la fédération de la montagne et de l`escalade assume ses

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la fédération de la montagne et de l`escalade assume ses
ENTRE RÈGLES DE SÉCURITÉ ET LIBRE ARBITRE
Flirter avec les limites
Celui qui entre sur un terrain de sport risque la blessure.
Quelques uns mettent aussi en jeu leur vie dans les sports de vitesse
et les sports de nature. Car le risque fait partie du sport.
Jusqu’à un certain degré.
Mais le risque, en sport, va parfois jusqu’à la
mise en danger de sa propre vie. Cela ne
concerne qu’une infime minorité de pratiquants, mais c’est ce risque-là qui frappe
l’imaginaire collectif, sans doute parce qu’il
pose la question des limites, physiques et
psychologiques, que l’homme s’évertue à
repousser. C’est vrai dans les sports de vitesse
comme le ski de descente et, a fortiori, dans
l’exercice plus confidentiel du kilomètre
lancé. Cela l’est encore plus en sport auto ou
moto, où vient encore s’ajouter la variable
du problème mécanique. Cela l’est enfin dans
les disciplines où l’homme se mesure à la
nature (et à lui-même), acceptant d’emblée
de ne pas maîtriser certains paramètres. Les grands alpinistes sont
parfaitement conscients des risques
qu’ils prennent. Quant à la fascination exercée sur le grand public
par les courses transatlantiques
Afin que les questions juridiques ne nuisent pas à l’accès libre et gratuit des sites, la Fédération francomme le Vendée Globe, elle tient
çaise de la montagne et de l’escalade (FFME) a mis en place un système de gestion contractuelle des
aussi au fait que, parfois, on n’en
revient pas. Là, il n’est plus quessites. «Pour l’escalade et l’alpinisme, nous avons passé environ 900 conventions avec les propriétaires
tion de statistiques ni de pratique
de terrains, explique Alain Renaud, DTN adjoint en charge des affaires juridiques. Ceux-ci sont dégaquotidienne, mais d’aventuriers aux
gés de toute responsabilité car nous couvrons leur responsabilité civile, ce qui signifie que même si un
exploits hors normes.
non-licencié se blesse, il est pris en charge (1). Et, en cas d’arrêté d’interdiction que nous estimons abuDES SPORTS EXTRÊMES
sif, nous rencontrons la collectivité locale concernée afin de trouver une solution.» Un tel fonctionneAUX SPORTS DE NATURE
ment implique une vigilance de tous les instants, avec un système d’alerte au niveau des comités
Ce goût du risque n’est-il toutefois pas
départementaux, des correspondants locaux qui signalent les éventuels problèmes et un répertoire
en train de se généraliser? Il n’est
des sites régulièrement actualisé sur l’intranet de la FFME. Ce système s’accompagne d’un système
qu’à voir la vogue des pratiques dites
«extrêmes» comme le freeride – ce ski
de «passeport» (avec dix niveaux semblables aux ceintures utilisées en judo) sensé responsabilihors piste où les pentes à 60° et les
ser l’escaladeur, et d’une progression dans la difficulté des sites: espaces «découverte» pour les débusauts de barres rocheuses font montants, «sites sportifs» aménagés, et enfin des terrains d’aventures quasi-vierges pour les grimpeurs
ter l’adrénaline – ou, à un degré
confirmés. Résultat: seulement 400 accidents recensés par an pour 60000 adhérents.
moindre, du base-jump – variante du
parachutisme où l’on saute du haut
(1) La Fédération française de vol libre (deltaplane, parapente) procède de la même manière.
