HDA, oral du DNB 2014

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HDA, oral du DNB 2014
HDA, oral du DNB
Sujet latinistes : Médée ou le pouvoir de la magie
Latin
: Représentations du monde, maîtriser le monde, science et superstition.
HDA
: arts, ruptures et continuité
Domaines
: arts du langage, art du son, art du visuel.
Problématique
En quoi la croyance dans le surnaturel a t-elle popularisé les figures de magiciennes dans la société romaine et
dans les arts à travers la réécriture du mythe de Médée ?
I. Aux origines romaines de la sorcellerie
1°) Étymologie
Depuis l’Antiquité, les hommes ont eu recours à la magie pour tenter de comprendre et de maîtriser le monde. La
magie est souvent représentée comme un savoir mystérieux échappant aux explications de la raison.
Le nom sors, sortis, f., désigne « le sort » au sens premier, un objet (caillou, tablette) portant des inscriptions mis
dans une urne pour un tirage au sort et par suite le résultat de ce tirage (oracle, lot attribué par le sort, le destin).
Ainsi, dans la langue populaire, le nom sortiatius désigne celui qui dit ou jette le sort : le sorcier. C’est la
spécialité des vieilles femmes expertes en sortilèges nommées sagae.
Beaucoup de mots de la magie sont passés directement du latin au français : superstition, magie, divination,
potion de potio, incantation de incantatio.
2°) Pratiques magiques
Il y a deux types de magie :
– noire : envoûter, blesser, tuer
– blanche : protéger, réconforter, guérir, la magie blanche est assimilée à la médecine.
Les auteurs désireux de faire prononcer des formules magiques à leurs personnages ont d’ailleurs encore
aujourd’hui recours au latin avec la fameux abracadabra à l’origine remède contre la fièvre :
« Écris sur un papier ABRACADABRA puis répète-le dessous autant de fois qu’il y a de lettres dans le mot,
mais en enlevant chaque fois une lettre, de sorte que les lettres forment un cône étroit. Cela fait, suspends avec
un fil de lin le papier au cou du malade. On prétend que la graisse de lion est efficace (…) Attachés au cou du
malade, ces talismans repoussent les maladies mortelles avec une puissance étonnante. »
Serenus Sammonicus, Préceptes médicaux, IIème siècle après J.-C.
Remarque : citer d’autres rites et objets magiques si vous le souhaitez. (voir devoir maison)
3°) Magiciennes célèbres
Les témoignages littéraires sur les pratiques magiques à Rome sont nombreux : pas de sorciers, que des
sorcières !!!
– Hécate : la patronne
C’est une déesse mystérieuse et bienveillante dans les cultes archaïques qui l’assimilent à la déesse lunaire
Artémis / Diane Lucifère = lux+ferre = qui porte la lumière. Elle devient la patronne des magiciennes, celle à qui
on fait remonter l’invention de la sorcellerie. On raconte qu’elle vient des Enfers, une torche à la main,
accompagnée de chiens hurlant, ou bien encore qu’elle se manifeste sous la forme de différents animaux
(chienne, louve, jument…)
Dans les campagnes, on attribue à Hécate la surveillance des carrefours (trivium) considérés comme des lieux
magiques surtout la nuit. On y dresse sa statue en forme de femme à trois corps ou à trois têtes et on lui apporte
des offrandes, les mânes (manes).
– Méroe : Apulée, L’Ane d’or
– Pamphilé : Apulée, Métamorphoses
– Canidie : Horace, Epodes (mise en scène d’une vraie magicienne qui exerçait dans les quartiers de l’Esquilin à
Rome, lieu qui servait de cimetière pour les pauvres et les esclaves), Canidie tue ou dévoile l’avenir la nuit au
milieu des tombes
– Locuste : Tacite, Annales (profession : empoisonneuse ou venefica, ae, f.)
– Circé
– Médée
II. Le mythe de Médée
1°) Qu’est qu’un mythe ?
