1991)2).
2. L’enseignant natif et la langue parlée
2.1. Paroles et « paroles sur paroles »3
Les diverses évolutions méthodologiques que nous avons connues, trouvent pour une
bonne part leur origine dans la difficulté ressentie à enseigner « l’oral en interaction », tel
qu’il est pratiqué depuis… toujours par les natifs, mais étudié seulement depuis peu par les
linguistes (Blanche-Benveniste 1997 4). Cet oral reflète en effet une norme « objective » (effectivement reconnaissable dans les pratiques de la majorité des locuteurs) assez différente de
celle de l’écrit, même ordinaire, qui reste dans les faits l’outil de l’apprentissage des langues.
Les nouvelles pratiques actionnelles proposées actuellement sont l’expression d’un doute
dans la possibilité d’enseigner l’oral sur la seule double base, d’un manuel, et de l’intervention
d’un enseignant formé à travers la grammaire de l’écrit. En effet nos grammaires scolaires et
universitaires dans leur immense majorité, sont des grammaires qui implicitement ou plus
explicitement se fondent sur le bon usage écrit, voire le bon usage littéraire (voir classiquement
1. BOUCHARD R., « Le cours (de langue) entre programmation et négociation », in Trevisi-Canellas S. (ed),
Langage, objets enseignés et travail enseignant en didactique du français, Ellug, Grenoble , 2009, 75-99
2. BAPTISTE A., BELISLE C., Photolangage
une méthode pour communiquer en groupe par la photo, Editions
d’organisation, 1991.
3. Titre bien sûr du célèbre ouvrage de F. Cicurel , Paroles sur paroles, Paris, Clé International, 1985.
4. BLANCHE-BENVENISTE C., Approches de la langue parlée en français, Paris, Ophrys, 1997.
60
Grevisse 19365). L’enseignant, non natif en particulier, a appris sa L2 essentiellement à l’école
et à l’université. Quand il parle, il tend à oraliser une langue apprise sous sa forme écrite, et à
auto-évaluer sa prestation à travers cette grammaire intériorisée. Quant à l’enseignant natif,
certes il parle sa langue maternelle, « incorporée » progressivement depuis sa naissance. Mais
quand il s’évalue, lui aussi, c’est encore à travers la grammaire scolaire, celle de l’écrit qu’il tend
à le faire. D’où un relatif sentiment d’insécurité linguistique, le sentiment de ne pas (toujours)
parler « correctement » la langue qu’il enseigne, d’être captif d’un dialecte régional, social critiquable, d’être individuellement condamnable…
Exemple 1 :
278 P
je
crois
que l’on a tout 0 fait
00ah oui 0 celui là 00
279 EE
280 P
281 EE
282 P
(...)
comment ça s’appelle
ça 0
ces chaussures-là
les basbaskets
des baskets 0
alors 0 avec des baskets 0 on peut imaginer 0 elle aime faire quoi
Ci-dessus, les tours de parole de P (le professeur), illustrent ce phénomène. Quand il parle,
l’enseignant natif ne produit pas des phrases, telles que les décrivent le plus souvent les
grammaires. En 278P, son premier énoncé « je crois que l’on a tout 0 fait 00 » s’en rapproche mais
en y ajoutant une intonation, des pauses d’une part, des gestes et des mimiques d’autre part,
dont la transcription ne peut que difficilement rendre compte. Par contre, le second, « ah oui 0
celui là 00 », réduit pour l’essentiel à un déictique, est de taille inférieure à la phrase et ne peut
être interprété qu’indexicalement, par rapport à sa situation d’énonciation. Il implique encore
plus fortement des gestes simultanés, ici de monstration. La question qui suit est aussi atypique
du point de vue de la norme ; elle comprend un redoublement « coupable » ( ?) du sujet avec
deux « ça », l’un précédent le verbe et l’autre le suivant. On pourrait rajouter que le second
est lui-même reformulé par un « ces chaussures-là ». Enfin, en 282P, on trouve un énoncé plus
long que la phrase, avec en particulier, un énoncé enchâssé « on peut imaginer », un groupe
circonstanciel antéposé « avec des baskets », le tout précédé d’un « alors » qui ne correspond
pas non plus au rôle « logique » qu’on lui attribue à l’écrit (Bouchard, 2001)6.
En fait l’ensemble de ces phénomènes correspond à la norme « objective » de l’oral. Tous les
natifs les emploient, mais souvent avec culpabilité, du moins quand… ils s’en rendent compte.
Le travail d’écoute et de transcription de nos propres enregistrements est d’ailleurs toujours
désagréable, pour chacun d’entre nous : on ne parle jamais comme on pense parler.
5. GREVISSE M. , Le Bon Usage, Bruxelles, de Boeck-Duculot, 1936.
6. BOUCHARD R., « Alors, donc, mais…, « particules énonciatives » et/ou «connecteurs » ?, Syntaxe et
sémantique, 3, P.U. Caen, 2001.
61
Oral, réflexivité et grammaire
L’étude de la langue orale a longtemps été retardée, tant pour des raisons techniques que
pour des raisons plus idéologiques. Relevons cependant que c’est avec un objectif didactique
qu’ont été entreprises les premières recherches descriptives d’étude du « Français fondamental »
à la fin des années 1950 (cf Cortier et Bouchard 2007) 7. Pour l’enseigner, il fallait connaître
le français de base susceptible de permettre à des apprenants de communiquer dans la vie
quotidienne. Malheureusement l’idéologie grammairienne de l’époque a fait qu’on s’est surtout
intéressé au lexique. Ce n’est que dans les années 1970 autour de C. Blanche Benveniste en
particulier que se sont développés des travaux proprement grammaticaux analysant l’oral. La
question de l’intonation (de Morel et Danon-Boileau (2001) 8 à Avanzi & Lacheret (2010)9) pose
encore problème actuellement. Il ne s’agit pas pour nous de développer ici, même à grands
traits, les contours d’une grammaire de l’oral. Mais toujours est-il que l’on sait aujourd’hui qu’il
n’y a pas de « phrase » à l’oral. L’énoncé s’y organise pour satisfaire aux contraintes spécifiques
de ses conditions interactionnelles de production. Il apparaît ainsi que dans le dernier tour de
parole ci-dessus, l’énoncé oral de l’enseignant natif manifeste un certain nombre de phénomènes oraux généraux. Il commence par une « particule énonciative » (alors, donc, bon, bon
ben…) . Il continue avec un complément circonstanciel antéposé qui « cadre » le propos à venir
(elle aime faire quoi) en précisant ses conditions de vérité. Celui-ci est également précédé d’un
élément de modalisation « on peut imaginer » équivalent à un adverbe comme « sans doute »,
« peut-être », qui atténue la question et la difficulté d’y répondre avec certitude. Tout ceci dessine
les contours de ce que Morel et Danon-Boileau (ibid.) appellent le « préambule » de l’énoncé
(cf. le « préfixe » chez Blanche-Benveniste (ibid.)) ; préambule qui prépare l’interlocuteur à la
réception du propos lui-même.
De même dans le tour de parole précédent, le « ça » (typique de l‘oral) qui précède et suit
le propos, illustre les phénomènes de détachement à droite et à gauche (manifestation de la
postface ou suffixe), qui rendent clairement perceptible, saillant intonativement, le thème, ce
dont on parle.
Tableau : Organisation de l’énoncé oral (d’après Morel et Danon-Boileau ibid.)
Préambule
Ligateur
Point de
vue
NOYAU
Modus
externe
Cadre
Support
lexical
détaché
(à gauche)
Postface
Support
lexical
détaché
(à droite)
Marqueur
de clôture
7. CORTIER C. & BOUCHARD R. (eds.), « Pratiques et représentations de l’oral en classe de Fles, cinquante ans
après le français fondamental » Le français dans le monde Recherches et applications 43, Cle-International,
2007.
8. MOREL M-A et DANON-BOILEAU L. Grammaire de l’intonation,
l’exemple du français, Paris, Ophrys, 2001.
9. AVANZI M., LACHERET A., « Micro-syntaxe, macro-syntaxe : une prosodie toujours transparente ? L’exemple
des périodes asyndétiques du français parlé », in M.J. Béguelin & al. (ed.), La Parataxe,Berne, P. Lang, 2008.
62
2.2. Oral pratiqué vs. oral enseigné
L’enseignant natif se particularise par le fait qu’il possède des intuitions sur « ce qui se dit et
ce qui ne se dit pas » et la possibilité de formuler « de plein droit » des consignes de correction
(généralement sans explications) à propos des phénomènes concernés :
Exemple 2 : prononciation
P alors 00 attention regardez :: 00 s’il vous plaît (frappe au tableau, attire l’attention des étudiants) 00 parce QUE ON aime 00 non (écrit au tableau : que on qu’on) on dit pas
QUE ON aime 00 parce que :
EE parce qu’on
P oui d’accord 0 parce QU’ON aime 0 l’air 0 pur 0 parce QU’ON aime 0 respirer 0 l’air pur
Exemple 3 : lexique :
267 E
elle aime des photographies
268 P
des
269 E
des photographies
270 P
alors 0 soit on peut dire 0 la photographie 00 ou alors, elle aime faire : des photographies 00 d’accord 0 elle aime LA photographie0 ou alors elle aime faire 0 des 0 photographies 00
Par contre il sait aussi que « son » français est marqué par son histoire personnelle : en d’autres
mots, son idiolecte provient du mixage des divers dialectes géographiques et sociaux qu’il a
pu rencontrer successivement au cours de son histoire personnelle (accent, régionalisme…).
Autant l’écrit est pour tous les locuteurs natifs un produit scolaire, normé, autant l’oral reste
soumis à la variation et donc au doute comme aux aléas de la production en temps réel!
Exemple 4 :
458 P alors 000 pas d’école 0 euh pas d’é- alors (vers l’observatrice) est-ce que tu j’ai besoin de toi s’il te plaît j’ai encore besoin de toi pour expliquer 00 y a beaucoup de ponts 0 beaucoup de jours en mai- y a beaucoup de jours qu’on a pas d’école 0 d’accord
Dans l’exemple ci-dessus on constate un certain nombre de caractéristiques formelles de
l’oral en interaction (Hall 2004 10). Des phénomènes morphosyntaxiques comme l’utilisation
du présentatif « ya » en lieu et place du « il y a » écrit ou plus encore celle du pronom relatif
« générique » « que », à la place du « où ». Mais on y observe surtout un phénomène dynamique
beaucoup plus constant que l’on peut mettre en lumière par une présentation ad hoc (cf analyse
10. HALL J.K., Language and learning as an interactional achievement. The Modern Language Journal, 88
(4), 2004, 606-612.
63
en grille Blanche-Benveniste (ibid.)), celui des reformulations :
Exemple 4’ :
458 P
alors 000
pas
d’école
0
euh
pas d’é/
alors
est-ce que tu / (à l’observatrice)
j’ai j’ai encore
ya
ya
besoin de toi s’il te plaît
besoin de toi pour expliquer 00
beaucoup de ponts 0
beaucoup de jours en mai
beaucoup de jours qu’on a pas d’école d’accord
A l’oral, natifs comme non natifs, enseignants comme non enseignants, ne produisent pas
l’énoncé d’un coup mais souvent par enchaînement de reformulations successives, permettant
en particulier d’adapter l’énoncé aux contraintes de l’interaction (cf ci-dessus, l’ajout du
« encore » ou la reformulation du mot métaphorique « pont »). Remarquons de plus que
l’exemple ci-dessus qui illustre un cumul particulier de ces phénomènes correspond non pas
à un moment didactique où l’enseignant enseigne la langue mais à un moment plus pédagogique où il utilise celle-ci fonctionnellement pour expliquer une question non linguistique, ici,
un problème de calendrier.
Dans le même temps, son enseignement de l’oral reste très classiquement scripto-centré.
Le modèle scolaire de la réponse par une « belle phrase » depuis longtemps dénoncé même à
l’école primaire reste vivant dans ce cours de Fle pour adultes « lettrés » :
Exemple 5 :
086 P (…) et 0 où est-ce qu’on fait de la randonnée 0 où 087 E
campagne
088 P
campagne 0 ce n’est pas une phrase 00 ON fait=
089 E
=on fait la randonnée=
090 P
=on fait DE LA randonnée
091 E
on fait de la randonnée en campagne=
092 E
=À LA
093 P
oui 0 à la campagne 0 à la campagne 00 alors on fait de la randonnée 0
094 EE (silence)
095 P
(rsp) je veux une phrase
096 EE (...)
097 P
d’accord0 on fait de la randonnée à la campagne 00
L’enseignant illustre le célèbre adage « faites ce que je dis ne faites pas ce que je fais ! » alors
précisément que l’enseignement de l’oral authentique nécessiterait une inversion des termes :
« faites ce que fais et non pas ce que je (vous) dis (de faire) !», en d’autres termes « dites ce que
je dis et non pas ce que je vous dis de dire ! ». L’enseignant natif doit accepter de se considérer
comme un simple informateur autant que comme un formateur. Il doit savoir se dédoubler pour
64
jouer dans sa classe, pour une part, le même rôle que joue l’assistant de langue dans celle d’un
enseignant non natif
Les méthodes de langue, même les plus récentes, persistent à fournir aux élèves, comme
modèle de langue orale, des dialogues pédagogiques ambigus quant à leur degré d’oralité :
Exemple 6 : Méthode « Alors »11 :
Laure - Qu’est-ce que tu vas faire, alors ? Tu quittes ton entreprise pour reprendre tes études ?
Xavier - Je ne sais trop. Si je laisse tomber mon travail, je vais avoir des problèmes a p r è s .
Ce n’est pas facile de décider.
Laure - Avec un diplôme comme le master, on a plus de chances de trouver un travail
intéressant et puis, on peut être mieux payé, c’est certain…
Xavier - Mais je n’ai pas beaucoup d’économies. Je ne pourrais plus payer ma mutuelle, mon
assurance auto. Et puis les vacances… Ah ! Ca me soûle ! Ca me soûle !
Laure - Tes parents peuvent t’aider ?
Xavier - Oui, mais j’hésite. Si je leur demande, ils vont dire oui, c’est sûr !
Laure - Je comprends.
Xavier - Voilà, pas facile tout ça.
Pour des raisons de lisibilité, la (fausse) transcription du dialogue se présente comme un
livret de théâtre, avec en particulier l’utilisation d’une ponctuation normée qui corsète l’énoncé
oral, tout en n’étant pas très sûre d’elle même (les évaluations de fin de tour de parole, « c’est
sûr », « c’est certain » sont précédées d’une simple virgule alors que le « ce n’est pas facile de
décider » nécessite un point). La phrase écrite (le cas échéant inachevée) reste le modèle là
encore. Pas de trace de préambule ni de postface. On n’y trouve non plus aucune manifestation
de la dynamique de l’oral sous la forme d’énoncés inachevés et de reformulations. Sans doute les
auteurs considèrent-ils qu’elles risquent de nuire à la clarté du modèle syntaxique. On peut dire,
et ce n’est pas forcément une critique, que ces auteurs, par ce dialogue pédagogique s’attachent
plus à montrer la langue (lexique, phraséologie…) dans le dialogue que le fonctionnement
dialogal lui-même. En définitive, dans cette méthode qui se veut pourtant « actionnelle », la
cible implicite reste plus une compétence linguistique qu’une compétence communicative.
Il nous faut maintenant observer les conséquences de ces leçons d’oral, ou plutôt d’écrit
oralisé, sur l’apprentissage de l’oral par les étudiants étrangers qui y sont exposés (Hall 200712).
Ensuite, nous comparerons cet apprentissage à l’acquisition qui se produit naturellement chez
des alloglottes coexistant avec des francophones, en milieu francophone (cf. Pacheco S. (2010)
13
).
3. L’apprenant et l’ « acquérant »: oral appris vs. oral pratiqué
Dans la classe de langue (pour adultes en tout cas), les conditions de travail permettent de
respecter la consigne implicite « Parle ! » que nous avons évoquée. Tout l’effort méthodologique
des quarante dernières années va dans ce sens d’une pratique effective de la parole en classe
par les apprenants. On sait cependant que le cours dialogué ne laisse que peu de place à la
« parole vive », effective de l’apprenant (nos extraits de corpus en sont une manifestation) :
11. BEACCO J.-C., DI GIURA BEACCO, M.,« Alors » , Hachette, 2007
12. HALL J.K., Redressing the roles of correction and repair in research on second and foreign language
learning, The Modern Language Journal, 91 (4), 2007, 510-525.
13. PACHECO S. Interaction orale et déploiement linguistique chez les apprenants hispanophones en milieu
homoglotte : le cas de la dislocation, Thèse, Université Lumière-Lyon 2, 2010.
65
l’alternance de parole maître-élève y reste une réalité, l’absence d’autonomie illocutoire de
l’élève (qui ne peut guère que répondre aux questions qu’on lui pose) en est une autre. L’effort
s’est donc porté dans d’autres directions : l’utilisation de documents authentiques oraux pour
la compréhension, la pratique des « jeux de rôle » ou des « simulations globales » pour la
production, en sont les solutions les plus classiques. Au-delà j’ai mentionné dans la première
partie de ce papier d’autres dispositifs articulant la classe à son extérieur et visant des prises de
parole plus effectives. Mais elles restent encore des pratiques minoritaires.
Examinons donc la pratique orale centrale ( ?) des classes de langue modernes à travers un
exemple « réussi » de « jeu de rôle » enregistré toujours dans la même classe, dans la partie finale
de la même séance d’expression orale.
Pratique orale en classe:
Exemple 7 :
398 E5 salut Yina
399 E6 salut Erika 0 comment ça va
400 E5 ça va très bien 0 tu fais quoi ce week-end
401 E6 je vais faire du cheval 00 tu veux faire du cheval 0 avec moi
402 E5 je n’aime pas faire du cheval parce que j’ai peur des animals 0 des animaux 0 j’ai
peur des animaux (rires)
403 E6 oh 0 là là :
404 EE (rires)
405 P
(rires) oui 0 très bien
406 E6 est-ce que tu veux 0 est-ce que tu veux aller faire de la randonnée
………………………………………………………………
412 E5 je n’aime pas faire de la randonnée 00 euh 0 j’aime : 0 j’aime rester à la maison
……………………………………………………………..
415 E6 ah 0 qu’est-ce que tu fais à la maison
416 E5 j’aime lire les livres 0 j’aime faire la cuisine
417 E6 je n’aime PAS faire la cuisine 0 mais j’aime manger (rires)
418 EE (rires)
419 E5 d’accord 0 tu peux venir 0 et je vais faire la cui- cuisine pour toi
420 E6 merci 0 (regarde l’enseignante)
421 P
bravo 0 vous avez bien fait là 0 très bien
On constate d’abord que les deux participantes réussissent bien à créer une scénette de
qualité, s’ouvrant sur des salutations et close par une pointe humoristique finale. Leur prestation
déclenche d’ailleurs les rires de l’assistance comme les félicitations de l’enseignant. Là où le bât
blesse par contre, c’est qu’on ne trouve dans leur prestation orale aucun des phénomènes caractéristiques de l’oralité que nous avons évoqués ci-dessus (tableau 1, exemple 4 ; cf aussi exemple
8 et 8’ ci-dessous). Il s’agit d’un pur réemploi du lexique et surtout des « bonnes phrases » que
l’enseignant venait de leur faire réviser. Le jeu de rôle apparaît bien, surtout quand il est préparé
66
à l’écrit préalablement, comme une (re)mise en œuvre d’outils lexicaux et grammaticaux et non
pas comme un travail pragmatique et interactionnel. C’est ce qu’avaient d’ailleurs déjà montré
Flament-Boistrancourt et Cornette 14 dès 1999.
En d’autres mots, dans cette classe de Fle en France, l’apprentissage guidé, scriptocentré,
parvient à faire écran à l’acquisition sociale de la langue orale en interaction telle qu’elle est
pourtant pratiquée par l’enseignant natif au sein même de la classe.
En disant ceci, nous n’entendons pas critiquer cette jeune enseignante particulière, qui fait
d’ailleurs preuve au cours de cette séance d’un incontestable dynamisme pédagogique et
entretient des rapports très positifs avec sa classe.
Mais jetons un dernier coup d’œil, maintenant sur l’oral pratiqué par un résident étranger,
lettré lui aussi, immergé en milieu francophone, en situation d’acquisition sociale de la langue.
Pratiques orales exolingues en dehors de la classe
Dans une recherche en cours (Bouchard à paraître 15), nous avons eu l’occasion d’observer le
développement de l’oral chez des étudiants étrangers, résidant en France, pour y faire d’autres
études que des études de Fle. Il s’agissait d’examiner comment des sujets de même origine
linguistique, sélectionnés en fonction de la durée de leur séjour en France (six mois, un an, deux
ans, trois ans), se comportaient linguistiquement et discursivement dans une même tâche orale.
Il leur était proposé de décrire successivement cinq photos au contenu volontairement ambigu.
L’épreuve, un peu artificielle certes, permet de comparer leurs prestations. orales monologales.
Voici à titre d’exemple la verbalisation d’une de ces images fournie par un participant arabophone séjournant depuis deux ans en France.
Monologue oral d’un « résident » étranger en France après 2 ans de séjour »:
Exemple 8 :
alors ce que je vois dans cette photo: déjà y a un monsieur avec son chien (.) il est en train
de s’amuser avec lui mais je sais pas c’est: ça doit être avec un jeu il essaie de le faire à manger:
je sais pas le monsieur ça doit être dans la compagne (.) en pleine d’été (.) le monsieur il est un
peu vieux mais: il a un beau chien parce que j’aime bien moi xx trop / et puis euh: / ça doit être
dans la forêt ou bien dans son / comme je vous ai dit dans la compagne et puis le monsieur il
est bien habillé en short avec un débardeur et: / et c’est tout ce que je peux dire sur cette photo
Si on met en valeur les moyens utilisés (cf. ci-dessus Morel et Danon-Boileau ibid.) par une
présentation « en grille » (Blanche-Benveniste ibid.) des énoncés, plusieurs procédés oraux,
empilés, deviennent plus facilement perceptibles :
14. FLAMENT-BOISTRANCOURT D. et CORNETTE G. , Bon français ou vrai français ? Une étude de l’acte
de question menée à partir d’un extrait du corpus Lancom : les scènes dites de baby-sitting, Travaux de
Linguistique, 38, Louvain la Neuve, 119-153, 1999.
15. BOUCHARD R. (à paraître), « La (dés-)organisation de l’oral et son acquisition : Etude du développement
des énoncés oraux et de leurs préambules chez des sujets adultes non-natifs », in E. Richard (et al.) (eds.)
(Dès-)organisation de l’oral ? De la segmentation à l’interprétation, PU Rennes.
67
Exemple 8’ :
Préambule
Ligateur
Modalisation
Alors
Thème détaché
Noyau de l’énoncé
Postface
ce que je vois dans cette photo:
y a un monsieur avec
son chien
Déjà
il est en train de
s’amuser avec lui
Mais
je sais pas
Préambule
Ligateur
Modalisation
c’est
Thème détaché
Noyau de l’énoncé
Postface
ça doit être avec un
jeu
il essaie de le faire à
manger
je sais pas
le monsieur
ça doit être dans la compagne
en pleine
d’été
le monsieur
Mais
parce que
il a un beau chien
et
puis
euh: /
et puis et: /
et
il est un peu vieux
le monsieur
j’aime bien
trop
ça doit être dans la
forêt
ou bien dans son /
comme je vous ai dit
dans la compagne
il est bien habillé en
short
avec
un débardeur
Moi
c’est tout ce que je peux dire sur
cette photo
On peut constater que cet « acquérant » de Fle (si on risque ce néologisme pour distinguer
un sujet qui acquiert la langue en contexte social d’un « apprenant », un sujet qui apprend le
Fle en suivant des cours de langue) utilise fonctionnellement un certain nombre des procédés
oraux, usuels chez les natifs, que n’utilisent pas ses camarades « apprenants » au cours du jeu
de rôle :
68
- Une série de ligateurs16 : dont massivement le « et/et puis », le « mais », mais aussi un
« alors » en tout début de prise de parole.
- une expression modalisatrice, (« je sais pas » (2 fois)) atténuant l’assertion, bien venue
dans cette situation d’interprétation d’image ambiguë, mais d’un usage très fréquent chez les
natifs, qui l’utilisent dans l’interaction afin de « préserver les faces » des interlocuteurs
- des détachements thématiques (3 occurrences) avec deux détachements à gauche
et un détachement à droite
- le « ça » spécifique de l’oral (3 exemples) et de nombreux présentatifs.
On voit donc, à l’issue de cette comparaison (trop rapide certes) entre les prises de parole
d’« acquérant » et d’ « apprenant » que l’acquisition sociale semble plus favorable à l’appropriation
des procédés oraux que l’apprentissage guidé, tel qu’il se manifeste le plus fréquemment en
tout cas. L’étranger, immergé socialement, pour satisfaire ses besoins communicatifs capte dans
son environnement les procédés oraux qui peuvent lui être utiles, et en particulier ceux qui
sont suffisamment fréquents et saillants auditivement pour qu’il puisse s’en saisir17. En classe
par contre le modèle de l’écrit, explicite dans les descriptions grammaticales de l’enseignant,
implicite dans ses corrections reste le plus prégnant, y compris quand l’enseignant francophone
utilise spontanément ces procédés communicatifs pour rendre efficace sa propre action verbale.
L’écrit tend à faire écran à l’oral, même lors des cours consacrés à ce savoir-faire particulier.
En conclusion, la demande sociale de compétence orale est de plus en plus forte (CECRL
Conseil de l’Europe par exemple), et sa satisfaction passe a priori par un apprentissage de la
langue en situation homoglotte, avec l’aide d’un enseignant natif. Nos Centres de l’Adcuefe
apparaissent ainsi comme des institutions idéales pour réaliser ce projet.
Il reste toutefois que la classe de langue, comme les autres classes, reste un lieu fortement
marqué par l’écrit qui y est un outil central d’enseignement comme d’apprentissage (cf
Lahire).18 Il importe donc que l’enseignant natif, longuement formaté par son parcours scolaire
et universitaire, sache retrouver une spontanéité orale en y déployant une pratique plus
lucide de sa propre compétence communicative. Il s’agit en particulier de mettre à distance
progressivement les deux ensembles de registre écrits et oraux, en continuant à développer
des pratiques interactionnelles orales spécifiques (A ce propos le jeu de rôle préparé à l’écrit n’en
est pas une, comme le dialogue écrit/oral des méthodes n’en fournit pas un modèle efficace!).
Mais la plus belle classe de langue ne pourra donner que ce qu’elle a ! L’enseignant natif doit
apprendre à « lâcher prise ». Il lui faut (continuer à) développer des pratiques d’appropriation
16. Chaque phénomène est signalé dans le corpus avec la même typographie que son étiquette
métalinguistique
17. Remarquons cependant qu’il ne s’agit pas de doter l’acquisition sociale de toutes les vertus. L’évolution
linguistique de l’ »acquérant » court le risque par exemple d’une fossilisation, un ralentissement de
l’acquisition due à la satisfaction de ses besoins communicatifs.
18. LAHIRE B., La Raison scolaire. École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2008.
69
spécifiques de l’oral qui se déroulent en dehors de la classe et de son contrôle. Il lui faut aussi
développer des pratiques de recyclage en classe de ces expériences langagières extérieures des
étudiants.
En bref la méthodologie contemporaine ne peut plus se contenter d’une réflexion
uniquement centrée sur les gestes professionnels de l’enseignant en classe. Il est essentiel
de les articuler avec des comportements communicatifs autonomes des étudiants immergés
en milieu homoglotte. Pour une part, ceux-ci peuvent être commandés par l’enseignant et
pour une autre part uniquement recommandés par lui, comme « bon usage » des ressources
langagières offertes par la vie quotidienne en France.
Les solutions les plus prometteuses sont alors celles qui créent des dispositifs d’apprentissage impliquant, pour les étudiants un travail didactique en
classe (guidépar l’enseignant) et un travail adidactique (Brousseau (1988)19,
Sensevy (2001) 20, autonome, hors de la classe,, c’est à dire d’une part un enseignement
(fatalement) scripto-centré et d’autre part des pratiques exolingues « réelles » en milieu
homoglotte. On peut penser à ce propos, à celles proposées par la méthode « Ici » 21, qui incite
les étudiants à aller enquêter, interviewer des locuteurs natifs.. Mentionnons également les
dispositifs scolaires ou universitaires classiques d’ « immersion » (d’enseignement « du » français
et « en » français) où le dispositif articule deux classes, la classe de langue et une autre classe
où un autre enseignement est fait dans la langue étrangère (Fou), dont on veut ainsi dynamiser
l’apprentissage.
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énoncés oraux et de leurs préambules chez des sujets adultes non-natifs », in E. RICHARD (et
al.) (eds.) (Dès-)organisation de l’oral ? De la segmentation à l’interprétation, PU Rennes, à paraître
19. BROUSSEAU G., Théorie des Situations, Grenoble, La pensée sauvage, 1998.
20. SENSEVY G. (2001), Théories de l’action et action du professeur, in Beaudouin J.-M. & Friedrich J., Théories
de l’action et éducation, Bruxelles, de Boeck.
21. ABRY D., BORG, S., FERT C., PARPETTE C., SORIA M., STAUBER J., Ici, Paris, Clé International, 2008.
70
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l’acte de question menée à partir d’un extrait du corpus Lancom : les scènes dites de baby-sitting,
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2005, p. 9-41
71
La place du FLE/FLS
dans la nouvelle formation
des enseignants
Fatima Chnane-Davin
Aix-Marseille Université, IUFM
UMR P3 ADEF)
En 2007, lors d’un colloque sur la formation des enseignants, nous avons présenté Jean-Pierre
Cuq et moi-même une communication intitulée « Formation des enseignants au français langue
étrangère et seconde. Université et IUFM, deux mondes provisoirement cloisonnés » où notre objectif
n’était pas de confronter la formation professionnelle dans les deux institutions mais de chercher
les articulations et les complémentarités au début de l’intégration des IUFM dans les universités.
Aujourd’hui cette intégration s’est effectuée, l’IUFM est devenue une composante de l’université
mais on se rend compte, qu’à part la mastérisation de la formation des enseignants, les deux
« mondes » continuent à fonctionner en parallèle avec une nouvelle répartition des tâches : les
IUFM gardent la formation des enseignants du premier degré dans presque sa totalité, ainsi
que certaines formations du second degré (exemple l’IUFM d’Aix-Marseille : Musique et Arts,
Sciences économiques et sociales, professeurs de Lycée professionnels, Conseillers principaux
d’éducation, professeurs documentalistes) tandis que l’université s’occupe de la formation
disciplinaire des enseignants du secondaire tout en laissant la formation professionnalisante
transversale et inter-disciplinaire à l’IUFM.
Dans cette nouvelle reconfiguration, on peut poser des questions sur l’enseignement du
FLE/FLS et la place qui lui a été attribuée dans les nouvelles maquettes des masters, sachant
que le public que nous avons maintenant dans les IUFM n’est plus un public d’enseignants
stagiaires mais d’étudiants qui se destinent à avoir un diplôme pour enseigner mais pas essentiellement en France. En effet, on retrouve dans cette nouvelle formation des Français et des
étrangers qui l’intègrent pour avoir le diplôme de master ; on peut donc penser qu’elle prépare
le futur enseignant à exercer en France, à l’étranger, à la fois à l’école (pour ceux qui réussissent
le concours) ou dans des associations, des instituts, des entreprises, ou autres organismes qui
s’adressent à des publics jeunes ou adultes, etc.
Dans cette contribution, je vais présenter des unités d’enseignement (UE) introduites dans la
formation initiale du premier et second degré et destinées à la prise en compte de la diversité
linguistique et culturelle des apprenants. Cette formation est constituée d’une série de cours
magistraux articulant des savoirs issus de la recherche en didactique et de travaux dirigés dont
le but est de réinvestir ces savoirs dans des tâches professionnelles pratiques. J’exposerai les
contenus de ces modules et je discuterai leurs intérêts dans la formation des enseignants du
FLE/FLS ainsi que leurs limites.
73
1. Problématique autour du FLE/FLS à l’IUFM
Un rappel très bref nous permettra de situer l’enseignement du FLE/FLS qui a émergé en
France dans les années 60 dans un but de diffusion de la langue française (le CREDIF et le BELC).
C’est un champ qui va connaitre une évolution et des rénovations dans les années 70 par la
mise en place de nouvelles méthodes d’enseignement du français aux non francophones. A
titre d’exemples :
– la modélisation en 1972 de M. Dabène se réclamant de la didactique des langues (DDL) et
qui renferme la méthodologie, la méthode, la pédagogie, les procédés et les techniques, …
– la modélisation de R. Galisson (1977) se réclamant de la linguistique appliquée ; modèle que
l’auteur régule en fusionnant la linguistique et la linguistique appliquée et qu’il fera évoluer
radicalement en 1990 par la construction de « la didactologie des langues-cultures » où
l’apprenant occupe une place centrale ;
– le modèle de R. Richterich (1994) qui s’interroge en didactique des langues sur le programme
(son origine, ses théories, ses idéologies), la méthodologie (matériels et pratiques)
C’est dans les années 80 que la didactique du FLE va connaître son évolution, c’est-à-dire
l’implantation dans les universités et le développement de la recherche dans ce domaine.
Comme le disent C. Cordier-Gauthier et C. Dion (2007) « cette « ascension » du champ au niveau
de « discipline à part entière », ne s’est pas faite sans difficulté et a suscité, au sein des chercheurs
et des théoriciens de toute la Francophonie, de nombreux débats » (p. 30). Mais l’institutionnalisation de ce champ demeure « dépendante de son statut et du degré de reconnaissance
officielle qu’on lui attribue » (p. 31).
Quant au FLS, qualifié de « sous-ensemble du FLE » (J.-P. Cuq, 1991), il est effectivement
souvent confondue avec le FLE. Or, il existe bien des distinctions entre les deux, notamment
en ce qui concerne le degré de la pratique, la fonction de la langue et le statut accordé à
celle-ci. Ces distinctions sont aussi liées au rapport qu’on peut entretenir avec une langue sur
le plan individuel et social. C’est G. Vigner (1987) qui attire l’attention sur la situation du FLS en
annonçant que : « La situation du français enseigné comme langue seconde demande donc à
être réexaminée, notamment dans sa dimension strictement pédagogique» puis en affirmant
en 1989 que le FLS est une langue d’information et non pas de communication, notamment
en Afrique. La publication de J.-P. Cuq (1991) Le français langue seconde, origine d’une notion
représente la première étude approfondie de la problématique. M. Verdelhan-Bourgade (2002)
de son côté élargira la réflexion en rattachant le FLS au français langue de scolarisation et en
explorant ce domaine qui met l’accent sur la langue des apprentissages. L’école en France sera
concernée par le concept de FLS dans les années 2000 suite à la publication des premières
recommandations du Ministère de l’éducation nationale Le Français langue seconde (MEN,
CNDP). Des travaux sur le FLS et le contexte français devenaient urgent (Chnane-Davin, 2005 ;
Chnane-Davin, Félix et Roubaud, 2011).
74
Malgré cette évolution, le FLS restera un enseignement, quand il existe en tant qu’UE,
rattaché au FLE à l’université et ne représente pas une discipline autonome. Dans les IUFM où la
formation est centrée sur le français langue maternelle, le FLE et le FLS ont du mal à s’implanter.
On peut penser que le monolinguisme traditionnel en France a fait que ce domaine d’enseignement n’a concerné jusqu’à une date récente que les apprenants étrangers (étudiants ou
enseignants) qui effectuent des stages en France ou bien des apprenants non francophones à
l’étranger. Or, depuis les années 60, le flux migratoire n’a pas cessé d’abord pour des raisons de
regroupement familial (1975) puis pour une immigration économique ou politique comme le
montre le tableau1 suivant concernant l’Académie d’Aix-Marseille dans les années 2000 :
Nombre
d’élèves
2002
2003
2003
2004
20042005
2005
2006
20062007
2007
2008
20082009
Fév.
2010
1er degré
1 033
1 117
950
924
832
874
858
775
2nd degré
1 016
1 029
743
659
932
790
746
718
Total
2 049
2 146
1 690
1 483
1 764
1664
1604
1493
Ces données expliquent la nécessité de la formation des enseignants, la création d’un
CAPES FLE (Forestal, 2004) pour enseigner dans des structures spécifiques telles que les classes
d’initiation (CLIN) dans le 1er degré et les classes d’accueil (CLA) ou dispositif d’accueil et d’intégration (DAI) dans le 2nd degré pour scolariser les élèves non francophones. Des élèves qui ont
besoin d’une passerelle linguistique, selon leur niveau de départ, en FLE, en FLS, en français de
scolarisation et d’un accompagnement à l’intégration dans les classes ordinaires dites français
langue maternelle (FLM). Or, la prise en charge de ces structures d’accueil est souvent faite par
des enseignants qui n’ont qu’une formation en FLM ou en LE (en général Lettres ou Langues
vivantes étrangères). La formation universitaire actuelle en FLES (7è section du CNU, sciences
du langage) permet d’avoir un diplôme qui n’est rattaché à aucune discipline mentionnée dans
les différents CAPES. Quant à la formation en FLES dans les IUFM, elle n’est, en général, que de
l’initiation et dans plusieurs instituts, elle demeure optionnelle voire inexistante alors que l’école
scolarise des apprenants de cultures hétérogènes soit issus de l’immigration nés en France soit
nouveaux arrivants, que l’enseignant doit gérer dans une classe. Cette diversité culturelle est
souvent liée à une diversité des langues d’origine qui ne sont pas prises en compte par l’école et
sont considérées comme des langues dominées par une seule et unique, la langue française et
par conséquent la culture française.
