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CLYSTERE E-revue mensuelle illustrée Histoire des objets et instruments médicaux Histoire de la santé SOMMAIRE Editorial L’image du mois : Les ateliers Gentile Collin à Arcueil (Michel Brossier) Histoire des instruments : - La trousse du Dr Sollier (Association des amis du patrimoine médical de Marseille) Le Pulsoconn du Dr Macaura (Jean-Pierre Martin) Histoire de la santé : - Les avatars institutionnels de la neuropsychiatrie parisienne (XIXe-XXe siècle) (Jacques Poirier) Nouveautés en librairie Courrier des lecteurs SOS objet mystère Conception –réalisation : © Dr Jean-Pierre Martin – Centre hospitalier Jean Leclaire – 24200 Sarlat-la-Canéda, France. Abonnement gratuit sur : www.clystere.com Numéro 19 – Avril 2013 ISSN 2257-7459 P age |1 EDITORIAL Tout d’abord, merci aux nombreux commentaires positifs reçus suite à la publication de la conférence du Dr Segal consacrée à Charrière dans le numéro 18. Une expérience que nous renouvelons dans ce nouveau numéro qui accueille de nouveaux auteurs et participants. L’image du mois est due à l’obligeance d’un ancien bijoutier tourneur en instruments de chirurgie, preuve que le lectorat ne se concentre pas uniquement parmi les médecins. Ensuite, l’Association des amis du patrimoine médical de Marseille, suivant l’exemple du Dr Segal, nous a fait parvenir un bel opuscule d’une vingtaine de pages, consacré à la trousse du Dr Sollier, que lui avait offerte la ville de Soukahras en remerciement de ses bons offices. Les instruments de cette trousse ont été remarquablement photographiés par le Pr Christian Boutin, ce qui fait de cet opuscule un véritable livre d’art. La technique de numérisation semble au point et a permis de reproduire ce fascicule avec un poids en octets raisonnable, sans perdre trop de la qualité initiale des images. Sincères remerciements à nos amis marseillais, pour faire partager ce travail aux lecteurs de Clystère. Je me suis remis au clavier pour évoquer le Pulsoconn du Dr Macaura, dont on trouve en permanence des exemplaires à la vente sur le site d’enchères bien connu, mais dont l’histoire est souvent méconnue. Le Pr Jacques Poirier nous a gratifié d’un très bel article sur les « avatars institutionnels de la neuropsychiatrie parisienne (XIX-XXe siècles) ». Cet article illustre à merveille les frontières mouvantes de certaines disciplines qui partagent des intérêts communs, et qui pourraient bien, à l’avenir, se regrouper… Enfin, comme chaque mois ou presque, de nouveaux ouvrages, le courrier des lecteurs avec une vidéo extraordinaire signalée par Bernard Petidant, et une rubrique SOS bien garnie complètent ce numéro. Dans la rubrique SOS, l’association des amis de l’outil sollicite les lecteurs pour identifier un curieux instrument chirurgical. Continuez à participer à la vie de Clystère ! 01 avril 2013 Bonne lecture. www.clystere.com / n° 19. P age |2 L’IMAGE DU MOIS Les ateliers Gentile Collin à Arcueil. Michel Brossier Contact : [email protected] Michel Brossier nous a fait parvenir deux photos des anciens ateliers des établissements Collin Gentile, rue Victor Carmignac, à Arcueil. Ancien "Bijoutier tourneur en instrument de chirurgie", c'est le terme officiel de son CAP, il est entré dans ces ateliers comme apprenti le 2 octobre 1961 à l’âge de 14 ans. Il est resté 8 ans à fabriquer des curettes en acier ou en cuivre, sondes de toutes sortes, dilatateurs de Hegar, clous et autre vis à os, aiguilles de Reverdin, etc. Il a ensuite travaillé chez Kodak à Vincennes puis Chalon-sur-Saône, à la fabrication des émulsions radios médicales entre autres, avant de prendre sa retraite. 01 avril 2013 Ces ateliers semblent bien abandonnés, et il nous semblerait intéressant que la belle plaque située au-dessus de la porte soit protégée, démontée et exposée dans un musée. Pour mémoire rappelons que la maison Gentile fabriquait ses instruments en métal dans ses ateliers parisiens, rue Saint-André-des-Arts au début du XXe siècle, tandis que les instruments en caoutchouc étaient produits dans les ateliers d’Arcueil. Ensuite, toute la production, métal et caoutchouc, fut regroupée à Arcueil. www.clystere.com / n° 19. P age |3 HISTOIRE DES INSTRUMENTS Médecine au quotidien : la trousse du Dr Sollier L’association des amis du patrimoine médical de Marseille Site Internet : http://patrimoinemedical.univmed.fr 01 avril 2013 Contact : [email protected] www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |4 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |5 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |6 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |7 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |8 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P age |9 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P a g e | 10 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P a g e | 11 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P a g e | 12 www.clystere.com / n° 19. 01 avril 2013 P a g e | 13 Toute référence à cet article doit préciser : Association des amis du patrimoine médical de Marseille : La trousse du Dr Sollier. Clystère (www.clystere.com), n° 19, 2013. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 14 HISTOIRE DES INSTRUMENTS Le Pulsoconn du Dr Macaura Jean-Pierre Martin E-mail : [email protected] RÉSUMÉ Un Américain, le Dr Gérald Georges Macaura, dont la biographie comporte de nombreuses zones d’ombres, mit sur le marché à la fin du XIXe, début du XXe siècle, un appareil vibrant appelé « Pulsoconn ». Il prétendait soigner de nombreuses maladies en activant la circulation du sang. Bénéficiant du développement de la mécanothérapie, son Pulsoconn connut un vif succès. Il en vendit plusieurs dizaines de milliers. Convaincu de charlatanisme, Macaura fut condamné et emprisonné en 1914. Mots-clés : PULSOCONN, MACAURA, MEDECINE VIBRATOIRE, MECANOTHERAPIE, CHARLATANISME. Le Pulsoconn fut inventé par le Dr Gérald Georges Macaura et fabriqué dans son usine, la « British Appliance Manufacturing Company », basée à Leeds. Invention américaine, le premier modèle complet de Pulsoconn aurait été réalisé par l’un des experts en mécanique de Thomas Edison. Différents modèles furent vendus, les plus anciens étant datés de 1880 (probablement usinés aux Etats-Unis), les plus récents de 1920 environ. 