Ce nom est issu du grec muthos : la parole, le récit. A l’origine, un mythe est un récit sacré révélant une vérité et
une explication à l’homme, à travers les théogonies (histoire des dieux) et les cosmogonies (histoire du monde),
son origine se place dans l’univers. En Grèce ancienne, la connaissance mythique s’est trouvée en position de
faiblesse face à l’émergence de la connaissance rationnelle (le logos). En littérature l’intérêt pour les mythes ne
s’est jamais démenti et trouve dans les littératures du XX ème et du XXIème siècle de nombreuses réécritures de
mythes : Œdipe, Antigone, Médée… Au XXème siècle le retour du mythe se justifie comme :
– moyen d’expression des craintes contemporaines
ex : Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu = la France de 1940
– moyen pour déjouer la censure
ex : Sartre, Les Mouches = les habitants de l’Argos sont en proie à un sentiment de culpabilité comme les
collaborateurs et le gouvernement de Vichy cherchaient à inculquer aux Français pour expier la défaite et asseoir
le pouvoir.
– moyen de stimuler l’esprit :
ex : Anouilh, Antigone : réflexion sur les formes et les conditions du bonheur en opposant la jeunesse et la
vieillesse.
Le mythe de Médée se compose de l’ensemble de ses variantes à travers les siècles. Cependant on peut remonter
à ses origines. En effet, la légende de la Toison d’Or raconte l’expédition des Argonautes et fait partie des
quelques cycles héroïques qui ont inspiré les œuvres littéraires. Jason et les argonautes ainsi que Médée sont déjà
familiers aux auditeurs de L’Iliade et de L’Odyssée (chant XII) ou encore dans la Théogonie d’Hésiode. Le
témoignage le plus complet est celui de Pindare dans la Quatrième pythique (460 av. J.-C.).
2°) La légende de Médée
Le prénom vient du verbe grec medesthai : imaginer, inventer, préparer, méditer, à rapprocher du latin artifex : la
préparation d’un breuvage est un art, un métier.
Selon la légende, il y a deux expertes en philtres et charmes (carmen : un chant rythmé comme un refrain
ensorcelant, incantation religieuse et magique avant de signifier : poème) constituent le modèle de la magicienne
devineresse : Médée et Circé, fille et sœur du roi de Colchide Eétès, lui même fils du Soleil « qui voit tout ».
Certains auteurs les donnent pour sœurs, filles de la déesse Hécate.
Associée à Jason, Médée qui n’est pas grecque, ne pourra jamais l’épouser.
Selon la légende, on la retrouve dans 5 épisodes :
– En Colchide : elle y accueilles les Argonautes et tombe amoureuse de Jason venus chercher la Toison. Médée
aide Jason à s’emparer de la toison et à prendre la fuite. Poursuivie par son père, pour ralentir sa course, elle
découpe son frère en morceaux et disperse le cadavre dans la mer afin d’obliger son père à les repêcher les uns
après les autres.
– En Thessalie : elle a suivi Jason. Elle persuade les filles de Pélias, oncle de Jason et usurpateur du trône de
faire bouillir leur père dans une marmite afin de lui rendre sa jeunesse
– À Corinthe : auprès du roi Créon Jason et elle sont venus se réfugier après avoir été chassés par les
Thessaliens, le couple vit 10 ans. Médée a donné 2 fils à Jason mais comme elle n’est pas grecque, il ne peut
l’épouser. Créon offre à Jason la main de sa fille Glaucé. Médée est répudiée et se venge en offrant à Glaucé une
tunique qui la brûle vive et même temps que Créon venu lui porter secours.
– À Athènes : Médée a pris la fuite à Athènes où le roi Égée qui ignore qu’il a un fils, Thésée, lui offre sa
protection en échange de sa promesse de lui donner des enfants. Elle l’épouse et lui donne un fils : Médos.
Thésée devenu adulte veut faire valoir ses droits et réclame le trône. Médée tente de l’empoisonner mais son
plan ne fonctionne pas.