En l’absence de formation et de concours spécifiques en FLE/FLS pour apporter des réponses
à l’hétérogénéité des publics, certains IUFM ont intégré, dans le cadre des nouveaux masters
de formation des enseignants, des unités d’enseignement (souvent générales) pour répondre,
au moins partiellement, à la gestion de la diversité culturelle et linguistique des élèves. Je
1. Tableau extrait de l’ouvrage Le français langue seconde en milieu scolaire français, F. Chnane-Davin et
al., PUG, 2011.
75
vais m’intéresser particulièrement ici à des formations mises en place à l’IUFM d’Aix-Marseille
pour initier les étudiants à une réflexion sur des problématiques en rapport avec la diversité
des langues et des cultures. Je ne citerai à titre d’exemple que l’UE 25, master 1 (Initiation à la
recherche) et les UE 34 et 42 qui s’inscrivent dans le prolongement de la première. Celle-ci a
comme objectif de développer une approche réflexive sur la pratique professionnelle, d’amener
à une première expérience de la recherche par la découverte d’expérimentations scientifiques à
travers des outils théoriques et méthodologiques. Une des thématiques abordée en rapport avec
l’enseignement du FLE/FLS est celle du Multilinguisme et interculturalité en milieu éducatif. Une
thématique développée par la suite en master 2 dans l’UE 34, puis approfondie et aboutissant à
la rédaction d’un mémoire professionnel ou de recherche dans l’UE 42.
2. Exemples de formation : Master MEEF (Métier de l’Education de l’Enseignement et de la
Formation)
Ce master s’adresse à des étudiants se destinant soit à l’enseignement dans le premier degré
après avoir obtenu le diplôme du master (validation des UE + soutenance d’un mémoire) et
avoir réussi au concours, soit pour exercer dans d’autres institutions.
2.1. Formation à la recherche, Master 1, UE 25, Multilinguisme et interculturalité en
milieu éducatif
Plusieurs thématiques aux choix sont proposées dans cette UE pour permettre aux étudiants
de découvrir et connaitre les besoins éducatifs en termes d’enseignement et des publics. Parmi
celles-ci, on peut citer la scolarisation des enfants à besoins éducatifs particuliers, la scolarisation et l’éducation de la petite enfance, le projet en éducation, la scolarisation et l’éducation
en milieu rural, le multilinguisme et l’interculturalité en milieu éducatif, la médiation des savoirs
artistiques, scientifiques et technologiques en milieu éducatif et la didactique des disciplines.
L’objectif, je le rappelle, est de sensibiliser à la question de la recherche en éducation.
Je vais m’intéresser particulièrement à la thématique qui s’inscrit dans mes travaux d’enseignement et de recherche, le multilinguisme et l’interculturalité à l’école. Une thématique qui
est choisie, en général, par des étudiants qui s’intéressent aux questions en rapport avec les
langues et les cultures qu’elles soient maternelles, étrangères ou secondes, régionales et à la
diversité culturelle. Les contenus dans cette thématique sont répartis ainsi :
– Une partie sensibilisation aux courants de pensées français relatifs à la gestion des différences culturelles tels que l’assimilation, l’intégration, le multiculturalisme et le communautarisme ; avec un accent mis sur des concepts comme le multilinguisme, le monolinguisme, le
plurilinguisme, la multiculturalité et l’interculturalité.
– Un panorama de travaux de recherche pour construire des cadres théoriques, des problématiques, examiner des méthodologies et établir une bibliographie.
– Une dernière partie consacrée aux travaux des étudiants consiste en une conception
d’une trame de recherche en rapport avec un sujet qui intéresse l’étudiant (langage écrit et
oral, langues maternelle, seconde, étrangère, régionales ou minoritaires, langues vivantes
étrangères, langues classiques ou langues de scolarisation, le plurilinguisme, l’interculturel en
classe …).
76
2.2. Formation à la recherche, Master 2, UE 34
L’UE2 est présentée sur la plaquette ainsi :
« Il s’agit d’une initiation à la recherche en éducation et formation. Cette initiation se fera à
travers la présentation des objets d’étude, des cadres théoriques, des problématiques et des
méthodologies de certains domaines de la recherche en éducation, formation et didactique des
disciplines (conférences). Il s’agira aussi d’étudier et d’approfondir un domaine de recherche par
la participation à un séminaire de recherche (groupes de TD) où le travail consistera à apprendre
à définir une problématique d’étude, à choisir une méthodologie de recherche et à concevoir
un dispositif de recherche. Ce travail est une étape pour aider les étudiants, qui le choisiront, à
écrire un mémoire de recherche dans le cadre de l’UE 42 ».
Dans cette UE, les mêmes thématiques que dans l’UE 25, sont proposées aux étudiants qui
font cette fois un travail d’analyse approfondie de travaux de recherche (articles, chapitres
d’ouvrage, extraits de rapport de recherche, corpus d’observation, séances vidéo filmées dans
des situations d’enseignement-apprentissage, questionnaires, …). C’est une initiation à la
recherche afin de développer sa propre problématique (trame de l’UE 25, ici en rapport avec
la diversité linguistique et culturelle des apprenants), la faire évoluer et se questionner d’une
part sur la ou les méthodologie(s) à mettre en œuvre pour le recueil des données et l’analyse,
d’autre part, construire un cadre théorique qui servira de base pour l’analyse et la discussion des
résultats. L’objectif dans cette UE est la construction d’un cadre méthodologique pour mettre
l’accent sur les différentes parties d’une recherche exposant la méthodologie mise en œuvre,
les résultats obtenus (analyses de corpus de recherches, enquêtes, observations de classes ou
d’élèves, etc.), la discussion de ces résultats. Il s’agit d’être capable de s’approprier ces outils en
les transférant dans sa propre recherche.
3. Formation à la recherche, Master 2, UE42
Cette UE arrive après le stage (54h) effectué par les étudiants en établissement scolaire ou
en entreprise qui leur permet d’exploiter le terrain pour recueillir les données du mémoire
professionnel ou de recherche. Elle représente l’étape de transfert des acquis de la formation
et de la recherche (notamment les UE 25 et 34) pour construire son propre objet de recherche.
Théorie et pratique sont interrogées dans un cadre méthodologique approprié. Cependant, des
obstacles peuvent entraver le travail d’investigation, particulièrement lorsque le terrain choisi
n’est pas accessible (ex. comparaison de classe de FLE aux Etats-Unis et en France, la culture du
professeur français dans un lycée français à l’étranger face à l’apprenant local, l’échec scolaire
en FLS au Mali, les primo-arrivants isolés,…). Dans ces cas, le corpus est recueilli à distance
(questionnaire, enregistrement audio ou vidéo, entretien).
3.1. Master EF (Education et Formation)
Il s’agit dans ce master des UE professionnelles interdisciplinaires et transversales et celle
qui sera décrite est l’UE 41 Ethique et responsabilité, diversité des publics. C’est une formation
77
qui s’adresse particulièrement aux futurs enseignants du 2nd degré (ex. professeurs de collèges
et lycées) qui suivent les UE disciplinaires de master à l’université et les UE professionnelles à
l’IUFM. Ils sont sensibilisés, entre autres, aux publics à besoins particuliers comme les élèves
ayant des difficultés scolaires liées à la non maîtrise de la langue et les élèves nouvellement
arrivés en France relevant du FLE (non francophones) ou du FLS (élèves peu francophones).
Je n’aborderai dans cette partie que la prise en charge des élèves non francophones qui
nécessitent un dispositif didactique, une pédagogie et des conditions d’enseignement spécifiques dans une situation où la langue et la culture d’origine ne sont pas celles de l’école et de la
société d’accueil. Les réponses à la « non francophonie » ou la non maitrise de la langue chez les
élèves relèvent de la construction d’un milieu, d’un temps et d’une organisation différente de ce
qu’on trouve dans les classes ordinaires. Il faut rappeler qu’on forme des enseignants à prendre
en charge des classes FLM mais qui peuvent se retrouver avec des non francophones ; une
pratique qui dure depuis une trentaine d’années et qui met en difficulté à la fois l’enseignant
et l’élève (Chnane-Davin et al., 2011). Une formation de base théorique et pratique est donc,
nécessaire, pour outiller l’enseignant et l’aider à entrer dans le métier.
Pour ce faire, une sensibilisation à la didactique des langues et des cultures parait essentielle.
Ainsi, en termes de contenu concernant les élèves non francophones, les conférences de l’UE 41
sont centrées sur les dispositifs institutionnels mis en place pour la scolarisation des publics non
francophones, sur les didactiques du français (FLE, FLS, FLM) ainsi que sur leurs convergences et
leurs divergences et sur l’interculturalité. Quant aux travaux dirigés, ils développent ces mêmes
points sur le plan pratique pour proposer des pistes de réflexion et de démarches en classe de
FLE/FLS.
4. Limites et conclusion L’objectif de cet article n’est pas de décrire des unités d’enseignement introduites dans
les nouveaux masters de la formation des enseignants mais de montrer qu’il y a une prise de
conscience que l’école ne peut plus ignorer la diversité linguistique et culturelle des apprenants
et que l’enseignant a besoin d’être outillé pour faire face cette diversité. Les formations citées
ne représentent, certes, que de la sensibilisation ou de l’initiation à un domaine vaste celui
des langues et des cultures liées au FLE/FLS qui mérite qu’on lui attribue plus place dans la
formation des enseignants. Mais, le vrai problème réside dans la non reconnaissance institutionnelle, dans l’inexistence d’un CAPES FLE/FLS ou autres concours de ce type, dans la précarité
des enseignants diplômés mais qui sont hors statut de la fonction publique, ce qui est le cas de
certains enseignants de FLE/FLS français à l’étranger ou de ceux qui enseignent à des étrangers
en France. Quant à leurs collègues titulaires, instituteurs, professeurs des écoles ou certifiés,
ils prennent souvent en charge les classes des non francophones dans les écoles en France ou
dans les écoles françaises à l’étranger sans formation spécifique. Pire, des formateurs, qui jusqu’à
maintenant intervenaient en FLM, se retrouvent parfois avec des stagiaires qu’ils doivent initier
au FLE/FLS, à la non francophonie, à l’interculturalité pour faire face à la diversité linguistique
et culturelle des élèves. Par conséquent, formateurs et enseignants sont en difficulté à des
78
niveaux différents. Ils ne s’en sortent que grâce à des auto-formations ou au prix d’une reprise
d’études universitaires sachant qu’il faut à la fois avoir une formation en sciences du langage et
en sciences de l’éducation pour répondre à la diversité de ces publics.
Enfin, pour revenir à ce qui a été dit dans l’introduction, l’université et les IUFM demeurent
deux mondes « cloisonnés », dont l’un prépare à un diplôme proprement dit en FLE qui ne
permet pas d’accéder au concours et l’autre prépare à des concours qui ne reconnaissent pas
le diplôme du FLE. Une réinterrogation du statut de « l’enseignant au sein du dispositif d’enseignement/apprentissage de la langue étrangère » et une réflexion sur la professionnalisation des
futurs enseignants dotés des diplômes de FLE/FLS s’imposent aujourd’hui.
Bibliographie
F. CHNANE-DAVIN, C. FELIX, M.N. ROUBAUD, L’enseignement du français comme langue seconde
dans le milieu français, Grenoble : PUG, 2011
F. CHNANE-DAVIN et J.-P. CUQ, « Formation des enseignants au français langue étrangère et
seconde. Université et IUFM, deux mondes provisoirement cloisonnés ». Actes du 6ème Colloque
des IUFM, 2007, Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire des enseignants ? Le 2, 3,
4 mai 2007 à Arras, www.lille.iufm.fr/IMG/pdf/215-222_CHNANE-CUQ_Tome1.pdf
CORDIER-GAUTHIER C. et C. DION, (2007) « Etat du FLE/S au Canada, en Belgique, en Suisse
et en France ». In M. Verdelhan (dir.) Le Français langue seconde, un concept et des pratiques en
évolution. Collection Perspectives en éducation et formation, éditions De Boeck p.29-44.
J.-P. CUQ, Le français langue seconde. Origines d’une notion et implications didactiques. Paris, Hachette, 1991J.-P. CUQ et F. DAVIN-CHNANE, « Français Langue Seconde : Un concept victime de
son succès? », in M. VERDELHAN (dir.) Le Français langue seconde, un concept et des pratiques en
évolution. Col. Perspectives en éducation et formation, éditions De Boeck, 2007, p. 11-28.C. FORESTAL, « Et si l’on parlait d’incivilité institutionnelle et d’immobilisme ? ». ELA 133, janvier-mars
2004, Didier.R. GALISSON, « S.O.S. Didactique des langues étrangères en danger », ELA 27, 1977.
R. RICHTERICH, « La vie didactique : mode d’emploi », ELA 94, 1994.
M. VERDELHAN-BOURGADE, Le français de scolarisation, pour une didactique réaliste, Paris, PUF,
2002.
G. VIGNER, « Français langue seconde : une discipline spécifique », Diagonales 4, 1987, p. 42-45.
G. VIGNER, « Le français, langue de scolarisation », Diagonales 12, 1989, p. 41-48.
79
Le corrigé des productions écrites
Claudine FRÉCHET
ILCF, Université Catholique de Lyon
Nous corrigeons régulièrement les productions écrites de nos étudiants. Un certain nombre
de questions se pose.. Comment corrigeons-nous ? Que privilégions-nous ? Qu’évaluons-nous
(respect de la consigne, respect de la cohérence, vocabulaire, syntaxe) ? Quelle formation
proposons-nous à l’apprenant à partir de ces documents ?
A partir de quelques exemples de productions écrites d’étudiants de l’ILCF (UCLy) de
différents niveaux (une dizaine par niveau), je propose de dresser une typologie des erreurs
signalées ainsi qu’une typologie des corrections proposées – au fil du texte ou globalement – et
d’essayer enfin de comprendre quelles sont les corrections les plus appropriées à la progression
de l’apprenant en français.
1. Typologie des erreurs (cf. Annexe 1)
A partir des éléments recueillis, nous pouvons faire quelques observations générales :
• L’ordre des caractères dans le mot semble acquis en A2.
• L’ordre des mots dans la phrase est compris à partir du A2.
• L’élision est maîtrisée en B1 sauf exception.
• L’utilisation des auxiliaires est correcte en B1.
• La maîtrise de l’opposition majuscules/minuscules n’est acquise qu’en B2.
• L’interrogation est bien formulée en B2, elle apparaît en B1.
• Les phrases complexes apparaissent en B2.
• Le niveau B2 ouvre une nouvelle étape, notamment au niveau syntaxique. Les productions
écrites sont plus étoffées et permettent d’améliorer l’utilisation des déterminants, des
prépositions, des formes verbales, des comparatifs, des pronoms possessifs, démonstratifs
et relatifs.
• Les articles contractés sont acquis en C1, néanmoins on retrouve des confusions pour les
81
articles jusqu’à ce niveau. Cela est justifié par le fait que le lexique augmente et les possibilités d’erreurs se multiplient. L’orthographe de la conjugaison est acquise en C1.
• La restriction et certaines locutions sont utilisées en C1 sans être maîtrisées.
A tous les niveaux, les problèmes de graphie dus à une prononciation imprécise ou inexacte
sont présents. Nous trouvons également des confusions de genre et de nombre, d’emplois des
déterminants, des prépositions et des conjugaisons, et, comme chez les locuteurs natifs, des
problèmes d’orthographe.
Non signalée
Orthographe
Majuscule /
minuscule
Lexicale
Syntaxique
A1
A2
B1
B2
X
X
X
X
X
Orthographe
élision (phonologie)
X
Accent
X
Conjugaison
X
Lexique
Lexique
Syntaxe
Syntaxe
Accord
C1
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Quant aux erreurs non signalées, il y a les oublis que nous pouvons faire, en tant que
formateur, et les corrections que nous n’estimons pas utiles de signaler à l’apprenant. Ainsi, il
est possible de ne pas signaler les formes verbales défectueuses en A1, les accents manquants
ou fautifs, des éléments qui relèvent de l’orthographe, certains lexèmes et des éléments
syntaxiques, pour les A1 et A2.
Le décompte du nombre d’erreurs non signalées, par catégorie, est instructif même s’il
correspond aux attentes. En effet, en A1, 6 catégories sont concernées, en A2, 4 catégories, en
B1, 3 catégories, en B2, 3 catégories et 1 seule catégorie en C1, tout en sachant que, pour ce
dernier cas, il s’agit plus d’un oubli de la part du formateur que d’une volonté de non correction.
De façon générale, nous appliquons ce qui a été préconisé par Hendrickson et repris par
Champagne-Muzar et Bourdages1 , pour qui il convient de signaler en
A1-A2, « les erreurs qui nuisent ou empêchent la communication »
B1-B2, « les erreurs qui nuisent ou empêchent la communication » et « les déviations les plus
fréquentes »,
1. C. Champagne-Muzar, J.-S. Bourdages, Le point sur la phonétique, CLE International, 1993.
82
C1-C2, « les erreurs qui nuisent ou empêchent la communication », « les déviations les plus
fréquentes », et « les erreurs irritantes » (pour le locuteur natif ).
Cette brève étude nous permet de faire quelques observations. Il serait maintenant
intéressant de voir dans quelle mesure ces remarques concordent avec le Cadre Européen
Commun de Référence pour les langues.2
2- Typologie des corrections sur les copies (cf. annexe 2)
A partir du même corpus, on observe que c’est pour les productions des étudiants à destination de niveau A1 qu’il y a la plus grande palette de corrections. L’indication d’une erreur
par le soulignement est propre à tous les niveaux de même que la correction d’un mot ou
d’un syntagme. L’ajout est rare à partir du B1 et, à partir du B2, on ne trouve plus de ratures.
L’indication de la catégorie des erreurs n’apparaît qu’en B2 dans mon corpus.
Par les annotations sur la copie, nous constatons que l’indication de l’erreur de registre est
signalée en B2 alors que la correction est déjà faite en B1
Le plus souvent, le commentaire écrit qui accompagne la correction mentionne des éléments
linguistiques. Ce n’est qu’à partir du C1 que des observations ou des conseils sont émis pour le
fond et la forme. En fait, nous commençons à traiter les éléments qui influencent négativement
le lecteur natif au milieu d’un texte correct dans l’ensemble.
Les commentaires sont très souvent à l’infinitif ; à partir du C1 les commentaires sont plus
étoffés et s’adressent directement à l’apprenant (tutoiement).
Ce n’est qu’en niveau C1 qu’apparaissent des commentaires au niveau pragmatique
(adéquation du contenu avec la consigne). Il est vrai que les productions écrites qui ont servi
de corpus pour cette brève description ont été demandées dans le cadre d’une formation et
non d’une évaluation sommative. Les consignes sont donc écrites, explicitées à l’oral par l’enseignant, ce qui évite, pour l’apprenant, les dérapages.
3. Suivi de l’étudiant dans sa progression (cf. annexe 3)
Pratique de la correction
Le public que nous avons est constitué d’étudiants majeurs qui sont donc responsables de
leur progression. Pour la plupart, ils ont à leur disposition un portfolio qui leur permet d’évaluer
leur progression.
Néanmoins, il semble que lorsque la production écrite fait l’objet d’une évaluation chiffrée
qui entre en compte dans le contrôle continu, il peut être proposé à l’étudiant de réévaluer sa
copie après correction et modification des éléments signalés. Cette pratique est appliquée par
certains enseignants qui trouvent qu’elle donne de bons résultats.
Le principe du repérage est sans doute très formateur. L’apprenant est ainsi mis activement à
contribution dans la correction. Ce type de sollicitation convient à une catégorie d’apprenants.
Certains préfèrent que la correction soit proposée directement ; ils estiment que, pour eux, c’est
un gain d’énergie.
2. Conseil de l’Europe, Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, Paris, Didier, 2001.
83
L’enseignant est en quelque sorte le « sachant ». Nombre d’étudiants visent à la perfection et
ne comprennent, qu’à la lecture des corrections ou des propositions, que leur production n’est
pas parfaite. Certains enseignants trouvent tout à fait hors de propos de corriger les accents par
exemple en A1, estimant que cela n’apporte rien à l’apprenant. Le fait de ne pas signaler toutes
les erreurs dans les copies n’a pas donné lieu à des commentaires de la part des apprenants.
Néanmoins, lors des productions orales dans les groupes, les étudiants font assez souvent
ressortir que le professeur ne corrige pas systématiquement et le regrettent. Il pourrait être
intéressant de repérer toutes les erreurs en adoptant un code. Il pourrait y avoir un type de
repérage pour les erreurs concernant les compétences requises pour le niveau et un autre type
de repérage pour les erreurs qui sont tolérées compte tenu du niveau mais qui auraient été
signalées si la production avait été effectuée dans un niveau supérieur. De mon point de vue, il
y a un risque lorsque tout n’est pas repéré ; l’étudiant peut « fossiliser » une construction fautive.
Pratique de groupe
Il est vrai que certains apprenants peuvent nous reprocher de citer leurs productions, même
lorsque nous le faisons de façon anonyme. Néanmoins, je crois que cette méthode dépend
beaucoup de nous en tant qu’intervenants. Il convient de préciser cependant que les corrections collectives à partir des productions individuelles doivent être effectuées par rapport à des
productions réalisées en cours ; les étudiants sont ainsi davantage sur un pied d’égalité. L’erreur
expliquée peut être même une stratégie pour l’apprenant. Il tente une construction (syntaxique,
argumentative,…) qu’il pourra réutiliser si elle est validée lors de la correction ou qu’il modifiera
si au contraire elle s’avère incorrecte ou inexacte. De la même façon que lorsqu’un apprenant
nous dit « ils se divorcent » et nous expliquons que le verbe divorcer ne se construit pas comme
le verbe « se marier », la correction d’une erreur nous amène toujours à élargir et à enrichir notre
contribution à la formation de nos apprenants. Il est toujours plus formateur de convoquer
l’ensemble des connaissances du groupe plutôt que de se poser en détenteur de la solution qui,
d’ailleurs, peut être plurielle. Bien souvent, il est utile de faire parler le producteur du texte pour
s’assurer que nous (enseignant et groupe) avons bien compris ce qu’il voulait dire alors que par
une correction intempestive et autoritaire nous pouvons trahir son propos ; nous sommes les
médiateurs des échanges.
Autre intérêt de la correction collective, elle met l’apprenant en face de la réalité de l’intercompréhension. Nous savons que l’enseignant porte le chapeau de la « règle », de la « correction »,
de la « critique corrective et constructive ». Parfois, l’apprenant a le sentiment d’avoir commis
des erreurs mineures qui ne l’empêchent pas d’être compris alors que le groupe classe peut faire
la démonstration du contresens, voire du« non-sens » d’une partie de sa production.
Enjeux
En tant que Français nous sommes dans une culture de l’écrit. Nos contrôles de connaissance
sont basés principalement sur l’écrit. Certains de nos étudiants n’ont pas cette maîtrise. Les
84
Colombiens par exemple n’écrivent pas de carte postale, n’ont pas de correspondance autre
qu’administrative. L’équivalent du baccalauréat français est un QCM.
La production écrite intervient bien sûr pour l’acquisition du vocabulaire et des structures
grammaticales mais elle est aussi une formation à la formalisation de la réflexion qui prend en
compte le contenu et la forme.
L’écrit nous permet de vérifier que les modèles syntactico-sémantiques qui ont été enseignés
à partir de différents types d’exercices sont non seulement appris mais acquis. Néanmoins, si
l’on ne veut pas décourager l’apprenant par des productions écrites surchargées d’annotations,
les activités préparatoires en amont sont fondamentales.
Formation
Les productions écrites permettent de lier des séquences qui ont été apprises de façon plus
ou moins systématique et de rédiger un texte cohérent.
Dans quelle mesure nos corrections, nos annotations permettent-elles à l’apprenant
d’assimiler les séquences utiles pour les reproduire ultérieurement et dans d’autres contextes
authentiques ? Le repérage des erreurs est particulièrement intéressant parce qu’il permet à
l’apprenant de réfléchir pour arriver à se corriger. Les erreurs peuvent être le fait de la langue
maternelle et là en tant que formateurs, nous n’avons pas toujours les compétences pour les
repérer et les clés pour les expliquer – plus la langue maternelle est proche de la langue cible,
plus ce genre d’erreur est fréquente – d’autres sont le résultat d’un apprentissage inachevé. Si
on ne peut nier l’utilité du repérage des erreurs, il semble de toute importance de faire l’analyse
des inexactitudes ou des maladresses pour amener l’apprenant à réfléchir et à améliorer
lui-même la qualité de sa production. L’apprenant qui assiste à nos cours est en train de muer,
notre rôle est de l’aider à sortir du carcan des formes figées apprises par cœur pour arriver à
des productions fluides personnelles et plus ou moins improvisées. Les apprenants sont dans
une phase d’appropriation et leurs erreurs permettent tout un travail en aval avec des exercices
de reformulation à partir des corrections effectuées ; ces corrections font ressortir différentes
règles, ce qui nous amènera vers d’autres exercices parfois répétitifs qui fixeront la structure
dans l’esprit de l’apprenant car, comme du point de vue articulatoire, des automatismes sont à
acquérir. Le repérage des erreurs n’est plus un élément négatif mais un élément constructif de
la progression. L’évaluation des productions écrites est inscrite dans la durée. Elle est le témoignage de compétences acquises et de la progression.
Les corrections en situation semblent les plus porteuses et permettent plus d’auto-correction. Pour qu’elles soient efficaces, il convient de les faire suivre d’activités qui permettront
de réutiliser et valider l’apprentissage en cours acquisition. L’enseignant n’a pas qu’un rôle de
descripteur, l’enseignant doit essayer de comprendre les causes de l’erreur et adopter ensuite
une remédiation appropriée. La correction permet à l’étudiant de progresser (valeur formative)
et à l’enseignant de vérifier (valeur sommative) que ce qui a été présenté est acquis. La correction
permet également à l’enseignant d’élaborer la suite du cours sous la forme la plus adéquate au
groupe. Les erreurs des apprenants sont donc des apports fondamentaux à la progression de
85
l’apprentissage
Enfin, apprendre à écrire, pour l’apprenant, c’est comprendre et réécrire. Pour l’enseignant,
la production écrite permet de comprendre les erreurs pour les corriger, et de construire une
progression appropriée.
ANNEXE 1 - Typologie des erreurs
A1
Graphie - ordre des caractères aime / amie
Avec influence de la langue maternelle : juedi / jeudi
ou seconde : november / novembre
Majuscule / minuscule
Il / il
Lexique :
Genre mon chère, un ville
Phonétique
Graphie du mot inexacte due à une prononciation encore imprécise
jolie / joie
foi / froid
habitie / habite
Influence langue maternelle
november / novembre
historical / historique
rever / rivière
mesone / maison
Orthographe
Conjugaison : Est /es
Lexicale : un peux
Elision
Je aime
Syntaxe
Ordre des mots dans
le groupe nominal catholiques l’université
française famille
Préposition absente ou fautive : à pour dans
Conjugaison : je va
nombre : les gens est
Possessif : moi camarades
(double déterminant) à la mon
Adverbes (quantité / intensité)beaucoup froid
Erreurs non signalées
86
Majuscule / minuscule Il / , il
Orthographe lexicale : apprandre / apprendre
accent trés / très bîere / bière j’etudie,
syntaxique : Chers / cher
chére cousin
conjugaison: je fait
Syntaxe : lieux d’aller / lieux où aller
A2
Majuscule / minuscule
Désolé / désolé
Lexique
Sens inexact (deixis) : aller / venir
Phonétique
Graphie du mot inexacte due à une prononciation encore imprécise ou à une mauvaise
mémorisation visuelle
tête / fête
Orthographe
Conjugaison : dis / dit
Avec influence de la prononciation : voyage / voyagez
Ellision ce est / c’est
Syntaxe
Accord: c’est gentils
Préposition absente ou fautive (aller la fête, en / pour dimanche)
Adj. Possessifs : son /notre
Temos du présent / du passé composé
Participe passé / infinitif
Auxiliaire avoir / être (nous avons d’accord)
Erreurs non signalées
Orthographe lexicale apperitif / apéritif
Parce-que
Accent : trés - tres / très
espere / espère
numero / numéro
Nombre (accord) Nous sommes très content / Nous sommes très contents
Syntaxe
Constructions : rendre visite à vous
Je crains que je ne peux pas venir
B1
Majuscule / minuscule
87
Lexique
Champ sémantique (confusion)gens / personne
Bien / beaucoup
Registre lexical : ados, en plus
Orthographe
lexicale : long temps
lexicale et phonétique : dissent / disent
Syntaxe
Non inversion sujet/verbe pour l’interrogation
Construction des verbes (prépositions incorrectes)
Sémantique des formes verbales (en phrase complexe concordance des temps avec si)
Déterminants
Articles définis / indéfinis et indéfinis / définis
Confusion de classe les plusieurs étudiants
Nombre (accord de conjugaison) : 6e pers. / 3e pers et 3e pers. / 6e pers.
Place de l’adverbe dans la négation : il ne fait bien pas
Pronom relatif : qui / qu’ils
Phonologie
Conjugaison (forme inexacte) : pouvent / peuvent
Erreurs non signalées
Lexique
Morphologie (genre)un situation vécu
Syntaxe nous n’expérimentent
Accord participe passé
B2
Lexique
Confusion pour des lexèmes sémantiquement proches
choses / objets
Genre : morte / mort (influence de la langue maternelle)
Phonétique
Graphie du mot inexacte due à une prononciation encore imprécise ou à une influence de la
langue maternelle ou à une mémorisation inexacte
Barcelona
roumains / romans
devent / doivent
Orthographe
Conjugaison : devent / doivent
Elle écris
Lexicale (phonologie) : néamoins
Beacoup
88
Syntaxe
Article : les quels / lequel
Préposition : en les / dans
Pronom possessif : leur / la la fille de lui
Pronom démonstratif : ce / c’est
Pronom relatif : qui / queque / qui
Comparatif : plus / très
Articles contractés : de les / de
Phrase complexe : qui ne peut pas que
Phonologie
Pronom démonstratif : ce / c’est
Pronom relatif : qui / queque / qui
Erreurs non signalées
Accent : dérnier / dernier, credit / crédit, dérrière / derrière
Syntaxe : fascinant de ses ouvrages / fascinant dans ses ouvrages
ou / où
C1
Lexique : domaine / facteur
Graphie du mot inexacte due à une prononciation encore imprécise, à l’influence de la langue
maternelle ou à une mauvaise mémorisation
Crisis / crise
Genre cette pays
Orthographe : par tout / partout
Syntaxe
Article : plus discutés/les plus discutés
d’autre côté/d’un autre côté
Préposition : à / sur
Graphie de la locution inexacte due à une prononciation encore impréciseIl y a de plus est plus/
il y a de plus en plus
Restriction vs négationelle n’a pas des aspects/elle n’a pas que des aspects
Phrase complexe : on dit que … permettre
Concordance des temps
Accord les produits étranger/les produits étrangers
Erreurs non signalées
Orthographe (élision) et phonologie : se offrent/s’offrent
89
Tableau récapitulatif
Signalées
Graphie
Lexique
A1
Ordre des caractères
Majuscule / minuscule
X
Lexème :
genre
X
Lexème :
Forme
X
X
Sens inexact
Phonologie
Phonologie
X
A2
B1
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Lexicale
X
Elision
X
Syntaxe
Ordre des mots
X
Déterminant
Classe
X
articles définis ou
indéfinis
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
articles contractés
Accord
Comparatif
90
X
X
conjugaison
Déterminant
X
X
Pr. dém. / rel.
Préposition
(construction des
verbes)
C1
X
Conjugaison
Orthographe
B2
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Pour une évaluation
créative en classe de langue
Isabelle PUOZZO CAPRON
Haute École Pédagogique du Canton de Vaud (Suisse), PhD, Chargée d’enseignement
Enrica PICCARDO
Oise University of Toronto (Canada), PhD, Assistant Professor
Tous les élèves sont la proie d’émotions quotidiennes, plus ou moins intenses, et récurrentes
en fonction des disciplines dans lesquelles ils se trouvent plus compétents. La classe de langue
étrangère ou seconde est un environnement qui suscite des émotions, notamment liées au
moment de la production orale. Durant le cours de langue, l’émotion est d’autant plus forte que,
à l’apprentissage de nouveaux contenus qui sont en phase d’acquisition comme pour toutes les
autres disciplines, s’ajoute la non-maîtrise de la langue cible, variable qui n’est pas présente
ailleurs. Cette dimension émotionnelle devient encore plus intense en contexte d’évaluation
sommative.
La perception que l’apprenant a de ses émotions et des manifestations physiologiques qui
en découlent a un impact très fort sur l’apprentissage et la réussite scolaire. Cette émotion peut
être de nature variée et se manifester en classe de manière différente. Pour tenter de réduire
la variable de l’émotion parasite et augmenter ainsi la performance linguistique, nous avons
mis en place une recherche visant à instaurer une pédagogie de la créativité dans l’évaluation
sommative. Nous définirons ce qu’est une évaluation créative et montrerons justement qu’elle
permet à la fois de mesurer un niveau de compétence et de canaliser les émotions qui parasitent
la production orale par le biais de l’émergence d’émotions facilitatrices d’apprentissage.
1. Emotions et apprentissage de la langue
1.1 Perception des émotions et apprentissage
Dans une perspective socio-cognitiviste, le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura,
2003) est la perception préalable que l’apprenant a de ses capacités et qui va lui permettre
de s’engager ou non dans une tâche. Il constitue l’une des variables de la réussite scolaire. En
effet, plus l’apprenant a une perception élevée de ses capacités, plus il a la possibilité de réussir
sa performance. Les élèves s’auto-évaluent continuellement en classe et s’investissent plus ou
moins dans l’apprentissage d’une discipline en fonction de cette perception qui est influencée
à son tour par les états physiologiques et émotionnels (Bandura, 2003). Généralement, plus
grande est la perception de ses capacités, plus les émotions et les états physiologiques
91
sont positifs et inversement. Cette source est donc auto-évaluative car ce sont les élèves qui
analysent ces changements du corps et de l’esprit et qui vont leur en donner une interprétation,
souvent basée sur des expériences antérieures. Ainsi, stimuler une émotion agréable (Damasio,
1999) pour un élève implique de lui permettre de mieux percevoir les ressources qu’il maîtrise
pour réaliser une tâche.
De plus, dans la lignée socio-cognitiviste, les recherches montrent que les individus se
rappellent des situations d’apprentissage durant lesquelles se sont construits des « souvenirs
`chauds´ connectés […] à la joie » et des souvenirs « froids » « associés à la douleur, la souffrance »
(Brewer, 2006, pp. 233-234). Le professeur aspire, certes, à construire la dimension épistémique
des contenus de sa discipline pour former intellectuellement ses élèves. Cependant, ce qu’il en
reste souvent, c’est bien la dimension émotionnelle. La recherche présentée dans cet article
consiste à mettre en place un projet créatif qui, par le biais de l’évaluation sommative, mesure
l’apprentissage et vise la construction d’un souvenir chaud. Il ne s’agit donc pas de masquer
la phase évaluative, mais au contraire d’accompagner les apprenants dans l’élaboration d’un
souvenir agréable et d’un apprentissage.
1.2 Stimuler des émotions. Une recherche empirique sur le socio-cognitivisme
L’enquête menée s’inscrit dans une recherche fondamentale de type qualitatif. La méthode
de la recherche est une enquête de terrain de type ethnographique (Beaud & Weber, 2003 ;
Cambra Giné, 2003) pour l’observation en contexte naturelle et une observation-participante
(Becker, 2002) dans la réalisation de tâche créative. Le socio-cognitivisme, plus exactement le
sentiment d’efficacité personnelle, a constitué le fondement de l’observation en classe.
L’échantillon se compose de 43 élèves de première année dans un lycée professionnel en
Vallée d’Aoste dans le nord de l’Italie. La discipline choisie est le français langue seconde/
étrangère. L’observation a duré une année. L’évaluation diagnostique réalisée en début d’année,
à l’entrée au lycée, par l’enseignant a déterminé une moyenne entre 3 et 4 sur 10, ce qui laissait
supposer un niveau A2 du CECR, soit un niveau insuffisant pour le système valdôtain. Une
enquête qualitative avait été également réalisée et elle montrait une très faible perception des
compétences acquises en français (Puozzo Capron, 2011). Cet article se focalise uniquement sur
une évaluation sommative construite autour de la créativité. Cette évaluation s’insère dans la
séquence d’apprentissage sur le texte descriptif, dont les détails sont fournis ultérieurement. Les
élèves étaient censés rédiger la description de l’hôtel/restaurant ou bar de leurs rêves, l’exposer
ensuite à la classe en présentant un support créatif (l’objet) permettant d’accompagner et de
suivre la description. L’idée sous-jacente est que cet objet créatif permet à l’élève de favoriser
son imagination et de s’appuyer sur un support qu’il a lui-même construit afin de stimuler
un état émotionnel qui lui permettrait de se percevoir plus auto-efficace. Pour l’élève, il s’agit
uniquement de passer du savoir acquis avec l’enseignant à la compétence pragmatique (CECR,
2001) de structuration du texte descriptif.
L’hypothèse de départ était donc de canaliser les émotions parasitées par l’évocation
92
d’émotions personnelles, en lien avec la formation professionnelle, et d’améliorer ainsi la performance orale. Cette amélioration devait se traduire en :
une augmentation du temps de production. Vu que c’était la deuxième évaluation créative
de l’année, il s’agissait de passer de 10 à 15 minutes de production orale continue ; une maîtrise
des connaissances et des capacités sur le texte descriptif, manifestée à travers une performance
de nature créative permettant la réussite d’un plus grand nombre possible d’élèves.
