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SPIRITS
Texte : Thierry Heins
L’absinthe,
un alcool
à démystifier
Interdite dans toute l’Europe
pendant presqu’un siècle,
l’absinthe connaît un
renouveau chez nous et
dans les pays voisins
depuis quelques années.
La “Fée verte” a-t-elle
vraiment un pouvoir
intoxicant qui rend fou?
Poser la question, c’est
déjà y répondre…
absinthe est un spiritueux produit
à partir d’un mélange d’alcool et
d’herbes distillées ou d’extraits
d’herbes, dont la grande absinthe
(Artemisia absinthium) et l’anis vert,
mais le plus souvent aussi trois autres herbes
aromatiques : l’absinthe romaine ou petite
absinthe, le fenouil doux et l’hysope que l’on
trouve dans les garrigues méditerranéennes.
Quelques recettes typiquement régionales
utilisent également d’autres herbes, comme la
badiane, la mélisse, l’angélique, le coriandre, la
véronique, la marjolaine ou la menthe poivrée…
C’est donc une boisson anisée, puisqu’elle
contient toujours une ou plusieurs plantes qui lui
donnent son côté anisé, l’anis vert, l’anis étoilé,
le fenouil…
L’
Les absinthes de haute qualité sont toujours
distillées, plutôt que produites en mélangeant
des essences d’herbes dans de l’alcool, et ont
un caractère d’herbes et floral délicieusement
complexe, avec une légère note amère due à
la grande absinthe. Le goût d’anis ne doit pas
dominer. Dès les débuts de la commercialisation
de l’absinthe au 18e siècle, la mode fut à une
absinthe légèrement colorée, plutôt que blanche
ou transparente, produite en trois étapes.
D’abord, une macération d’herbes séchées dans
de l’alcool de base, puis une distillation de ce
macérat, et finalement une étape de coloration
chlorophyllienne avec un liquide obtenu en
ESSENTIELLE
JUIN 16
chauffant doucement une infusion d’autres
herbes teinturières, comme la mélisse, l’hysope,
la petite absinthe, la menthe.
Les absinthes traditionnelles sont donc de
couleur verte. Elles sont embouteillées à un
haut degré d’alcool (65 à 72% ABV) dans des
bouteilles vertes pour éviter que les essences
insolubles dans l’eau ne se précipitent et que
les rayons ultra-violets (UV) ne détruisent
les pigments. Elles sont sans sucre ajouté.
Oscar Wilde, auquel on attribue la paternité
de l’expression, baptisa le produit du nom de
fantaisie « Fée verte ». Les absinthes claires
– souvent appelées La Bleue ou La Blanche,
sont quant à elles fabriquées sans étape de
coloration, et tendent à utiliser un mélange
d’herbes différent. Toutes les absinthes titrent
au minimum 45% d’alcool et se consomment
diluées par ajout d’eau froide au moment de leur
consommation.
Une absinthe verte correctement faite est
généralement vert pâle et transparente,
mais ‘louche’, c.à.d. elle se trouble et devient
opalescente, voire laiteuse, avec l’apport d’eau.
La cause de ce phénomène est la précipitation
des essences insolubles dans l’eau quand le
taux d’alcool diminue. Les absinthes utilisant
beaucoup de badiane, comme beaucoup
d’absinthes espagnoles, louchent d’une
façon spectaculaire et brutale, et deviennent
totalement opaques, tandis que la louche
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d’une absinthe plus traditionnelle se forme plus
lentement et donne un liquide opalescent. Une
absinthe traditionnelle ne sera jamais vert bonbon
ou fluorescente - cette couleur est le signe d’une
coloration artificielle.
Pourquoi l’absinthe a-t-elle
été interdite ?
L’absinthe trouve son origine dans le canton de
Neuchâtel en Suisse et dans la région du Doubs
autour de Pontarlier, dans la seconde moitié
du 18e siècle, sa popularité crut rapidement.
D’abord breuvage assez cher réservé à une
élite intellectuelle, elle devient rapidement un
élixir qui donne de l’inspiration aux artistes et
enfin la boisson du peuple. Dans les années
1870, l’absinthe représentait 90% des apéritifs
consommés ! Son apogée fut atteint dans les
années 1880 à 1910, lorsque son prix chuta et
qu’elle devint donc accessible à tous, rivalisant en
popularité avec le vin en France et en Suisse, ce
qui causera par ailleurs sa perte. L’absinthe faisait
partie de la quintessence de la société de la Belle
Époque, en 1910, les Français consommaient
36 millions de litres d’absinthe par an!
