Qu`est ce qui fait événement
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Qu`est ce qui fait événement
Qu’est-ce qu’un événement ? Qu’est ce qui fait événement ? Qu’est-ce qui fait l’événement, mais aussi et encore : qu’est ( ce qui vient faire ) l’être de l’événement ? L’ébauche d’une réponse à cette singulière batterie de questions sera dans les lignes qui suivent seulement esquissée ; et cette ébauche de réponse ne manquera pas pas, nous le craignons, de décevoir les amateurs des théories philosophiques dernièrement en vogue. Il s’agira donc certainement d’une ébauche de réponse fort peu événementielle. A ce titre, elle risque de ne pas faire date. La raison en est simple : l’ébauche de réponse ici proposée paraîtra sans doute trop moderne. Mais dire qu’elle est trop moderne ne signifie pas qu’elle pèche par excès d’avance sur son temps ! Au contraire : ce qui est moderne est pour nous dépassé. L’ère de la modernité n’est plus, nous ne sommes plus modernes ( ce qui ne veut pas dire que nous ne l’ayons jamais été ). Soutenir que notre réponse à la question de l’événement est trop moderne revient ainsi à dire qu’elle est trop peu récente : loin que notre réponse ne puisse pas encore être bien comprise tant elle est en avance sur son temps, elle ne peut sans doute plus faire événement, car elle est en retard. Intempestive, inactuelle, elle ne peut faire date : déjà, elle est datée. Mais après tout, nous ne serons pas les premiers à rédiger quelques brèves considérations intempestives abordant la question de l’historicité. Nous emprunterons donc le parapluie d’un autre pour faire rempart contre les quolibets : tant pis si l’ébauche de réponse à la question de l’événement que nous proposerons ici semble aux post-modernes outrageusement moderne, donc potentiellement rétrograde, ancienne et dépassée. Il est temps, cependant, d’ébaucher notre esquisse de réponse, dût-elle déjà dater. Qu’est ce qui fait événement ? — Ce qui vient à s’inscrire sur les registres de l’Histoire. Définition archi-moderne — comprendre : archi-traditionnelle, archi-classique, voire singulièrement antiquisante en certains de ses relents. Soutenir que l’événement est ce qui vient s’inscrire sur les registres de l’Histoire, c'est pour nous autres post-modernes vivre après son temps ; cela implique en effet d’encore croire à l’Histoire, donc d’être pré-post-historique. Mais qu’importent les quolibets de ceux qui vivent après l’Histoire. Intempestifs, nous avons notre parapluie pour nous garder de leurs tempêtes. Et à vrai dire, nous pourrions adroitement adresser en retour à ceux qui nous adressent de tels quolibets quelques légères pointes sarcastiques : eux qui se disent et pensent venir après l’Histoire ne sont-ils pas, autant sinon plus que nous (qui semblons à leurs yeux parler en termes obsolètes), dépositaires d’un héritage pluriséculaires ; portés à reprendre à leur compte les plus triviaux des lieux communs de la pensée traditionnelle ; enclins à s’emparer de la moins originale et de la plus répandue des idées qui régnent de longue date sur le ponant des terres eurasiennes ? Ne sont-ils pas les derniers-nés d’une tradition des plus conservatrices, derniers surgeons de la plus sèche des vieilles branche, bref, des vieux-de-la-vieille reprenant à leur propre compte une idée lointaine longtemps chère aux moralistes de Rome, à savoir : qu’ils sont des tard-venus !? Ainsi, ceux qui se disent et croient venus après l’Histoire ne font sans le savoir que reprendre (ut cursores qui….) le fumeux flambeaux des Romains et les maximes âpres du mos majorum, le nihilisme en plus. Aussi pourrait-ce bien être eux, et pas nous, qui manquent leur coche, ne se rendent pas compte que leur page est tournée, qu’ils n’y sont plus, et que peutêtre ils n’y ont jamais été, car : fût-il post-moderne, nul ne peut prétendre être