La première hypothèse, sur le temps de la production, a été amplement validée. Nous avons
d’ailleurs noté que les résultats les plus hauts et les performances les plus longues ont été
atteints par le biais des nouvelles technologies. Quant à la deuxième hypothèse, la moyenne
était en nette amélioration par rapport à l’évaluation diagnostique initiale puisque l’on est passé
entre 3/4 de moyenne à 6,5 avec les 65% des élèves qui obtiennent plus de la moyenne prévue
au niveau institutionnelle, à savoir 6 sur 10. La note minimale attribuée était de 2 et maximale
de 9,5. 12 élèves ont obtenu en dessous de la moyenne et 28 au-dessus. 3 élèves ont refusé de
réaliser cette performance. Une des élèves a refusé de faire le travail créatif sur le texte descriptif
en disant qu’elle avait choisi le lycée hôtelier et non le lycée artistique, confondant ainsi les
notions de support créatif et support artistique. Pour les autres, soit la créativité ne leur a pas
permis de dépasser la peur de la production orale, soit la créativité a constitué un obstacle. Ce
cas est donc à prendre en considération, la créativité pouvant être en elle-même une variable
inhibitoire. De manière générale, les résultats montrent néanmoins que même si toutes les
connaissances et capacités ne sont encore complètement maîtrisées par tous les élèves, les
performances se sont révélées d’une qualité supérieure tant au niveau du temps de production
que des contenus. Cette recherche présente la limite de ne pas avoir mené d’entretiens à l’issue
de l’expérience pour creuser la dimension subjective. Pour pallier à cette limite, il s’agit dans cet
article d’approfondir le lien entre créativité, émotion et apprentissage afin de mesurer l’impact
de cette triade en situation d’évaluation.
2. L’émotion en classe de langue
Définir ce qu’est l’émotion peut sembler, au premier abord, relativement simple ; elle appartient au domaine du ressenti. Toutefois, si l’on creuse un peu plus en profondeur, on s’aperçoit
que sa définition varie en fonction des points de vue adoptés (psychologique, linguistique,
didactique, etc.) et que la notion n’est pas si évidente à cibler (Fehlmann, 2007). De prime abord,
nous parlons d’émotion et non de sentiment puisque ce second désigne avant tout un état
« stable et durable » (Valetopoulos, 2005, p. 69) alors que l’émotion est temporaire, inattendue,
imprévue. Comment un professeur peut-il voir que l’élève exprime une émotion ? Grâce à son
discours ? Là encore, une nouvelle notion tout aussi complexe intervient (Ibid.). Tenons nous
dans une première phase à une définition très simple de l’émotion comme « sensation (agréable
ou désagréable), considérée du point de vue affectif » prise dans Dictionnaire historique de la
langue française (2000, p. 731).
Toutefois, à cette définition s’ajoute également la perspective pédagogique. Comme il a
93
déjà été évoqué durant l’introduction, le cours de langue en général est une source d’émotions
souvent parasites car il s’agit de s’exprimer avec une langue que l’on ne maîtrise que partiellement
(Piccardo & Puozzo, 2013, à paraître). En général, l’école est le lieu où l’émotion peut constituer
« une entrave ou au contraire une aide forte à l’acquisition » (Cuq, 2003, p. 80). Les sentiments
de peur et d’anxiété sont souvent la cause de l’échec de l’apprentissage (Arnold, Brown, 2000) ;
il s’agit alors de « parvenir à maîtriser ses émotions sans pour autant les supprimer » (Cuq, 2003,
p. 80). Sachant que la production écrite et orale constituent un facteur d’émotions parasites
(Daly & Miller, 1975, cités par Bannour, 2007), la réalisation d’un support créatif devient alors un
intermédiaire pour parvenir à maîtriser ses émotions parasites qui engendrent parfois un refus
de s’investir dans l’apprentissage. La dimension créative est donc considérée à la fois comme
la source d’expression des émotions facilitatrices de l’apprentissage et simultanément comme
une solution pour tenter de contrôler les émotions parasites liées aux compétences actives.
Par ailleurs, même si la séparation entre émotion et raison est encore fortement ancrée dans
les représentations (Piccardo, 2007), la dimension émotive ne doit certainement pas remplacer
celle cognitive, mais elles peuvent travailler en complémentarité (Piccardo, 2003) à l’image du
corps et de l’esprit (Piccardo, 2007). « When both are used together, the learning process can be
constructed on a firmer foundation » (Arnold & Brown, 2000, p. 1). C’est une « ‘émotion socialisée’, maîtrisée par le langage » (Caelen-Haumont & Bel, 2001, p. 142). Le professeur amène les
élèves à parler d’eux-mêmes grâce à l’imagination. La créativité ouvre un espace en classe où les
élèves peuvent laisser leurs rêves, leurs fantasmes, voire leurs peurs se manifester (Yaiche, 1996).
Le lien s’articule ici entre émotion et créativité qu’il est nécessaire à présent de décrire.
3. Une pédagogie de la créativité
3.1 Pour une définition de la créativité
Nous nous référons à une définition envisagée dans le cadre d’une recherche précédente
dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des langues :
[la créativité serait] intrinsèque à la nature humaine et susceptible d’amélioration — de
production et de reproduction riche et originelle, de restructuration personnelle de concepts
et de données, d’usage autonome et non banal de tout élément même de nature différente
(textes, images, musique...), de capacité de libre association et dissociation, tout cela dans le
cadre d’une dimension de plaisir, d’humour, de jeu (Piccardo, 2005, p. 32).
L’envie de créer, de modeler les objets est effectivement innée et elle se manifeste depuis
la plus jeune enfance ; son intensité oscille avec le temps entre une envie de faire et de ne pas
faire. Gumbrecht (1994) parle de l’ambiguïté du mot qui désigne à la fois une capacité innée
et un acte en soi, celui de la création. La créativité est aujourd’hui considérée comme une « la
capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel
elle se manifeste » (Lubart, 2003, p. 10). Dans l’apprentissage, la dimension ludique est souvent
94
associée à la notion de créativité. Elle est souvent liée en classe de langue à la notion de jeu
(Silva, 2009). Cependant, cette vision est particulièrement restrictive du phénomène qui est
beaucoup plus complexe et hétérogène (Yaiche, 2009).
En outre, le plaisir apparaît progressivement au fil des tâches créatives et il se charge
doublement d’émotions lorsqu’il devient réciproque, à savoir un plaisir pour soi, mais aussi pour
les autres. La dimension sociale et sa reconnaissance sont également l’une des caractéristiques
intrinsèques et extrinsèques à la créativité. D’un point de vue de l’apprentissage, la créativité
permet de s’approprier les connaissances dans une production personnelle, nommée « écriture
créative » dont « le grand mérite » est de « prendre en compte le côté personnel de l’apprenant, de
se relier à sa personnalité, donc de constituer un facteur remarquable de motivation » (Piccardo,
2005, p. 119). Les savoirs de la discipline, souvent ennuyeux pour les élèves, se chargent d’une
connotation personnelle à travers la tâche créative, augmentant ainsi la motivation scolaire.
Prenons l’exemple de la métaphore dans la séquence didactique sur le texte descriptif. Le fait
de devoir créer une métaphore implique que l’élève doit, dans un premier temps, comprendre
le principe théorique, à savoir le fait qu’une image soit en mesure de produire un effet poétique
particulier. Puis, il doit transposer ce principe dans l’objet créatif et dans sa production linguistique. Ceci implique qu’il entre dans une démarche de production, donc dans le processus d’assimilation d’une connaissance procédurale, à savoir le fait de créer un effet esthétique adaptée à
son objet et à son texte. Si l’on donne un devoir sur table où il s’agit de relever les métaphores,
l’exercice montre un apprentissage de la connaissance déclarative, mais pas procédurale. Bien
sûr que l’objet créatif n’est pas obligatoire pour effectuer ce passage, ce qui est beaucoup plus
significatif dans l’appropriation de l’objet d’apprentissage, c’est la dimension émotionnelle et
une approche différente. Aden montre que la créativité permet de « refonder l’acte d’enseignement-apprentissage en le structurant à partir de nouveaux concepts » (2009, p. 179). La
créativité devient alors la médiatrice entre les savoirs et la production de l’élève favorisant ainsi
à la fois l’acquisition de connaissances et de capacités et le développement d’une compétence
qui se manifeste par le biais d’une performance dans le sens qu’elle mobilise efficacement
ces savoirs et ces capacités (Bourguignon, 2011). Les tâches complexes sont « ni routinières ni
automatisées » (CECR, 2001, p. 19) et ne peuvent pas, par conséquent, être réduites à l’exercice.
La notion de complexité ne se situe pas sur l’objectif en soi, mais sur l’essence même de la tâche
comme mobilisation de plusieurs variables. Dans cet article, la tâche consiste à produire un
texte descriptif et à l’exposer à l’oral à la classe en s’appuyant sur un support créatif réalisé par
chaque élève. Le point focal de cette tâche est de réfléchir sur sa « nature » (CECR, 2001, p. 121)
et les influences de la créativité sur la réussite des élèves.
3.2 Une évaluation créative
Alors que l’émotion joue un rôle fort au moment de l’évaluation, paradoxalement cette
émotion ne trouve pas de place dans la structuration de l’enseignement dominé souvent
par les exigences des tests. Dans un souci d’efficacité, l’enseignant se sent poussé à prendre
des « raccourcis », à aller droit au bout en évitant de « perdre du temps » sur des activités qui
95
impliquent l’expression libre ou créative. Ceci représente peut être une fausse solution à un
faux problème, les deux aspects n’étant pas du tout inconciliables. Comme le montrent Bilton
et Sivasubramaniam (2009) dans une étude sur l’écriture d’expression, l’évaluation peut prendre
en charge des aspects non strictement qualitatifs de la production.
Bachman et Palmer (2010) affirment que l’une des conceptions erronées sur l’évaluation est de
croire qu’il n’y a qu’une seule bonne pratique pour évaluer. Au contraire, plusieurs chemins sont
possibles pour évaluer un même objet d’apprentissage. Cet article montre que l’évaluation de la
compétence pragmatique (CECR, 2001) à produire un texte descriptif ne passe pas uniquement
par une analyse de texte ou par une production, mais elle s’effectue de manière plus complexe
puisque l’élève choisit et construit le support qu’il va décrire. Si le système éducatif le permet,
cette évaluation peut s’inscrire dans un projet interdisciplinaire. Partant du principe qu’il ne peut
y voir une bonne évaluation commune et identique pour toutes les épreuves, mais que simultanément l’enseignant doit récolter des informations (Bachman & Palmer, 2010) pour évaluer un
niveau de compétence, ce dispositif permet de répondre à la contrainte institutionnelle tout en
laissant un espace d’autonomie à l’élève qui est obligé de s’autoréguler (Bandura, 2003). Dans le
cas de notre recherche, le recueil des informations se situe à la fois à un niveau micro (maîtrise
de la métaphore, comparaison, des temps verbaux, richesse des champs lexicaux, des adjectifs,
etc.), et aussi à un niveau plus macro, dans le sens d’une production textuelle cohérente, qui est
la description subjective et objective, l’articulation cohérente de la description, la construction
rhétorique du texte, etc. L’enseignant évalue par le biais d’une tâche complexe qui se matérialise
en une performance durant laquelle l’apprenant doit mobiliser les connaissances et capacités
apprises et contrôlées précédemment par l’enseignant (Bourguignon, 2011). Les différentes
connaissances et capacités apprises et contrôlées se réfèrent aux : portrait, description physique
et caractère, description objective et subjective des personnes, objets et lieux, espace imaginaire, quelques figures de rhétorique, les temps verbaux de l’indicatif, l’adjectif qualificatif, la
proposition relative et l’accord du participe passé.
3.2.1 Créativité, émotion et évaluation
Selon l’approche socio-cognitiviste évoquée dans le cadre théorique, il est à présent possible
de tisser un lien entre créativité et émotion. En effet, laisser un espace de liberté où les élèves
peuvent choisir de créer un support, implique que ceux-ci doivent penser aux compétences qu’ils
maîtrisent et qui vont leur permettre de produire un support riche et complexe. L’enseignant
s’appuie sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves en valorisant ce sur quoi ils sont
compétents. Nous parlons ici de valorisation et non pas d’évaluation. Cette ostension de l’objet
vise à accompagner la description des élèves afin de leur permettre de parler de ce dont ils
rêvent. L’évocation même d’un fait agréable a pour objectif de stimuler une émotion facilitatrice
de la performance. Le support joue un rôle d’étayage, au sens brunerien (Bruner, 1998), pour
permettre aux élèves d’avoir un peu plus d’éléments à décrire. D’où la nécessité de valoriser
la construction d’un support complexe. Ainsi, la perception d’avoir élaboré un support en
fonction de ses compétences vise à permettre à l’élève de percevoir un état émotionnel serein
96
afin d’augmenter à son tour la perception de son auto-efficacité dans sa description et d’obtenir
une performance d’une qualité supérieure. Dans la recherche menée, la créativité a permis
d’obtenir des supports variés et d’avoir ainsi des textes descriptifs singuliers. De nombreux
supports avec différents matériaux ont été utilisés : bois, polystyrène, boîtes à chaussures,
papier, PowerPoint, le jeu des SIMS1, etc. Une grande différence dans la production s’est notée
entre ceux qui avaient choisi un support traditionnel et ceux qui avaient opté pour un support
multimédia (Puozzo Capron, 2009). Certains élèves ont su également mettre en valeur leur
maîtrise des nouvelles technologies. L’un d’entre eux a réalisé un monde virtuel avec le jeu des
SIMS dont le thème était : une chambre, un rêve (la chambre avec un bowling, la chambre des
amoureux de l’art, la chambre de l’horreur, etc.). La réalisation de ce support virtuel lui a permis
de dépasser matériellement les limites du réel. À la différence d’une maquette réalisée avec un
support où la création est limitée par la matière, dans un monde virtuel, l’élève peut développer
les potentialités de son imagination et transformer son bar en un stade de football aussi grand
que celui du stade de France. Comme on pouvait s’y attendre, il est difficile de percevoir les
émotions des élèves, on déduit plutôt les effets à partir des performances. L’exemple du monde
virtuel avec les SIMS était un projet complexe et riche qui a permis à cet élève d’effectuer une
production orale d’une demi-heure. D’un point de vue pédagogique, durant sa performance,
il a véritablement dépassé ses limites en s’exprimant en français de manière continue. La
production longue correspond au niveau B2 du CECR.
De plus, dans la perspective de « Assessment Use Argument » (Bachman & Palmer, 2010, p.
11), une évaluation qui aborde un sujet « emotionally charged » (Bachman & Palmer, 2010, p
42) touche les schèmes affectifs (affective schemata) de l’élève, construits autour d’« emotional
experiences » (p. 42) qui peuvent faciliter ou inhiber la réponse de l’élève. Bachman et Palmer
(2010) conseillent donc d’élaborer des tâches d’évaluation qui « promote feelings of comfort or
safety » (p. 42) sans perdre de vue l’apprentissage à évaluer. Cet état émotionnel est invoqué
par le sujet même de la tâche d’évaluation qui s’ancre dans une dimension personnelle par
l’évocation d’un futur professionnel idéal et potentiel. Bachman et Palmer (2010) montrent la
nécessité en contexte d’évaluation d’être mis dans des « real world conditions and contraints »
(p. 250). Ces élèves en formation professionnelle seront peut-être amenés à devoir décrire
l’établissement où ils travaillent ou dont ils s’occupent. Ceci implique que le dispositif doit être
repensé en fonction du contexte formatif. La critique possible à ce dispositif est le monologue et
l’absence d’interaction avec une autre personne dans la description de l’établissement.
3.2.2 Créativité et grille d’évaluation
Ainsi, une telle structuration de l’évaluation sommative a des répercussions sur les critères
d’évaluation. L’ostension de l’objet créatif a pour objectif de pallier à certaines inhibitions qui
affaiblissent la performance dans le contexte de l’évaluation. Ceci devrait donc impliquer une
prise en compte de la créativité. Précédemment, nous évoquions le concept de valorisation
1. Le jeu video des Sims consiste à élaborer un monde virtuel, site web www.thesims.com.
97
de la créativité. Ce dernier peut prendre différentes formes, que ce soit par la réalisation d’une
exposition (récompense intrinsèque) afin de rendre visible les travaux d’élèves ou l’attribution
même d’une note (récompense extrinsèque). Le professeur ne devient certes pas un critique
d’art. Ce rôle peut éventuellement être dévolu à l’enseignant d’arts plastiques dans le cadre
d’un projet interdisciplinaire. Pour l’enseignant de langue, ce que les apprenants construisent
matériellement ou virtuellement est une œuvre d’art créative qu’il ne faut pas confondre avec
une œuvre d’art artistique dont l’élaboration requiert des compétences artistiques acquises
dans un contexte académique (Aznar, 2009). L’objectif est de se baser sur des critères qui tentent
de valoriser la créativité sans la juger. Il est, par exemple, possible d’envisager un descripteur sur
l’originalité, un autre sur la richesse de la créativité (un simple collage à la place d’une maquette).
Une pédagogie de la créativité a pour ambition la réussite et le succès de tous les apprenants.
Ces critères peuvent soit être envisagés dans une grille ad hoc, soit être inclus dans la grille des
critères sur l’objet d’apprentissage évalué, en l’occurrence ici le texte descriptif.
Quant aux critères d’évaluation de l’objet d’apprentissage, ils se basent sur la compétence
à rédiger un texte descriptif cohérent afin que les différents savoirs ne soient pas juxtaposés,
mais bien organisés dans une production qui devient une performance puisque l’élève doit
présenter sa maquette. Il est préférable de préparer en classe la performance afin de suivre le
travail et vérifier que les apprenants reviennent bien aux savoirs. L’enseignant peut également
demander aux élèves de remplir synthétiquement une fiche ou bien il peut faire apparaître ces
savoirs dans la grille d’évaluation. La dimension émotive de la performance ne doit pas faire
perdre de vue l’apprentissage. L’accompagnement du professeur dans ce retour de l’imagination aux savoirs est fondamental ; l’élève risque de s’investir tellement dans son projet qu’il en
oubliera de mettre en évidence les connaissances et capacités structurées pertinemment dans
une production. L’objet créatif risque alors d’être riche, mais hors sujet.
Conclusion
Les apprenants, qui ont le plus de difficultés dans l’apprentissage des langues, se retrouvent
encore plus pénalisés durant une performance en situation d’évaluation. La démarche de cette
recherche est de tenter de les accompagner dans la gestion de leurs émotions parasites et
dans l’appropriation de l’objet d’apprentissage. C’est un détour pour leur donner la possibilité
d’atteindre les mêmes objectifs. De plus, comme l’apprentissage se construit autour de la
dimension émotionnelle, ce dernier sera donc d’autant plus significatif et perdura dans le temps.
Une démarche de type expérimental, avec un groupe témoin et un groupe de contrôle, serait
à ce sujet intéressante à mener : une partie de l’échantillon d’élèves suivrait la démarche d’évaluation créative telle qu’elle est proposée dans cet article et l’autre partie aurait une évaluation
plus traditionnelle. Il s’agirait alors de mesurer l’impact de l’apprentissage sur le court et long
terme afin de vérifier notre hypothèse. Une évaluation qui ouvre un espace à la créativité offre
la possibilité aux élèves d’être évalués différemment, ceci n’excluant en rien une approche plus
traditionnelle. Il demeure essentiel d’adapter la créativité au contexte formatif afin de tenter de
toucher le schème affectif des élèves qui sera le plus favorable à une expérience linguistique
positive.
98
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100
L’insécurité linguistique
au Liban : le cas des futurs enseignants
de français
Stéphane HAFEZ
Université Libanaise
De par mes fonctions actuelles d’enseignant au Liban, il m’arrive fréquemment de constater
que lorsque les étudiants sont amenés à prendre la parole en français, ils se répètent, se
corrigent et reformulent sans cesse leurs idées. Certains sont même hantés par l’idée de
parler un « bon français » à tel point qu’ils s’auto-évaluent et évaluent l’autre. Ce phénomène
d’insécurité linguistique (IL) m’aurait moins interpellé si le public concerné n’était pas destiné
à enseigner le français. Quels en sont les éléments déclencheurs ? Quels en sont les risques sur
l’expansion du français langue seconde au Liban sachant que la transmission de cette langue
passe principalement par l’école ? Quels éléments de remédiation faut-il mettre en place pour
aider les futurs enseignants à surmonter un tel handicap ?
Pour mieux comprendre la façon dont naissent, évoluent, se cultivent et se manifestent les
attitudes d’insécurité linguistique de cette catégorie d’étudiants, j’ai mené, de 2009 à 2011,
une étude basée sur des enquêtes linguistiques et sociolinguistiques. L’accent était particulièrement mis sur l’insécurité linguistique « dite » et l’insécurité linguistique « agie » que suggère L.
Moreau. La première est perçue au travers des discours épilinguistiques, chargés de stéréotypes,
sous-tendus par l’idéologie dominante. La seconde est perçue au travers des pratiques, des
comportements langagiers comme le bégaiement, la répétition, les coupures, la reformulation,
l’hésitation, le silence, l’hypercorrection, l’alternance codique, les stratégies d’évitement ou au
contraire d’exposition, etc.
Dans cet article, je me contenterai de présenter les résultats d’une partie de mon étude, à
savoir l’enquête par sondage sachant que l’ensemble des données fera l’objet d’une étude à
publier dans les mois à venir.
Après la définition de la notion d’insécurité linguistique et la description du paysage
linguistique libanais, on se penchera sur la relation de cause à effet entre le degré de recours
au français, le rapport au bon usage avec les attitudes d’insécurité linguistique. A partir des
résultats, on s’intéressera aux moyens à mettre en place pour permettre aux étudiants de
surmonter leurs sentiments d’insécurité linguistique.
101
1. L’insécurité linguistique : quelle(s) définition(s) ?
La notion d’insécurité linguistique apparaît pour la première fois en 1976, dans un ouvrage
de W. Labov1. Ce sociolinguiste américain appartient à l’école variationniste qui postule l’existence d’une relation causale entre traits sociaux et structures linguistiques. D’une part, un même
individu parle différemment dans des contextes sociaux différents, d’autre part, sa façon de parler
et son répertoire linguistique révèlent son origine sociale, nationale, régionale, religieuse, etc.
Quelques années plus tard, en 1982, P. Bourdieu2 étend la notion d’insécurité linguistique de
W. Labov au lexique et à la syntaxe, qu’il présente en termes de « marché linguistique » et de
« domination symbolique ».
En 1978, l’ouvrage de N. Gueunier, E. Genouvrier et A. Khomsi, intitulé Les Français devant
la norme (1978) développe le concept et se penche sur les phénomènes d’insécurité linguistique dans des situations de « langues en contact ». C’est à M. Francard que revient le début
de travail de conceptualisation de l’IL. En 1989, partant des hypothèses de N. Gueunier et
Hall, il a mené une étude dans un village du sud de la Belgique où le français est en contact
avec une langue régionale, variété de la famille wallo-lorraine. Depuis les actes des colloques
de Louvain-la-Neuve (1993/1994) et de la table ronde du Moufia, la Réunion (1996/1998), des
chercheurs comme, Cécile Canut3 et A. Bretegnier4 ouvrent le champ de l’insécurité linguistique à l’interdisciplinarité, non seulement entre les domaines mais aussi à l’intérieur même
du domaine.
Comme on peut le constater, les chercheurs étudient l’insécurité linguistique, chacun selon
son propre champ de recherche, sa discipline (sociolinguistique, linguistique, psycholinguistique,
psychologique, ethnolinguistiques) son terrain d’étude.
Traditionnellement l’insécurité linguistique tient au rapport qu’établit un locuteur entre
sa propre performance langagière (telle qu’il se la représente) et une norme sociale externe
(telle aussi qu’il se la représente ou qu’elle lui est présentée). En général, elle se produit aussi
bien en situation unilingue, bilingue que diglossique et se manifeste sur le plan linguistique et
comportemental. Etant donné que l’insécurité est relationnelle et interactionnelle, son degré
de manifestation dépend de l’interlocuteur, du sujet abordé et des circonstances de communication (moment, lieu, etc.). Elle est décelable et analysable à travers des méthodes quantitatives
et/ ou qualitatives. Certains chercheurs mesurent les taux de sécurité/insécurité linguistique
en établissant une corrélation entre les performances écrites/ orales de l’informateur et sa
propre auto-évaluation quant à la maîtrise de la langue évaluée. D’autres cernent l’insécurité
linguistique à partir des discours épilinguistiques dans le cadre d’entretiens.
Pour une meilleure compréhension et une analyse précise des cas de sécurité/ insécurité
linguistique au Liban, nous allons décrire la situation linguistique dans laquelle vit le public sondé.
1. Labov W., Sociolinguistic Patterns, ouvrage consulté en traduction : Sociolinguistique, Paris, Editions
de Minuit, 1976, p. :187-188.
2. Bourdieu P., Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p. 59-95.
3. C. CANUT, « Activité épilinguistique, insécurité linguistique et changement linguistique », in Sécurité/
insécurité linguistique : terrains et approches diversifiés, propositions théoriques et méthodologiques,
Espaces francophones, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 105-106.
4. A. BRETEGNIER, “L’insécurité linguistique : objet insécurisé ? Essai de synthèse et perspectives”, in Le
français dans l’espace francophone, tome 2, Champion, 1999, p. 908.
102
2. Paysage linguistique libanais en bref
L’arabe dialectal est la langue maternelle de 90% des Libanais. L’arabe littéraire est appris
à l’école à côté du français et de l’anglais. Si le français demeure la langue d‘enseignement
majoritaire des écoles publiques, le secteur privé voit rapidement se développer des écoles et
universités anglophones. Nombreux sont ceux qui ont fait des études scolaires en français et
qui adoptent l’anglais pour les études universitaires en espérant ainsi augmenter leurs chances
d’emploi.
La situation fragilisée de la francophonie au Liban a amené les autorités libanaises à signer,
en 2010, le pacte linguistique destiné à promouvoir le français dans les pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie (l’OIF). A partir de septembre 2011 et pour une durée
de trois ans, trois axes5 seront développés au Liban :
• l’enseignement par la restauration de la place de la langue française dans l’enseignement
public, via des dispositions législatives ou réglementaires appropriées ; ce volet comporte,
entre autres, un audit des filières de formation en français des professeurs, un renouvellement éventuel des outils (multimédia, technologies de l’information) ainsi que la
poursuite des efforts de formation au français des fonctionnaires.
• La culture, avec notamment la poursuite du développement des Centres de lecture et
d’animation culturelle (CLAC), et la pérennisation de la présence hertzienne de TV5 Monde.
• L’environnement francophone, par le développement du tourisme francophone et la
généralisation de la signalisation et de l’information publique trilingues sur tous les
supports (affichage, signalétique, sites Internet).
En attendant la mise en place et la mesure de l’impact de ce pacte linguistique, quel choix
font les étudiants en français pour communiquer, s’informer, se cultiver et se divertir ? Quel
est l’impact des pratiques linguistiques sur le développement des attitudes d’insécurité linguistique ? Mon enquête par sondage tentera d’apporter des réponses à ces questions dans la
partie qui suit.
3- Enquête par sondage
3.1 Nature et descriptif du questionnaire
Le questionnaire comporte des questions de type fermé mais aussi de type ouvert. Il débute
par des renseignements sur l’enquêté, sa langue maternelle, sa langue de scolarisation, etc. Puis,
il met l’accent sur le rapport aux langues et les pratiques linguistiques. Enfin, il interroge les
enquêtés sur la notion de la « faute » et leur propose une petite activité linguistique où ils sont
amenés à repérer et corriger quelques énoncés erronés. L’objectif de cet exercice est d’observer
la réaction des sondés face à certains types d’erreurs.
5. Le pacte linguistique, http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Pacte_linguistique_LIBAN.pdf (consulté le
25 juin 2011).
103
3.2. Universités sélectionnées
Nombreuses sont les universités libanaises qui délivrent une licence, un master et / ou
un doctorat en langue et littérature françaises6. L’Université libanaise (UL), la seule université
publique, regroupe cinq départements de littérature française répartis sur tout le territoire
libanais dont le nombre d’étudiants varie selon les sections : la section 1 : 165, la section 2 : 343,
la section 3 : 450, la section 4 : 531, et la section 5 : 325. En ce qui concerne les départements de
langue et littérature françaises des universités privées, on peut citer entre autres, celui de l’université saint-Joseph (117 étudiants), de l’université Saint-Esprit de Kaslik (98) ; de l’université
islamique du Liban (72); de l’université arabe de Beyrouth (62). Au total, les étudiants qui se
spécialisent en littérature française sont au nombre de 2.254, dont 98% de filles.
3.4. Résultats de l’enquête
3.4.1. Profil du public
Faute de temps et de moyens, je me suis contenté d’enquêter auprès de 117 étudiants dont
27 sélectionnés de l’Université Saint-Joseph (USJ), l’université francophone par excellence au
Liban et 90 de l’Université Libanaise (UL), l’université publique. Le nombre d’étudiants de l’USJ
est réduit par rapport à celui de l’UL, en raison des frais de scolarité élevés et des conditions
d’admission relativement strictes. En général, les étudiants de l’USJ sont issus des écoles privées
prestigieuses et ceux de l’UL des écoles publiques. Avec la crise économique que traverse le
pays, l’UL accueille de plus en plus d’étudiants venant des écoles privées.
Par ailleurs, ce public est composé à une écrasante majorité de filles (98%) ayant entre 19 et
22 ans. Dans le passé, les parents choisissaient de scolariser leurs filles dans des écoles francophones et leurs garçons dans des écoles anglophones afin de mieux les préparer au marché
du travail ce qui expliquerait peut être l’engouement des filles pour des études littéraires en
français.
Contrairement à l’UL, l’USJ jouit d’un environnement francophone développé. L’affichage y
est exclusivement en français : les panneaux de signalisation, les annonces, les brochures, les
programmes d’enseignement. Les salles informatiques sont équipées de postes avec claviers
et logiciels français. La bibliothèque des lettres est bien fournie en livres francophones et les
activités culturelles artistiques et cinématographiques n’y manquent pas.
3.4.2. Choix des études de lettres françaises
Il s’agit d’un domaine d’études réputé très difficile tant au niveau du cursus que de l’évaluation. L’obtention d’une licence relève du parcours du combattant. A titre d’exemple, 50% des
étudiants de l’UL sont en première année 22% en 2ème année, 17% en 3ème année. En d’autres
termes, presque la moitié des étudiants sont recalés à la fin de la première année, alors même
qu’ils ont été présélectionnés par le biais d’un test linguistique. Alors quels sont les motifs
poussant les étudiants à faire des études de lettres françaises ?
6. Toutes les universités totalement ou partiellement francophones sont signataires de convention avec des
universités françaises et sont membres de l’AUF.
104
Les sondés de l’UL disent suivre une formation en français pour des raisons d’ordre personnel
et professionnel : 57% évoquent la volonté d’enseigner une langue pour laquelle ils éprouvent
une passion. « La langue française fait partie de moi », « Faire des études en littérature française,
je n’attends que ça depuis que je suis petite. ». 34% parlent de débouchés professionnels :
« contrairement aux professeurs d’arabe et d’histoire/ géographie, le professeur de français ne
risque pas de se trouver au chômage. » 9% font allusion au hasard : « n’ayant pas été reçu au
concours du centre de langues et de traduction, je me suis inscrit au département de littérature
française. »
Les sondés de l’USJ avancent les mêmes arguments quant à leur choix d’une formation en
français. 61% évoquent l’amour pour la langue française et la vocation du métier d’enseignant :
« Qui peut mieux servir la cause de la langue française que les gens qui l’adorent comme nous. »,
« Pour moi, enseigner le français, ce n’est pas un métier, c’est une vocation. J’y crois profondément. », « L’enseignement de la langue française est une mission au moment où l’anglais
fait des ravages auprès des adolescents.». 23% aspirent à l’obtention d’un diplôme valorisant
et prisé dans le secteur éducatif. « Notre formation nous donnera plus tard la possibilité de
nous imposer sur le marché du travail. », « Partout, il y a beaucoup de professeurs d’anglais et
d’arabe mais pas assez de professeurs de français qualifiés comme nous le serons à l’issue de
notre formation. ». Enfin, 16% font des études de lettres pour la passion de la littérature : « Les
cours de littérature et de civilisation françaises m’ont énormément marquée au lycée, c’est pour
cela que j’ai pris la décision de me spécialiser dans un domaine qui me parle. ».
Quels que soient les arguments évoqués, le choix de se former en français émane d’une
conviction personnelle, de la volonté de jouer un rôle dans l’enseignement du français au Liban.
Face à cet engagement déclaré, reste la question de savoir si les sondées utilisent le français
dans leur vie privée et universitaire.
3.4.3 Pratiques linguistiques
Les étudiants de l’USJ disent communiquer souvent en français avec leur mère dans une
proportion plus importante que ne le font ceux de l’UL (USJ 48.1%, UL16.7%). On remarque
100 Père aussi que les étudiants dont la mère parle même occasionnellement
en français, tendent à
80 Mère s’approprier cette langue pour en faire une langue de
ailleurs,
60 communication à leur tour. Par Fratrie les résultats révèlent que la majorité des étudiantes40 de l’USJ et de l’UL utilisent davantage
le
Amis 20 Camarades français avec leurs frères et sœurs (USJ 55.6%, UL 42.95%)
et surtout avec leurs professeurs
(USJ
0 Professeurs 88.9%, UL 82.85%) qu’ils ne le font avec leurs camarades
(USJ 33.9%, USJ UL 30.15%).
Recours au français selon son interlocuteur
100 Père 80 Mère 100 Père 80 Mère 60 Fratrie 60 Fratrie 40 Amis 40 Amis 20 Camarades 20 Camarades 0 Professeurs 0 USJ Professeurs UL 100 Père 80 Mère 60 Fratrie 105
Si les étudiantes de l’USJ et de l’UL se livrent majoritairement à des activités académiques en
français, plus de 91% font de la recherche et prennent
des notes dans cette langue. Ceux de 100 l’USJ se servent plus souvent du français pour lire la presse
écrite (USJ 92.6%, UL 74.8%), suivre des programmes de télévision (USJ 70.4%, UL 44.2%), 80 écouter des chansons francophones
(USJ Presse écrite 60 70.4%, UL 49.7%) surfer sur Internet (USJ 77.8%, UL 44.2%).
Chansons 40 Télévision 20 Recours au français selon les activités choisies
100 80 Presse écrite 60 Chansons 40 20 Télévision 0 Internet USJ UL 0 USJ UL Internet 95 90 Ouvrages spécialisés 85 Prise de notes 80 75 70 Recherche USJ UL Comme on peut le constater, les étudiants de l’USJ recourent davantage au français que leurs
95 camarades de l’UL. Toutefois, la pratique du français à l’oral est généralement peu élevée par
90 Ouvrages rapport au nombre d’années consacrées
spécialisés à l’enseignement du/ en français et surtout pour des
85 étudiants
qui se spécialisent en langue
française. Il est frappant de constater que de nombreux
Prise de notes 80 évitent de parler en français avec leurs camarades. Pourtant, rien de plus naturel que
étudiants
75 Recherche d’échanger
avec un(e) camarade dans
la langue de spécialité, en l’occurrence le français. Cette
70 d’étudiants évoque de nombreuses raisons comme :
catégorie
USJ UL - le manque d’habitude : « Ils ne sont pas habitués à communiquer en français. » « Nous avons
l’habitude de nous exprimer en arabe c’est pour cela que nous n’avons pas le courage de nous
exprimer en français. »,
- les moqueries : « Certains étudiants n’ont pas le courage de s’exprimer en français parce qu’ils
ont peur que les autres étudiants se moquent d’eux. », « Ils ont peur d’être humiliés, critiqués s’ils ne
parlent pas un très bon français. »
- l’appréhension de l’erreur « « En tant qu’étudiante de littérature française c’est une catastrophe
de commettre des fautes de français », « Dans le domaine de l’enseignement bien sûr, il est très grave
de commettre des fautes de français à l’oral et à l’écrit, car pour enseigner le français, le professeur
doit avoir un langage correct et recherché. »
Ces quelques témoignages en disent long sur le rapport conformiste et tendu qu’entretiennent les sondés à l’égard du « bon usage » en raison d’un enseignement axé traditionnellement sur l’écrit. La peur de se tromper et d’être la risée des autres est souvent martelée par les
enquêtés : il suffit d’un regard accusateur, d’un sourire moqueur, d’une mauvaise réflexion pour
déstabiliser les plus insécures si bien qu’ils se replient sur eux-mêmes. Malheureusement même
106
ceux qui condamnent ces pratiques se voient piéger dans l’obsession du bon usage comme le
montrent en partie les résultats de l’activité linguistique suivante :
4- Attitudes face à l’erreur : activité de corrections linguistiques 4.1. Présentation du corpus
Afin de voir comment les étudiants réagissent véritablement face à l’erreur nous leur avons
soumis – pour correction – des énoncés erronés relevés dans des copies d’étudiants suivant des
cours de remise à niveau linguistique. Dans un premier temps, ils sont amenés à relever l’erreur
et la classer selon son degré de gravité. Il est évident que cette partie de la question est aléatoire
puisqu’elle ne se fonde pas sur des critères d’évaluation scientifiques, cependant elle permet de
tester l’attitude des sondés face à l’erreur. Dans un second temps, ils sont invités à proposer des
corrections7. Sur l’ensemble des neuf items proposés, six contiennent des incorrections :
1- une erreur lexicale :
•M
on ami me demande* beaucoup de questions. Cette expression est une traduction littérale
de l’expression anglaise to ask a question ou de l’expression en arabe libanais issa’l sua’l. Il
s’agit d’une faute courante au Liban. En français, il faut dire poser une question.