Ayant de prétendues propriétés psychoactives,
la “fée verte” était en outre consommée
par d’innombrables artistes, écrivains et
dramaturges, tels que Vincent van Gogh,
Henri de Toulouse-Lautrec, Verlaine, Rimbaud,
Baudelaire, Oscar Wilde, Edgar Allan Poe,
Picasso ou Hemingway. Tous ces artistes étaient
SPIRITS
célébrés non seulement pour leur travail, mais
aussi pour leur train de vie outrageusement
bohémien. Certains versèrent même finalement
dans la folie, apportant ainsi de l’eau au moulin
des prohibitionnistes en quête de preuves de la
malfaisance de l’absinthe.
Le malentendu le plus tenace est qu’il s’agirait
d’une drogue, ou au moins d’une boisson
aux effets similaires, mais c’est une fable.
L’hystérie autour de l’absinthe au début du 20e
siècle lui a donné une réputation d’intoxicant
puissant qui rend fou. L’essence de la grande
absinthe, Artemisia absinthium, contient de
la thuyone, un terpène proche du menthol
connu pour ses vertus thérapeutiques et
restauratrices. Les doses de thuyone élevées
sont extrêmement toxiques, mais les absinthes
de qualité qui suivent les recettes historiques
ne contiennent que rarement plus de 10mg/l
de thuyone. Car, indépendamment de la
quantité de grande absinthe utilisée, très peu
de la thuyone présente dans les plantes passe
dans le distillat. La plupart des absinthes
modernes légales sont conformes aux
règlements européens concernant les limites
pour la thuyone dans les aliments et boissons.
Dans la seconde moitié du 19e siècle,
le vignoble français est en crise suite à
l’épidémie de phylloxera (1961) qui ravagea
les vignes. Sa replantation quasi complète prit
des dizaines d’années et entraîna une pénurie
de vin qui fit monter son prix. Au même
moment, l’absinthe se démocratise et devient
une alternative beaucoup moins chère: un
verre d’absinthe coûte alors sept fois moins
qu’un verre de vin! Lorsque la production de
vin reprend, les vignerons cherchèrent avant
tout à regagner les parts de marché perdues
et lancent une campagne de lobbying visant à
interdire les produits qu’ils prétendent “contre
nature” , tel que l’absinthe, en lui prêtant des
propriétés nocives dénommées « absinthisme
». Le slogan est clair: « Tous pour le vin,
contre l’absinthe ».
Aujourd’hui, il est clairement démontré que
les symptômes de l’absinthisme étaient dus
à l’alcool et à sa consommation excessive
(l’alcoolisme est en fort essor à l’époque),
et parfois aussi aux adultérants chimiques
très dangereux qui étaient utilisés dans les
absinthes de bas de gamme (antimoine,
sulfate de cuivre pour colorer). Quoi qu’il
en soit, les lobbyistes du vin et de la lutte
anti-alcoolique obtiennent gain de cause en
1915 (en 1910 en Suisse) et l’absinthe est
interdite aux Etats-unis et dans la plupart des
pays d’Europe, dont la France, la Hollande,
la Belgique, la Suisse et l’Autriche-Hongrie.
Curieusement, elle ne fut jamais interdite
au Royaume-Uni, ni en Europe du Sud et
de l’Est. Le renouveau date des années
1990, suite à l’adoption de nouvelles règles
européennes: la Suisse lève l’interdiction en
2004 et la France en 2011.
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Comment boire l’absinthe?
Toutes les vraies absinthes sont au moins
légèrement amères et sont donc le plus souvent
servies avec du sucre pour contrebalancer
cette amertume, mais aussi pour favoriser le
développement des parfums d’herbes et floraux.
Les puristes diront qu’une absinthe de grande
qualité n’a pas besoin de sucre. Philippe Martin
conseille de réserver cette pratique aux plus
amères, c’est-à-dire celles qui contiennent
beaucoup de grande absinthe.
Pour vous forger une opinion, commencez
par une dégustation sans sucre puis sucrez
progressivement jusqu’à obtenir l’équilibre
souhaité. Versez une mesure d’absinthe dans
un verre et placez 1/3 de sucre sur une cuillère
plate perforée reposant sur les bords du verre.
De l’eau glacée contenue dans une fontaine
à absinthe est ensuite versée très lentement
sur le sucre qui se dissout petit à petit, et
tombe goutte à goutte, troublant le liquide,
qui ’louche’ et tend vers un blanc opalescent.
On conseille d’ajouter autant de volumes d’eau
qu’il y a de dizaines de degrés d’alcool :
ajoutez donc 5 volumes d’eau pour une
absinthe titrant entre 50 et 59%, 6 pour une
absinthe entre 60 et 69%, etc.