01 avril 2013 Gerald Joseph Macaura. De cet Américain on connait peu de choses. Docteur en médecine diplômé de l’Université de Chicago (en tout cas c’est ce qu’il affirmait), il émigra en Angleterre en 1904. Il eut une vie agitée, changeant d’adresse autant que de statut. Il revendiqua sur les notices accompagnant ses appareils son appartenance au « Royal institute of public health » de Londres et ouvrit son « Macaura Institute » dans diverses villes européennes. Le Pulsoconn. Empruntons au Pr. Pitres de Bordeaux, la description Figure 1 : Le docteur Gerald Joseph Macaura. du Pulsoconn qui fut citée lors d’une procédure à l’encontre de Macaura, accusé d’exercice illégal de la médecine et d’escroquerie. C’était un appareil breveté composé essentiellement d’une manivelle dont le mouvement de rotation, transformé par un mécanisme très simple en mouvement rectiligne alternatif à oscillations rapides se transmettait à une tige terminée par un plateau. Ce plateau vibrant à la fréquence de 2000 à 5000 / minute était appliqué en différents points du corps souffrant. L’effet était modulé par la vitesse de rotation de la manivelle et la pression d’appui sur la www.clystere.com / n° 19. P a g e | 15 peau. Le plateau pouvait être équipé d’une sorte de ventouse en gomme (le Rubber plunger) dont deux sortes étaient livrées avec l’appareil. Vendu Figure 2 : Pulsoconn, modèle circa 1880. © www.clystere.com 01 avril 2013 initialement sous son nom anglais de « Macaura blood circulator », il attaqua le marché européen sous la dénomination de « Pulsoconn ». Certains ont suggéré que ce nom était un clin d’œil au mot français « con », le sexe de la femme (des chansonniers ont écrit que le Pulsoconn, à défaut d’être efficace dans les maladies, l’était beaucoup plus, à la grande satisfaction de ces dames, en applications sur leurs parties génitales !), tout autant qu’aux « cons » qui étaient assez stupides pour l’acheter. Principe d’action. Pour Macaura, qui ne semblait pas avoir une grande connaissance de la physiologie (était-il réellement médecin d’ailleurs ?), les maladies étaient la conséquence d’un défaut de nutrition des parties affectées, conséquence d’une mauvaise vascularisation. Tout le traitement reposait sur le rétablissement de la circulation sanguine dans les parties malades, le Pulsoconn faisant circuler le sang qui était, selon Macaura, fabriqué dans … l’estomac ! Le Pulsoconn ne se contentait pas d’activer la circulation superficielle, il était également capable de stimuler celle des viscères profonds. Si le Pulsoconn ne prétendait pas guérir les cancers ou les phtisies évoluées, son champ d’application était cependant étendu : rhumatismes, névralgies, névrites, paralysies de toutes sortes, surdité, maladies gastriques, maladies des femmes, etc… Une véritable panacée vibrante. Macaura n’avait rien inventé. Dès le XVIIIe un certain abbé de Saint-Pierre inventa le complexe « trémoussoir », pour lutter contre l’hypochondrie et la constipation. Il se serait inspiré en 1734 d’une expérience menée par le médecin Pierre Chirac sur les vertus du mouvement vibratoire. Supposant que la mélancolie était améliorée non par les voyages, mais par les vibrations produites par le véhicule, l’abbé fit fabriquer le trémoussoir, un fauteuil à ressorts reproduisant les mouvements d’une chaise de poste sur une route cahoteuse. Cet instrument fut rapidement à la mode et tomba tout aussi vite dans l’oubli. Flaubert y fit encore allusion dans Bouvard et Pécuchet en 1880. A la fin du XIXe siècle, les Allemands Zander et Nycander inventèrent des vibrateurs dont certains étaient mus par la vapeur. En France, de grands noms de la neurologie (Vigouroux, Charcot, de la Tourette, Morteiner-Granville) firent appel à la médecine vibratoire grâce à des appareils de leur invention : diapason électrique, fauteuil trépidant ou casque vibrant. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 16 Pulsoconn : efficacité ou supercherie ? Les experts du procès de Macaura ne purent que reconnaître que le Pulsoconn, à l’instar des autres instruments vibrants de l’arsenal mécanothérapique, devait avoir une action thérapeutique, puisque l’effet des vibrations sur l’excitabilité nerveuse, le tonus musculaire, certains phénomènes douloureux articulaires ou viscéraux, divers symptômes de conversions hystériques, était reconnu. La fin de Macaura. On reprocha plusieurs choses à Macaura, notamment d’avoir présenté le Pulsoconn comme une panacée, avec un argumentaire reposant sur des bases physiologiques erronées, et d’avoir retardé l’application de traitements efficaces chez les malades. On le convainquit d’exercice illégal de la médecine, son diplôme américain ne l’autorisant pas à exercer en France. Sa plaque vissée au 57 boulevard Haussmann, affichait « Dr Macaura ». Les consultants étaient si nombreux que la circulation était souvent interrompue sur le boulevard Haussman, malgré la présence de deux gendarmes. 01 avril 2013 Figure 3 : Pulsoconn et sa boite d’emballage, modèle des années 1920. © www.clystere.com Macaura qui ne parlait pas le français se défendit de pouvoir ainsi exercer la médecine. Il avait salarié plusieurs médecins français (Gripon, Lafont et autres) qui soignaient les patients à sa place, à Paris et à Bordeaux. On retrouve également Macaura et son institut à Toulouse, rue Bayard, en août 1912, où, malgré la plainte déposée par le syndicat des médecins de la Seine et quelques clients, il vendait quotidiennement une grande quantité de Pulsoconn. Il ouvrit des instituts en Allemagne, en Belgique, en Suisse et fit des démonstrations publiques au cirque et au casino de Paris. Il galvanisa 20000 personnes au Royal Albert Hall de Londres en décembre 1911. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 17 Dans une déposition du 16 juillet 1912, Macaura affirma que son appareil n’était pas médical et ne permettait que de faire de l’exercice et de faire circuler le sang. Il ne prétendait guérir aucune maladie, ce qu’infirmait le contenu de son Livre pour la santé, opuscule d’une soixantaine de pages tout entier rédigé à la gloire de l’instrument. Macaura fut arrêté en 1912 et emprisonné à la Santé dont il sortit le soir même contre une caution de 50.000 francs (soit près de 150000 euros). Cette caution en dit long sur la fortune accumulée par Macaura. En 1913, il passa en correctionnelle avec six médecins de son institut du boulevard Haussmann pour escroquerie et exercice illégal de la médecine. Il fut condamné le 14 mai 1914 à 3 ans de prison et 3000 francs d’amende pour escroquerie, et neuf médecins eurent des peines de deux mois à un an de prison pour complicité. Comme d’autres charlatans à la même époque, Macaura avait organisé un véritable réseau commercial qui s’appuyait sur une communication agressive. Conséquence du succès, Macaura fabriqua également des Pulsoconn dans des ateliers français à qui il passa commande de 40000 unités en 1912. Figure 4 : carton pour stéréoscope montrant un magasin « Pulsoconn Macaura » à côté d’une « grande pharmacie ». Localisation non précisée (toute information bienvenue). © www.clystere.com La célébrité du Pulsoconn, dont il est très facile de trouver des exemplaires en parfait état de marche en brocante ou sur les sites d’enchères, a inspiré le milieu des arts. Un film satirique intitulé « Gavroche et le Pulsoconn » fut réalisé en 1913 par Roméo Bosetti, pour la Société française des films et cinématographes Eclair, l’affiche d’Auguste Laymarie montrant un vieillard plâtré abandonnant ses béquilles alors que son valet actionne un mécanisme à manivelle qu’il porte en ceinture. Il inspira également les chansonniers. 