d’une falaise ou d’un immeuble. Plus
n sport, le risque est d’abord statistique : chutes pour les cyclistes,
entorses de la cheville pour les footballeurs, du genou pour les rugbymen
et les skieurs, doigts retournés, luxations et fractures diverses, etc. Tout pratiquant
sportif, professionnel ou amateur, sait qu’il
risque la blessure. Avec 14% des accidents corporels (source Caisse nationale de l'assurance
maladie des travailleurs salariés), le sport est
même la deuxième cause des accidents de la vie
courante. On relèvera aussi que la fréquence de
ces blessures est la plus haute entre 17 et 34
ans, notamment auprès de la population masculine, de loin la plus exposée avec 17 accidents
E
par an pour 1000 personnes contre seulement
5 pour 1000 chez les femmes: un phénomène
qui s’explique en partie par le fait que plus de
la moitié de ces accidents concernent les sports
de ballon, majoritairement pratiqués par des
hommes (football puis, par ordre décroissant,
handball, volley, basket et rugby). Viennent
ensuite – quels que soient l’âge ou le sexe – le
ski, le cyclisme et les sports de contact. Le
sport n’est donc pas seulement synonyme de
détente et de bien-être ! Mais ce risque est
accepté, mesuré: on est là dans le domaine du
très banal. Après tout, on peut aussi se casser
la jambe en glissant bêtement sur un trottoir
mouillé…
LA FÉDÉRATION DE LA MONTAGNE ET DE L’ESCALADE
ASSUME SES RESPONSABILITÉS
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Novembre 2006
en jeu une autre idée du sport n°402
Fablet / Presse Sports
Sport et risque : les liaisons dangereuses
Essais du Grand Prix
d’Australie 2001 : sortie
de route pour la Ferrari
de Michael Schumacher.
largement, dans la plupart des sports de glisse
(surf, kite-surf, BMX, VTT de descente, snowboard, skate ou roller), la prise de risque est partie prenante du plaisir recherché. «Ces sports
sont représentatifs d’une nouvelle tendance où
l’on ne recherche plus la performance mais la sensation, estime Alain Loret, professeur en Staps
à l’Université de Rouen. Or la sensation passe
par des situations vertigineuses, des pertes
d’équilibre.»
Sociologue à l’université Marc Bloch de
Strasbourg, David Le Breton analyse cette mise
en danger comme «une recherche d’intensité,
une manière d’enchanter la vie quotidienne en
empruntant des chemins de traverse plus physiques» dans une société adepte du principe de
précaution et du risque zéro. «Il s’agit alors d’affronter physiquement le monde pour se donner
des limites de sens, savoir de quoi on est capable.
Il y a un transfert du sentiment de soi allant de
l’épreuve réussie vers la vie quotidienne. Il s’agit
de se rassurer sur soi, sur ses capacités» avance
l’auteur de Conduites à risque: des jeux de mort
au jeu de vivre (1). «Un surfeur ne se trouve pas
dans un rapport disciplinaire à sa pratique,
affirme pour sa part Alain Loret. Dans les sports
à risques, on s’arrête juste avant la mort, on
défait la norme sécuritaire, on repousse ses
propres limites. Mais il s’agit là d’une élite sportive, qui vit souvent en marge de la société.»
Avec le développement du sport nature, le
grand public s’essaie néanmoins de plus en
plus souvent à des pratiques « à sensations »
ou « à risques » comme l’escalade, le parapente, le deltaplane, le rafting, la spéléologie ou le canyoning. Et, chaque été, les
médias parlent de chutes mortelles, de
noyades, de randonneurs égarés ou morts de
froid (2)… « C’est un miroir déformant dû
au fait que l’été, les journaux et les télés
n’ont pas grand-chose à se mettre sous la
dent, estime Joël Thomine, chargé de mission au Pôle ressources national des sports
de nature. Les sports de nature ne sont pas
plus dangereux. »
Parmi les activités de nature, celles qui provoquent le plus d’accidents restent d’ailleurs
la baignade, le vélo ou l’équitation. Car les
sports réputés dangereux nécessitent une
initiation préalable et bénéficient souvent
d’un encadrement sérieux. Ce filtre explique
sans doute pourquoi on ne les trouve pas en
tête du « hit-parade » des accidents. « Pour
des comparaisons significatives, il faudrait
classer chaque discipline sportive par heures
de pratique ramenées au nombre de pratiquants. Je pense que l’on arriverait à un ratio
favorable aux sports de nature, poursuit Joël
Thomine. Mais encore faut-il distinguer un
accident lié à la pratique d’un accident seuNovembre 2006
lement lié à l’imprudence. Et il est vrai qu’en
été (et en hiver sur les pistes, NDLR), l’envie de se lancer et de profiter d’une activité
entre amis, sans y être forcément préparé,
accroît les risques ». S’ajoutent les risques liés
au milieu naturel. « La météo, les courants
changeants, le vent représentent des dangers
objectifs, souligne Christophe Lesage, référent régional des sports de nature en Picardie.