– Médée est contrainte à l’exil et retourne en Colchide. Elle y découvre que son père a été détrôné par son oncle
Persès. Elle le tue pour rendre le pouvoir à son père et finit sa vie en Colchide.
III. Extrait de Sénèque, Médée
Sénèque : né en 2 av. J.-C., mort en 65 ap. J.-C.
Son nom complet : Lucius Annaeus Seneca.
Il est né à Cordoue, au sud de l'Espagne. Il appartient a une famille riche, cultivée.
Avant lui, sa famille est une lignée d'administrateurs de l'empire. Il émigre à Rome enfant, ou il reçoit une
éducation soignée: philosophie (stoïcienne), rhétorique (art de bien parler). Accusé d'avoir participé à la
conspiration de Pison, il se suicida sur l'ordre de Néron. Pour la petite histoire, il semblerait que ce soit une mort
célèbre: il a raté plusieurs fois, et après de nombreux essais de veines ouvertes, il tenta le poison. Il meurt
entouré de sa femme et de ses amis.
Le mythe de Médée chez Sénèque au théâtre :
– il s’inspire de la pièce du grec Euripide : tragédie de 431
– multiplie les effets pathétiques (scènes d’horreurs, cruauté, victimes innocentes)
– chœur réduit à des intermèdes lyriques
– rationalisme : les dieux sont relégués au second plan
– les héros sont proches des humains ordinaires : médiocre ou déchirés par la passion
– personnages lucides malgré le fatum (poids du destin), ils analysent leurs sentiments et la psychologie prend la
place de la morale
En littérature grecque, il y a deux autres versions celles d’Eschyle créateur de la tragédie et de Sophocle.
– Médée est une femme isolée, le chœur composé de Corinthiens soutient la famille royale et célèbre le nouveau
mariage de Jason
– Médée est une femme barbare dont les incantations magiques sont longuement décrites (citer le texte, cf.
œuvre intégrale lue en classe)
– Médée décrite comme une Ménade sanglante (fratricice + infanticide)
– Le crime des enfants a lieu sur scène contre les préceptes de bienséances formulés par Horace dans son Art
poétique.
Personnages et structure de la pièce latine :
1°) Personnages
La Médée de Sénèque met en scène 6 « personnages » parlants : Médée, la nourrice, Créon, Jason, le messager,
le chœur des Corinthiens ; Sénèque ne met pas en scène Égée qui apparaissait dans la pièce d’Euripide, évitant
ainsi de donner au drame une résolution humaine pour lui préférer une « apothéose » solitaire de l’héroïne.
Plusieurs personnages muets interviennent également au cours du drame : les fils de Médée et Jason, les
compagnons de Créon, les Furies, l’ombre d’Absyrte, des soldats.
2°) Structure de la pièce lue en classe
Premier acte ou « Prologue » > : v. 1-55 : diuerbium en trimètres iambiques : scène d’exposition : en un
long monologue, Médée « résume » la pièce et annonce l’escalade d’une passion meurtrière dont la pièce est
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l’histoire et l’ultime accomplissement : « Accingere ira teque in exitium para / furore toto » (51-52). Toutes les
étapes de ce furor totus sont déjà prévues.
Premier chœur > : v. 56-115 : « cantate » triomphale (ou chant d'hyménée) qui célèbre les noces de Jason et
Créuse : asclépiades (56-74), glyconiques (75-92), asclépiades (93-109), hexamètres dactyliques (110-115). On
pourrait également considérer que le véritable « prologue » de la tragédie est la réunion de ces deux pièces
d'« ouverture » : le monologue de Médée et le chant du chœur (voir le « commentaire intégré » des v. 56-115).
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Deuxième acte > : v. 116-300 : diuerbium en trimètres iambiques : deux « scènes » :
1. Médée et la nourrice : Médée profère des menaces terribles contre Jason, le mari infidèle, et contre Créon, le
tyran. La nourrice tente de la raisonner (116-178).
2. Créon, Médée : Créon exile Médée malgré ses supplications (179-202 et 252-300). Au centre, long monologue
de Médée comme suppliante (203-251).
