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LAGUIOLE SUR LES PENTES DE L’INNOVATION
Par Barbara Poirette
Si le nom fleure bon la table et le terroir, de vrais en faux, Laguiole offre un contour flou où chacun fait valoir sa part
d’héritage. Les couteaux ont été tirés en pays d’Aubrac. Les dépositaires de la tradition coutelière n’entendant pas
s’en laisser conter, la mécanique séculaire des maitres de forge s’est dressée contre l’importun par qui la marque est
arrivée. Depuis les saisons ont passé, l’aligot à filé, et le calme est revenu à la table aveyronnaise. Reste l’ubiquité
d’une marque dont la rumeur populaire dit qu’elle n’en est pas une.
lors qui dit vrai, qui dit faux ? Tout dépend que l’on s’attache à la marque ou à la préservation du savoir-faire.
Car à l’heure contradictoire de la mondialisation et du retour en grâce des objets racinaires, rien ne protège
spontanément l’héritage patrimonial. Aux successeurs la charge de le transmettre, de le faire perdurer et de le
protéger. Or, il semblerait que la résistance ne se soit pas organisée. Laguiole a dilué son potentiel à la
multiplication de sa descendance. Généalogie légitime ou génération spontanée, plus d’une centaine de marques de
coutellerie déclinent le patronyme communal. Une multiplication qui ferait perdre son patois à plus d’un natif, et
épuise quiconque cherche à démêler le faux du vrai.
| Ci-dessus. De l’eau à la bouche au bain de soleil, Laguiole cultive l’art de vivre. À table avec la gamme de couverts
Héritage, pour une culture de la tradition tirée en lignes d’une pureté exceptionnelle. Extrait des collections de
torchons, pour afficher son goût des belles choses dès l’office. Ou ne rien faire et savourer le repos à un bain de
soleil.
A
L’INNOVATION DANS LE SANG
C’est par l’arrivée de Gilbert Szajner que la situation sera tranchée. Après des années passées au Groupe Lafarge
puis chez Pechiney, il cherche l’innovation sur les sentiers du terroir. Héritage de sa vie industrielle, de rotule de
hanche en outil de coupe, l’histoire de la marque Laguiole créée par Gilbert Szajner prend sa source dans les
céramiques techniques. « Il y a plus de 25 ans nous faisions déjà des couteaux à lame céramique. Ils venaient alors
du Japon qui avait développé une parfaite maitrise du sujet et qui par ailleurs excelle en matière de lame » se
souvient-il. Autre forme, autre usage, les stylos à bille céramique, communément appelés roller, forment la seconde
piste de développement.
| Ci-contre. L’appétit est dans le plat. La tradition s’invite à table en références dessinées à fleur de gré et en
couleurs appétissantes qui s’accommodent de gourmandise.
Mais c’est par sa famille qu’il côtoie les couteaux Laguiole, par
l’usage plus que par des racines familiales. D’un couteau à l’autre
et de la céramique à la tradition, Gilbert Szajner affute son idée et
œuvre au rapprochement de l’innovation et de la tradition. Son
immersion dans la tradition coutelière le mène de Nogent à
Solingen en Allemagne, en passant par Thiers ou encore Laguiole.
Mais c’est en cherchant à savoir qui était dépositaire de quoi en
pays aveyronnais qu’il découvre l’ambigüité de la situation.
« Laguiole, comme tout le monde, je pensais qu’il n’en existait
qu’un, or dans les faits la situation se révèle bien différente »
souligne t-il. Rapidement, il constate que le marché n’est pas prêt
pour les couteaux à lame céramique et se concentre sur la
conception d’un stylo à bille céramique, Laguiole.
LE LOUP DANS LES PÂTURAGES
L’idée prend forme et en 1993, Gilbert Szajner dépose la marque Laguiole. Comble du paradoxe, c’est par cet
électron libre échappé du monde industriel que naitra la marque Laguiole ; car elle existe, clairement définie et
âprement protégée. « Aujourd’hui dans l’esprit du public, Laguiole n’est pas une marque, mais une appellation
générique. Une idée à ce point diffusée qu’elle est posée en vérité absolue. Or, cette vérité est pour le moins
tronquée », explique Gilbert Szajner.
| Ci-dessus. L’exigence de la coupe professionnelle se pare d’une esthétique de raffinement et de modernité.
| Ci-contre. Une malle de dégustation, pour amateur voyageur ou esthète ménageant sa monture à la découverte du
vin.