post-historique, sauf à antiquiser ! L’ère d’un certain nihilisme d’après-l’histoire doit donc se clore : jamais plus nous serons post-modernes comme avant. Reprenons donc, sans plus avoir crainte d’être contemptés. Qu’est ce qui fait événement ? Ce qui vient à s’inscrire sur les registres de l’Histoire. Notre réponse est sans nul doute outrageusement moderne. Cependant, du fait que nous vivons en une époque qui ne l’est plus guère, mais qui en revanche aime à déconstruire les histoires que se racontaient les époques passées, nous ne pouvons plus ignorer que l’Histoire (la grande : celle que les modernes en-registrent et aiment à archiver en lieu et place de mythes, contes, légendes et autres généalogies totémiques) n’est jamais qu’une histoire : une histoire plus grande que les petites que l’on se raconte, une histoire qui se distingue des mythes, contes, légendes, généalogies et autres épopées, mais une histoire tout de même. . L’Histoire est donc nécessairement dite, voire écrite ; faite pour être lue ou racontée. Elle n’est rien si elle n’est mise en mot ; ou pour mieux dire, l’Histoire est mise en mot ! Elle est un processus de narrativisation, consiste dans en un grand récit. Quand à l’événement historique, il est précisément ce qui est mis en mots, ce qui est narrativisé. Il n’est rien sans l’Histoire qui le raconte, et qu’en retour il constitue : il n’y a donc pas d’événement historique qui ne soit gravé dans le marbre, n’entre dans les registres des chroniqueurs ou ne soit scrupuleusement anoté, mineutieusement étiqueté, patiemment archivé. Ainsi, l’événement ne vient à l’être que du fait de sa mise en mot, qui le répète et en le répétant lui permet de ne pas sombrer dans la nuit des temps-qui-passent. L’être de l’événement n’est donc pas ce qu’il est, mais les mots qui le disent et les paroles qui le racontent. Sans les mots qui le disent, sans les paroles qui le racontent, l’événement n’est rien qu’une chose qui s’est passée, est passée, s’est perdu. Ne s’est pas inscrit dans l’Histoire. Par conséquent, rien ne serait plus faux que de croire que de notre point de vue, il ne se passe rien si rien n’est écrit sur les tablettes des historiens. C'est au contraire lorsque rien n’est inscrit sur les tablettes des historiens qu’il se passe des choses. Il se passe des choses, et ces choses (se) passent, parfois non sans heurts et fracas. Mais, ces choses qui (se) passent et se passent d’être écrites, narrées, racontées, jamais ne constituent d’histoire, jamais ne font événements ! Elles demeurent muettes ; (se) sont passées, parfois non sans mal, mais leur être-passé signifie leur irrémédiable effacement. Leur oubli. Leur ob-littération.1 . Reprenant à notre compte une vieille idée moderne, nous pouvons ajouter qu’une variante de l’oubli de l’Histoire, c'est l’Histoire devenue folle. Mais si, dans l’oubli de l’Histoire ce-quise-passe ne peut faire sens pour cause d’effacement radical (perte brute, sans reste ni retour) lorsque l’Histoire devient folle, au contraire, ce-qui-se-passe ne peut faire sens car le chaos l’emporte sur l’ordre : l’Histoire devenue folle ne peut faire récit, elle demeure indiciblement chaotique ou (mutatis mutandis) chaotiquement indicible2. Faute de pouvoir, en se disant, se conjuguer au passé, ce-qui-s’y-est-passé devra être mis au passif de ceux qui ont vécu3. L’oubli de l’Histoire et l’Histoire devenue folle sont ainsi deux écueils qui pour les modernes menacent constamment ce-qui-se-passe de ne pouvoir faire événement (i.e. être mis en mots, changé en récit, participer de la grande Histoire). En effet, l’oubli oblitère, efface et réduit ce-qui-s’est-passé à néant ; quant à la la folie, elle demeure sans voix face à l’indicible chaos des temps. 1 Effacement, oubli, oblitération. Trois termes approximatifs, mais aussi peu inadéquats l’un que l’autre, pour traduire le vieil oblitus latin. 