01 avril 2013 BIBLIOGRAPHIE Thoinot L. : L’affaire Macaura, exercice illégal de la médecine et escroquerie. Annales d’hygiène publique et de médecine légale, série 4, n° 24, 1915, 97-109. Thoinot L. : L’affaire Macaura, exercice illégal de la médecine et escroquerie. Annales d’hygiène publique et de médecine légale, série 4, n° 24, 1915, 208-222. L’arrestation de M. Macaura. Paris Médical, la semaine du clinicien, 1912, n° 8, partie paramédicale, p 47. Le Docteur Macaura en correctionnelle. Paris Médical, la semaine du clinicien, 1913, n° 12, partie paramédicale, p 696. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 18 Delon : Causerie du docteur. Exercice illégal de la médecine. Le midi socialiste, n° 1225, 2 Août 1912. Lebrenne J. : Conseils aux ouvriers. Le combat, n° 22, 30 mai 1914. Anonyme : La guerre à la maladie en France et en Belgique. Intéressant article sur le plus agent curatif des temps modernes. La Croix, 29 janvier 1912. Anomyme : Le Dr Macaura quitte sa redingote et se met à l’œuvre. Il dirige la fabrication de ses Pulsoconn dans une usine de Paris. La Croix, 11 mars 1912. Anonyme : Tribunaux. Le président Monier prend une décision concernant le Docteur Macaura. La Croix, 7 février 1912. 01 avril 2013 Toute référence à cet article doit préciser : Martin JP. : Le Pulsoconn du Docteur Macaura. Clystère (www.clystere.com), n° 19, 2013. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 19 HISTOIRE DE LA SANTE Les avatars institutionnels de la neuropsychiatrie parisienne (XIXe-XXe siècle) Jacques POIRIER Professeur honoraire à la Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, Ancien Chef de Service à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Tirés à part : Professeur Jacques POIRIER, 40 rue d’Alleray, 75015 Paris, ou [email protected] RÉSUMÉ À Paris, du début du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, la neurologie et la psychiatrie évoluent dans deux mondes étrangers l’un à l’autre, celui des aliénés, des asiles et des aliénistes d’une part et d’autre part celui des malades, des hôpitaux de l’Assistance publique, des médecins des hôpitaux et des professeurs à la faculté. A la fin du XIXe siècle, la création de deux chaires distinctes illustre bien l’individualité de chaque discipline. Les frontières entre ces deux mondes sont toutefois poreuses, notamment au plan des savoirs, car la distinction n'a jamais été claire entre les maladies nerveuses et les maladies mentales. La réunion institutionnelle entre les deux disciplines se fait en 1949 avec la création du Certificat d’Études Spéciales de « neuropsychiatrie ». Les événements de mai 68 conduisent à l’autonomisation de la psychiatrie qui divorce ainsi d’avec la neurologie. Dans les décennies suivantes, le développement des neurosciences et de la neuro-imagerie conduit certains à remettre en cause la pertinence de cette séparation et à tenter de réhabiliter la « neuropsychiatrie ». SUMMARY In Paris, from the beginning of the XIXth century to the middle of the XXth, neurology and psychiatry lived in two different worlds, unknown to each other : the world of insane people, asylums and alienists, and, on the other hand, the world of general hospitals, professors at school of medicine, hospital physicians. At the end of the XXth century, the foundation of two distinct “chaires” illustrated the individuality of each discipline. Frontiers between the two worlds are nonetheless porous, especially concerning knowledge, because the distinction between nervous and mental diseases has never been clear. In 1949, neurology and psychiatry joined and a single specialty certificate of “neuropsychiatry” was established. Forty years later, may 68 events led to the autonomy of psychiatry, which divorced neurology. In the following decades, due to the development of neurosciences and neuro-imagery, this separation has been questioned and rehabilitation of “neuropsychiatry” has been considered by some authors Mots-clés : HISTOIRE DE LA MÉDECINE, NEUROLOGIE, PSYCHIATRIE, XIXe SIÈCLE 01 avril 2013 L’histoire institutionnelle mouvementée de la neuropsychiatrie parisienne aux XIXe et XXe siècles se déroule dans un contexte profondément marqué par le durable conflit entre l'Hôpital et la Faculté [1, 2, 3, 4, 5, 6] et par la montée du spécialisme avec l'opposition qu'il a soulevé dans les rangs de la profession et en particulier à l'hôpital et à la Faculté [7]. Un siècle et demi de co-existence pacifique de deux mondes qui s’ignorent La psychiatrie et la neurologie, avant même qu’elles soient officiellement institutionnalisées comme disciplines distinctes, évoluent dans deux mondes étrangers l’un à l’autre : d’un côté celui des aliénés, des asiles psychiatriques et des aliénistes, et de l’autre celui des malades, des médecins, de la faculté et des services de médecine des hôpitaux de l’Assistance publique. Chaque monde suit son cours, a sa propre histoire et ne se soucie guère de l’autre. Sous www.clystere.com / n° 19. P a g e | 20 l’Ancien Régime, dans la région parisienne, les fous incurables sont enfermés à Bicêtre, à La Salpêtrière, aux Petites Maisons, et les fous curables sont entassés à l’Hôtel-Dieu [8]. 