Le turn-over dans les équipes, quels enjeux?

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Le turn-over dans les équipes, quels enjeux?
INSTITUT DE FORMATION DE PROFESSIONS DE SANTE
CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE
BESANCON
FORMATION CADRE DE SANTE
Le turn-over dans les équipes,
quels enjeux?
Mémoire présenté en vue de l'obtention du Diplôme de Cadre de Santé
Option infirmière
Agnès WENDLINGER
Promotion 2013-2014
Directeur de mémoire
- Madame Aline CHASSAGNE-JACQUOT, Doctorante en sociologie
1
REMERCIEMENTS
2
REMERCIEMENTS
Je souhaite en premier lieu remercier Aline CHASSAGNE-JACQUOT pour sa
disponibilité et son accompagnement tout au long de ce travail.
Je remercie ma famille pour sa confiance et son soutien, si précieux.
Je remercie particulièrement l'équipe pédagogique de son accompagnement.
Je remercie les collègues de promotion pour leurs conseils, avis et soutien.
Je remercie également les professionnels de santé qui se sont rendus disponibles pour me consacrer un peu de leur temps, et qui ont contribué à l'élaboration de ce travail.
Enfin, je remercie toutes les personnes qui ont apporté une pierre à cet édifice
que ce soit par la parole réconfortante ou leurs commentaires.
A mon Papa,
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SOMMAIRE
4
SOMMAIRE
1
2
INTRODUCTION ......................................................................................... 8
1.1
Le contexte professionnel ..................................................................... 9
1.2
Le choix de la problématique et de l'hypothèse ................................... 18
APPROCHE CONCEPTUELLE ................................................................ 20
2.1
La définition du Turn-over ................................................................... 21
2.2
La Motivation ...................................................................................... 22
2.2.1
La motivation intrinsèque .............................................................. 23
2.2.2
La motivation extrinsèque ............................................................. 24
2.2.3
La motivation au travail ................................................................. 25
2.3
2.3.1
L'identité ....................................................................................... 28
2.3.2
L'identité collective ....................................................................... 29
2.3.3
L'identité professionnelle .............................................................. 31
2.3.4
L'identité professionnelle du soignant ........................................... 34
2.4
3
De l'identité individuelle à l'identité professionnelle. ............................ 28
Les conditions de travail...................................................................... 35
METHODOLOGIE .................................................................................... 40
3.1
Le canevas d'entretien ........................................................................ 41
3.2
La population choisie .......................................................................... 42
3.3
La réalisation des entretiens ............................................................... 42
3.4
Les limites ........................................................................................... 44
3.5
Le profil des personnes interrogées .................................................... 44
3.6
Le tableau des déterminants sociaux .................................................. 46
5
4
ANALYSE DES ENTRETIENS ................................................................. 48
4.1
L'équipe, un déterminant de choix....................................................... 49
4.2
L'engagement, jusqu'où et selon quels critères? ................................. 54
4.2.1
D'un point de vue global ............................................................... 54
4.2.2
La solidarité .................................................................................. 55
4.2.3
Les valeurs professionnelles ........................................................ 56
4.2.4
L'engagement dans la profession?...Si la vie personnelle le permet.
.......................................................................................................58
5
4.3
Les conditions de travail...................................................................... 63
4.4
La Suisse comme employeur concurrent. ........................................... 68
4.5
Conclusion de l'analyse ...................................................................... 71
4.6
Retour sur l'hypothèse de départ ........................................................ 71
ENSEIGNEMENTS TIRES ....................................................................... 74
5.1
Sur la démarche et la méthodologie de recherche .............................. 74
5.2
Sur la fonction de cadre de santé ........................................................ 74
6
DISCUSSION ........................................................................................... 76
7
BILBIOGRAPHIE ..................................................................................... 79
8
ANNEXES.................................................................................................. 84
6
INTRODUCTION
7
1 INTRODUCTION
Le travail de recherche qui suit, constitue le travail ultime dans la formation de
cadre de santé tout en étant le résultat d'une réflexion menée sur neuf mois. Il
m'a permis de prendre du recul par rapport à ma pratique hospitalière et de
prendre le temps de réfléchir à la problématique hospitalière émise au regard
de mon vécu professionnel en tant que faisant fonction de cadre de santé.
Le cadre de santé est au cœur de la vie d'une unité de soin. Il a sous sa responsabilité un ensemble de personnes qu'il accompagne selon une politique
institutionnelle et des organisations définies, mais aussi selon les évènements
du quotidien et en fonction des personnes qui composent cet ensemble que l'on
appelle communément "l'équipe".
Le quotidien de cette équipe est rythmé par l'organisation et la réalisation des
soins prodigués aux patients, mais ce rythme est influencé par les professionnels tant par ce qu'ils sont individuellement, que collectivement. Ainsi, son existence ne peut être linéaire et pérenne.
C'est sûrement ce que je retiens de plus marquant au cours de mon expérience
de faisant-fonction de cadre de santé. En effet, j'ai rapidement été confrontée à
des départs d'agents, parfois de manière ponctuelle, puis "par vague". Il me
semblait à ces moments d'avoir à maintenir un équilibre dans le déséquilibre
engendré par ces mouvements. Ce fut pour moi une tâche ardue. De fait, lors
des échanges avec les professionnels concernés par un départ j'ai tenté de
comprendre leurs choix, non pas pour émettre un jugement, mais bien pour essayer d'identifier ce qui pouvait amener le professionnel dans sa réflexion à
poursuivre ce choix.
C'est à partir de cela que j'ai souhaité traiter le sujet du turn-over, avec un objectif qui était de comprendre ce qui pousse un professionnel à quitter un service ou un établissement.
Pour cela, il est nécessaire en premier lieu de poser le contexte dans lequel j'ai
évolué en tant que faisant-fonction de cadre, qui conduira ce travail vers sa
problématique et son hypothèse.
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L'approche conceptuelle développée dans un second temps apportera un éclairage, afin de mieux appréhender la suite du travail à l'aide du cadre théorique.
Ensuite, la méthodologie utilisée permettra de baliser la démarche et les conditions de réalisation des entretiens auprès des professionnels, dans le but d'en
proposer une analyse, qui viendra étayer grâce à une étude empirique l'approche conceptuelle. A l'issue de cette analyse, suivra une réflexion sur les enseignements tirés de ce travail pour enfin aboutir à sa discussion.
1.1
Le contexte professionnel
J'ai exercé le poste de faisant-fonction de cadre de santé à partir d'octobre
2009 dans un centre hospitalier dit de proximité, en Franche-Comté, à Pontarlier, situé en zone frontalière à 30 kms des premiers établissements sanitaires
suisses. On retrouve des établissements sanitaires, tels que des hébergements
pour personnes âgées ou hôpitaux locaux dans un rayon de 40kms. La Suisse
est connue des professionnel(le)s comme pourvoyeur d'un salaire plus élevé et
comme ayant une dotation plus importante en termes de ratio soignant / soigné.
Le centre hospitalier emploie près de 1300 agents, ce qui en fait le premier employeur de la ville et des alentours.
J'ai démarré dans une unité de médecine polyvalente dite à orientations:
Pneumologie- oncologie médicale- diabétologie/endocrinologie et dermatologie.
Le service accueillait 24 voire 25 patients. L'âge de la population soignée pouvait être très variable. Les patients arrivaient de tous horizons, surtout rural.
Ainsi pour beaucoup à leur arrivée, ils étaient traités pour divers problèmes de
santé. Les pathologies étaient diverses et complexes du fait du caractère chronique de celles- ci. Parfois, deux soignants se trouvaient « monopolisés » pendant 1 heure voire 1 heure 30 auprès du même patient, en sachant qu'il y avait
d'autres soins à réaliser pour encore douze autres patients. L'accumulation de
l'importance des soins pouvait être : prise en soins de patients obèses, soins de
plaies variqueuses multiples, étendues et douloureuses nécessitant l'intervention de l'équipe mobile de la douleur pour une analgésie supplémentaire par
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protoxyde d'azote. Ce qui impliquait une coordination parfois difficile à anticiper
par rapport à l'organisation des équipes et l'état du patient. Puis, il était possible
dans le même temps d'avoir en gestion l'accompagnement d'un patient en fin
de vie et sa famille.
Par journée de travail, l'équipe était organisée ainsi: deux infirmières par ½
journée soit une pour douze patients. Quatre aides-soignantes pour la journée
(trois en journée continue et une en coupé) puis une infirmière et une aidesoignante pour la nuit.
Les pics d'activité étaient parfois longs (deux, trois, quatre mois avec un taux de
remplissage à 100% et surtout un turn-over important de patients), et s'associaient aux prises en soins décrites plus haut. L'équipe de cette unité comportait
des agents récemment arrivés et d'autres avec trois, cinq voire dix ans d'ancienneté. Cette diversité offrait une dynamique intéressante en terme de mélange dans les réflexions concernant les pratiques de soins. Cependant, et essentiellement lors des pics d'activité, les agents les plus anciens ont commencé
à:
 vouloir changer de service pour retrouver un rythme "plus normal" en
termes de charge de soins,
 quitter le Centre Hospitalier pour une activité en libéral,
 générer pour certains de l'absentéisme de plus ou moins courte durée
( de quelques jours à plusieurs semaines).
De fait, d'autres agents étaient partis de l'équipe (avant mon arrivée) et selon
leurs termes "elles ne s'y retrouvaient pas dans ces moments-là " dans la relation aux collègues. De plus, l'activité allant crescendo du fait de la prise en
charge des patients diabétiques (souvent poly-pathologiques) ces agents souhaitaient retrouver un rythme plus "normal", "sans courir et en ayant le temps",
et à ces moments-ci, le poids du travail de week-end voire de nuit parfois se
faisait plus lourd. Le sens donné à leur travail était remis en question, leurs valeurs se trouvaient bousculées, ayant parfois le sentiment qu'il fallait, je cite:
"dépoter du patient", comme l'exprimait une aide - soignante, qui travaillait dans
l'unité depuis cinq ans.
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Puis les départs se sont enchaînés, les remplaçantes étaient souvent de jeunes
professionnelles récemment diplômées, sans réelles perspectives professionnelles pour certaines. Effectivement, ces personnes étaient embauchées en
CDD, et restaient attentives à toutes offres "plus intéressantes" surtout en
terme de salaire, donc ouvertes à une proposition en Suisse, en libéral. Cependant, même si elles n'étaient pas embauchées en CDI, certaines ne souhaitaient pas y accéder, car désireuses de pouvoir quitter en peu de temps, en cas
de meilleure offre. Il y a même une aide-soignante qui m'avait clairement expliqué qu'elle ne souhaitait ni CDI, ni stagiairisation. Son projet étant de reprendre
une formation infirmière, elle souhaitait pouvoir bénéficier d'aides diverses de
financement, du fait de la précarité liée au contrat et ainsi être rémunérée pendant sa formation sans avoir à rendre "x" mois suite à une promotion professionnelle.
En 2011, en plus des départs définitifs de l'unité, s'est ajouté le départ en congés maternité pour plusieurs d'entre elles, puis pour une le remplacement de la
remplaçante, jusqu'au jour où l'équipe s'est renouvelée à hauteur de sept nouvelles aides-soignantes sur huit. Cette nouvelle équipe était jeune ( 22 ans en
moyenne d'âge). L'agent restant a formé ses nouvelles collègues. Parallèlement, l'équipe IDE se métamorphosait également pour les mêmes raisons mais
de manière plus diluée. Une nouvelle dynamique s'installait, avec des personnes qui venaient d'autres établissements avec des idées neuves et différentes.
Il se dégageait même un certain engouement pour réorganiser les choses, et la
solidarité se créait petit à petit. Par exemple, suite à une réunion d'équipe, les
aides-soignantes m'ont fait part de la difficulté éprouvée en termes de tâches à
effectuer pour un même horaire (de coupé). C'est alors que je leur dis qu'effectivement il était peut être temps de repenser cette organisation mais que pour
cela je comptais sur leur participation et réflexion afin de rester au cœur de leur
pratique, et d'ajuster au mieux ce qui devait changer.
L'organisation de travail selon l'horaire effectué n'était plus répartie de manière
équitable, particulièrement sur l'horaire de coupé où se concentraient beaucoup
de tâches en plus d'une amplitude horaire de douze heures. Ainsi, l'équipe
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aide-soignante a proposé de re-décomposer leurs tâches au regard de l'activité
globale de l'unité et au regard des organisations des infirmières et agents de
service hospitalier. Elles ont alors remis en question des pratiques pour lesquelles la pertinence n'était plus si certaine: il y avait en trois heures d'intervalle
deux tours auprès des patients entre l'installation pour les repas du midi et le
tout début d'après - midi, alors qu'ensuite ils n'étaient vus que vers les 16h-17h,
sauf en cas d' appels des patients, bien sûr.
Elles ont ainsi proposé de revoir les horaires de passage pour mieux couvrir la
journée. Puis lors de la présentation en équipe complète, l'équipe infirmière a
spontanément proposé de reprendre la pose des aérosols du matin pour "soulager" les aides-soignantes lors des temps de nursing, puis ont également proposé de s'inscrire dans un travail en binôme l'après-midi.
Cette démarche spontanée de l'équipe infirmière a renforcé un lien plus fort en
terme de cohésion d'équipe. Ce qui a eu pour effet de modifier aussi certains
aspects organisationnels pour les infirmières, notamment dans la préparation
du tour de perfusions qu'elles ont décalé pour tenter de répondre à cette proposition de travail en collaboration. Puis les agents de service hospitalier, ont elles
aussi proposé quelques changements dans leurs pratiques concernant la distribution du petit-déjeuner et de la collation d'après-midi.
Ce changement a été vécu comme un nouveau souffle dans leur activité professionnelle, qui au gré des mois s'est réellement inscrit dans leur travail. J'observais même une certaine fierté lorsqu'elle présentait leur fonctionnement aux
collègues de passage (pool) voire aux étudiants. La collaboration et la solidarité
étaient mises en avant pour sensibiliser les apprenants dans leur rôle en collaboration.
Les difficultés liées à cette organisation avait été effectivement pointées par
l'équipe qui était partie, en exprimant très fort la difficulté sur certains horaires.
Cependant, malgré une première tentative pour les faire changer, cela ne prenait pas, comme si un point de non retour était atteint, ou quoi qu'il se passe,
çela n'irait pas. Il me semblait à ce moment là, que chacun fonctionnait pour
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son propre intérêt, et comme "englué" dans un fonctionnement duquel elle ne
pouvait se sortir qu'en partant.
A contrario, la nouvelle équipe en place n'avait pas encore trop d'ancienneté au
moment où les choses se sont mises à changer, ce qui a permis selon moi, une
réelle ouverture de chacun sur sa propre manière de concevoir son travail, mais
aussi sur l'autre dans ses difficultés ou contraintes liées au fonctionnement de
base inhérent au service.
Ainsi, l'année qui a suivi ces changements fut beaucoup plus sereine et l'équipe
se reconstruisait pas à pas dans sa nouvelle identité et ses nouveaux modes de
fonctionnement. Un an après cette période stabilité, l'équipe a vécu à nouveau
d'autres changements pour deux raisons : grossesses, suivi du conjoint.
J'ai alors craint un désengagement de l'équipe dans ce qui était mis en place du
fait d'un équilibre mis à mal. Mais à ce moment, la notion d'entraide, de solidarité entre chacun était relativement prégnante, et les départs annoncés ont été
acceptés sereinement, car comme le disait l'équipe "on va se serrer les coudes
pour que ce que nous avons mis en place et qui fonctionne ne parte pas en
mille morceaux".
C'est dans ce contexte de nouvelle modification d'équipe que j'ai passé le relais
à ma collègue faisant-fonction de cadre pour intégrer une autre unité.
Je prends donc la responsabilité en septembre 2012, de l'unité de cardiologie.
C'est une petite unité de 14 patients avec un nombre similaire d'agents par rapport au service d'où je viens, mais avec beaucoup plus de temps partiels. Leur
répartition à la journée nécessitait deux ou trois infirmières par jour et une la
nuit et idem pour les aides-soignantes. Cette équipe était relativement stable et
vivait un turn-over faible.
La raison de mon affectation à ce service est liée au projet d'établissement de
créer une nouvelle unité de cardiologie-neurologie et d'augmenter sa capacité à
26 patients pour le mois de novembre. Deux départs de l'unité ont lieu avant le
déménagement, du fait d'un projet professionnel. Les deux départs sont pour le
milieu libéral en suisse L'équipe évolue au sein d'une structure architecturale,
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plus petite, l'ambiance d'équipe y est chaleureuse, chacun se connaît bien, de
plus les chambres sont relativement vastes malgré une absence de salle de
bain. La prise en charge du patient est assurée avec "du temps", comme elles
avaient l'accoutumée de dire, de plus, le profil des patients n'est pas polymorphe, il y a relativement peu souvent de patients à prise en soin lourde pour
une pathologie voire plusieurs.
La création de cette nouvelle unité entraîne une augmentation de l'effectif ( basé sur celui des autres unités de médecine). La majorité de l'équipe de cardiologie suit le changement, puis les nouvelles recrues affectées sont dans cette
unité par choix.
Le déménagement s'opère en novembre 2012. L'emménagement dans les
nouveaux locaux est difficile: certains lieux ne sont pas complètement terminés
(essentiellement des lieux de rangements dans lesquels les étagères n'étaient
pas encore faites). L'organisation structurelle se finalise dans les deux mois qui
suivent l'ouverture. Le plus difficile à vivre pour les équipes est l'activité conséquente dès l'ouverture et sur les quatre mois qui suivent. En effet, nous avons
comptabilisé grâce à un registre interne à l'unité une moyenne de 115 entrées
par mois, pour une capacité de 26 lits, alors que les mois qui ont suivis, l'activité
se situait à une moyenne de 90-100 entrées. Il faut dans ce même temps que
l'équipe nouvellement constituée s'habitue à travailler ensemble. Pour certains
agents, les deux spécialités médicales sont nouvelles. Il leur faut s'acclimater
aux nouvelles exigences liées aux pathologies, ainsi qu'aux nouvelles exigences médicales. Pour les agents qui ont connu la cardiologie, il faut faire "le
deuil" des bonnes conditions de travail de "l'ancien service", c'est-à-dire une
équipe stable, une bonne ambiance, un nombre de patients (14) inférieur à celui des autres unités, du temps, et une prise en soins des patients moins dense.
Chacun tente de prendre ses marques, et de repartir des réunions de préparation réalisées en amont, pour intégrer l'organisation posée à la base. Ces réunions ont mêlé choix des agents et règles de base que j'ai dû poser, et qui
avaient pour objectif de baliser l'arrivée des équipes, voire de faciliter l'immersion. Courant janvier, les premiers souhaits de changements apparaissent.