Deuxième chœur > : v. 301-379 : canticum en dimètres anapestiques à propos de l’entreprise « trop
audacieuse » des Argonautes et de ses conséquences funestes pour les hommes.
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Troisième acte > : v. 380-578 : diuerbium en trimètres iambiques : au centre de l’intrigue, Médée prend ses
résolutions criminelles et réfléchit aux moyens de les mettre en pratique : deux « scènes » :
1. Médée et la nourrice : le remariage de Jason et la décision d’exil fouettent, chez Médée, le désir de vengeance
(380-430).
2. Les mêmes et Jason : au cours d’une entrevue avec l’infidèle, Médée découvre son point vulnérable : ses
enfants. Une fois Jason parti, Médée annonce à la nourrice son projet d’offrir à l’épousée, par les mains des
enfants de Jason, un cadeau mortellement empoisonné (431-578).
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Troisième chœur > : v. 579-669 : canticum en strophes saphiques à propos du châtiment qui a frappé les
Argonautes après la quête de la Toison d’or et leur profanation des « droits de la mer » : après sept quatrains plus
généraux sur les passions et l’hybris de l’homme, le châtiment des Argonautes est décrit en sept strophes de 9
vers (une strophe globale + 6 strophes pour 6 personnages).
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Quatrième acte > : v. 670-848 : diuerbium qui expose les préparatifs et la mise en œuvre de la vengeance :
trois « scènes » :
1. La nourrice décrit les préparatifs de Médée (670-739 : trimètres iambiques).
2. Médée pratique ses incantations devant la nourrice muette (740-751 : trimètres trochaïques ; 752-770 :
trimètres iambiques ; 771-786 : dimètres iambiques en distiques ; 787-842 : dimètres anapestiques).
3. Médée envoie ses enfants chez leur « domina ac nouerca » et leur demande de revenir pour les embrasser une
dernière fois (843-848 : trimètres iambiques).
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Quatrième chœur > : v. 849-878 : canticum en un système irrégulier de dimètres iambiques catalectiques,
où le chœur chante le portrait de Médée en « sanglante Ménade » (cruenta maenas).
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Cinquième acte > : v. 879-1027 : diuerbium en trimètres iambiques, qui raconte l’exécution méthodique de
la vengeance et le dénouement du drame : trois « scènes » :
1. Le messager raconte au chœur l’incendie du palais de Créon et les deux premiers meurtres de la fille du roi et
de son père (879-890).
2. Après un long monologue d’auto persuasion, Médée met à mort son premier enfant devant les yeux de la
nourrice (891-977).
3. Dernier dialogue de Jason et de Médée au terme duquel Médée tue son deuxième enfant devant les yeux de
Jason et disparaît dans le ciel sur un char attelé de deux serpents (978-1027).
Extrait : Acte IV, scène 1 (vers 677-684, 705-706 et 731-738)
Traduction des passages en gras : « Elle déploie toutes ses ressources » - « Après qu’elle a évoqué toute la race
des serpents-dragons, elle amasse en un seul tas les produits d’une funeste moisson : […] elle choisit les herbes
mortelles, elle fait sortir le venin des serpents ».
Une vieille esclave qui fut nourrice de Médée témoigne sur les étranges préparatifs :
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Médée commence par exposer tout son matériel, puis elle prépare sa cérémonie, invoque tous les fléaux et
monstres de l’univers, amasse ses ingrédients, les mélange pour faire sa potion magique, enfin complète la
préparation en prononçant des formules magiques. .
Le nom pestes (pestis, pestis, f., maladie contagieuse, fléau, cause de ruine) désigne les divers fléaux convoqués
par Médée ; on le retrouve dans les mots français « peste », « pestilentiel », « pesticide ».
Ces fléaux proviennent de régions mythiques symbolisant des points limites de l’orbis terrarum : la Libye
(terme générique et poétique désignant l’Afrique) et le mont Taurus (montagne de Lycie en Asie). Ils
représentent le chaud et le froid extrêmes. Le nom monstrum (verbe monstrare, montrer) désigne tout événement
ou élément hors norme, littéralement « sur-naturel », d’où exceptionnel et « monstrueux ».