Par effet retour, il récolte le courroux de la commune, des associations de couteliers et de quelques marques par voie
de procès. « Je n’avançais pas masqué et de surcroit je leur avais mis plus d’une puce à l’oreille durant mes
recherches et à l’exposé de mes projets. J’ai bien essayé d’expliquer comment une commune pouvait exploiter une
marque, d’autres l’ont fait et y ont très bien réussi. Mais j’ai vite compris que cette voie était inextricable et j’ai
continué mon chemin ». Le procès aboutit dans le courant de l’année 2000. Les plaignants sont déboutés, mais le
pire des revers reste qu’à l’issue du procès la dénomination Laguiole est déclarée générique pour les couteaux,
frappant au cœur l’héritage traditionnel de Laguiole. Mais au-delà la marque Laguiole existe et quiconque aurait l’idée
de s’y aventurer par la copie ou sur un malentendu, se heurterait à Gilbert Szajner. « Le juge a entériné une situation.
Le problème de Laguiole n’est pas de ne pas avoir été déposée, mais de l’avoir trop été. Lors du procès, l’Inpi
dénombrait cent trente quatre marques exploitant le nom de la commune et uniquement sur la classe couteau. Et
dans le nombre, personne n’a pensé à fédérer le nom, ni à exploiter ou protéger de possibles diversifications. Et le
trop a dilué de potentiel du nom au point de le rendre générique, mais seulement sur la classe couteau » précise
Gilbert Szajner, irrité d’entendre et de lire que la marque Laguiole n’existe pas.
L’INNOVATION DE LA TRADITION
La fièvre retombée, le temps est désormais à la cordialité. Du choc
sera né ce qui pourrait s’apparenter à un clan, fédéré et animé par
Gilbert Szajner. La coutellerie reste une figure imposée, par la
renommée, par les partenaires avec lesquels il travaille, mais aussi
par la force de l’objet. Les traditions de la forge et de l’innovation
sont désormais réunies. Mais Gilbert Szajner n’est pas homme de
demi-mesure, il n’est pas question de faire du neuf avec du vieux
ou de s’endormir à l’ombre d’une réputation forgée par d’autres. A
l’instar des idées, la recherche est elle aussi permanente. Et s’il
est des hommes chez qui une idée chasse l’autre, chez lui les
idées en éveillent d’autres, au point qu’il est parfois difficile de le
suivre. Exalté peut être. Passionné assurément.
| Ci-dessus. Du barbecue à la table, il n’y a que
le coup de fourchette d’un set à cuisiner
habillement servi par le goût de la tradition.
| Ci-contre. L’art de vivre Laguiole équipe
l’extérieur de cuisines mais aussi de barbecues
dimensionnés pour les appétits généreux et
diversifiés.
Un passionné qui sait s’entourer. Son atout
majeur, la coutellerie Tarrerias-Bonjean de
Thiers qui développe sur ses conseils la gamme
de couverts Laguiole Héritage et une gamme de
couteaux de cuisine professionnels Laguiole
Expression au design simplement superbe et
signé de la directrice artistique de Tarrerias
Bonjean, Marie France Ranchoux. « Eric
Tarrerias est un passionné capable d’une haute
technicité. Rétrospectivement il est le premier à
s’étonner que personne n’ait pensé à créer une
ligne de couteaux en acier inox monobloc forgé
comme ceux de la ligne Héritage ou encore une ligne professionnelle de couteaux de cuisine avec une vraie
ergonomie et qualité. C’est aussi lui qui distribue avec succès la collection de vaisselle Laguiole, assumant une
complémentarité naturelle avec son métier de coutelier (depuis cinq générations). Nous travaillons en osmose avec
Eric, sur les envies comme sur la technicité et cet échange est aussi enrichissant que passionnant ; de nouveaux
développements sont à l’étude pour 2010. Si magnifique soit la tradition, la poursuite d’un savoir-faire confine parfois
à l’enfermement, surtout lorsque l’évolution est vécue comme une trahison. Il ne s’agit pas de renier le passé, mais
de le faire vivre. C’est tout le sens de notre message : l’innovation dans la tradition. La tradition, tout comme le savoir
-faire sont des langues vivantes, leur vocabulaire doit pouvoir s’enrichir, évoluer avec son temps, et cela n’impose
pas de renier le passé. Les terroirs ne doivent pas devenir des musées ou pire des mausolées du savoir-faire
français. Ils doivent le célébrer, le faire vivre, oser le bousculer parfois, sinon demain l’artisanat et le savoir-faire
français seront devenus langue morte » expose Gilbert Szajner.
L’ARBORESCENCE LAGUIOLE
Dans la famille Laguiole de Gilbert Szajner, les marques se multiplient, se complètent, se prolongent et délimitent des
lignes de produits. Laguiole l’Éclair, Laguiole Génération, Laguiole Domaine, Laguiole Cuisiniers de Père en Fils,
Laguiole Évolution… les fines lames se déclinent en usages distincts et en styles distinctifs, dans l’esprit de la
tradition ou dans des lignes épurées. Mais Gilbert Szajner ne manque ni d’idées, ni d’audace, et une visite du site
Laguiole suffit à le comprendre.
| Ci-dessus. Un lounge relax pour une
inclinaison naturelle à la détente et une
balancelle suspendue, cocon réservé à
l’évasion, comme un espace temps à soi.
| Ci-contre. Jardin d’enfants, les mobiliers
révisent leurs proportions pour attabler les plus
petits et leur faire savourer les plaisirs de la
table.