C'est alors que je retrouve sensiblement les mêmes raisons que dans la pre14
mière unité où j'étais: une nouvelle équipe paramédicale et médicale, un nouveau faisant fonction de cadre, dans laquelle les soignantes de l'ancien service
ne se retrouvent pas, une fatigue intense liées à la charge de travail, et du
coup, un questionnement quant au souhait de vouloir poursuivre le travail de
week-end du fait de vies personnelles denses ( trajets, gardes d'enfants...et ce
tant en terme de gestion dans l'organisation personnelle que de coût financier...) et avec à ces moments-ci, un besoin important de se ressourcer loin du
milieu professionnel. C'est aussi à cette période que l'équipe reçoit la visite ou
des nouvelles de leurs collègues parties en Suisse pour qui je cite "c'est de
l'eau et du vin" pour un salaire plus qu'attractif. Leur motivation est atteinte,
avec une réelle remise en question de "pourquoi et pour qui fait-on tout cela?"
"Le patient semble bien loin parfois". Je sens l'équipe très questionnée dans
ses pratiques, bousculée car elle n'arrive pas à s'engager comme elle le souhaiterait dans le soin du fait d'une adaptation encore en cours. Les méthodes
de travail sont différentes, chacun tente de "s'apprivoiser" pour faire naître un
état d'esprit solidaire afin de trouver un équilibre.
Les remplacements de ces personnes parties, sont pourvus assez rapidement.
Puis, de nouveaux départs se sont profilés dont un d'aide-soignante, qui est
partie pour la Suisse (prise d'un temps partiel pour un salaire au moins équivalent). Ce départ n'est pas remplacé de suite, faute de postulants au sein du
Centre Hospitalier. Conjointement à cela, le travail au sein de l'unité reste intense, et les demandes de l'équipe appuyées par l'équipe médicale s'orientent
vers du personnel supplémentaire alors qu'il n'y a pas de ressources humaines
pour combler l'effectif de base. Il est proposé dans un premier temps d'affecter
un agent à temps partiel qui permettrait une présence supplémentaire sur les
temps forts des soins (matin ou après-midi). Cet agent est finalement arrivé
après quasiment deux mois d'attente, puisqu'il fallait aussi lui trouver une remplaçante. L'aide-soignante partie pour la Suisse n'est toujours pas remplacée,
j'ai dû demander à cette nouvelle aide-soignante d'assurer un week-end sur
deux le temps que le poste à temps plein soit pourvu, alors que sa fiche de
poste ne la prévoyait qu'en horaires de demi-journée du lundi au vendredi. Le
poste à temps plein a été comblé à la mi- juillet. Au final, nous utilisions une
ressource prévue au départ en supplément pour combler le quotidien.
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Ajouté à ce contexte déjà éprouvant pour les agents, et pour tenter d'apporter
un soutien aux équipes, il nous est proposé des agents en mi-temps thérapeutique. Il n'a pas été simple de garantir un soulagement pour l'équipe en place,
par un poste adapté pour la personne en temps thérapeutique, d'autant que les
durées thérapeutiques n'ont pas excédé deux mois pour les deux agents. En
sachant que la première aide-soignante accueillie s'est trouvée en arrêt après
trois jours et ½ de travail. L'effort consenti par l'équipe tant dans l'accueil que
dans la réflexion autour de l'intégration de cet agent a été mis a mal. Cet arrêt
rapide a quelque peu déstabilisé l'équipe qui a conclu (malgré la fragilité de
l'agent) que le service était vraiment difficile et a remis en cause pour certains
leur envie de rester. Puis, malgré des difficultés persistantes en terme d'activité
et de possibilité à recruter le personnel nécessaire, l'équipe commençait aussi à
"trouver de plus en plus ses marques" tant en termes relationnel qu'organisationnel et semblait moins perméable aux problématiques.
En effet, certaines affinités se sont créées autant dans une même fonction
qu'en inter-équipe. De plus, ayant vécu une réorganisation relativement réussie
en terme de cohésion, il me paraissait important de véhiculer ce message de
soutien et en même temps qu'il était nécessaire qu'elles se donnent le temps de
se connaître, et d'accepter que les choses ne pourraient pas être efficientes
tout de suite.
Mais, courant avril une infirmière est venue m'annoncer son début de grossesse pour laquelle existait des risques et qu'il fallait donc prévoir un nouveau
remplacement car son arrêt était imminent et long (presque un an). Une autre
infirmière m'a annoncé après une proposition de stagiairisation qu'elle n'était
pas sûre de devoir l'accepter car son contexte personnel (projet de construction) n'était pas viable du fait de revenus trop faibles malgré deux salaires français, et se posait donc la question de postuler en Suisse afin de pouvoir réaliser
son souhait, en sachant que pour elle cette décision tenait plus d'une obligation
que d'une réelle envie. A mon départ en août cet agent n'avait pas encore donné de réponse quant à son projet d'éventuel départ.
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Les remarques souvent entendues de la part des équipes furent :
"De toute façon c'est trop dur, on a plus le temps de rien faire correctement,
ç'est difficile d'avoir envie de continuer comme cela!". ( Propos de deux aidessoignantes, avec cinq ans d'ancienneté1 pour l'une et un an pour l'autre. Cette
dernière étant partie pour un poste à temps partiel en Suisse dans les mois qui
ont suivi ).
"On est pas assez, comment veux-tu que l'on arrive à être bien dans ce que l'on
fait, alors que l'on nous parle de prendre soin, et de qualité!". (Propos d'une
aide-soignante, avec 20 ans d'ancienneté dans le service et partie en retraite fin
2013 ).
"Les week-ends, moi, j'en ai ras-le-bol, une fois sur deux tu travailles, tu es décalée avec tout le monde, et il faut aussi faire des nuits, pour en plus pas grand
chose, alors tu comprends si en Suisse on me propose un temps partiel pour
autant à la fin du mois, avec moins de week-ends, et plus de soignants, je n'hésiterai pas longtemps". ( Propos d'une infirmière, avec une ancienneté de cinq
ans, partie en hôpital de jour en restant dans le même établissement ).
Ces réflexions d'agents m' ont interpellé et m'amènent à me questionner:
 Comment entretenir la motivation, malgré les difficultés inhérentes à la
profession et au contexte hospitalier?
 Quelle importance est donnée au travail ?
 Quelle image ont-ils de leur travail ?
 Comment le conçoivent-ils au sein de leur propre équipe?
 Comment garantir la sécurité des soins, si le personnel est en mouvement constant?
 Tout en sachant que la Fonction Publique Hospitalière ne peut rivaliser
avec les salaires suisses, par quels moyens peut-on fidéliser les professionnels dans l'établissement?
1
Comprendre l' ancienneté dans l'unité pour les trois exemples.
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1.2 Le choix de la problématique et de l'hypothèse
A travers ces différentes questions suscitées par la réflexion et l'exposé du contexte, il paraît évident à cette étape du travail de corréler le phénomène de turnover et la notion d'équipe, puisque c'est elle à la fois qui le génère et qui le subit, ce qui m'amène à poser la problématique suivante:
"En quoi la motivation des équipes influe-t-elle
sur le turn-over d'une équipe ?".
Le phénomène de turn-over implique un questionnement plus large que le
"simple" fait d'une gestion en ressources humaines. Ces quatre ans d'expérience m'ont fait vivre ce phénomène au plus près des équipes, et dans l'impact
sur la qualité des soins dispensés. Aussi, c'est en cela, qu'il me semblait pertinent de réfléchir à ce sujet, en prenant comme référence mon propre établissement, situé de surcroît en zone frontalière. Cette situation géographique générant une attirance non négligeable, l'hypothèse de ce travail est la suivante:
"La raison principale du turn-over, est du fait d'une proximité avec la
Suisse, qui propose des conditions de travail motivantes, dont un salaire
plus élevé, qui améliorent la satisfaction des professionnels.".
C'est à partir de cette réflexion et dans la perspective de ma future fonction que
j'oriente mon travail, afin de comprendre les tenants et aboutissants engendrés
par la rotation des personnels.
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APPROCHE
CONCEPTUELLE
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2 APPROCHE CONCEPTUELLE
Pour mieux comprendre ce travail de recherche, il est nécessaire de développer
les concepts qui se rattachent à l'hypothèse de travail. Le constat qui est fait,
est qu'un concept en cache au moins un autre et renvoie systématiquement à
une autre idée. Aussi, dans le cadre d'une initiation à la recherche, sur un
temps relativement court, le choix des concepts n'est pas exhaustif. Pour introduire le cadre théorique en lien avec le thème du turn-over, une définition de
celui-ci sera proposée. La sélection des concepts qui suit est le résultat de la
réflexion suscitée par la problématique et l'hypothèse. En effet, je souhaite ici,
développer trois notions clés, qui tissent la toile de fond de ce travail.
Puisque le but est de comprendre ce qui pousse un professionnel à quitter un
service ou un établissement, il me semble fondamental de d'abord comprendre
comment se construit le professionnel au travers du processus identitaire. Puis,
pour mieux appréhender les raisons du choix, le concept de motivation apparaît
alors logique, puisqu'elle découle de ce qui caractérise l'individu, donc son identité. Ensuite, la notion de conditions de travail, -facteur déterminant dans la motivation du professionnel-, viendra clore cette approche conceptuelle.
Mes quatre années d'expérience de faisant fonction de cadre de santé me guident dans le choix de ces concepts. En effet, le turn-over régulier à certains
moments, et parfois pour des agents en poste depuis seulement quelques
mois, m'a donné à conclure rapidement au manque de motivation des personnels devant une difficulté ou une non satisfaction. Il me semblait donc incontournable de démarrer ce travail par cette approche conceptuelle. Puis le processus de réflexion m'oriente vers la question de l'identité et plus largement des
identités.
C'est lors d'entretiens informels avec les soignants, et particulièrement au moment de pics d'activité dans les unités que je constate le questionnement des
professionnels sur le sens qu'ils donnent à leur activité, mais aussi que ce
questionnement diffère selon la personne et sa position dans l'équipe. Si les
pics d'activité font se questionner les agents, un autre fait qui s'y rattache, m'a
décidé à choisir le concept de "conditions de travail". Ce fait dont je parle, est la
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réorganisation hospitalière, pour laquelle, les soignants - même peu habités par
" l'ancien système " - se retrouvent forts dépourvus, et déplorent régulièrement
les conditions professionnelles dans lesquelles ils se retrouvent à certains moments. De fait, il est parfois difficilement concevable pour les soignants de raisonner en terme d'efficience lorsqu'il s'agit de soins à la personne, ou encore
de multiplier les documents à remplir (check-list, consentements...), c'est-à-dire
être dans un soucis de traçabilité constant, même si dans le même temps, ils
restent conscients et comprennent cette obligation.
Ce sont les situations décrites au départ de mon questionnement qui m'amènent aujourd'hui à traiter ces trois points.
Cependant, et avant d'amorcer les concepts, il me semble important de définir
et présenter ce qui est entendu par turn-over.
2.1 La définition du Turn-over
L'expression anglophone "turn-over", largement utilisée dans notre langue, peut
se traduire par "taux de rotation".
A travers mes lectures et expériences professionnelles du quotidien, je m'aperçois de l'emploi récurrent du terme, sans nécessairement trouver la définition
associée. C'est-à-dire que ce mot apparaît comme utilisé facilement pour signifier un mouvement à un moment T. C'est ainsi que les divers articles relatifs au
management en santé ou de références en gestion des ressources humaines
m'amènent à la même idée: c'est en fait l'intitulé d'un l'indicateur, basé sur l'
ensemble des départs et des arrivées de l'ensemble des professionnels ou
d'une catégorie dans une organisation donnée.
Pour B. Galambeau, dans son ouvrage "Des Hommes à gérer", le turn-over est
"la rupture du lien contractuel salarié - employeur". [1, p8]
Pour L. Sekiou et L. Blondin, dans leur ouvrage "Gestion des Ressources Humaines", celui- ci est défini comme "tous les mouvements d'entrées et de sor21
ties définitifs de travailleurs dans l'organisation durant un intervalle de temps
précis, généralement une année". [1, p8] Cette dernière définition me semble
convenir davantage à la problématique traitée. Le fait de parler "d'organisation",
permet une compréhension plus large et inclut donc les mouvements tant au
niveau institutionnel qu'au niveau d'une unité de soins.
Au gré de mon expérience, mes lectures et discussions entre pairs, deux types
de turn-over se distinguent. En effet, il est possible d'y voir un premier niveau
de lecture qui pourrait s'assimiler à des phénomènes dits "incontournables",
c'est-à-dire que l'on ne peut interférer dessus. Comme par exemple les départs
en retraite, les demandes de mutation pour suivre un conjoint, un départ en
congé maternité, en formation qui rentrent dans le cadre d'une Gestion Prévisionnelle des Métiers et Compétences (GPMC). Ce cas de figure laissera la
possibilité d'envisager avec suffisamment de recul le remplacement de l'agent.
Puis, intervient aussi ce qui est du fait même de l'institution par ses choix
(primes, politique générale, avantages...) ou encore plus localement, dans l'unité, en terme de relations (collègues, équipes médicales, encadrement...) ou du
fait par exemple d'une organisation de travail non satisfaisante. Ce deuxième
cas de figure, au regard des exemples, montrent que ce sont des phénomènes
mouvants pour lesquels il est possible d'en cerner les motivations profondes et
réelles.
2.2 La Motivation
La motivation est un sujet vaste, pourvoyeur de nombreux articles et références
et traverse le temps au gré des théories et réflexions abordées. Je m'aperçois
que trouver une seule et même définition du terme n'est pas réellement possible. Ce que je constate, c'est que les théories de motivation que je trouve
donnent elles-mêmes une définition, mais de l'angle de la théorie. Il n'y a donc
pas de définition "universelle". Cependant, de manière large et très globale, il
est possible d'avancer que la motivation se rattache aux causes conscientes ou
non qui orienteront les comportements individuels.
La motivation naît lorsque le sujet détient un objectif, en étant conscient de l'effort à fournir pour parvenir au résultat souhaité. Cet état s'explique par ce qui se
22
joue en lui et à l'extérieur et qui provoque une intensité dans le désire d'aboutissements. C'est ce qui orientera le choix, et donc les moyens mis en œuvre
pour parvenir au but.2 [2]
La motivation se base sur deux postulats:
 "L'homme est libre du choix de ce qu'il fait ou ne fait pas, c'est-à-dire autodéterminé, selon la théorie de Déci et Ryan,
 les actions de l'homme sont toujours orientées vers un objectif, qu'il soit
conscient ou non."
Ce que j'observe, c'est que la motivation crée de l'interaction entre l'individu, le
groupe et l'institution. Il existe deux types de motivation. De fait, la motivation
est aussi pensée de manière intrinsèque et extrinsèque. E.L Deci, affirme que
la motivation provient de l'interaction entre le salarié et l'entreprise (extrinsèque)
et l'inhérent, c'est-à-dire lié au travail en lui-même.
2.2.1 La motivation intrinsèque
Pour tenter d'expliquer ce qu'est la motivation intrinsèque, il est nécessaire de
repartir du travail de Déci et Ryan [3], qui partent du postulat qu'il existe en tout
Homme une "autodétermination", qui correspond au besoin du libre choix et au
besoin de compétences. Ainsi, pour être motivé intrinsèquement, il est nécessaire d'être autodéterminé et compétent: la personne ressentira alors plaisir et
satisfaction, générés par l'activité elle-même. Tout ce qui est ressenti comme
pression, contrainte, contrôle, réduit l’autodétermination et fait baisser la motivation intrinsèque. Les situations de compétition, de temps imposé, de surveillance, la diminuent également. A l’inverse, les situations dans lesquelles les
sujets ont la possibilité de choisir les tâches et / ou leurs conditions d’exécution,
et dont ils connaissent les objectifs à long terme, conditionnent la motivation
intrinsèque. Je comprends ici l'intérêt, en tant que futur cadre de santé, d'inclure
le mode participatif dans mon management. C'est ce que j'ai pu observer dans
ma pratique, lors d'une réorganisation du travail par horaire pour des aides2
Synthèse de deux définitions
23
soignantes. Ce sont elles, avec mon soutien et ma guidance, qui ont revu
chaque fiche de déroulement de journée, et qui ont proposé les changements
au regard des limites liés à la règlementation générale et institutionnelle que je
leur ai apporté. J'ai effectivement ressenti ce phénomène intrinsèque, que j'ai
appelé à ce moment- là "de la vraie motivation", parce que je les sentais directement concernées par ce qui se passait, et dans une dynamique positive et de
dialogue. Cette "zone de liberté" donnée, aide les professionnels à redonner un
but, un sens à leurs actions. Ceci, afin de leur permettre une réflexion commune tout en interrogeant chacun sur sa propre vision des choses, et prendre
parfois de la distance avec ce qui peut "perturber" les valeurs fondamentales du
prendre soin, dans un système hospitalier de plus en plus gestionnaire. C'est
alors qu'en tant que cadre de santé je tenterai, une place aux soignants tant
dans leur identité liée aux soins, que dans leur place d'acteurs dans une unité
voire un établissement.
2.2.2 La motivation extrinsèque
Par opposition et au regard du paragraphe ci- dessus, la motivation extrinsèque
[4, pp80-84] dépend de facteurs extérieurs. Si la motivation intrinsèque amène
à la recherche du plaisir et à la satisfaction, tous deux inhérents à l'activité, la
motivation extrinsèque prendra naissance à partir du moment où le sujet aura
déterminé pour quelle(s) raison(s) il accomplit la tâche. Il sera dans une démarche consciente de recherche de résultats attributifs comme la récompense,
la réaction positive d'un collègue, ou alors qui permettra d'éviter une situation
désagréable. Ici, la condition de libre choix n'est pas remplie, puisque finalement le sujet agit dans un but précis: celui d'en retirer un avantage quelconque.
J'illustre volontiers cet apport par ce qui a marqué ma fonction: le rappel aux
agents lors d'arrêts de travail imprévus. J'ai parfois pu obtenir la venue d'un
agent en négociant un voire deux jours de repos de son choix sur le mois suivant grâce au pool de remplacement. Cet accord entre les deux parties que
nous étions tient de la motivation dite extrinsèque, où chacune a trouvé un
avantage. L'agent, dans le fait d'accepter le remplacement pour finalement
avoir deux congés supplémentaires, et moi dans le fait de proposer des jours
24
pour obtenir un remplacement. Il y a là un bénéfice acquis pour les deux partis.
Ce dernier exemple fait référence à la théorie avancée par l'anthropologue
Marcel Mauss dans son ouvrage3 [5], où l'étude de sociétés primitives l'amène
à décrire que le don est essentiel dans la société humaine et le divise en trois
phases qui sont:
 l'obligation de donner,
 l'obligation de recevoir,
 et l'obligation de rendre.