Les cuillères à absinthe et les fontaines
sont des objets de collection très prisés,
il y en a des centaines de modèles. Le rituel
de l’absinthe est un moment magique.
SPIRITS
À défaut de fontaine ou de cuillère à absinthe,
vous pouvez faire fondre votre sucre sur une
fourchette, en l’imbibant de quelques gouttes
d’eau fraîche depuis un pichet, et en répétant
l’opération.
Absinthe et pastis, quelle différence ?
Le pastis affiche des ressemblances avec
l’absinthe, mais n’est pas, contrairement à
l’opinion établie, de l’absinthe sans grande
absinthe. Pastis signifie «mélange» en provençal,
le pastis est donc un mélange de produits
anisés. C’est l’interdiction de l’absinthe qui
est à l’origine des pastis (et des anis distillés),
sans cela, les pastis n’auraient probablement
pas vu le jour, du moins sous cette forme. Les
ingrédients principaux composant la base
de toute recette de pastis sont l’anis et les
extraits naturels issus du bois de réglisse,
mais également le fenouil et des ingrédients
supplémentaires tels que la cannelle, le poivre,
la sauge, ou encore la cardamome. Le pastis
affiche un degré d’alcool entre 40 et 45%
et contient beaucoup d’ingrédients qui ne
se retrouvent pas dans l’absinthe, et même
des épices peu usuelles : romarin, aspérule,
bourrache, serpolet, mélilot…
Traditionnellement, le pastis est fabriqué par
macération d’herbes dans un mélange d’alcool
mais cette opération peut être aussi suivie d’une
distillation partielle du macérat, le macérat et
le distillat étant ensuite assemblé. L’anéthol
apporté par les plantes anisées (fenouil, anis
vert, anis étoilé) est responsable du trouble du
pastis lors de l’ajout d’eau, car cette essence
est peu soluble dans l’eau.
Pastis et Pastis de Marseille diffèrent par leur
degré d’alcool (respectivement 40 et 45%
de titre alcoométrique minimal) et d’anéthol
(de 1,5-2 g/l et 2 g/l min.). La couleur du
pastis s’obtient traditionnellement par l’ajout de
réglisse et d’autres ingrédients naturels, tels que
le caramel, qui lui donne d’ailleurs un léger goût
sucré. Il existe également des pastis blancs pour
lesquels l’étape de coloration a été écartée, et
même des pastis bleus. Ces derniers obtiennent
leur couleur à partir d’un colorant alimentaire.
Les experts recommandent de diluer une dose
de pastis dans 5 volumes d’eau.
Les marques dites «commerciales» se sont
appropriées une part importante du marché du
pastis (Pernod 51, Ricard…), mais on constate
un développement du pastis haut de gamme,
seul segment des pastis qui connait une
croissance : Pastis d’Eyguebelle ou Pastis Henri
Bardouin, par exemple. Ce dernier est élaboré
à partir de plantes provençales et d’épices en
provenance du monde entier. Le produit est
bien équilibré et n’est pas dominé par l’anis et
la réglisse, deux ingrédients qui ont tendance à
anesthésier le palais.
Le pontarlier, les anisettes
et autres cousins du pastis
Il existe une multitude d’autres apéritifs anisés.
Cette dénomination regroupe les anisettes, les
autres liqueurs d’anis et le pontarlier. Les apéritifs
ESSENTIELLE
JUIN 16
SÉLECTION
D’ABSINTHES
ET DE PASTIS
1.
2.
Comité de dégustation :
Thierry Heins,
René Van Hoven,
Willem Huijsman,
Marc Vanel,
Dirk Rodriguez.
anisés se distinguent du pastis par leur recette
qui repose généralement sur une palette moins
diversifiée d’ingrédients, ce qui explique leur
couleur habituellement claire. Les anisettes sont
des liqueurs d’anis consommées particulièrement
sur le pourtour de la Méditerranée et surtout
en Italie, en Espagne, en Grèce, ou en France.
Contrairement à d’autres liqueurs anisées, elles
ne contiennent pas de réglisse, sont incolores
et sucrées. Elles titrent en général de 20° à 25°
d’alcool. On citera la Sambuca (Italie), l’Ouzo
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(Grèce) et l’anisette Marie Brizard.
Appartenant à la catégorie des apéritifs anisés,
le pontarlier est très particulier et désigne un
apéritif alcoolisé et anisé distillé dans la région
de Pontarlier en Franche-Comté. Il titre 45°
d’alcool (parfois 40°
pour le « Pont-doux ») et peut être sucré
(« Ponsec ») ou sans sucre (« à l’ancienne »).