2 C'est de ceci que témoignent avant l’heure les quelques parole de Macbeth, qui dans son égarement a le temps de monologuer : Life [ … ] is a tale told by an idiot, full of sound of fury, signifying nothing. 3 Au sujet des liens entre folie et perte de la faculté de donner sens à l’histoire, on me pardonnera je l’espère, de renvoyer au texte Histoires de Fou s. Nous sommes désormais en mesure de comprendre que, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, plus il se passe de choses moins les chances sont grandes que ces choses fassent événement. La raison en est simple : plus de choses se passent, moins d’événements s’écrivent. Plus il arrive, plus il s’oublie, s’efface, s’oblitère ; et lorsque le rythme s’accélère, les récits ou les schèmes d’intelligibilité manquent pour porter l’événement à l’être : l’indicible chaos et l’oubli sans paroles l’emportent sur l’Histoire et son grand récit. En l’absence d’événements (i.e. de mise en mot de ce qui se passe) pour signifier ruptures et brèches dans le flux des temps, en scander la cadence, en diviser puis en réorganiser, sur le mode discursif, le continuum, ne demeure qu’une masse homogène, indifférenciée, de durée où ce qui se passe (sans cesse) ne peut aucunement être distingué de ce qui vient de passer (trop vite) et de ce qui va suivre (immédiatement). Alors, l’absolument-rapide ne se distingue plus de l’absolument-lent : à l’extrêmité de la flèche du temps, le temps ne passe pas, il fuse… mais ce faisant, semble stagner. Tout se fond en effet dans une masse indistincte : plus ce qui se passe fuse, moins les limites sont nettes. Les lignes de fracture deviennent invisibles. Nulle histoire ne peut plus venir s’articuler — aucun récits ne se découpe, nul événement ne se distingue. Ne reste qu’un tourbillon où viennent s’engouffrer ce qui s’est passé, ce qui se passe, et ce qui suit. Or, du point de vue pré-post-moderne, ce qui vaut pour la grande Histoire vaut également pour la petite histoire de chacun : celle que l’on nomme à juste titre sa biographie. En effet, selon la conception pré-post-moderne de l’existence4, n’est susceptible de venir faire événement, au cours dans la vie d’un membre de l’espèce humaine, que ce qui vient à s’inscrire sur les registres de son histoire ; ce qui contribue à écrire sa biographie. Ce qui vient articuler, désarticuler ou réarticuler, le texte qui le porte et qu’il porte en lui. . Nous en pouvons conclure que d’un point de vue pré-post-moderne, l’être d’un événement bio-graphique n’est pas ce qui est venu faire événement parce que c’est arrivé à quelqu’un en particulier, mais d’une part les paroles prononcées par cette personne au moment où ça lui arrive, d’autre part les mots pour le raconter : l’événement est donc constitué aussi bien de paroles prononcées à l’instant où quelque chose arrive à quelqu’un, que des mots auxquels cette personne peut ensuite avoir recours à dessein de parler de ce qui lui est arrivé. Mais alors : quand l’événement naît-il ? Certes pas lorsque quelque chose (se) passe, ni non plus lorsque quelque chose arrive. Et ce n’est pas même lorsque quelque chose arrive à quelqu’un que cela vient faire événement pour cette personne : l’événement ne naît que lorsque quelque chose est arrivé à quelqu’un. L’expression est loin d’être anodine, aussi nous faut-il l’étudier plus avant. Nous essaierons de le faire en trois temps. . 4 Nous aurions aussi bien pu dire : selon la conception pré-post-moderne de la vie humaine, le terme de vie ne devant pas être pris en son acception biologique (la vie-Ζωη des Grecs) mais en son acception spécifiquement humaine (la vie-βιος, qui permet de parler de Vie des Hommes Illustres.) 