Tout en créant du lien social, et quelle que soit la situation, le don "oblige" implicitement celui qui reçoit à ce que l'on appelle "un contre-don".
2.2.3 La motivation au travail
Abderrahmane OUDASSER écrit que "les différents courants de management
et de psychologie du travail et des organisations, depuis les travaux de Taylor
estiment que la satisfaction des individus est à la base de toute motivation par
la suite" [6 pp556-557]. Le terme de "motivation" est à priori beaucoup utilisé,
voire à la place d'un autre terme, celui de satisfaction. Les premières réflexions
datent de la période du travail à la chaîne avec Frederik Taylor, ingénieur américain, en 1911, qui se pose la question de la motivation des ouvriers dans leur
activité. Pour lui, la motivation est liée au rendement et à la compensation financière. Ainsi, faire corréler salaire et rendement donnera tout son sens à la
motivation. Si ce précepte était de rigueur à l'époque citée, il semble aujourd'hui
beaucoup plus désuet surtout dans le système des organisations hospitalières,
où le "rendement" des professionnels, que je nomme plus volontiers "activité",
n'est pas rétribué en fonction de son importance. C'est alors ailleurs, ou selon
un autre mode de pensées qu'il faut chercher la motivation.
Dans les années 40, Elton Mayo, psychologue et sociologue australien démontre par une expérience au sein d'une usine que la motivation est basée sur
le facteur psychologique et non sur le facteur expérimental. Il a ainsi tenté de
3
"Essai sur le don. Forme et raison d'échange dans les sociétés archaïques" (1925).
25
démontrer que les conditions de travail ainsi que la dynamique du groupe contribuent à motiver ou démotiver le travailleur. Il parlera "d'effet Hawthorne", du
nom de l'entreprise. Salvatore Maugeri l'explique ainsi [7pp47-48]: si le salarié
prend conscience que les essais, tentatives d'amélioration des conditions de
travail (même sensiblement), sont directement orientés vers eux, alors naturellement ils s'impliqueront et apporteront une réponse positive à la sollicitation.
Autrement dit, les conditions de travail, le salaire ne sont pas les seuls facteurs
acteurs, mais il faut alors inclure le versant émotionnel et celui des sentiments.
C'est de ce fait que les salariés sont en recherche de reconnaissance, d'estime,
c'est-à-dire considérés comme êtres humains et pas seulement comme éléments plus ou moins productifs. Cette théorie me semble encore aujourd'hui
adaptée dans plusieurs situations rencontrées. De fait, lors des travaux de l'unité pour laquelle j'étais responsable l'année dernière, j'ai appuyé avec mon
cadre supérieur et la directrice des soins la nécessité de réaliser un puits de
lumière en salle de soins afin que les professionnels ne soient pas strictement
sous des lumières artificielles, afin d'améliorer un aspect des conditions de travail, avec comme exemple les deux autres unités qui elles, ne bénéficient pas
de lumière naturelle. La demande a finalement été acceptée. Lorsque l'équipe a
été mise au courant, elle a spontanément proposé de revoir certaines demandes puisque ce "geste" avait été réalisé, et s'est investie dans l'aménagement de cette pièce afin qu'il soit le plus logique et cohérent possible.
Pour lui, les facteurs de satisfaction au travail ne sont pas les mêmes que les
facteurs d’insatisfaction et de mécontentement. Il considère que ces deux facteurs – la satisfaction et l’insatisfaction au travail – agissent de manière indépendante : ainsi, le contraire de la satisfaction n’est pas l’insatisfaction mais
l’absence de satisfaction. De la même manière, le contraire de l’insatisfaction
est l’absence de satisfaction.
Puis en 1964, Victor Vroom, s'attardera sur le lien entre l'entreprise et son salarié en faisant appel à 3 notions [2]:

l'expectation: le salarié sera dans la position de réflexion vis-àvis de lui-même et se demandera s'il est capable d'accomplir ce
qui lui est demandé,
26

l'instrumentalité: le salarié se posera la question en terme de
"bénéfice immédiat", et se demandera ce qu'il obtiendra en
échange de sa réussite,

la valence: le salarié s'interrogera sur la valeur de sa récompense
et se demandera si la récompense obtenue est celle qu'il souhaite
vraiment,
Cette théorie avancée par Vroom, me semble elle aussi contemporaine. J'ajouterais à cela, et selon le milieu que je connais, que chacune des phases correspond à l'étape dans laquelle se situe le sujet. Ainsi, si je propose à un agent de
devenir référent en hygiène par exemple, alors il passera par ces phases de
questionnement. Il est donc utile de connaître ce cheminement en tant que
cadre de santé. En effet, si dans l'argumentaire proposé, j'avance des réponses
aux questions qu'il se posera, alors je suppose qu'il sera d'une certaine manière
"rassuré", et donc plus enclin à être motivé par ce qui lui est proposé, car j'apporte une certaine transparence entre la demande et l'explication donnée, et ce
que pourra développer la personne.
Au travers de ces différentes approches, il apparaît que la notion de motivation
est multifactorielle (conditions de travail, salaire, facteurs personnels, politique
d'établissement, ou encore contexte managérial...). J'ajoute également, qu'il
n’existe pas une seule forme de motivation. La motivation est avant tout un
terme générique généralement utilisé à défaut d’une spécification plus précise
sur la nature exacte de ce qui produit un comportement ou une action. En fonction du contexte, d’autres termes peuvent être utilisés pour définir plus précisément la nature de cette force. Les notions telles que "but", "besoin", "émotion",
"intérêt", "désir", "envie", et bien d’autres encore, peuvent être utilisés pour une
description plus précise.
C'est en cela que nous pouvons rattacher le fait que la motivation est aussi liée
aux propres expériences de l'individu, comme l'explique R. Sainsaulieu "la satisfaction des motivations individuelles est profondément affectée et transformée par l'expérience des conflits et des tensions psychologiques se développant autour des ambiguïtés de rôles et des rapports de pouvoir qui en décou-
27
lent".[8, p400] Ainsi pour tenter de comprendre ces enjeux motivationnels, j'observe le phénomène au regard de ce qui constitue le sujet: son identité.
2.3 De l'identité individuelle à l'identité professionnelle.
2.3.1 L'identité
Avant de réfléchir à ce que signifie identité professionnelle, concentrons nous
sur ce qu'est l'identité.
Cl. Dubar dit:"L’identité n’est autre que le résultat à la fois stable et provisoire,
individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers
processus de socialisation qui conjointement, construisent les individus et définissent les institutions" [9]
L’identité est considérée comme un phénomène complexe. C’est pourquoi,
nous (les Hommes), différencions un individu d’un autre, ou une communauté
d’une autre. La différence qui constitue l’identité, repose toujours sur ce qui est
propre, exclusif, particulier ou spécifique à un être ou un individu. Elle est constituée par l’ensemble des caractéristiques et des attributs qui font que chacun
se perçoit par rapport à lui-même, mais aussi par rapport à ce que peuvent renvoyer un autre sujet ou groupe en fonction aussi du scénario de la situation désirée ou vécue.
L’identité se construit autour de trois dimensions: le moi, le nous et les autres.
Elle est à la fois une identité pour soi et une identité pour autrui.
 L’identité pour soi renvoie dans un premier temps à l’image que
l’on se construit de soi-même,
 L’identité pour autrui est l’identité que nous souhaitons renvoyer
aux autres,
 L’identité se construit à travers l’image que les autres nous renvoient,
28
 L’identité doit être comprise comme un processus de construction
qui résulte donc de l’interaction entre l’identité pour soi et pour autrui (nous et les autres).
En synthèse, quatre points sont à prendre en compte dans la définition de
l’identité:
 La distinction, tant du "Moi" par rapport aux autres, que du "Nous",
pour affirmer son appartenance à tel ou tel groupe et donc s'identifier comme semblable,
 Soi et autrui,
 La diversité des groupes d’appartenance,
 L’interaction. [10]
Nous pouvons affirmer que la construction de l'individu s'organise dans la relation entre soi et les autres. "Je me crée une identité selon l'environnement matérialisé par les autres, et les autres se font une image de mon identité au travers de ce que je renvoie". Puisque la conception identitaire se fait selon un
ensemble d'êtres et de choses, nous pouvons en déduire son caractère mouvant, instable et non pérenne, puisqu'il sera changeant selon l'histoire de l'être,
et selon le moment et le lieu dans lequel il se comporte.
2.3.2 L'identité collective
Lorsque l'on parle de l’identité, il existe un lien indissoluble entre l’individuel et
le collectif. Tout acteur social est caractérisé par une identité qui lui est propre,
c’est-à-dire par un ensemble de traits spécifiques qui permettent de définir cet
acteur social et donc de l’identifier. Cette identité ne prend sens que dans un
collectif, dès l’instant ou un groupe se forme. Il y a donc production de signes
distinctifs qui vont conduire les membres du groupe à se reconnaître à la fois
comme différents de ceux qui sont en dehors du groupe et comme semblables
à ceux qui sont dans le groupe. De plus, les individus dans un même groupe
vont produire des signes distinctifs pour montrer que même s’ils appartiennent
29
à un groupe, ils ont leurs propres caractéristiques et spécificités et donc leur
identité personnelle.
L’identité d’un groupe est construite au fil des interactions qui se jouent entre
les membres d’un groupe.[10] En effet, c'est justement parce qu'il y a ce rassemblement vers un objectif commun, que se crée, selon les individus qui composent le groupe, l'émergence d'identités singulières additionnées, qui forment
alors l'identité collective. Et réciproquement, l'identité commune dégagée par le
groupe, donnera une spécificité au sujet dans son identité propre. Ainsi, les
actes qui en découlent seront à la fois le fruit de la part individuelle et de la part
collective, et selon un environnement. C'est en cela qu'il est possible de repérer
dans une équipe qui a la position de meneur, de ressource, de "perturbateur".
Cependant, si dans la construction de l'identité individuelle, le but est de s'intégrer afin d'obtenir une reconnaissance sociale, la constitution d'une identité collective sera de chercher à se démarquer d'autres collectifs existants, dans le
but de faire valoir l'identité propre au groupe.
C'est en cela que nous pouvons avancer le fait que c'est dans ce schéma collectif, communautaire, qu'apparaît la notion de solidarité. Emile Durkheim, dans
son ouvrage4 [11] avance l'existence de deux types de solidarité. Il parle de
"solidarité mécanique" qu'il explique par le fait que les Hommes se considèrent
comme membres d'une société qui fonde le consensus, et donc des liens sur
des sentiments et valeurs communs du fait de statuts sociaux relativement
identiques. L'autre solidarité dont il fait état est la "solidarité organique", où ce
qui est mis en avant tient plus du fait de la complémentarité des Hommes entre
eux, comme par exemple entre deux fonctions soignantes différentes. Bien sûr,
comme pour l'identité individuelle, elle n'est pas figée mais soumise à mutation
(s). Par exemple, dès lors qu'un nouveau membre entre dans le groupe ou à
l'inverse le quitte. C'est ce que j'ai pu observer à mon arrivée dans le premier
service de médecine. L'équipe en place depuis plusieurs années s'est dissoute
au fur et à mesure. L'agent qui est resté le plus longtemps avait totalement perdu ses repères: sa place en tant que soignante X, connue pour sa jovialité, son
professionnalisme, son statut de référente pour les étudiantes, a profondément
4
"De la division du travail", 1893.
30
changé, car elle ne se retrouvait plus dans cette nouvelle équipe. A ces instants, l'homéostasie collective est remise en question, soit par l'intégration d'une
nouvelle identité, véhiculée par l'individu désireux d'appartenance, soit par l'individu partant, qui peut laisser trace de son passage par ses valeurs transmises
au groupe qui choisira de les garder ou non. Quoi qu'il en soit, un processus de
reconstruction est nécessaire afin de retrouver une nouvelle identité. Nous parlerons alors de crise identitaire, qui donnera naissance à quelque chose de
nouveau ou qui pourra mettre à mal l'existence voire totalement déstructurer ce
qui était en place. Maintenant qu'un éclairage plus précis est apporté sur les
enjeux qui lient l'individu au groupe et réciproquement, la composante "travail"
dans l'identité collective va être abordée.
2.3.3 L'identité professionnelle
Si l'identité collective définit l'individu dans un groupe, l'individu se définit également dans le groupe que représente le monde professionnel. Jean-François
Blin l'évoque ainsi dans son ouvrage [12, p178] "Parler d'identités professionnelles, c'est reconnaître aux champs des activités professionnelles la capacité
de construire des identités spécifiques à des groupes au cours de processus de
socialisation significatifs des domaines considérés". En effet, le sujet se démarquera par son appartenance à une fonction elle-même reconnue par un diplôme : infirmière, infirmière spécialisée, aide-soignante... Je comprends donc
que la construction de l'identité professionnelle passe par l'élaboration d'identités spécifiques à un groupe. Cette notion d'identité professionnelle est la conséquence d'une interaction entre le sujet, son environnement de travail et les
groupes qui le constituent. Je rattache volontiers l'identité professionnelle à un
"passeport social", qui donne accès à certains groupes de personnes mais qui
aide aussi à se définir par rapport au groupe et aux personnes, qui le composent. Affirmer son appartenance à telle ou telle catégorie professionnelle, signifie à l'autre que l'on existe au sein d'une organisation donnée. Cet élément
permet de faire reconnaître ce que le sujet est, à l'extérieur de son champ professionnel, tout en précisant sa spécificité. Ainsi, l'individu sera reconnu par autrui non seulement par ce qu'il renvoie en tant qu'être mais également en tant
31
qu'être professionnel et selon la représentation commune et spécifique de l'interlocuteur.
Comme pour l'identité individuelle et collective, l'identité professionnelle se développe aussi grâce au "phénomène de projection et d'imitation" [8, p401]. Le
choix de l'orientation professionnelle oriente déjà sur la posture, ou le comportement à adopter par une acquisition anticipée des valeurs ou comportement
liés à la profession, mais aussi par "identification de référence" [13, p136] du
fait de ce que l'autre, affilié à cette profession, peut renvoyer. Sainsaulieu explique [8, p444] que l'identité s'affirme aussi par la notion d'acteur -auteur dans
ce qui se réalise. Si le résultat d'un acte est authentifié aux yeux des autres
comme le résultat issu de l'acte d'un sujet précis, alors celui-ci se sentira reconnu. Il pourra ainsi "concilier pour lui- même le désir, la réflexion et l'action,
au point d'en édifier une logique personnelle et particulière". [8, p444] C'est
cette édification qui fera sens et qui permettra à l'individu, à la fois de se démarquer dans ce qu'il est en tant qu'acteur professionnel et ce qui le détermine
comme appartenant au groupe professionnel.
Je rapproche cette idée à ce que Dubar cite de la théorie de Hughes. En effet,
Hughes parle de "socialisation professionnelle" qu'il définit selon trois mécanismes. [13, pp135-138]
Le premier est nommé "passage à travers le miroir" qui signifie "regarder le
spectacle du monde de derrière lui, en sorte qu'on voit les choses à l'envers
comme écrites dans un miroir". Par cette métaphore du miroir, la phase de la
construction identitaire professionnelle s'inscrit comme une dualité entre
"l'image du métier que j'ai et la vision du métier maintenant que je le vis". Cette
"réalité désenchantée" peut porter préjudice si elle arrive trop tôt ou à l'inverse
servir de moteur si elle arrive à bon escient.
Le deuxième mécanisme décrit est "l'installation dans la dualité". C'est cette
tension qui existe entre "le modèle idéal" qui symbolise la "dignité de la profession" et le "modèle pratique". Une tension continuelle entre les professionnels
pour conserver les "tâches nobles". C'est là qu'intervient une succession de
32
choix de rôles, et que se détermine pas à pas, et en allant de l'un à l'autre ce
que l'individu est dans sa position professionnelle.
Hughes énonce un dernier mécanisme qu'il intitule "la conversion ultime".
Les représentations sont abandonnées, il y a "ajustement de la conception de
Soi". Il y a une prise de conscience de ce que le professionnel est dans ses capacités, tout en ayant une vision plus large de son travail qui l'amène à réfléchir
aussi en terme de projection, de perspectives offertes par son travail. L'individu
devient en mesure d'établir les décisions cruciales à prendre au regard de son
parcours professionnel, et de son identité propre à sa profession.
33
2.3.4 L'identité professionnelle du soignant
L'approche de l'identité soignante, est ici présentée de manière empirique. Selon une étude de Davis menée sur cinq promotions d'infirmières, [13, p136] divise le processus de socialisation professionnelle ainsi :
L'INNOCENCE INITIALE
Accumulation des stéréotypes du métier infirmier.
LA CONSCIENCE D'INCONGRUITE
Retour à la réalité de ce qu'est vraiment le métier. L'auteur parle de "choc
de la réalité".
LE DECLIC
Sentiment de l'individu qu'il faut correspondre à une certaine norme pour
être accueilli dans le cercle professionnel, c'est comprendre ce que l'on
attend de "Moi".
LA SIMULATION DU ROLE
L'individu opte pour les codes déjà utilisés jusqu'à ne plus répondre aux stéréotypes antérieurs. Davis le nomme
"aliénation de Soi".
L'INTERIORISATION ANTICIPEE
Correspondre à la construction d'une
dualité entre "le Moi profane et le Moi
professionnel"
L'INTERIORISARTION STABLE
Étape ultime dans la construction qui
stabilise l'être dans sa quête d'identité
professionnelle, qu'il continue de forger
aux contacts des professionnels, mais
en ayant sa propre vision.
A travers la présentation de ce processus identitaire tant individuel que collectif
et spécifique, le caractère mouvant de l'identité est renforcé, et les identités in34
terrogées dès que nous intégrons un groupe. Notre construction identitaire initiale se fond pour laisser place à d'autres schèmes qui contribueront à un nouveau chapitre dans sa propre édification. L'autre, les autres, les codes, les
normes, les valeurs..., toutes ces composantes qui nous environnent, contribuent à ce que nous avons, à ce qui nous constituent et nous permet de constituer notre "Moi" professionnel spécifique.
Alors que nous avons traité le Soi, l'idée que l'environnement joue un rôle fondamental dans sa construction ressort. Je m'intéresse alors à ce qu'est cet environnement, et plus particulièrement celui du travail sous l'angle de ce que l'on
nomme "conditions de travail".
