L`acquisition du nombre à l`école maternelle
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L`acquisition du nombre à l`école maternelle
L'acquisition du nombre à l'école maternelle 3 L'acquisition du nombre à l'école maternelle Professeur Marcel CRAHAY A. DELHAXHE ET A. GODENIR Service de Pédagogie expérimentale Avec la collaboration de C. ARTUS Service de Psychométrie Professeur Marcel CRAHAY Université de Liège L'acquisition du nombre à l'école maternelle 4 Objectifs de la recherche : Le Service de Pédagogie expérimentale, en accord avec les trois Inspectrices maternelles concernées, s'est attaché à développer un modèle éducatif portant sur l'acquisition du nombre à l'école maternelle. Cette initiative s'inscrit dans une vaste entreprise de transposition pédagogique de la théorie épistémologique et psychologique de J. PIAGET, pour concevoir une éducation qui, respectant les spécificités du développement cognitif de l'enfant, l'amène à se dépasser. L'APPRENTISSAGE DES CONCEPTS DE BASE A L'ECOLE MATERNELLE A. La place des concepts de base dans les activités mathématiques Les concepts de base peuvent être définis comme les représentations mentales de situations ou de relations abstraites de tout contexte particulier. Le monde mathématique en fait un usage considérable tant dans le domaine numérique (équivalence, comparaison, ordination..), que dans le domaine spatial (positions relatives, orientation, …), ou temporel (antériorité, postériorité, durée, …). De ce fait, l'apprentissage des concepts de base n'est pas envisagé dans les recommandations officielles comme une unité à connaître. Il apparaît en fonction des domaines mathématiques abordés par les programmes. L'approche méthodologique souhaitée n'est d'ailleurs pas toujours très bien précisées. Le programme de 19501 envisage en quelques lignes seulement, l'apprentissage de notions quantitatives, dans la rubrique "Directions pédagogiques : Observation". Les enfants se familiarisent avec celles-ci lorsqu'ils comptent, mesurent, évaluent …, au cours des observations et des activités éducatives proposées par l'institutrice. Une précision, relative aux concepts de base, est apportée : l'enfant sera familiarisé avec "Les notions que représentent les termes : peu, beaucoup, autant, plus, moins, …", (p.18) c'est-à-dire, l'appréciation de quantités indéterminées, l'équivalence et la différence de quantités. L'école de 1950 est avant tout l'école du langage; l'enfant parle, il exprime toute la vie qui l'anime. L'apprentissage de la plupart des notions mathématiques, y compris les concepts de base, s'inscrit dans cette perspective de la découverte et l'utilisation spontanée des acquis. Le programme insiste sur l'idée qu'il faut favoriser le développement de ces notions sans tomber dans l'erreur d'un enseignement systématique. Le document de la réforme de l'enseignement préscolaire diffusé en 19742 élargit le domaine d'apprentissage mathématique en y incluant les notions d'espace, d'ensemble, de nombre, de relation, de structure de temps et de forme. Ces notions apparaissent comme des instruments de pensée dont l'acquisition est indispensable au développement de l'intelligence. 1 Plan des Activités Educatives à l'Ecole Gardienne, Ministère de l'Instruction Publique, Direction générale de l'Enseignement primaire et normal, 1964. 2 La réforme de l'enseignement préscolaire; Activités mathématiques, Ministère de l'Education Nationale et de la Culture Française; Direction générale des études, 1975. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 5 Dans la section consacrée à l'espace, les auteurs mentionnent, parmi l'ensemble des notions à développer, l'introduction du vocabulaire : près, loin, moins loin, en dessous, plus à droite (p.18); il s'agit ici d'étudier les positions relatives des objets dans l'espace. Le programme propose également des activités plus techniques visant l'exploration du plan : à gauche à droite, de haut en bas, par rapport à un axe, par rapport à un centre, à un bord (p.21). Les comparaisons de grandeurs (masses, longueurs, capacités, temps) sont des occasions d'utiliser les termes "plus que, moins que, égal, …" qui introduisent les notions de distances et d'équivalence. L'approche du nombre permet également de reprendre ces notions comparatives, appliquées cette fois à des quantités discontinues. Le programme envisage essentiellement l'abord de ces notions à travers des situations vécues et fréquemment représentées ou par le biais de questions posées par l'institutrice aux enfants. Par exemple, - "Les enfants