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thibaut binard diagonal doce poèmes Clepsydre ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE Diagonal doce.indd 5 06/11/2015 12:54:49 Cioran : « le Réel me donne de l’asthme. » Diagonal doce.p65 9 04/10/07, 09:42 Diagonal doce.p65 10 04/10/07, 09:42 LA FANFARE DES AMIBES Diagonal doce.p65 11 04/10/07, 09:42 Diagonal doce.p65 12 04/10/07, 09:42 Danse de phalanges Ma truite Mon huître Mon uppercut Mon otarie En ligne droite et en slalom Je te vénère par tendres Chuchotis Les trompettes se cassent en te laissant passer. Mon petit faon lubrique Mon « déjà-là » aux yeux verts et au si beau cul Souffle sur la bougie De mon ironie Ma claque Mon lapin bondissant Mes lunettes magiques Je te lèche tout entière et tu n’es pas en sucre Pas en miel Pas en vin Tu es un timbre sur mon timbre et nous découvrons ton adresse. L’étau de l’angoisse opère en abricot. 13 Diagonal doce.p65 13 04/10/07, 09:42 Quand elle me regarde de haut, elle est arabe, mage, hiéroglyphes d’ébène sur poing soufflé. Sourcils. Pupilles. Cils. Caractère de pinceau sur soupir blanc. Quand elle me regarde de bas, elle est commerçante, espagnole, canaille, Un élan vert protégé par un chignon à l’encre de Chine. Sa chevelure broussailleuse révèle tous les ordres mais un à la fois. Je tourne la tête et elle n’est plus la même ou l’est devenue à nouveau. Elle se tisse, se bricole en un rien de temps. Elle constitue et ce faisant restitue à une sorte d’image idéale de la beauté, d’image idéale de la femme, d’image idéale du désir, d’une image pour rien au monde idéale. Mon souffle tournoie autour de son philtre. Sa polyphonie me suffoque 14 Diagonal doce.p65 14 04/10/07, 09:42 Mes mains n’étaient plus des serres, des ergots Et ce n’étaient pas des reptiles, des fanions inquiétants, ni des seringues, des monocles sur ma nuque, Sur mes lèvres. Partout – dans tous les mots, des petits doigts défaisaient les nœuds, les coiffaient de plumes, les peignaient et construisaient avec leurs cheveux des petits ponts, des gondoles, des balançoires et le langage tremblait sur ses assises, était ébranlé, fermait enfin sa gueule. Un infinitif fusait parfois entre la fontaine de nos bouches ; j’ouvrais les portières pour le voir partir du coin de l’œil ; je lui aurais bien craché à la face. Nous nous cherchions les os avec des gants d’autruche. 15 Diagonal doce.p65 15 04/10/07, 09:42 Il y avait la drogue et puis il y a eu le café. Celui-ci a formé une nappe de mercure pour recouvrir le premier élément et de l’extermination volontaire le monde passa soudain à travers des nerfs liés l’un à l’autre et formant des arcs qui fusaient et sympathisaient. Alors, la vie est devenue plus compacte, plus tendue, plus contact. Alors la vie est passée de la dilatation spleenesque sweet weed à la puissance ascensionnelle du cafesito del amor. Cette densification eut une conséquence drastique sur le temps : celui-ci était devenu plus court. Pour continuer la métaphore spatiale, le temps avait pris la forme d’une fibrille et cette fibrille, pourrait-on dire, constituait le sens d’une vie, romantiquement et éternellement parlant, et l’index de cette notion ne comprenait plus les mots « relativisme », « apprentissage par la lecture », « dogmes et ontologies ». L’agression était agression du bon goût, de la norme, de la face maussade de notre feuille hivernale ; elle était une férocité hilare et échaudée. Le jus d’une orange enamourée par le soleil aspergeait alors les gencives. Le café va très bien avec les cigarettes, le baiser aussi, et tandis que s’allumaient et que se consumaient les cigarettes, deux impératifs jouaient entre eux et se poursuivaient sans rire. Tu dois. Tu peux. Tu peux faire cela avec moi. C’est comme ça. C’est bien comme ça. Oui. Je peux t’assurer que nous sommes dans 16 Diagonal doce.p65 16 04/10/07, 09:42 la bonne direction. Ça se précipite. Oui, tu dois faire comme cela. La découverte d’une telle conjonction est déroutante pour celui qui pense et se ravit de pouvoir conserver dans sa petite librairie personnelle les acquis de tous les ouvrages que celle-ci a accueillis ; elle lui fait dire « Dis donc, mec, est-ce que tu te rends compte que tu es dépendant, possédé, est-ce que tu réalises que tu dois ? ». « Quelque chose. » « Au café. » Ce que l’on doit est difficile à saisir : à proprement parler, s’agit-il d’une chose, d’un sentiment ou d’un état de forme ? On en connaît bon nombre qui ont congédié le café de leurs mœurs ; ils ont par la même occasion laissé tomber des petits plaisirs comme la femme accrochée à l’anse de la tasse, le lit sur lequel cette tasse trouvait, aussi inconfortable fût-elle, une place, les nuits blanches accompagnées, etc. Ils sont retournés à la drum ’n bass. Ou au yoga. Ou à l’étude. Quant à moi, je suis resté encore un moment à profiter de la décision. 17 Diagonal doce.p65 17 04/10/07, 09:42 L’Argentine aspire son maté Et la terre, la paille, Et les débris secs des générations Se muent en sève incandescente. Ce sont des Siciliens Perchés sur des bateaux Qui infiltrent des chants Et leurs révolutions, qui brassent avec leurs bras Tendus haut Le magma De leur passion latine Allongée sur une nouvelle île. Triangle, terre plate où de l’autre côté, Fermente le maté Aspiré par une Argentine. 18 Diagonal doce.p65 18 04/10/07, 09:42 Leur hanche tournicote. Des lèvres lippues, traversées de canaux d’encre, gorgées de sang noir, de plancher, de poussière et de sueur, embrassent la joue de l’enfant. Elles poussent un long rire, qui se répercute sur les vieilles statues et les armoires vétustes, un rire de femme à barbe, dégustent d’un doigt une décoction au miel, sur leurs hauts talons et, soudain, sont hideuses, germent de toutes parts, tendent au ciel leurs arêtes dantesques, gémissent et noient le soleil de leurs yeux glauques. D’un coup de cul, elles sont par terre et grignotent le regard avec leur face immortelle. Tragiques, pleines de plis, elles se relèvent et interrompent le Temps en quelques attitudes. Pause. Femme grasse au vestiaire. Copinage de bourrelets. Le bestiaire est lancé dans des cris d’animaux. De l’or dans les cheveux, elles s’épouillent en silence puis se flattent tendrement. Le travail recommence et les fait picorées de dards et de venin. Une main sur la lune, l’autre dans un théâtre, inlassablement, comme un animal préféré, elles épousent la qualité qu’on leur prête avant d’ôter le masque et de vivre à moitié. 19 Diagonal doce.p65 19 04/10/07, 09:42 Ouvrage publié avec le concours de la Communauté française de Belgique. © SNELA La Différence, 30 rue Ramponeau, 75020 Paris, 2008. Diagonal doce.p65 4 04/10/07, 09:42