01 avril 2013 Avec Philippe Pinel (1745-1826), médecinchef de Bicêtre en 1792 puis de la Salpêtrière en 1795, et son élève Étienne Esquirol (17721840), qui lui succède, le traitement moral est institué et les fous, ou insensés, deviennent des aliénés, des malades ressortissant de la médecine. Les aliénés ne doivent plus alors être enfermés pêle-mêle avec Figure 1 : Bicêtre, cour et bâtiment des aliénés. Carte postale ancienne. © clystere.com les prisonniers, les infirmes, les miséreux, mais au contraire être soignés dans des établissements spécialisés, asiles publiques ou Maisons de Santé privées. C’est ainsi qu’en 1802, les salles d’aliénés de l’Hôtel-Dieu ferment, et, pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle, les aliénés des classes aisées de la région parisienne sont accueillis à la Maison Royale de Charenton et dans d’assez nombreuses Maisons de Santé privées – comme la Maison du docteur Blanche, fondée en 1821 par Esprit Blanche (1796-1852), auquel succède son fils Émile (1820-1893), et où ont été traités, entre autres célébrités, Guy de Maupassant (1850-1893), Gérard de Nerval (1808-1855), Charles Gounod (1818-1893) – et les autres à la Salpêtrière pour les femmes, à Bicêtre pour les hommes. La loi du 30 Juin 1838 oblige chaque département à avoir un asile d’aliénés [9], mais en 1866 une vingtaine d’asiles seulement sont construits et à Paris l’asile Sainte-Anne n’ouvre qu’en 1867. L’Infirmerie spéciale du dépôt accueille les agités causant des désordres sur la voie publique. Sur le plan institutionnel, le fossé est profond entre : 1) d’un côté, les asiles, dévolus à la psychiatrie « lourde » des malades mentaux graves, le plus souvent incurables (débiles mentaux, psychotiques, déments) et dont les internes (internes des asiles) et les médecins (aliénistes des asiles) sont mal rémunérés et peu considérés, 2) et, de l’autre côté, les hôpitaux de l’Administration Générale de l’Assistance publique à Paris, avec leurs médecins des hôpitaux, souvent professeurs ou agrégés, faisant de la neurologie et de la « petite psychiatrie » (névrosés, neurasthéniques, hystériques), dans des services de médecine générale, et leurs médecinsaliénistes des hôpitaux, à la tête des divisions d’aliénés de la Salpêtrière et de Bicêtre, avec leurs internes et leurs externes des hôpitaux de Paris, les uns comme les autres s’adonnant à des recherches sur les maladies mentales et en tirant souvent un notoriété appréciable. En effet, Paris se singularise encore par la création de concours propres à la Seine, pour le recrutement des internes et des médecins des asiles, ainsi que par la création, en 1879, sous l’impulsion de Désiré Bourneville (1840-1909), d’un concours de recrutement de médecins-aliénistes des hôpitaux de Paris (corps qui disparait en 1923), dévolus aux quartiers d’aliénés de Bicêtre (pour les hommes) et de la Salpêtrière (pour les femmes), sous la tutelle de l’Assistance publique et non de la Préfecture de la Seine comme pour les aliénistes des asiles. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 21 01 avril 2013 Au commencement du XIXe siècle, de nombreux professeurs voient bien la nécessité d'enseigner les spécialités, mais à la condition qu'elles le soient non par des professeurs titulaires de chaire mais par des professeurs suppléants ou dans des cours privés [10, 11]. Dans son rapport de 1830 [12], Jules Guérin (1801-1886), préconise – sans être suivi – la création de deux chaires de clinique spéciale, l'une de maladies des enfants, l'autre des maladies cutanées syphilitiques et scrofuleuses, mais aucune de maladies nerveuses ou mentales. En 1859, la Faculté, sollicitée par le Ministre, refuse la création de chaires de spécialités, notamment celle de pathologie mentale [13]. En 1862, six cours complémentaires spéciaux confiés à des agrégés libres sont institués. Charles Lasègue (18161883), futur professeur de clinique médicale, est nommé pour le Cours clinique des maladies mentales et nerveuses. Quelques années plus tard, le rapport du Professeur Anatole Chauffard (1855-1932) [14] fait le constat de l'échec de ces cours de clinique complémentaires et l’attribue au fait que les Figure 2 : Pinel (1745-1826), célèbre médecin français, substitue les mesures de douceur Services spéciaux qui aux violences dont les aliénés étaient jusque-là victimes. Chromolithographie publicitaire permettraient cet ensei- des chocolats Guérin-Boutron. © Clystere.com gnement clinique appartiennent à l'Assistance Publique et non à la Faculté et que le plus souvent les Services hospitaliers des agrégés libres sont des services généraux dont le recrutement ne permet pas de fournir les malades nécessaires. En conséquence, Chauffard propose que soient créées des chaires de clinique complémentaire, à la tête desquelles seraient nommés des Professeurs de clinique complémentaire, recrutés parmi les médecins et chirurgiens des hôpitaux et les médecins des asiles. Cette proposition n’a pas le temps d’être mise en application, car, en décembre 1875, sur un rapport de Paul Broca (1824-1880), l'Assemblée des Professeurs vote le principe de la création de chaires de clinique spéciales, analogues aux chaires de clinique déjà existantes, au lieu des chaires dites complémentaires proposées par Chauffard [15]. Des quatre chaires de clinique spéciales proposées par Broca (maladies mentales, dermatologie, ophtalmologie, maladies des enfants), une seule est acceptée par la Faculté, la chaire de clinique des maladies mentales et de l’encéphale, qui est créée en 1877. Comme titulaire de cette chaire, Benjamin Ball (18331893) a la préférence du Conseil de faculté face à Valentin Magnan (1835-1916) [16]. Pendant près de quarante ans, les trois premiers titulaires de la chaire des maladies mentales et de l’encéphale sont des neurologues, élèves de Charcot : Benjamin Ball (1833-1893), premier titulaire, de 1877 à sa mort en 1893, Alix Joffroy (1844-1908), de 1894 à 1908 et Gilbert Ballet (1853-1916), de 1909 à sa mort. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 22 Cinq ans plus tard, en 1882, la chaire de clinique des maladies du système nerveux est créée à l’hospice de la Salpêtrière et son premier titulaire est Jean-Martin Charcot (1825-1893), professeur d'anatomie pathologique, transféré à sa demande dans la nouvelle chaire qui avait été en réalité créée pour lui. À la mort de Charcot en 1893, après un an d’interim par Édouard Brissaud (18521909) [16, 17] se succèdent dans cette chaire prestigieuse : Fulgence Raymond (1844-1910) en 1894, Jules Dejerine (1849-1917) en 1910, Pierre Marie (1853-1940) en 1917, Georges Guillain (1876-1961) en 1923, Théophile Alajouanine (1890-1980) en 1947 et Paul Castaigne (19161988) de 1960 à sa retraite. La création, à la faculté de médecine de Paris, de ces deux chaires de clinique différentes, la première de psychiatrie, le seconde de neurologie, illustre bien le fait que les deux disciplines sont distinctes. L’individualisation de la pédopsychiatrie est plus tardive : la chaire de psychiatrie de l’enfant est créée en 1925 pour Georges Heuyer (1884-1977). 