Mais la dangerosité vient d’abord de la méconnaissance du milieu et des activités ellesmêmes. »
Il n’en est pas moins vrai que l’apparition
d’une nouvelle discipline se traduit généralement au début par un pic d’accidents. Ce
fut le cas avec l’aile delta en France. Ensuite,
une fédération prend en charge l’activité, le
matériel évolue, les sites sont sécurisés, le
personnel formé, la pratique mieux encadrée. Et la proportion des accidents baisse.
QUE FAIT L’ÉTAT ?
Les autorités publiques se sont évidemment
emparées de ces questions de sécurité des
pratiques. Des campagnes de prévention sont
régulièrement lancées : l’été dernier, le ministère des Sports a sensibilisé les vacanciers aux
accidents en montagne et distribué 500 000
fiches de conseils pratiques auprès des offices
du tourisme, des syndicats d’initiative et des
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magasins de sport (les loueurs de matériel
ayant un rôle majeur à jouer auprès des néophytes). Ces consignes de prudence sont
relayées par les différentes fédérations, les
guides et moniteurs spécialisés.
Chaque direction régionale de la Jeunesse et
des Sports (DRJS) dispose également d’un service protection-sécurité et de correspondants « sports de nature » susceptibles
d’intervenir sur ces dossiers. « Suite à un
accident mortel de kite-surf dans la Somme,
le préfet a fait appel à moi, se souvient
Christophe Lesage, référent en Picardie. J’ai
organisé des réunions avec les maires concernés et la DDE (Direction départementale de
l’équipement) qui ont débouché sur l’instauration de zones interdites à la pratique,
mentionnées par des panneaux. Nous avons
également mis en place une formation des services de secours, afin qu’ils sachent appréhender ce type d’activité. »
Responsable de la sécurité sur sa commune,
le maire peut prendre un arrêté d’interdiction en raison d’un danger précis comme un
risque d’éboulement ou d’avalanche. Dans
les faits, ces interdictions sont toutefois
assez rares. Quant aux préfets, eux aussi
peuvent prendre des arrêtés d’interdiction ou
de limitation pour des problèmes liés à la
faune ou à la flore. Enfin, l’utilisation des
sites dédiés à la pratique sportive fait de plus
en plus souvent l’objet de conventions, notam-
ment à travers l’action des comités départementaux des espaces, sites et itinéraires (3).
PRESSION MÉDIATIQUE
À l’image d’une activité comme l’escalade, la
dimension éducative des sports de nature réside
justement dans l’apprentissage du risque, dans
sa connaissance et sa maîtrise raisonnée.
Puiser au fond de soi-même pour réussir et
vaincre son appréhension, se dépasser, jusqu’à
mieux se connaître parfois. Cela vaut principalement pour le grand public qui, l’été, s’essaie à de nouvelles sensations. Mais c’est un
discours que pourraient aussi tenir les aventuriers modernes qui se mesurent aux cinquantièmes rugissants ou aux sommets de
plus de 8 000 mètres : assumer une certaine
prise de risque, dans les meilleures conditions
de sécurité, sans que les contraintes liées à
celle-ci altèrent le plaisir de pratiquer et ce
petit parfum d’absolu qu’ils recherchent.
La grande différence est que les exploits de
ces derniers sont médiatisés et alimentent
les rêves du plus grand nombre. Or si la pression de la société pousse à améliorer sans
cesse les règles de sécurité (4), les médias
sont aussi friands de défis inédits, dans lesquels il est mal vu d’échouer. Les sponsors
eux aussi font pression, même indirectement. Ceux qui revendiquent la plus grande
liberté se retrouvent alors prisonniers de
contraintes financières et médiatiques qui les
poussent parfois à tenter l’impossible... C’est
en tout cas ainsi que Gilles Rotillon expliquait,
dans les colonnes du magazine Sport et plein
air, la tragique disparition de Jean-Christophe
Lafaille dans l’Himalaya en janvier dernier (5).
« Certains événements n'existent que pour les
médias, ils sont filmés et soutenus par des sponsors, observe de son côté David Le Breton. La
gratuité est rare dans le sport extrême, sauf
chez ceux qui restent anonymes et recherchent
seulement un épanouissement personnel. En
ce sens, la nouvelle aventure ne se distingue pas
du sport de haut niveau. »
Un sport de haut niveau auquel le fait d’y risquer sa vie confère toutefois un petit supplément d’âme. ●
BAPTISTE BLANCHET
(1) PUF, collection Quadrige.