2.4 Les conditions de travail
Les troubles musculo – squelettiques (TMS), constituent 85% des maladies professionnelles reconnues. 9,7 millions de journées de travail perdues. Les
Risques Psycho-Sociaux (RPS) représentent un coût annuel compris entre
deux et trois milliards d'euros. Un salarié sur cinq se déclare stressé. [14, page
de couverture] Telles sont les données retrouvées dans le domaine des conditions de travail. Le XXIème siècle, ne devrait plus faire état de ce type de réponses, mais au contraire avec les évolutions industrielles, technologiques, organisationnelles, nous devrions obtenir une satisfaction, une santé non détériorée par le travail, et un sentiment de bien-être. Or, ces évolutions qui concourent, pour certaines tâches, à les rendre moins pénibles, laissent émerger autre
chose, qui est du domaine de la modernisation des organisations. Les auteurs
M.Gollac et S.Volkoff y font référence de cette manière: "trois salariés sur cinq
déclarent devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre "non prévue"" [15, p3]. Alors comment garantir une satisfaction dès lors que le sentiment qui se développe est celui d'un travail non accompli? Ces mêmes auteurs
affirment que cette notion est encore mal connue. Aujourd'hui, les conditions de
travail sont mesurées et repérées par ce que le travailleur appellera "l'avant et
l'après". Le travailleur fera le parallèle entre sa vie en dehors du travail et posera le constat que si ses propres conditions ont changé et que dans le champ
35
professionnel il observe un statut quo alors, il parlera de dégradation des conditions de travail.
La définition qui peut en être donnée est la suivante: "[…] c'est une condition
sociale et politique. Potentiellement toute caractéristique du travail a vocation à
devenir une "condition de travail"". [15, p9] A la lecture de cette définition j'ai
retrouvé le discours des professionnels, et même le mien, dans le sens où
toutes modifications, nouveautés sera appelées à un moment donnée "les conditions de travail".
Le contexte des conditions de travail a impliqué un mot que je retrouve dans un
bon nombre d'écrits: le stress. Mais qu'en est-il au juste? Ce terme est employé
quotidiennement quelle que soit la structure de travail. Derrière ce mot se cachent les tensions inhérentes au travail: situations, moments passés ou présents voire futurs. C'est avec cet état de faits que les organisations avancent en
proposant des formations, telles que la gestion du stress, la sensibilisation des
managers à rester bienveillants et accompagnants.
P.Ughetto l'exprime ainsi (du fait de propositions d'accommodations au stress)
"Le stress a les vertus pour entrer dans l'adaptation des conditions de travail
aux nouvelles formes que prend ce travail".[16, p26] Je mentionne plus haut
l'existence de TMS. Ce constat a fait émerger plus profondément l'aspect "santé au travail" et par le fait une réflexion sur les risques professionnels, énoncée
dans le Plan de Santé au Travail 2005-2009 (PST1). Cette mesure a été suivie
pour 2010-2014 avec une introduction qui annonce clairement les objectifs:
"[…] l’objectif de développement de la santé au travail et d’amélioration des
conditions de travail constitue un enjeu majeur pour notre politique sociale dans
les années à venir. Il passe par la mise en œuvre effective d’actions visant à
prévenir les risques professionnels et le mal être au travail, à réduire les accidents et maladies professionnels, à prévenir la pénibilité, l’usure prématurée
due au travail et à la dégradation de la santé, ainsi que leurs conséquences en
termes de désinsertion professionnelle ou de départs précoces".[17]
L'auteur [16, p26] ajoute que les conditions de travail et la notion de motivation
(apparemment en déclin chez les salariés), sont liées. Mais par ailleurs qu'en
36
est-il de la charge de travail? Le travail et les tâches qui s'y joignent ont profondément muté et se sont complexifiées, que ce soit en termes d'organisation ou
de moyens (humains, matériels et encore financiers). Ce qu'explique Ughetto
[16, p34], est que le vécu des cadences de travail se durcit par le fait que les
salariés ne supportent plus seulement des contraintes liées au matériel ou à
l'humain, mais que c'est de plus en plus les deux facteurs qui entrent en jeu. Et
de ce fait, les tâches se densifient car deviennent elles-mêmes "multi-tâches",
et apparaît alors le terme de "charge de travail". C'est ce que devient la nature
même de la tâche: elle se démultiplie, se ramifie sans que cela se voie, c'est
alors que nous pouvons parler parfois "de travail invisible" qui rend parfois difficilement quantifiable la pénibilité qui entoure les tâches, et donc plus généralement le travail.
J'image cela par un exemple plus concret: pour un patient qui entre en hospitalisation, lui et sa famille verront les moyens mis en œuvre, mais que eux peuvent quantifier. Toute la prise en charge d'arrière plan, ne sera pas représentée
au patient, cependant l'activité, n'en n'est pas moins dense et ramifiée, par
exemple: attentes de résultats de laboratoire, tube insuffisamment rempli avec
obligation de ponctionner à nouveau le patient, programmer des examens radiologiques, avec entre temps une consultation inter service d'un médecin arrivant sans être réellement prévenu, et qui lui aussi souhaitera une présence infirmière...
Ce sont ces "micro-tâches" qui donneront sa densité et son ampleur à la tâche.
L'auteur poursuit son développement en citant l'exemple infirmier [16, p34], qui
exprime tout ce qui s'ajoute à la mission d'acte de soins: précisions des protocoles et leurs mises en œuvre, traçabilité informatique, check-list à remplir...
Pour autant, le professionnalisme de ces travailleurs n'est pas remis en cause,
au contraire. Ughetto constate même qu' à travers ce terme, l'on constate "[...]
la conquête d'une certaine performance et la conscience éprouvée de la peine,
de l'effort pénible que représente le travail […]. Le professionnalisme signifie
qu'un travailleur est professionnel de son travail, de sa tâche […]". [16, p75]
37
Par conséquent, le cadre de santé aura ce rôle de reconnaître que le professionnel a accompli sa tâche avec sérieux et réflexion, et donc professionnalisme. Il aidera par son comportement valorisant.
Le professionnel de son coté cherchera alors à rendre son travail "consistant" et
à osciller entre l'envie de se distancer et l'envie de surmonter, sentiment qui
nous paraît comme incontournable pour rester en réflexion dans son travail et
lui donner sens.
38
METHODE DE
RECHERCHE
39
3 METHODOLOGIE
Cette étape dans la construction de ce travail de recherche consiste à expliquer
les choix opérés et la méthodologie retenue.
Les interventions pédagogiques réalisées dans le cadre de la formation de
cadre de santé ont permis de construire ce travail de recherche en mobilisant
une enquête qualitative. Ce type de méthode se base sur un recueil de données empiriques, qui permettra de produire une analyse qui se base sur les
discours des professionnels du terrain. L'intérêt de ce travail étant de comprendre un phénomène dans son milieu naturel, auprès des acteurs directement concernés.
Pour ce faire, j'ai utilisé la méthode des entretiens semi-directifs, c'est-à-dire
que des thèmes et des objectifs ont permis de guider ces entretiens au regard
de la problématique retenue. Toutefois, les questions étant ouvertes, un espace
de "liberté" dans les réponses fut possible. Les professionnels entretenus ont
ainsi pu donner leur point de vue, décrire des situations de travail et exprimer
leurs émotions par rapport au phénomène du turn-over.
Il faut préciser que le lieu où l'enquête qualitative s'est déroulée est un lieu que
je connais particulièrement bien, puisque j'ai exercé en tant que faisant fonction
de cadre à l'hôpital de Pontarlier pendant quatre années.
J'ai récolté des données sur un lieu que je connais par mon activité professionnelle. Au départ, le choix s'est porté sur le fait d'établir une photographie de
l'établissement d'où je viens. Mon expérience dans deux unités différentes du
département m'a orientée vers celles-ci, avec l'accord de l'équipe pédagogique.
Ce choix s'explique par plusieurs raisons.
Tout d'abord, en commençant ce travail de recherche, j'avais comme explication principale (par rapport à mon expérience et à mes représentations) du turnover, le fait que la Suisse située à proximité soit très attractive d'un point de vue
financier notamment pour les professionnels de santé.
40
En me rendant à ces entretiens, je suis relativement certaine que le turn-over
de ces unités s'explique par l'attrait de la Suisse du fait d'une réelle proximité
géographique (30 kms) et que la motivation pour certains agents n'est autre
que d'acquérir une expérience avant une expatriation professionnelle afin
d'augmenter les revenus mensuels.
Une autre raison à ce choix réside dans l'aspect pratique et réalisable des entretiens, et la connaissances du terrain qui permet de resituer les données dans
le contexte d'où elles proviennent.
La dernière raison étant l'intérêt réel de me questionner sur mon propre lieu de
travail que je réintégrerai en tant que cadre de santé dans quelques mois.
Pour toutes ces raisons, cette étude et le site de l'étude semblent cohérents
avec mon devenir professionnel et pertinent vis-à-vis des questionnements soulevés par mon expérience de faisant fonction sur ce lieu.
Bien sûr, le nombre de personnes entretenues est restreint (sept) et ne saurait
être représentatif à plus grande échelle. Néanmoins, cela permet une photographie du phénomène et amène d'autres pistes de réflexion.
3.1 Le canevas d'entretien
La grille d'entretien réalisée (cf. annexes n°1 p83 et n°2 p84) m'a donné la
trame pour amorcer la discussion sur la question principale du turn-over en général et dans l'unité concernée, et de la croiser au fait de comprendre ce qui fait
qu'un professionnel parte ou reste sur son lieu d'exercice.
J'ai réalisé au départ deux grilles d'entretiens différentes: une pour les soignants et une pour les cadres de santé. Puis, après réflexion et avec mon directeur de mémoire, le choix a été fait de ne réaliser qu'une trame unique tant pour
les soignants que pour les encadrants afin de ne pas induire des réponses
types selon la catégorie concertée. Cette approche a permis des réponses
libres qui ont donné des entretiens individualisés et donc centrés sur le ressenti
de la personne interviewée.
41
3.2 La population choisie
Le choix de la population s'est fait du fait de mon constat de départ, pour lequel
les exemples cités relatent des faits concernant des infirmières et des aidessoignantes de jour. Ayant travaillé dans deux services différents, il me semblait
pertinent d'enquêter sur ces deux lieux, en définissant une personne par fonction concernée par cette recherche et par unité, soit deux infirmières et deux
aides-soignantes. Et puisque la problématique relate une difficulté rencontrée
en tant que faisant fonction de cadre de santé et que je serai un futur cadre de
santé, j'ai souhaité interviewer les responsables des unités du département où
j'exerçais, c'est-à-dire trois personnes (deux cadres de santé et une faisant
fonction). L'étude sur le terrain connu m'a permis, grâce au recul pris cette année, d'approcher le phénomène au sein du site où j'exercerai de manière plus
objective et d'éviter les écueils de la conclusion trop hâtive que j'ai pu émettre à
certains moments.
Compte-tenu du temps restreint, je me suis limitée à la recherche au sein de
mon établissement de référence.
3.3 La réalisation des entretiens
J'ai démarré la rédaction du canevas d'entretien début janvier, en y ajoutant en
début les questions correspondant aux déterminants sociaux (cf. annexes n°3
p 85 et n°4 p86). Après lecture de ceux-ci, mon directeur de mémoire m'a conseillé de séparer du canevas ces questions et de les envoyer en amont des
dates d'entretiens aux cadres des unités, afin qu'ils puissent être remplis et remis en fin de rencontre.
Après validation de la grille, j'ai envoyé un courrier à la directrice des soins de
mon établissement, en lui exposant le thème de mon travail de recherche ainsi
que le canevas et le questionnaire pour les déterminants. Après acceptation, j'ai
envoyé un courrier au cadre supérieur de pôle pour l'informer de ma démarche
et de l'accord obtenu, tout en joignant les documents. Puis, j'ai contacté les
cadres des unités qui ont soumis la demande aux agents. Les soignants interviewés se sont volontairement proposés.
42
L'entretien en face à face n'est pas nécessairement facile pour l'interviewé. Il
est donc primordial avant de démarrer de rappeler que les informations détenues restent confidentielles et anonymes, dans le respect de chacun. Le chercheur doit rester le plus neutre possible afin de garantir la libre expression de
l'interlocuteur.
Les rendez-vous se sont pris selon les disponibilités de chacun. Certains
agents ont été vus en fin de leur travail. Pour deux d'entre elles, ils se sont pris
sur leur temps de travail. La rencontre avec les cadres de santé s'est déroulée
pour chacune sur leur temps de travail.
Les soignants rencontrés sont des agents que j'ai moi-même connu en tant que
faisant fonction. J'ai donc reprécisé que le but de ces entretiens était de comprendre le phénomène de turn-over des agents et non pas de "porter un jugement sur leur point de vue". J'ai également repris le caractère anonyme de ces
rencontres et que les données enregistrées avec leur accord ne serviraient qu'à
l'étude menée, et ne seraient donc pas divulguées. L'intérêt du thème du turnover était aussi que les professionnels ne se sentaient pas "évalués" dans leur
pratique.
Pour deux entretiens soignants, une salle a été mise à ma disposition. Les deux
autres se sont déroulés dans le bureau du cadre de santé, qui nous a laissé ses
locaux disponibles. Pour les entretiens cadre, ils se sont déroulés dans leur bureau respectif. Pour un seul entretien, avec un des cadres de santé, nous avons
été dérangées par le téléphone à deux reprises du fait d'un arrêt de travail dans
l'unité. La cadre m'avait prévenue qu'elle risquait de recevoir des appels pour
ce problème.
Tous les entretiens ont duré entre 30 et 35 minutes.
Je les ai retranscrits au fur et à mesure, je n'ai pas attendu de les avoir tous
réalisés, afin d'alléger le coté fastidieux de la retranscription. Les entretiens
dactylographiés et fidèles à l'oral représentent entre sept et huit pages et deux
heures environ de frappe soit une quinzaine d'heures au total.
43
3.4 Les limites
Les personnes interrogées sont issues de l'établissement d'où je suis moimême issue. Les soignants volontaires pour participer aux entretiens sont également issus des unités pour lesquelles j'avais la responsabilité: le risque étant
une perte d'authenticité. Néanmoins, le sujet traité concernant plus un phénomène global sur l'établissement, je n'ai pas ressenti de la part des agents une
gêne à exprimer leurs opinions. Lors d'un rendez-vous avec mon directeur de
mémoire, j'ai émis le souhait d'interviewer des professionnels hors zone frontalière et hors région. Mais après réflexion, il aurait été nécessaire d'interviewer le
double de personnes, ce qui n'était pas envisageable dans un travail d'initiation.
De plus, la connaissance du milieu a été un élément facilitateur dans la relation
à l'Autre et dans les démarches entreprises.
Je me suis rendue compte lors de la retranscription et de l'analyse que j'aurais
pu à certains moments faire préciser des réponses et laisser plus de temps aux
silences pour laisser plus de place à la réflexion des personnes et ainsi les faire
parler à nouveau sans relance. Je rapproche ce constat au fait que l'exercice
de l'entretien semi-directif était nouveau pour moi.
Enfin, comme cette enquête ne peut être plus exhaustive, les données recueillies ne peuvent être utilisées comme "vérité générale". Elles viennent plutôt en
soutien, afin d'apporter des clés aux hypothèses émises et à ma future fonction
dans l'établissement.
3.5 Le profil des personnes interrogées
Toutes les personnes interviewées sont des femmes. Ce n'est pas un choix de
ma part, cela tient plus du fait que les agents de sexe masculin sont très peu
représentés dans le milieu du soin5[18]. Elles ont entre 23 et 52 ans. L'âge n'a
pas été un critère de choix de départ. Tous travaillent au sein du département
médecine.
Tous ont été en mesure de me donner le nombre de nouveaux agents accueillis
et d'agents partis, et les raisons des départs.
5
80 % des personnels non médicaux sont des femmes.
44
L'ancienneté dans la fonction varie de 6 mois à 25 ans.
L'ancienneté dans l'unité varie de 6 mois à 5 ans.
Sur les trois responsables, un n'est pas diplômé cadre de santé.
Sur les trois responsables, un ne m'a pas mentionné son temps dédié à la gestion du personnel. Pour les deux autres il varie entre 15 et 20%.
Ces données sont exposées dans le tableau suivant.
45
3.6 Le tableau des déterminants sociaux
IDE 1
IDE 2
AS 1
AS 2
CDS 1
CDS 2
CDS 3
Âge
23
40
27
47
36
50
52
Sexe
Femme
Femme
Femme
Femme
Femme
Femme
Femme
2 ans
7 ans
25 ans
16 mois
3 ans
6 mois
2 ans
4 ans
4 ans
5 ans
3 ans
6 mois
Ancienneté 3 ans
dans
la
fonction
Ancienneté 31/2 ans
dans
le
Issue de
service
l'équipe
Temps en N.C
%
N.C
N.C
N.C
20 %
consa-
cré
à
Pas
de 15%
réponse
la
gestion du
personnel
Nombre
7
5
7
5
7
5
5
8
4
8
4
8
5
4
d'agents
ou
col-
lègues
accueillis
Nombre
d'agents
ou
col-
lègues
partis
N.C = Non Concerné
46
ANALYSE DES
ENTRETIENS
47
4 ANALYSE DES ENTRETIENS
Avant de démarrer l'analyse de ce travail, je reprends le tableau des déterminants sociaux. Je m'aperçois au regard des sept entretiens réalisés, que les
éléments choisis ne sont pas un facteur influant sur les réponses. Je me fais
néanmoins la remarque sur le genre féminin. En effet, même l'entretien terminé,
la discussion se poursuit de manière moins formelle. En effet, pour trois soignantes, je me souviens avoir eu la remarque quant au fait que le soucis de
garde d'enfants était plus un soucis de femmes que d'hommes. Ainsi, s'il y avait
un choix à faire quant au coût de la garde, un salaire à temps partiel et les frais
kilométriques, alors il semblait plus naturel que ce soit la femme qui quitte son
poste. Comme la population féminine est majoritaire, ce constat me fait dire que
la problématique du turn-over chez les soignants compose de manière encore
plus prégnante le quotidien des équipes. Donc un phénomène qui, dans ma
fonction future devra être intégré comme un fait habituel plus que comme un
évènement ponctuel.
L'analyse proposée ici, se base sur les sept entretiens réalisés à l'hôpital de
Pontarlier. Chaque interlocuteur est identifié selon un code, afin de rendre plus
clair ce qui va suivre:
 IDE1 pour la première infirmière rencontrée,
 IDE2 pour la deuxième infirmière rencontrée,
 AS1 pour la première aide- soignante rencontrée,
 AS2 pour la deuxième aide- soignante rencontrée,
 FF pour le premier responsable rencontré,
 CDS2 pour le deuxième responsable rencontré,
 CDS3 pour le troisième responsable rencontré.
Chaque entretien détient sa singularité, car les questions posées ne sont pas
totalement identiques, puisque j'ai privilégié l'échange et j'ai donc adapté mes
questions afin de ne pas rompre la continuité et de garder "à l'aise" l'interlocuteur.
48
Effectivement, certains thèmes abordés dans un entretien ne le seront pas forcément dans d'autres. Cependant, certaines thématiques reviennent dans plusieurs entretiens, voire dans la plupart. Comme la notion d'équipe qui est ressortie très fortement.