01 avril 2013 Figure 3 : Pr Jean-Martin Charcot. Carte postale ancienne, collection de l’Institut psycho-physiologique de Paris, 49 rue Saint-André-des-Arts. © Clystere.com Sur le plan hospitalier, alors que le Rapport Tardieu, demandé en 1848 par le Gouvernement provisoire de la République [18], prétend que les services de spécialité n’ont pas de raison d’être et que « Le personnel du service de santédes hôpitaux et hospices doit être exclusivement recruté parmi les médecins et chirurgiens du bureau central, sans acception d'aucune spécialité, même pour les services d'aliénés. », Jules Guérin préconise au contraire « de créer au bureau central une troisième classe, la classe des spécialités, destinée à recruter le personnel de toutes les spécialités reconnues et représentées dans les hôpitaux. » [19]. A la fin du XIXe siècle, le Rapport Brouardel présentéau Conseil de Surveillance de l'Assistance Publique (Archives de l'Assistance Publique) (1897) estime qu’il n’y pas lieu de créer des services spéciaux de maladies du système nerveux : « La Commission, d'accord avec l'Administration, pense que les spécialités sont parfaites là où apparait la nécessité de diviser les malades et de différencier les traitements, mais que pour les maladies nerveuses, qui appartiennent à la médecine générale, cette nécessité est beaucoup moins évidente que pour les maladies des yeux et de la gorge par exemple. Elle estime qu'il y a simplement à rester dans le statu quo, en permettant aux médecins, qui déjà groupent dans leurs services des maladies de cette nature, de continuer à agir ainsi. » Il préconise seulement la création éventuelle de consultations spécialisées. L’un des cas les plus exemplaires est celui de Joseph Babinski (1857-1932), médecin des hôpitaux, chef d’un service de médecine à la Pitié (de 1895 à sa retraite en 1922), qui illustre la neurologie de ses nombreuses découvertes sémiologiques et qui n’a institutionnellement aucune attache neurologique, sauf une consultation dans son service de la Pitié. Dans les hôpitaux et hospices de l'Assistance publique à Paris, jusque vers les années 1960 dans lesquelles a commencé à s'appliquer la réforme www.clystere.com / n° 19. P a g e | 23 Debré, le personnel médical est recruté par des concours purement hospitaliers donnant accès à des fonctions et titres peu nombreux : médecins, chirurgiens, oto-rhino-laryngologistes, ophtalmologistes, accoucheurs, médecins du service des aliénés (dits aliénistes des hôpitaux par opposition aux aliénistes des asiles), dentistes et pharmaciens. La neurologie, de même que les autres spécialités dites médicales (cardiologie, pneumologie, gastro-entérologie, etc.), ne représente pas une spécialité hospitalière mais plutôt une sorte d'orientation privilégiée qu'un médecin des hôpitaux donne à sa pratique et à ses intérêts scientifiques et intellectuels personnels. L'enseignement clinique hospitalier, institué en 1794 à la création des écoles de santé, ne concerne pendant longtemps que la médecine et la chirurgie [20]. Les premiers stages hospitaliers obligatoires dans les services spéciaux, notamment ceux dévolus aux maladies nerveuses et aux maladies mentales, apparaissent en 1893 [21]. En janvier 1914, parmi les services offerts au choix des Figure 4 : L’hystérie. Leçon de JM Charcot. Chromolithographie publicitaire du Chocolat étudiants de quatrième Carpentier- Thé royal. © Clystere.com année, les services à orientation neurologique ou psychiatrique sont les deux cliniques, celle des maladies du système nerveux (Dejerine à la Salpêtrière) et celles des maladies mentales et de l’encéphale (Gilbert-Ballet à Sainte-Anne) [22]. 01 avril 2013 Mais les frontières sont poreuses entre ces deux mondes qui s’ignorent Comme nous venons de le voir, pendant un siècle et demi, du début du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle, la neurologie et la psychiatrie évoluent parallèlement dans deux mondes étrangers. Entre les deux disciplines, les frontières sont toutefois poreuses. Alors que les Congrès sont distincts, le professeur Édouard Brissaud (1852-1909) réussit un rapprochement entre aliénistes et neurologistes. Dans la droite ligne de son maitre Charcot : « […] la Psychiatrie, depuis longtemps spécialisée, et la Neuropathologie proprement dite : ces deux parties d’une même unité séparées par des nécessités pratiques, mais devant, philosophiquement, rester associées l’une à l’autre par des liens indissolubles. » [23], loin de s’enfermer dans la neurologie traditionnelle, Brissaud s’ouvre à la psychiatrie et s’efforce de resserrer ses liens avec la neurologie. A la première session du Congrès de médecine mentale, à Rouen, en août 1890, l’adjonction des neurologistes aux psychiatres avait été refusée à Paul Sollier (1861-1933) [24] et « l’opinion de la majorité du Congrès a été résumée dans ces mots du professeur Ball : Nous pouvons nous suffire, et il y a intérêt à rester soi-même. » [25] « On n’aime pas en général les nouveautés, et beaucoup, à cette époque, hésitaient à admettre la présence, avec des droits égaux, de ceux www.clystere.com / n° 19. P a g e | 24 qu’ils considéraient comme des étrangers. » [26]. Trois ans plus tard, au quatrième congrès, tenu à La Rochelle du 1er au 6 août 1893, Brissaud, qui jugeait cette union « utile et nécessaire » [26], obtient le changement d’intitulé. Ainsi, le Congrès de médecine mentale, ou Congrès des médecins aliénistes de France et des pays de langue française, devient le Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française. « […] C’est M. Brissaud qui a demandé de faire figurer le mot de neurologistes dans le titre du Congrès, en faisant valoir que notre titre actuel semblait exclure tous ceux qui n’étaient pas médecins d’asile. En fait, nos Congrès ont toujours été ouverts à tous ceux qui s’intéressent à la pathologie nerveuse ; les maladies mentales sont une branche de la neurologie et sont en relations étroites avec les autres maladies nerveuses ; les rapports entre le tabes et la paralysie générale en sont un exemple. L’addition d’un mot, demandée par M. Brissaud, n’était pour la plupart d’entre nous qu’une question de forme, et si le titre actuel du Congrès pouvait donner lieu à un malentendu, nous avions intérêt à faire cesser ce malentendu. » [27]. 