Evaluation des Modèles de Prévision de Trafic Note de Synthèse

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Evaluation des Modèles de Prévision de Trafic Note de Synthèse
Décision d’Aide à la Recherche N°98MT59 – PREDIT 1996-2000
Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement
Direction des Affaires Scientifiques et Techniques
Evaluation des Modèles de Prévision de Trafic
Note de Synthèse
Référence : NS1597/RATP-PREDIT/02.00/V2
INTRODUCTION
En septembre 1998, la RATP et le PREDIT ont confié à un groupe de recherche composé de Martine Bartolomei
(PTYX), Francis Beaucire (Université de Cergy) et Arnaud Laroche (GESMAD), un projet de recherche portant
sur l'évaluation des modèles de prévision de trafic utilisés en France dans le cadre des lancements
d'infrastructures de type TCSP (Transport en Commun en Site Propre).
Les objectifs de ce projet étaient les suivants
recenser et analyser les techniques économétriques de modélisation qui ont été utilisées ces dernières années pour
prévoir le trafic sur les nouvelles lignes de TCSP,
mesurer les écarts entre les prévisions réalisées au moment des études préalables et la demande effectivement
observée après la mise en service,
rechercher des explications rationnelles aux écarts prévisions / réalité ainsi observés, et mesurer l'importance des
éventuels défauts de modélisation repérés,
mesurer l'adéquation des modèles et outils disponibles aux différents objectifs qui leur sont assignés.
La méthodologie qui a été adoptée dans le cadre de ce projet a été la suivante :
sur la base d'une analyse bibliographique étendue, établir une synthèse des modèles théoriques et opérationnels
de prévision de trafic actuellement utilisables dans le cadre des études préalables au lancement de nouvelles
infrastructures lourdes,
sur la base des avant projets relatifs à une dizaine de cas sélectionnés en France, établir le bilan quantitatif des
modèles qui ont réellement été utilisés, par comparaison systématique du trafic prévu au trafic effectivement
observé après la mise en service,
sur la base d'entretiens en face à face avec un certain nombre d'experts du transport urbain, et en s'appuyant sur
les résultats des investigations bibliographiques précédentes, établir le bilan qualitatif des modèles de prévision
actuellement utilisés, au regard des objectifs qui leur sont assignés.
Les cas pratiques qui ont été analysés sont les suivants :
Lyon (Ligne D)
Tramway La Défense - Issy-les-Moulineaux
Tramway de Strasbourg
Val de Toulouse
Métro léger de Rouen
Tramway de Grenoble ligne 1
Tramway de Grenoble ligne 2
Tramway de Nantes ligne 1
Tramway de Nantes ligne 2
Les experts qui ont été rencontrés sont les suivants :
M. Thibal (RATP)
Mme Mazel (RATP)
M. Hugonnard (SYSTRA)
Mme Liang (SYSTRA)
M. Bonnel (ENTPE)
M. Faivre d'Arcier (INRETS)
M. Gascon (SEMALY)
M. Morbois (SEMALY)
M. Gagneur (CERTU et cas Grenoblois)
M. Quinet (ENPC)
M. Golias (GART)
M. Bieber
M. Lorin (CUS)
M. Jacon (CTS)
M. Grass (Toulouse)
M. Jonquières (Toulouse)
M. Boeswillwald (Nantes)
M. Solignac-Lecomte (Caen)
Mme Bonmartel (Rouen)
DESCRIPTION DES MODELES DE PREVISION DE TRAFIC
De façon quasi-systématique, les modèles de prévision qui ont été utilisés dans la pratique relèvent de l'approche
agrégée classique.
Les deux outils opérationnels qui ont été les plus utilisés sont :
le modèle TERESE (en Province) : modèle unimodal d'affectation
le Modèle Global (en Ile de France par la RATP) : modèle multimodal reprenant les 4 étapes fondamentales
(génération, distribution, choix modal, affectation)
Le principe général de ces modèles date des années 70. Sur la base d'une situation connue à une date de
référence, il s'agit d'extrapoler les flux observés, en fonction des évolutions probables du réseau de transport en
commun (y compris l'introduction de nouvelles infrastructures), et d'un certain nombre de variables sociodémographiques (population, emplois ou scolaires notamment). Une fois les flux projetés à l'horizon d'étude, il
s'agit alors de les affecter sur le réseau de transport en commun envisagé.
La demande qui est modélisée est systématiquement celle qui s'établit à la période ou à l'heure de pointe (du soir
en général), le passage à la demande journalière ou annuelle s'effectuant grâce à des coefficients de pondération
estimés généralement par analogie avec d'autres cas similaires.