Le logo s’est stylisé avec le temps et l’abeille
s’inscrit au sein d’un hexagone qui tout à la fois
incarne la France, l’abeille et la technologie.
Laguiole nous habite et plus qu’une tradition
coutelière la marque véhicule un état d’esprit,
placé à la portée du plus grand nombre. La
tradition se démocratise, tisse de nouveaux
liens. Premier terrain d’expression, la maison et
plus encore la table qui se dresse en couverts,
en vaisselle, en verres de verre et de cristal, en
nappes, et se poursuit à l’office en couteaux,
casseroles, poêles, marmite et faitout en inox et en torchons de couleurs et de motifs stylisés, dotés d’un anneau
métallique pour en faciliter l’accrochage. L’excursion intérieure se prolonge jusque dans la salle de bain « chacun sait
combien les serviettes en nid d’abeille sont aussi belles qu’inefficaces. Nous avons mis au point un tissu au nid
d’abeille hexagonale et non carré, qui grâce à un tissage solidaire fait la part belle au nid d’abeille sur l’endroit et sur
l’envers offre une surface éponge efficace ».
| Ci-contre. Portrait de famille surligné d’une frise symbolique qui reprend le motif des ressorts de couteaux, jeu de
couleurs bigarrées ou logo stylisé, les collections de torchons déclinent Laguiole à toutes les modes.
En extérieur, c’est un barbecue qui érige la grillade en art à part entière et généreuse. Pour l’hospitalité des beaux
jours se sont des meubles de jardin aux lignes contemporaines et exploitant tous les progrès de l’outdoor qui habitent
les terrasses, mais aussi des cuisines d’extérieurs et bientôt des mobiliers pour enfants et un projet ambitieux de
tonnelle certainement finalisé pour l’été. Pour composer la vue… Gilbert Szajner visite les bacs et les jardinières
formés à la modernité du ciment ou en terra cota, décliné en couleurs émaillées. Dans la poursuite de sa réflexion, il
passe de la table à la terre, développe une gamme d’engrais bios (certifiée) Laguiole et comme pour boucler la
boucle, des outils de jardinage seront bientôt disponibles pour entretenir massifs et potagers. Et de butiner l’abeille
Szajner essaime une collection riche de surprise. A chaque univers, seule l’improvisation n’a pas sa place. Car c’est
bien dans les détails qu’il pose la marque de l’innovation, qu’il s’agisse d’assister la manipulation des chaises longues
par des vérins ou de poser des systèmes évitant aux enfants de se coincer les doigts.
Insatiable, sa nature épicurienne s’aventure chez les fumeurs, les
amateurs de vin et les gastronomes. Enfin l’habillement et les
accessoires forment le dernier maillon de l’art de vivre selon
Laguiole. Le plaisir étend de proche en proche ses ramifications.
Le jardin qui du potager au tranchant des outils de jardinier
entretient la filiation, le barbecue qui prolonge l’idée de la bonne
chair et s’entoure d’hospitalité, il en va de même lorsque Gilbert
Szajner investit l’univers de la détente et décline dans les formes
comme dans l’esprit la panoplie du gentleman randonneur. « Je
veux marquer les esprits par la qualité et l’innovation » explique
Gilbert Szajner qui confie la réalisation de ses idées à des
spécialistes, majoritairement français. « Je veux éviter le
cardénisme aigüe, qui consisterait à frapper d’une abeille le
premier produit venu. Mais je ne m’interdit aucun sujet. L’objectif
est de préserver l’état d’esprit et de l’exprimer sur d’autres terrains,
de le confronter à l’excellence d’aujourd’hui, sans pour autant
renier l’excellence traditionnelle. Je ne suis pas dans l’opposition
de ces deux mondes, au contraire » conclut-il.
Plus d’informations
Laguiole - www.laguiole.tm.fr
Boutique en ligne - www.laguiole-attitude.fr
A l’Inpi, Institut National de la Propriété Industrielle, la classe 08 encadre : les outils et instruments à main
entraînés manuellement ; coutellerie, fourchettes et cuillers ; armes blanches ; rasoirs. Appareils pour l'abattage
des animaux de boucherie ; outils à main actionnés manuellement pour le jardinage ; tondeuses (instruments à
main).
Il faut savoir que le dépôt de marque, se fait sur des catégories de produits (régies en 45 classes) et sur des
périmètres géographiques, permettant de protéger celle-ci au niveau national et international.
www.inpi.fr
11 DÉCEMBRE 2009
Source :
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