01 avril 2013 Au plan des savoirs, la séparation entre neurologie et psychiatrie est loin d’être tranchée, car, depuis l'Antiquité, la distinction n'a jamais été claire entre les maladies nerveuses et les maladies mentales [28]. Les travaux portant sur les maladies nerveuses et mentales n’ont pas attendu l’individualisation des deux spécialités pour voir le jour. Dès le début du XIXe siècle, le savoir et l'enseignement sur les maladies nerveuses et mentales étaient florissants à Paris ; en portent témoignage l'ampleur de l'enseignement libre, hospitalier et privé [29] ainsi que le nombre des monographies et traités spécialisés. Quelques grands noms de la médecine hospitalière et universitaire consacrent une bonne part de leurs travaux tant à la médecine mentale qu’à la neurologie et au reste de la médecine. Les plus exemplaires sont Armand Trousseau (1801-1867) et son élève Charles Lasègue (1816-1883). Réciproquement, de nombreux aliénistes travaillent dans les deux champs, comme Jules Baillarger (1809-1890), Achille Foville (1799-1878), Louis Delasiauve (1804-1893), Henri Legrand du Saulle (18301886), Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909), Jean Nageotte (1866-1948), Benedict-Augustin Morel (1809-1873) et Valentin Magnan (18351916). Figure 5 : L’encéphale, Journal de Neurologie et de Psychiatrie. © Clystere.com www.clystere.com / n° 19. Les revues médicales spécialisées [30] traitent à la fois des maladies nerveuses et des maladies mentales, comme, par exemple, les Archives cliniques des maladies mentales et nerveuses (1862), les Archives de neurologie, revue trimestrielle des maladies nerveuses et mentales (1880), L’Encéphale, Journal des maladies mentales et nerveuses (1881), la Revue neurologique (1893) (en 1911, on peut encore lire que « la Revue neurologique représente un organe intimement lié aux progrès de la Neurologie et de la Psychiatrie dans le monde entier. » [31]. P a g e | 25 Les sociétés savantes spécialisées, comme la Société Médico-psychologique créée en 1852, et en 1899, la Société de Neurologie de Paris, qui deviendra ultérieurement la Société Française de Neurologie [32] se consacrent simultanément à la neurologie et à la psychiatrie. Enfin, on pourrait ajouter que ces deux mondes étrangers ont au moins un point commun : le rejet durable de la psychanalyse. Malgré les bonnes relations entre Sigmund Freud (1856-1939) et Charcot, après le séjour de Freud à la Salpêtrière d’octobre 1885 à février 1886, les élèves de Charcot ne font pas bon accueil à la psychanalyse. C’est particulièrement vrai pour Joseph Babinski (1857-1932) [33, 34] qui s’élevait contre « l’absurdité du Freudisme qui exige chaque jour, pendant des mois, l’exhumation, non sans danger moral, de prétendus rêves érotiques refoulés. » [35]. En 1913, dans son rapport sur la psycho-analyse au XVIIe Congrès International de Médecine, Pierre Janet (1859-1947) se montre partisan de « l’analyse psychologique ordinaire » opposée à la psycho-analyse [36]. Il faudra des décennies pour vaincre les résistances des psychiatres et neurologues français et pour que la psychanalyse ait droit de cité dans la pratique de quelques-uns d’entre eux. Georges Heuyer est le premier à introduire la psychanalyse dans la psychiatrie française. Un mariage blanc, 1949 L’acte de naissance, ou plutôt de baptême de la neuropsychiatrie [37], résultant de l’union de la neurologie et la psychiatrie peut être daté de l’institution par l’arrêté du 30 mars 1949 du Certificat d’Études spéciales (CES) de neuropsychiatrie. La qualification de neuropsychiatre, en tant que spécialiste exerçant en clientèle libérale, est accordée aux titulaires du Certificat d’Études Spéciales ou par équivalence aux anciens internes des hôpitaux. Malgré la création des chaires de clinique spéciale, malgré l'introduction des stages hospitaliers obligatoires de spécialités, l'enseignement théorique magistral de la pathologie ne subit aucun changement dans son découpage traditionnel en pathologie interne, pathologie externe et accouchements. Comme le déclarait fort pertinemment le Professeur Paul Castaigne dans sa leçon inaugurale de la Chaire de Propédeutique Neurologique et de Neurobiologie, le 9 juin 1960, « la sémiologie nerveuse est au programme de toutes les cliniques médicales et la pathologie nerveuse fait partie du cours de Pathologie interne ». L’agrégation de neuropsychiatrie a lieu en principe tous les trois ans. Quant aux recrutements des personnels (notamment des professeurs) hospitalo-universitaires bi-appartenants prévus par les ordonnances de 1958 (loi Debré), à partir de l’inscription sur une liste d’aptitude, ils le sont toujours au titre de la neuropsychiatrie. 01 avril 2013 Le divorce, 1968 Les revendications formulées peu avant 1968 dans le Livre blanc de la psychiatrie, sous l’impulsion notamment de Henri Ey (1900-1977) et de Charles Brisset (1914-1989), sont exaucées au lendemain des événements de mai 68 : l’autonomie de la psychiatrie est obtenue et le CES de neuropsychiatrie est scindé, par l’arrêté du 30 décembre 1968, en deux certificats totalement indépendants l'un de l'autre, l’un de neurologie, l’autre de psychiatrie [38]. Le décret n° 69-315 du 2 avril 1969 organise le nouvel enseignement. En 1970, les certificats dits intégrés ou coordonnés prennent la place, dans le deuxième cycle des études médicales, du cours de pathologie interne. La neurologie et la psychiatrie commencent alors à figurer séparément dans les programmes d'enseignement. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 26 La loi du 23 décembre 1982 et ses décrets d’application de 1984, établissent, à la place des CES et de l'Internat des Hôpitaux, quatre filières de Diplômes d'Études Spécialisées ou DES (médecine spécialisée, santé publique, recherche, médecine générale). Dans la filière médecine spécialisée, la neurologie prend place dans les spécialités médicales, tandis que la psychiatrie bénéficie d’une option propre aux côtés des spécialités médicales, des spécialités chirurgicales et de la biologie médicale. Remplacées, après les évènements de mai 68, par le concept ambigu d'"emploi", les chaires disparaissent totalement à partir de la réforme du statut des personnels hospitalo-universitaires de 1982 qui définit le corps des Professeurs des Universités-Praticiens hospitaliers. L’établissement des listes d’aptitude pour le recrutement des professeurs des universités – praticiens hospitaliers donne lieu à des nominations séparées, dans la sous-section de neurologie du CNU et dans celles de psychiatrie. La 49e section du Conseil National des Universités (CNU), intitulée « Pathologie nerveuse et musculaire, pathologie mentale, handicap et rééducation », comprend en effet cinq sous-sections : 01 : Neurologie, 02 : Neurochirurgie, 03 : Psychiatrie d'adultes, 04 : Pédopsychiatrie, 05 : Médecine physique et de réadaptation. Ainsi apparaissent des professeurs de neurologie – médecins des hôpitaux et des professeurs de psychiatrie – psychiatres des hôpitaux. Les concours de médecins des asiles disparaissent cédant la place au recrutement unique de praticiens hospitaliers, tant dans les hôpitaux généraux que dans les hôpitaux psychiatriques : les neurologues sont médecins des hôpitaux tandis que les psychiatres sont psychiatres des hôpitaux. Le syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques devient le syndicat des psychiatres des hôpitaux. Les pavillons d’agités des services de neuropsychiatrie de l’Assistance publique deviennent des services de psychiatrie. 