2- trois erreurs syntaxiques :
• Il est monté l’escalier*. Cet énoncé présente une incorrection qui consiste à employer l’auxiliaire être au lieu de l’auxiliaire avoir En effet, dans ce cas, le verbe est transitif et doit se
conjuguer avec l’auxiliaire avoir.
• L a fille que* je suis amoureux est d’origine espagnole. L’incorrection de cet énoncé se situe
dans le choix du pronom relatif. Dans « je suis amoureux… », le complément est introduit
par « de ». On doit utiliser dont au lieu de que.
• J e préfère le thé sur* le café. Dans cet énoncé, l’emploi de la préposition est erroné. Le
verbe préférer s’emploie avec la préposition à : quelqu’un préfère quelqu’un à quelqu’un,
ou quelque chose à quelque chose. Cette erreur peut être calquée sur l’arabe libanais. Le
concept de préférence implique une hiérarchisation et la préposition « sur » est employée
pour marquer le classement de l’un au-dessus de l’autre.
• Il m’a dit que sa petite amie part pour Paris*. L’incorrection contenue dans cet énoncé
concerne la concordance des temps ; en effet, le verbe de la principale est à un temps du
passé, la subordonnée se met à l’imparfait ou au passé simple si le fait est simultané (Il m’a
dit que sa petite amie partait…) ; au conditionnel présent ou au conditionnel passé si le fait
est postérieur (Il m’a dit que sa petite amie partirait ou serait partie…).
3- Quatre phrases ne présentant aucune incorrection :
• L es tomates se vendent cher en cette saison : en effet, tel qu’il est employé dans cet énoncé,
le mot cher est un adverbe et ne s’accorde avec le nom. On le reconnaît parce qu’il pourrait
être remplacé par un autre adverbe. Toutefois, le sondé pourrait être tenté de corriger ce
7. La consigne de l'activité linguistique est la suivante : « Voici une série d'énoncés relevés des copies
d'étudiants. Certaines, MAIS PAS TOUTES, contiennent des incorrections. Soulignez-les, mesurez-en le degré
de gravité, (pas d’incorrection -), (Incorrection grave+), (Incorrection grave ++), puis corrigez-les.» Il faut
savoir que notre corpus ne représente aucune erreur « grave » car aucune n'affecte le sens du message. Si
nous avons retenu cette variante, c'est pour rendre compte de l'attitude des étudiants vis-à-vis de l'erreur.
107
mot en le considérant comme un adjectif.
• Ils se sont lavé la figure. Cet énoncé est sujet à confusion car ici le verbe pronominal est
construit aussi avec un complément d’objet direct et l’accord du participe passé dans ce
cas reste invariable si le complément d’objet direct est placé après. L’étudiant sera tenté
d’accorder le participe passé du verbe « se laver » conjugué avec l’auxiliaire être, avec le
sujet.
• J e vous remercie de m’avoir aidé : cet énoncé est correct. Comme toutes les formes
composées, l’infinitif passé se forme avec l’auxiliaire être ou avoir (choisi selon les mêmes
critères que pour le passé composé) et du participe passé du verbe (qui s’accorde dans les
mêmes conditions que dans le cas du passé composé). Toutefois il se peut que l’étudiant
mette à l’infinitif le participe « aidé » pensant ainsi appliquer la règle : quand deux verbes se
suivent, le second se met à l’infinitif.
• Il prend des cours à l’université : l’usage admet de plus en plus l’emploi de « prendre des
cours » pour « suivre des cours », c’est pourquoi les deux réponses seront considérées
comme justes.
4.2. Résultats de l’activité linguistique
La façon dont les enquêtés procèdent pour réaliser cette activité linguistique me permet de
distinguer quatre attitudes : le repérage et la bonne correction des énoncés erronés ; le repérage
des erreurs sans y apporter de modifications ou la proposition de mauvaises corrections, enfin
la confusion des énoncés corrects avec les énoncés erronés.
UL
USJ
Incorrection
Aucune
incorrection
Aucune
réponse
Incorrection
Aucune
incorrection
Aucune
réponse
1- Je préfère le thé sur
le café.
85.6%
7.8%
6.7%
92.5%
3.8%
3.7%
2- Je vous remercie de
m’avoir aidé.
34.4%
52.2%
13.3%
7.4%
77.8%
14.8%
3- Il prend des cours à
l’université.
20%
56.7%
23.3%
40.7%
40.8%
18.5%
54.4%
31.1%
14.4%
96.3%
3.7%
0%
43.3%
33.3%
23.3%
44.4%
40.8%
14.8%
90%
1.1%
8.9%
96.3%
0%
3.7%
60%
21.1%
18.9%
48.1%
37.1%
14.8%
8- Il m’a dit que sa petite
amie part pour Paris.
58.9%
21.1%
20%
59.3%
22.2%
18.5%
9- Il est monté l’escalier.
70%
17.8%
12.2%
85.1%
11.2%
3.7%
Items
4- Mon ami me demande
beaucoup de questions.
5- Les tomates se
vendent cher en cette
saison.
6- La fille que je suis
amoureux est d’origine
espagnole.
7- Ils se sont lavé la
figure.
108
Les sondées passent à la loupe les neuf items afin de traquer les erreurs. Parmi celles
facilement repérées, on cite, l’item 1 Je préfère le thé sur le café (USJ 92.5%, UL 85.6%), l’item 6 La
fille que je suis amoureux est d’origine espagnole (UL 90%, USJ 96.3%), l’item 9 Il est monté l’escalier
(70%, USJ 85%). Quant à l’item 4 Mon ami me demande beaucoup de questions, les étudiants de
l’UL sont moins nombreux à le considérer comme une erreur (UL 54.4%, USJ 96.3%). Enfin, une
minorité de sondés considèrent l’item 3 Il prend des cours comme un énoncé fautif (UL20%, USJ
40.7%).
Par ailleurs, il est des sondés qui confondent les énoncés corrects avec les énoncés erronés :
ayant des doutes sur l’application des règles d’accord, ils accordent à tort le participe passé
dans Ils se sont lavés*la figure (UL 60%, USJ 48.1%), ou encore l’adverbe dans Les tomates se
vendent chères* (UL 43.3%, USJ 44.4%) et mettent à l’infinitif le participe passé « aidé » dans
Je vous remercie de m’avoir aider* (UL 34.4%, USJ 7.4%). Soulignons aussi le cas des étudiants
qui désignent des incorrections qui ont trait à un autre élément de l’énoncé erroné : item 4
beaucoup/ trop de questions, item 7 le visage/ la figure. Item 8 Il m’a dit que sa copine part/ voyage
à Paris.
De plus, à défaut de donner la bonne correction, il n’est pas rare que des sondés reformulent
les énoncés erronés : Il a pris l’escalier (UL 14.6%, USJ 18.8%,), Il est monté sur l’escalier (UL, USJ
7.4%,), mais surtout les énoncés corrects : Je vous remercie de votre aide (UL 8.9%, USJ%), UL
23.2%, USJ 17.4%), Les tomates sont chères (UL 11.3%, USJ 13.7%), La fille que j’aime est d’origine
espagnole (UL 11.3%, USJ 7.4%).
4.3. Degré de gravité des erreurs
UL
Items
USJ
Grave
Peu grave
Grave
Peu grave
1- je préfère le thé sur le café.
56.7%
28.9%
48.1%
44.4%
2- Je vous remercie de m’avoir aidé.
22.2%
12.2%
3.7%
3.7%
3- Il prend des cours à l’université.
14.4%
5.6%
3.7%
37%
40%
14.4%
33.3%
63%
5- Les tomates se vendent cher en cette saison.
35.6%
7.8%
3.7%
40.7%
6- La fille que je suis amoureux est d’origine espagnole.
54.4%
35.6%
70.4%
25.9%
7- Ils se sont lavé la figure.
26.7%
33.3%
22.2%
25.9%
8- Il m’a dit que sa petite amie part pour Paris.
27.8%
31.1%
7.4%
51.9%
9- Il est monté l’escalier.
26.7%
43.3%
44.4%
40.7%
4- Mon ami me demande beaucoup de questions.
Les étudiantes qualifient de graves les erreurs ayant pour origine la confusion des pronoms
109
relatifs, l’item 6 (UL 54.4%, USJ 70.4%) et les prépositions sur/ à, l’item 1 (56.7%UL, USJ 48.1%).
Ils considèrent néanmoins comme minimes les erreurs lexicales : l’item 4 (63%), l’item 3 (37%)
et le non-respect de la concordance de temps, l’item 8 (40.7%). En ce qui concerne les énoncés
corrects considérés comme erronés, 40.7% des sondées estiment peu grave l’item 5. L’énoncé
9 départage les enquêtés : 44.4% affirment que c’est une erreur grave alors que 26.7% pensent
le contraire.
Constats C’est avec sérieux que les sondés s’appliquent à cette activité linguistique. Généralement ils
repèrent et corrigent les énoncés erronés. On observe néanmoins que, dès que les sondés ont
un doute sur la justesse d’un énoncé, les plus prudents préfèrent ne fournir aucune réponse
(L’item 8). Au contraire, les plus engagés y répondent même s’ils se trompent de cible. Par conséquent, 40% d’entre eux confondent les énoncés erronés avec les énoncés corrects (les items 2, 3,
5,7). Ceux-ci n’hésitent pas à étaler leur savoir en donnant à chaque fois plusieurs possibilités de
corrections ou de reformulation d’où le risque d’en modifier le sens. Certains vont même jusqu’à
apporter des corrections à des énoncés corrects (les items 3, 5 et 10). Ces comportements
reflètent en quelque sorte un comportement d’hypercorrection l’un des aspects de l’insécurité
linguistique agie. En effet, beaucoup d’étudiants mis dans une situation de discrimination de
l’erreur sont victimes d’une attitude psycho-cognitive «déviée» qui fausse leur jugement ou leur
perception, par conséquent ils trouvent des erreurs partout!
Quant à l’analyse des résultats par type d’université, on peut constater que les étudiants
de l’UL qui viennent majoritairement des écoles publiques, manifestent des attitudes d’insécurité linguistique plus prononcées que leurs camarades de l’USJ. Ceux-ci, rappelle-t-on, sont
globalement issus d’écoles privées et exposés à un environnement francophone au sein de leur
université. Les premiers sont plus nombreux à confondre les énoncés erronés avec les énoncés
corrects et à qualifier de grave la plupart des énoncés erronés. Les seconds sont très attachés à
la norme mais ils ne qualifient de grave que les erreurs de base.
En d’autres termes, l’insécurité linguistique est un phénomène vécu différemment par les
sondés avec des conséquences auxquelles chacun essaye de faire face à sa manière. Mais le défi
à relever est celui des mesures à prendre pour surmonter ce sentiment de culpabilité qui porte
préjudice à l’expansion du français au Liban.
5. Quelques moyens de remédiation
Avec la mise en œuvre du pacte linguistique au Liban, trois grands domaines mériteraient
d’être développés : l’environnement francophone, la formation à la pédagogie de l’erreur et la
mise en place d’ateliers de communication orale.
• L’environnement francophone Créer un environnement devrait être prioritaire au sein du département de langue et littérature françaises de l’UL : outre l’affichage bilingue arabe/ français, l’équipement d’une salle
110
multimédia, la publication d’une revue francophone, il est urgent de mettre à jour la bibliothèque : les dernières acquisitions de livres datent des années quatre-vingt. Il va sans dire que
la pénurie de livres freine la recherche et la formation, d’autant plus que la flambée de l’euro par
rapport au dollar rend l’accès à la documentation francophone inaccessible.
L’organisation de manifestations culturelles est vivement recommandée à la faculté des
lettres : pour le moment une fois par an, le département de français prépare un spectacle
théâtral et audio-visuel (section1) ou un récital de poésie (section 2). Pour sortir la littérature de
la classe de cours, on pourrait monter des pièces de théâtre, prévoir des événements culturels
et artistiques en partenariat avec des universités francophones et le centre culturel français.
• Formation à la pédagogie de l’erreur
Il va sans dire que l’enseignement du français axé sur l’écrit rend les étudiants sensibles à la
notion de faute d’où la nécessité de dédramatiser l’erreur dans le cadre d’un contrat pédagogique. Pour ce faire, les enseignants de spécialité devraient être initiés à la pédagogie de
l’erreur et amenés à mettre plus souvent les étudiants en sécurité dans leur prise de parole par
le biais d’activités axés sur les « genres formels » d’oral (débats, entretiens), le travail technique:
(corps, voix, écoute): hauteur, intensité, rythme, etc.
• Mise en place d’ateliers de communication orale
Le cours de communication orale à concevoir à l’UL visera à renforcer la compétence
langagière et à valoriser l’usage d’une langue orale de qualité dans la vie universitaire et
professionnelle. On poursuit ces objectifs en tenant compte de la particularité du français au
Liban, c’est-à-dire sans déprécier certains libanismes. La sélection des contenus repose sur trois
aspects dans la compétence à communiquer oralement : la compétence linguistique (voix,
diction, morphosyntaxe, syntaxe, lexique) ; la compétence communicative (adaptation des choix
langagiers à la situation de communication, interaction avec l’interlocuteur ou avec l’auditoire,
conscience du corps et de l’espace) et la compétence discursive (genres oraux, organisation du
discours, délimitation du sujet, pertinence et crédibilité de la communication)8. Le contenu et la
démarche de ce programme qui s’inspirent des travaux canadiens et français seront largement
présentés dans mon ouvrage à paraitre dans les mois à venir.
De ce qui précède, on peut en conclusion remarquer le fort lien existant entre le sentiment
d’insécurité linguistique, le recours occasionnel au français et le souci du bon usage. Au cours
des entretiens menés avec les étudiants, plusieurs d’entre eux manifestaient leur désir de s’inscrire à des cours de conversation au centre culturel français pour se réconcilier avec une langue
qu’ils aiment tant. La volonté de se tourner vers le CCF est symbolique parce qu’ils veulent se
perfectionner à l’oral avec une approche didactique moderne dans un environnement français.
Les étudiants formulent intelligemment leur demande de formation linguistique. A présent,
c’est à nous de répondre à leurs attentes si l’on veut assurer un enseignement scolaire de qualité
au Liban. Espérons que la politique linguistique des universités ira dans ce sens !
8. L’enseignement du français à l’université de Moncton : une formation axée sur les genres de l’écrit et de l’oral,
Marie-Elaine Lebel, http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr16-2/Moncton.html (consulté le 27 juin 2011).
111
Bibliographie
A. BOUDREAU, et L. DUBOIS, « L’insécurité linguistique comme entrave à l’apprentissage du
français », in Ali-Khoaja M. et BOUDREAU A., Lectures de l’Acadie : une anthologie de textes en
sciences humaines et sociales, 1960-1994, Montréal, Fides, 2009.
L.J. CALVET, Pour une écologie des langues du monde, Paris, Plon, 1999
R. CHAUDENSON.et D. RAKOTOMALA, Situations linguistiques de la francophonie, Réseau
observatoire du français et des langues nationales, AUF, 2004, p. 155-157.
V. CASTELLOTTI, « Pour une perspective plurilingue sur l’apprentissage et l’enseignement des
langues », in D’une langue à d’autres : Pratiques et représentations, Publications de l’université
de Rouen, 2001.
S. A. HAFEZ, Statuts, emplois, rôles, fonctions et représentations du français au Liban,
L’Harmattan, 2006
112
Pédagogie et apprentissage
de la prononciation
Maud Marcinkowski
Bertrand Lauret dans Enseigner la prononciation du français : questions et outils1 constate
plusieurs choses concernant l’enseignement de la prononciation qui me semblent toujours
valables, et pour cause : 1/ La prononciation reste « une matière peu valorisée par l’institution
enseignante »; 2/ La prononciation n’est pas un sujet facile à enseigner et à évaluer, mais
également, à corriger ; 3/ L’enseignement de la prononciation ne semble pas toujours une
nécessité, surtout lorsqu’on prend en compte la grande variété d’accents, même chez les
francophones.
Ces remarques permettent de souligner le caractère très personnel et variable de l’enseignement/apprentissage de la prononciation : l’enseignant n’a jamais à faire au même type
d’apprenants et leurs capacités d’apprentissage vont dépendre, en premier lieu, de leur compétence physique (perception et production des sons du français) et ensuite, de la « perméabilité
de [leur] ego1 », c’est-à-dire leur capacité à ne plus contrôler leur propre représentation face aux
membres de la classe et par conséquent, se jeter à corps perdu dans cette nouvelle aventure
qu’est apprendre une langue étrangère.
Voilà ce qu’il en est pour l’apprenant, mais qu’en est-il de l’enseignant ? Dans un premier
temps, il doit réussir à sélectionner et définir des concepts dans le domaine de l’oral et décider
d’une ligne de conduite.
1. Définitions des concepts en présence : phonétique, prononciation, oralité
La littérature dans ce domaine n’est pas toujours très claire lorsqu’il s’agit de définir le terme
de prononciation. R. Galisson et D. Coste parlent d’une « manière de produire, de réaliser les
phonèmes d’une langue et les traits prosodiques qui, dans la chaîne parlée, accompagnent la
réalisation des phonèmes.2 ». Elle prend donc en compte à la fois l’aspect phonémique et l’aspect
prosodique de la langue sans s’intéresser à l’interaction. D’autres termes tels que « oralité » et
« phonétique » interfèrent dans la signification même de « prononciation », prenant alors en
compte les diverses situations de communication ou bien, au contraire, en ne s’intéressant
1. Lauret cite les travaux en psychologie de la prononciation de Guiora, Beit-Hallahmi, Brannon, Dull et
Scovel, datant de 1972, p.16.
2. Galisson et Coste cités par Sophie Aubin dans « Histoire de l’enseignement de la « prononciation » : de la
phonétique appliquée vers une didactique musicale », Synergies Pologne, n°1, 2005, p.63.
113
qu’au squelette de la compétence orale.
L’enseignement de la prononciation du français donne le sentiment d’être à la croisée des
chemins, pas uniquement l’étude du système phonologique français et pas complètement ce
« passage à l’acte, de nature physique et physiologique » (LHOTE, 2001, p. 448) qu’est l’oralité. La
prononciation se sert de la phonétique pour faire ce premier pas vers l’oralité et c’est à l’enseignant de mettre des limites et clarifier le contenu de son enseignement en fonction des besoins
de ses apprenants, de ses compétences, mais aussi de ses envies. Pour se faire, l’enseignant doit
s’interroger sur plusieurs étapes ayant trait à la pédagogie de la prononciation.
2. Pédagogie de la prononciation : perception/production, évaluation et correction
2.1. Comment évaluer (en termes de diagnostic) la prononciation ?
Avant de pouvoir évaluer la prononciation d’un apprenant, il faut décider d’un modèle
linguistique. D’une manière générale, le but ultime serait d’avoir la même compétence orale
qu’un natif mais soyons réalistes, les apprenants post pubères atteignant ce niveau sont bien
rares, sans même prendre en considération le foisonnement d’accents parmi ces natifs.
Nous n’entrerons pas ici dans le débat du « bon » français en rappelant que le principal
modèle linguistique d’un apprenant en langue étrangère, quelle que soit la langue cible, est
l’enseignant. C’est donc à lui de proposer une langue modèle qui ne se limitera pas à l’intelligibilité et l’évaluation va donc devoir le pousser à tendre l’oreille pour entendre la production
des éléments segmentaux (voyelles, consonnes) et suprasegmentaux (rythme, accentuation,
intonation, mais aussi timbre de voix, attitude…).
Pour cela, on peut diagnostiquer les problèmes du niveau segmental par le biais d’exercices
de discrimination par exemple et pour ce qui est du niveau suprasegmental, la lecture à haute
voix ainsi que la répétition sont des outils de choix pour entendre les possibles erreurs de
rythme ou d’intonation. Pour les publics débutants qui nous intéressent tout particulièrement
ici, la grille d’évaluation ne doit pas être trop indulgente en matière de phonétique « pure »
et doit, dans un premier temps, s’accommoder d’une syntaxe approximative par exemple. Un
travail strict de la prononciation dès le début de l’apprentissage de la langue étrangère évitera
la fossilisation d’erreurs.
Le diagnostic établi mène de soi à la correction ou au travail phonétique. Pourtant, il s’agit
là de l’étape la plus complexe pour l’enseignant, qui doit se poser en objet référant pour
l’apprenant. Ses connaissances phonétiques, aussi étendues soient-elles, ne suffiront pas si elles
ne sont pas utilisées dans une pédagogie ciblée.
2.2. Travail ou correction phonétique ?
L’étape suivant l’évaluation diagnostique est naturellement la correction phonétique.
Toutefois, un doute s’opère quant à la véritable fonction de la correction. Il ne s’agit pas ici de
remettre en question la correction phonétique en elle-même mais plutôt de s’interroger sur
114
la validité du terme correction. En effet, comme l’explique Séra de Vriendt, « [le terme travail
phonétique] nous paraît préférable au terme correction, dont il évite l’ambiguïté. Correction peut
désigner, en effet, aussi bien la « qualité de ce qui est correct » […] que « l’action de corriger »
[…]. Or, il convient de ne pas s’en tenir à ce dernier sens, qui ne suppose une intervention de
l’enseignant qu’après qu’une faute a été constatée, intervention qui peut donner lieu à une
sanction.» (2002, p.250) De plus, le terme de travail phonétique permet de privilégier la place
de l’enseignant comme instigateur d’une pratique, d’une méthode plutôt que simple référent
langagier, juge de la production orale.
De plus, puisque l’enseignant n’est plus là pour « corriger » mais pour guider la production
orale, c’est tout le groupe qui doit prendre le relais. Lhote et Lauret se rejoignent sur ce point :
« c’est le groupe qui réagit, et qui, par sa capacité à plus ou moins bien suivre ce qui est dit, fait
comprendre à celui qui parle que quelque chose n’est pas clair, que ce soit à cause de la qualité
sonore, de la mauvaise organisation discursive, ou encore de la façon de poser sa voix.». (LHOTE,
2001, p. 452) Si l’apprenant « ne parvient pas à s’intéresser à la prononciation de l’autre, il y a des
chances qu’il ne parvienne pas à s’intéresser à sa propre prononciation.» (LAURET, 2007, p.159)
L’enseignant doit donc encourager l’apprenant mais il doit aussi être réaliste quant à ses
attentes et surtout quant au respect de la réalisation individuelle : certains apprenants
donneront l’impression de refuser de faire des efforts vers leur performance maximale. C’est le
défi de l’enseignant d’intéresser l’apprenant à cet aspect de son apprentissage. Ceci implique
également une motivation, un intérêt personnel de la part de l’enseignant, surtout lorsqu’on
constate la place limitée de la pédagogie de la prononciation dans leur formation. Le tout est
désormais de savoir si l’enseignant est bien armé pour créer ce cadre optimal.
3. Place de la prononciation dans les nouvelles méthodes de F.L.E
3.1. Bases méthodologiques
L’idée d’une exploration des nouvelles méthodes de FLE a été inspirée par un article d’Enrica
Galazzi-Matasci et Élisabeth Pedoya, datant de 1983. L’article « Et la pédagogie de la prononciation ? », publié dans Le Français dans le Monde n°180, partait du constat que les outils mis à la
disposition de l’enseignant ne se donnaient pas les moyens de mettre en avant l’importance de
la compréhension-production orale. On ne jurait alors que par l’approche communicative et les
auteurs s’inquiétaient de la faible représentation de l’enseignement de la prononciation dans les
publications de l’époque. Leur conclusion mettait enfin en avant « le manque de matériaux pour
le niveau débutant [...] lié aux limites imposées par le bagage linguistique de l’apprenant qui
restreint beaucoup les possibilités de productions spontanées en situation. D’où la quasi-obligation d’en rester à la simple reproduction d’un modèle. ».
Il a fallu attendre 2001 et la parution du Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues (CECRL), pour que l’on pose comme incontournables et indissociables les deux facettes
de l’oral, perception et production, dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères.
Ainsi, depuis 2001, toutes les méthodes de FLE établissent leur contenu et se réfèrent au Cadre
pour justifier leur démarche pédagogique. Elles sont fières d’arborer le sigle CECRL., une sorte
115
d’AOC de l’enseignement/apprentissage des langues, garant d’une ligne de conduite. Il semble
donc opportun de s’intéresser aux « prescriptions » de cette « bible » de l’apprentissage/enseignement des langues étrangères en matière de prononciation.
Dans le chapitre 5 du CECRL (2001, p.81-101), le point est fait sur les compétences nécessaires à l’apprenant pour apprendre une langue étrangère : la prise de conscience et les aptitudes
phonétiques qui doivent permettre de développer la compétence phonologique.
Le Cadre n’aide pas concrètement les concepteurs de matériaux d’enseignement mais il
permet d’orienter l’utilisateur en lui proposant des pistes de réflexion. Dans notre cas, nous
retiendrons les questions faisant référence aux « aptitudes de discrimination auditive et
de capacité articulatoire » mais également aux « aptitudes phonologiques », aptitudes dont
l’apprenant aura besoin ou devra disposer. De plus, les questions sur « l’importance relative des
sons et de la prosodie » et concernant « l’exactitude phonétique et l’aisance [comme constituant]
un objectif d’apprentissage immédiat ou à plus long terme. » seront prises en considération.
3.2. Exploration : Alter Ego 1, Latitudes 1, Le nouveau taxi ! 1 et Scénario 1
Dans « Et la pédagogie de la prononciation ? », Galazzi et Pedoya comparaient la place de la
phonétique corrective dans trois méthodes : Archipel 1, Sans frontières et Cartes sur table. Pour
notre part, nous avons choisi de nous intéresser uniquement à des méthodes pour débutants
(seul Scénario 1 vise également les faux-débutants) ayant chacun une particularité certaine.
En effet, Alter Ego 1 (2006) est une méthode qui est fort répandue et qui forme encore de
nombreux étudiants. Elle est utilisée dans de nombreuses Alliances françaises en Afrique du
Sud et de manière ponctuelle pour les étudiants débutants de l’Université de l’État Libre à
Bloemfontein.
Latitudes 1 (2008) semble petit à petit prendre le relais d’Alter Ego 1 dans les Alliances
Françaises d’Afrique du Sud, la durée de vie d’une méthode de F.L.E. étant de plus en plus
courte. Notons que les auteurs de l’ouvrage, Régine Mérieux et Yves Loiseau, sont les mêmes
que ceux de Connexions 1 (2004).
Le côté concis du Nouveau Taxi 1 nous semblait avoir sa place dans cette exploration de
même que Scénario 1, destiné à des apprenants « faux-débutant et débutants de langue proche
ou de LV2» (2008, p. 3). Notons enfin que l’un des auteurs d’Alter Ego 1, Véronique Kizirian, a
également participé à l’élaboration du contenu phonétique de Scénario 1.
Dans l’étude de la place de la prononciation dans chacune des quatre méthodes, une chose
frappe dès le départ : il semble toujours aussi difficile de déterminer le terme approprié à la
prononciation. Alter Ego 1 et Scénario 1 ont conservé le terme de « Phonétique » et Le Nouveau
Taxi ! 1, lui, a préféré « Prononcez ». Latitudes 1 pousse même la compétence phonologique vers
l’orthoépie en englobant à la fois des traits spécifiques de la phonie et de la graphie dans « Des
sons et des lettres ».
Trois méthodes ont clairement balisé ce moment consacré à la prononciation en fin de leçon
comme dans Le Nouveau Taxi ! 1 ou en fin de tâche comme dans Latitudes 1 et Scénario 1 ; Alter
Ego 1 a, quant à lui, préféré l’absence de régularité de la séquence « Phonétique » pour coller au
116
mieux au contenu.
Au niveau du contenu maintenant, les exercices de distinction et discrimination auditive sont
très nombreux (en moyenne une douzaine d’exercices de ce type par méthode), comme si tous
les auteurs des méthodes explorées ici, avaient pris au pied de la lettre les recommandations du
CECRL sur le développement des capacités phonétiques. La prosodie reste le parent pauvre de
ces ouvrages, en particulier le travail du rythme et de l’intonation. Et pourtant, comme l’explique
Séra de Vriendt, cet aspect de la prononciation « est d’une importance capitale : les structures
rythmiques et intonatives de la langue maternelle risquent de générer les fautes et de créer le
cadre dans lequel elles peuvent se perpétuer.»(2002, p. 249). Il est dommage de constater que
malgré la confrontation immédiate de l’apprenant aux variations prosodiques, les auteurs ne
leur donnent pas plus de place dans leurs ouvrages. Toutefois, il faut reconnaître que ces mêmes
auteurs essaient de rendre le travail phonétique un peu plus attrayant pour les enseignants et
les apprenants. En effet, chacune des méthodes a une petite particularité :
•A
lter Ego 1 propose un exercice d’image mentale des sons. Le guide pédagogique explique
que « cette activité fait approcher les consonnes du français de façon globale selon un
processus de représentation mentale des sons.» (2006, p. 112). Cela n’est pas sans rappeler
le concept de paysage sonore développé par Élisabeth Lhote et mis en application dans
Plaisir des sons de Massia Kaneman-Pougatch et Élisabeth Guimbretière (cet ouvrage étant
même conseillé dans le guide pédagogique). L’intérêt de tels exercices est de faire ressentir
la langue aux apprenants; toutefois, ils ne sauraient suffire, l’apprentissage de la prononciation ne s’acquiert pas uniquement dans un bain linguistique riche.
• L atitudes 1 donne une place conséquente à la relation son-écriture et reprend ainsi les
préceptes du CECRL concernant la compétence orthoépique. Ainsi, les exercices de ce type
peuvent aider l’apprenant à « produire une prononciation correcte à partir de la forme
écrite.» (2001, p. 92). Toutefois, ce genre d’activités devra mettre l’accent sur l’analyse de la
prononciation de l’apprenant plutôt que son habilité à prononcer un texte écrit et ce, pour
deux raisons : 1/ la parole spontanée et la lecture à voix haute ne requiert pas la même
confiance en soi de la part de l’apprenant et 2/ hors de l’environnement de la classe, il n’est
pas si fréquent d’être dans une situation de lecture de texte à voix haute.
• L e Nouveau Taxi ! 1 est le seul qui, malgré son style très concis, tente de repousser les
exercices de discrimination auditive plus tard dans l’ouvrage afin de mettre en avant les
exercices prosodiques (intonation, rythme, etc.)
• S cénario 1 utilise, quant à lui, l’Alphabet Phonétique International comme outil d’enseignement dès la leçon zéro, mais ne semble pas s’en servir outre mesure. Peut-être aurait-il
mieux valu que les auteurs fassent comme dans les autres ouvrages en conservant l’API à
la fin, en annexe ?
Seule la méthode Alter Ego 1 propose l’intégration totale de ses exercices de phonétique dans
la progression de son ouvrage ce qui peut permettre une réelle systématisation de la pratique
de la prononciation, les exercices des autres ouvrages pouvant facilement passer à la trappe.
Tout ce matériel pédagogique n’est rien sans une compétence spécifique dans le domaine
donné et il semble opportun à ce moment de notre étude de montrer en quoi le guide
117
pédagogique des ouvrages explorés est une aide ou non à l’enseignant dans le déroulement, le
diagnostic et la correction phonétique.
3.3. Les guides pédagogiques : aide à l’enseignant ?
Le CECRL est encore une fois une source intéressante d’informations à ce sujet. Il explique
qu’on attend des auteurs de manuels et de cours « qu’ils donnent des instructions détaillées
pour la classe et/ou les tâches et activités que les apprenants » (2001, p. 109) et des enseignants
« qu’ils [...] trouvent des moyens d’identifier, d’analyser et de surmonter [les] difficultés d’apprentissage [des apprenants], ainsi que de développer leurs capacités individuelles à apprendre»
(2001, p. 110).
Les enseignants se reposent souvent un peu trop sur le guide pédagogique pour le déroulement de leur classe et il semble également qu’ils s’attendent à tout y trouver. En cela, certains
ouvrages rappellent de manière détournée qu’ils ne peuvent se substituer à une formation
préalable de l’enseignant car peu importe le manuel, c’est à lui « d’adopter la démarche de son
choix.» (Le nouveau Taxi 1, 2009, p.10), De plus, comme le précise Yves Loiseau, « les conseils des
manuels ont hélas une portée limitée et les manuels ne peuvent avoir pour vocation de former
les enseignants.» (Latitudes, 2009, p.128).
Ainsi, dans le cas de nos quatre manuels, le guide pédagogique accompagne l’apprentissage/enseignement, proposant, pour la plupart des exercices, un déroulement détaillé de la
tâche à accomplir.
Toutefois, l’enseignant se retrouve seul lorsqu’il s’agit de diagnostiquer les possibles erreurs
et surtout de les corriger. Le travail phonétique est bien là mais l’enseignant non formé ne saura
pas quoi en faire. C’est certainement pour cette raison que de nombreux enseignants travaillent
peu la prononciation à partir des activités proposées dans les méthodes de FLE et ont tendance
à y faire attention lorsqu’il y a erreur de la part de l’apprenant. Ces réflexions nous laissent à
penser qu’ils existent un manque dans la formation des enseignants. En effet, la pédagogie de
la prononciation ne vient pas de soi et doit s’acquérir.
3.4. Quelles compétences développer pour un enseignement efficace de la prononciation ?
Nous avons constaté dans les parties précédentes que la prononciation pour l’enseignant
de FLE n’est pas un élément d’enseignement qui va de soi et qui est souvent perçu comme une
certaine source d’inconfort. Qu’il ait été formé ou non aux problématiques du français pour les
étrangers (nombreux sont les expatriés francophones qui deviennent enseignants de français,
en n’ayant que la langue en poche), le rôle de l’enseignant est le même: il est le référent linguistique de la classe et la classe attend de lui d’être guidé de manière adéquate. Or, le problème
provient de l’enseignant lui-même, souvent perdu au milieu des concepts de didacticiens et de
matériaux, pas toujours adaptés aux besoins de ses apprenants. Il y a également un manque
énorme de compétences en matière de création de contenus, d’évaluation et de correction de
118
la prononciation.
Nous aimerions donc proposer ici quelques recommandations:
1/ Donner une importance plus grande à la prononciation dans les programmes des institutions
D’une manière générale, si l’enseignant ne perçoit pas le besoin de mettre à jour ses compétences dans ce domaine, il sera moins enclin à changer sa méthodologie et son ressenti face à
la prononciation.
Un changement opéré au niveau du curriculum obligerait la rédaction d’un syllabus
clairement décrit qui intégrerait la prononciation aux autres compétences et activités du cours
et qui donnerait la direction à prendre en matière d’enseignement.
La prononciation devrait être mieux intégrée aux programmes et devenir un des éléments
essentiels des compétences que les apprenants devraient atteindre à la fin de chaque année
scolaire / universitaire / institutionnelle.
Il est également important que les programmes incluent des descriptifs précis des buts à
atteindre. Ces buts devraient couvrir des compétences différentes comme pour les débutants,
atteindre une aisance langagière et phonétique. Ces descriptifs pourraient être adaptés de ceux
du Cadre aux particularités de l’institution, par exemple.
De même, les grilles de correction utilisées pour l’oral du DELF pourraient être améliorées
selon les caractéristiques des apprenants. Cela ne veut pas dire, rabaisser ses attentes mais
plutôt prendre en considération la/les langues maternelle(s) des apprenants dans la conception
du cours mais aussi donner un cadre plus précis dans l’évaluation de la prononciation. Quel
que soit le niveau de l’apprenant (c’est aussi le cas pour les débutants), gardons en tête que les
membres d’une même communauté linguistique (en dehors de la classe de FLE) ne sont pas
tous aussi patients et compréhensifs, ajoutons même entraînés, que les enseignants de FLE à
l’écoute d’un discours « déformé ». Bien sûr, l’apprentissage de la prononciation du français a ses
étapes tout comme l’apprentissage d’un nouvel instrument mais pourquoi se contenterait-on
d’un niveau d’intelligibilité relative, même pour les débutants?
Tous ces (nouveaux) outils armeraient bien mieux l’enseignant face à une méthodologie de
la prononciation parmi trop subjective.
2/ Redéfinir la place de l’enseignant par une formation plus adéquate
Si les programmes évoluaient comme proposés ci-dessus, il semble que les institutions
seraient obligées de former leur personnel enseignant à la pédagogie de la prononciation.
Cette formation devrait inclure l’étude et la pratique d’une méthodologie de la prononciation intégrée aux activités : l’enseignement de la prononciation doit se faire par le biais
d’autres domaines et non pour uniquement remédier aux problèmes. Rappelons que le rôle de
l’enseignant n’est pas de corriger à tout vent mais de devenir une sorte de coach de la parole.
Pour cela, il doit inclure des éléments spécifiques pour aider ses apprenants.
On pourrait imaginer qu’une telle formation proposerait, en premier lieu, une prise de
« conscience de toute la problématique que constituent la phonation et l’audition» (de
119
VRIENDT, 2002, p.248), c’est-à-dire comprendre la chaîne de la parole et ses constituants. Une
introduction à la phonologie permettrait d’avoir des bases en phonétique articulatoire qui
pourrait ensuite mener à une connaissance en phonétique acoustique. Nous reconnaissons
que les termes utilisés en phonétique font souvent peur aux enseignants qui ne perçoivent que
l’aspect théorique de ces concepts. Il faudrait donc proposer une formation pratique avec des
intervenants spécialistes dans le domaine, par exemple.
Notre méthode de prédilection serait la méthode verbo-tonale3 qui propose un apprentissage
de la phonétique du français dans l’acquisition globale de la langue par le moyen de situations
communicatives affectives qui favorisent l’usage de la gestualité lié à l’imitati on de l’intonation
et du rythme. En effet, on aura tendance à associer à une courbe intonative montante, un geste
du bras qui va de bas en haut. Cette gestualité peut aussi s’associer à certains sons comme une
trace visuelle de ce son.