4.1 L'équipe, un déterminant de choix
Selon Pierre Cauvin, docteur en Sciences Sociales :" Le statut d'équipe connaît
les degrés de formalisation, à commencer par l'absence de statut, mais elle est
le lien où se développent les solidarités où se renforcent les actions de chacun
par le jeu des échanges, où s'unifie l'activité, où se crée un esprit commun". [19]
D'après les professionnels de santé interrogés, la qualité de l'équipe est généralement mise en avant par le biais de la bonne ambiance qu'il y règne, avec
une confiance réelle entre les membres qui ont une forte identification à
l'équipe: nous parlons alors de cohésion d'équipe. Pierre Cauvin poursuit en
expliquant que la bonne ambiance, elle, est vue comme "le sentiment d'appartenance à travers une culture partagée". Robert Mucchielli également cité dans
cet article, explique que le fait de se sentir appartenir à une équipe, donne
quelque chose en plus qui renforce l'envie de collaborer avec le groupe afin de
contribuer à son succès. C'est ici que nous pouvons rattacher cette notion à un
concept majeur cité en début de travail qui est celui de l'identité collective et
professionnelle. Je relie ceci à une phrase du quotidien et régulièrement entendue durant mes quatre années de faisant fonction: "Nous en médecine
X...".J'assimile à cette idée d'appartenance une délimitation qui ancre chacun
dans un territoire clairement identifié et où "l'union fait la force". Ce "nous" insistant, cherche à démarquer l'équipe par rapport à d'autres équipes de soins,
donc d'unité. Il est aussi utilisé même si une seule personne parle, elle s'identifie à travers l'ensemble de l'équipe.
Pour IDE1, qui, certes, exprime une difficulté à sa prise de poste où une de ses
collègues lui a fait comprendre qu'elle devait s'organiser seule, la notion
d'équipe reste un élément important qui "cimente" :" Le fait qu'il y ait une bonne
équipe, une bonne ambiance, même s'il y a du turn-over, on tisse des liens". La
49
qualité ressentie par l'agent quant à l'ambiance d'équipe ressort comme
quelque chose de fort.
AS1, issue du même service que IDE1 évoque la bonne ambiance d'équipe, qui
peut faire que les gens restent à leur poste :"Je pense que les gens qui restent,
c'est parce que ça leur convient au niveau personnel et puis parce que il y a
l'équipe, où il y a une bonne ambiance".
IDE2 exprime aussi cette notion d'équipe tel un ancrage, puisqu'elle exprime
que "des liens se créent". Elle dit également :" [...] il y a beau avoir une charge
de travail importante, et ben quand t'as une équipe soudée, une dynamique
peut convaincre les gens de rester dans le service. Donc je pense que c'est
plus un état d'esprit de la personne qui est lié fortement à celui de l'équipe."
AS2 tient un discours similaire "...et puis l'équipe est vraiment bien, j'ai retrouvé
de bonnes collègues avec qui ça roule en général, alors tu te dis que c'est pas
si mal aussi".
La bonne entente entre les personnes et le partage des valeurs professionnelles sont ici clairement énoncés et semblent contribuer à la satisfaction de
l'appartenance à ce groupe d'individus. D'après les professionnels de santé,
ces deux éléments permettent de dépasser les difficultés et de trouver de la
motivation pour continuer à exercer sont travail. Effectivement, les aspects positifs créés par l'équipe et ses membres peuvent donner du sens au travail de
chacun, voire être un argument qui maintient le soignant à son poste de travail.
On peut supposer que plus ce sentiment d'appartenance sera "fort", plus la personne se maintiendra dans son poste. Car penser à quitter une unité engendre
certes des questions plus matérielles, organisationnelles et personnelles, mais
aussi d'un autre ordre, plus identitaire celui-ci, où ces réflexions laissent supposer: "Suis- je prêt(e) à quitter ce groupe dans et par lequel j'existe professionnellement?". Elle ajoute que le rôle de l'équipe dans le fait de rester est indéniable : "Ben c'est primordial presque... Là tu vois on est une bonne équipe
quand même, on se sert les coudes, [...] donc ça c'est hyper important quand
même". J'ai demandé à AS2 si le fait de rester au sein du service était un sujet
abordé, à cela elle me répond: "...et pis pourquoi on reste, on en cause, les
gens sont pas mal maintenant que l'équipe est posée".
50
L'analyse des entretiens montre que finalement, quelles que soient les difficultés au sein d'une unité de soin, si l'équipe existante détient une cohésion, une
bonne ambiance avec un partage de valeurs professionnelles, elle saura faire la
différence. En effet, si parfois les difficultés s'accumulent sur une période:
charge en soins, arrêts de travail, les membres de l'équipe peuvent arriver à
une "saturation" passagère qui est à différencier de la réelle envie de quitter
l'unité, et c'est à ces moments-ci que la cohésion de l'équipe semble temporiser
le doute individuel, comme l'exprime AS2 :" Je vais te dire franchement, y'a des
fois j'me dis: "tu pars!" et pis finalement t'as quand même des jours plus
calmes, l'équipe est bien, on est bien installés quand même...".
Et c'est aussi ce qu'exprime IDE2 quand je lui demande si la relation d'équipe
est ce qui prime dans le choix d'un départ: " Ben c'est à dire que si y'a d'autres
choses qui viennent se greffer, quoi que ce soit et si en plus y'a mauvaise ambiance, ben y cherchera à partir... Après même si la charge de travail est importante, si y'a une équipe soudée la personne vient travailler différemment, [...]
Parce que si en plus le personnel est pas très motivé et que l'équipe se tire
dans les pattes, ben c'est moins motivant et les gens chercheront plus par tous
les moyens ben... à changer d'activité, ils se diront que l'herbe est plus verte
ailleurs...". D'ailleurs pour elle aussi, une des raisons qui fait qu'elle reste dans
l'unité est :"...je me plais dans l'équipe".
CDS3 semble confirmer aussi ce rapport à l'équipe dans la décision de quitter
ou rester :" Alors elles ont quand même un intérêt que ce soit professionnel ou
personnel en terme d'équipe, parce que ça correspond à ce qu'elles pouvaient
imaginer de leur travail". Par opposition, l'analyse de cet extrait pourrait faire
alors supposer que ce peut être le décalage trop rude à admettre entre l'attendu
de la profession vu par les yeux du futur professionnel et la réalité perçue par le
professionnel qu'il est devenu. Ce dernier élément renforce l'exemple de l'étude
de Davis sur les infirmières cité dans la partie conceptuelle, qui parle de "choc
de la réalité". Le turn-over pourrait alors et aussi s'expliquer par ce sentiment
choc.
FF fait régulièrement référence à l'équipe au cours de l'entretien, elle m'exprime
que pour l'instant "ça va", "j'ai une équipe soudée". Elle insiste aussi sur le fait
51
que la première chose qui peut faire qu'un agent reste dans l'équipe est : "l'ambiance d'équipe, la collaboration, l'équipe médicale, on a beau dire mais ça fait
beaucoup, et euh... l'encadrement faut le dire aussi" [...] Et puis l'équipe médicale qu'on a là est très dynamique, elle écoute l'équipe. Le matin en relève, tout
le monde a la parole. Alors le jour où ça change...Autant y'en a ça va pas avec
leur cadre et elles s'en foutent, mais si ça va pas avec le médecin, elles partiront, enfin ça me donne cette impression... Parce que tu entends vite :"S'il continue comme ça, je m'en vais", enfin c'est peut-être des paroles en l'air". Ici,
l'équipe doit se comprendre aussi plus largement qu'en termes d'équipe paramédicale. Finalement, cela suppose que chacun puisse mettre sa pierre à l'édifice et favoriser ainsi une certaine dynamique qui peut donner envie de rester
dans le service. Comme je viens de l'expliquer, rester dans un lieu dépend de
plusieurs facteurs (ou plusieurs déterminants) et sur la question de l'ambiance
dans l'équipe, je constate que celle-ci dépend de différentes strates (AS 6, IDE7,
cadre, équipe médicale). Il suffit d'un problème dans l'une de ces strates pour
que l'équilibre soit rompu.
CDS3 tient des propos similaires et dit que si en plus de conditions organisationnelles réunies :"[..] on a une équipe médicale ouverte, un encadrement sur
lequel on peut compter, et une équipe avec une bonne dynamique, forcément
ça va déjà aider à se sentir dans une équipe. [...] Après je pense qu'il y a ce
noyau d'équipe, alors qui pour le coup n'appartient pas forcément au cadre,
parce que c'est aussi l'alchimie des personnes entre elles, et on sait pas trop
pourquoi avec certaines ça marche ou pas. Et pis s'il y a une facilité à changer
des horaires, ben c'est bête mais ça aide à adhérer à cette équipe". Je remarque ici, le bénéfice d'être dans une équipe dans l'arrangement de l'organisation de la vie privée à certains moments.
Cependant, FF nuance son propos. Tout en admettant la force d'une équipe,
elle constate sa fragilité :" En fait y'a des équipes où tu te sens mieux qu'avec
d'autres, après, ça change aussi parce qu'il suffit de changer un agent et pis ça
tourne moins bien. Et puis genre :" l'équipe me va c'est bien, ça me va pas, je
change"".
6
7
Lire aide-soignante dans toute l'analyse.
Lire infirmier(ère) dans toute l'analyse.
52
IDE2 renforce aussi cette idée de fragilité de l'équipe, qui même si elle semble
unie et stable, peut se déstabiliser rapidement :" Ben par exemple là dans le
service chez les AS y' a...un noyau de plaintes qui...et c'est un engrenage qui
emmène tout le monde dans la plainte, "on a trop de boulot, les patients sont
lourds, les gens sont ci, les gens sont ça..." et du coup l'équipe tourne là dedans..." . IDE2 démontre donc cette vulnérabilité, puisque même les aspects les
plus négatifs peuvent se répandre et laisser régner une dynamique moins positive, tel un danger qui guette cet équilibre à priori si stable.
CDS3 met aussi en relief cette ambivalence de force et de fragilité dans laquelle "navigue" une équipe :" Après dans les personnes qui sont parties, y'en a
qui saturent de l'exercice dans l'unité. Ca fait partie du turn-over, quand y'a des
personnes nouvelles qui arrivent, ça fragilise très vite ce qu'elles mettent sous
le nom d'équipe..." Je comprends ici qu'il faut aussi œuvrer pour garantir un
nouvel équilibre avec l'arrivée de nouvelles personnes: "Hein par exemple,
quand on travaille avec les mêmes personnes au bout d'un moment, on connaît
les réactions ou les modes de fonctionnement des uns et des autres, et
euh...y'a une communication qui se fait. En fait, c'est comme un rouage, c'est-àdire qu'il faut du temps pour qu'il se mette en place et dès qu'on y apporte un
changement, ben de toute façon, ça perturbe".
La notion d'équipe relatée par les différentes personnes interrogées fait ressortir un sentiment fort d'union, d'engagement mais aussi de fragilité, qui laisse
penser que ce peut être un facteur important dans la décision d'un agent à rester ou non dans une unité, s'il se pose la question d'un changement. Cependant
et au regard du contenu des entretiens, observons le phénomène du côté de
l'engagement.
Comme évoqué en amont, la notion d'équipe implique tacitement l'engagement.
Les entretiens réalisés démontrent la prégnance du poids qu'elle peut représenter en termes de décision, à savoir partir ou rester. Cependant, l'agent s'engage-t-il vraiment dans l'équipe? S'engage-t-il vraiment dans sa profession?
53
4.2 L'engagement, jusqu'où et selon quels critères?
Howard Becker, sociologue américain dit ceci: " Le terme d’engagement (commitment) connaît une popularité croissante dans le débat sociologique. Les sociologues l’utilisent pour analyser des comportements aussi bien individuels que
collectifs. Ils en font un concept descriptif utilisé pour désigner des formes
d’action caractéristiques de certains types d’individus ou de groupes. Ils en font
une variable indépendante permettant d’expliquer certains types de comportements individuels ou collectifs...Typiquement les sociologues utilisent le concept
d'engagement pour rendre compte des lignes d'actions cohérentes d'un individu".[20]
4.2.1 D'un point de vue global
CDS3 se pose la question de comment nous pouvons en tant que cadre de
santé compter sur les agents qui composent l'équipe, et donc sur leur engagement à remplir telle ou telle mission. Elle dit :" Parce que quand on a des départs en fait, on a aussi des compétences et des connaissances qui partent et
quand on est cadre je pense que c'est ce qui est le plus...enfin c'est aussi parce
qu'il y a des habitudes de travail, on connaît ses agents, comment y fonctionnent et combien on peut compter sur eux pour les différentes missions". Cette
illustration montre bien qu'est attendu un engagement qui va au-delà du soin de
la part du professionnel au sein du collectif, que ce soit directement lié à la prise
en soins du patient, ou de manière plus organisationnelle dans l'unité ou encore
dans une vision plus transversale par la participation à des instances par
exemple.
Le sentiment d'appartenance à l'équipe est animé, entre autre, par un partage
de valeurs de soins communes, développées lors de la formation soignante et
par l'individu lui-même. Puis dans le même temps, nous rencontrons au sein de
ces équipes constituées un chemin commun, ou "lignes d'actions cohérentes"
selon Becker, qui pour se donner encore plus de cohérence, vont entrer dans
une démarche solidaire que ce soit d'un point de vue professionnel avec l'entraide, ou d'ordre plus personnel avec par exemple l'arrangement ou l'échange
d'horaires. L'analyse démontre que ces deux dénominateurs communs que
54
sont les valeurs professionnelles et la solidarité emmènent le groupe professionnel vers une idée forte du collectif telle une promesse. C'est la réunion de
ces deux facteurs principaux qui donne à cette idée d'engagement collectif une
notion d'aboutissement
4.2.2 La solidarité
Je ne retrouve pas la notion de solidarité de manière explicite dans les entretiens. AS2 parle d'entraide :" [...] y'a de l'entraide entre AS et AS-IDE, quand
chacun peut faire c'est volontiers [...]". AS1, elle, parle de collaboration :" Ben je
trouve que déjà on est une bonne équipe qui travaille en collaboration IDE –
AS". Cependant je m'aperçois que cette solidarité évoquée sous le terme d'entraide ou de collaboration existe une fois que la personne arrivée semble être
intégrée au groupe, avant cela elle doit faire ses preuves tel un rite de passage.
AS1 le dit :" [...] après c'est vrai que quand on arrive, c'est pas simple je pense
pour les personnes qui sont dans l'équipe, qu'elles aient confiance. Moi, c'est
vrai que ça fait deux ans que je suis là, je l'ai ressenti parce que déjà moi j'avais
pas confiance en moi, et j'avais l'impression que l'équipe n'avait pas confiance
en moi et c'était pas du tout le cas. En fait, il faut faire ses preuves et montrer
qu'on y arrive, moi, ça a été le cas, après...". IDE1 l'exprime aussi en se souvenant des ses débuts :"Là tu travailles avec moi, ben va falloir que tu assures, je
vais pas t'aider à chaque obstacle, va falloir que tu y ailles".
Ces deux exemples signifient que la solidarité n'est pas naturelle, mais qu'elle
s'inscrit dans la durée, et que la notion de temps est importante, car elle permet
à chacun de se situer et de situer l'autre pour pouvoir aboutir à une démarche
solidaire.
La définition qui suit, clarifie assez bien ce qui est exprimé par les soignants
:"La solidarité est un sentiment collectif, l'homme évoluant dans une tension
entre le groupe et son individualité. La solidarité est un sentiment qui pousse
les hommes à s’accorder une aide mutuelle, dans la conscience du fait que
l'aide ou l'attention apportée à l'autre à un moment, pourra être reçue de l'autre
ultérieurement. La solidarité tisse donc un lien entre les individus ou les
groupes et entre des situations vécues par ces individus ou ces groupes".[21]
55
D'ailleurs, CDS3 l'illustre avec ce propos :"On sait que l'on peut aller vers telle
ou telle collègue pour un changement d'horaire, un échange de week-end ou
une autre qui va être un soutien pour quelque chose".
La solidarité donne l'image de la main tendue vers l'autre, dans une même direction. Mais au travers des différentes citations des professionnels, je me
rends compte que même si une forme de solidarité naît du fait du groupe et des
ses valeurs communes, il y a un attendu implicite qui est le retour, puisqu'il est
énoncé sous forme d'échange, donc d'un don contre un autre don, ou encore
de réciprocité. Cela nous renvoie à la théorie de Mauss, citée dans l'approche
conceptuelle de ce travail.
Et c'est parce qu'il y a cette forme de solidarité, que l'on retrouve un intérêt
commun, ici au travail, et donc en termes de valeurs professionnelles.
4.2.3 Les valeurs professionnelles
Les valeurs professionnelles, au regard de ce que j'ai retrouvé dans les entretiens, se lisent à travers le "bien faire son travail", comme pour CDS2 :" Alors
valeur de travail...je pense que quand tu prends une AS, je pense que ce qui
est important chez elle quand elle prend un patient en charge, c'est de pouvoir
prendre le temps de bien faire son travail. Alors qu'est-ce que c'est bien faire
son travail tu vas me dire! Alors, c'est bien prendre le temps auprès de son patient pour lui faire sa toilette. Je vois pour les AS dans le service, y'en a beaucoup qui aiment bien les pouponner, les bichonner, c'est-à-dire que quand les
patients sont mis au fauteuil, les gens sont pas maquillés mais presque, et ils
sont bien présentés, bien propres pour leur famille... [...] les valeurs c'est «j'ai
pas pris assez soin de mon patient, j'ai pas le temps quand un patient sonne de
lui consacrer le temps que je voudrais»... Donc, je pense que c'est ce qui ressort dans les valeurs. Elles sont bousculées. [...] Et pis en France y'a des exigences qui font que…. par exemple les patients, ils sont pas arrivés dans le
service qui faut déjà presque leur trouver une issue de sortie...".
Le cadre de santé évoque ici les conséquences du système de santé dans la
gestion de devenir des patients, où du fait de ce système sanitaire en mutation,
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la valeur soin est bousculée puisqu'avant même que le patient soit pris en
charge pour sa santé, il est déjà nécessaire de penser à sa sortie.
AS2 l'évoque aussi :" Et pis ce nouveau service à ses débuts, il a démarré en
trombe, avec 26 patients, 3 AS le matin, ça les a heurtées dans leurs convictions professionnelles: dans la manière de prendre en charge le patient, dans le
temps qu'on avait vers lui en fait. Dans l'ancien service on avait parfois la possibilité de mettre des bigoudis aux dames...t'as quand même pas la même sensation de travail fait que quand tu fais que passer de chambre en chambre sans
forcément trop t'arrêter, parce que sinon t'es dans le jus, quoi... Et je pense que
certaines AS, elles ont eu peur du rythme, et pour en avoir discuté, c'est ça,
c'était pas dans leur idée, elles avaient pas envie que cette façon de travailler
change...". Puis cette idée revient :" Et pis des week-ends où tu te dis c'est pas
possible! C'est franchement le cirque, tu sais plus où donner de la tête...c'est
horrible comme sentiment, alors quand ça se cumule quelques jours ben y faut
peu quoi...".