ont fait des sauts en longueur dans le sable. Qui a fait le plus grand saut ?" (p.34). La représentation graphique est omniprésente, le programme valorise "…la précision, l'économie, voire la beauté du mode d'expression : le langage mathématique dans son aspect graphique (p.9)". C'est ainsi que la notion d'équivalence associée à l'utilisation du terme "autant" est envisagée après la représentation de la correspondance terme-à-terme établie entre deux ensembles, dans un graphe fléché. L'expression reste donc un des fondements de la pédagogie, mais le langage a cédé le pas à la représentation graphique. En 19853, le programme des activités expose, dans le chapitre consacré à l'espace, une série de concepts à développer tant dans les rapports topologiques (relation de voisinage) que dans les relations projectives : intérieur, extérieur, espace fermé, espace ouvert, bord, région, dans, en dehors, hors, autour, en haut, en bas, sur, sous au dessus, en dessous, devant, derrière, à droite, à gauche, à côté de, entre, en face de, dos à dos (p. 65). L'approche des grandeurs et du nombre entraîne l'utilisation des termes autant que, moins que, plus que, pareil, … lors de comparaisons de quantités continues et discontinues (p. 68). On remarque que ce dernier programme précise davantage que les précédents les contenus et conduit à une certaine catégorisation des concepts de base. Pour aborder ces notions, ce programme prévoit la découverte des concepts de base associée à l'action, suivie de l'expression. Il s'agit ici d'agir les notions et ensuite de les exprimer. A la lecture des programmes consacrés à l'école maternelle depuis près d'un demi siècle, on retrouve une certaine permanence dans l'importance accordée à l'apprentissage des concepts de base. Seules, quelques petites différences apparaissent quant à la précision du contenu et des modalités d'apprentissage. 3 Programmes des Activités. Enseignement préscolaire de l'Etat, Ministère de l'Education Nationale; Organisation des Etudes, 1985. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 6 La difficulté essentielle rencontrée lorsqu'on aborde ce domaine est la distinction qu'il faut opérer entre le concept et le mot. Certaines notions ne sont représentées que par un mot. Par exemple : la notion d'éloignement est précisée par le terme "loin". Le terme est utilisé chaque fois que la notion est abordée. D'autres notions, par contre, sont liées à plusieurs termes. Par exemple, l'équivalence est représentée par les mots : "autant, égal, pareil,…". Dans ce cas, il apparaît délicat de distinguer ce qui revient à la connaissance de la notion et ce qui revient à la connaissance des mots, qui représentent la notion. L'équivalence peut être abordée essentiellement en utilisant un mot particulier et pas un autre, voire même, en contournant l'utilisation de ces mots : "c'est pareil, il y a la même chose, il n'y en ni plus, ni moins; on va distribuer pour ne pas faire de jaloux, …". D'autres termes renvoient à des notions très proches, que l'on ne distingue pas toujours clairement dans le langage quotidien. Par exemple, l'expression "milieu" qui représente la partie d'une chose qui se trouve à égale distance de ses extrémités est souvent utilisée, par extension, pour représenter la notion "à l'intérieur de". Par ailleurs, le terme "centre" renvoie également à l'idée d'une distance égale établie, cette fois, entre un point et tous les points de la circonférence d'un cercle ou de la surface d'une sphère. Il apparaît donc important de pouvoir préciser d'une part, la notion à étudier, et d'autre part, les termes à utiliser pour aborder cette notion. Les programmes font très peu cette distinction. Tantôt, ils présentent une liste de termes à utiliser et il n'est pas trop difficile de dégager les notions qu'ils représentent (par exemple, "haut" et "bas" renvoient à une position sur l'axe vertical); tantôt, ils développent les notions à étudier sans préciser quels termes seront utilisés (par exemple, la notion de partage est envisagée, mais il n'est pas indiqué dans quelle mesure les termes "entier", "à moitié",… doivent être utilisés pour aborder cette notion). Au delà des recommandations officielles, l'importance que l'on confère généralement à l'étude des concepts de base apparaît également à travers les tests proposés par les centres PMS dans les écoles maternelles afin d'établir une première prédiction des problèmes que les enfants risquent de rencontrer dans leurs apprentissages futurs. Certaines batteries de test comprennent une mesure de la connaissance de quelques concepts de base élémentaires tels que "au dessus", "à gauche" (CHAUTARD et FETTELIN, 1974). Il existe par ailleurs, des épreuves entièrement consacrée à cette évaluation. Le test des concepts de base de BOEHM (1967) en fait partie.4 On retrouve donc les concepts de base à différents niveaux de réflexion. Dans la pratique, les institutrices sont aussi confrontées à cet apprentissage et d'une manière générale, développent de nombreuses activités susceptibles de les aborder. Cependant, il n'existe à notre connaissance aucune mesure de l'efficacité de cet enseignement. 