1/ Commençons par bref un retour en arrière et rappelons que, pour la grande Histoire, ce qui est susceptible de faire événement, c’est ce qui se passe. L’événement est donc ce qui s’est passé. Quant à l’être de l’événement historique, ce sont les mots pour le raconter. . Nous pourrions aussi bien écrire que dans la grande Histoire, ce qui est susceptible de faire événement, c’est ce qui arrive : l’événement est donc ce qui est arrivé. Quant à l’être de l’événement, ce sont les mots pour dire ce qui est arrivé. Nous pouvons le constater : l’Histoire est impersonnelle, ou du moins se prétend telle. Même lorsqu’y sont narrés les hauts faits d’un grand homme, elle est écrite de sorte à donner l’illusion qu’elle n’est pas arrivée à quelqu’un en particulier ou à un ensemble d’individus en général. D’emblée, elle universalise. . La grande Histoire crée ainsi un faux-semblant d’objectivité : les événements historiques ne doivent sembler (d)écrits par et pour personne. Ces événements arrivent et se passent de façon linéaire, selon un schème causal monodirectionnel. Leur cadre paraît neutre : ils ont lieu dans un espace-temps parfaitement unifié, homogénéisé. Il n’y a par conséquent qu’une seule Histoire oficielle, de même qu’il n’y a qu’un espacetemps : aux formes pures de l’expérience kantienne répond la forme narrative de l’Histoire universelle. En réalité, les événements de la grande Histoire arrivent chaque fois à quelqu’un : il n’y a d’événement historique que si des sujets humains1 sont concernés. Par conséquent, l’Histoire ne peut être parfaitement objective : pour être écrits, (fût-ce par un autre, bien des siècles plus tard) ses événement ont dû en premier lieu être vécus, éprouvés, valorisés. C'est la raison pour laquelle nous ne disons pas de l’extinction des dinosaures qu’elle fut un événement (ou, si nous le faisons, il s’agit soit d’une métaphore, soit d’une imputation de subjectivité) De ceci, nous pouvons conclure que les événements de la grande Histoire arrivent toujours à quelqu’un, mais que la grande Histoire a besoin de faire comme si elle n’arrivait à personne. La grande Histoire a besoin de prétendre qu’elle est universelle, objective, impersonnelle et neutre — elle est écrite en fonction de cette exigence première. 2/ Dans la petite histoire d’un individu (aussi nommée biographie) et par opposition à la grande Histoire de tous et de chacun, ce qui peut venir faire événement, c’est explicitement ce qui est arrivé1 à cet individu. Constatons d’emblée que ce qui est arrivé à quelqu’un s’oppose à ce que cette personne a fait. En d’autres termes : les actions d’un sujet humain ne sont pas des événements pour lui, ni ne sont susceptibles de faire événement dans sa biographie. L’événement n’est pas ce dont le sujet est maître, il n’est pas ce qu’il fait ou a fait à sa guise. En revanche, ce qui au cours de l’existence d’un sujet humain est venu faire événement paraît souvent lui être étrangement destiné. Il n’a rien pu y faire : ça lui est arrivé… Rétrospectivement, il semblera donc au sujet en question que cela ne pouvait pas ne pas lui arriver : dans l’après-coup (le Nachtrag), ce qui arrive à quelqu’un semble avoir toujours dû lui arriver. S’étant à jamais inscrit dans le texte de sa biographie, ce qui est venu faire événement a en effet pris sens : ce qui est arrivé à un sujet semble rétrospectivement n’être pas seulement arrivé à lui, mais aussi et surtout pour lui… Par illusion rétrospective, l’événement des pré-postmoderne semble ainsi avoir toujours été destiné-à-arriver au sujet à qui il arrive. Il vient parfois, dans l’après-coup, clore le sens d’une vie ; et même lorsqu’il n’en clôt pas le sens, toujours il vient lui prêter sens, permettre sa mise en récit, préparer sa narration ; servir de pré-texte à une bio-graphie ; donner du grain à moudre au labeur consciencieux ou au travail inconscient de systématisation du sens. La prise en compte de l’événement est par conséquent indispensable à l’élaboration d’une histoire personnelles qui se donne comme la chronique ordonnée d’une vie, comme le roman d’une existence, voire comme un mythe individuel. 