UTILISATION ET PERFORMANCES DES MODELES
Dans la pratique, les modèles de prévision de trafic ont essentiellement été utilisés pour servir deux objectifs
différents :
le dimensionnement des infrastructures,
l'analyse de leur rentabilité socio-économique.
Nous présentons rapidement ci-dessous ces deux objectifs, en analysant la capacité des modèles qui ont été
utilisés à les satisfaire.
LE DIMENSIONNEMENT DE L'INFRASTRUCTURE
Le dimensionnement des infrastructures constitue l'objectif principal des modèles de prévision de trafic, celui
autour duquel ils se sont d'ailleurs initialement développés.
De façon très simple, le dimensionnement consiste en la détermination de la charge maximale devant être
supportée par le projet, qu'il s'agisse de la charge relative à l'infrastructure dans son ensemble (cette charge
prévue sert notamment à déterminer la capacité du matériel roulant ainsi que la fréquence d'exploitation), ou de la
charge relative à chacune des stations (celle-ci servant à dimensionner lesdites stations).
LE DIMENSIONNEMENT GLOBAL
Si l'on s'intéresse au dimensionnement global de l'infrastructure, la comparaison du trafic prévu au trafic
effectivement observé à la période de pointe (soir ou matin) donne les résultats suivants sur les cas étudiés plus
haut :
_ EMBED Excel.Chart.8 \s ___
L'on se situe ici dans une fourchette d'erreur que l'on peut qualifier de tout à fait raisonnable. Cette situation
s'explique essentiellement par le fait que la mobilité à expliquer dans le cadre des déplacements dimensionnants essentiellement le domicile-travail à la période de pointe - est de nature relativement mécaniste, et correspond
donc en cela à la nature même des modèles utilisés.
LE DIMENSIONNEMENT DES STATIONS
Toutefois, si l'on s'intéresse à la structure des déplacements le long des nouvelles lignes mises en service
(diagrammes de charge et poids des stations), l'on constate alors des écarts de prévision beaucoup plus
importants.
Ces écarts tendent à prouver une certaine fragilité des modèles de dimensionnement dès lors que l'on descend à
un niveau géographique fin. Outre certains aspects liés à la nature même de la modélisation, cette situation
s'explique certainement en grande partie par la difficulté à obtenir des informations fiables sur les évolutions
probables des variables d'entrée (population, emplois...) à des niveaux fins.
L'ANALYSE DE LA RENTABILITE SOCIO-ECONOMIQUE
Dans le cadre des études préalables au lancement d'une nouvelle infrastructure de transport urbain, la question du
dimensionnement tient une place extrêmement importante. Cependant, la simple détermination du trafic
prévisible à l'heure ou à la période de pointe ne permet pas de répondre à toutes les questions utiles au décideur
pour arbitrer entre les différents choix d'investissement.
En particulier, l'analyse de la rentabilité socio-économique des infrastructures est une question importante, à
laquelle le décideur doit apporter des réponses cohérentes, fondées sur des arguments justifiés pour lesquels
l'utilisation de modèles et de méthodes d'évaluation de projets, souvent satellites des modèles de prévision de
trafic, est recommandée.
DEFINITION
L'analyse de la rentabilité socio-économique d'une infrastructure consiste en la monétarisation de ses coûts et
avantages par rapport à une situation de référence sans projet. Elle permet en particulier de calculer des
indicateurs synthétiques de rentabilité comme le bénéfice actualisé ou le taux de rentabilité interne du projet.
Les principaux critères à prendre en compte dans ce type d'analyse sont les suivants :
le coût d'investissement,
le coût annuel d'exploitation,
les recettes supplémentaires liées à l'accroissement de mobilité TC et au transfert modal (trafic induit et
détourné),
les gains de temps des usagers liés à la mise en place de la nouvelle infrastructure,
les gains de temps résultant de la décongestion de la voirie (transfert de voyageurs de l'automobile vers le
transport public),
la variation des dépenses monétaires des voyageurs,
les économies d'entretien de la voirie liées à la décongestion de la voie publique,
les gains de confort des usagers liés à la mise en place de la nouvelle infrastructure,
les avantages environnementaux (diminution du bruit, de la pollution, des accidents) liés au transfert d'usagers de
l'automobile vers les transports en commun,
l'accroissement de l'accessibilité aux activités urbaines pour tous,
les bénéfices retirés par les employeurs (accès plus facile à la main d’œuvre), les commerçants (accès plus facile
à la clientèle) et les propriétaires immobiliers (accès plus facile aux activités urbaines impliquant une hausse du
prix des logements),
le développement urbain (attractivité du centre, desserte des nouvelles urbanisations, qualité des espaces publics,
préservation des centres historiques... ),
les effets d'entraînement exercés par le projet sur l'économie générale (création d'emplois en phases de travaux et
d'exploitation... ).