4 Test des concepts de base de BOEHM, Edition du Centre de Psychologie Appliquée, Paris : 1972. Ce test est une traduction en version française du Boehm test of Basic Concepts. The Psychological Corporation. New York, 1969. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 7 Tous ces éléments nous ont conduit à nous interroger sur les connaissances qu'ont les jeunes enfants de ces notions, à l'issue de la troisième maternelle. B. L'état des connaissances des enfants de cinq ans Le test des concepts de base de BOEHM a été utilisé pour établir le bilan des connaissances des enfants en cette matière. Les données présentées sont extraites d'une enquête plus large menée dans la communauté française de Belgique.5 Cette épreuve prévoit une mesure des concepts de base de quantité et d'espace. Le matériel se compose d'items dessinés. Chaque item est un ensemble d'images que l'examinateur décrit brièvement à haute voix; ensuite, il demande de faire une croix sur l'image qui illustre le concept testé. Par exemple, l'item 5 se présente de la façon suivante : L'examinateur demande à l'enfant de regarder les images de la maison avec le garçon, puis de montrer la maison où le garçon est "à l'intérieur". Des cinquante items que compte le test, trente furent retenus dans l'enquête. La passation de cette épreuve était individuelle. Un premier niveau d'analyse laisse apparaître que d'une manière générale, les enfants de troisième maternelle maîtrisent assez bien ces concepts, que ceux-ci concernent des notions d'espace (réussis en moyenne à 88 %) ou de quantité (réussis en moyenne à 81 %); aucun n'est réussi à moins de 60 %. Un examen plus attentif révèle cependant, des différences entre les notions. Résultats aux épreuves d'espace 100% 99,4,% Plus Haut Résultats aux épreuves de quantité 100% 97 % Autour - Le plus près - au dessus 97 % 96,8 % En haut 96,5 % 96,5 % Au milieu 96,1 % 5 Plusieurs Quelques / Pas beaucoup Le plus Description de l'échantillon; L'enquête a été réalisée auprès de 623 enfants de la Communauté française de Belgique. Ils sont âgés entre 5 ans 3 mois et 5 ans 9 mois. Tous parlent correctement le français. Ils fréquentent des écoles des trois réseaux de l'enseignement réparties sur l'ensemble des 5 régions francophones. L'échantillonnage respecte la répartition de la population totale dans les trois réseaux. L'enquête a concerné autant de garçons que de filles (respectivement 49,8 % et 50,2%) L'acquisition du nombre à l'école maternelle 95,2 % A coté de - Le plus loin 93,7 % Derrière 91,2 % A l'intérieur de 90 % 90 % 88,9 % Entre 88,3 % Loin 87 % Autant 84,3 % 83,9 % Zéro Pas premier / Pas dernier 80,9 % 80,6 % 80% Presque Deuxième 77,4 % 77 % 76,6 % A moitié Quelques Le moins 75,3 % Entier 85,1 % Contre 80 % 77,7 % A travers 71,3 % A droite 70 % 70 % 68,4 % A gauche 61,5 % 61,2 % 61% 60 % Troisième Egal Au centre 60 % Tableau 1 : Résultats aux épreuves d'espace et de quantité 8 L'acquisition du nombre à l'école maternelle 9 a. Les concepts d'espace (Tableau 1) La plupart des items sont extrêmement bien réussis par les enfants. Les mieux réussis testent les relations de voisinage entre les objets, principalement lorsqu'il s'agit de déterminer la position d'un objet par rapport à un autre (au dessus, à coté de, derrière, autour, au milieu, à l'intérieur de, entre,…). La plupart de ces notions appartiennent à l'espace topologique : quelle que soit la position de l'observateur, les relations établies restent vraies. On trouve curieusement parmi les items les mieux réussis, trois notions impliquant une comparaison des distances respectives de deux ou trois objets par rapport à un élément de référence (le plus haut, le plus près, le plus loin, …). Ces pourcentages élevés de réussite étonnent lorsqu'on sait les difficultés que peuvent éprouver des jeunes enfants face à ces notions. En effet, ces items impliquent des comparaisons de distances et donc constituent les prémisses de problèmes de mesure (espace