01 avril 2013 L’espoir de retrouvailles ou la neuropsychiatrie de l’avenir Le serpent se mordrait-il la queue ? L’avenir serait-il à un retour à la neuropsychiatrie ? Le terme de neuropsychiatrie, sacrifié sur l’autel de mai 68, mais qui n’avait pas totalement disparu – deux revues au moins utilisent ce terme dans leur titre : Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence et Psychologie & neuropsychiatrie du vieillissement fusionnée avec les Annales de Gérontologie sous le titre Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement –, refait surface par l’entremise de la neuropharmacologie et des neurosciences (neuroimagerie principalement) dont les applications concernent aussi bien la pathologie psychiatrique (troubles obsessionnels compulsifs, autisme, etc.) que neurologique. La division de la neuropsychiatrie « en deux spécialités se révèle aujourd'hui regrettable en raison de la révolution qu'ont connue les neurosciences et l'imagerie médicale et des connaissances acquises depuis lors dans ces disciplines. Leurs applications pratiques dans le traitement des maladies mentales commencent déjà à apparaître, notamment dans le cas de l'autisme. » [39]. Le terme de neuropsychiatrie « permet de ne plus avoir à penser le dualisme entre corps et esprit, organique et psychique, physique et mental, non parce que l’un deviendrait consubstantiel à l’autre, mais parce qu’au contraire il permet de continuer à faire collaborer les deux domaines et à employer les différents termes, de pouvoir penser par instants leur séparation. Le domaine de la neuropsychiatrie relève du neurologique et du psychiatrique. Ce n’est donc pas un simple effet de rhétorique mais un programme d’action. » [40] Au prix d’un glissement sémantique, une nouvelle neuropsychiatrie s’annonce : « La neuropsychiatrie, dans une définition restreinte, concerne des affections cérébrales se présentant sous un aspect à la fois psychiatrique et neurologique. Son étude doit être encouragée car certaines de ces affections sont en pleine expansion parce que leur valeur doctrinale est considérable quant à www.clystere.com / n° 19. P a g e | 27 l’élucidation du substratum matériel des troubles psychiatriques primaires. D’une façon plus générale, la neuropsychiatrie est une discipline de niveau intermédiaire, située entre le lésionnel et la clinique, qui a comme objectif de rapprocher ces deux niveaux. Son avenir est assuré, car rien ne pourra jamais empêcher l’application – si elle est raisonnée – aux troubles mentaux, des méthodes d’exploration nouvelles issues des neurosciences » [41]. La morale de cette histoire L’histoire mouvementée des relations institutionnelles entre la neurologie et la psychiatrie montre que ce ne sont pas tant les arguments scientifiques et techniques qui ont été déterminants, que les facteurs idéologiques, politiques et, si l’on en croit Freud, sans doute psychologiques : « l'humanitéprouve une aversion instinctive pour les nouveautés intellectuelles. […] Contre les préjugés, il n'y a rien à faire. Il faut attendre et laisser au temps le soin de les user. Un jour vient où les mêmes hommes pensent sur les mêmes choses autrement que la veille. Mais pourquoi n'ont-ils pas penséla veille comme ils pensent aujourd'hui. C'est là pour nous et pour eux-mêmes un obscur et impénétrable mystère. » [42]. Remerciements J’adresse tous mes remerciements à Véronique Leroux-Hugon, conservateur de la Bibliothèque Charcot à la Salpêtrière et à Mme Laurence Camous, directrice de la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, ainsi qu'à Olivier Walusinski pour ses critiques avisées. Je remercie Aline Poirier pour la révision de la traduction en anglais du résumé. 01 avril 2013 BIBLIOGRAPHIE [1] BAAS J.H. Outlines of the history of medecine and the medical profession, Huntington, N.Y., R.E.Krieger,1889. [2] LÉONARD J. La médecine entre les savoirs et les pouvoirs : histoire intellectuelle et politique de la médecine française au XIXe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1981. [3] ACKERKNECHT E.H., La médecine hospitalière à Paris 1794-1848, Paris, Payot, 1986. [4] LÉONARD J. Médecins, malades et société dans la France du XIXè siècle, Paris, Sciences en situation, 1992. [5] POIRIER J, SALAÜN F. Médecin ou malade ? La médecine en France aux XIXe-XXe siècles, Paris, Masson, 2001. [6] POIRIER J. 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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mai 2009 (n°1701), annexe au procès-verbal de la séance du 8 avril 2009 (n°328). [40] MOUTAUD B. « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? » Ethnologie de la stimulation cérébrale profonde appliquée au trouble obsessionnel compulsif », Bulletin Amades [En ligne], 83 | 2011 , mis en ligne le 27 mars 2011, Consulté le 18 décembre 2011. URL : http://amades.revues.org/index1214.html. [41] LUAUTÉ JP, ALLILAIRE JF. Les neurosciences : un avenir pour la neuropsychiatrie, Annales Médicopsychologiques, revue psychiatrique, 2004, Vol. 162, Issue 1, Pages 74-78. [42] FREUD S. L'Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1917. ___ 01 avril 2013 Toute référence à cet article doit préciser : Poirier J. : Les avatars institutionnels de la neuropsychiatrie parisienne (XIXe-XXe siècle). Clystère (www.clystere.com), n° 19, 2013. www.clystere.com / n° 19. P a g e | 30 NOUVEAUTES EN LIBRAIRIE Lazzaro Spallanzani (1729-1799), le père de la biologie médicale expérimentale. Henri Lamendin, Ed. L’Harmattan, Paris, 2013, 140 p. ISBN : 978-2-343-00129-6 Spallanzani… Un nom qui n’évoque rien le plus souvent aux acteurs de notre médecine contemporaine… Pourtant, bien au contraire, il signifie tout dans le monde de la recherche scientifique. Il est un peu dans toutes les expérimentations effectuées aujourd’hui pour confirmer, ou infirmer, une théorie. Il est en effet le premier à avoir démontré ses dires après les avoir éprouvés dans une série d’expériences d’une précision et d’une finesse surprenante pour son époque. Il est le premier également à avoir réfuté, de la même manière, des idées préconçues d’autres savants. C’est pour cela qu’il est considéré de nos jours encore comme le père de la biologie médicale expérimentale. Il s’est ainsi attardé sur la circulation sanguine, la digestion, la fécondation ou encore l’étude de la fonction respiratoire. Henri Lamendin retrace le parcours de cet homme exceptionnel en citant ses biographes les plus fameux. De témoignage en témoignage, il dresse un portrait juste et équitable d’un chercheur