3 / Il est peu étonnant que dans un tel cadre de pensée, l’événement par excellence consiste en l’arrivée d’une lettre. L’arrivée d’une lettre vient en effet d’autant plus facilement s’inscrire comme jalon d’une vie destinée à se raconter qu’une lettre fait toujours-déjà sens dans l’horizon d’attente d’un sujet dont l’existence est conçue comme tissu de paroles. Il importe cependant d’introduire une distinction entre l’arrivée d’une lettre (i.e. d’un écrit susceptible de faire événement) et la réception d’un message (le plus souvent par voie orale5 ) qui pour sa part est susceptible de faire avènement. . Par réception d’un message, nous entendons désigner ce que d’autres nomment révélation. Révélation d’un sens qui dans l’après-coup semble avoir toujours dû ( en fin de compte ) se dévoiler comme se dévoile le fin mot d’une énigme ou la teneur d’un oracle équivoque. Révélation qui d’autre part semble ne s’adresser qu’à celui qui l’a reçue, mais s’adresser à lui avec une force si impérieuse qu’il ne peut passer outre, se trouve comme sommé de répondre. & . La réception d’un message à portée révélatrice tient lieu de convocation par quelqu’Instance obscure6 . Elle est donc vectrice non tant de destin à que de mission. — — Le destin est ce qui arrive à un sujet sur le mode événementiel et semble dans l’aprèscoup avoir toujours dû lui arriver, car cela vient faire sens dans le texte de sa bio-graphie. — — La mission, au contraire, est ce que le sujet se voit sommé de réaliser lorsqu’il se trouve mandaté par quelqu’Instance obscure qui lui envoie un message résonnant à ses oreille comme annonce et promesse d’un avènement prochain. — — — — Ainsi, si le message annonciateur d’un avènement futur emprunte le plus souvent la voie orale, c'est qu’il doit être perçu comme Appel et Vocation7. Par sa réception, le sujet se trouve mandaté, c’est-à-dire sommé de réaliser une mission. Fût-ce au péril de sa vie. Quant au porteur du message, nous le nommerons ici : Instance d’Annonciation. Comme son nom l’indique, c'est lui qui s’acquitte de la tâche de faire parvenir le message à destination. Ou pour mieux dire : c'est grâce à lui que le message parvient effectivement à destination, d’une manière ou d’une autre ! En effet, il importe peu que le porteur du message s’acquitte de sa tâche de façon involontaire, inconsciente, sans en avoir l’air, ou sans le savoir. Qu’il se soit consciencieusement acquitté de sa tâche, ou qu’il ait été parfaitement ignorant du rôle qu’il est venu à endosser, il sera toujours, en définitive, mis en position d’Instance d’Annonciation par celui qui reçoit son message et le prend comme Révélation. ` 5 La voie orale, ou la voix orale ? Il faudrait pouvoir développer ce point plus avant. Car si la voix orale demeure malaisément articulable, la voie orale de son côté n’est pas aisément discernable : la voie orale est en effet un chemin hybride, mixte — plutôt biface que bifide. Ce chemin se maintient, aussi loin qu’il aille, à la croisée du phonique et de l’acoustique ; commence aux lèvres d’une bouche-qui-parle, mène au tympan d’une oreille-pour-entendre. . . Une voix le parcourt : y vibre donc l’écho de cet étrange objet sonore (nommée φονη par Aristote) qui peut se définir comme vibration singulière porteuse de pur affect. 