(2) Le Figaro, 1er août 2006: «Une adolescente meurt dans
un accident de canyoning»
(3) Créés à partir de 2002, les Cdesi ont pour tâche la gestion
des conflits entre les utilisateurs de la nature et les problèmes
de sécurité. Placés sous l’autorité du président du conseil
général, ils sont composés de représentants des fédérations,
des groupements professionnels concernés, des élus locaux et
de l'État. Les Cdesi élaborent un plan départemental des
espaces relatifs aux sports de nature et les conventions qui
fixent les droits et les devoirs de chacun.
(4) C’est par exemple l’obligation faite aux concurrents des
grandes courses transatlantiques d’emporter une balise de
détresse. Mais nul ne peut imposer à un marin de s’attacher
quand il est sur le pont: un risque qu’Eric Tabarly assumait
ouvertement et qui lui a sans doute coûté la vie, en juillet 1998.
(5) «Alpinisme et médiatisation», dans Sport et plein air
n°499, mars 2006.
L’article 54 de la loi « démocratie de proximité »
votée le 27 février 2002 a introduit la possibilité,
Photodisc
QUEL AVENIR POUR LA GRATUITÉ DES SECOURS EN MONTAGNE ?
times, pour plus de 50 000 €, avait rouvert le
débat. Face à cette mesure qui remet en cause
pour les communes qui engagent des moyens de
le principe de gratuité des secours, de nombreux
secours privés, de les facturer aux accidentés.
organismes (le CNOSF, le Syndicat national des
Cette modification concerne tous les sports de loi-
guides de montagne, la FFME, le Club alpin fran-
sir : ski hors piste, randonnée pédestre, raquette,
çais et bien d’autres) ont fait connaître leur vive
canyoning, escalade ou spéléo. Car depuis 1985 la
opposition. Selon eux, la gratuité doit rester un
facture des secours était déjà à la charge du blessé
principe général et le secours ne doit pas deve-
lors des accidents de ski – alpin ou de fond – sur le
nir une activité lucrative, d’autant plus que le sys-
domaine skiable. Avec cet article 54, l’idée était
tème français de secours en montagne, assuré
de réprimer les comportements dangereux voire
essentiellement par les services publics (gen-
irresponsables et de préserver les finances des
darmerie, CRS et dans certains cas pompiers), est
petites communes. Cette initiative avait été prise après « l’affaire
reconnu et envié dans le monde entier. En outre, beaucoup estiment
de Pralognan ». En 1999, trois randonneurs avaient été recherchés
qu’en cas d’imprudence notoire ou d’évacuation injustifiée, le code
pendant neuf jours dans le massif de la Vanoise. Coût des opéra-
de procédure pénal permet des poursuites pour « évacuation de
tions : 45 000 €, à la charge de la commune de Pralognan. Celle-ci
confort » ou « mise en danger d’autrui ». Quoi qu’il en soit, pour le
fut en partie dédommagée par le conseil général. Mais la médiati-
moment cet article 54 reste très peu utilisé par les maires. Et donc
sation du drame, avec la vente des photos à Paris Match par les vic-
la gratuité globalement maintenue. ●
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Sport et risque : les liaisons dangereuses
STÉPHANE ORTELLI, PILOTE PROFESSIONNEL :
« Tout peut s’arrêter
en une fraction de seconde »
Stéphane Ortelli, comment vit-on au quotidienne avec la notion de risque ?
Je crois que dans des sports dangereux,
on ne peut pas dissocier le risque de mal
faire de celui de se faire mal. Pour cette raison, tu es constamment en train d’analyser tes propres limites et celles de ta
voiture. Il s’agit d’une sorte de check-up
permanent, d’un rapport qui fait que tu te
demandes sans cesse si ta concentration est
au maximum. Pour un pilote, le point de
rupture, c’est la sortie de route. Après, il
y a le risque de casse mécanique. Et là,
franchement, c’est un paramètre que tu
ne maîtrises pas. Donc, sur ce point, tu
t’en remets au destin. Même en écoutant
ton moteur, tu n’es sûr de rien.