hors norme, intemporel, qui a légué à la médecine une œuvre dont la valeur n’a eu d’égale que la rigueur. Il lui redonne ainsi vie à travers des récits qui foisonnent de détails concernant ses activités scientifiques. Henri Lamendin a voulu, par l’histoire de cet homme, pilier d’un humanisme fondamental et de la physiologie générale, évidemment lui rendre hommage, mais également raviver son souvenir, espérant ainsi que ce malheureux oublié ne le demeure plus très longtemps… 01 avril 2013 Henri Lamendin, docteur d’Université en Odontologie, docteur d’Etat ès-Sciences, de l’Académie nationale de chirurgie dentaire, est membre de la Société française d’histoire de l’art dentaire. Il est aussi ancien directeur-adjoint du département biologie de l’Institut de recherches appliquées au domaine de la Santé (Université d’Orléans). www.clystere.com / n° 19. P a g e | 31 Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux, n° 146, novembre 2012 est paru. Ce numéro est entièrement consacré aux Musées hospitaliers de France et du Québec. On y trouvera notamment : Dans un article fort documenté Jacques Poisat qui compare les musées et leurs collections en France et au Québec. La philosophie n’est pas la même : le patrimoine est plutôt détenu par des associations ou des établissements hospitaliers publics en France, par des congrégations religieuses au Québec. Jacques Brunier propose une liste des sites français où l’histoire des soins a trouvé une place particulière. Très utile ! Site Internet de la Société : http://www.bium.univ-paris5.fr/sfhh/ Histoire, médecine et santé : Remèdes. N° 2, automne 2012. Le deuxième numéro de cette nouvelle revue publiée par le Framespa de l’Université de Toulouse 2 (UMR 6136) est consacré aux Remèdes, à travers un dossier de 6 articles. Deux varias complètent ce numéro, un article traitant du vécu de la grossesse aux XVIII-XIXe siècles en France, l’autre de la vivisection humaine aux XVI-XVIIIe siècles. Une publication très intéressante, dont la présentation est des plus agréables. Dans les futurs numéros, les citations latines, grecques ou étrangères, feront l’objet d’une traduction, tous les lecteurs n’étant pas férus en langues anciennes. 01 avril 2013 On rappelle que le premier opus était consacré aux pudeurs. Pour s’abonner : http://framespa.univ-tlse2.fr/actualites/publications/histoire-medecine-et-sante/ www.clystere.com / n° 19. P a g e | 32 COURRIER DES LECTEURS Suite à l’article de Jacques Voinot intitulé « La réadaptation des amputés des membres pendant la première guerre mondiale. Contribution lyonnaise. » paru dans Clystère n° 17 de février 2013, Bernard Petitdant, nous a adressé le message suivant : « pour compléter les images fixes de l’article de Jacques Voinot, pour voir in vivo et in situ, peut-être pas ces prothèses mais des prothèses de blessés de la grande guerre, un film sur le site du service cinématographique des armées avec ce lien : http://www.ecpad.fr/le-retour-a-la-terre-des-mutiles Cette vidéo est absolument remarquable et nous montre l’équivalent des prothèses présentées dans l’article de Jacques Voinot, utilisées avec une habileté rare par les mutilés de la guerre de 14-18. Un document à voir absolument ! L’article de Guy Gaboriau intitulé « les instruments de la chirurgie des calculs de la vessie » paru dans Clystère n° 16 de janvier 2013 a suscité plusieurs échanges de mails à propos des tenettes, des gorgerets et autres lithotomes. Ces sujets étant techniques et donc difficiles, une synthèse sera faite et présentée dans les mois prochains, ou à la rentrée. Christian BOURDEL médecin généraliste à la retraite et ancien élève de l'Ecole du Service de Santé Militaire de Lyon (ESSM), porte à notre connaissance "Le Militarial", « Musée-Mémorial militaire du pays » dont il s’occupe, avec une orientation sur la médecine militaire Adresse du site de ce musée : http://www.lemilitarial.com/ 01 avril 2013 Le Dr Louis-Charles BARNIER nous informe que la collection d'étains médicaux de notre confrère le Dr Patrice BOREL est désormais en place au musée de l’ancien hospice de Hautefort. L'ouverture du musée est prévue pour le 18 mars. L’inauguration aura lieu en juin 2013. Crédit photo © Dr Patrice Borel-2013. Site internet du Musée de l’Ancien Hospice de Hautefort (24-Dordogne, France) : http://www.musee-hautefort.fr www.clystere.com / n° 19. P a g e | 33 SOS OBJETS MYSTERES Bernard Petitdant fait appel aux lecteurs de Clystère pour identifier l’objet ci-dessous : 01 avril 2013 Il s’agit d’un étui en bakélite ou équivalent imitant un bois précieux de 5.6cm de haut pour 3.8cm large dans sa partie la plus large. Il se sépare en 2 parties l'une de 2.4cm et l'autre de 3.2cm. Aucun mouvement possible de l'embout à l'intérieur de l'étui. L'embout fait 3.9 cm de haut pour 3.1cm de large. Le tube unique fait 1.1cm de diamètre les trous doubles font 3.2 mm de diamètre. Le sommet et la base de l'étui sont plats et portent pour l'un le mot "QUINTEX" et "Breveté SGDG / Made in France" pour l’autre. Un embout nasal personnel portatif sans aucun doute mais pour quel appareil ? Appareil à air ou autre gaz mais surement peu de pression puisque le tube unique n'a pas de pas-devis et devait s'emboîter à frottement doux. Y avait-il un appareil "Quintex" pour aérosol, ou pulvérisation nasale ? « Quintex » est-il le nom d’une ancienne spécialité pharmaceutique ORL ? Réponses ou suggestions à [email protected] ou [email protected] www.clystere.com / n° 19. P a g e | 34 SOS OBJETS MYSTERES Jean-François DELANGLE, Responsable de la Commission "Inventaire" de l’association « Les Amis De l'Outil » à Bièvres 91570, interroge lui aussi les lecteurs de Clystère sur l’instrument suivant, probablement à usage médical puisque signé G. Legros, Gembloux : L’association "Les Amis De l'Outil" (LADO) située à Bièvres en Essonne assure la sauvegarde d'outils anciens et du patrimoine du travail manuel. L’association dispose d’un musée à Bièvres où elle expose une vingtaine de métiers anciens où les outils sont mis en valeur dans des "ateliers". Chaque année le 1er mai, LADO organise une Foire à l'Outil Ancien et à l'Art Populaire qui regroupe une centaine de marchands spécialisés dans l'outil ancien. LADO fêtera cette année, le 1er mai, ses 30 ans d’existence. L’inventaire de sa collection qui comporte entre 30000 et 40000 outils, instruments, est en cours de réalisation. Adresse mail de LADO : [email protected] Adresse du site (en construction) : http://www.lesamisdeloutil.net 01 avril 2013 Réponses et suggestions concernant cet instrument à [email protected] et [email protected] Prochain numéro : 1er Mai 2013 www.clystere.com / n° 19.