AS1 évoque aussi la difficulté de rester dans des valeurs professionnelles
idéales :" [...] je pense aux soins de nursing du matin. On prend peut-être pas
forcément beaucoup de temps avec les personnes, avec celles qui en ont à
priori pas trop besoin, ben parce qu'on se dit qu'on a euh... d'autres soins à
faire et puis ces personnes-là elles sont valides ou ont besoin d'une petite aide.
Mais elles peuvent quand même, avoir besoin de nous... pour parler, ouais
parce que je pense qu'en étant hospitalisé c'est pas simple d'être euh... oui pis
pour nous de prendre le temps avec certains patients".
Au fil de cette lecture, je réalise que le sentiment qui semble émerger des soignants est "le manque de temps", pour parvenir à un travail satisfaisant, c'est-àdire être en cohérence avec leur propres valeurs. En conséquence, une frustration des professionnels émane, que ce soit dans la relation ou dans la communication qu'ils souhaiteraient mettre en place. Et c'est parce qu'il y a des valeurs
de référence et un engagement professionnel vis-à-vis du patient que ce sentiment de frustration existe.
Si au travers des entretiens j'ai pu récolter quelques données quant à la notion
d'engagement dans le travail, j'ai surtout retrouvé des remarques quant à l'en57
gagement vis-à-vis de la profession soignante, qui est aussi de l'ordre de l'engagement, mais où les constats sont plutôt opposés à l'idée même. De facto, la
profession soignante donne l'image de personnel dévoué et engagé. Si cela
peut-être tout à fait existant, je note un réel écart entre cette représentation et
ce qui est exposé par plusieurs des professionnels interrogés.
4.2.4 L'engagement dans la profession?...Si la vie personnelle le permet.
Par exemple, AS2 parle des horaires décalés des soignants. Elle me dit :" Ben
moi je trouve que quand tu t'engages dans ce métier, tu sais tout ça. Maintenant y 'a plusieurs fois où j'ai trouvé qu'il y avait pas la fibre... Elle reste également perplexe quant au choix du métier de soignant :" Peut-être parce que c'est
encore là que tu trouves du boulot, et dans la fonction publique une fois que tu
y es, faut vraiment pousser loin pour se faire mettre dehors...soyons clairs aussi...".
IDE1 évoque plus volontiers un engagement différent dans la profession du fait
d'un changement de mentalité, voire même "un désengagement", parce que le
travail semble plus un moyen pour parvenir à d'autres objectifs, qu'un objectif
en soi :" [...] le travail pour eux c'est...pfff..., c'est même pas secondaire,
c'est...loin!".
IDE2, dans son discours ressort plusieurs fois cette idée d'engagement mis à
mal, sans le nommer mais qui paraît être un fait difficilement entendable pour
elle :" [...] ça va discuter du fait qu'elles en ont marre du boulot, des horaires, de
ceci de cela, après elles cherchent euh...un autre poste avec plus de....qui
prend plus en compte les rythmes où elles travaillent pas le week-end par
exemple...".
Suite à ma demande elle reprécise :"Moi je l'explique par le fait que les personnes qui passent le D.E8 par exemple, ben elles imaginent pas ce qu'est la
profession et les horaires et les plannings, et que du coup elles passent le concours pour avoir une profession ou... ben qui est reconnue, parce que c'est re-
8
Diplôme d'Etat
58
connu par les patients, ou en terme de contact avec les médecins... Moi j'ai
bien vu les plus jeunes dans ma promo, y'en a beaucoup qui disaient déjà:"ouais je finis le vendredi à 21h, c'est dégueulasse..." Et moi j'avais du mal à
supporter ça...".
J'entrevois ici, que le choix du métier semble se faire aussi de manière plutôt
"binaire" en termes d'aspects négatifs et d'aspects positifs, plus que d'une réelle
motivation à développer une relation dans le soin. Si en soi les aspects négatifs
relèvent de la contrainte au regard des horaires parfois décalés, du travail de
week-end, de vacances soumises parfois à négociation, les aspects positifs
sont eux attrayants. En effet, la représentation sociale du métier reste quelque
chose de noble et courageux, car le grand public voit le soignant telle une personne dévouée au chevet de patients dans la souffrance. Le statut dit de fonctionnaire implique une certaine garantie quant à la sécurité de l'emploi, et puis
ce travail donne la possibilité d'œuvrer en collaboration et donc en proximité
avec les médecins qui eux aussi ont l'image de personnes difficilement accessibles, car ils détiennent une certaine autorité et le savoir.
Plus loin dans la discussion, IDE2 reprend :" Moi je dis toujours, je prends mon
planning, et puis je...compose après. Parfois j'ai l'impression que certains personnels prennent leur vie perso en premier et que c'est le travail qui doit composer...Tu vois ce que je veux dire? Et pour autant, ma vie perso est pas moins
importante. Pour moi, j'ai la sensation que le planning est pas modulable, et j'en
vois beaucoup qui veulent pas trop s'adapter au fait que c'est pas trop adaptable... Je dirais que quand même la tendance veut que le personnel a plutôt
tendance à arranger le planning en fonction de la vie perso", [...] en gros faut
finir à l'heure, la pause à tout prix..., [...] je pense que les gens sont aussi exigeants et veulent faire valoir leurs droits, enfin sans généraliser. Mais y'a de ça
oui [...] Ça fait une vingtaine d'années que je travaille et je trouve que ça va un
peu crescendo...Genre on allait pas chercher le cadre pour des bricoles de
planning, parce qu'on avait cette retenue... Maintenant, les cadres sont aussi
plus abordables et donc on se permettra plus de choses...Mais parce que les
droits sont souvent mis en avant donc il faut aussi que les cadres, ils s'adaptent
à ça...On pense tout de suite moins aux devoirs...".
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Cette infirmière relate sa propre vision, selon ce qu'elle vit à travers le comportement observé de ses collègues. Ce propos vient corréler celui de CDS3 qui
l'exprime de la manière suivante :" Je pense que notre priorité quand on avait
18 ans c'était de trouver un travail et de faire notre vie avec notre travail. [...] je
me souviens pas non plus avoir été sollicitée sur mon ressenti par rapport au
travail, parce que d'emblée en sachant l'activité que j'allais faire ben je sais pas
je me suis pas trop posé la question, j'ai organisé ma vie selon mon travail. Là,
il me semble plus qu'il y a plus l'inverse... En fait, on veut tellement que les
gens soient bien dans leur travail qu'on oublie qu'il y a des contraintes, et que
les contraintes, ben on peut pas les enlever. Alors euh, j'ai l'impression qu'on
ressent que les gens vont favoriser leur bien-être personnel, que ce sera au
travail de s'adapter, mais encore une fois y'a des contraintes et on peut pas en
faire fi".
A lire ces propos, il semblerait que les choses se soient inversées au cours des
années: c'est la vie privée qui dicte son propre engagement dans le travail, et
non le travail qui induit l'organisation de la vie privée. Il faut tenter de comprendre cela non pas comme un égoïsme naissant, mais plutôt être conscient
de la mutation sociale qui impacte l'individu, qui -selon l'analyse empirique et
mon expérience- vit une transition, tiraillé entre des modes de fonctionnement
dits anciens et l'adaptation à ce qu'implique la société actuelle. En effet, comme
les contraintes institutionnelles sont de plus en plus prégnantes, il se réfugie
dans son univers propre qu'il connaît et pour lequel il a des repères, et donnera
plus d'importance à ce que lui-même s'impose.
Je saisis donc l'ambiguïté qu'il existe entre une forte notion d'équipe dite solidaire et engagée et une forme d'individualisme, où ce qui semble compter est
l'intérêt personnel au regard de la sphère privée. Pour autant, la notion d'individualisme peut ne pas être prise comme quelque chose de négatif et égoïste. Il
faut aussi tenter de le comprendre comme une mutation des comportements du
fait aussi d'une société elle-même en mouvements, et pour laquelle des stratégies d'adaptation sont à trouver. Alors pour un professionnel, ces stratégies se
situeront au niveau de la réduction du temps de travail par exemple, ou alors
dans la modularité du planning, du rythme de travail ou encore selon une politique institutionnelle. Il semble qu'il cherchera en fait à dégager un/des béné60
fice(s) secondaire(s) des contraintes liées à l'engagement qu'il se doit d'avoir
dans sa profession.
FF fait aussi remarquer cette idée d'individualisme à quelques reprises :" [...] en
fait ça va dépendre du type de personne, et du noyau de leur vie. Pour beaucoup c'est pas une priorité, c'est :"j'arrange mon travail en fonction de ma
sphère perso". Après, elles ont moins peur de partir sur un coup de tête, selon
les responsabilités familiales. Et pis elles savent qu'elles ont du boulot, même si
elles savent pas ce qu'elles vont retrouver. Enfin moi je vois aussi beaucoup de
jeunes D.E qui au bout de trois-quatre ans veulent plus faire de week-ends, et
ça m'embête parce que quand on a fait l'école on le savait. [...] je pense pas
qu'elles veulent plus faire de week-ends juste pour plus en faire, mais c'est la
vie autour qui fait que... Le conjoint est absent le week-end, ils se voient pas de
la semaine, enfin c'est souvent ça qui revient, du fait, elles ne peuvent plus assumer. Mais bon tu savais en choisissant. [...] Enfin, je pense qu'il y a erreur de
projection, le métier oui c'est celui là que je veux faire mais alors tu sais les
conditions quand même." A nouveau, l'idée d'adaptation du travail selon la vie
personnelle est un élément fort et persistant, qui à nouveau fait se poser la
question de l'engagement du professionnel quant à son choix initial. Il est
même possible d'aller plus loin en se posant la question du message véhiculé
lors des temps de formation que ce soit dans la conception du métier que sur le
terrain lors des stages.
CDS3 le voit ainsi :" Je pense que quand quelqu'un part, c'est parce qu'il ne
trouve pas satisfaction à ses attentes, ou qu'à un moment donné, ben les attentes personnelles sont plus importantes que les professionnelles... [...] concernant des congés mat', j'en ai deux qui ne reviendront pas, parce que avec un
temps partiel, un domicile un peu éloigné, elles font le calcul et elles se rendent
compte qu'elles vont venir travailler pour 700 euros et que du coup, ben … ça
vaut plus le coup".
La vie personnelle semble là aussi pour CDS3 être un facteur déclenchant à
l'individualisme, et les enjeux financiers viennent eu premier lieu dans la décision de reprendre ou non une activité:" Je dirais que les priorités sont vraiment
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différentes des unes des autres: c'est âge dépendant, mari dépendant, enfants
dépendants. Y'a beaucoup de choses qui interviennent. Y'a des agents qui vont
te dire : "mes enfants sont grands, les vacances ça m'est un peu égal, fais
comme tu veux". Ce qui fait l'équilibre c'est la satisfaction entre les deux tensions: impératifs professionnels et impératifs personnels.
Elle poursuit en disant :"Je pense que tu as des bonnes IDE mais qui n'ont pas
eu conscience malgré les stages (mais peut être que les stages ne montrent
pas assez les contraintes en fait) que ce que pouvait impacter l'obligation de
continuité des soins dans une vie personnelle. J'ai l'exemple d'une IDE qui a
deux ans de diplôme qui sature des week-ends, ben je vais pas pour autant ne
plus lui en mettre, j'ai pas le choix, à un moment c'est pas mon problème, et je
lui dirai que si c'est effectivement un problème pour elle, et que je peux le comprendre, c'est qu'elle pourra pas rester là et j'aurai pas mieux à lui proposer.
Enfin elle a fait un choix, nous on a pas ça à la maison...".
Elle évoque aussi une cause plus institutionnelle :" Hum, en fait je pense aussi
qu'il n'y a pas grand chose qui les retient...Moi quand j'ai commencé, on était
très vite titulaire, et là pour le coup la grande majorité est en CDI quand même,
mais le système hospitalier n'a rien fait pour les garder, donc ce sentiment d'attachement à l'hôpital, est moins fort et ça c'est quelque chose qu' elles ont
beaucoup moins. Mais on le sent bien, elles le disent : "c'est une attente et personne n'y répond donc si on ne tient pas plus que ça à nous, on voit pas pourquoi on s'engagerait autant que l'attendu".
Dans ce verbatim, CDS3 parle de l'attachement du professionnel pour l'établissement, et le nomme comme "moins fort", je suppose donc que le sentiment
d'appartenance à son lieu de travail se modifie. Cette notion implique du professionnel l'idée de fidélité de sa part, qui peut être comprise du fait qu'il se sent
en adéquation avec les valeurs transmises par l'établissement. Or, nous savons
que la structure, si elle détient sa propre politique, est aussi soumise à une politique plus nationale, qui se répercute sur les organisations dans les unités et
donc dans la prise en soins des patients. Comme le système sanitaire change,
les valeurs se modifient, et nous retrouvons ce sentiment de frustration, voire
d'insatisfaction, qui, nous pouvons l'imaginer conduit au désengagement, et
62
donc à un probable choix de quitter l'établissement, induisant un turn-over. Ceci
démontre que si le turn-over peut-être dû à un choix tout à fait personnel, il peut
aussi être vu comme une forme d'opposition du salarié à adhérer au système
existant.
Au travers de ces différents extraits d'interviews, je réalise d'autant plus le caractère complexe et non pérenne qui gravite autour de la notion d'engagement.
Un mot fort de sens, qui dans une société hospitalière actuelle, aux schémas
bouleversés de toutes parts trouve péniblement sa place. Un tiraillement entre
la réelle envie de bien faire le travail parce que c'est l'engagement tacite lié au
métier qui le dicte, et la nécessité d'orchestrer le domaine privé de plus en plus
exigeant, le tout dans un contexte professionnel aux conditions de travail parfois trop éprouvantes.
4.3 Les conditions de travail
Mon vécu de faisant fonction, et le recul pris par rapport à ces quatre années
me font dire que le turn-over fait actuellement partie des conditions de travail au
même titre que du matériel ou de l'organisationnel et reste une préoccupation
pour les professionnels.
IDE1 y fait référence rapidement et à plusieurs reprises dans la discussion :" Je
pense que c'est une remise en question perpétuelle quand il y a du turn-over.
Et puis l'épuisement de celles qui accompagnent souvent les nouvelles, ou
alors quand en plus il faut revenir parce qu'il y a un arrêt, c'est les plus anciennes qui sont d'abord rappelées ou pour des nuits et c'est épuisant aussi
pour celles qui restent. [...] Pis après on s'habitue à travailler avec les personnes, ça créé un équilibre et pis quand y'en a une qui s'en va puis deux..,
[...]. Et puis une des première chose c'est le manque de personnel au regard de
la charge de travail. [...] Et puis y'a toujours la comparaison pour celles qui l'on
connu de l'avant: "c'était comme ça avant, c'est comme ça aujourd'hui..." Et du
coup la question se pose: "ben si j'allais là, ou ailleurs est-ce que ça serait pas
différent ?".
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AS1 exprime aussi la difficulté des conditions du travail liées directement à l'activité de l'unité :"[...] je pense que ceux qui sont susceptibles de partir, je pense
que c'est dû à un ras-le-bol de tout ça, d'être dans les soins peut-être. Ben le
ras-le-bol des patients parfois, qui sont pas toujours...euh, ben qui ont pas toujours du respect envers nous, à qui on essaye de donner tout ce qu'on peut, et
puis ben voilà qu'on a pas toujours un respect... Et puis y'a les familles aussi
qui sont pas toujours... même si on essaye de faire ce qu'on peut. Ouais qui
sont pas toujours à notre écoute, et qui entendent pas toujours ce qu'on dit non
plus. Après ben y' a aussi le manque de personnel à un certain moment, donc
effectivement on arrive pas à donner tout ce qu'on aimerait donner, ben par
manque de temps, par manque de personnel dans l'équipe euh... (silence)."
Les réponses de AS2 viennent alimenter ce que dit AS1 :" Le service là, et difficile donc les gens veulent aller voir dans un autre service si c'est moins dur... Et
pis les conditions de travail. Ben à nouveau la charge de travail, on est pas suffisamment au regard de la charge... Et on peut arriver en fin de journée exténuées...". Elle reconnaît en outre que des actions sont mises en place pour atténuer cette pénibilité liées aux conditions, ici en terme de renforts humains :"
en terme d'outils on a ce qu'il faut, tout est fait quand même pour qu'on essaie
de moins galérer, on a eu du renfort pour soit le matin ou l'après-midi, et pis
nan ben ça dépend du moment T : un décès, un transfert en urgence, une entrée... Y'a un gros effort qui est fait pour nous aider. Je crois que ça on peut pas
le prévoir même si des fois en plus du renfort si c'est possible la cadre essaie
de nous mettre à une de plus... Ca s'explique pas trop je crois...". Pour son
changement de service elle explique que les conditions liées là aussi à l'activité
devenaient dangereuses pour elle :" Ben j'étais dans le service X, et ça faisait 9
ans que j'y étais... Une super équipe, mais trop de décès j'en pouvais plus, et
puis j'avais un proche qui était malade et j'avais qu'une peur c'est qu'il décède
dans le service et que je sois là... j'arrivais plus à couper... Et c'était perso...
J'allais péter les plombs...".
Ces extraits relatent de réelles difficultés vécues par les soignants. Les valeurs
professionnelles sont ébranlées du fait d'une activité inhérente aux soins lourde
et parfois pesante, qui ne laisse pas ou trop peu de place à la manière dont
elles aimeraient que se déroulent les soins. Ce qui les amène à ressentir cette
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frustration que nous avons déjà évoquée, et qui remet en question le sens à
leur travail. Ainsi, si le professionnel évolue avec ce sentiment, il peut alors
s'installer une réelle souffrance professionnelle psychique et/ou physique. Ici, le
rôle du cadre de santé prend tout son sens, et devra s'attacher à repérer ce
phénomène qui s'installe progressivement et qui peut conduire à ce qui se
nomme actuellement le risque psycho-social. Il peut donc tenter d'accompagner
et de faire verbaliser les professionnels à ce sujet, que ne s'installe pas une
forme de culpabilité de l'ordre de :"Je voudrais faire bien, mais là je n'y arrive
plus".