Médée prépare un venenum : un breuvage à base d’ingrédients magiques. Ces ingrédients sont : des « herbes
mortelles » (mortifera gramina), du « venin de serpents » (serpentium saniem), un « coeur de hibou » (cor
bubonis) et les « viscères arrachés à une chouette vivante » (raucae strigis exsecta vivae viscera). Ils ont été
choisis parce qu’ils sont « mortifères » (ils apportent la mort) ou bien parce qu’ils portent malheur (« les oiseaux
de mauvais augure »).
L’expression scelerum artifex (« l’experte en crimes ») désigne Médée au vers 14. Elle met l’accent sur les
talents redoutables de la magicienne chevronnée (artifex signifie « celui qui pratique un art et/ou un métier »). La
nourrice trace un portrait terrifiant de Médée : une femme froide et déterminée qui prépare sa vengeance ; en
effet, elle va empoisonner la robe de mariage qu’elle fait porter à sa rivale, la fille du roi de Corinthe, que Jason
s’apprête à épouser. Cette robe brûlera la princesse et la fera périr, ainsi que son père venu la secourir.
IV. Tableau d’Anthony Sandys, 1868
Anthony Sandys, Medea, 1868, huile sur panneau, Birmingham Museums and Art Gallery, Birmingham
(Grande-Bretagne).
Anthony Frederick Augustus Sandys, né le 1er mai 1829 à Norwich et mort le 25 juin 1904 à Londres, est un
peintre, illustrateur et dessinateur préraphaélite britannique de l'époque victorienne.
École préraphaélite :
La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence.
Les peintres affirment leur volonté de revenir aux styles antérieurs à la Renaissance classique : le gothique, pour
sa pureté spirituelle qu’ils considèrent comme perdu à leur époque, et les styles primitifs flamand et italien de la
première renaissance pour leur représentation réaliste de la nature.
C’est ans un style néo-classique à la mode au XIXème siècle, que le tableau représente Médée, la légendaire
magicienne, dans l’activité où elle excelle : la préparation des breuvages magiques. Comme on a pu le constater,
cette mise en scène paraît très fidèle à la vision qu’en donne Sénèque. Le peintre comme l’auteur de tragédies
(qui a repris la Médée d’Euripide) cherchent à susciter l’effroi (un des ressorts de la catharsis au théâtre) en
même temps qu’une impression de dégoût, non sans piquer chez le spectateur une forme de curiosité intriguée,
devant ce personnage de femme fascinante, à la fois belle et redoutable.
Médée est représentée en train de verser un liquide de sa main gauche, tandis que de la droite elle agrippe son
collier de corail, symbole porte bonheur. Dans le monde gréco-romain, comme dans d’autres civilisations, le
corail est considéré comme magique. En bijoux ou talismans, il est censé protéger de toutes les mauvaises
influences. D’après la légende, Persée trancha la tête de Gorgone Méduse et la posa sur un amas d’algues qui se
couvrirent de son sang et se pétrifièrent aussitôt, donnant naissance au corail.
Tête légèrement penchée vers la droite, bouche entrouverte, yeux fixés au loin, son visage dégage une expression
hallucinée, comme si elle était exaltée et « possédée » par sa vengeance. Sa robe brodée et ses bijoux rappellent
son statut de princesse « barbare ». On constate que Médée fait ses préparatifs de la main gauche, ce qui reprend
très exactement le vers 4 de Sénèque (laeva manu). On sait que le côté gauche (également appelé sinistra, d’où
« sinistre ») est considéré comme de « mauvais augure » (portant malheur) dans les superstitions les plus
répandues.
Tous les objets associés à des rites magiques sont disposés devant Médée : statuette bleue de type égyptien, deux
crapauds (l’un sur l’autre), herbes et baies, papyrus pour absorber le sang, poupée de défixion, fil rouge,
coquillage avec un liquide rouge (du sang d’animaux, comme dans le texte de Sénèque).
