Le poids de l`air, le choc des molécules : quel rapport

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Le poids de l`air, le choc des molécules : quel rapport
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
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Le poids de l’air, le choc des molécules :
quel rapport ?
par Laurence Viennot
Laboratoire de didactique André Revuz
Université Paris-Diderot (Paris 7) - 75005 Paris
[email protected]
RÉSUMÉ
Cette note propose et discute des éléments de réponse à cette question commune :
comment se fait-il que la pression due aux chocs des molécules sur le sol corresponde
exactement à ce que dicte un bilan newtonien, c’est-à-dire la valeur obtenue en divisant
le poids d’une colonne d’air par l’aire de sa base.
Une question récurrente, notamment en formation de stagiaires PLC2, traduit le
malaise que génère le thème du poids de l’atmosphère : comment les molécules qui frappent la surface du sol « savent-elles » que leurs chocs doivent répercuter le poids de la
colonne d’air au-dessus d’elles ?
Abusivement associé au thème de « l’air qui nous entoure », le programme de seconde
actuel pourrait plus justement, de ce point de vue, être considéré comme traitant de l’air
dans une éprouvette : la question de l’atmosphère, de son poids et de son inhomogénéité,
n’y est pas directement traitée. La masse même des molécules n’apparaît pas, et donc pas
non plus la dépendance de la cinétique à cette grandeur (ainsi pour une température
donnée, les molécules vont en moyenne plus vite dans l’hélium que dans l’air). On va
même très souvent jusqu’à souligner fortement, sans les précautions nécessaires, que tous
les gaz parfaits se comportent de la même manière, ce qui ne s’applique pas non plus à
leur comportement dans un champ gravitationnel.
Faute d’expérimentation préalable avec des élèves ou des étudiants – ou presque –
les éléments de réponse proposés ici pour la question introductive ne visent pour l’instant qu’à alimenter une discussion sur ce qui peut être dit à ce sujet. S’ils pouvaient
contribuer à dissiper l’impression de mystère ou permettre de mieux la localiser, ils
auraient atteint leur but.
Après une brève évocation du traitement classique de l’atmosphère isotherme, une
formulation plus intrigante du résultat associé à cette banale question de cours est proposée,
suivie d’éléments de raisonnement qui n’ont d’inédit que le rapprochement d’une vision
particulaire et de la considération de la gravité. Cette présentation vise, autant que faire
se peut, la simplicité.
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1. ANALYSE CLASSIQUE D’UNE COLONNE D’AIR ISOTHERME
Il est classique d’analyser une colonne d’air isotherme, de surface de base dS, de la
façon résumée ci-dessous. Il s’agit ici de la pratique physicienne commune, sachant
qu’une présentation beaucoup plus compatible avec un traitement mathématique des différentielles est tout à fait possible [1-2].
Une tranche comprise entre les altitudes z et z + dz (cf. figure 1) est soumise, de
la part de l’air extérieur, à deux forces inégales de directions opposées, agissant sur les
faces horizontales situées à ces altitudes. La résultante des autres forces exercées par l’air
extérieur sur la tranche considérée (forces qui sont horizontales) est nulle.
Figure 1 : Schéma pour une colonne d’atmosphère.
La force résultante d f exercée par l’air extérieur à la tranche sur celle-ci vaut donc :
d f = 7p (z) – p (z + dz)A dS u
où u est un vecteur unitaire vertical ascendant.
On peut écrire cette égalité :
d f = – dp dS u
Par ailleurs, le poids de la tranche dP vaut :
dP = – g t (z) dz dS u
où t (z) est la masse volumique de l’air à cette altitude.
À l’équilibre, la résultante de toutes les forces exercées sur la tranche est nulle :
dP + d f = 0
et donc :
soit :
g t (z) dz dS u + dp dS u = 0
(1)
dp/dz = – g t (z)
(2)
Enfin, la relation des gaz parfaits ( pV = nRT , en notations habituelles), que l’on
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considère comme applicable ici, permet d’écrire t = Mp/RT .
dp/p = – ^Mg/RTh dz
Donc :
(3)
Et, en atmosphère isotherme,
p (z) = p 0 exp ^– Mgz/RTh
z = 0.
où p 0 est la pression à l’altitude
(4)
La force exercée par la colonne sur le sol vaut – p 0 dS u . Un bilan global de forces
sur la colonne permet, compte tenu de la troisième loi de Newton, de dire que le poids
P de la colonne vaut également :
P = – p 0 dS u
On trouve aussi le poids P de la colonne par un calcul intégral :
P=–
P=–
soit :
Et, puisque
#03 g t dzdS u
#03 g Mp/RT dzdS u = – g MdS/RT #03 pdz u
(5)
#03 pdz = p 0 RT/Mg
(6),
P = – p 0 dS u
(7)
Autrement dit, le produit de la pression de la colonne d’air à l’équilibre au niveau
du sol par la surface de contact entre sol et colonne est égal au poids de la colonne.