DR
Pilote automobile professionnel, Stéphane Ortelli, 36 ans, est notamment
double champion du monde d’endurance FIA 2002 et 2003 et ancien vainqueur
des 24 heures du Mans 1998. Le risque est son métier.
Stéphane Ortelli
La conscience du danger change-t-elle avec
l’expérience ?
Oui. À 20 ans, tu penses juste que tu peux
casser ta voiture. À 30 ans, tu es conscient
que tu peux mourir. Sur un circuit, notamment en bout de ligne droite aux 24 heures
du Mans, tu sais que tout peut s’arrêter en
une fraction de seconde. Ce qui ne t’empêche pas de rouler vite, d’être performant
et concentré. Car tu acceptes ce risque en
connaissance de cause. Entre pilotes, nous
parlons d’ailleurs souvent du danger. On
évoque les passages à risque, les virages
dangereux. Et puis nous avons tous perdu
des copains. Donc on parle d’eux, ils nous
accompagnent sans être présents physiquement.
L’adrénaline ressentie en course est-elle une
drogue ?
C’est indéniablement un excitant. Regardez
Sébastien Loeb, le champion du monde de rallye : pourquoi croyez-vous que, pendant ses
périodes de repos, il fait du VTT à toute
vitesse ? Pour être franc, je pense que j’ai
aussi ça en moi. Donc, je ne me vois pas arrêter de prendre des risques. Quand je ne piloterai plus, je remplacerai ça par d’autres
activités comme le quad, le karting ou la
randonnée en montagne avec de l’escalade.
Comment vos proches vivent-ils votre activité ?
Ils sont forcément un peu stressés. Mais je crois
qu’ils comprennent mieux mon choix à partir du moment où j’ai décidé d’en faire mon
métier. Si je pilotais juste pour mes loisirs, ils
le vivraient sans doute moins bien. Après,
même si ça n’est pas tabou, je ne peux pas
mesurer la douleur qu’ils ressentent quand je
me blesse ou celle éprouvée quand je suis
tombé dans le coma après un accident, à l’âge
de 21 ans. En tout cas, je les appelle après
chaque course, pour les rassurer. Car l’accident est toujours possible: début octobre mon
coéquipier a fait une sortie de route. Je
Novembre 2006
remarque aussi que pour des gens extérieurs,
le fait de risquer sa vie vous rend intéressant.
Etes-vous tenté de pousser la voiture au
maximum pour obtenir des résultats ?
Je ne vois pas tout à fait les choses de cette
manière. J’ai plutôt une approche « travailleuse » dans le sens où j’essaye de faire
mon travail le mieux possible. Le but n’est
pas d’être meilleur que les autres mais de faire
progresser sa voiture. Il faut donc accepter
que les efforts fournis ne débouchent pas forcément sur une victoire. Quand tu es pilote
professionnel, en faire trop en course n’est
pas possible parce que ta carrière risque de
très vite s’arrêter. Après, il faut simplement
voir où se situent tes limites. En regardant
Ayrton Senna, on pouvait croire qu’il prenait
des risques inconsidérés. En fait ses limites
étaient tout simplement beaucoup plus élevées que celles des autres pilotes. ●
RECUEILLI PAR B.B.
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Sport et risque : les liaisons dangereuses
Faire ou ne pas faire du sport,
quel est le risque le plus grand ?
La question se pose un peu différemment chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte.
L
tendons sont plus sains et plus
robustes. Bertrand Denis liste
ensuite cinq types de risques :
l’accident (en conseillant des sols
appropriés, le port de protections
et un bon échauffement), les
microtraumatismes (attention
aux gestes trop souvent répétés),
les retards de croissance (dus à
une pratique excessive), les
risques cardio-vasculaires (l’activité sportive pouvant révéler
un problème cardiaque) et les
risques psychologiques (surmenage, troubles alimentaires, pression excessive). Pour autant, la conclusion du
généraliste est que «le sport doit être prescrit,
encouragé et expliqué, pour que l’enfant
apprenne par le sport à gérer sa santé en harmonie avec ses désirs et ses possibilités psychiques et corporelles.»