Derrière Médée, le décor ressemble à une fresque ou à une tapisserie à fond doré avec une frise de style
égyptisant (chouette, cobra, scarabée, etc.) ; divers éléments rappellent la légende des Argonautes : le bateau
Argo à la voile déployée, la Toison d’or suspendue dans la forêt, le dragon (à gauche sous la frise), le taureau (à
droite sous la frise), tous deux vaincus par Jason grâce à Médée.
V. Le mythe et ses réécritures
1°) Réécritures théâtrales célèbres
Corneille : tragédie de 1635
Corneille reste proche de Sénèque mais accentue les effets d’horreur et de spectaculaire : Creuse meurt brûlé
vive sur scène : « Ah ! Je brûle, je meurs, je ne suis plus qu’une flamme ! », V,6.
– Médée dans une grotte prépare des sortilèges et possède une baguette magique. Elle prend la fuite sur le char
du soleil à la fin de la pièce.
– mort de Créon sur scène, il se poignarde (contre les règles de bienséance de la tragédie classique)
– Corneille enrichit la légende Égée est amoureux de Créuse, Médée le délivre
– Jason est un grand seigneur libertin du XVIIème siècle affiche son goût pour les aventures galantes et les
intrigues, il est plus amant que père, après un dernier monologue, il se suicide.
Anouilh : tragédie de 1946
– opposé de Corneille, action simplifiée : Médée ne délivre pas Égée
– restreint le merveilleux pour une action très simplifiée : suppressions des incantations magiques, du char du
soleil
– pour tuer, Médée utilise le coffre noir de ses ancêtres
– Médée femme misérable abandonnée qui vit sur une lande, ressemble à une bohémienne aux pouvoirs
magiques redoutés
– Médée connaît la déchéance et est nostalgique de son passé
– Jason en renonçant à Médée renonce à l’anarchie et opte pour le bonheur, le pouvoir
2°) Réécritures modernes et résonances artistiques pour enrichir l’exposé
Réécritures théâtrales :
– 2003 : Max Roquette, Médée (Médée occitane)
– 2003 : Laurent Gaudé, Médée Kali (Médée africaine)
Résonances musicales :
– Opéra de Charpentier en 1693
– Opéra de Cherubini en 1797 rendu célèbre par les interprétations de Maria Callas (cantatrice qui immortalise
aussi Carmen de Bizet)
– Opéra de Darius Milhaud en 1939
Mais aussi :
– 1992 : Pascal Dusapin
– 2005 : le groupe corse A Filetta
Résonance poétique :
– José-Maria de Hérédia, Les Trophées, sonnet s’inspire de Sénèque et d’Euripide. Le mythe antique se mêle à
l’univers pictural du peintre Gustave Moreau à qui est dédié le poème.
– Jason et Médée
A Gustave Moreau.
En un calme enchanté, sous l'ample frondaison
De la forêt, berceau des antiques alarmes,
Une aube merveilleuse avivait de ses larmes,
Autour d'eux, une étrange et riche floraison.
Par l'air magique où flotte un parfum de poison,
Sa parole semait la puissance des charmes ;
Le Héros la suivait et sur ses belles armes
Secouait les éclairs de l'illustre Toison.
Illuminant les bois d'un vol de pierreries,
De grands oiseaux passaient sous les voûtes fleuries,
Et dans les lacs d'argent pleuvait l'azur des cieux.
Résonances romanesques :
– 1935 : Léon Daudet
– 1979 : Alejo Carpentier, La Harpe est l’ombre (biographie imaginaire de Christophe Colomb, le navigateur
évoque les chemins maritimes, les pays lointains sillonnés par les argonautes)
– 1996 Christa Wolf
Résonances picturales :
– 1862 : Delacroix
– 1865 : Gustave Moreau
– 1898 : Alphonse Mucha
Résonances cinématographiques :
– 1969 : Pier Paolo Pasolini
– 1998 : Lars von Trier
– 2000 : Arturio Ripstein