euclidien). On trouvera plus loin une analyse critique des items testant ces notions. Diverses caractéristiques expliquent notamment le fait que "loin" semble plus difficile que "le plus loin", ainsi que d'autres résultats surprenants. Quelques concepts posent davantage de problèmes : Il s'agit de "contre" et surtout "à travers". Ces termes sont sans doute un peu moins utilisés dans les activités courantes. Enfin, on trouve, au bas de l'échelle des réussites, la notion de latéralisation ("à gauche", "à droite"), si difficile à acquérir par les jeunes enfants, ainsi que le concept "au centre", nettement moins connu des enfants, que le concept, pourtant si proche, de "au milieu". b. Les concepts de quantité (Tableau 1) Les concepts d'appréciation de quantités indéterminées se trouvent en tête ("plusieurs", "quelques / pas beaucoup"). Dans cette dernière association, c'est sans doute le terme pas beaucoup qui induit la réponse de l'enfant. En effet, le niveau de réussite est nettement moins élevé lorsqu'on utilise seulement le terme "quelques" (77 %). Les concepts de fractions sont moins bien connus des enfants ("entier", "à moitié",…), ainsi que les notions d'ordination ("pas premier / pas dernier", "deuxième", "troisième"). Ces deux notions apparaissent dans les programmes, mais sans que soient spécifiés les termes à utiliser. On sait par ailleurs qu'elles sont les plus difficiles à acquérir pour les jeunes enfants. Dans le cas de l'ordination, cette difficulté provient du caractère indissociable de cette notion avec un autre aspect du nombre : la cardinalité. PIAGET6 définit les nombres ordinaux comme une série dont les termes sont également des unités équivalentes les unes des autres et par conséquent susceptibles d'être réunies en un ensemble, dont le cardinal est également un nombre. L'ordination résulte de la nécessité de distinguer ces unités les unes des autres, en leur attribuant un numéro d'ordre. Dans l'item utilisé pour appréhender cette notion, l'ordre est établi dans l'espace. Il peut également être établi dans le temps ou dans la simple énumération. 6 PIAGET J. et SZEMNINSKA, A. La genèse du nombre chez l'enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1941. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 10 Les notions qui envisagent les différences de quantité et l'équivalence se répartissent tout au long de l'échelle. Le concept "le plus" est très bien maîtrisé, le concept "le moins", ne l'est pas. La notion d'équivalence utilisée avec le terme "autant" semble connue, elle l'est moins lorsqu'on utilise le terme "égal". Ces divergences sont étonnantes et méritent une analyse plus approfondie des items proposés aux enfants pour mesurer ces concepts. C. Analyse critique des items A plusieurs reprises, les résultats obtenus par les enfants sont surprenants. Au niveau de l'espace, certaines notions, plus difficiles à acquérir que d'autres apparaissent ici, également maîtrisées. Par exemple, des concepts évaluant des rapports de distance ou impliquant une décentration de point de vue, de la part de l'observateur, semblent aussi bien connus des enfants que des simples rapports de voisinage, qui sont pourtant, au niveau du développement, les plus primitifs : Le tout jeune enfant organise principalement l'espace en fonction du critère de proximité. Il convient donc d'examiner de plus près, ce que mesurent les items. En effet, "le plus près, le plus loin, le plus haut" sont extrêmement bien réussis, au même titre que "en haut", alors que "loin" est moins bien réussi. L'analyse des dessins utilisés pour mesurer ces concepts permet d'expliquer cette différence. a. "en haut" - "plus haut". Chaque fois, l'élément cible de la comparaison (l'étoile, le ballon), occupe également une position simple et identique par rapport à l'axe de référence. Le ballon qui est le plus haut de tous est également celui qui est en haut de l'arbre sur l'image. Sans comparer la hauteur des ballons, l'enfant peut donner une réponse correcte. Les résultats à l'item "le plus haut", ne se distinguent donc pas des résultats à item "en haut". L'acquisition du nombre à l'école maternelle 11 b. "loin" - "plus loin". Le bateau qui est le plus loin du bord est également celui qui est très loin. Ici, les résultats à l'item "le plus loin", ne sont pas seulement proches, mais sont supérieurs à ceux de l'item "loin". Ceci s'explique par le fait que ces concepts supposent une prise en compte de l'espace projectif. La position de l'observateur peut interférer avec la relation existant entre les objets. En effet, telle