FF insiste également sur ces conditions de travail parfois difficile en terme de
charge émotionnelle :"Je dirais la charge de travail, après deux-trois ans je
pense aux AS, c'est assez lourd, [...] et pis à coté de ça y'en a qui au bout d'un
an elles vont faire autre chose, parce qu'elles sont fatiguées, elles en peuvent
plus, y'a les soins palliatifs". Et ajoute que les différents changements, des
heures supplémentaires tardives et le remplacement des arrêts nuisent beaucoup :" [...] si tu changes un peu les façons de faire et ben elles arrivent plus à
se mettre dedans, la charge de travail, les responsabilités, et ben hélas ce qui
est dur, les horaires et pis le fait d'être rappelées en cas d'arrêts. Enfin les conditions de travail quoi. Et pis les horaires ben y'a des nuits... et pis aussi le fait
de terminer tard, pas à l'heure, déjà qu'elles sortent à 21h et en plus elles sortent pas l'heure, ça c'est quelque chose qui revient beaucoup".
Je rapproche une phrase de FF qui illustre ce qu'exprime IDE1 plus haut quant
à la fatigue qu'engendre le turn-over et donc l'accompagnement de nouveaux
arrivants :" Enfin tu vois là je suis à 12 arrivées en 2013 pour 13 départs, là on
tourne avec une IDE en moins...(rires)."
CDS2 voit dans les conditions de travail un élément qui peut pousser au turnover du fait de vouloir "faire une pause" dans son travail, décrit à plusieurs reprises comme fatiguant, pour prendre du recul :"partir pour faire autre chose
puis revenir quelques années après. C'est-à-dire, comme s'ils avaient besoin de
se vider la tête, de prendre de la distance et de faire le point sur leur activité. Et
souvent se sont des gens qui ont entre 40 et 50 ans et qui, a un moment donné
ne s'y retrouvent plus dans les services, avec l'activité qu'on leur impose dans
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les services. Enfin c'est pas qu'on leur impose, mais qui est imposé par le vieillissement de la population et par le turn-over des patients. [...] Mais je sens
qu'on pourrait être limite parce que quand on fait douze entrées dans le weekend, qu'on rentre cinq personnes Alzheimer qui vont vous mettre le foin dans le
service et que vous avez un service qui est plein et que vous arrivez le lundi,
vous sentez la température et que vous osez pas demander comment s'est
passé le week-end, ben...".
Puis elle poursuit en m'expliquant que les conditions de travail sont aussi du fait
de prises charge différentes du fait du type même de l'établissement :"Et en
même temps je crois qu'elles sont fatalistes et qu'elles sont en train de se
rendre compte que de toutes les façons, ben c'est comme ça, et que la population vieillit et puis les gens qui vont venir dans le service de notre CH, c'est pas
des jeunes de 45 ans qui auront fait leur infarctus, parce qu'ils vont au CHRU.
Et il faut qu'ils se mettent en face de la réalité, ça va pas aller en s'améliorant,
on va devenir un service de gériatrie aiguë, voilà quoi... Tiens ben pas plus tard
qu'hier... la jeune cardiologue, qui me dit: "je suis dépitée... j'ai l'impression de
plus faire de la cardio, mais je fais de la gériatrie..." Elle exprime également un
"facteur stress" lié aux conditions de travail :"ils ont besoin de parler en fait et
d'évacuer leur stress, donc je leur ai dit de faire des fiches d’événements indésirables de comment se sont passés ces moments difficiles... pas pour les envoyer en cellule qualité mais plutôt pour avoir des éléments, des arguments visà-vis de la direction, notamment pour les filles de nuit où ça devient infernal à
deux, où y'a parfois deux décès, trois entrées, plus tous les patients présents
qui ont besoin...".
CDS2 rend compte du caractère difficile et même pénible du travail et des conditions dans lesquelles il faut l'assurer. Pour ce faire, je m'aperçois qu'il y a un
besoin de justifier de cette difficulté par la rédaction de preuves, pour une hiérarchie qui doit parfois établir des choix, notamment en termes de dotation de
personnel dans les unités, au regard d'impératifs budgétaires.
CDS3 fait état de conditions de travail directement liées à des décisions hiérarchiques du fait d'enjeux financier en lien avec l'activité :" [...] là ils veulent nous
prendre la salle de pause pour augmenter de deux lits sans augmenter le per66
sonnel... Y'a de quoi s'inquiéter. Parce que là, euh...le service est récent [...]
j'essaye de stabiliser et de maintenir le cap, mais là, je ne réponds de rien s'ils
nous font ça, et là on part vers du turn-over, ça va y aller. Après entre ce que
les gens disent et ce qu'ils font...bon...parce que décider de partir ben il faut
avoir une autre place ailleurs. Et là moi je pense qu'il faut à un moment arrêter
de venir bousculer des équipes où ça se passe bien, moi encore une fois je ne
réponds de rien".
Ici, les conditions de travail énoncées par les professionnels sont directement
liées aux soins. L'activité et l'impact psychologique laissés par certaines situations semblent se densifier. Je fais le lien avec le concept étudié en début de
travail, où ce qui rend les conditions de travail pénibles se situent dans la multitudes de choses à gérer en même temps, que ce soit directement ou indirectement lié aux soins, et cela dans un contexte de plus en plus restrictif tout en
restant garant d'une qualité de prise en charge holistique. Puis s'ajoute à cela,
la dégradation des conditions de travail dues aux décisions hiérarchiques, sur
lesquelles une réelle impuissance est ressentie. Ce qui peut là aussi, entraîner
une lassitude chez les professionnels, puisque certaines de ces décisions impactent directement la qualité des soins donc les prises en charge des patients
et donc les valeurs professionnelles. A nouveau, les risques psycho-sociaux
sont en première ligne.
Si les conditions de travail peuvent faire partie des motifs qui poussent au turnover, une autre raison que je me représentais au début de ce travail comme
plus importante, n'est cependant pas à nier. En effet, la situation géographique
et le contexte socio-économique de la région sont à prendre en considération.
67
4.4 La Suisse comme employeur concurrent.
Au démarrage de ce travail de recherche, il me semblait relativement évident
que la cause du turn-over était l'attractivité pour la Suisse. Je constate, grâce
aux entretiens menés, que cette réalité quoique bien présente n'est pas si flagrante, et se fond parmi d'autres motifs.
Effectivement, à quelques reprises, les personnes interviewées font état de ce
phénomène frontalier sauf une qui ne le mentionne pas du tout (AS1) et une qui
l'évoque mais par rapport à sa sortie d'école en 1992 (CDS2).
Pour les autres, c'est bien évoqué, sans pour autant ne donner que cette raison
au turn-over. En terme d'attractivité (salariale ou autre), IDE2 dit :" chez nous
c'est plus la Suisse, parce que le salaire est quand même sûrement plus motivant".
L'attractivité du salaire est connue et indéniable et nous devons en tenir compte
dans nos établissements géographiquement proches de la frontière suisse.
Quoiqu'il en soit, le fait de toucher un salaire important renvoie à une certaine
réussite et, est une marque de reconnaissance du travail accompli. Nous pouvons déduire que les professionnels cherchant un emploi outre-frontière sont en
attente de cette reconnaissance, parce qu'ils estiment avoir un travail qui mérite
une meilleure valorisation que ce qu'ils peuvent connaître en France. L'opportunité du salaire doublé apporte non seulement une certaine amélioration des
conditions de vie mais aussi une valorisation du statut, pour lequel le professionnel sera aussi et peut-être plus enclin à accepter les contraintes, et donc de
s'engager plus volontiers pour son travail.
AS2 l'exprime à trois reprises :" Ben la suisse, hein, c'est franchement mieux
payé, disons le clairement". Ca a toujours existé (le phénomène frontalier)...
Après le milieu hospitalier a beaucoup changé quand même... Et pis le salaire...
y'a pas photo... Et pis on entend aussi, que les conditions de travail sont différentes, c'est-à-dire qu'il y a plus de soignants pour les patients...". Puis elle
l'évoque sous un seul mot :"l'argent" quand je lui demande de me donner trois
mots qui pour elle sont la cause d'un départ.
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Il y a aussi FF qui mentionne l'attractivité du salaire :" On a ce problème là
nous, parce que la Suisse, ça attire hein, ben parce que les gens ont besoin
d'argent, ici c'est cher".
CDS3 y fait également référence :"[...] quand on sait qu'une AS au bout de 30
ans de service touche 1500 euros, euh ça fait mal quoi... Quelle reconnaissance elles ont quoi? [...] Elles vont en Suisse, elles multiplient le salaire par
deux, donc ça fait 3000 euros, donc ça aussi, ça change la donne quand
même... [...] Enfin, on sent que du fait qu'il y a une majoration financière au bout
et ben parfois on s'assied sur beaucoup de choses...". Mais le salaire ne
semble pas la seule satisfaction :" Tiens je peux te dire, j'en connais bien autant
que les doigts de ma main... Ils sont partis en Suisse, aussi des IDE de l'ancienne cardio que je croise par hasard... Elles me le disent: "Mais c'est le jour et
la nuit !, aujourd'hui je travaille en accord avec mes valeurs, je prends le temps
avec les patients , je m'y retrouve, je suis bien, même s'il faut faire 1heure ou ¾
d'heure de route, je sais que je vais travailler sereinement, et que je vais pas
ressentir cette pression qu'on peut connaître en France, je suis bien". Enfin, de
toutes les personnes que je connaisse et qui sont en Suisse, y'en a pas une qui
reviendrait en France, et même des cadres, tout le monde "c'est mieux".
Ce qui laisse supposer ici qu'un meilleur salaire, qui apporte une satisfaction,
peut amener les professionnels à travailler différemment car reconnus, en l'illustrant ainsi: "puisque je gagne bien ma vie, il faut que je sois à la hauteur de ce
salaire". Ce fait renvoie directement au concept de motivation, et notamment
aux types de motivation intrinsèque et extrinsèque.
Outre la notion d'attractivité tant salariale qu'en termes de conditions de travail,
ce phénomène influe sur le contexte socio-économique de la ville et alentours
du fait d'un niveau de vie élevé. Et de manière plus "fataliste", certains sont
dans l'obligation d'y chercher du travail afin de réaliser un projet ou de simplement assurer le quotidien. IDE1 le constate :"Et puis y peut y avoir le projet immobilier, ben parce qu'ici c'est très cher avec la Suisse à proximité. Alors on
peut se dire ben c'était bien pour commencer, mais ça suffit plus, même si on
est bien, alors il faut peut-être envisager de traverser la frontière, c'est ça qui se
discute entre nous et c'est récurrent et on l'entend beaucoup".
69
Ainsi que FF qui déplore de voir partir une aide-soignante qui ne semble plus
trop avoir le choix entre un salaire d'aide-soignante travaillant en France et des
obligations financières inéluctables :" C'est sûr que si t'es tout seul avec une
paie d'IDE ben c'est un peu juste pour vivre à Pontarlier. Moi je le vois pour les
AS. Là, j'ai une AS qui a demandé sa dispo parce que financièrement c'est plus
possible, elle prospecte en Suisse. Et j'en suis bien désolée, et je peux rien lui
proposer, c'est pas en lui ajoutant un week-end ici ou là que ça arrangera sa
situation, c'est ça aussi le problème".
Ce phénomène frontalier sera encore sûrement la cause de bien des départs. A
ce jour et à ma connaissance, il n'y a pas de politique de fidélisation de l'agent
dans l'établissement, et d'aucune façon que ce soit. De plus, le côté statutaire
des fonctions paramédicales empêche toutes négociations. Il est donc impossible pour un agent d'espérer une quelconque compensation financière. Mis en
lien avec des conditions de travail qui se durcissent, un agent hésitera donc
moins à chercher un emploi du coté suisse soit pour y trouver meilleurs salaires
et conditions, soit pour un salaire équivalent, mais avec un temps de travail
moindre. Cependant, le marché de l'emploi suisse est soumis aussi à des restrictions, et reste timide. Aussi, pour s'assurer de pouvoir partir hors frontière, la
certitude de l'emploi doit être claire.
70
4.5 Conclusion de l'analyse
L'analyse de ces entretiens, a permis de réaliser l'impact d'un groupe professionnel que l'on appelle "équipe" dans son quotidien et au-delà même de la réflexion purement liée au travail. En effet, la valeur donnée à l'équipe est un des
déterminants principal dans la décision de quitter ou non une unité voire un
établissement.
Vouloir quitter son lieu de travail pour ailleurs, apparaît être au cœur de nombreuses discussions entre soignants. Principalement, nous retrouvons des
causes liées à l'environnement sanitaire qui par une politique en mutation,
viennent remettre en question les valeurs fondamentales du soin chez les soignants. C'est alors tout un processus qui est mis en déséquilibre dont celui de
l'engagement du soignant et dans son travail quotidien mais aussi plus largement dans ce qu'implique plus tacitement sa profession. De plus, les conditions
de travail se trouvent modifiées voire dégradées selon certains, ce qui ne concoure pas forcément à donner envie au professionnel de rester là où il exerce.
De surcroît, la proximité avec la Suisse induit également une part du turn-over,
du fait d'un attrait non négligeable qui est celui de la rémunération qui donne
donc accès à plus de possibilités pour une vie personnelle devenue prioritaire.
4.6 Retour sur l'hypothèse de départ
Au départ de ce travail de recherche, il me semblait relativement évident que le
turn-over vécu au sein du centre hospitalier était principalement dû au fait que
l'établissement se situe en zone frontalière avec la Suisse. J'avais donc au regard de la problématique suivante,:
"En quoi la motivation des équipes
influe-t-elle sur le turn-over d'une équipe ?".
émis cette hypothèse:
"La raison principale du turn-over, est du fait d'une proximité avec la
Suisse, qui propose des conditions de travail motivantes, dont un salaire
plus élevé, qui améliorent la satisfaction des professionnels.".
71
A l'issue de l'analyse, je me permets d'infirmer en grande partie cette hypothèse. Je remarque que les professionnels, quelle que soit leur fonction évoquent très unanimement le rapport à l'équipe et les conditions de travail. Le
phénomène, lui, de départ pour la Suisse est évoqué mais dans une moindre
mesure que ce que je pouvais affirmer au préalable de ce travail de fin
d'études.
De plus, cette recherche m'a apporté de nombreux enseignements, que je vais
maintenant vous exposer.
72
ENSEIGNEMENTS
TIRES
73
5 ENSEIGNEMENTS TIRES
5.1 Sur la démarche et la méthodologie de recherche
Ce travail de recherche m'a donné l'opportunité de marquer un temps d'arrêt
sur une problématique rencontrée lors de ma pratique de faisant fonction de
cadre, d'un point de vue sociologique. J'ai pris la mesure de ce que pouvait impliquer la démarche du chercheur dans la rigueur, la patience, et le doute, mais
aussi dans la richesse des rencontres par le biais des entretiens, et par les
temps d'échanges avec mon directeur de mémoire.
Je me rends compte à l'issue de ce travail, que sa construction est réellement
un puzzle qui se fait, se défait tout en permettant le cheminement et la structuration pas à pas. Cette démarche apprend à garder un regard objectif, de part
l'analyse des entretiens.
5.2 Sur la fonction de cadre de santé
Elaborer ce travail a fait écho à de nombreuses situations rencontrées dans le
quotidien de quatre années de pratique d'encadrement. Aussi, grâce à la démarche sociologique, j'ai pu parfois mettre des mots ou comprendre, à postériori, certains actes et comprendre que les tenants et aboutissements ne sont pas
forcément ceux que l'on voit en premier, et qu'il y a parfois des raisons plus
subtiles au fait de se poser la question de quitter ou non une unité, ou un établissement.
Cette démarche m'a apporté un certain recul, qui m'aidera à aborder le phénomène du turn-over d'un point de vue plus objectif afin aussi d'adopter une
communication plus centrée sur ce qui préoccupe réellement la personne qui
souhaite partir.
Je suis satisfaite d'avoir pu infirmer en partie mon hypothèse de départ et de
comprendre qu'au delà d'enjeux financiers se joue la remise en question des
professionnels dans leur travail quotidien tant auprès des patients que dans leur
collaboration, et que les valeurs de soins restent un soucis au cœur des pratiques.
74
DISCUSSION
75
6 DISCUSSION
L'environnement hospitalier change. Les exigences dans le travail attendu sont
encore plus exigeantes, car soumises à la dure loi financière. Outre les patients, les personnels paramédicaux sont aux devants de ces difficultés. Cependant, l'Hôpital, et donc le personnel qui le compose se doit d'assurer des
soins dans le respect et la dignité, alors que ces deux mêmes notions sont
questionnées du coté des soignants dans leur propre activité. En effet, les conditions de travail apparaissent de plus en plus difficiles et contraignantes, tant
d'un point de vue professionnel que d'un point de vue plus personnel.
Cette tension entre une vision éthique du métier, la réalité, et les impératifs privés qui deviennent de plus en plus prioritaires, met les soignants dans une posture délicate, faisant émerger un sentiment de frustration pouvant amener soit à
un désengagement pour le métier choisi, voire à une souffrance professionnelle
du fait de valeurs professionnelles "bousculées".
Les soignants se poseront alors la question d'un changement pour retrouver
une certaine sérénité professionnelle, tout en souhaitant améliorer des conditions de vie en cherchant à travailler en Suisse du fait d'une proximité avec la
frontière. De plus, la reconnaissance financière pourra être vécue comme "à la
hauteur" de la difficulté de leur travail, et peut-être répondre à leurs attentes.
C'est dans ce contexte que se vit le turn-over des soignants. Cependant, je
note un fort rapport à l'équipe, qui par le lien qu'elle fait naître entre les individus, ne rend pas la décision de partir si aisée. L'équipe fait transparaître une
sorte de pouvoir sur chacun, qui fait que le professionnel sera tiraillé entre sa
décision à prendre, et un affecte parfois fort, qui saura temporiser les moments
de doute professionnel.
Le cadre de santé a un rôle et une place prépondérante au quotidien dans l'accompagnement des équipes. C'est par sa proximité et sa distanciation qu'il sera
en mesure de détecter les difficultés ressenties, de les analyser, puis de permettre aux professionnels d'exprimer ce qui réellement leur pose problème, afin
76
de leur octroyer un espace de parole, dans un but constructif voire professionnellement introspectif.
Dans un contexte de turn-over, si le cadre de santé n'a pas les moyens de retenir les agents désireux de partir, il peut cependant par sa capacité à accueillir
les paroles telles qu'elles sont délivrées, inviter le sujet à se questionner sur ses
motivations profondes afin de renouer avec une réflexion qui ne se borne pas
au "simple constat" du "travail difficile".
Même si cela peut paraître idéal dans le texte, il me semble primordiale cependant d'y songer afin de tendre vers ce type de posture auprès des équipes soignantes que je serai amenée à accompagner dans ma future fonction.
Cet aboutissement dans la réflexion m'amène à une question:
"En quoi le partage des valeurs entre le cadre de santé et l'équipe
soignante peut-il faire sens?".
77
BIBLIOGRAPHIE
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81
ANNEXES
82
Annexe 1: Canevas d'entretien
ENTRETIEN SOIGNANTS
Les données utilisées dans le cadre de ce travail (entretien et questionnaire) restent strictement confidentielles, aucun nom ne sera mentionné.