Cette méthode favorise également l’acquisition du système phonétique de la façon la plus
naturelle possible (sans exercices ciblés) et elle se concentre en priorité sur les éléments de
prosodie. Comme l’explique Lauret, « l’application de [ce système] exige :
• un raisonnement développé à partir de l’écart de prononciation constaté ;
•
un contrôle rigoureux du matériau linguistique employé tant en perception qu’en
production (position accentuée, contextes favorisants, ...) ;
• une attention portée sur les éléments suprasegmentaux facilitant la maîtrise du son
travaillé ;
• une organisation de la progression : du plus accentué au moins accentué, du plus favorisant
au moins favorisant» (2007, p. 33)
Malgré sa grande technicité, demandant une connaissance approfondie des caractéristiques
des sons du français (acuité, labialité et tension) mais aussi un travail préliminaire minutieux, le
système verbo-tonal est très efficace à condition d’être intégrée dans le travail phonétique. La
formation des enseignants à ce type de méthodes intégrantes permettrait de faire évoluer la
perception et la pratique en matière de prononciation.
Toutefois, plusieurs problèmes apparaissent. La plupart des enseignants de français ne sont
pas des locuteurs natifs, ce qui signifie qu’une mise à niveau phonétique serait nécessaire,
au risque de se heurter à de grandes fossilisations. La question du financement d’une telle
formation peut être également soulevée, de part le coût d’un intervenant spécialiste venant
de l’étranger ; mais il vaudrait la peine de chercher du soutien non seulement auprès de l’institution mais aussi des ambassades et autres instituts promouvant le français à l’étranger.
3/ Le développement de matériel pédagogique intégrant plus la prononciation
Comme nous l’avons vu dans la troisième partie de cet article, les manuels de FLE ont
tendance à ne pas réellement proposer d’activités qui intègrent la prononciation. Ils proposent
des exercices de phonétique coupés de la réalité des tâches à effectuer. Seul Alter Ego 1 a tenté
3. « L’enseignement de la prononciation : approches » : http://liceu.uab.es/~joaquim/applied_linguistics/
L2_phonetics/Ens_Pron_fr.html– site visité le 14/02/2011.
120
d’inclure au mieux ses activités phonétiques au sein de son contenu en évitant le moment
récurrent de fin de leçon.
Toutes ces méthodes proposent des exercices d’ « oral » qui ne correspondent, en fait, qu’à
une évaluation de la compétence lexicale où l’on vérifie la réutilisation correcte des expressions
données dans la leçon. Ils en oublient alors, que ces activités pourraient être aussi le lieu d’un
travail phonétique.
On pourrait donc imaginer une réévaluation des contenus de ces méthodes par le biais
d’une réécriture des guides pédagogiques, par exemple (moins coûteuse que l’abandon pur
et simple de ses méthodes). Enfin, on doit aussi encourager les enseignants à développer leur
propre matériel de prononciation par l’enregistrement des étudiants en classe et ce, afin de
coller au mieux aux attentes et aux besoins de leurs apprenants, et de proposer un retour sur
la production. Cela requiert évidemment un équipement adapté de la part de l’institution mais
aussi, beaucoup de temps de la part de l’enseignant (on pourrait imager un tel travail comme
activité ponctuelle).
En conclusion, nous avons donc proposé de faire évoluer les programmes diverses des
sections de français en objets référents pour l’enseignant. Ils deviendraient alors un outil
permettant d’établir le contenu des cours, les buts à atteindre et la manière d’évaluer la prononciation de manière plus cadrée. Ceci va de pair avec une formation de qualité d’enseignants
novices ou non (par le biais d’intervenants spécialistes en didactique de la prononciation) et il
nous semble que la méthode verbo-tonale soit la plus à même, à proposer un enseignement en
intégration. Les matériaux doivent eux aussi se renouveler en ce sens et ce, malgré les diverses
contraintes (éditoriales, coût d’une telle méthode, etc.). Tout ceci ne serait, bien sûr, possible
qu’avec un budget adéquat.
L’enseignement d’une prononciation intégrée est donc une priorité.
Bibliographie
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121
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A. BERTHET, E. DAILL, C. HUGO, V. KIZIRIAN, B. SAMPSONIS, M. WAENDENDRIS,. Alter Ego 1,
Méthode de français, A1, Guide pédagogique, Paris, Hachette FLE, 2006
G. CAPELLE, R MENAND, Le Nouveau Taxi ! 1, Paris, Hachette FLE, 2009
G. CAPELLE, R. MENAND, Le Nouveau Taxi !1, Guide pédagogique, Paris, Hachette FLE, 2009
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2008
R. MERIEUX, Y. LOISEAU, Latitudes 1, A1/A2, Paris, Didier, 2008
122
Des rôles de l’enseignant
dans la classe de littérature et FLE
Anne-Sophie MOREL
Université de Franche-Comté
Se pencher sur le rôle de l’enseignant dans la classe de littérature et FLE ne va pas sans une
série de difficultés liminaires qui tiennent à un certain nombre de préjugés, de questions –
souvent piégeuses – et de représentations. Difficultés qui, si elles ont été – et sont encore – à
l’origine de discussions et de débats plus ou moins passionnés, doivent être soulignées, non
pour relancer des polémiques stériles, mais parce qu’elles ont des conséquences sur le rôle de
l’enseignant dans la classe de littérature et FLE et ont pu infléchir plus ou moins directement
ses pratiques.
La première série d’obstacles est liée à l’histoire même de la discipline et aux relations,
souvent tendues, entre littérature et enseignement des langues. L’utilisation du texte littéraire
en classe de langue a en effet connu, de façon cyclique, des phases d’absence et des périodes
plus favorables. Or, la place allouée ou non à la littérature a un impact essentiel sur le rôle de
l’enseignant en classe. Le pluriel du mot « rôles », utilisé dans le titre de notre communication,
répond ainsi à la volonté de proposer un historique de la place et des fonctions de l’enseignant
de littérature en FLE par rapport à l’évolution des différentes méthodologies. L’examen de leurs
objectifs et du matériel pédagogique présent dans les manuels se réclamant de leurs principes,
permet de construire l’objet enseigné – quel modèle du savoir littéraire – et de quel savoir –
l’enseignant est-il amené à privilégier ? – et de déduire des pratiques de classe, la posture de
l’enseignant et l’activité de l’apprenant. Cet historique prendra ponctuellement des points de
comparaison avec la didactique du Français Langue Maternelle afin de faire saillir points de
convergence et/ou de divergence.
La deuxième série de difficultés a trait aux représentations, plus ou moins conscientes,
de l’objet même enseigné et des injonctions qui l’entourent. Nous entendons par là les
présupposés culturels quant au rôle de la littérature française en classe de la part de chaque
enseignant, représentations qui entrent en tension avec des injonctions extérieures comme
les instructions officielles, les curricula des institutions ou plus récemment, le Cadre européen
Commun de Référence pour les Langues (CECRL), et le matériel pédagogique qui s’en réclame.
Le rôle de l’enseignant se définit ainsi dans un champ de forces plus ou moins convergentes,
liées au type de public qu’il accueille dans sa classe, à ses objectifs de formation – examen avec
programme imposé, option, optique professionnelle…–, à sa latitude par rapport à l’institution
dans laquelle il exerce et à sa propre conception de la littérature en classe de langue. Si l’on
123
s’interroge ici sur la finalité d’un enseignement de la littérature en classe de langue, on voit
qu’on peut être renvoyé au premier problème soulevé autour de la conception même de la
langue et de la place que peut – ou non – avoir la littérature dans cette conception.
Tout en gardant à l’esprit ces différents paramètres et leur articulation, on s’attachera dans
le cadre de cette communication à cerner les rôles de l’enseignant dans la classe de littérature
et FLE, dans leur évolution historique et dans la diversité des fonctions qu’ils recouvrent actuellement. On s’intéressera particulièrement au(x) rôle(s) actuel(s) de l’enseignant de littérature
et FLE, induit (s) par le Cadre européen en analysant les reconfigurations que le paradigme
actionnel entraîne.
Considérée comme un corpus idéal réunissant les trois pôles de l’objectif formatif, l’esthétique, l’intellectuel et le moral (PUREN, 1988, p 3), la littérature occupe une place privilégiée
dans la méthodologie traditionnelle et ce jusqu’aux années 19501. Les langues anciennes étant
prises alors comme modèle, on retrouve leurs finalités, à savoir l’apprentissage linguistique,
culturel et rhétorique, dans l’enseignement du français langue maternelle et langue étrangère
(MUREN, 1988, p 0). Les fonctions attribuées à la littérature sont essentiellement subordonnées
à l’acquisition linguistique. Si la plupart des méthodes ne proposent pas de thèmes ni de
versions, elles offrent des « morceaux choisis » pour la lecture et l’explication certes, mais ces
activités sont secondaires et jamais dirigées ou explicitées : ces textes sont « destinés à la
fixation et l’enrichissement du vocabulaire, et groupés suivant une progression grammaticale
attentive » (MAUGER, II, 1955 : Avertissement). La littérature n’est pas abordée en elle-même ni
pour elle-même, mais comme un exemple ou un prétexte à une illustration et une explication
grammaticales. La grammaire occupe donc la place dominante dans les activités de classe, les
grands auteurs fournissant des exemples et permettant de fixer les standards dans la pratique
de la langue en société. Le rôle de l’enseignant de littérature s’apparente alors plus à celui d’un
professeur de grammaire, le texte littéraire étant l’élément support de la leçon et le prétexte à
l’exploitation d’un point grammatical et d’un thème lexical.
Dès qu’un seuil minimal est acquis sur le plan linguistique, les procédés d’enseignement
sont calqués sur ceux de la littérature en langue maternelle, l’explication littéraire devenant
l’apanage de toute pédagogie. Ainsi au niveau avancé, on découvre dans des manuels comme
le tome IV de Langue et Civilisation françaises, intitulé La France et ses écrivains (BRUEZIERE,
MAUGER, IV), des recueils de textes choisis à la fois pour la pratique de l’explication et pour un
exposé d’histoire littéraire. Un tel ouvrage est à rapprocher de la célèbre série des Lagarde et
Michard, même si un classement thématique y est privilégié. Pour contribuer à l’enrichissement
culturel de l’étudiant via la littérature, le professeur, détenteur du savoir, est amené à transmettre
directement des connaissances de façon successive et cumulative : une pédagogie expositive
s’impose et les professeurs, désireux de mener au mieux leur mission, transforment, pour gain
1 Par méthodologie traditionnelle, on entend l’ensemble des méthodes qui se sont inspirées de l’enseignement
des langues anciennes, à savoir la méthode de grammaire traduction et celle de lecture traduction. On y ajoutera
les méthodes directe et active qui les rejoignent sur l’esprit quant à l’enseignement de la littérature, même si,
par ailleurs, des éléments sont foncièrement différents (GRUCA, 1993, p 3). On posera qu’est traditionnel tout
ce qui n’est pas audio-visuel ou communicatif, tout en ayant bien conscience de l’arbitraire de cette définition
et de l’ambiguïté d’un tel regroupement.
124
de temps, leur enseignement en cours magistral. Ce type de pratique postule implicitement
que les récepteurs n’ont pas – de droit ni de fait – la capacité à discuter ces informations, et n’ont
pas « voix au chapitre ». Le propos de l’enseignant constitue un objet d’apprentissage à maîtriser
et est finalisé par une séance d’évaluation (BOUCHARD, 2004). Banni de l’enseignement des
langues vivantes par la méthodologie structuro-globale audiovisuelle au début des années
1960, le texte littéraire refait son apparition dans les méthodes de langue dès le début des
années 1980 et a été validé par l’approche communicative, bien que ce « retour » se réalise de
manière confuse. Nous passerons rapidement sur cette période qui évince, non sans ambiguïté,
le texte littéraire, avant de lui redonner une place.
Nous préférons en effet nous concentrer sur le (s) rôle (s) actuel(s) de l’enseignant de
littérature et FLE, induit (s) par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues et la
perspective actionnelle. Le CECRL propose de nouvelles approches des documents sous forme
de tâches, elles-mêmes inscrites dans des projets. Dans cette pédagogie, l’apprenant doit être
pleinement acteur de son apprentissage et doit s’appuyer sur ses compétences pour atteindre
différents objectifs propres à la tâche à réaliser. La tâche se définit par son but, par le résultat
tangible auquel elle doit aboutir et s’inscrit plus globalement dans un projet (CECR, 2001, p
6)2. Elle a une relation avec des activités réelles et nécessite donc l’implication de l’apprenant,
usager de la langue, acteur social.
Le caractère personnel, individuel de la lecture littéraire ne semble pas, de prime abord,
facilement conciliable avec cette pédagogie de projet, mettant en valeur l’action commune.
Les notions de standards d’évaluation ou d’objectifs à atteindre, inscrivent l’apprentissage et
l’enseignement dans l’ordre du quantifiable, du mesurable et donc du collectif, alors que la
littérature offre des expériences propres à renforcer la conscience subjective des apprenants,
en tant qu’apprenants certes, mais aussi comme autres engagés dans un processus plus large
de formation. Si l’on ne considère la langue que comme un instrument normalisé de communication, un code standardisé et transparent, inscrit dans une logique de développement de
compétences visant la professionnalisation, le texte littéraire peut même apparaître comme
une entrave, un obstacle à l’apprentissage.
Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, même s’il parle assez peu du
texte littéraire, ne néglige pourtant pas ce support. Il précise que « les littératures nationale
et étrangère apportent une contribution majeure au patrimoine culturel européen que le
Conseil de l’Europe voit comme « une ressource commune inappréciable qu’il fait protéger et
développer » » (CECR, 2001, p 7). La place du texte littéraire en classe est ainsi réaffirmée par l’utilisation d’une expression plurielle qui peut désigner l’acception la plus large de la production
littéraire, sans la hiérarchie commune en France entre les différents espaces institutionnels de
la littérature. Relevant de « l’utilisation esthétique ou poétique » de la langue, le texte littéraire
2 « Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un
résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé.
Il peut s’agir tout aussi bien suivant cette définition de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter
la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un
restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe. »
125
est cité plusieurs fois dans la « grille pour l’autoévaluation » qui a pour objectif de constituer un
référentiel de compétences (CECR, 2001, p 5 et 26-27).
Associée à la lecture, à l’expression orale et à l’écriture, la littérature est mentionnée aux
niveaux B2, C1 et C2. Si l’on se place du côté de l’apprenant, il s’agit pour lui en B2 de « comprendre
un texte littéraire contemporain en prose », puis en C1, de « comprendre des textes factuels
ou littéraires longs et complexes et en apprécier les différences de style » et enfin en C2, de
« lire sans effort tout type de texte, même abstrait ou complexe quant au fond ou à la forme,
par exemple un manuel, un article spécialisé ou bien une œuvre littéraire » (CECR, 2001, p 7).
Dans le Portfolio européen des langues, outil d’autoévaluation, cette compétence est également
présente puisqu’il est demandé aux apprenants de mentionner les œuvres complètes qu’ils ont
pu lire dans la langue cible. La compétence d’expression écrite est également évoquée : en C1,
« je peux résumer et critiquer par écrit un ouvrage professionnel ou une œuvre littéraire ». Au
niveau B1, le texte littéraire est convoqué de façon indirecte. L’apprenant doit être capable de
« raconter une histoire ou l’intrigue d’un livre ou d’un film et exprimer [ses] réactions » (CECR,
2001, p 6). Il s’agit bien de transmettre des informations portant sur une activité de lecture, dans
le cadre d’une activité de production orale en continu s’appuyant sur le vécu personnel et le
ressenti de l’apprenant. Le texte littéraire n’est ici qu’un prétexte, dans la mesure où parler de ses
lectures est un moyen efficace de parler de soi, de ses goûts, de s’impliquer dans la conversation
et d’engager une discussion réellement authentique.
Du côté de l’enseignant à présent, il faut tenter de voir en quoi ces descripteurs peuvent être
intégrés dans une tâche. En effet, un de leurs effets pervers serait de réduire le texte littéraire
au rôle d’étalon de mesure de compétences linguistiques. Nous souhaitons donc voir ce que
pourrait être une tâche littéraire qui favoriserait les interactions et l’implication des apprenants
acteurs et quel serait le rôle de l’enseignant dans un tel dispositif.
La perspective actionnelle implique un changement de paradigme, dont la caractéristique
majeure est, pour l’enseignant, de passer d’une logique de transmission de connaissances à
une logique de développement de compétences interprétatives chez l’apprenant, et pour ce
dernier, de passer d’une logique passive à une logique active. Il n’est plus question d’attendre
que le professeur finisse par donner toutes les réponses. La transmission se fait de façon
indirecte par la réalisation d’une tâche. Là où l’étudiant était mis en position de réceptivité, il est
reconnu désormais comme actif. Là où le cours donné par l’enseignant occupait l’attention de
l’étudiant, c’est maintenant l’activité de l’étudiant qui focalise l’attention de l’enseignant. Là où
le travail était essentiellement individuel, il devient collectif.
À l’enseignant donc de définir la tâche – c’est son premier rôle – et d’élaborer une démarche
d’enseignement de la littérature qui tenterait de donner à l’apprenant la capacité à comprendre
et apprécier une œuvre. La compréhension et le plaisir du texte demeurent bien les objectifs
premiers de la lecture. Il ne s’agit pas de former des spécialistes de littérature, mais des lecteurs
éclairés de textes produits dans la langue qu’ils sont en train de s’approprier. Pour ce faire,
l’enseignant doit favoriser la construction et la mise en place de stratégies de compréhension
favorisant l’autonomie et la construction progressive d’un sens pluriel dans une perspective
126
socioconstructiviste, la compréhension de l’œuvre littéraire étant vue comme un travail de
construction (BARTH, 1993).
Nous n’évoquerons pas ici la possibilité de mener une explication de texte, « activité scolaire
privilégiée pour l’enseignement de la littérature », de façon actionnelle, Christian Puren s’y étant
déjà employé (PUREN, 2006), mais nous nous pencherons sur d’autres aspects. Une tâche littéraire d’apprentissage peut consister à laisser l’apprenant choisir un texte qu’il apprécie, puis à
mener une lecture collaborative dans laquelle des tâches collectives s’appuyant sur une activité
de lecture individuelle, seraient proposées au lecteur. Le but final peut être une lecture publique
ou une mise en scène. Le manuel Ici, qui se réclame de la perspective actionnelle, nous suggère
quelques exemples possibles de tâches (ABRY, FERT, PARPETTE, STAUBER, 2007). Paru en 2007,
cet ouvrage s’adresse à un public d’apprenants évoluant dans un environnement francophone
et propose des missions à réaliser en dehors de la classe. La poésie est bien représentée : il
s’agit de s’exprimer oralement à partir de textes lus à voix haute ou écoutés. Les extraits de
pièce de théâtre sont joués, les romans donnent lieu à des débats dans lesquels le ressenti
de chacun est exprimé. Dans Ici, la lecture littéraire devient une activité collective ouvrant
un espace d’expression personnelle aux apprenants qui interviennent véritablement comme
lecteurs, s’impliquent dans le discours et agissent de façon quasi authentique – l’enseignant
restant présent. C’est par son but que la tâche pédagogique se distingue ainsi des activités de
simulation qui semblaient parfois se présenter comme des actions sociales. L’apprenant, en
collaboration avec l’enseignant, prend part à la planification de la tâche et sait pourquoi il va
l’accomplir. Le contexte didactique n’est pas nié. Une exploitation actionnelle du texte littéraire laisse toute sa place au lecteur, à sa lecture et à ses sentiments personnels.
Le projet peut aussi être de produire d’autres textes à partir d’un document littéraire. Ces
productions écrites collectives à dimension sociale effective, de recueils de nouvelles ou de
poèmes, peuvent être publiées sur Internet qui permet désormais d’assurer un élargissement
des collaborations au-delà des seuls élèves de la classe et la diffusion des productions des
élèves au moyen de la publication sur le Web. Là aussi, la publication finale sur Internet donne
désormais potentiellement à toute production des élèves une certaine dimension de « réalité
sociale » qui peut certainement aider à leur motivation, dans la mesure où c’est l’image qu’ils
ont et qu’ils donnent d’eux-mêmes en dehors de l’espace scolaire qui se trouve ainsi mise en
jeu. Les médias sociaux autorisent des processus collaboratifs, notamment à travers la lecture
et l’écriture de récits interactifs multimédias, et le commentaire, la discussion, voire le débat
interprétatif sur le(s) sens attaché(s) au texte littéraire sur des blogs, des forums ou des sites
Internet spécialisés (MOREL, 2011).
Cette approche coopérative (ABRAMI, 1995) permet de dépasser la dimension individuelle de
la lecture ou la division du travail induite par les traditionnels questionnaires de compréhension.
Le groupe de pairs est reconnu comme le foyer des apprentissages, par conflit socio-cognitif par
exemple. L’hétérogénéité des réponses des partenaires d’une interaction à une même tâche
peut entraîner chez chaque sujet une prise de conscience double, favorisant la construction
progressive du sens : « d’une part, le sujet peut se rendre compte de l’inadéquation de son
127
système de réponses dans la tâche considérée, mais surtout il se rend compte de l’existence
d’alternatives différentes de la sienne, ce qui peut alors l’amener à une décentration et, partant,
à une recherche de coordination de ces diverses centrations » (DOISE et al., 1978, p 55). Dans ce
contexte de coopération, la pression des pairs incite également les élèves à lire les œuvres et
à participer aux tâches, sans qu’on ait besoin de tests de lecture. En tablant sur la socialisation,
l’enseignant encourage les compétences sociales des élèves, comme la direction et l’animation.
La deuxième grande fonction de l’enseignant consiste à soutenir le processus par lequel
l’étudiant mène à bien sa tâche. La prise en compte de l’implication des sujets lecteurs élèves
ne conduit pas à une sorte de degré zéro de l’intervention didactique où, sous prétexte de
favoriser l’expression des apprenants, on s’interdirait toute activité, toute question et toute
exploitation des dispositifs de lecteur. La formation du lecteur suppose au contraire un étayage,
un accompagnement de l’activité de l’élève pour qu’il textualise, qu’il narrativise les traces de
son expérience de lecture. L’enseignant doit dès lors guider l’apprenant grâce à des activités qui
sous-tendent et soutiennent la réalisation de la tâche, et être capable d’évaluer ses besoins et
y répondre. Il s’agit de maintenir « un équilibre délicat entre le type d’assistance dont l’étudiant
a besoin pour traiter le contenu [...] et l’acquisition graduelle de l’indépendance nécessaire au
traitement autonome de l’information » (TARDIF, 1992, p 8). En d’autres termes, la construction
de la compréhension a besoin d’un étayage que l’enseignant retire à mesure que les élèves
acquièrent cette autonomie.
Cet étayage peut jouer sur la complémentarité de la culture de masse et de la littérature
(FOURTANIER, MAZAURIC et LANGLADE, 2006), ou sur une approche pluridisciplinaire entre
l’image, entendue aussi bien au sens d’image fixe ou animée, et la littérature. Des œuvres picturales ou cinématographiques peuvent en effet permettre de sensibiliser et de développer les
compétences interprétatives de l’apprenant en le rendant vigilant à certains effets de sens liés à
certains signes. Jean Bellemin-Noël (1979, p 94-195):explicite bien cette nécessaire connivence
et écoute à travers la métaphore du canevas et de la broderie Je ne puis fantasmer n’importe quoi à propos d’un texte, je ne brode pas un canevas aux
couleurs prémarquées : ce discours et moi, nous devenons ensemble cette tapisserie. Ma main
doit passer par des points obligés, choisir des fils de nuances déterminées, meubler les entours
d’une ornementation. Le motif existe, imposé par le titre, il ne faut pas l’oublier ; le dessein, la
couleur et le cadrage sont aménagés. Mon inconscient de lecteur ne s’impose pas, il se prête aux
possibles du texte ; le sens secret du texte ne s’expose pas même à force de (mauvais ou bons)
traitements, il s’offre aux connivences de mon écoute. Car c’est moi qui suis le maître du relief,
des intensités : j’accentue ici ou là, je marque plus ou moins le contraste, je crée la tonalité, je
vais voir ce qui n’était pas remarqué, remarquer ce qui autrement n’eût pas été vu, mon rôle est
de mettre en vue – je suis metteur en scène du sens, et dès lors, c’est mon sens. (Nous soulignons)
À l’enseignant donc d’offrir ces aides, de guider, d’éclairer le sens sans pour autant le révéler.
Il ne s’agit pas d’éviter la tâche mais bien d’en faire prendre toute la mesure par les apports
nécessaires, méthodologiques d’une part, scientifiques de l’autre. Ce rôle de ressource pédagogique est au plus proche du rôle habituel de transmission de l’enseignant. Il s’agit de dispenser
128
des connaissances, d’éclairer les notions en jeu dans la tâche, de clarifier des points obscurs.
Cette proximité avec le rôle traditionnel de l’enseignant rend ce rôle particulièrement délicat à
assumer. Il ne s’agit pas en effet de faire cours. La difficulté pour l’enseignant consiste à ne pas
substituer, en intervenant, sa propre activité à celle de l’apprenant, à soutenir le processus et
non à le clore. Il s’agit de fournir des apports sans replacer les étudiants dans le confort de la
relation pédagogique habituelle. L’enseignant doit répondre à des besoins sans répondre à des
attentes de rôle et résister à la propension à se replacer dans les modèles de rôle traditionnels
en donnant sa lecture à un étudiant au lieu de l’aider à définir et à réaliser la sienne propre. Cette
redéfinition de rôle ne va pas de soi, surtout en littérature où la propre formation de l’enseignant, ses enthousiasmes de lecteur, tous les outils d’analyse et d’histoire littéraire disponibles,
peuvent le pousser, plus ou moins consciemment, à laisser prédominer son discours expert sur
celui des étudiants. La finalité de l’enseignant est bien de développer leurs compétences interprétatives et
culturelles (CANVAT, 2000, p 3-70) et de les amener à interpréter eux-mêmes l’œuvre lue, au lieu
d’attendre que l’enseignant le fasse à leur place. Il ne s’agit pas pour ce dernier d’imposer, ou
à tout le mieux, de tendre insidieusement, son sens ou celui d’un critique reconnu par le biais
de grilles de lecture. Au contraire, le dispositif qu’il propose, et qui peut recourir aux ressources
multimédia – texte, image, son intégrés dans un scénario pédagogique –, doit être assez souple
pour favoriser les étonnements de l’apprenant face au texte. L’enseignant aurait dès lors un rôle
de stimulateur : les tâches proposées ne seraient plus des simulations, mais agiraient comme
des stimulations pour l’apprenant acteur (MOREL, 2011).
Planificateur et guide, expert de contenu et ressource pédagogique, motivateur et animateur,
médiateur culturel et stimulateur, metteur en scène, l’enseignant de la classe de littérature en
FLE joue bien de multiples rôles. La spécificité de sa fonction dans ce domaine tient à nos yeux
à la nécessaire vigilance à l’Autre qu’exige cette posture originale qui ne va ni sans risque ni
sans résistance. Elle repose en effet sur l’acuité du regard de l’enseignant et sa propre capacité
d’écoute des autres lecteurs que sont les apprenants. L’enseignant deviendrait dès lors un
lecteur de lectures, un veilleur attentif et non plus un capitaine – seul maître à bord –, dans le
cadre d’une construction authentiquement intersubjective.
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129
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J. TARDIF, Pour un enseignement stratégique, Montréal, Éditions Logiques. 1992
Annexes
Annexe 1
A
Approche par objectifs grammaticaux, textes pour la lecture et la fixation et l’enrichissement
du vocabulaire : MAUGER G., Cours de Langue et de Civilisation Françaises II, Paris, Hachette, 1955.
Exemple de texte pour la lecture et l’explication : Extrait des Contes de la Bécasse de
Maupassant, Leçons 58 à 63, p. 177.
130
B
Organisation selon une progression grammaticale : Table des matières correspondante,
Quatrième degré, p. 279.
131
Annexe 2
Histoire littéraire et explication de textes : BRUÉZIÈRE M., MAUGER G., Langue et Civilisation
Françaises IV. La France et ses écrivains, Paris, 1957.
Exemple : Jacques Prévert, p. 335, « Le Chat et l’oiseau » (Histoires et autres histoires).
Errata : Dans le poème, il faut lire au vers 17 « lui dit le chat », et non « lui fit le chat » ; au vers
25, « Simplement de la tristesse et des regrets » et au vers 26, « Il ne faut jamais faire les choses à
moitié. » Le poème est extrait d’Histoires et autres histoires, Éditions Gallimard (et non « Éditions
du Pré aux Clercs »).
132
Annexe 3
Approche par les tâches : ABRY D., FERT C., PARPETTE C., STAUBER J., 2007 : Ici, A1, méthode
de français, Paris, CLE international, 2007.
Ecriture d’un poème à partir d’un texte de Robert Desnos, « Chant pour la belle saison » (in
Mines de rien recueilli dans Destinée arbitraire), p. 62.
Jouer une scène entre un médecin et un patient : Jean Tardieu, « La condamnation ou le
médecin » (in Le Professeur Froeppel), p. 48.
Textes de Prévert, Desnos et Tardieu reproduits avec l’autorisation des Éditions
Gallimard. © Editions GALLIMARD
133
Les groupes d’activités langagières
et le pilotage par la tâche
Valérie SOUBRE
CEPEC International / ILCF, Université catholique, Lyon
Le CECRL pose de nombreuses questions aux équipes enseignantes de langues, notamment
sur l’organisation des enseignements, de suivi et d’accompagnement des élèves, d’évaluation
des compétences. Une fois passés les premiers tâtonnements concernant les référentiels
européens, l’enjeu aujourd’hui est d’adopter une approche de l’enseignement des langues par
l’action et ainsi de repenser le projet de chaque équipe aussi bien en termes pédagogiques,
didactiques qu’organisationnels. Si l’on accepte de parler de parcours d’apprentissage pour un
apprenant en langues vivantes, il est évident que ni le nombre d’années d’études ni le niveau
de classe ne suffisent à le définir. Il devient alors nécessaire de concevoir ces parcours sur une
autre base, à savoir les acquis réels des apprenants.
Ceci implique d’innover tant au plan des pratiques qu’à celui de l’organisation : les enseignements de langues pourront être organisés selon le principe des barrettes (alignement horaire)
en groupes d’activité langagière en fonction des niveaux de compétence du CECRL. Les apprenants sont entraînés à maîtriser les activités langagières appropriées en vue d’accomplir telle ou
telle action, ceci permettant de générer de meilleurs effets sur leur apprentissage.
En s’interrogeant sur ces différents points, le statut de l’enseignant est de fait interrogé.
Ainsi, dans cette communication, nous croiserons les différents axes du colloque autour de la
démarche didactique : Quelles pratiques pédagogiques sont mises en place ? Comment gérer
le groupe-classe ? Qu’en est-il du travail sur les compétences et de la portée du CECRL ?, Quels
dispositifs, quels outils et quelles ressources sont à la disposition du nouvel enseignant ?)
Dans cette communication, seront abordés les enjeux d’un pilotage par la tâche, avec des
exemples de pratiques, la mise en œuvre des groupes d’activités langagières, avec des exemples
de planification, la notion de compétence en lien avec le CECRL, le suivi des élèves avec le
portfolio. Cette communication s’appuiera sur deux éléments : la définition de la compétence
et de la tâche et les groupes d’activités langagières.
Nous définissons la compétence comme étant ce qui permet à une personne (dans notre
cas un apprenant) de mobiliser des ressources disponibles pour faire face à une situation et
d’accomplir une tâche dans un domaine donné. Philippe Perrenoud (2000) propose justement
une approche par compétences, qui est tout à fait transposable à la perspective actionnelle
du CECRL : « Une approche par compétences précise la place des savoirs, savants ou non, dans
l’action : ils constituent des ressources, souvent déterminantes, pour identifier et résoudre des
problèmes, préparer et prendre des décisions. Ils ne valent que s’ils sont disponibles au bon
moment et parviennent à «entrer en phase» avec la situation… »
135
L’approche par compétences est un atout pour donner du sens au travail scolaire, mais elle
confronte l’enseignant à des difficultés supplémentaires dans la conception et l’analyse des
tâches proposées aux étudiants. Il ne suffit plus en effet de proposer des exercices intéressants
et bien conçus, il faut projeter les apprenants dans de vraies situations, des démarches de projet,
des problèmes ouverts. Si l’on se réfère à Edgar Morin (1990), le paradigme de la complexité
permet de prendre en compte le contexte dans une approche systémique.
Sur quels principes constituer des groupes par activités langagières?
La proposition de mise en place de « groupes d’activités langagières» a pour objectif principal
de prendre en compte la diversité des parcours des étudiants et de proposer des modalités de
différenciation. L’appellation « groupes de niveaux de compétences » mérite réflexion. En effet,
nous avons connu la différenciation pédagogique par groupes de niveaux. Elle s’est traduite le
plus souvent par une répartition des élèves en bons, moyens et faibles. Il est donc fondamental
de relever que dans la formulation « groupes de niveaux de compétences » le terme important
est celui de « compétence ». La répartition des apprenants se fait sur leurs manques et sur leurs
acquis et donc par rapport à la maîtrise des descripteurs de chaque activité langagière pour
chacun des six niveaux du CECRL.
S’il est nécessaire de recourir à des évaluations diagnostiques permettant de situer les
apprenants, il est tout aussi important de faire appel à l’auto-évaluation. La mise en place d’un
portfolio en est un bon exemple : explications données aux étudiants, temps pour le compléter,
réflexion sur les acquis, les difficultés…
L’introduction du portfolio apparaît comme une des innovations majeures dans les
pratiques d’évaluation des langues. Il s’agit d’introduire des modalités permettant à l’apprenant
de participer plus activement à sa formation (évaluation formatrice).
Plusieurs manières de l’utiliser sont alors possibles :
• demander à l’élève de se positionner par rapport au cadre européen pour, en début d’année
et/ou de période scolaire, s’inscrire dans un groupe de compétences correspondant à ses
besoins (évaluation diagnostique).
• Mettre en place, dans le cadre de la classe, de temps permettant de faire le point avec les
apprenants sur leurs parcours, leurs acquisitions, les difficultés rencontrées, et de la suite à
donner à la formation.
• Instaurer des entretiens individualisés où chaque élève va pouvoir, à partir de ses travaux,
apporter la preuve à l’enseignant de l’acquisition de ses compétences à des fins de
validation.
Une véritable innovation. Ce qui est proposé actuellement aux établissements et aux
enseignants constitue une véritable innovation, dont il faut prendre la mesure des changements attendus, ainsi que le temps et l’engagement nécessaires pour les mener à bien.
Parmi ces changements, on peut relever : l’évolution du métier d’enseignant (relation à l’élève
(évaluation), pratiques pédagogiques, travail en équipes) ; l’organisation de l’établissement
(gestion des parcours des élèves, gestion de l’espace, de l’emploi du temps, des moyens…).
Formulé autrement, c’est l’ensemble de l’organisation qui est interpellé : temps scolaire et
136
organisation de l’établissement, différenciation pédagogique, suivi des élèves et évaluation
(portfolio). C’est d’un véritable changement de culture dont il s’agit.
La constitution de l’équipe enseignante, si elle n’est pas déjà existante, sera plus à considérer
comme la résultante d’un travail en commun qu’une donnée préalable. Encore faut-il s’assurer
que les enseignants sollicités trouvent un intérêt minimal à l’expérimentation. Signalons
l’importance des prises de décisions communes comme élément structurant une équipe, en
particulier pour tout ce qui concerne la dimension organisationnelle : choix des classes, mise en
barrettes des emplois du temps, emploi du temps des enseignants.
La nécessité d’un espace de projet. Nous reprenons ici quelques propositions permettant de
mettre en œuvre une démarche de projet dans un établissement. Sans être exhaustives, elles
veulent attirer l’attention sur un certain nombre de points pouvant favoriser la réussite d’une
démarche de ce type :
• Ne pas confondre résultat et stratégie. Il est en effet tentant de décider de mettre en place
le résultat attendu sans réflexion préalable sur les démarches nécessaires. La mise en place
d’un portfolio en est un bon exemple. Tel établissement, prenant en compte la prescription
de tel ou tel décideur, sera peut-être tenté, dès la rentrée prochaine, de faire acheter un
portfolio à chaque étudiant. Ce sera sans doute sous-estimer la réflexion nécessaire de
l’équipe pédagogique pour son utilisation.
• Mettre en place une démarche participative qui valorise le débat professionnel et permet
dès le départ de partager les enjeux. Il n’y a en effet pas de projet et de motivation à le
réaliser sans enjeux. Cela implique aussi la nécessité d’accepter les réticences. Pour toute
innovation, il y a ceux qui l’initient et ceux qui n’en veulent pas1.
• Prendre en compte la « zone proximale de développement » d’une équipe. Viser l’idéal mais
s’appuyer sur ce qui est accessible. En quelque sorte faire modeste mais significatif.
• Inscrire le projet dans la durée ce qui nécessite d’en travailler l’échéancier.
• Soutenir et accompagner le projet.
Construire un projet. Faire référence ici à la notion de projet, c’est, en plus des remarques
ci-dessus, insister non seulement sur l’importance d’intentions communes à une équipe, mais
aussi sur la nécessité d’une certaine formalisation des objectifs et du déroulement et sur la mise
en place du projet. Il convient en particulier d’en préciser les modalités de suivi et d’évaluation.
Sur quoi agir pour penser le projet ? Comme nous l’avons vu précédemment tout projet d’évolution de l’enseignement des langues concerne :
• La dimension didactique : finalités de l’enseignement des langues, notion de compétences,
évaluations diagnostique et formative, importance de la dimension culturelle, mise en
priorité de l’oral…
• La dimension pédagogique : gestion de la classe, des groupes, relation pédagogique, utilisation du portfolio, organisation des évaluations, examens…
• La constitution des équipes : équipes pluri-langues, multi-niveaux…
1. On peut même penser que le fait que certains résistent est justement le signe qu’il y a des enjeux ; en
quelque sorte, pas d’innovations sans réfractaires.