que l'image se présente, le bateau qui le plus loin du bord, est également celui qui est le plus loin de l'enfant. Toute autre chose est de montrer la boîte qui est la plus loin de la table. En effet, celle-ci se situe à égale distance de l'observateur que les autres boîtes et la réponse impose une décentration de l'enfant sur l'objet de référence, en l'occurrence, la table. c. "Le plus près". L'item "le plus près" présente trois enfants situés à des distances différentes d'une porte. Il s'agit de montrer l'enfant qui est le plus près de la porte, c'est également celui qui est près de la porte. Cette proximité réduit l'item à mesurer un simple rapport de voisinage. d. "le plus" - "le moins" Les supports utilisés pour tester les épreuves "le plus" et "le moins" présentent également des différences. Le premier propose des collections d'objets inscrites dans un ensemble (une boite d'œufs), le second les présente sans contenant. En, outre, l'image représentant le concept "le plus", consiste en une boîte d'œufs remplie. Là où il y en a le plus, c'est également là où c'est rempli. Les différences numériques choisies sont également contestables. Il y a dans la boîte remplie, 6 œufs et 8 œufs de plus que dans les autres boîtes. Il y a dans la constellation d'étoile la plus petite, 1 étoile et 3 étoiles de moins que dans les autres constellations. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 12 e. l'équivalence La notion d'équivalence est différemment maîtrisée selon que le terme utilisé est "autant" (87 %) ou "égal" (61 %). Cette différence de réussite pourrait être due à l'utilisation plus courante d'un de ces deux termes dans les classes. D'autres différences apparaissent : les configurations des deux collections sont au niveau perceptif plus dissemblables pour le terme "égal" que pour "autant". En outre, c'est la première fois dans toute l'épreuve que l'enfant est amené à montrer deux éléments et il peut ne pas comprendre ce changement de consigne. En effet, nombreux sont les enfants qui ne montrent qu'une image (30 %). Cette analyse montre à quel point l'évaluation de la connaissance de ces notions peut être fragile, et sans doute, la diversité des situations de mesure, constitue-t-elle une garantie contre une interprétation abusive de la compétence ou de l'incompétence des enfants en ces matières. D. Des niveaux de réussites dépendants de l'origine sociale des enfants. L'examen des résultats aux épreuves, en fonction du sexe, ne laisse pas paraître de différences. Le fait d'être né(e) fille ou garçon ne détermine en rien une différence de compétences. Par contre, les enfants qui appartiennent à un milieu socio-économique défavorisé sont moins nombreux à réussir certains items que ceux des milieux plus élevés et ceci pour plusieurs concepts. Dans le domaine de l'espace, on constate que taux de réussites à plusieurs items augmentent progressivement lorsqu'on passe du niveau socio économique le plus bas (1) au niveau le plus élevé (4)7 (tableau 2) Pour ces concepts, l'application d'une analyse de variance (Fischer) confirme que les différences liées au statut socio-économique sont significatives. Pour les items "le plus haut" et "le plus loin", ces différences se jouent à des niveaux de réussite assez élevés…, quel que soit l'origine sociale des enfants; rappelons que ces items mesurent davantage les notions de position sur l'axe vertical (en haut) et sur l'axe de l'éloignement (au loin), que la comparaison de distance. 7 La catégorisation des milieux socio-économiques fut réalisée grâce à l'échelle de classification socioprofessionnelle de BACKELMANS. Celle-ci comporte neuf échelons, regroupés en 4 niveaux : respectivement, les professions sans qualifications (niveau 1); les ouvriers qualifiés, les indépendants, et les employés (niveau 2); les cadres inférieurs et cadre moyens (niveau 3); les cadres supérieurs et les professions libérales (niveau 4). 