Photodisc
e sport comporte des risques : la
preuve, on exige (pour la pratique
compétitive tout au moins) un certificat médical au début de chaque
saison! Et rien n’empêchera une mère
d’envisager l’activité sportive de son enfant sous
l’angle de l’accident, toujours possible sinon probable... «Encouragée par tous (…), la pratique
du sport chez l’enfant semble la solution idéale
aux méfaits de notre mode de vie et son cortège
inquiétant de maladies cardio-vasculaires, d’obésité ou de sédentarité. Mais cet engouement pour
le sport ne comporte-il pas lui aussi des risques pour
la santé des enfants? C’est une question qui nous
est souvent posée», rappelle ainsi le Dr Bertrand
Denis, médecin du comité départemental Usep
du Maine-et-Loire, dans un rapport sur «Les
risques du sport chez l’enfant» (1). D’autant
que selon la Caisse nationale d’assurance maladie, le sport représente 44 % des accidents de la
vie courante des 10-14 ans, loin devant les accidents de la circulation – mais sans que l’on puisse
en préciser la gravité.
Dans ce rapport, le médecin de l’Usep 49 souligne tout d’abord que le corps de l’enfant n’est
pas celui de l’adulte: par exemple, si ses cartilages de croissance sont des zones de fragilité
et sa structure osseuse également plus fragile,
il est protégé des fractures déplacées et ses
ÉDUQUER AU RISQUE
À l’adolescence, tout est vécu avec plus d’intensité et les risques liés au sport en sont
accrus, notamment lorsque le jeune sportif vise
le haut niveau : blessures liées au surentraînement, attrait du dopage... Sur un plan psychologique, le surinvestissement du sport
L’ASSURANCE, BAROMÈTRE DE LA DANGEROSITÉ
Qui dit risque dit assurance. Et le prix de la licence sportive, qui inclut celle-ci, tient évidemment compte de la dangerosité du sport pratiqué. Le rugby, ce n’est pas une surprise,
est ainsi nettement plus «accidentogène» que la gymnastique d’entretien. D’où des différences très sensibles d’un sport à l’autre, qui tiennent d’ailleurs moins à la fréquence
des accidents qu’aux coûts (parfois très importants) engendrés par ceux-ci. Une fédération multisport comme l’Ufolep répercute aussi, en partie, cette variable, et propose
avec son assureur l’Apac quatre types de licence. La licence Risque 1 concerne par exemple
les APE, le jogging et la randonnée, tandis que la licence R2 s’applique à la plupart des
sports collectifs et à des disciplines individuelles comme l’athlétisme, la gymnastique
sportive et les arts martiaux. Vient ensuite la licence R3, correspondant notamment aux
activités cyclistes et aux sports mécaniques. Enfin, la licence R4, au mode de souscription spécifique, concerne le jetski, le parachutisme et l’ensemble des sports aériens.
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peut entraîner divers troubles et notamment
se manifester par l’abandon de la scolarité et
des autres centres d’intérêts. Aux parents de
se montrer vigilants.
L’adolescence est aussi le temps des prises de
risques. Pour autant, la solution n’est pas d’éloigner les jeunes du sport, bien au contraire. «La
spécificité du comportement adolescent est que
la prise de risque lui est nécessaire, souligne le
psychiatre Patrice Huerre. Il est important qu’il
en trouve l’occasion dans une pratique sportive
encadrée. Après tout, mieux vaut faire du rafting que du scooter sans casque ou de passer ses
soirées en rave.» (2) Le goût du risque mérite
seulement une bonne éducation.
Restent les adultes, et tout particulièrement ces
quadras, quinquas et autres sexagénaires qui
reprennent une activité sportive sur le tard en
imaginant retrouver les jambes et le souffle de
leurs vingt ans… À cet âge, on a beau être à
des années-lumière du vertige adolescent, l’estime de soi, quand elle passe par l’image que
l’on a de son corps, invite parfois un peu trop
au dépassement. Ce qui, même dans une activité aussi banale que la course à pied, peut
conduire à des problèmes cardiaques… Au risque
du lieu commun, réaffirmons donc que faire du
sport est bon pour la santé si l’on conserve le
sens de la mesure. Tout en sachant qu’on n’est
pas toujours sérieux, même à 77 ans.●
PHILIPPE BRENOT
(1) Le consulter www.usep.org
(2) Cité dans « Sports et risques, attention », dossier de
L’école des parents, juin-juillet 2001.