Il a ainsi peu en commun avec la plupart des
autres apéritifs à base d’anis car il est produit
avec beaucoup moins de sucre et sans réglisse.
3.
SPIRITS
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1. Absinthe Verte - Vieux Pontarlier 65%
Les Fils d’Emile Pernot ****
Une absinthe d’une grande complexité,
qui ravira les amateurs. Le nez est gras,
exprime des notes de coriandre, de fenouil, de
mélisse, de cresson. C’est très long en bouche,
complexe, et équilibré. Notre préférée.
www.dewijinwinkel.be – 50 cl - PVC 57 €
5. Absinthe Verte Lemercier
Amer 72% ***
Nez très agréable, d’anis, de zeste de citron,
d’une grande fraicheur. La bouche est plaisante :
fenouil, anis, caramel, notes citronnées une
nouvelle fois, avec de l’amertume en finale.
www.lemercier.com - 70 cl - PVC 47 €
9. Absinthe Verte Absenthe 55% **
Nez assez discret pour cette absinthe très
facile à boire. La bouche est en effet douce,
vanillée, sur des notes d’anis, de fenouil, de
mélisse. Probablement moins recherchée
par les connaisseurs de l’absinthe, c’est une
bonne entrée en matière pour découvrir cette
catégorie.
www. cinoco.com – 70 cl – PVC 32.50 €
2. Pastis Henri Bardouin 45% ****
Nez de badiane, de clou de girofle, de réglisse,
de cardamone. En bouche, on retrouve ces
mêmes arômes auxquels s’ajoutent le poivre,
le caramel, le miel, avec de la fraicheur.
C’est très bon. Un produit qui devrait faire
l’unanimité chez les amateurs de pastis.
www.cinoco.com - 70 cl - PVC 25.90 €
6. Absinthe Verte Kubler Millésime 2014
72% ***
Nez complexe et riche, sur des notes herbacées
et d’anis, de coriandre, avec une pointe de
caramel et de vanille, d’acide lactique pour
cette absinthe millésimée. La bouche est très
marquée par l’amertume. Une absinthe qui
devrait se déguster en faisant couler lentement
l’eau de la fontaine sur un morceau de sucre.
www.blackmint.ch – 50 cl
10. Pontarlier sec Anis distillé 45%
Deniset-Klainquer **
Le nez est flatteur, d’une certaine complexité.
La bouche est douce, avec des notes d’anis,
de caramel, de vanille. Mais c’est un produit
monodimensionnel, qui manque de fraicheur,
un peu lourd.
www.dewijinwinkel.be - 50 cl - PVC 17 €
7. Absinthe Kubler Blanche 53% **
Un nez intense, complexe, de fenouil, d’anis, de
mélisse, de coriandre, d’une grande fraicheur.
En bouche, un côté sec avec une belle
amertume mais on perd un peu en complexité
par rapport au nez. Finale sur une note un
peu terreuse.
www.dewijinwinkel.be – 50 cl - PVC 39,50 €
11. Pastis Bleu « Blue Roy » 45% Devoille **
Son originalité est sa couleur déroutante.
Un pastis traditionnel qu’on réservera à la
préparation des cocktails pour sa couleur bleue.
www.devoille.com - 70 cl - PVC 15€
3. Absinthe Verte Dr. Clyde 50% ***
Une absinthe belge, qui a plu à l’ensemble de
la commission. Le nez est complexe, sur l’anis,
la menthe, le bâton de réglisse. En bouche, on
découvre des notes de bâton de réglisse, d’anis,
des notes salées mais c’est moins complexe
que le nez. Belle amertume sur une fin de
bouche longue.
www.lesvinsbelges.be - 50 cl – PVC 38 €
4. Absinthe Verte du Centenaire 68%
Miscault-Devoille ***
Le nez est floral et végétal, d’anis vert, de
fenouil, de menthe, d’herbe fraichement coupée,
de mousse, d’amande, de vanille. La bouche est
douce et fraiche, avec une amertume présente
tout du long.
www.devoille.com - 70 cl – PVC 49€
8. Fée Verte Celle à Guilloud
Val de Travers 54% **
Un nez élégant dans lequel domine
l’anis vert. Douceur et fruité en bouche,
on aimerait un peu plus de structure.
www.absinthecelleaguilloud.ch – 50 cl
Où déguster des absinthes ?
Floris Bar à Bruxelles :
> www.floris-bar.be
Greenlab à Bruxelles :
> www.greenlab.bar
Absinthbar à Anvers :
> www.brasserieappelmans.be
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