2. UNE AUTRE FAÇON DE VOIR LES CHOSES
L’affaire pourrait en rester là, sans autre questionnement. Un bilan newtonien global
est un argument sans appel, et l’intégrale confirme la relation entre poids et pression au
sol. Pourtant, comme souvent [3], un argument formel du type « il faut bien que » ne
satisfait pas pleinement. Ceux qui ne s’en contentent pas, souvent loin d’être des débutants, passent parfois par une reformulation du résultat équivalente à celle-ci :
Les chocs des molécules au sol se traduisent par une force égale au poids de toutes celles
qui sont au dessus, comme si celles-ci se touchaient en situation statique.
Alors, ce résultat – certes sans appel – apparaît comme plus intrigant. On peut en chercher une autre approche dans un raisonnement plus local. C’est l’objet de la proposition
suivante.
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3. MOLÉCULES, LEURS CHOCS ET LEUR POIDS :
PROPOSITION D’ANALYSE
Dans une boîte cylindrique à faces horizontales d’altitudes z, z + Dz , une particule
de masse m (la seule à occuper l’intérieur vide par ailleurs) fait l’aller et retour entre ces
deux faces. Sa vitesse, verticale, a pour module v à l’altitude inférieure et v + Dv à l’altitude supérieure, du fait de la gravité. Le temps de chute, comme celui de la remontée,
vaut Dt . Sur chaque face, le choc a pour effet de « retourner » la quantité de mouvement.
Figure 2 : Mouvement et chocs d’une particule dans une boîte.
Peut-on montrer que l’action de cette particule sur la boîte est en moyenne égale au
poids de la particule ?
Signalons déjà que ce résultat paraît tout de suite beaucoup plus problématique que
son équivalent global, concernant le poids de l’atmosphère. Lors d’un sondage auprès
d’étudiants de licence, douze étudiants sur treize pensaient ce résultat inexact, pour une
molécule, alors que la relation entre poids de l’atmosphère et pression au sol leur avait
semblé a priori sans mystère. Voyons donc un moyen de s’en convaincre.
À un instant donné, la force exercée par la boîte sur la particule obéit à la deuxième
loi de Newton : f = m a = dp/dt où p est la quantité de mouvement de la particule.
Pendant une période de temps de durée T, la valeur moyenne de cette force est :
Fmoy. (boîte sur part.) = (1/T)
#0
T
f dt = (1/T)
#0
T
dp = D p / T
(8)
D p est l’accroissement de quantité de mouvement dû à la boîte sur la période de durée
T.
Considérons une durée T = 2 Dt , soit un aller et retour de la particule. Deux chocs
ont eu lieu, à des vitesses de valeurs respectives v et v + Dv .
® Variation de la quantité de mouvement p pour un choc en haut de la boîte :
– 2 m ^v + Dvh u .
® Variation de la quantité de mouvement pour un choc en bas de la boîte :
2 m (v) u .
® Variation de la quantité de mouvement due à la boîte pour un aller et retour :
D p = – 2m^Dvh u .
Or l’accroissement de vitesse entre le bas et le haut est déterminé par la pesanteur,
il s’agit d’une chute libre : Dv = – g Dt .
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Donc D p = 2m g Dt u et d’après (8) :
Fmoy (boîte sur particule) = 2mg Dt /2Dt u
Soit :
Fmoy (boîte sur particule) = mg u
(9)
La force exercée par la particule sur la boîte vaut donc, en moyenne, – mg u , c’està-dire le poids de ladite particule. La particule, via les chocs sur les parois de la boîte,
exerce sur celle-ci, en moyenne, une force égale à son poids.
Ce raisonnement est valable quelle que soit la valeur de v. Il s’applique aussi bien
à la composante verticale de toute vitesse particulaire non verticale.
Les chocs intervenant entre particules conservent la quantité de mouvement. Le fait
qu’ils puissent intervenir au cours de la période considérée ne change pas la moyenne
dans le temps des forces exercées par les molécules sur les parois ou le sol.