13 L'acquisition du nombre à l'école maternelle Niveaux S.E. 1 2 3 4 F P LE PLUS HAUT 96,77 99,65 100,0 100,0 4,73 0,0301 LE PLUS LOIN 91,94 94,79 96,27 98,77 4,16 0,0420 A L'INTERIEUR 85,48 91,32 96,27 97,53 10,27 0,0014 A TRAVERS 72,58 76,04 82,84 83,95 4,82 0,0286 CONTRE 74,19 85,76 90,30 93,83 12,10 0,0005 LOIN 83,87 86,46 94,78 96,60 11,81 0,0006 Tableau 2 : Pourcentage de réussite selon le niveau socio-économique, Fisher et degré de probabilité (Concepts d'espace). Les items "à l'intérieur, contre, à travers", qui renvoient à des rapports topologiques, figurent parmi ceux qui sont le moins bien réussis au total de la population. On constate aussi que les différences de réussite entre les groupes socio-économiques sont nettement plus marquées, surtout si on compare le niveau 1 et le niveau 4. La connaissance de ces notions, ainsi que l'aptitude à se décentrer dans l'espace (mesurée par l'item "loin") semblent donc liées à l'origine sociale des enfants. Soulignons toutefois que les réussites à une majorité de concepts ne dépendent pas de l'appartenance au milieu social. Il s'agit des notions liées aux rapports topologiques, de concepts appartenant davantage à l'espace euclidien ("au milieu", "au centre"), et enfin des notions de latéralisation si difficiles à acquérir. Pour toutes ces notions, l'école propose sans doute des activités qui favorisent le développement de tous les enfants. Dans le domaine des quantités, les réussites à plusieurs épreuves semblent liées au niveau socio-économique. On trouve parmi celles-ci, l'appréciation de quantités indéterminées : "quelques / pas beaucoup" et "quelques"; la comparaison de quantité: "le plus" et "le moins"; l'ordination : "premier / pas premier", "deuxième" et "troisième", et enfin les termes liés au partage : "entier" et "à moitié". (tableau 3) Pour tous ces concepts, l'application statistique d'une analyse de variance (Fisher) permet d'affirmer que les différences sont significatives. Niveaux S.E. 1 2 3 4 F P QUELQUES / PAS BEAUCOUP 88,71 96,88 97,76 98,77 7,39 0,0068 QUELQUES 69,35 75,00 85,07 81,48 6,17 0,0133 LE PLUS 93,55 96,18 100,0 98,77 6,44 0,0114 LE MOINS 67,74 74,31 87,31 90,12 19,29 0,0001 PAS PREMIER 69,35 83,68 92,54 87,65 11,28 0,0008 DEUXIEME 67,74 83,68 85,82 82,72 3,38 0,0665 TROISIEME 51,61 61,11 70,15 65,43 4,47 0,0349 ENTIER 66,13 77,43 75,37 86,42 5,28 0,0219 A MOITIE 67,74 72,57 85,07 86,42 13,81 0,0002 L'acquisition du nombre à l'école maternelle 14 Tableau 3 : Pourcentages de réussite selon le niveau socio-économique, Fisher et degré de probabilité (Concepts de quantité). Quelques concepts semblent indépendants de l'origine sociale; il s'agit notamment de l'équivalence, qui est inscrite de façon permanente dans les recommandations officielles depuis le programme de 1950 et est sans doute assez régulièrement développée dans les classes maternelles. En conclusion L'analyse des résultats des enfants de 5 ans au test des concepts de base de BOEHM permet de dégager trois points essentiels. Le premier point concerne les caractéristiques du test proprement dit. Les items choisis rendent, dans certains cas, l'évaluation fragile et il convient d'en proposer davantage, pour une même notion, avant de tirer une conclusion sur les conséquences d'un enfant. Le second est celui de la dépendance pour certains apprentissages de l'origine sociale des enfants. L'école à ce niveau doit continuer à chercher des activités et des situations qui permettent le développement de tous. Dans le cas de la plupart des concepts de base, il s'agit de renforcer les interactions langagières en contexte significatif, afin que l'enfant puisse dégager une notion et l'associer à un terme propre. L'importance de ces différences liées à l'origine sociale doit être cependant nuancée par un troisième point : d'une manière générale et plus particulièrement lorsque les notions figurent clairement dans les programmes d'enseignement, l'école amène une large proportion d'enfants à la maîtrise des concepts de base. L'acquisition du nombre à l'école maternelle 15 Bibliographie BAEKELMANS, R., Typologische benadering van de motivatie der young volwassenen, Thèse de Doctorat inédite, Université de Gand, 1970. BOEHM, A. (1973), Test des Concepts de base, Les éditions du Centre de Psychologie Appliquée, Paris. Traduction française de A. BOEHM : The Boehm Test of Basic Concepts. The psychological Corporation, New York, 1969. CHAUTARD,Y. et FETTELIN, F. (1974), Echelle d'Admission ou Cycle Elémentaire, E.A.P., Issy les Moulineaux. MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE (1964), Plan des Activités Educatives à l'Ecole Gardienne, Bruxelles, Direction générale de l'Enseignement primaire et normal. MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE (1975), La réforme de l'enseignement scolaire : Activités mathématiques, Bruxelles, Direction générale de l'Organisation des Etudes. MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE (1985), Programme des activités, Enseignement préscolaire de l'Etat, Bruxelles, Direction générale de l'Organisation des Etudes. PIAGET, J. et SZEMINSKA, A. (1941), La genèse du nombre chez l'enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel.