Compte-rendu de la formation sur Courts de cinéma Intervention de

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Compte-rendu de la formation sur Courts de cinéma Intervention de
Compte-rendu de la formation sur Courts de cinéma
Intervention de Séverine Vermesch, cinéaste et ancienne enseignante à la Femis
Association Gros Plan à Quimper, le 18 octobre 2011
Introduction
A l’exception de Copyshop qui fonctionne sur une idée, tous les courts-métrages fonctionnent
sur le même ressort dramaturgique : l’ironie dramatique (à savoir l’avance que le spectateur a
sur les personnages du film).
1. Les Astres, Laurent Firode, 1998
La structure du film : Le pitch du court-métrage : l’histoire d’une nuit en flash-back et la
destinée de six couples qui s’entrecroisent et qui sont mis en lien par des objets (une pièce de
monnaie, une botte…). Le récit joue sur le hasard et le destin en partant d’un incident : un
jeune homme marche malencontreusement dans une bouse de vache alors qu’il déclare sa
flamme à sa fiancée. Plusieurs histoires liées entre elles structurent ainsi le film qui est donc
basé sur un sens ludique de la narration : de ce fait, il fait appel à l’attention et à la
participation du spectateur qui doit faire la liaison manquante entre les scènes. Le spectateur
est donc partie prenante dans une construction qui ressemble à un jeu de dominos.
Quelques références cinématographiques à ce propos :
- Short Cuts, Robert Altman, 1993 : Les destins de 22 personnages qui s’entremêlent.
Le film s’ouvre et se ferme sur une catastrophe : le tremblement de terre à Los
Angeles. Les histoires des personnages sont liées entre elles par cette catastrophe
naturelle. "SHORT CUTS ne raconte pas des "histoires" au sens traditionnel. II montre des
événements, des fragments de la vie privée de neuf couples. J'ai essayé de trouver une forme
narrative qui suscite la participation active du spectateur et l'amène à élaborer- lui-même tout
un pan du filin. Je montre un moment de la vie d'un couple, je passe à un second, et lorsque
je reviens au premier, le public est invité à se demander : "qu'est-il arrivé entre-temps ?" Ce
que l'on voit à l'écran compte finalement moins que ce que l'on vous cache. Il y a un vide
narratif que le spectateur doit remplir; les interrogations, les découvertes, les surprises se
multiplient, et le film devient ainsi le réceptacle de millions d'histoires virtuelles » (Robert
Altman).
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Magnolia, Paul Thomas Anderson, 2000 : film choral, les personnages sont tous liés
par des objets, des détails. La menace d’une catastrophe naturelle plane sur tout le
film. Il s’agit d’une crainte métaphysique, celle d’un désordre naturel, d’un chaos. Le
lien entre les personnages appartient donc au surnaturel. Il est intéressant de noter que
si dans les années 50, les personnages créent leur propre malheur, ici, la crainte est
d’un tout autre ordre.
Le pouvoir du scénariste : Le titre, Les Astres, annonce l’enjeu dramaturgique du film et le jeu
avec la narration. Les astres prédisent l’avenir, écrivent la destinée des personnages, à l’instar
d’un scénariste. Le film marque et revendique la toute-puissance de l’auteur qui décide du
destin de ses personnages. D’ailleurs, l’un d’entre eux ne dit-il pas : « Tout est écrit » ? Un
parallèle peut être fait à ce propos avec plusieurs films :
- La Vie est belle, Frank Capra, 1946 : la séquence d’ouverture montre un ciel parsemé
d’étoiles. Dieu, le tout-puissant, s’entretient avec Clarence, un ange de seconde classe.
Il raconte l’histoire de George Bailey et décide d’envoyer Clarence sur terre pour
l’aider. Le scénariste, comme Dieu, décide du sort des personnages.
- Lola Montès, Mas Ophuls, 1955 : Monsieur Loyal fait raconter son histoire au
personnage de Lola Montès : c’est lui qui tire les ficelles.
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Sunset Boulevard, Billy Wilder, 1950 : Une voix-off se déclare la seule habilitée à
raconter l’histoire de cet homme que l’on voit dans la piscine. Ni la police ni les
reporters ne pourront fournir la bonne version. Or, il se trouve que cette voix-off est
celle du mort et qu’il est scénariste.
La Ronde, Max Ophuls, 1950 : La séquence d’ouverture est intéressante à faire
découvrir aux élèves et à commenter. Le narrateur est le meneur de jeu. Il s’adresse au
spectateur dans un décor théâtral qui rappelle que l’on est dans le jeu de l’illusion, de
la narration. Ce narrateur voit tout « partout à la fois » et fait tourner ses personnages.
Autres films : Smoking, no smoking, Alain Resnais – L’Argent, Bresson.
2. Copyshop, Virgil Widrich, 2001
L’ensemble du court-métrage fonctionne sur l’esthétique et un travail formel sur lequel se
greffe l’idée de la duplication et de l’angoisse de la reproduction mécanique.
2 séquences composent ce court-métrage. Le premier tiers jusqu’au moment où il duplique sa
main révèle la routine du personnage: il se lève, se rend à son travail. Puis le reste constitue la
2ème séquence.
Analyse de la 1ère séquence : La machine nous amène à nous montrer le générique et le
personnage. C’est de la photocopie que naissent l’histoire et le personnage. Tous les moyens
du pixel sont utilisés pour donner l’impression d’usure. Il s’agit d’un film moderne (fait au
moment d’internet et du téléphone portable) qui fait croire qu’il est daté en usant de plusieurs
artifices : le noir et blanc, le costume du personnage, l’image un peu abîmée, comme du super
8. Le film est très soigné esthétiquement dans le but de montrer une image sale. La forme du
récit est moderne et ne s’apparente pas à la narration classique.
Au générique, la mention Copyshop apparaît deux fois et annonce ainsi le thème de la
répétition. En même temps, la photocopieuse sert d’effet volet (un vieil effet d’ouverture et de
fermeture). Le décor de la chambre rappelle l’expressionnisme allemand : les obliques, les
angles… On pense ici au Dr. Mabuse ou à M Le Maudit.
Un plan serré sur le personnage révèle des carrés noirs et blancs (nouvelle référence à la
photocopie). Chaque mouvement de balai de la photocopieuse permet de changer la position
du personnage tout en faisant fonction d’ellipse.
Le réveil sonne : l’attitude logique du spectateur serait de se demander si le personnage n’était
pas en train de rêver et si la photocopieuse n’avait pas envahi son inconscient. De ce fait, la
machine n’est plus présente à l’écran mais l’image reste tremblante et la question se pose : qui
regarde ?
Le son annonce alors une musique répétitive, sérielle, à la Steve Reich. Le film a été monté
comme une séquence musicale dans le même rythme. La musique prend ainsi le relais de la
photocopieuse mais arrive comme un grincement répétitif qui s’amplifie et entraînera la folie
et le suicide.
Cette première séquence montre un grand sens de l’ellipse (de la sortie de l’immeuble à son
arrivée dans la rue par exemple). Le monde est pour l’instant normal : le personnage rencontre
un homme qui promène son chien (figure qui sera reprise et transformée par son clone à la fin
du court-métrage), une fleuriste : un sourire est échangé avec cette dernière : l’élan amoureux
est signifié par les déchirures à l’image. Il arrive au magasin.
Le thème du double est un thème majeur au cinéma. Quelques références :
- La Femme aux deux visages, George Cukor, 1941 : Greta Garbo (dont c’est le dernier
rôle) y joue le rôle d’une femme qui s’invente une sœur jumelle pour reconquérir son
mari.
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Cet obscur objet du désir, Luis Bunuel, 1977 : Le rôle de Conchita est interprété par
deux actrices, l’une distante et un peu froide, l’autre souriante et aguichante : Carole
Bouquet et Angela Molina.
Kagemusha, l’ombre du guerrier, Akira Kurosawa, 1980 : le chef du clan Takeda est
mortellement blessé. Pour protéger le clan, sa mort doit être dissimulée : un sosie
prend donc la place du chef.
Vertigo, Alfred Hitchcock, 1958 : les 2 personnages de Madeleine et Judy.
Mulholland Drive, David Lynch, 2001
Volte/Face, John Woo, 1997
Fight Club, David Fincher, 1999
3. Solene change de tête, Caroline Vignal, 1998
Caroline Vignal a une formation de scénariste. Refusant les grands sujets, elle préfère
l’anecdotique, les événements du quotidien. Pour ce film, elle a observé des heures durant les
écoles de coiffure.
Le principe du film est fondé sur une rencontre entre le concret (la nécessité pour des jeunes
filles de travailler, l’univers du travail et de la vie matérielle) et l’abstrait (la question de la
féminité, la construction de la féminité).
Le personnage de Solene est dans une question d’identité mais ce personnage n’existe que
parce qu’il est confronté à d’autres personnages qui sont dans la trivialité. C’est dans une
école de coiffure, un lieu d’apprentissage que l’on entend parler d’amour, de sexualité, de
désir (à travers le jeu-test du magazine auquel se prêtent les jeunes filles).
La mutation d’une jeune fille : le film s’intéresse à l’idée de transformation. Grâce à la mise
en scène et au jeu des actrices, on parvient à raconter la mue d’une jeune fille qui accepte la
féminité. Cette mutation se fait le temps d’une coupe de cheveux (idée narrative très simple)
et dans un lieu privilégié : une école de coiffure. Dès lors, Solene passe différentes étapes :
indifférente aux conversations des autres jeunes filles en second plan, elle accepte ensuite de
changer de tête et enfin se sent une femme grâce au regard des autres. La mutation est donc
montrée par l’artifice de la narration dans une scénographie le temps d’un court-métrage.
Un film sur le regard des autres et l’apparence : le lieu révèle la dualité entre la féminité
extérieure et le sentiment d’être une femme. Le jeu des miroirs sert ce questionnement, ainsi
que l’arrivée du jeune garçon.
Des références cinématographiques :
- Golden Eighties, Chantal Akerman, 1986 : une partie du film se passe dans un salon
de coiffure.
- Les films de Pascal Thomas, Catherine Breillat, Jacques Rozier (avec la présence de
Bernard Ménez, figure tutélaire de Solene dans le film).
4. Walking on the wild side, Fiona Gordon et Dominique Abel, 2000
Le monde de Gordon et Abel repose sur une volonté de non-réalisme. Alors que la caméra va
chercher à capter le réel dans le réalisme français, ici, c’est l’inverse. Les acteurs viennent
dans le cadre : la fonction de la caméra n’est donc pas la même. Cette esthétique de l’absurde
et le refus du réalisme est un code que le spectateur partage : c’est le principe fondamental de
l’ironie dramatique. A partir de là, plus rien ne doit nous étonner. On accepte par exemple que
le personnage féminin ne voie pas que l’homme est nu alors que c’est une évidence.
Le quiproquo naît d’un conflit narratif entre le désir de l’homme et la nécessité de la femme.
Dès lors s’instaure un jeu sur le double sens tant dans le langage (« combien vous prenez ? »,
« monsieur, on commence par la cuisine ? »), qu’à l’image (plier le drap pour lui est un jeu
amoureux ; pour elle, cela signifie faire le ménage). Chaque personnage est donc guidé par sa
nécessité et c’est ce qui créé le quiproquo.
La question du corps : La danse a toujours joué un rôle important dans les créations du couple
Abel-Gordon (cf le film Rumba). Le code burlesque est ici celui de la chorégraphie et celui du
corps. Le corps est actant et disant. Dans ce court-métrage, les dialogues ne servent
finalement pas à informer sur l’intériorité. C’est le corps qui exprime et parle, d’où les
nombreux plans fixes qui permettent au corps de donner le rythme et non la caméra. A la
question : quelles influences nourrissent votre style ?, Dominique Abel répond : « Keaton,
Chaplin, Laurel et Hardy. Ces comiques étaient très physiques. C'est la télé qui a rendu les
comiques bavards. Elle était petite - encore qu'aujourd'hui il y a des écrans plats géants - donc
on cadrait serré sur les visages. Alors, on s'est mis à parler. Ca a donné cinquante ans de
stand-up comique. .ous, nous aimons observer les corps, car ils expriment énormément
de choses. Notre jeu est centré sur le langage du corps. La narration est simple pour que le
spectateur s'intéresse au jeu des acteurs. Cela ne nous empêche pas de parler - nous ne
sommes pas des mimes - mais on souhaite se laisser entraîner par le mouvement. »
Les préjugés et les apparences : pour le héros, toute femme ne peut être à ses yeux qu’une
prostituée. Un discours social s’ajoute ici dans ce quiproquo.
Les références cinématographiques :
- The Big Lebowski, Les frères Coen, 1998 : l’histoire du film découle d’un quiproquo.
- Charlie Chaplin, notamment la scène de boxe très chorégraphique dans Les Lumières
de la ville, 1931.
- Steamboat, Buster Keaton, 1928 : l’extrait de la tempête qui montre une chorégraphie
extrêmement précise entre l’acteur et les éléments du décor.
- Les films de Tati
- Tous les grands burlesques qui montrent une maîtrise extraordinaire du corps.
5. A tes amours, Olivier Peyon, 2001
Référence évidente au film de Pialat A nos amours, le film joue sur le double sens et sur la
fonction de l’ironie dramatique : ce que nous devinons nous émeut parce que nous sommes les
seuls à partager quelque chose avec un personnage et que l’autre personnage ne sait pas. Or,
ce que nous partageons est essentiel puisqu’il s’agit d’amour.
Le générique et les premières images : deux personnages (frère et sœur) se parlent pendant le
générique dans le noir. Une information importante qui permet de partager l’histoire et de
ressentir l’émotion est donnée dans le générique, dans le noir : la forme annonce qu’il y a
quelque chose de caché.
Le personnage féminin est le personnage principal : elle pose les questions, veut savoir, est en
attente, est vue de face : c’est donc elle qui va vivre l’histoire. Le jeune garçon, quant à lui, est
plongé dans ses rêveries, dans la nostalgie : il regarde une ligne de fuite, un train qui s’en va,
il est vu de profil.
Le jeu et l’idée de théâtralité : la sœur met le frère dans une position d’acteur et lui fait jouer
la scène de la déclaration. Elle-même joue quelqu’un d’autre. En faisant cela, elle franchit un
interdit : elle ouvre le carnet intime du jeune garçon. Or, le message qu’elle reçoit ne lui est
pas destiné et c’est ce qui permet de comprendre la réaction finale.
Les références cinématographiques :
- Une partie de campagne, Jean Renoir, 1936 : de facture classique, ce court-métrage
est dans la veine d’un Renoir. La nature (l’eau, la lumière) se fait l’écho des
sentiments cachés. De même que dans Une partie de campagne, ce qu’elle ne peut pas
dire est exprimé par la nature. L’eau, véhicule de désir, permet aussi d’exprimer la
sensualité.
- L’Esquive, Abdellatif Kechiche, 2004 : Référence au texte de Marivaux : Le Jeu de
l’Amour et du hasard.
- Emilie Muller, Yvon Marciano, Court-métrage, 1994 : le bout d’essai d’une
comédienne qui raconte sa vie en sortant des objets de son sac. La fin du CM révèle
que le sac n’était pas le sien. Film qui porte sur le jeu.