Enfin, en l’absence de parois horizontales, le transfert de quantité de mouvement à
la couche considérée de la part des voisines est le même que celui dû aux parois fictives
considérées ici. C’est d’ailleurs ainsi que, classiquement, l’on ne distingue pas la pression sur une paroi de celle existant au sein d’un fluide à l’équilibre.
Donc ce raisonnement rejoint ce résultat bien justifié par ailleurs : l’action des molécules au sol, via les chocs, est la même que si toutes les molécules de l’atmosphère étaient
empilées, immobiles sur le sol.
4. REMARQUES FINALES
En admettant qu’on puisse trouver dans l’approche ci-dessus une source d’éclaircissements, il reste à savoir comment en faire profiter nos élèves et à quel niveau. Ceci
justifie un travail de recherche didactique, en cours. Sans anticiper par trop sur les résultats, on peut dégager plusieurs aspects a priori favorables ou au contraire obstacles potentiels à la compréhension.
D’une part, on l’a souligné plus haut, on sort, avec cette hypothèse, de l’argument
global « il faut bien que le théorème du centre d’inertie soit satisfait » pour se demander
comment il peut l’être, au niveau local d’une molécule. D’autres travaux ont montré les
bénéfices de tels changements d’échelle dans l’analyse. Outre un meilleur accès à la
compréhension, on atteint là le type de démarche de mise en lien qui souligne toute la
puissance et l’élégance d’une théorie physique [4], en l’occurrence la mécanique newtonienne ici appuyée par la théorie cinétique des gaz. En fait de lien, d’ailleurs, ce ne sont
pas seulement le local et le global qui sont ici réconciliés, mais aussi une vision statique
et la dynamique des chocs.
Pour autant, il ne faut pas sous-estimer la difficulté, notamment celle qui résulte de
l’usage de moyennes. Il y a là une source potentielle de brouillage puisque, justement, l’asVol. 104 - Mars 2010
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pect individuel – l’analyse de la dynamique d’une molécule – s’y dilue quelque peu.
Il est à noter que la thermodynamique n’entre en scène que très discrètement. Comme
on peut s’y attendre, elle est absente lorsqu’il s’agit d’une molécule. Il est moins évident
a priori que la distribution des vitesses n’affecte pas la conclusion établie avec une molécule au niveau d’une tranche, un fait qui tient à ce que, justement, cette conclusion ne
dépend en rien de la vitesse. Dans la même ligne d’analyse purement newtonienne, on
montre aussi bien qu’un sablier retourné en régime permanent (il y a encore du sable en
haut et il y en a déjà en bas) exerce sur la balance la même force qu’en situation statique,
sans écoulement. Cet exemple peut d’ailleurs servir à démystifier la question du poids de
l’atmosphère.
La relation des gaz parfaits n’entre en scène que lorsqu’il faut relier masse volumique et pression et faire un calcul intégral. Discrète… mais recélant ce qu’il reste de
mystère, la thermodynamique nous dicte qu’en situation isotherme c’est le nombre de
particules qui rend compte de la variation – exponentielle décroissante – de la valeur des
forces mutuelles entre tranches : des particules, il y en a plus au sol qu’en altitude. Il faut
avouer que les tentatives de raisonnement mécaniste – au-delà des habituels « il faut bien » –
butent quelque peu à ce niveau, pour imaginer comment les molécules « savent », cette
fois, où et dans quelle proportion s’accumuler. Il fallait bien que BOLTZMANN s’en mêle.
BIBLIOGRAPHIE
[1] ARTIGUE M., MENIGAUX J. et VIENNOT L. Questionnaires de travail - Les différentielles. IREM-LDPES, Université Paris 7, 1988.
[2] ARTIGUE M., MENIGAUX J. et VIENNOT L. « Some aspects of students’ conceptions
and difficulties about differentials ». European Journal of Physics, 1990, 11, p. 262267.
[3] BESSON U. et VIENNOT L. « Using models at mesoscopic scale in teaching physics:
two experimental interventions on solid friction and fluid statics ». International
Journal of Science Education, 2004, 26 (9), p. 1083-1110.
[4] VIENNOT L. avec la collaboration de U. BESSON, F. CHAUVET, P. COLIN, C. HIRNCHAINE, W. KAMINSKI et S. RAINSON. Enseigner la physique. Bruxelles : De Boeck,
2002.
Laurence VIENNOT
Professeur
Université Paris-Diderot (Paris 7)
Laboratoire de didactique André Revuz
Paris Ve
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