137
• L’organisation de l’établissement : définition des groupes d’étudiants, emploi du temps,
gestion de la dotation horaire, moyens matériels, humains (assistant par exemple)…
Penser l’organisation conjointement avec la formation. On ne peut, quand on parle de différenciation, séparer les dimensions pédagogiques des dimensions organisationnelles. En effet,
différencier nécessitera de composer des groupes à partir des classes et de les faire évoluer tout
au long de l’année. Dans le cas de la mise en place de « groupes d’activités langagières», il s’agira
en particulier de mettre en « barrettes » des emplois du temps des groupes d’apprenants, et en
conséquence ceux des enseignants.
En profiter pour repenser les méthodes d’enseignement. Diversifier ne peut évidemment
se réduire à la définition des parcours différents en fonction des besoins des étudiants. Les
méthodes d’enseignement, leur diversification par rapport aux besoins des apprenants et à
la nature des compétences, sont aussi un des points de la réflexion didactique à privilégier :
enseignement individualisé, pédagogie du projet, utilisation des TICE...
L’importance de l’évaluation. C’est le point clef du dispositif et une des difficultés importantes vécues par les équipes qui ont expérimenté les groupes d’activités langagières. Non
seulement la référence au CECRL est indispensable mais il faudra mettre en place les outils
permettant un positionnement des apprenants : auto évaluation, entretiens avec les étudiants,
tests…
Pour conclure, ces regroupements par activités langagières et ce travail par tâche peuvent
être intéressants, mais représentent également des enjeux forts d’évolution pour nos établissements. Gageons sur la mobilisation des personnes et des systèmes pour un requestionnement
de ces structures.
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138
L’enseignant de français
langue étrangère face à une
classe d’adultes multi-niveaux,
multilingue et multiculturelle
Catherine David et Dominique Abry
CUEF, Université Stendhal-Grenoble 3
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme
Rabelais
Les centres de langues doivent gérer parfois des classes spécifiques de FLE à multi-niveaux.
La gestion de ce type de classe qui existe aussi dans d’autres centres d’enseignement interroge
les enseignants. En effet ils sont sûrs que les apprenants dans ces conditions ne progressent
pas autant que dans une classe homogène de niveau. Pour la préparation de leur cours, ils
cherchent à comprendre ce qui serait le mieux adapté en tant que contenus et démarches
pédagogiques pour que leurs apprenants progressent sans être pénalisés par la situation. Ils
rêvent enfin de trouver des solutions qui pourraient au contraire les faire progresser davantage.
Nous enseignons depuis quatre ans dans une classe de jeunes filles au pair qui présente
cette situation d’avoir des niveaux qui vont de A1 à C1. Ces jeunes filles suivent un cours de
langue de 5 heures par semaine sur une journée, pendant 10 semaines, soit un total de 50
heures par semestre. La plupart poursuivent leur inscription au deuxième semestre et suivront
finalement 100 heures de français.
Nous avons décidé d’entreprendre une thèse au sein de l’Université Stendhal Grenoble 3
sur ces classes à plusieurs niveaux pour essayer de trouver des réponses méthodologiques à
ce type de situation pour qu’elle devienne enrichissante autant pour les apprenants que pour
l’enseignant.
Notre recherche correspond à la thématique du colloque de Dijon de l’ADCUEFE sur le rôle et
la place de l’enseignant en langue étrangère. Plusieurs questions de notre problématique font
écho aux recherches des centres de FLE en France et à l’étranger : Quels enjeux didactiques sont
engendrés par la gestion d’une classe à niveaux multiples ? Les apprenants progressent-ils de
manière régulière ? Les apprenants de niveau faible en français sont-ils gênés voire bloqués par
les apprenants plus avancés ? Progressent-ils plus vite dans certaines capacités langagières par
rapport à d’autres? Quelles démarches pédagogiques, quelle dynamique de groupe et quels
types de supports permettent à l’enseignant d’ « orchestrer » sa classe ? Enfin quels rôles
peuvent jouer les TICE dans ce type d’enseignement/apprentissage ?
1. A la recherche d’un nouveau contrat didactique
Les principes de la pédagogie différenciée existent depuis longtemps. Dans Emile (1761)
Rousseau parle d’un enseignement qui s’adapte à la nature de l’enfant. Pourtant ce n’est que
200 ans plus tard, avec la loi Haby qu’apparaît, sous la plume de Louis Legrand, le terme de
139
« pédagogie différenciée ». Les pédagogies actives de la première moitié du XXe siècle (FERRIERE,
CLAPAREDE, FREINET) avaient déjà commencé à élaborer une pédagogie centrée sur les besoins,
les aptitudes et les centres d’intérêt de l’apprenant. Mais la « pédagogie différenciée » dans
l’histoire de la didactique n’est pas associée au souci de s’adapter au niveau linguistique des
élèves (qui sont supposés parler la même langue). Inversement, dans l’histoire de la didactique
des langues (GERMAIN, 2001) et dans le CECR (2001), malgré l’importance de la centration sur
l’apprenant, on parle peu, voire pas du tout, de la gestion de l’hétérogénéité des niveaux dans
une même classe. Dans la littérature actuelle, seul le numéro des Langues modernes (APLV)
Observation, conception et mise en œuvre de pédagogie différenciée (oct, nov, décembre 2001)
dirigé par C. Puren traite du problème.
Dans une classe de langues étrangères à multi niveaux, pour faire progresser les étudiants
aussi bien que s’ils étaient dans une classe homogène, l’enseignant doit se fixer trois objectifs :
1) répondre aux demandes et besoins spécifiques de chaque apprenant; 2) enrichir les interactions entre les apprenants quel que soit leur niveau ; 3) faire prendre conscience à chaque
apprenant de ses capacités en développant son autonomie et ses stratégies d’apprentissage
pour qu’il puisse efficacement travailler seul ou en petits groupes. L’apprenant ne doit pas être
déstabilisé par l’absence de l’enseignant qui s’occupe d’un autre groupe.
Tous ces objectifs obligent à repenser le contrat didactique c’est-à-dire « l’ensemble des
comportements du maître qui sont attendus de l’élève et l’ensemble des comportements de
l’élève qui sont attendus du maître» (BROUSSEAU, 1980). Dans ce type de classe, la dynamique
de groupe est obligatoire. L’enseignant est amené à gérer diverses exercices/activités simultanément. Il n’est pas toujours face à tous les apprenants, à toute la classe qui travaille souvent en
sous groupes.
L’hétérogénéité des classes n’est pas une perspective abordée spécifiquement par le CECR. Le
travail en sous-groupes est valorisé dans les perspectives actuelles de l’enseignement/apprentissage des langues du CECR, notamment en ce qui concerne l’approche par capacité langagière.
En effet en fonction des besoins des apprenants, avec ce genre de classe hétérogène «dans la
définition des objectifs, il est possible de mettre résolument en avant une dimension particulière (réception, production, interaction, médiation) même si ces polarisations ne sauraient être
totales » (2001, p.106). Le CECR parle d’objectifs partiels. La pédagogie de groupe encourage,
dit-il, les interactions et développe la compétence pragmatique de chaque apprenant qui doit
« adapter son discours à son interlocuteur ». L’incitation au travail en autonomie des apprenants occupe une place importante dans le CECR : « Les utilisateurs du Cadre envisageront et
expliciteront selon les cas les mesures qu’ils prennent pour faire progresser le développement
des élèves et étudiants vers une utilisation et un apprentissage de la langue responsable et
autonome » (2001, p.108).
…. avec un enseignant aux savoirs et savoir-faire plus complexes
Devant ce type de classe à multi-niveaux, l’enseignant doit effectuer les mêmes actions que
dans une classe homogène linguistiquement et culturellement mais il doit avoir des connaissances plus précises de chaque apprenant composant le groupe et du matériel FLE existant
dans le domaine éditorial avec les démarches pédagogiques les accompagnant ainsi que du
matériel technique dont il peut disposer en classe. Ainsi il doit être :
140
1)
un diagnostiqueur pointilleux
Il se doit d’évaluer au début de chaque cours le niveau des quatre capacités langagières de
chaque apprenant précisément ; il doit obtenir une fiche de renseignements détaillée du vécu
et du parcours linguistique de chaque apprenant. Dans une classe homogène de niveau où sont
regroupés des étudiants ayant obtenu le même score environ au test de placement, l’enseignant
choisit un manuel correspondant à ce niveau. Dans une classe hétérogène linguistiquement, il
est important de connaître le niveau de chaque apprenant pour chaque capacité langagière en
plus du niveau global. Ainsi il est intéressant de savoir pour la composition des sous groupes
qu’un apprenant a un niveau A2+ en production écrite (PE) et B2+ en compréhension orale
(CO). Le niveau noté au début du cours sur chaque fiche d’évaluation diagnostique pour chaque
apprenant doit obligatoirement être associé aux niveaux par aptitudes langagières (voir Annexe
1). Les langues parlées par l’apprenant permettront de faire des prévisions sur les difficultés
phonétiques et grammaticales. Les connaissances de l’enseignant sur les systèmes linguistiques
des langues du monde les plus parlées est un avantage qui lui permettra de mieux organiser le
contenu de ses exercices/activités et de prévoir sa progression du cours
2) un « chrono-maître » : l’enseignant est confronté au temps sous différents aspects : il doit
savoir gérer :
• le temps de préparation du cours avec une dynamique de groupes plus complexe. Le temps
de préparation dans ce type de classe est plus long que pour une classe homogène car
l’enseignant doit préparer un programme avec les différentes exercices/activités selon
chaque groupe de niveau, anticiper aussi l’activité pour la classe entière ainsi que penser
aux activités compatibles entre elles (avec l’enseignant ou en autonomie), rechercher des
ressources numériques, des documents complémentaires permettant aux apprenants
(surtout les plus faibles) de s’entraîner seuls en dehors du cours, pour le travail en autonomie
important et indispensable.
• le temps des différentes séquences du cours, temps de travail des sous groupes qui parfois
ne coïncident pas, un groupe ayant fini avant un autre. Le temps didactique ou chronogénèse (CHEVALLARD, 1991) est « le fait de parcourir avec les élèves une suite d’objets de
savoir dans un temps délimité ». Encore plus que dans une classe homogène, l’enseignant
ne peut pas toujours parcourir la même suite d’objets de savoir mais il doit plutôt organiser
des suites d’objets parallèles compatibles entre elles afin de pouvoir naviguer entre
plusieurs groupes de travail. Ce temps didactique lui paraît souvent trop court, il est alors
obligé de renoncer tacitement à certaines activités encore plus fréquemment que dans une
classe homogène.
• le temps de correction des productions des apprenants. L’enseignant sort de son cours avec
une quantité non négligeable de corrections à faire chez lui étant donné qu’il est impossible
de corriger tout ce qui a été fait en classe. Le danger pour tout enseignant est de se laisser
envahir par la quantité de travail à faire et en amont et en aval.
3) un « architecte » ingénieux
Davantage que dans une classe homogène, l’enseignant doit veiller à « une construction
sans cesse réopérée d’un milieu pour les élèves », cette construction est appelée mésogenèse
141
par Brousseau (1980) et topogenèse par Chevallard (1991). En effet, il est nécessaire d’anticiper
la taille de la salle de classe, la disposition des bureaux des apprenants, les salles de cours
côte à côte disponibles, la possibilité de combiner une salle et un laboratoire de langue. A ces
contraintes s’ajoutent celles du matériel : avoir plusieurs supports audio et vidéo est indispensable pour un travail en sous-groupe travaillant des compréhensions de l’oral différentes
Analyser l’action de l’enseignant de langue dans une classe hétérogène, « c’est déterminer
sous quelles contraintes et de quelle manière la chronogenèse et la topogenèse se distribuent
dans le temps de l’interaction » (SENSEVY, 2011, p.210). Tâche d’autant plus complexe que l’interaction enseignant/apprenant et apprenants/apprenants souffre, au début principalement, des
frustrations éprouvées par les apprenants hétérogènes : des activités trop faciles ou trop difficiles ; une attente du professeur parfois trop longue ; une concentration difficile dans le bruit ;
une auto-évaluation délicate car le niveau de l’apprenant est gêné par les niveaux proches de
lui (sous-estimation ou sur-estimation) ; un travail en autonomie conséquent pendant et après
le cours.
4) un enseignant à l’écoute des difficultés d’adaptation et d’apprentissage de ses apprenants. Dans une classe hétérogène, certains étudiants, généralement les plus faibles, sont
frustrés au départ : ils ont peur de parler et ne comprennent pas ce qui est fait en classe entière.
Ils ont alors tendance à se décourager. L’enseignant doit donc être très vigilant, se montrer à
l’écoute et aux besoins de chaque apprenant. Il doit rassurer les étudiants en leur expliquant
le style, le rythme et la dynamique d’apprentissage un peu particuliers dans ce type de classe.
5) un connaisseur du matériel pédagogique existant pour tous les niveaux ainsi
qu’un technicien au fait des technologies numériques. Grâce à elles, la gestion de la classe
hétérogène devient plus adaptée à chaque apprenant. Par exemple, l’utilisation d’un blog
pédagogique permet une utilisation spécifique en amont et en aval du cours. En amont l’enseignant peut proposer des ressources internet par niveau pour préparer la séance à venir. En aval
l’apprenant travaille avec les ressources internet écoutées en classe ou les ressources internet
compléments de la leçon. Il peut aussi faire des exercices auto-correctifs, voire se livrer à des
exercices d’expression écrite. Ces exercices/activités peuvent être proposés sur une plateforme
(Moodle-cuef dans notre cas) sur laquelle l’enseignant et les apprenants peuvent échanger
à travers un forum de discussion. Enfin, le Tableau blanc interactif (TBI) est aussi un support
intéressant car un sous-groupe d’étudiants peut faire une recherche sur internet et créer une
séquence pour un autre groupe d’étudiants : le sous groupe prend alors le rôle de l’enseignant,
responsabilité très motivante pour l’apprentissage.
… une dynamique de regroupements de la classe variée indispensable
Tout d’abord, il convient de représenter la classe comme un ensemble flexible de regroupements d’apprenants même si l’enseignant suit des objectifs communs. Réfléchir à l’organisation
d’une classe hétérogène rejoint la réflexion sur la pédagogie de groupes. Cette dernière peut
être très bénéfique à tout apprenant. Michel Barlow dans Le travail en groupe des élèves (1993)
s’interroge sur l’efficacité du travail en groupe pour les élèves d’une même classe et montre qu’il
encourage l’apprentissage. En effet mettre en groupe, c’est valoriser la communication entre
les étudiants. D’après son étymologie latine, « communicare » veut dire partager, mettre en
commun. La pédagogie de groupe cherche donc à faire communiquer les apprenants entre eux.
142
Son objectif n’est pas une simple conversation. « Communio » veut dire « je mets en commun »
mais aussi « je construis, je renforce ». Le travail en groupe vise donc surtout l’enrichissement
mutuel, les progrès que chacun fait grâce à l’action de chacun de ses membres. Un étudiant
de niveau plus avancé peut aider un étudiant plus faible. Le tutorat est encouragé et valorisé.
Les étudiants regroupés par capacités langagières peuvent progresser plus rapidement en
changeant de niveau selon la capacité travaillée. Le choix de faire une évaluation diagnostique
fine au début par capacité langagière va permettre de tenir compte de son niveau dans une
capacité B1 en CO par exemple et A2 en PE. Précisons aussi que le travail en groupe doit être
encadré par des exercices/activités en grand groupe indispensable au début et à la fin du cours
au minimum car ce travail avec tous les apprenants permet de « créer » la classe, de créer des
liens entre eux, de les faire se connaître. L’unité du groupe est primordiale car les filles au pair
vivent la même expérience en France. La motivation de l’étudiant passe par ce sentiment de
sécurité grâce à l’appartenance à un même grand groupe (MASLOW, 1943) et dans l’idée d’un
projet commun qui permet la cohésion du groupe même si les niveaux sont différents.
Recourir à un thème ou une tâche commune permet de réduire les délais d’attente d’un
groupe d’apprenants et donne la possibilité à chaque étudiant de naviguer entre les différents
exercices/activités de niveaux différents. Il s’ennuie parfois moins que s’il était resté dans une
classe homogène, nous ont dit certains étudiants dans les enquêtes de satisfaction à la fin du
cours.
… un auto apprentissage et une autoévaluation avec portfolio indispensables
Enfin, l’étudiant dans ce type de classe doit développer des stratégies d’apprentissage, qu’il
apprenne à apprendre et à s’auto-évaluer. Nous avons réalisé avec les apprenants un portfolio
au bout de 3 ou 4 séances, à partir des thèmes et objectifs linguistiques abordés. Les apprenants
doivent beaucoup plus souvent travailler seuls que dans une classe homogène, l’enseignant ne
pouvant pas s’occuper de tous les groupes en même temps. Le travail en autonomie peut avoir
lieu en classe à certains moments mais doit être renforcé à la maison. L’enseignant vérifie et
peut évaluer ce travail sous la forme de petits tests, de corrections individuelles/collectives, de
demandes de reformulation ou de présentation à la classe.
La mise en place d’un travail de groupe situe notre conception didactique au cœur du
socio-constructivisme : l’apprentissage se fait à partir d’un conflit socio-cognitif encouragé
par la discussion avec nos pairs. Dans une situation d’interaction sociale, il y a confrontation
des représentations, ce qui entraîne leur modification. Dans les regroupements de notre classe
de jeunes filles au pair, cette confrontation se fait d’une part entre étudiants de même niveau.
Dans ce cas, ils essayent de mettre en commun leurs savoirs de la langue pour réaliser certaines
activités et accomplir une tâche. Ce sont des étudiants les plus forts qui aident les étudiants
plus faibles. Cette confrontation fait apprendre les plus faibles mais aussi permet aux plus forts
de reformuler et simplifier leur discours et par là même de clarifier leur pensée. L’enseignant est
le médiateur de cette communication. Avec ses remarques et parfois ses corrections, il assure
une médiation entre son savoir et ses étudiants et entre les étudiants eux-mêmes. On retrouve
ici la théorie de l’apprentissage de Vygotski (1934 en Russie, 1997) qui refuse la conception
selon laquelle le développement précèderait l’apprentissage (PIAGET, 1923) et selon laquelle
le langage n’aurait qu’un rôle secondaire pour la connaissance. Au contraire pour le théoricien
143
russe, l’apprenant peut souvent réaliser une activité parce qu’il est aidé par autrui. Les jeunes
filles au pair de nos différents cours ont toutes progressé régulièrement. Le tutorat est certainement une des raisons de leurs progrès dans leur apprentissage du français. Le travail en
groupe est une préparation au travail en autonomie. Comme le dit Vygostki, «ce que l’enfant
sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain» (1997, p.355).
2. Une dynamique complexe grand groupe/petits groupes : présentation de 4
regroupements
Après quatre années d’expérience dans la préparation et la réalisation de ces cours multi-niveaux, nous avons pu recenser 14 types de regroupements différents qui peuvent être rassemblés
sous 4 démarches récurrentes. Pour cette communication, nous avons choisi de présenter une
séquence d’une classe que nous avons faite sur le thème de la gastronomie, dans laquelle
quatre regroupements les plus récurrents de tous nos regroupements, sont mis en scène les uns
à la suite des autres. Cette classe était composée de 14 étudiants de 12 nationalités différentes.
L’annexe 1 présente la fiche d’évaluation diagnostique de la classe ainsi que le niveau que ces
filles au pair ont atteint après 50 heures de cours. L’annexe 2 présente les supports utilisés pour
la compréhension écrite (extrait de la France au quotidien (2008), les exercices de grammaire
niveau débutant de la Grammaire progressive du français (1997); ainsi que les supports qui ont
servi à préparer le jeu de rôle sur la gastronomie. La durée de cette séquence est d’environ 2h30.
Le commentaire des exercices/activités est fait au fur et à mesure dans l’annexe 2
.
LA RÉPARTITION DES GROUPES
Phase 1 : découverte du texte
Mise en route 15 min
Compréhension
de l'écrit (20mn)
A2.B1.B2.
A2
Compréhension des questions
De la CE (15mn)
Exercices de grammaire
Autonomie (10 mn)
B1
B2.
A2.B1.
A2
Lecture d'un extrait du
texte (10 mn)
B1.B2.
Continuent à répondre à leurs
questions
Correction des question
B1/B2 (10 mn)
A2.B1.B2.
Phase 2 : préparation du jeu de rôle
A2.B1.B2.
B2
A2.B1.B2.
A2.B1.B2.
Phase 3 : présentation du jeu de rôle
Jeu de rôle
d'un groupe A2-B1-B2
/ ............................................................................................. Echanges
(40 min)
Les autres groupes assistent au jeu de rôle (5x3 = 15 mn)
144
Il y a le regroupement de la classe entière à trois moments clefs: le premier indispensable
au début du cours pour souder le groupe, le deuxième au milieu, vise à travailler ici la prononciation, une activité nécessaire à tout le groupe, et enfin le dernier à la fin du cours à la fois pour
sortir de la dualité enseignant/apprenant mais aussi de l’homogénéité du sous-groupe. Cette
rencontre d’apprenants aux niveaux multiples met chaque apprenant et notamment les plus
faibles dans une situation spéciale (ce qui n’arrive jamais dans une classe homogène). Chacun
doit développer des stratégies adaptées selon son niveau pour pouvoir communiquer.Il faut
gérer soit le trop facile soit le trop difficile.
3. Regroupements en sous-groupes :
• Un regroupement des niveaux par capacités langagières (CE) : il permet à chaque apprenant
de faire une activité de son niveau et d’échanger avec les autres apprenants du même
groupe.
Ce type de regroupement par niveau homogène peut prendre diverses formes en fonction
des séquences : cela peut être aussi des CO différentes en laboratoire ou un support commun
(CO ou CE) avec des questions différentes pour chaque niveau, des exercices/activités différents
pour des capacités langagières différentes: exemple : CE pour B2 et Grammaire pour A1+/).
• Un regroupement qui rassemble deux niveaux assez proches: il permet à des étudiants A2/
B1 ou B1/B2 ou B2/C1 de travailler ensemble sur un même objectif (ce qui valorise le tutorat
et la reformulation pour les plus forts et permet aux étudiants plus faibles de progresser à
l’oral. D’autre part cela augmente le temps de parole de tous).
• Enfin un regroupement qui associe trois personnes, chacune ayant un des niveaux du
groupe (souvent pour les jeux de rôle). Ce regroupement est original et intéressant puisqu’il
s’inscrit directement dans la perspective actionnelle : chaque apprenant devient vraiment
un acteur social pour les autres qui doivent s’adapter.
Les résultats de notre recherche sur quatre ans sont intéressants du point de vue didactique et du point de vue de la progression de l’apprentissage de chaque apprenant. Tous les
apprenants ont progressé d’un demi-niveau ou d’un niveau en français (cf. Tableau Annexe
1 « évaluation diagnostique et finale des jeunes filles au pair en 2008 »). Il faut souligner au
cours de leur année leur grand investissement dans leur apprentissage du français et le fait
qu’elles vivent au quotidien dans une famille française. Même les débutants complets, que nous
voulions réorienter dans une classe « homogène » au début de notre expérience (estimant que
leur intégration dans la classe était impossible), et qui n’ont pas pu le faire et sont restées dans
la classe, ont réussi à progresser et à acquérir le niveau A2 au bout de 100 h d’enseignement.
Nous poursuivons cette année la réflexion sur la dynamique de groupes dans ce type de
classe en interrogeant les interactions entre apprenants grâce aux classes que nous avons
filmées pour voir les stratégies langagières mises en place par les apprenants. Nous continuerons
à cerner le travail de préparation de l’enseignant dans ce type de classe en variant encore les
activités pédagogiques, les projets ainsi que les différentes possibilités de regroupements des
apprenants dans un processus réel d’échanges interpersonnels avec un seul but la réussite de
l’apprentissage du français par chacune des apprenantes dans une classe multi-niveaux.
145
Bibliographie
D. ABRY, Y. DAAS, C. FERT, H. DESCHAMPS, F. RICHAUD, C. SPERANDIO, Ici 2, CLE international, 2008.
M. BARLOW, Le travail en groupe des élèves, A.Colin, 1993.
C. BOURGUIGNON, Pour enseigner les langues avec le CECRL. Clefs et conseils, Delagrave, 2010.
G. BROUSSEAU, « L’échec et le contrat », Recherche, 41, 1980, p.177-182.
CONSEIL de l’EUROPE, Cadre européen de référence pour les langues: apprendre, évaluer et enseigner,
Didier, 2001.
Y. CHEVALLARD, La transposition didactique, La Pensée Sauvage, 1991.
C. DAVID, «Atouts et faiblesses de la pédagogie différenciée », Le Français dans le monde, 366, 2009,
p.26.
M. GREGOIRE, Grammaire progressive du français avec 400 exercices, niveau débutant, CLE international, 1997.
W. MASLOW, «A theory of human motivation», Psychological review, 50, 1943, p. 370-396.
J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, 1923.
H. PRZESMYCKI, La pédagogie différenciée, Hachette, 2000.
C. PUREN, (coord. par), La pédagogie différenciée en classe de langues, APLV 4 + 2h30 DVD de
séquences filmées, 2001.
R. ROESCH, R. ROLLE, La France au quotidien, PUG, 2008.
G. SENSEVY, « Théorie de l’action et action du professeur », in J-M BAUDOIN (dir) Raisons éducatives, De Boeck université, 2001, p. 203-224.
L. VYGOTSKI, Pensée et langage, La Dispute, 1997.
Annexe 1
Evaluation diagnostique et finale du groupe des filles au pair en 2008-2009 (groupe
qui a participé aux activités analysées dans l’article. Résultats sur 100 heures). Les 4 capacités
langagières sont additionnées pour l’évaluation finale.
D’après le tableau ci-dessous, on remarque que tous les étudiants ont progressé d’un demi
niveau, voire d’un niveau, à l’exception des deux plus faibles qui ont eu parfois tendance à se
décourager.
Nom et nationalité
Evaluation diagnostique
Evaluation finale
(après 100 heures)
Remarques
B.T. (Canadienne)
PO B1+, PE A2, CO B1+,
CE B1
B1 + dans toutes les
capacités PO B1, PE B1,
CO B2, CE B2
PO B2, PE B2, CO C1, CE
B2+
PO B1, PE B2, CO B2, CE
B1+
B2
A beaucoup
travaillé en PE
Est restée sur ses
acquis
A beaucoup
travaillé
A beaucoup
travaillé
A beaucoup
travaillé
C.C. (Italienne)
D.M. (Allemande)
F.S. (Suisse)
G.B. (Allemande)
146
B1+
B2 + (beaucoup de
progrès en PO et PE
C1
C1
H. D. (Chinoise)
K .C. (Ghanéenne)
M. O. (Ukrainienne)
N.A. (Mexicaine)
P. D. (Américaine)
R.M (Polonaise)
R. M. (Mexicaine)
PO A1, PE A2+, CO A1,
CE fin A1
PO mi-A1, PE mi A1, CO
mi A1, CE mi A1
PO B2, PE B1+, CO B1+,
CE B2
PO A2+, PE A2 +, CO
B1+, CE B1+
PO A1+, PE A1+, CO A2,
CE A2
PO B1+, PE B1, CO B2
CE Fin B1
PO B1+, PE A2+, CO B1+,
CE B2
A2 écrit et oral après
50 heures
A2 à l’oral mais
A1+ à l’écrit
B2+
Fin B1
A2 à l’écrit mais B1
à l’oral
B2 +
B2
S’est un peu
découragée
S’est un peu
découragée
A beaucoup
travaillé
A beaucoup
travaillé
A beaucoup
travaillé
A beaucoup
travaillé en PE
A beaucoup
travaillé en PE
Annexe 2
Les supports pour la séquence sur la gastronomie (A1+, A2, B1, B2)
A.
Activité de mise en route (groupe classe entière)
(Ici 2, (2008) p.47)
147
B.
Compréhension écrite avec trois niveaux de questions (travail en sous-groupes).
Texte : La cuisine des régions ( La France au Quotidien, (2008) p.37-38, illustrations sur
le document original).
La France est connue dans le monde entier pour le raffinement de sa cuisine. Les chefs
français sont recherchés, et parfois célébrés comme de véritables artistes. Evidemment, la
cuisine de tous les jours est plus simple mais les Français attachent beaucoup d’importance à la
qualité, au prix et à la provenance des produits alimentaires qu’ils consomment. Ils font le plus
souvent leurs achats dans les grandes surfaces situées à la périphérie des villes. En revanche, le
dimanche et pendant les vacances, faire les courses au marché est un véritable plaisir. En été, les
marchés paysans ont toujours un vif succès.
La cuisine régionale du Sud.
Toutes les régions de France ont leurs spécialités culinaires, mais le Sud-Ouest est
certainement une des régions les plus riches et les plus gastronomique : le foie gras aux
truffes, le confit de canard accompagné de pommes de terre rissolées à la graisse d’oie, le vin
de Bordeaux, etc. Toutes ces spécialités sont particulièrement riches en calories. Le Sud-Ouest
illustre parfaitement le « paradoxe français » puisque c’est dans cette région que les gens vivent
le plus vieux et ont le taux de cholesterol le plus bas ! La région de Toulouse est célèbre pour
son cassoulet qui est un plat de haricots blancs, de charcuterie et de confit d’oie ou de canard.
La cuisine provençale est composée essentiellement de fruits et légumes cultivés dans le
Sud-Est de la France. Elle est souvent parfumée aux herbes de Provence comme le thym, le
romarin et le laurier, et est généralement servie avec un rosé de Provence bien frais. La bouillabaisse, qui est élaborée à partir de divers poissons bouillis accompagnés de légumes variés, se
mange avec de la rouille, une sauce pimentée. L’aïoli, une mayonnaise à l’huile d’olive relevée
d’ail, accompagne un plat de légumes ou de poissons, le plus souvent de la morue.
La cuisine régionale du Nord.
En Alsace, la cuisine se compose généralement de charcuterie. La choucroute, un plat de
chou fermenté, de charcuterie et de pommes de terre est une des spécialités de cette région. La
quiche lorraine, autre plat traditionnel de cette région, est une tarte chaude garnie d’œufs et de
lardons. Dans cette région, on boit surtout de la bière, mais le vin d’Alsace, un vin blanc et fruité,
est très apprécié des connaisseurs.
La Bretagne, à l’ouest, est particulièrement réputée pour ses poissons et ses fruits de mer,
qu’elle exporte dans tout le pays. Les huîtres, que l’on mange crues ou chaudes, les coquilles
Saint-Jacques, les moules, les crustacés comme les homards, les crevettes, etc., y sont d’excellente qualité. Les crêpes ou les galettes bretonnes, sucrées ou salées sont célèbres, elles
s’accompagnent géneralement de cidre, une boisson légèrement alcoolisée à base de pommes.
La Normandie se distingue par la qualité de sa crème fraîche utilisée dans de nombreux plats
et par ses fameux fromages, comme le camembert connu dans le monde entier.
148
Questions sur le texte
•
pour le niveau A2
Répondez aux questions par vrai ou faux.
1) La cuisine française est célèbre surtout en Europe :
2) Les Français ne font jamais leurs courses le dimanche :
3) Le Sud-Ouest propose une cuisine très grasse :
4) Dans le cassoulet, il y a des haricots verts et du bœuf :
5) Il y a beaucoup de fruits et de légumes dans la cuisine provençale :
6) Les repas à base de fromage sont la spécialité de l’Alsace :
7) Le poisson de Bretagne est apprécié dans tout le pays :
8) Le cidre ne contient pas d’alcool
•
pour le niveau B1 Répondez aux questions suivantes. Mémorisez vos réponses avant de les exposer à l’oral.
1) Quels sont les critères importants pour les Français quand ils font leurs courses ?
2) Qu’est-ce qui fait la particularité et le paradoxe de la cuisine du Sud-Ouest ?
3) Quels sont les parfums présents dans la cuisine provençale ?
4)En quoi la cuisine bretonne est-elle révélatrice de sa situation géographique ?
5) Comment fait-on le cidre ?
6) Citez trois plats typiques et expliquez de mémoire leur composition.
•
pour le niveau B2
Répondez aux questions des autres groupes et aux questions suivantes.
1) Reformulez la phrase : « La France est connue dans le monde entier pour le raffinement
de sa cuisine. ».
2) Reformulez : « Les marchés paysans ont un vif succès.»
3) Relevez, dans le texte, une dizaine d’adjectifs associés à une manière de faire la cuisine ou
de présenter un plat. Exemple : rissolée.
4) Chaque spécialité s’accompagne d’un vin ou d’un alcool particuliers. Donnez des exemples.
5) Quels sont les différents produits de la mer mentionnés dans le texte ? En connaissez-vous
d’autres ?
6) « La Normandie se distingue par ses fameux fromages.»
• Trouvez deux synonymes de l’adjectif fameux :
• Pourquoi cet adjectif est-il placé avant le nom ?
149
C.
Exercices pour le groupe faible, extraits de Grammaire progressive du français,
(1997), p.80-81 : les partitifs : travail en autonomie
D.
Le jeu de rôle (sous-groupes composés d’un étudiant de chaque niveau) :
Présentez la recette d’un plat
Les étudiants doivent présenter une recette de cuisine comme à la télévision. Le professeur
a demandé à la fin du cours précédent de consulter en ligne le site http://www.cuisine.tv/pid7/
videos.html présentant des recettes de cuisine filmées pour la télévision.
Les étudiants d’un groupe se mettent d’accord sur la recette.
150
L’enseignant attribue à chaque étudiant un rôle :
A2 présente les ingrédients (utilisation des partitifs et du vocabulaire des aliments).
B1 explique le déroulement de la recette (utilisation du lexique de la cuisine et de l’impératif
travaillé en classe la séance précédente).
B2 joue le rôle d’un présentateur et commente la recette comme à la télé.
Extraits du manuel « La France au quotidien » B1-B2 (édition 2008) de Roselyne Roesch et Rosalba
Rolle-Harold.
Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions PUG (Presses Universitaires de
Grenoble).
151
Instrumentation
du tuteur distant et visualisation
de la réflexivité de l’apprenant de
FLE en compréhension écrite
Agnès Garletti
Université du Maine/Université Rome 3
Dans les environnements universitaires d’enseignement et d’apprentissage à distance, le
tuteur didactico-évaluatif, dans son activité de perception, a des difficultés à détecter les stratégies cognitives à l’origine d’un blocage (Villiot-Leclercq et Dessus, 2009), ce qui nécessite une
instrumentation spécifique pour visualiser l’activité cognitive de l’apprenant dans son parcours
d’apprentissage médiatisé. Afin d’engager notre recherche sur ce terrain, nous décrirons cette
démarche de perception par l’intermédiaire d’un premier outil dénommé « typologie théorique
des habiletés cognitives » lors d’un extrait d’un retour d’expérience auprès d’un groupe d’étudiants sinophones du CIEF de l’Université Lyon Lumière 2. Mais auparavant, nous préciserons
le contexte spécifique de la recherche expérimentale ; nous évoquerons les acteurs de l’expérimentation dans leur processus d’apprentissage au sein d’un dispositif de formation hybride ;
puis, nous exposerons le protocole expérimental notamment à travers diverses micro-tâches
d’apprentissage.
1.
Le contexte spécifique voire innovant de la recherche expérimentale
La recherche proprement dite a nécessité la conception préalable de divers travaux essentiels :
• la conception d’un didacticiel nommé CEPACFLEA2 (Communication Écrite et Perception de
l’Activité Cognitive en Français Langue Étrangère au niveau A2) constitué de quatre unités
d’enseignement/apprentissage soit de sept modules numérisés sur la plateforme UMTICE (la
plateforme des ressources pédagogiques de l’Université du Maine (Le Mans, France) ;
• la création de onze habiletés langagières répertoriées à partir de la comparaison de sept types
de micro-tâches de compréhension écrite émanant des sept modules d’enseignement/apprentissage de CEPACFLEA2 et de la typologie des situations d’évaluation des habiletés réceptives et productives de D. Lussier (1992). Ainsi, pour la micro-tâche « Quel est le nombre d’habitants de l’agglomération de Paris ? », il s’agit de comparer une information principale à des
informations secondaires dans une partie d’un document textuel et d’affirmer une réponse
écrite à un stimulus en réutilisant un élément du document textuel dans sa production. Pour
ce faire, diverses étapes sont possibles telles que :
a. Identifier (1) une information principale dans une consigne écrite
153
b. Identifier (2) les parties du document déjà traitées
c. Identifier (3) la partie à traiter dans un document textuel
d. Identifier (4) l’information déjà traitée dans la partie du document textuel
e.Associer (1) l’information principale de la consigne écrite à la partie dans laquelle on peut
trouver l’information demandée
f. Distinguer les ressemblances et les différences entre les spécifications qui accompagnent
des nombres représentant des populations
g. Associer (2) le nombre à renseigner à une information donnée
h. Choisir le nombre à renseigner qui correspond à l’information principale demandée
i. Extraire un élément dans une partie d’un document textuel à partir d’un stimulus écrit
j. Reproduire un élément à renseigner dans un énoncé textuel à partir de stimulus écrits
k. Formuler un énoncé en réponse à un stimulus écrit.
Dès lors, après la description de chaque habileté langagière pour des micro-tâches données de compréhension écrite en termes de verbes d’action permettant d’évaluer une tâche
d’apprentissage (Lussier, 1992), nous obtenons les cinq catégories d’habiletés langagières suivantes :
a. repérer, repérer pour réutiliser, repérer pour affirmer en réutilisant
b. comparer pour repérer, comparer pour réutiliser, comparer pour affirmer en réutilisant ;
c. regrouper pour réutiliser, regrouper pour affirmer en réutilisant, regrouper et déduire en
réutilisant ;
d. réorganiser pour affirmer en réutilisant ;
e. déduire pour affirmer en réutilisant (traduit de l’anglais en français par Agnès Garletti ;
GARLETTI, 2010) ;
• l’élaboration d’une typologie théorique des habiletés cognitives qui concerne surtout la compréhension écrite. Pour ce faire, nous avons effectué une description des onze habiletés langagières obtenues en les définissant en termes d’opérations cognitives de Bloom (1969) et de
Marzano et Kendall (2007). Puis, après nous être assurée de la bonne adéquation entre les descriptions des habiletés langagières et les définitions des opérations cognitives des chercheurs
suscités, nous avons mis alors en relation chaque micro-tâche d’apprentissage avec un verbe
d’action de l’aide-mémoire graphique de Guité (2007) associé à la définition des opérations
cognitives réalisées. Ainsi l’association entre un verbe d’action (Guité, 2007) et une micro-tâche
d’apprentissage définie grâce aux travaux de Bloom (1969) et de Marzano et Kendall (2007)
devient une habileté cognitive (voir fig.1) ;
154
Habileté langagière
Rôle
Tâche
d’apprentissage
(Lussier,
1992)
Opération cognitive
(Bloom, 1969)
Opération
Choix d’un
cognitive verbe d’action
(Marzano
cognitif
et Kendall, (Guité, 2007)
2007)
Comparer pour
affirmer en réutilisant
CE
Distinguer
Analyse
Analysis
Recherche des
relations
Matching
Discriminer
« Analyse qui dis- Matching
tingue les parties Information
essentielles de
l’argumentation »
« Analyser les
rapports
entre les éléments »
textuels « d’après
leur représentation
[…] distinguer
ceux qui
l’appuient
de ceux
qui ne
l’appuient
pas »
To identify
«the manner
in which a
[…] fact […]
is similar to, or
yet different
from, related
structures «
Fig. 1. Tableau mettant en évidence la manière de concevoir l’habileté cognitive « Distinguer/Discriminer ».
De fait, chaque habileté langagière obtenue est constituée d’une série d’habiletés cognitives (voir fig. 2)
Habileté langagière
Comparer pour affirmer en réutilisant
- Identifier/Définir
- Identifier/Mémoriser
- Identifier/Définir
- Identifier/
Mémoriser
Habiletés cognitives
- Associer/Relier (2)
- Distinguer/
Décomposer
- Distinguer/Discriminer
- Associer/Relier (2)
- Distinguer/
Discriminer
- Associer/
Relier (2)
- Choisir/Sélectionner (2)
- Extraire/Détecter
- Reproduire/Utiliser par imitation
- Formuler/Produire
Fig. 2. Tableau des habiletés cognitives correspondent à l’habileté langagière Comparer pour affirmer en
réutilisant (traduit de l’anglais en français par Agnès Garletti, 2010) ;
155
• la dénomination théorique des stratégies cognitives susceptibles d’être utilisées par l’apprenant. Nous reprenons ici chaque micro-tâche de compréhension écrite décrite en termes
d’habiletés cognitives ainsi que pour chaque habileté cognitive sa définition selon Bloom et
Marzano et Kendall. Cela permet de nommer un ensemble de stratégies cognitives possibles
(voir fig. 3).
Nombre de
Opération Dénomination des micro-tâches
de
cognitive
cogni- compréhension
(Marzano et stratégies
tives
écrite corresponKendall, 2007)
dant
Distinguer/
Analyse
Analysis
- Je distingue les
1
Discriminer
ressemblances
Recherche des relaMatching
et les différences
tions
entre les dessins
et les textes sur les
« Analyse qui disMatching
tingue les parties
Information stéréotypes.
- Je distingue les
6
essentielles de l’arguressemblances
mentation »
et les différences
« Analyser les rapports To identify entre les précisions
entre les éléments »
«the manner qui accompagnent
tex-tuels «d’après leur
in which a X.
3
représenta-tion […]
[…] fact […] - Je discrimine X
distinguer ceux qui is similar to, or par rapport à Y.
2
l’appuient de ceux qui yet different - Je discrimine
ne l’appuient pas »
from, related l’élément (complet)
structures » qui porte sur X par
rapport aux autres
Total :
éléments.
12 micro-tâches
Habileté
cognitive
Opération cognitive
(Bloom, 1969)
Fig. 3. Extrait des dénominations théoriques possibles des stratégies cognitives pour l’habileté
cognitive « Distinguer/Discriminer ».
• la dénomination de chaque stratégie cognitive a été simplifiée au niveau lexical pour une
bonne compréhension de l’apprenant sinophone de FLE d’un niveau A2. Cela a donné naissance à vingt-et-un questionnaires du tuteur distant incorporant des exemples de stratégies
cognitives. Nous vous proposons en annexe (voir annexe 1 à 3) de visualiser trois questionnaires (Q.1, Q. 20 et Q. 6) du tuteur distant à destination de l’apprenant sinophone de FLE d’un
niveau A2 portant sur la catégorie d’habiletés langagières « comparer ».
2. Les acteurs de l’expérimentation, de la présence à la distance
Notre expérimentation a eu lieu au Centre International d’Etudes Française de l’Université (CIEF) Lumière Lyon 2 auprès d’un groupe classe de treize étudiants majoritairement sinophones et avec la participation de deux tutrices en présentiel dont l’une était également tutrice
à distance. Nous précisons, dès lors, certaines caractéristiques identitaires essentielles de ce
groupe classe d’étudiants d’un niveau A2 du Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues (CECRL, 2001) :
• il est composé de neuf étudiants de sexe féminin et de quatre étudiants de sexe masculin ;
• la fourchette d’âge de ce groupe est comprise entre 19 ans et 25 ans ; la moyenne d’âge du
groupe est donc de 22 ans ;
156
• onze étudiants ont pour langue maternelle le chinois, un étudiant a pour langue maternelle le
japonais et une étudiante, l’espagnol.
Quant aux deux tutrices, l’une est fortement expérimentée en face à face pédagogique auprès d’un public sinophone et l’autre a effectué au préalable deux expérimentations à distance
avec un tel public.
Au sein du protocole expérimental, nous avons scindé ce groupe classe en deux sousgroupes : un groupe expérimental et un groupe de contrôle. Afin d’effectuer cette scission, nous
avons positionné les étudiants grâce à un test initial, puis nous leur avons demandé de remplir
un questionnaire d’entrée en formation afin de prélever des informations singulières capitales
pour former deux sous-groupes « similaires », ce qui ne fut pas aisé (voir fig. 4).
Caractéristiques
des groupes
Groupe
expérimental
Groupe
de contrôle
Nombre d’étudiants
7
6
Sexe
5 femmes, 2 hommes
4 femmes, 2 hommes
Moyenne d’âge
22.5 ans
21.8 ans
Langue maternelle
6 étudiants de langue
maternelle chinoise (5
femmes, 1 homme) et
1 étudiant de langue
maternelle japonaise
5 étudiants de langue maternelle chinoise (3 femmes et
1 homme) et 1 étudiante de
langue maternelle espagnole
14/20
14.65/20
(l’étudiante de langue maternelle espagnole - ETDC04
- ayant effectué le test de
positionnement chez elle – absence lors du test -, sa note n’a
pas été prise en compte dans la
moyenne du groupe de contrôle
pour éviter un biais. C’est pour
cette raison qu’elle se situe dans
le groupe de contrôle.)
Moyenne au test de positionnement
(le test de positionnement
comprend une compréhension écrite et une production
écrite)
Fig. 4. Tableau récapitulatif des caractéristiques du groupe expérimental et du groupe de contrôle.
En plus des tâches à réaliser, le groupe expérimental a répondu à des questionnaires du tuteur distant destinés à percevoir les stratégies cognitives singulières de chaque individu lors de
l’élaboration d’une micro-tâche donnée ; ce qui n’est pas le cas pour le groupe de contrôle. L’objectif final est de comparer l’écart de performances entre les deux groupes en fonction d’une
réflexivité explicite pour le groupe expérimental et d’une réflexivité « implicite » pour le groupe
de contrôle.
3. Protocole de la recherche expérimentale axé sur divers types de tâches de
compréhension écrite
La recherche expérimentale s’est déroulée du 21 mars 2011 au 16 mai 2011, soit sur deux
mois, dans une salle informatique de l’Université Lumière Lyon 2. Chaque étudiant avait un
poste informatique à sa disposition, d’où une certaine aisance dans la démarche d’individualisation de l’apprentissage ; ce qui n’a pas empêché bien heureusement, l’entraide, la collaboration
entre les étudiants voire même avec les deux tutrices en présentiel.
157
Les étudiants ont réalisé environ douze tâches d’apprentissage en compréhension écrite et
en présentiel pendant cinq lundis entre 14h00 et 15h45, soient des séances d’apprentissage
de 1h45. Les étudiants du groupe expérimental ont répondu à environ onze questionnaires
du tuteur distant sur leurs stratégies cognitives relatives à une micro-tâche donnée (voir fig. 5).
Unité
d’apprentissage Module
1
1
1
1
1
1
2
1
2
1
2
2
2
2
2
2
2
3
3
4
4
4
2
2
2
1
1
1
4
1
4
1
4
1
3
1
3
1
1
2
1
1
1
2
2
2
Dénomination
de la micro-tâche
Types de tâche
Observer une carte des pays de la francophonie et compléter un
tableau en recopiant leur nom.
Observer
une
BD
et sélectionner les bons stéréotypes dans une
Activités 2.1 et 2.2
liste.
Activité 2.3
Questionnaire du tuteur à distance n°1
Observer
3
annonces d’événements culturels et remplir un
Activité 1.1
tableau.
Activité 1.2
Questionnaire du tuteur à distance n°8
Observer un tableau de présentation des fêtes françaises et
Activité 1.2
sélectionner les indicateurs de temps/
Observer un tableau de présentation des fêtes françaises et
Activité 1.4
sélectionner les indicateurs de lieu.
Observer
un
tableau de présentation des fêtes françaises et
Activité 1.6
sélectionner les articulateurs de discours.
Activité 1.3c
Questionnaire du tuteur à distance n°10
Activité 2.2
Observer 3 cartes postales et remplir un tableau.
Activité 2.3b
Questionnaire du tuteur à distance n°14
Activité 1.2
Observer 2 panneaux routiers et cocher leur signification.
Activité 1.3b
Questionnaire du tuteur à distance n°17
Activité 1.6b
Questionnaire du tuteur à distance n°20
Comparer
la
signification de panneaux de services à des symActivité 1.7
boles et les nommer par un code.
Comparer la signification de panneaux d’indication à des symActivité 1.8
boles et les nommer par un code.
Activité 1.9b
Questionnaire du tuteur à distance n°21
Observer
3
annonces de locations touristiques et remplir un
Activité 2.2
tableau.
Activité 2.5b
Questionnaire du tuteur à distance n°13
Observer un document sur les caractéristiques de la France et
Activité 2.1
répondre à des questions.
Activité 2.4
Questionnaire du tuteur à distance n°4
Activité 2.5
Questionnaire du tuteur à distance n°5
Activité 2.6
Questionnaire du tuteur à distance n°6
Activité 1
Fig. 5. Micro-tâches de l’action de formation hybride et questionnaires du tuteur à distance
Antérieurement à l’action de formation hybride, la passation d’un test de positionnement
(45 minutes) et celle d’un questionnaire d’entrée en formation (environ 1h45) ont eu lieu. L’aide
des deux tutrices fut fortement nécessaire à la passation du questionnaire. Il semblerait qu’à
158
certains moments la forme du questionnaire d’entrée en formation ait posé des difficultés aux
étudiants. La tâche fut donc laborieuse.
Postérieurement au déroulement de l’action de formation hybride, les étudiants ont effectué un test sommatif final comportant également une compréhension écrite et une production
écrite d’une durée totale de 50 minutes et ont répondu à un questionnaire d’évaluation de la
formation reprenant notamment des items essentiels du premier questionnaire afin de comparer certaines données relatives à l’apprentissage.
4. Résultats d’expérience en termes de perception par le tuteur distant des stratégies cognitives pour la catégorie d’habiletés langagières « comparer »
Nous opérationnalisons ici une seconde hypothèse de recherche dont l’objet est la mise à
disposition du tuteur didactico-évaluatif de la typologie théorique des habiletés cognitives
pour qu’il puisse visualiser les stratégies cognitives de l’apprenant sinophone de FLE en termes
d’habiletés cognitives. Pour ce faire, nous avons sélectionné trois tâches de compréhension
écrite d’un niveau A2, portant sur la catégorie d’habiletés langagières « comparer » à travers
la passation de trois questionnaires du tuteur distant (Q1, Q20 et Q6). Nous les avons expérimentées avec un groupe d’étudiants principalement sinophones au CIEF de l’Université de
Lyon Lumière 2 pendant deux mois. Nous avons mis en relation deux variables décrites en trois
indicateurs chacune. La variable dépendante « Visualisation, par un tuteur distant des stratégies cognitives de l’apprenant en termes d’habiletés cognitives » se décompose en indicateurs
suivants : collecte des stratégies cognitives pour chaque questionnaire du tuteur distant (indicateur 1) ; transformation des stratégies cognitives en habiletés cognitives (indicateur 2) ; corrélation entre les stratégies cognitives (transformées en habiletés cognitives) mises en œuvre
par l’apprenant et la qualité de ses réponses pour un item donné de compréhension écrite
(indicateur 3). La variable indépendante « Instrumentation du tuteur distant sur les stratégies
cognitives utilisées par l’apprenant » comprend les indicateurs suivants : choix des stratégies
cognitives par l’apprenant dans la liste d’exemples du questionnaire du tuteur distant (indicateur 4) ; rédaction totale ou partielle de ses stratégies cognitives par l’apprenant (indicateur 5),
classement logique sur l’échelle du temps des stratégies cognitives de l’apprenant (indicateur
6). En général, les étudiants ont repris certains des exemples de stratégies cognitives des trois
questionnaires pour formuler leur réponse. Seuls trois étudiants pour Q1 et un étudiant pour
Q6 ont rédigé totalement ou partiellement leur réponse. Si nous mettons en relation les indicateurs 4 et 5 avec les indicateurs 1 et 2, nous nous apercevons que la formulation de certaines
stratégies cognitives des étudiants ayant partiellement ou totalement rédigé leur réponse est
ambiguë et donc que leurs stratégies cognitives sont difficilement perceptibles par le tuteur
distant en termes d’habiletés cognitives. Nous constatons, à l’inverse, que la perception des
stratégies cognitives des réponses des étudiants ayant utilisé les exemples des questionnaires
du tuteur distant est aisée. Il suffit, en effet, de comparer leurs réponses avec la typologie des
stratégies cognitives décrites en termes d’habiletés cognitives pour obtenir un appariement
avec l’habileté cognitive à détecter qui se poursuit par une définition. Si on rajoute l’indicateur
6 à la mise en relation des indicateurs précédents, on remarque que seul un étudiant n’ayant
159
pas numéroté ses stratégies cognitives au sein de sa réponse émet une réponse ambiguë par sa
formulation. Si on met en relation tous les indicateurs des deux variables, on s’aperçoit que deux
des trois étudiants qui proposent des stratégies cognitives ambiguës au Q1 ont une moyenne
légèrement plus élevée (7/10) que la moyenne du groupe expérimental (6.8/10) et légèrement
plus basse que la moyenne du groupe de contrôle (7.1/10). Un de ces trois étudiants a une
moyenne beaucoup plus basse (6/10). Pour la deuxième tâche de compréhension écrite, tous
les étudiants ont atteint la plus haute performance. Pour la micro-tâche, seul un étudiant du
groupe expérimental n’a pas sélectionné la bonne information en termes de nombre. Or, cet
étudiant a repris les exemples du Q6 en termes de stratégies cognitives.
On peut donc affirmer, que pour les tâches ou la micro-tâche relevant de la catégorie d’habiletés langagières « comparer », le tuteur distant perçoit assez aisément les stratégies cognitives
de l’apprenant sinophone de FLE d’un niveau A2 en termes d’habiletés cognitives si celui-ci
reprend les exemples des questionnaires du tuteur distant. Dans le cas contraire, le tuteur disant
aurait besoin d’une prise d’information complémentaire à l’aide d’un instrument synchrone
comme la vidéo par exemple. Quant à l’influence de la réflexivité de l’apprenant sur sa performance, il est encore trop tôt dans le cadre actuel de notre recherche pour pouvoir prétendre à
une réponse significative.
Bibliographie
B. BLOOM, Taxonomie des objectifs pédagogiques, domaine cognitif, t. 1, Montréal, 1969.
Conseil de l’Europe, Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, Paris, Didier, 2001.
A GARLETTI, Digital typology modelling of cognitive abilities, dans 12th Neural Computation and
Psychology Workshop, Londres, 2010.
F. GUITE, site mis à jour le 16 mars 2007, http://www.francoisguite.com/2007/03/la-taxonomiede-bloom-et-la-creativite-schema/
D. LUSSIER, Evaluer les apprentissages dans une approche communicative, Paris, Hachette 1992.
R. J. MARZANO, J. S. KENDALL, The New Taxonomy of Educational Objectives, Thousand Oaks,
2007.
E. VILLIOT-LECLERQ, P. DESSUS, « Les contraintes de l’activité de tutorat à distance. Supervision
et contrôle de situations dynamiques », 2009, http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/41/14/40/
PDF/eiah09.pdf
Annexe 1.
Activité 2.2. du module 1 de l’unité d’enseignement/apprentissage n°1 faisant suite à l’observation d’une bande dessinée de FRAPAR sur les stéréotypes des Français et suivi du questionnaire du tuteur distant n°1 (Q1).
1/ Relisez la liste des stéréotypes sur les Français :
La Tour Eiffel.
Le Français est arrogant.
Le Français est charmeur.
Le Français est sale.
160
Le Mont Saint Michel.
Le Français joue à la pétanque.
Le Français est râleur.
Le Français porte la chemise rayée et le béret basque.
Les ponts de la Seine à Paris.
Le litre de vin rouge.
La baguette de pain.
Napoléon.
La vie à la campagne en France.
Le Français est fin gourmet.
Le Gaulois.
2/ Quels sont les stéréotypes que vous voyez sur les dessins ? Relevez ces stéréotypes.
Ecrivez-les.
Pour répondre, cliquez sur le bouton «modifier mon devoir» et écrivez votre réponse. Enregistrez
votre devoir !
Questionnaire du tuteur à distance n°1
1/ Rappel :
Dans l’activité 2.1, vous avez observé des dessins.
Dans l’activité 2.2, vous avez choisi des stéréotypes dans la liste.
2/ Maintenant, réfléchissez à vos façons d’apprendre, à vos façons de faire …
Quelles façons d’apprendre, quelles façons de faire, utilisez-vous pour effectuer
l’activité 2.2 ?
Pour vous aider, voici des exemples de façons d’apprendre, de façons de faire :
- Je m’aide de la consigne en général.
- Je m’aide surtout de certains mots de la consigne.
- Je donne du sens aux dessins.
- Je fais une comparaison (ressemblances et différences) entre les dessins et la liste de
stéréotypes.
- J’associe chaque dessin à un stéréotype de la liste.
- Je fais un choix. Je prends une décision.
- Je recopie le stéréotype que j’ai choisi.
3/ Écrivez dans l’ordre vos façons d’apprendre, vos façons de faire. Numérotez-les.
1. ….
2. ….
3. ….
………
161
Pour répondre, cliquez sur le bouton «modifier mon devoir» et écrivez votre réponse.
Enregistrez votre devoir !
Annexe 2.
Activité 1.2. du module 1 de l’unité d’enseignement/apprentissage n°4 faisant suite à une
activité d’observation de panneaux routiers et notamment suivi du questionnaire du tuteur distant n°20 (Q20).
1/ Observez les panneaux routiers. Pour cela, cliquez ICI.
2/ Répondez aux demandes suivantes.
Observez le panneau d’avertissement de bifurcation autoroutière Da52.
Que vous indique-t-il ? Cochez les bonnes réponses.
Allez tout droit par l’autoroute A10 en direction de
Nantes. Allez tout droit par l’autoroute A10 en direction de
Bordeaux.
Tournez à droite par l’autoroute A11 en direction de
Nantes. Tournez à droite par l’autoroute A11 en direction de
Bordeaux. Télécharger ICI les tableaux Word.
3/ Déposez votre document ci-dessous.
Questionnaire du tuteur à distance n°20
1/ Rappel
Dans les activités 1.1 et 1.2, vous avez observé les panneaux routiers.
Dans l’activité 1.2, vous avez trouvé le panneau d’avertissement de bifurcation autoroutière
D52a. Puis, vous avez indiqué sa signification.
2/ Maintenant, réfléchissez à vos façons d’apprendre, à vos façons de faire …
Quelles façons d’apprendre, quelles façons de faire, utilisez-vous pour indiquer la signification du panneau d’avertissement de bifurcation autoroutière D52a ?
Pour vous aider, voici des exemples de façons d’apprendre, de façons de faire :
- Je me rends compte qu’un symbole représente un panneau routier.
- J’imagine un symbole pour chaque définition du tableau.
- Je m’aide de la consigne en général.
- Je m’aide surtout de certains mots de la consigne.
162
- Je découpe le symbole en différentes parties.
- J’associe certains mots de la consigne aux différentes parties du symbole à étudier.
- Je découpe le tableau de définitions en différentes parties à étudier.
- J’associe chaque partie du symbole à la bonne définition.
- Je trouve la bonne définition pour chaque partie du symbole.
3/ Écrivez dans l’ordre vos façons d’apprendre, vos façons de faire. Numérotez-les.
1. ….
2. ….
3. ….
………
Pour répondre, cliquez sur le bouton «modifier mon devoir» et écrivez votre réponse.
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Annexe 3.
Activité 2.1. du module 2 de l’unité d’enseignement/apprentissage n°1 faisant suite à
l’observation d’un texte sur des généralités s’agissant de la France et suivi du questionnaire du
tuteur distant n°6 (Q6).
[…]
2/ Répondez aux questions suivantes :
[…]
e- sur la population ?
e1- Quel est le nombre d’habitants en France en 2008 ?
e2- Quel est le nombre d’habitants de l’agglomération de Paris ?
[…]
Questionnaire du tuteur à distance n°6
1/ Rappel
Dans l’activité 2.1/1, vous avez observé un document général sur la France.
Dans l’activité 2.1/2, vous avez répondu à la question e2 : Quel est le nombre d’habitants de
l’agglomération de Paris ?
2/ Maintenant, réfléchissez à vos façons d’apprendre, à vos façons de faire …
Quelles façons d’apprendre, quelles façons de faire, utilisez-vous pour répondre à la
question e2 ?
163
Pour vous aider, voici des exemples de façons d’apprendre, de façons de faire :
- Je m’aide de la consigne en général.
- Je m’aide surtout de certains mots de la consigne.
- Je m’aide des mots de la consigne pour trouver la partie du document à étudier.
- Je mets, dans un côté de ma mémoire, les parties du document sur la « Superficie », sur le « Relief »
de la France métropolitaine, sur le « Climat », sur l’« Environnement ».
- Je mets, dans un côté de ma mémoire, le nombre d’habitants en France en 2008.
- Je fais une comparaison (ressemblances et différences) entre les nombres. Je m’aide des précisions
(exemples : habitants, hab/km2,…) sur ces nombres.
- J’associe un nombre à la notion de « nombre d’habitants de l’agglomération de Paris ».
- Je fais un choix. Je prends une décision.
- Je relève le nombre que j’ai choisi.
- Je recopie le nombre que j’ai choisi.
- J’écris ma réponse. Je reprends le nombre que j’ai choisi dans ma réponse.
3/ Écrivez dans l’ordre vos façons d’apprendre, vos façons de faire. Numérotez-les.
1. ….
2. ….
3. ….
………
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164
Web social et communauté
d’apprentissage en contexte homoglotte.
Comment le web 2.0 peut-il modifier les dispositifs et processus d’enseignement / apprentissage
dans un centre universitaire en France ?
Sophie Dufour et Jean-François Grassin
Centre International d’Etudes Françaises, Université Lumière Lyon 2
Cet article entend donc rendre compte de la mise en place d’un environnement numérique
permettant à une communauté d’apprentissage de fonctionner et des pratiques qui en
découlent. Il présente une analyse exploratoire «anthropocentrée», c’est-à-dire basée sur
l’étude des pratiques ordinaires d’usagers dans un contexte réel, à validité écologique. Notre
approche est essentiellement ergonomique. Elle s’intéresse au design de l’environnement
d’apprentissage.
1. Le contexte
Le Centre International d’Etudes Françaises (CIEF) de l’Université Lumière Lyon 2 souhaite
développer une offre de modules de formation en autonomie guidée. Dans cette optique, il se
fixe une première étape : la proposition de parcours en ligne tutorés. Dans la première phase
d’implémentation, les étudiants concernés sont de niveau B1. C’est dans ce contexte qu’il nous
a fallu faire le choix d’une plateforme de diffusion du contenu de ces cours.
Si l’on regarde les sites accompagnant les formations en langue, on peut remarquer une diversification des supports de formation. Les sites internet dynamiques et les blogues - proposés
plutôt par des enseignants - côtoient les LMS (ou plateformes de formation), la plupart mises en
place par les institutions. On peut y ajouter depuis quelques années les sites de réseaux sociaux
qui mettent en avant les communications entre participants.
Nous nous sommes tournés assez rapidement vers une plateforme qui prenne la forme
d’un réseau social. D’abord, parce que nous avions commencé une expérimentation un an
auparavant. Ensuite, parce que nous avions la volonté de mettre l’accent sur la communication et les interactions. Enfin, surtout parce que nous cherchions quelque chose d’ouvert,
un environnement numérique qui bride le moins possible la créativité, qui n’impose pas de
scénario a priori. En effet, nous distinguons le «dispositif», comme espace de potentialisation et
le «scénario» comme espace de planification (Caron, 2007). Le dispositif «fait simplement exister
un espace particulier préalable dans lequel ce «quelque chose» peut se produire» (Peeters &
Charlier, 1999, cité par Caron, 2007).
Ensuite,
en
mettant
à
disposition
un
environnement
technico-pédago-
gique plus conforme aux usages et à la culture numérique de nos étudiants, nous
165
entendions tenir compte de cette culture pour mieux les encadrer dans leurs apprentissages et l’appropriation de l’environnement institutionnel proposé. Celui-ci est envisagé
comme un «objet-frontière1» (Peraya, 2010) à l’échelle micro-organisationnelle.
Dans notre contexte, le dispositif de formation repose essentiellement sur du présentiel.
Les étudiants utilisant le site de réseau social suivent tous une formation semestrielle en
français comme langue étrangère dans notre institution. Cette formation comporte de 17,5
heures à 23,5 heures de cours en groupe. Notre réseau social est, actuellement, exclusivement
utilisé dans le cadre d’un présentiel enrichi. Il n’était donc pas envisageable ni souhaitable de
proposer un environnement numérique qui impose une scénarisation, mais notre volonté était
bien plutôt d’outiller les enseignants et les étudiants avec une instrumentation suffisamment
malléable et adaptable qui ne pré-scénarise pas les processus pédagogiques (Leclerc & Varga,
2010). En accentuant la présence sociale et en favorisant les interactions entre les acteurs de la
formation, cet environnement est à même de potentialiser l’idée de communauté et d’apprentissage collectif.
Ainsi, nous cherchions à créer un terrain favorable pour :
- l’individualisation de l’enseignement/apprentissage (E/A)
- le rôle et la présence actifs de l’apprenant
- les ponts entre l’environnement présentiel et virtuel homoglotte
- la production des contenus en langue-cible
- l’expression d’une dimension sociale à la base du désir de communication
2. Le site de réseau social
Présenté et installé une première fois au deuxième semestre de l’année universitaire
2008-2009 (février 2009), cet environnement est proposé et hébergé par l’entreprise américaine Ning. D’abord gratuit, il est devenu payant depuis l’été 2010. Cela nous a obligé à interrompre son utilisation pendant le premier semestre 2010-2011. Nous l’avons remis en service ce
semestre (février 2011). Il a donc une existence totale d’à peine 4 semestres.
Sur la page d’accueil, il se présente ainsi : «Site social à objectifs linguistiques, communicatifs
et interculturels des étudiants étrangers du CIEF de l’Université Lumière Lyon 2.» Celui-ci entend
réunir exclusivement des membres de l’institution, enseignants et étudiants étrangers, mais
aussi quelques étudiants des filières FLE de licence ou de master venant observer des cours de
langue ou effectuer un stage. Cette page affiche notamment les photos des derniers membres
1. «Les objets frontières, qu’ils soient matériels ou conceptuels, sont des espaces permettant
la communication entre mondes très différents, afin de servir un objectif commun.» Objets frontière. (2011,
mai 16). (http://edutechwiki.unige.ch/fmediawiki/index.php?title=Objets_fronti%C3%A8re&oldid=20302
consulté en juillet 2011)
166
connectés, les groupes de travail, les événements proposés par la communauté et les dernières
activités.
Fig. 1 Le Rézo Lumière du CIEF Lyon 2
Depuis 2009, le réseau a été présenté plusieurs fois à la communauté enseignante. Il est
présent sur le site officiel du CIEF, mais encore peu visible. Peu d’enseignants l’utilisent. Une
dizaine sont inscrits sur le réseau mais seulement 5 y travaillent ou y ont travaillé avec leurs
étudiants. Si le réseau compte plus de 400 inscrits depuis son ouverture, beaucoup, ayant quitté
le CIEF, ne participent plus. Il faut donc considérer une communauté d’environ 130 utilisateurs
(professeurs, étudiants stagiaires et apprenants confondus) sur plus de 450 étudiants suivant
des cours au CIEF.
Ce site, accessible à l’adresse http://rezolumiere.ning.com, donne à chacun de ses membres
accès à une page personnelle, d’où il peut poster des billets de blogue, des photos, des vidéos.
A l’inscription, le participant est invité à répondre à quelques questions pour renseigner son
«profil» : âge, ville et pays d’origine, goûts, raisons de son séjour à Lyon, etc. De même, chaque
membre a la possibilité de se créer un réseau d’amis, à l’image du fonctionnement de Facebook.
Des outils de communication synchrone (chat) et asynchrone (boite de courrier électronique)
sont présents. Des espaces collectifs sont aussi prévus : chacun peut publier des événements
et créer groupe(s) et forum(s). La participation au réseau implique de se créer un compte utilisateur ; celui-ci doit être autorisé par l’administrateur. Mais n’importe qui peut naviguer sur le
site et accéder aux productions et aux informations présentes. C’est le choix global proposé sur
le site. Toutefois un paramétrage existe pour ne rendre visible une publication qu’à ses amis ou
un groupe qu’aux membres inscrits.
167
Nous tenterons, dans cette réflexion, d’interroger la façon dont cet environnement numérique peut être utilisé au travers de questions classiques en ergonomie
cognitive :
– Son utilisation correspond-elle à des usages socialement acquis ? Est-elle efficace ?
– Dans quelle mesure cet environnement «social» repose-t-il sur une communauté d’apprentissage ?
– Est-il utile ? Son usage correspond-il à un gain pour l’apprenant ?
– Est-il acceptable par la communauté d’enseignants ? Qu’implique-t-il dans leurs pratiques
pédagogiques ?
3. Le réseau social et ses usages.
En utilisant un réseau social, nous cherchions à nous rapprocher des usages que font
d’internet nos étudiants. Depuis les années 90, nous sommes passés d’un web regardé comme
désocialisant – souvent une confusion des néo-utilisateurs (les enseignants ?) qui ont encore
en tête un certain paradigme isolationniste des technologies – à un web sur-socialisant, créant
du lien social. On précisera quand même que cet internet ne crée pas du lien ex-nihilo et que la
majorité de ses usages se fait en interaction avec des personnes que l’on connait déjà ou que
l’on fréquente dans «la vie réelle» : «Le web ne remplace pas la communication en face à face,
mais il l’articule et la complète, en s’ajoutant aux autres formes de communication, finissant
par augmenter le volume total des contacts entre ses utilisateurs» (Casilli, 2010b, p. 57). C’est
d’ailleurs cette complémentarité qui nous intéresse dans le cas d’un réseau social pour l’apprentissage du français en contexte homoglotte.
La toile répond à des envies de cohésion et de resserrement des rapports. Rappelons qu’une
sociabilité forte implique, d’une part un besoin de proximité, d’autre part une recherche de
l’acceptation et la reconnaissance par les autres et enfin une réalisation personnelle. Le web
nourrit ce besoin de lien et permet la mise en scène de soi, une mise en valeur par l’expressivité
de soi : publication de son statut, d’un avatar, d’un profil d’utilisateur, etc. Et cette valorisation
demande une reconnaissance par les autres (une sorte de caution relationnelle) : augmentation
de son nombre d’amis, commentaires, suivi, «j’aime», une série de fonctions sur lesquelles
reposent les réseaux sociaux.
Notre postulat est aussi que dans notre contexte de l’apprentissage en milieu homoglotte,
cette médiatisation est profitable. Passer par la mise en scène de soi permet de prendre
confiance pour, ensuite, passer à l’action, sur le net et dans la vie réelle.
Avec le réseau social, il s’agit de mettre à l’œuvre deux dynamiques, celle du bounding et
celle du bridging (Casilli, ibid.). Le bounding, c’est en quelque sorte la densification des relations
fortes. Dans le contexte homoglotte de l’apprentissage du français à l’université française, il va
donc s’agir de renforcer les liens créés dans la vie sociale de cette culture et particulièrement
ceux créés au travers de l’institution et du groupe-classe. La deuxième dynamique est celle du
168
bridging. Elle consiste à créer des ponts entre les groupes sociaux. Elle permet aussi de s’ouvrir
des réserves de possibles sociaux et d’activer des liens dormants. Ce sont ces liens et ces groupes
qui existent potentiellement dans l’institution : étudiants chinois, étudiants coréens, étudiants
américains..., étudiants A2, B1, B2…, étudiants intensifs, intégrés…, tous participants éventuels
d’une communauté plus vaste.
4. Le réseau social questionne l’idée de communauté
Notre utilisation de cet environnement numérique repose sur le principe d’un réseau social
pour l’apprentissage, ce qui a priori sous-entend l’effectivité d’une communauté d’apprentissage, potentiellement présente dans l’existence d’un groupe-classe. Ainsi devons-nous nous
demander à quelles conditions l’on peut parler de communauté et de communauté virtuelle.
Nous reprendrons ici des éléments d’un article de Dillenbourg, Poirier et Carles (2003) et avec
eux l’idée qu’il n’y a, au départ, pas de grandes différences entre la création d’une communauté
dans la vie réelle et dans la vie virtuelle.
Ces trois auteurs définissent une communauté comme le centre d’un continuum dont les
deux extrêmes sont le groupe d’amis et le groupe formel. Celle-ci repose, comme le groupe
d’amis, sur l’adhésion volontaire, les affinités personnelles et un investissement émotionnel fort
mais possède cependant une dimension fonctionnelle comparable au groupe formel.
Ce concept n’est pas uniforme, homogène. Ainsi, les communautés d’intérêt vont émerger
autour d’un problème commun à résoudre, les communautés de pratique naissent quant à
elles à l’intérieur d’une organisation mais pour répondre à un besoin que celle-ci ne prend pas
en compte. Enfin, les communautés d’apprentissage se regroupent pour acquérir des connaissances. A leur sujet, Dillenbourg et al. (ibid.) notent, à propos d’une étude sur des étudiants
migrants à l’Université de Californie (Berkeley) que «ce qui [les] distingue [...] de simples groupes
d’études tient au fait que les étudiants harmonisent l’aspect social de leur relation avec l’aspect
académique» ou en d’autres termes que «les étudiants trouv[ent] dans leur communauté un
support moral, interprétatif et intellectuel.»
S’il existe de nombreuses formes de communautés, on peut cependant relever des caractéristiques communes :
– l’interdépendance et l’implication. Chaque membre a un intérêt commun avec les autres
et la vie de la communauté repose sur l’implication de chacun. L’objectif peut évoluer selon la
vie de la communauté, sa connaissance en est diffuse ; de même, l’implication des participants
n’est pas homogène.
– une micro-culture. L’expérience collective contribue à construire un discours autour de la
réalité de chacun des membres. Cette micro-culture repose sur des valeurs, des pratiques, des
codes, des règles conversationnelles et de comportement ainsi que sur des rites. Elle contribue
à développer une identité commune.
– une organisation sociale. Plutôt informelle, elle est parfois installée par une hiérarchie de
droits.
– une sélection spontanée, une croissance non planifiée et un processus d’intégration
169
progressive des membres2.
– la longévité. Une communauté s’installe pour durer et passe par des cycles de vie qui la
font évoluer.
– un «territoire», espace d’interaction et de partage doté de deux fonctions : «définir de
multiples cercles de communication privés et publiques» et «permettre de créer des contextes
de communications».
Ces trois auteurs pensent que le terme de «communauté» est à prendre comme un label
qualité relatif au fonctionnement du groupe et à la richesse des interactions. L’existence d’un
groupe d’étudiants ne peut par contre de par sa simple existence prendre les caractéristiques
d’une communauté.
Develotte et Mangenot (2004) retiennent quant à eux la définition de Hellman, cité par
Castells (2001) qui met moins en exergue la collaboration que la dimension socio-affective :
«Les communautés sont des réseaux de liens entre personnes qui apportent de la convivialité,
de l’aide, de l’information, un sentiment d’appartenance et une identité sociale.»
On peut considérer, à la suite de nombreux auteurs, que la communauté virtuelle se définit
par un nombre important d’interactions en ligne. De plus, les outils de communication du web
ont évolué, permettant à la communication de s’enrichir d’aspects non-verbaux et contextuels
par la définition d’une personnalité propre au monde virtuel (par les profils d’utilisateur et les
avatars).
En termes d’apprentissage en ligne, se saisir de ce terme de «communauté» signifie prendre
en compte les théories socio-constructivistes qui voient l’apprentissage comme l’intégration
d’une culture par les interactions sociales. Il permet de se dégager fortement d’une empreinte
béhavioriste trop longtemps attachée à l’emploi des technologies. Il met en valeur la structure
sociale pour laisser secondaire la technologie, «le terme ne décrit pas un environnement
technique, mais une construction sociale utilisant cet environnement» (Dillenbourg et al, 2003.).
Nous pouvons affirmer, après une observation globale des pratiques, que notre site a un réel
potentiel en termes d’utilisabilité. Nos étudiants prennent en main l’outil avec facilité ; l’instrumentalisation3 est réelle même s’il nous faut encore en préciser le degré d’appropriation. Mais
ces aptitudes ne créent pas nécessairement un usage, du moins un usage vecteur de connaissance et de socialisation. Merzeau (2010) note que l’utilisation d’un objet ne devient usage «que
si elle est rattachée à des représentations, elles-mêmes articulées à une mémoire transmise
et transmissible», autrement dit à des «savoirs sociaux, à la charnière entre de l’individuel et
du collectif, qui sont produits et mobilisés au cours d’interactions et dans des processus de
communication»4. Ainsi, il ne suffit pas de poser sur la toile un outil de type «communautaire»
2. Kim (2000), cité par Dillenbourg et al. (2003), décrit la progression d’un individu vers le centre de la
communauté par cinq stades : visiteur, novice, régulier, leader et ancien. Cependant, Wegerif (1998), cité
par Dévelotte et Mangenot (2004) montre que le sentiment d’appartenance au groupe est un seuil que
ne franchissent pas tous les étudiants qui «parviennent - ou ne parviennent pas - à évoluer d’un statut de
participants périphériques légitimes à un statut de membre plus central de la communauté.»
3. L’instrumentalisation désigne le mouvement du sujet vers l’artefact, qui comprend la reconnaissance et la
création de fonctions de l’artefact. (http://edutechwiki.unige.ch/fr/Artefact, consulté en mars 2011).
4. Le Marec J. (2001) : « L’Usage et ses modèles : quelques réflexions méthodologiques», Spirale n° 28, 2001,
cité par Merzeau (2010).
170
pour que la communauté se crée, pour qu’elle devienne un instrument d’apprentissage (l’instrumentation5 suppose appropriation de l’outil par l’utilisateur). Dans les dispositifs en ligne, il y a
souvent sous-estimation du rôle de la médiation pédagogique et surestimation de l’autonomie
des apprenants (Mangenot, 2010). Il s’agit de l’écueil d’une approche centrée sur l’outil plutôt
que sur ses usages pédagogiques. C’est la raison pour laquelle notre démarche suppose alors
de réexaminer à présent les usages en contexte.
5. Ces communautés virtuelles d’apprentissage, qu’ont-elles à apporter dans un
contexte d’E/A homoglotte ?
Il y aurait, à priori, une contradiction à parler de «communauté d’apprentissage» dans un
contexte institutionnel, si l’apprentissage communautaire est défini strictement comme une
forme libre, informelle, et collaborative. Par contre, articulé à un dispositif encadré, le réseau
social est un instrument qui peut apporter la souplesse, l’individualisation et la collaboration
en renforçant le lien social et la structure affective dans le dispositif de formation. Cet apprentissage par la communauté peut être avantageusement complémentaire à l’apprentissage traditionnel et pertinent dans le cadre de l’apprentissage aux adultes, dans un contexte homoglotte.
Il permet de mieux contextualiser et personnaliser les interventions.
Affranchir les interactions sociales des contraintes d’espace et de temps, multiplie les opportunités pour les étudiants de s’approprier la culture de la communauté que forme l’institution
universitaire. Il n’y a pas là de différence pertinente entre communauté virtuelle et communauté
présentielle. Nous voyons sur le terrain un certain nombre d’étudiants avoir des difficultés à
intégrer la communauté d’apprentissage. Cette plateforme peut être une forme plus souple,
plus flexible d’intégration. Mais elle suppose que des représentations de cet objet-frontière
existent dans la culture numérique de nos étudiants6.
5.1. Une communication familière et informelle
Le web est vécu maintenant comme un environnement fondamentalement socialisant. Il
offre de manière égale à un étudiant natif ou non une sorte de milieu familier dans lequel il est
habitué à naviguer et dont il connait souvent très bien les codes. Ainsi, s’inscrire et compléter
son profil (mettre une photo, donner des informations personnelles, etc.) sur un réseau social ne
lui pose la plupart du temps aucun problème puisqu’il qui est souvent déjà présent sur d’autres
réseaux. En tant que «natifs numériques» (ou digital native), nos apprenants intègrent «depuis
toujours» les technologies communicantes dans leur environnement et celles-ci concourent
donc naturellement à leur servir de mode d’expression et de compréhension privilégiés.
L’intitulé de ce paragraphe laisse également entendre que la communication en ligne et
5. . L’instrumentation désigne le mouvement de l’artefact vers le sujet, qui comprend la modification des
schèmes d’action et de pensée du sujet. (http://edutechwiki.unige.ch/fr/Artefact, (consulté en mars 2011).
6. Nous avons mis en ligne une enquête à laquelle tout étudiant utilisant le réseau est invité à répondre.
Elle nous sert à mesurer les représentations liées à l’usage du web pour l’apprentissage de la langue mais
sa présence sur la page d’accueil du site a aussi un objectif implicite réflexif : elle invite l’étudiant à se
positionner à l’égard des technologies utilisées/ables et laisse entrevoir pourquoi l’enseignant cherche à
les utiliser.
171
notamment simultanée peut être un facteur de liberté de parole. D’une part, l’usage du chat
ouvre la possibilité de passer d’une discussion collective (main discussion) à des échanges plus
confidentiels dans des « salons privés » (private chat) – même durant les activités pédagogiques
guidées. En favorisant une expression libérée en quelque sorte du «joug» enseignant, il autorise
une parole affranchie à laquelle on peut attribuer un rôle éminemment social. Prolongeant
cette observation, l’accès au réseau étant subordonné pour ses membres à la seule possession
d’une connexion internet, chacun peut en faire l’usage qu’il souhaite y compris lorsqu’il est chez
lui, dans une sphère plus intime.
D’autre part, quels que soient le type de public et les compétences linguistiques de ses
locuteurs, les sessions d’échanges synchrones via internet engagent leurs participants à jouer
le jeu d’une communication régie par des codes où être réactif à l’autre est prépondérant, où la
vitesse de frappe et une bonne répartie sont des atouts majeurs (Draelants, 2004 :55 cite Verville
et Lafrance, 1999, p.192).
Taper rapidement est en quelque sorte une nécessité inhérente à cette forme d’échange communicationnel. C’est pourquoi écrire sans faute est mal perçu au sein des chats, car il y a perte de vitesse
de frappe, seule chose qui compte en définitive dans un média qui n’emploie l’écrit que comme
« véhicule de l’oralité ».
De fait, et même si l’on peut présumer qu’un apprenant de fle de niveau B1 n’a pas toujours
la dextérité et les ressources linguistiques qu’il souhaiterait pour chatter comme il peut le faire
notamment dans sa langue maternelle, quelques membres de notre réseau d’apprentissage
nous confient qu’il leur apparait plus simple pour s’exprimer de participer à une séance de
clavardage en cours, que de parler. On peut imaginer que l’on s’expose ainsi moins directement,
plus collectivement puisque le flux des échanges fait en quelque sorte écran à la perception
des individus. En même temps, ce mode d’expression affranchi en quelque sorte des éléments
pragmatiques d’une communication en face à face, a les moyens de libérer la participation chez
des apprenants qui pour la plupart d’entre eux, savent se conduire dans un tel environnement.
Il ne fait aucun doute que l’utilisation des caractères alphanumériques ( :-) souriant, :-p taquin…), d’acronymes (BRB : Be Right Back (je reviens), LOL : Laughing Out Loud (mort de rire,
MDR en français), ou de smileys, effectivement observée sur le réseau, en facilitant l’expression
des émotions ou en permettant une économie de caractères fait appel à une sorte de culture
commune, de territoire symbolique reconnu par tous.
En plus de donner des repères à des locuteurs exolingues qui en manquent souvent cruellement, l’expression de soi (ou de son avatar !) sur un réseau montre que les espaces en ligne
offrent la possibilité aux usagers d’exercer leurs habiletés sociales, d’augmenter leur confiance
en eux et par conséquent de maximiser leurs chances de construire des relations significatives
(Casilli, 2010a, p. 235). Un apprenant non natif peut par le biais d’un médium familier lever
progressivement les verrous qui le retiennent d’interagir avec des camarades ou des enseignants de son entourage proche.
5.2. Agir en ligne, autrement
La relation dialectique qu’induit cette interrogation selon laquelle le « présentiel » rendrait
accessoire le «à distance » est selon nous très symptomatique des représentations que l’on se
172
fait encore de l’E/A d’une langue étrangère.
Si la vague actionnelle a permis de justifier la mise en place de pratiques décloisonnées
qui invitent les apprenant à investir leur environnement homoglotte par le biais notamment
d’enquêtes sur le terrain (cf. méthode Ici, 2007), permettant ainsi de dépasser le clivage apprentissage en milieu guidé et non guidé, une nouvelle frontière semble à dépasser. En admettant
que le canal privilégié de la communication dans le cadre de l’E/A d’une langue étrangère
semble soit celui de l’oralité (en classe, on a la possibilité d’interagir par la parole avec ses pairs
ou son enseignant), la globalité des situations de communication dans une langue donnée est
multicanale et multimodale.
Ainsi, si l’espace de la classe de langue est une sorte d’antichambre permettant à un alloglotte
de perfectionner son utilisation pragmatique et sociale de la langue-cible dans le but d’être
plus à l’aise pour communiquer hors de l’institution, il est possible de considérer que ce même
alloglotte peut avoir envie précisément de rentrer en contact avec son environnement par le
biais des TIC. Nous pensons qu’il en va de son autonomie d’être en mesure de s’approprier ce
savoir-faire afin de lui permettre si telle est sa volonté, d'apprendre à apprendre en interaction
avec d’autres dans des lieux de vie et, de plus en plus, sur Internet et dans les réseaux sociaux
virtuels» (Deschryver, 2010, p. 184)
Le familiariser avec la vie d’une plateforme sociale en langue-cible c’est aussi le doter d’un
espace d’apprentissage qui n’est pas borné à l’espace physique de la salle de cours, qui accompagne ses membres dans leur quotidien. L’apprenant peut alors l’investir soit librement (en
postant des photos, des commentaires sur les productions d’autres membres), soit en collaborant à des activités prescrites par ses enseignants (en réalisant par exemple un scénario7).
De plus, ce qui fait selon nous la spécificité d’un projet proposant la mise en œuvre d’un
réseau social virtuel au sein de classes d’une institution située en milieu homoglotte, réside
précisément dans cette représentation « spatiale » que l’on peut schématiser de la sorte :
Fig. 2
7. Nous n’avons pas la place ici de détailler les scénarios expérimentés/en projet sur le site mais nous
pouvons en lister quelques-uns : comment trouver une colocation, organiser une crémaillère, faire son CV,
etc.
173
Les trois « pôles » existants ont des influences réciproques que l’on peut envisager. Ainsi (a),
le milieu homoglotte, il n’est plus utile de le prouver, permet d’une part de motiver les apprentissages de la classe mais aussi offre un terrain d’expérimentations guidées ou non de la languecible pour l’apprenant.
Si l’on se penche (b) sur les effets au sein même des classes d’une mise en réseau virtuelle de
leurs membres, on pourra sans doute souligner encore l’aspect fortement social et communicationnel du dispositif. Un tel projet a aussi pour origine le souci de permettre aux individualités
de mieux se révéler tout en prenant part à des projets qui encouragent la collaboration.
Enfin (c), nous avons déjà évoqué quel peut être le dialogue entre ces deux éléments, milieu
homoglotte et réseau social virtuel, mesurant ainsi la complémentarité des modes d’échange
qu’ils induisent respectivement. Si le premier semble englober la totalité des situations
de contact à disposition d’un apprenant en immersion, le second se situe dans un cadre de
communication plus restreint puisqu’il se nourrit avant tout des échanges virtuels de membres
d’une même institution, corps enseignant et apprenant confondus.
En conséquence, la configuration ainsi établie permet une sorte d’élargissement du milieu
homoglotte vers ce que l’on pourrait nommer un « espace » homoglotte. Cette nouvelle
dimension, naturellement dévolue à la communication et au lien social, entend maximiser
l’expression, la présence et l’interaction de la communauté et de ses membres.
5.3. Des liens essentiellement exogènes sur le Rézo Lumière
Observant la vie sur notre réseau d’apprentissage, deux types de relations sociales semblent
coexister. Certaines prendraient ainsi leur origine dans les groupes-classes en présentiel; dans
ce cas, on échange virtuellement pour prolonger, renforcer et faire perdurer des liens (cf.
bounding, supra) qui se tissent entre les individus au fil des cours et spécialement des travaux
en petits groupes. La communication synchrone (par le chat notamment) et asynchrone (par
les commentaires laissés, la participation aux forums) permettent de renforcer des relations
d’ores et déjà prégnantes dans le groupe. Cela peut se vérifier assez facilement en observant
la manière dont les apprenants communiquent discrètement par clavardage lors des cours
même et à plus forte raison lorsqu’en dehors de ceux-ci les connectés viennent ainsi retrouver
librement leur « veille » d’amis. On parlera donc ici de sociabilité exogène8 (Latzko-Toth, 1998).
De manière générale, l’environnement d’un réseau social offre également un substrat
susceptible de générer de manière endogène des liens virtuels (Latzko-Toth, 1998.). S’il nous est
difficile dans notre dispositif de témoigner objectivement de l’existence de ce type de relation
qui n’aurait pas pour origine le fait de se connaitre déjà en présentiel, nous pensons que les
favoriser peut être un des objectifs des animateurs du réseau. Une activité a été organisée dans
ce sens au moyen d’un questionnaire invitant les élèves d’une classe à chercher parmi la totalité
8. Nous avons déjà souligné que le socio-anthropologue des usages numériques A. A. Casilli (cf. supra)
avait montré que les pratiques communautaires en ligne s’ajoutaient à celles qui préexistent et ne se
substituaient pas à elles.
174
des membres du réseau et grâce à un moteur de recherche interne : « 3 personnes qui viennent
de la même ville que vous », « 2 personnes du même âge que vous », etc. L’idée était bien
entendu de les familiariser avec les fonctionnalités du réseau, mais aussi de leur faire découvrir
et apprécier les potentialités humaines de l’environnement technologique choisi.
Pédagogisant cette mission première du réseau à fabriquer du lien, nous évoquerons encore
ici une expérience destinée à valoriser les ressources individuelles des apprenants par le biais
d’échanges de savoirs, de biens et de services. Ce type d’activité9 (Dufour et Parpette, 2010)
déjà explicitée dans un travail visant à sensibiliser sur les manières dont les parcours individuels peuvent être pris en compte dans une méthodologie de groupe, peut permettre de créer
des ponts entre les micro-communautés d’apprentissage. En facilitant les connexions entre les
individus de manière virtuelle pour préparer de futures rencontres (les membres étant invités
avant toute chose à prendre contact par email10 avec les personnes sur le réseau avec lesquelles
ils ont envie de réaliser un échange), on touche-là à la véritable fonction d’un média social où
rentrer en contact avec quelqu’un peut déboucher sur de l’agir ensemble.
Attentifs à l’écosystème de notre environnement numérique, nous mentionnerons
également ces liens « passifs » qui peuvent s’y tisser ; on peut en effet librement découvrir des
personnes/personnalités sur le réseau, les suivre au gré de leurs productions et s’intéresser à
leur vie sur la plateforme sans pour autant interagir avec elles. Un enseignant expliquait par
exemple qu’il avait l’impression de « connaitre » bien que ne l’ayant jamais côtoyé un étudiant
japonais photographe de métier, dont il appréciait les clichés mis en ligne.
Pour aller plus loin, on pourra même avancer à dessein que le public des communautés et
des réseaux sociaux est composé dans sa grande majorité de « lurkers 11» (vient de l’anglais, to
lurk : se tapir, désigne surtout les personnes qui observent les débats des groupes de discussion
sur internet et s’abstiennent d’intervenir), d’« observateurs» qui peuvent représenter jusqu’à
90%12de leurs membres. La part active revenant à 9% d’entre eux, et très active à seulement
1%. Si l’on transpose ces observations au milieu virtuel d’apprentissage qui nous intéresse ici,
nous pouvons ainsi envisager qu’une partie de ce qui se passe sur le réseau n’est pas visible, et
correspond donc à une activité « simple » de réception des productions d’autrui, ce qui compris
dans une optique d’apprentissage d’une langue étrangère nous parait un maillon tout à fait
essentiel. On ajoutera que lesdites productions émanant de membres pairs ou enseignants
souvent « connus » suscitent un intérêt avant tout social qui est au cœur de la motivation même
qu’à un individu à se connecter sur le réseau.
9. Grâce à laquelle les membres du réseau vont pouvoir « vraiment » échanger entre eux une heure de cours
d’anglais contre une heure de cours de cuisine, une sortie au cinéma contre une initiation à la cérémonie
du thé, etc.
10. Lien « envoyer un message » existant sur la page personnelle de chaque membre du rezolumière, à
savoir qu’il faut préalablement inviter la personne à être « son ami » pour pouvoir actionner cette fonction.
11. http://www.internetactu.net/2006/02/22/les-observateurs-dans-les-groupes/, consulté en juillet 2011.
12 . http://www.useit.com/alertbox/participation_inequality.html, consulté en juillet 2011.
175
5.4. Renforcer la présence sociale et la présence transactionnelle.
La «distance transactionnelle» désigne «l’ensemble des facteurs pouvant contribuer à l’écart
percepteur/communicationnel entre l’enseignant et l’apprenant» (Bouchard, 1998). Cet écart
se mesure à la présence ou l’absence de dialogue éducatif et à la présence ou absence d’une
structure contraignante. Cette distance transactionnelle n’est pas propre aux environnements
numériques d’apprentissage et peut être mesurée dans n’importe quelle situation d’apprentissage. Mais, traditionnellement, les situations médiées par ordinateur ont souvent été vues
comme augmentant le taux de la distance. L’intérêt de l’utilisation d’un réseau social est de
réduire cette distance.
Shin (2002) définit ainsi pour sa part la «présence transactionnelle» comme le degré avec
lequel l’étudiant à distance perçoit la disponibilité et les rapports avec les professeurs et les
pairs, alors que les interactions sont vues comme une activité qui résulte d’un haut degré de
présence transactionnelle. En d’autres termes, les interactions entre les membres de la communauté, sources d’apprentissage, sont grandement facilitées par cette présence. C’est à la fois
celle-ci et les interactions sociales qui en découlent qui vont, peu à peu, construire la communauté d’apprentissage 13 par la constitution du lien social (community building) et le sentiment
d’appartenance au groupe (sens of community). Cette construction «communautaire» a besoin
d’une structure affective. La question de l’engagement, de l’interdépendance et de l’autonomisation se construit par le lien social.
Un site de type réseau social permet de renforcer cette présence par des outils qui rendent
manifeste la possibilité d’entrer en contact et de communiquer. La caractéristique d’un environnement reposant sur un réseau social est qu’il mise sur l’«awareness», la visibilité et la mise en
évidence de la présence sociale.
Ainsi, pour prendre un exemple, nous avons remarqué que la fonction de mise en ligne de
photos est le premier outil utilisé par les nouveaux inscrits. Chaque photo téléchargée par l’utilisateur peut recevoir un titre et une description. Chacune de ces photos présentes sur le site peut
être commentée par les membres et un bouton «I like» permet de la signaler aux autres. Cela a
pour nous deux intérêts : le premier est de rendre perceptible la présence d’autres membres du
réseau (à la fois de se rendre visible aux autres et de voir l’autre) et de contribuer à leur identité
numérique. La deuxième fonction est de rendre possible un «usage conversationnel de la
photo» (Cardon, 2009) tel que le fait Flickr ou Facebook. En effet, dans le web 2.0, la production
de l’information obéit à un système. Chaque contenu est lié à une personne identifiable. En
produisant du contenu, l’auteur entre dans un circuit de légitimation, de reconnaissance
personnelle mais aussi dans un processus de co-construction de la connaissance. La conversation autour du contenu est validation par les pairs mais construit aussi un savoir sur l’objet
de la conversation (un savoir langagier, pragmatique ou culturel). Cette conversation laisse ses
traces dans des territoires multiples. Elle est créée dans des interactions entre pairs, ou d’enseignants à étudiants dans des situations informelles permises par la simple mise en présence de
contenu. L’ergonomie du site sollicite implicitement et constamment cette conversation.
13. «Le projet d’une communauté peut se développer et se préciser au fil des interactions des participants»,
Henri, F. et al. (2002) cité par Develotte & Mangenot (2004).
176
Dans une étude sur la satisfaction faite auprès d’étudiants à distance, Naylor et Wilson (2009)
notent que les étudiants peuvent recommander à d’autres étudiants le cours à distance qu’ils
viennent de suivre même s’ils ne sont pas très satisfaits du taux de contact avec leur professeur
alors qu’ils le font beaucoup moins s’ils ne sont pas satisfaits du taux de contact avec leurs pairs.
Cela peut signifier que l’étudiant considère d’abord l’intérêt du réseau virtuel en ce qui concerne
l’interaction sociale constitutive de communauté d’apprentissage. Cela rejoint une des conclusions d’une étude sur des communautés d’apprentissage canadiennes : les membres de la
communauté apprennent majoritairement de manière informelle et de manière inattendue14.
Il faut en outre noter que le lien social, à l’intérieur de la communauté, est «une variable en
constante évolution» (Develotte & Mangenot 2004). En ce sens, l’action des enseignants s’avère
tout à fait essentielle pour dynamiser la plateforme. Nous ne distinguerons pas à proprement
parler travail pédagogique, et travail de réseautage (networking) destiné par une action
explicite et volontaire à relier des personnes entre elles puisque nous parions ici sur leur action
mutuelle. L’enseignant favorise les ponts ; il a les stratégies. Le concepteur et les animateurs
d’une communauté doivent veiller à lui garder un caractère informel, une liberté de s’auto-organiser ; il doit favoriser les échanges libres et les modes d’interactions spontanés (Dillenbourg
et al, 2003). L’enseignant doit ménager l’opposition entre la flexibilité de l’usage individuel et la
pédagogie de groupe (Mangenot, 2010).
6. Quelle activité de l’enseignant sur un réseau social?
Nombre d’enseignants se sentent souvent maladroits dans l’utilisation qu’ils font ou entrevoient des TICE d’une part parce qu’ils ne sont précisément pas tous nés dans cet environnement
numérique qui a bercé la plupart de leurs étudiants, mais aussi parce que la maitrise de ces
nouveaux outils est parfois ardue et chronophage. Ainsi, même si depuis l’approche communicative la notion de « centrage sur l’apprenant » a précisément banalisé le décentrage de l’enseignant valorisant une prise en compte plus marquée des individualités et corollairement des
profils cognitifs des apprenants, on observe paradoxalement, lorsqu’intervient dans la situation
pédagogique une médiation technologique, que l’enseignant en revient souvent à un besoin
de contrôle supérieur15.
Toutefois, nous avons relevé auprès de nos collègues qui décident de faire entrer le réseau
social dans le champ de leurs possibles pédagogiques différentes logiques :
– une logique de diffusion qui correspond à un besoin de mettre en ligne des ressources
à destination des apprenants ou/et une volonté d’avoir accès facilement à leurs productions
; cette attitude ne prend pas en compte la dimension sociale du web. Le site n’est utilisé que
comme un média mais l’enseignant n’envisage pas de modifier a priori le scénario pédagogique.
14 . Aceto, S., Dondi, C. & Marzotto, P. (2010) : Pedagogical Innovation in New Learning Communities, 2010 JRCIPTS http://bit.ly/9UxZfF (consulté en mars 2011), repris dans un document préparatoire à une table-ronde
du REFAD, Réseau d’Enseignement Francophone A Distance par Lamy, T. & Richer, M.
15. Ce qui correspond parfois, dans un premier temps, à un retour à des pratiques centrées «enseignement».
177
– une logique de projet : l’existence d’un projet pédagogique souvent déjà scénarisé, et
l’envie d’utiliser le potentiel social et communicationnel du réseau pour le dynamiser.
– une logique «opportuniste» : la connaissance du réseau et l’envie d’utiliser l’environnement
qu’il propose pour élaborer des tâches médiatisées par ce dispositif au sein de sa classe
L’entrée pédagogique sur le réseau est à deux faces : la prémisse peut être la relation ou
le contenu. Mais dans l’utilisation d’un réseau social, il va s’agir très vite des deux côtés de la
même médaille car est mise en valeur la nécessité de lier contenu et relation. La part informationnelle de la communication et la part communicationnelle de la relation16 sont nécessaires
pour mener à bien des tâches d’apprentissage. Très vite, la seule volonté de mettre en ligne
du contenu pédagogique sur le réseau ne suffit pas, une vraie posture est attendue de la part
de l’enseignant qui devra s’engager à considérer les tâches scénarisées comme des processus,
sinon le retour en matière d’investissement sur le réseau de la part des membres-apprenants
risque d’être assez faible. Le scénario pédagogique doit s’accompagner d’un scénario de
communication.
Rien d’évident à aborder un outil qui se définit par son dynamisme et par la capacité de ses
membres à se l’approprier, y travailler et y communiquer. Comment concevoir un étayage fort
sans dévaloriser l’action plus spontanée des uns et des autres qui peut susciter une vie parallèle
sur le réseau (il est souvent très déplaisant pour un enseignant de voir que certains apprenants
sont occupés à communiquer avec leurs pairs en ligne durant une activité) puisque c’est la prise
en main de l’outil qui garantit l’intérêt qu’il peut représenter aux yeux des apprenants, et corollairement à ceux de l’enseignant.
Il apparait comme primordial d’accepter tout d’abord que les scénarios puissent être pris
dans un tissu communicatif beaucoup plus large. Si l’on recense les types d’interventions
possibles sur un réseau (poster un commentaire sur un forum, écrire un billet sur un mur, poster
une image, une vidéo, inviter quelqu’un à devenir son ami, accepter une invitation, etc.), on
voit qu’interagir avec les autres membres est le présupposé de toute action, l’enseignant est
donc invité à se saisir de ce potentiel afin de créer des productions savamment orchestrées. Par
exemple, sur les forums utilisés pour un tutorat réactif, en l’absence de tâches précises, la participation reste faible. Il faut donc que l’usage de ces espaces de communication asynchrone soit
motivé par des propositions de tâches à réaliser. L’enseignant doit surfer entre l’exploitation de
pratiques spontanées, et l’instillation de pratiques porteuses d’objectifs précis en matière d’E/A.
Par ailleurs, il nous parait intéressant de montrer le potentiel créatif des TICE qui invitent à
penser autrement les pratiques pédagogiques quotidiennes. Nous avons par exemple utilisé le
clavardage (ou chat) comme outil d’évaluation ici à des tâches de compréhension orale à réaliser
à la maison. Il s’agissait de regarder des reportages courts, sans autre consigne que celle d’être
attentif au contenu des informations principales. Lors de la séance de cours en salle multimédia,
chacun s’est donc connecté sur le Rézo Lumière et l’enseignante ainsi qu’une stagiaire de filière
FLE ont entamé une discussion permettant de vérifier si les étudiants avaient effectivement fait
16. Il est fait référence ici par Draelants (2004 :62) à l’école américaine de Palo Alto et à la pragmatique de la
communication, plus particulièrement aux travaux de Watzlawick (1967).
178
le travail demandé. Les échanges très conviviaux (émaillés de smileys, de remarques interpersonnelles, etc.) ont inauguré un mode d’échange hybride, un terrain favorable à l’apprentissage.
Le réseau, avec ses moyens de communication, propose un environnement pédagogique où
tâche et évaluation sont intégrables. Il facilite ainsi la démarche d’évaluation formative.
Difficile cependant pour un enseignant d’apprécier la manière différenciée à laquelle vont
répondre les apprenants à tel ou tel scénario, ni même l’implication personnelle ou collaborative
nécessaires aux activités prescrites. Or, c’est souvent ce qui inquiète le plus, étant donné que le
scénario pédagogique nécessite de prévoir à l’avance. L’utilisation du réseau social suppose en
effet l’acceptation d’une certaine perte de contrôle. L’enseignant est amené à investir trois rôles
différents qui ne recoupent pas toujours ceux de l’enseignant en présentiel.
Tout d’abord, la première activité visible est celle de «simple» membre. Le site organise l’horizontalité des rapports sociaux. Publier sur son blogue, mettre à jour son profil sont des activités
dans lesquelles chacun a le même statut. L’enseignant au même titre que les autres membres
met lui aussi en scène son identité numérique.
Cependant, la médiation pédagogique est l’activité principale attendue. L’enseignant, sur
ce réseau dédié à l’apprentissage est aussi concepteur et animateur de tâches et d’activités.
Son rôle est d’accompagner l’apprenant dans son apprentissage. Il va proposer des parcours
d’apprentissage scénarisés pour le réseau, des activités ponctuelles dans le cadre de son cours
en présentiel. Il va aussi guider le travail de l’apprenant vers les ressources, proposer un feedback
en corrigeant les productions en communiquant avec ses étudiants via le réseau.
Enfin, l’enseignant peut avoir un rôle au niveau macro en tant qu’animateur du réseau.
Dans ce cadre, il s’attachera davantage à travailler le lien social. On peut reprendre à ce titre
l’expression de «networking». Son objectif sera alors de produire, de poster des ressources
diverses, ou de réagir à des productions afin de susciter la communication et les échanges entre
membres. Tout cela reste éminemment dynamique et certains rôles peuvent être plus ou moins
investis au cours du semestre et des projets envisagés.
Conclusion et perspectives …du côté des apprentissages.
Un réseau social est un média social et il n’a d’intérêt que s’il véhicule avec lui de l’information.
Cela nous parait le point d’appui au développement de notre projet. L’information diffusée par
le site est essentielle car elle justifie la navigation sur le site et la participation à la communauté.
– Il peut s’agir alors de développer l’information afin d’entretenir des relations sociales interpersonnelles. Il est question alors d’en apprendre sur les autres. La construction de l’identité
numérique est une piste de recherche : comment l’apprenant la construit-elle ? Comment
l’encourager à la développer pour développer les liens ?
– Un autre aspect est l’information que chaque membre de la communauté diffuse. Il s’agit
en ce cas d’apprendre des autres. Les liens vers l’information se créent grâce à la communauté
et à ses membres. Chaque participant oriente la navigation des autres vers l’information en
français. Comment faciliter cette navigation vers l’information ? Comment la laisser libre tout en
l’orientant vers l’efficacité ?
179
– Enfin, le dernier aspect est le fait que l’information peut être co-construite par les individus.
Il s’agit ici d’apprendre avec les autres. Des informations présentes sur le site peuvent émaner
de projets collaboratifs. Comment favoriser la collaboration tout en respectant l’individuation ?
Cette présence de l’information (qui est aussi bien l’accès à la connaissance de la langue
que le résultat de cette connaissance) que nous venons de décliner en trois orientations17,
doit guider nos usages futurs. Dans cette optique, notre attention se portera sur la façon dont
l’activité spontanée et individuelle peut rejoindre l’activité collective sans y perdre. Certains
espaces sont clairement identifiés comme des espaces personnels et sont les premiers espaces
investis. Les outils de communication sont utilisés à titre individuel et les espaces de téléchargement de photos également. Ces espaces sont des espaces de conversation collective ou
intra-personnelle. Par contre, les espaces collectifs ne donnent pas ou peu lieu à une appropriation autonome. La plupart correspondent à des groupes-classes et s’identifient comme
tels (SB13, IB12, où l’on voit apparaître le type et le niveau de la formation). Certains correspondent à des projets (Artisans de Lyon18, Que faire le dimanche ?19) initiés dans un groupeclasse mais envisageant parfois une participation du réseau entier. Tous ces groupes sont
gérés par un enseignant ou un enseignant stagiaire. Les rares groupes lancés par des étudiants
eux-mêmes, sans aide enseignante, ont échoué. Comment développer cette expression individuelle qui cherche à rejoindre le collectif ? La piste que nous voudrions exploiter est la création
de scénarios favorisant l’émergence de groupes d’intérêt. Quelques idées émergent déjà de nos
pratiques et des propositions étudiantes : des groupes «cinéma», «littérature», «télé», «cuisine»
ainsi qu’un espace de «petites annonces».
….du côté de l’enseignant/enseignement.
Une question demande à être posée : Y a-t-il une communauté d’enseignants ? Le choix
d’un réseau social comme environnement d’E/A ne nous demande-t-il pas de la créer ou de
la renforcer ? Ce qui nous amène à nous poser la question sous-jacente suivante : La culture
pédagogique des enseignants qui forment cette communauté est-elle prête à accepter le virtuel
? Comment lui faire sa place, puisque dans notre cas, il ne s’agit aucunement de substituer du
«en ligne» à du «présentiel» ?
Une piste est la scénarisation pédagogique20. Ayant questionné notre environnement
pédagogique virtuel et les usages que nous avons commencé à en faire, nous sommes mieux
armés à présent pour nous tourner vers cette schématisation, sans pour autant risquer
d’en restreindre les usages pédagogiques à une simple diffusion en ligne de supports, sans
17. Présentation inspirée de la Summer School du Wissenschaftscampus de l’Université de Tübingen,
«Making Sense of Social Media. Empirical Research and Future Directions» ( http://www.wissenschaftscampustuebingen.de/www/index.html?ref=folder75, (consulté en juillet 2011)
18. Le projet, mené par des étudiants du Master Didactique et TICE du Centre de Langues de l’Université
Lyon 2, consistait à produire une série de portraits vidéo et journalistiques d’artisans lyonnais. Les
réalisations et les étapes du projet sont consultables sur le réseau social (http://rezolumiere.ning.com/
group/artisansdelyon).
19. Le projet est conçu comme un projet participatif autour d’un forum où les étudiants proposent leurs
activités préférées le week-end à Lyon.
20. A entendre ici comme planification pédagogique, cf. Caron (2007) supra.
180
changement de scénario de communication. Cette scénarisation doit nous permettre dans
un premier temps de «sécuriser» pour l’enseignant (mais aussi pour l’apprenant) l’usage de
l’environnement en proposant des matrices d’usages pédagogiques, encadrées par des incitations didactiques (couplage d’un scénario pédagogique à un scénario de communication, par
exemple). Une typologie de scénarios (par tâche, par compétence, en travail de groupe, coopératif, collaboratif, en autonomie, en classe, etc.) donnera la possibilité à chaque enseignant,
suivant son profil, d’y trouver sa place. L’implication de chacun d’entre eux dans le réseau peut
être différente, rendant possible à terme la mutualisation, le partage et l’évolution.
En résumé, bien qu’ayant peu de recul quant au bien-fondé d’avoir introduit un réseau au
sein de notre institution, nous pensons que ce choix a des ressources encore insoupçonnées.
Il laisse entrevoir le champ des possibles dont enseignants et apprenants peuvent se saisir,
dans un environnement où tout est potentiellement acquisitionnel, que ce soient les initiatives
individuelles ou les travaux en collaboration, la production ou la réception de traces écrites,
iconiques ou vidéo. Mais cela ne doit pas faire oublier que l’exploitation de ce potentiel reste
intimement liée aux tâches organisées via le réseau.
Il apparait à ce stade de nos recherches que notre travail est pluriel. Il s’agit d’observer tout
en les valorisant les bienfaits, la plus-value de cet environnement pédagogique médié par les
TICE. Travailler l’ergonomie du dispositif revient à procéder par ajustements successifs (Guichon,
2006), en épousant à la fois les innovations volontaires (ou fortuites !) de ses membres et en
gardant un cap qui est celui de favoriser l’acquisition d’une langue étrangère. Un consensus
acceptable serait de coupler les objectifs en considérant notre rôle comme étant le suivant :
mettre nos étudiants sur une voie conduisant à l’expression sécurisante de leur identité
numérique d’alloglotte.
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comme point focal de l’apprentissage» in A.-L. FOUCHER, M. POTHIER, C. RODRIGUES et V.
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u Remerciements w
Le Ve colloque international de l’Association des Directeurs des Centres Universitaires d’Etudes Françaises pour Etudiants Etrangers (ADCUEFE - Réseau
Campus-FLE : l’enseignant au sein du dispositif d’enseignement /apprentissage de la langue étrangère qui s’est tenu à l’Université de Bourgogne les 27 et
28 mai 2011 a été organisé par Marie-Thérèse Maurer de l’université Lumière
Lyon 2 (coordination scientifique) et Salah Zemmali de l’université de Bourgogne (coordination organisationnelle). Nous tenons à remercier les personnalités qui ont bien voulu contribuer aux débats de ce colloque en acceptant
une coordination d’atelier: Elisabeth Brodin (Grenoble 3), Guillaume Marbot
(Rennes 2) et Carole Roche (Lyon 2). Merci aussi à Marc Cheymol (AUF), rapporteur des communications et animateur du débat de synthèse.
© ADCUEFE
Actes édités par l’ADCUEFE en collaboration avec le GERFLINT
Dépôt légal Bibliothèque Nationale de France 2013
Couverture, conception graphique et mise en page : Emilie Hiesse (Créactiv´)- France
Imprimé en décembre 2013 sous les presses de Drukarnia Cyfrowa EIKON PLUS
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