6 7 Dieu, l’Etre de l’Etant, ou quelque Grand Autre que ce soit… Appel de l’Etre, diront les uns. Vocation qui porte à Beruf, diront d’autres. En définitive, les uns et les autres ne manqueront pas de s’entendre, sinon sur la forme, du moins sur le fond. Car Appel, Vocation, Beruf sont parfaitement synonymes : l’Appel de l’Etre est Vocation par l’Autre qui entraîne à la fois un devoir-répondre, un devoir-faire, un devoir-suivre, et un devoir-servir. La mission consiste par con-séquent à la fois à répondre, faire, suivre, et servir : tu es celui qui me suivra rime et raisonne avec tu es celui qui servira, le Beruf se conjugue au Gottesdienst. Nous sommes maintenant en mesure de comprendre d’une part en quoi consiste, d’un point de vue pré-post-moderne, un événement ( qu’il s’agisse d’un événement historique, ou d’un événement bio-graphique ) d’autre part que l’événement, d’un point de vue pré-postmoderne, ne saurait être adéquatement défini qu’en son opposition d’avec l’avènement. L’événement est ce qui arrive à quelqu’un, sans que cette personne se voie pour autant sommée d’accomplir une mission en retour : l’événement ne modifie pas la perception individuelle ou collective de la temporalité de sorte à l’orienter vers un point de visée futur. En revanche, l’événement n’est digne de porter son nom que s’il est à l’origine d’un processus d’interprétation rétrospective du passé. En retour, c'est ce même processus discursif qui porte véritablement l’événement à l’être. L’événement fait donc plus que contribuer au procès d’écriture d’une petite biographie, ou de la grande Histoire : il les constitue, et les sollicite. Il exige re-lecture d’un passé qui sans lui aurait certainement dû être mis au passif du sujet ou du groupe de sujets concernés ; a besoin qu’un tel processus soit mis en œuvre, sans quoi il ne serait rien. C'est donc par l’intermédiaire du processus de mise en mots du passé qu’il sollicite que l’événement est susceptible de devenir, dans l’après-coup, ce qui vient clore un sens. La réception d’un message à portée révélatrice ne vient au contraire jamais clore un sens, ni n’est susceptible de le faire : un tel message demande bien plutôt la réalisation du sens qu’il révèle. Il porte vers l’avenir. Fait figure de prophétie, d’annonciation. Oriente vers un avènement d’ordre messianique — de sorte que la dialectique du message et de la mission, de la révélation, de l’annonce et du mandat, constitue un schème de pensée propre à séduire les esprits religieux et autres fervents zélateurs d’escatologies de tous bords. Le caractère escatologique, voire messianique, de la dialectique du message et de la mission, de l’annonce et du mandat, explique que tout le monde attende toujours un avènement — tandis que jamais personne ne peut attendre un événement. La communauté des croyants en attente d’un avènement doit en effet nécessairement se penser sur le mode de l’universel. Les croyants et autres zélateurs ont chaque fois besoin de prétendre que ceux qui ne se disent pas concernés sont impies, ignares, mécréants. En d’autres termes : l’avènement, c'est ce que tout le monde attend, ou doit attendre (eût égard à ceux qui y croient). Mais nul ne peut (s’)attendre (à) un événement. L’événement n’est historique que dans la mesure où il n’a pas été annoncé, ni attendu. C'est la raison pour laquelle l’événement n’est pas religieux : il ne met pas en jeu les mécanismes de l’attente (fidèle), n’a pas besoin que l’on croie en lui pour qu’il arrive. Un événement auquel il faudrait s’attendre, ou qu’il faudrait attendre, auquel il faudrait croire, serait un avènement, l’attente trahissant le fait qu’il y a antéreurement eu effet d’annonce prophétique, messianique, escatologique. Concluons que si nul événement ne peut faire figure d’avènement, il n’en reste pas moins que certains avènement attendus de longue date puissent devenir des événements : il suffit pour ce faire que l’avènement tant attendu ne se soit pas déroulé tout à fait comme prévu… et qu’il force à réviser les pronostics ; ce qui est sans doute la meilleure des choses qui puissent arrriver ! Car il n’y a certainement rien de plus triste que les avènements qui remplissent les attentes, réalisent leurs missions et satisfont les espérances…