Dans le cadre de mon travail de fin d'étude, j'aborde la thématique du turn-over.
1- Pourriez-vous me donner votre point de vue sur ce sujet?
2- Comment cela se passe-t-il aujourd'hui dans votre équipe par rapport au
turn-over?
3- Qu'est ce qui fait que vous rester dans l'unité?
4- Quel(s) pourrai(en)t être le ou les facteurs qui vous amènerai(en)t à ne pas
rester dans l'unité?
5- Avez-vous quelque chose à ajouter?
Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces questions.
83
Annexe 2: Canevas d'entretien
ENTRETIEN RESPONSABLE D'UNITE
Les données utilisées dans le cadre de ce travail (entretien et questionnaire) restent strictement confidentielles, aucun nom ne sera mentionné.
Dans le cadre de mon travail de fin d'étude, j'aborde la thématique du turn-over.
1- Pourriez-vous me donner votre point de vue sur ce sujet?
2- Comment cela se passe-t-il aujourd'hui avec votre équipe par rapport au
turn-over?
3- Avez-vous quelque chose à ajouter?
4- Selon vous, quels sont les facteurs qui amènent un professionnel à quitter un
service?
5- Selon vous, quels sont les facteurs qui font qu'un professionnel reste dans
un service?
6- Avez-vous quelque chose à ajouter?
Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces questions
84
Annexe 3: Déterminants sociaux
QUESTIONNAIRE SOIGNANT
Les données utilisées dans le cadre de ce travail (entretien et questionnaire) restent strictement confidentielles, aucun nom ne sera mentionné.
Quelle est votre fonction?
Quel est votre âge?
Etes-vous un homme ou une femme?
Quelle est votre ancienneté dans la fonction?
Quelle est votre ancienneté dans le service?
Combien de nouveaux collègues avez-vous accueillis en 2013?
Combien de vos collègues sont partis en 2013? Pouvez-vous précisez les raisons?
Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces questions.
85
Annexe 4: Déterminants sociaux
QUESTIONNAIRE RESPONSABLE D'UNITE
Les données utilisées dans le cadre de ce travail (entretien et questionnaire) restent strictement confidentielles, aucun nom ne sera mentionné.
Quelle est votre fonction?
Quel est votre âge?
Etes-vous un homme ou une femme?
Quelle est votre ancienneté dans la fonction?
Quelle est votre ancienneté dans le service?
Selon vous, combien de temps (en%) vous prend la gestion du personnel, en
termes d'absence et de prévision de départs?
Combien de nouveaux agents avez-vous accueillis en 2013?
Combien d'agents sont partis de l'unité en 2013? Pouvez-vous précisez les raisons?
Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces questions.
86
Annexe 5: Entretien faisant fonction de cadre de santé
LE 3 FEVRIER 2014
Je reprécise avant de démarrer, le caractère anonyme de ce qui est exposé, et
que ce qui est dit, sert uniquement à tenter de comprendre le phénomène étudié.
En tant que collègue, nous nous tutoyons et conservons ce mode de communication. L'agent est d'accord pour être enregistré.
Moi : "Je te reprécise le thème mon travail de recherche : le turn-over. Ce que
je cherche à comprendre, ce sont les facteurs qui peuvent conduire à cela.
Alors à ce titre peux-tu me dire ce que tu entends par turn-over ? Qu'est-ce que
cela t'évoque ?
FF : Dans le service il y a beaucoup de turn-over et j'ai essayé de trouver un
peu les raisons. Alors la 1ère raison pour moi, c'est que ce sont des agents
jeunes, donc qui sortent de l'école et qui ont des projets divers et qui veulent
avoir d'abord une expérience technique et relationnelle parce que ça englobe
beaucoup de soins et qu'il y a pas mal de possibilités. Donc ça c'est ma 1ère
idée, vu que c'est de la médecine polyvalente, c'est une porte vers autre chose,
elles peuvent ensuite aller dans des services plus spécifiques. Après je dirais la
charge de travail, après deux-trois ans je pense aux AS9, c'est assez lourd, enfin je pense à ça et pis on trouve encore des gens qui sont là depuis dix ans
(enfin y'en a plus qu'une) et pis à coté de ça y'en a qui au bout d'un an elles
vont faire autre chose, parce qu'elles sont fatiguées, elles en peuvent plus, y'a
9
Lire aide-soignante dans tout l'entretien.
87
les soins palliatifs. Après je pense que c'est le contexte actuel qui fait qu'on
change plus vite de service...
Moi : C'est-à-dire ?
FF : Ben moi je reprends quand j'ai commencé y'a quinze ans, on prenais dans
un service on y était attaché et on était IDE de cardio, de diabéto... et on est à
tendre vers plus généraliste et on est moins spécialisés et on essaye de moins
spécialiser les agents. Et pis maintenant on veut plus d'expérience pour avoir
un CV diversifié, enfin y'en a c'est comme ça. Et puis on est plus attaché dans
un service comme j'ai connu. On avait plus la notion de projet dans le service,
alors que là si au bout d'un an c'est possible de changer, ben, pourquoi pas. On
s'attache différemment à l'heure actuelle...
Moi : Comment ça on s'attache différemment, tu peux aller plus loin ?
FF : Ben c'est un passage, je prends l'expérience là où elle est au moment où
elle se présente. Y'a moins d'investissement dans le long terme. C'est pas
qu'elle s'investisse pas dans ce qu'elles font, c'est juste que le long terme c'est
pas dans leur projet.
Moi : Alors comment tu le comprends ça ?
FF : Ben par exemple tu reçois une nouvelle, elle va te dire qu'elle va être là
deux-trois ans, pis elle fera autre chose dans le métier. C'est pas "je veux faire
des choses pour on unité, c'est je veux faire des choses pour moi" enfin c'est
mon point de vue par rapport à ce que j'ai vécu. (Silence)... Et puis y'a aussi
tout ce qui est relationnel avec l'autre. En fait y'a des équipes où tu te sens
mieux qu'avec d'autres, après ça change aussi parce qu'il suffit de changer un
agent et pis ça tourne moins bien. Et puis genre : "l'équipe me va c'est bien, ça
me va pas, je change", je trouve qu'on essaie pas d'intégrer différemment. Ca
88
va pas, on s'en va. Après je trouve qu'il y a moins de possibilité de changement
quand même, là on a moins de mouvements d'IDE 10 par exemple, en étant
frontalier on subit aussi la santé de l'embauche, là y'a moins de boulot en
Suisse donc ça change moins. On a ce problème là nous, parce que la Suisse,
ça attire hein, ben parce que les gens on besoin d'argent, ici c'est cher. C'est
sûr que si t'es tout seul avec une paie d'IDE ben c'est un peu juste pour vivre à
Pontarlier. Moi je le vois pour les AS. Là j'ai une AS qui a demandé sa disponibilité parce que financièrement c'est plus possible, elle prospecte en Suisse. Et
j'en suis bien désolée, et je peux rien lui proposer, c'est pas en lui ajoutant un
week-end ici ou là que ça arrangera sa situation, c'est ça aussi le problème.
Enfin chez les AS ça bouge encore pas mal mais là un peu moins chez les IDE.
Moi : Et comment c'est dans le service là ?
FF : Ca va mais c'est assez fragile, j'ai une équipe soudée mais intégrer une
nouvelle ben c'est pas facile. Celle qui arrive doit faire plus d'efforts qu'elles
elles n'en font. Pis si en plus elle arrive avec une expérience un différente avec
une manière de faire un peu différente, ben ça va pas être facile pour elle.
Moi : Tu arrives à analyser pourquoi ?
FF : Ben je leur dis qui faut être plus ouvertes et dans l'accueil, alors y'en a ça
marchera tout de suite, d'autres pour qui ça collera jamais et là elles cherchent
à partir, enfin c'est là aussi chez les AS que j'ai ce problème, chez les IDE on
arrive à parlementer. Oui je pense pas que ce soit de la mauvaise volonté
réelle, c'est un peu plus compliqué que ça, en fait elles ont du mal à s'ouvrir à
d'autres façons de faire, elles ont leurs habitudes donc euh...c'est pas trop évident, j'arrive pas trop à comprendre. En fin là par exemple, on a une petite
jeune AS, ah ben ça va tout bien, elle est toute malléable, elle fait tout comme
les filles donc ça va, donc elle est bien intégrée. Et mon rêve c'est qui y'en ait
10
Lire infirmière dans tout l'entretien.
89
une qui arrive avec son caractère et qui les remue, comme ça ben soit ça pète
complètement soit ça re-dynamise l'équipe comme chez les ASH11 par contre.
Autant la dynamique est bonne chez les IDE-AS autant chez les ASH c'est hyper galère donc elles vont pas être dans l'accueil.
Moi : et qu'est ce qui fait pour toi qu'un agent reste ?
FF : Alors en 1er, l'ambiance de travail d'équipe, la collaboration, l'équipe médicale, on a beau dire hein, mais ça fait beaucoup, euh...l'encadrement hein faut
le dire aussi. Et puis la charge de travail qui peut être comme multi tâches et
donc intéressant parce que plein de choses à voir à faire. Et puis les AS ben
elles collaborent beaucoup, elles ont pas mal de soins à faire donc c'est diversifié et valorisant. Et puis l'équipe médicale qu'on a là est dynamique, elle écoute
l'équipe. Le matin en relève tout le monde à la parole. Alors le jour où ça
change...Autant y'en a ça va pas avec leur cadre elles s'en foutent mais si ça va
pas avec le médecin elles partiront, en fin ça me donne cette impression...
Parce que tu entends vite "si il continue comme ça je m'en vais", enfin c'est
ptètre des paroles en l'air.
Moi : Pis à l'inverse ?
FF : Et ben ça, et pis les habitudes, hein donc si tu changes un peu les façons
de faire et ben elles arrivent plus à se mettre dedans, la charge de travail, les
responsabilités, et ben hélas ce qui est dur les horaires et pis le fait d'être rappelé en cas d'arrêts. Enfin les conditions de travail quoi. Et pis les horaires ben
y'a des nuits... Et pis j'entends beaucoup : "si tu as un poste en semaine sans
WE penses à moi", et pis aussi le fait de terminer tard, pas à l'heure, déjà
qu'elles sortent à 21h et en plus elles sortent pas l'heure, ça c'est quelque
chose qui revient beaucoup.
11
Lire Agent de Service Hospitalier dans tout l'entretien.
90
Moi : Pourtant c'est le profil du soignant de finir ou de commencer à des horaires peu conventionnels ?
FF : Oui, certes...mais en fait ça va dépendre du type de personne, et du noyau
de leur vie. Pour beaucoup c'est pas une priorité, c'est:"j'arrange mon travail en
fonction de ma sphère perso". Après, elles ont moins peur de partir sur un coup
de tête, selon les responsabilités familiales. Et pis elles savent qu'elles ont du
boulot, même si elles savent pas ce qu'elles vont retrouver. Enfin moi je vois
aussi beaucoup de jeunes DE12 qui au bout de trois-ans ans veulent plus faire
de WE et ça m'embête parce que quand on a fait l'école on le savait.
Moi : Et comment tu le comprends toi ?
FF : Ben je pense que c'est encore fois selon la sphère personnelle, je pense
pas qu'elles veulent plus faire de week-end juste pour plus en faire, mais c'est
la vie autour qui fait que...Le conjoint est absent le week-end, ils se voient pas
de la semaine, enfin c'est souvent ça qui revient, du fait elle ne peuvent plus
assumer. Mais bon tu savais en choisissant. Mais en même temps c'est ça qui
évolue, c'est pas forcément la fille qui veut plus, mais voilà elles sont deux-trois
enfants et il faut tout gérer, je crois que c'est plus ça les exemples que je vois.
Et pis ça quand tu fais l'école, ben tu projettes pas comme ça, la nana qui a fait
l'école elle savait qu'elle allait faire un week-end mais à un moment donné elle
s'est même pas projetée à 5 ans. Si tu regarde le parcours de vie qui suit le diplôme ben t'en a beaucoup qui se marient et qui leurs premier enfant, enfin
c'est un peu bateau ce que je dis mais je le vois beaucoup quand même.
Quand tu analyse le truc, ben les gens qui demandent des postes en semaine
ou une diminution de temps de travail, c'est parce que le 1er enfant va aller à
l'école, y'a le 2ème qui est petit, et pis le mari qui bosse aussi la nuit, le weekend, ou à la ferme parce qu'on a beaucoup ça aussi. Tiens j'ai aussi une IDE
dont le mari travail au bloc, et ben c'est quand même conjoint dépendant. Enfin
je pense qu'il y a erreur de projection, le métier oui c'est celui là que je veux
faire mais alors, tu sais les conditions quand même. Donc du coup vu qu'il y a
12
Diplôme d'Etat.
91
peu de possibilité de changements ben ils cherchent sur la Suisse, mais même
y'a pas beaucoup de solutions pour ces personnes.
Moi : Alors à quoi s'associe majoritairement ce phénomène ?
FF : Ben déjà je peux pas te dire que c'est chez les plus anciens parce que j'en
ai que deux ou trois qui ont plus de 30 ans. J'en ai une de nuit qui est de nuit
pour ses enfants. En fait c'est surtout au 2ème enfant que ça bouge. Après
celles qui approchent les 50 ans malgré leur fatigue elles ont pas tant d'exigences que ça, et pis l'AS qui s'en va c'est vraiment financier quoi.
Moi : Le salaire rentre beaucoup en ligne de compte ?
FF : Oui c'est sûr, après elles sont en Suisse pour ça, même si je leur dis que
c'est pas forcément plus simple parce qu'elles font plus d'heures, y'a la
route...Mais c'est l'argent qui prime. Par contre j'ai aussi quelques demandes de
repassage à 100%. En deux mois, j'ai trois agents qui veulent changer de
temps de travail. Et ça c'est pour le coté financier. Enfin y'a la politique d'établissement qui fait que théoriquement en cas de changement de temps de
temps ben on change de service. Alors j'en ai une qui reste à temps partiel jusqu'à ce qu'il y ait un 100% qui se libère pour rester dans l'unité, et puis les deux
autres c'est quoi qu'il arrive elles veulent changer, donc ça augure encore deux
départs, et ça peut aller vite. Et pis j'ai eu aussi un agent qui est restée à 100%
en retour de congé mat pour pas changer.
Moi: Mais qu'est ce qui fait qu'elle veut absolument rester s'il y'a autant de travail ?
FF: Ben c'est l'ambiance de travail, ouais clairement. Parce que la bonne ambiance favorise l'entre-aide, et pis elle doit avoir un peu la trouille de changer et
de pas retrouver ce qu'elle connaît, mais je reste vigilante pour pas que ça
92
fasse n'importe quoi. Bon elles sont super consciencieuses, mais vu qu'elles
s'entendent bien, ça peut aussi déborder. Ah ben pis y'a les congés, en plus du
reste, si elles peuvent pas avoir ce qu'elles veulent ben ça va influer, ça peut
les décider à partir, c'est une pierre de plus à l'édifice comme on dit. Enfin tu
vois là je suis à douze arrivées en 2013 pour treize départs, là on tourne avec
une IDE en moins...(rires)
Moi: Quand on évoque turn-over, rester dans un service et partir d'un service
quels sont les trois mots qui te viennent pour chacun ?
FF: Silence...
Alors pour turn-over je dirais :
 expérience - vie personnelle - contraintes
Pour le fait de rester :
 ambiance d'équipe – attractivité des soins – soutien de l'équipe médicale
Pour le fait de partir :
 mauvaise intégration – frustration – obligations personnelles
Moi: Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?
FF: Ben ouais j'ai plus été marquée par les départs que par les arrivées. Dans
les départs y'a des choses qui ont été difficile.
Moi: Tu peux préciser ?
FF: Ben dans les non renouvellements de contrat. C'est-à-dire que selon les
gens y'a des compétences qui sont pas là et quand tu dis que le service est pas
93
forcément adapté à la personne et que la seule issue c'est le non renouvellement, ben tu peux être tenté de rien dire et de laisser filer, parce que ça peut
vraiment être lourd de conséquences. Et dans le turn-over quand tu dis que ça
n'ira pas, tu es responsable de ces changements. En fait selon ton choix tu
peux ne rien dire et pas avoir trop de mouvements mais épuiser l'équipe parce
que l'équipe "traîne un boulet"...pff ouais c'est pas simple, en fait c'est quand
même aussi le positionnement du cadre qui fait la pluie et le beau temps en
terme de turn-over... et ça ben t'es pas trop préparée...bon faut le faire pour
minimiser les difficultés autant de l'agent et de l'équipe et surtout des patients.
Et puis c'est la décision d'une direction a qui tu dis ben faudrait le changer peutêtre de service et là c'est carrément non renouvellement, ben là c'est toi qui est
en 1ère ligne. Et ça, ça doit influencer l'équipe, mais le truc c'est aussi de pas
trop se laisser influencer par l'équipe elle-même...Qu'elle te rende responsable
de l'instabilité créée par les mouvements.
Moi : C'est quelque chose que tu vis comme ça ?
FF : Nan parce que j'en ai discuté ouvertement. Je leur ai dit qu'il fallait pas se
plaindre dix fois par jour et pis quand tu prends la décision au regard de ce qui
a été, on vient te dire qui fallait pas aller aussi loin... Après quand y'a eu des
objectifs et qu'ils sont pas atteints...ben jusqu'où tu laisses la chance au gens.
Et là ils te mettent une responsabilité énorme. Regarde sur treize agents partis,
y'a cinq agents sont des non renouvellements parce que moi j'ai dit que ça pouvait pas continuer... Et là je suis pas l'aise avec ça, même si je devais le faire.
Mais je pense aussi à la sécurité des patients, mais bon t'es un peu seule pour
décider. Mais je me sens responsable.
Moi: As-tu autre chose à ajouter ?
FF : Non ça va merci.
Moi : Merci à toi".
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Le Turn-over dans les équipes, quels enjeux?
Faire carrière dans le même établissement, ou évoluer de nombreuses
années au sein d'une même unité se rencontre de moins en moins.
Dans le contexte d'une organisation hospitalière en mutation et aux
portes de la frontière suisse, les professionnels de santé sont soumis, et
se soumettent à une tension entre vouloir poursuivre leur activité selon
des valeurs communes de soins et priorités personnelles.
La question d'un départ pour se retrouver en accord avec ses valeurs, ou
pour répondre à des obligations privées se pose alors.
Cependant, il apparaît que l'équipe dans laquelle évoluent les professionnels soit aussi un déterminant de choix dans la décision. L'attractivité en
termes de conditions de travail et de rémunération que représente la
suisse ne semble plus si évidente.
MOTS CLES:
Turn-over - Equipe - Valeurs professionnelles - Solidarité - Zone frontalière - Obligations personnelles - Cadre de santé.
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