Bien entendu, la monétarisation de ces différents critères nécessite de disposer au préalable de prévisions fiables
sur un certain nombre d'éléments fondamentaux, parmi lesquels le trafic attendu.
LIMITES DES APPROCHES UTILISEES
Si la modélisation du trafic a pour seule ambition de proposer un calcul des flux attendus aux heures les plus
chargées afin de "dimensionner" l'infrastructure, les approches actuellement utilisées, qui consistent, dans leur
principe général, à modéliser les flux domicile-travail ou domicile-études à l'heure de pointe, sont satisfaisantes.
Dans ce cas en effet, l'indifférence à la diversité des pratiques de déplacement comme à l'émergence de formes
pionnières de la mobilité n'est pas préjudiciable au projet.
Mais si d'autres considérations viennent compléter la finalité et par conséquent l'utilité du calcul des flux attendus
- telles les considérations de nature politique sur l'opportunité de projets urbains coûteux, dont l'intérêt pour la
communauté doit être envisagé dans toutes ses dimensions, économique, sociétale, culturelle, monétarisées ou
non, directes ou externes -, alors les formes de mobilité relevant en particulier du "hors pointe" et du "hors
navette" doivent être examinées avec attention, car elles éclairent d'une dimension nouvelle l'utilité sociale des
projets. Or, dans le cadre de l'évaluation socio-économique des projets, nous sommes précisément dans cette
situation et il est donc nécessaire que les modèles de prévision de trafic employés s'attachent à prendre en compte
de façon satisfaisante ces éléments. Qu'il s'agisse en effet des recettes nouvelles, des gains de temps, de confort,
des économies d'utilisation de la voiture..., la monétarisation de ces différents critères suppose que l'on raisonne
sur la globalité des déplacements observés, lesquels sont régis par des comportements de mobilité différents de
ceux relatifs aux seuls déplacements pendulaires.
Or, comme cela est évoqué à plusieurs reprises dans le rapport, les déplacements mesurés et prévus par les
modèles classiques concernent essentiellement le motif domicile-travail à l'heure de pointe, le passage aux autres
motifs et autres horaires se faisant par application de coefficients de correction successifs. De plus, dans de
nombreux modèles, seuls les déplacements TC sont pris en compte, ce qui exclut en particulier le processus de
transfert modal pourtant important, et conduit implicitement à ne s'intéresser qu'à une population captive.
Si le schéma de mobilité correspondant implicitement à ces choix de modélisation était valide il y plusieurs
années, il apparaît aujourd'hui quelque peu désuet, et ce pour au moins deux raisons :
D'une part, les modèles classiques sont fondés sur une notion restrictive de la mobilité dont la pertinence est de
moins en moins évidente en raison notamment de la complexification des déplacements et du développement de
nouveaux types de comportements (déplacements hors-pointes, pour d'autres motifs que le domicile-travail,
multimodalité, boucles de déplacement... ).
D'autre part, les modèles classiques sont fondés sur une vision assez mécaniste de la mobilité, où les principales
variables d'intérêt prises en compte dans la modélisation du comportement des individus, sont le coût, le temps et
éventuellement le confort du déplacement (bien que ce dernier élément soit d'ailleurs souvent réduit à la seule
prise en compte du nombre de correspondances effectuées lors du déplacement). De ce fait, la modélisation du
comportement des individus est donc essentiellement fondée sur des arbitrages temps / coût qui ne correspondent
pas nécessairement à la réalité observée. Comme indiqué dans le rapport, d'autres éléments plus subjectifs
comme l'image du système de transport, sa modernité, l'environnement dans lequel il s'insère (aérien ou
souterrain) semblent en effet jouer un rôle non négligeable dans les processus de choix modal. Or ces éléments,
subjectifs et très qualitatifs, ne sont jamais pris en compte de façon satisfaisante dans les modèles.
CONCLUSION
En conséquence, il apparaît que, si les modèles de prévision de trafic remplissent correctement le rôle de
dimensionnement des infrastructures pour lequel ils ont d'ailleurs initialement été développés, leur utilisation
dans le cadre de l'évaluation socio-économique des projets semble en revanche plus contestable.
Dans la perspective d'une meilleure évaluation des infrastructures, il semble en particulier qu'un effort de
modélisation puisse être fait dans le sens d'une meilleure prise en compte des nouvelles formes de mobilité et des
paramètres qui les affectent. Ce point est d'ailleurs d'autant plus important que les déplacements non obligés
semblent se développer fortement et que de nouveaux comportements émergent corrélativement (multimodalité,
nouvelles relations au temps, à la ville et à l'environnement...).
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