Identification des impacts de projectiles sur le squelette des grands

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Identification des impacts de projectiles sur le squelette des grands
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
Annales de Paléontologie 94 (2008) 103–118
Article original
Identification des impacts de projectiles sur
le squelette des grands ongulés
Identification of projectile impacts
on large ungulate skeletons
Jean-Christophe Castel
Département d’archéozoologie, Muséum d’histoire naturelle, route de Malagnou 1,
case postal 6434, 1211 Genève 6, Suisse
Disponible sur Internet le 15 mai 2008
Résumé
Dans le cadre du programme collectif de recherche « technologie fonctionnelle des pointes solutréennes
(TFPS) » conduit de 1987 à 2000, plus de 300 impacts ont été produits expérimentalement sur des carcasses
d’ongulés (chèvre, bœuf, cheval). À partir de la classification de ces types d’impacts proposée par P. Morel
en 1991, on peut estimer que seules les inclusions de fragments de pointes dans les os restent diagnostiques
dans la plupart des contextes archéologiques. Les autres stigmates, comme les raclements ou les éclatements,
peuvent être confondus avec des marques d’outils, de dents de carnivores ou avec des traces postdépositionnelles. P. Morel avait publié les résultats pour les petits herbivores ; nous présentons ceux qui concernent
les grands herbivores. Près de 200 stigmates ont été observés sur la carcasse d’une vache adulte et celle
d’un cheval adulte à la suite du tir de projectiles solutréens (pointes à cran, feuilles de laurier et feuilles
de saule) et de quelques pointes en bois de renne. Ils sont concentrés dans les parties vitales de l’animal.
Raclements et éclatements marginaux sont les traces les plus fréquentes, mais les implantations sont plus
abondantes que sur le squelette des petits ongulés. Ce corpus de données, numériquement significatif, est
issu d’expérimentations soigneusement paramétrées. Support indispensable à l’interprétation des stigmates
observés sur les os dans les sites paléolithiques, il contribue à la connaissance des conditions d’abattage des
gibiers et permet d’aborder les questions de la fossilisation de ces stigmates et de leur fréquence apparente.
© 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
Abstract
In the context of the collective research program “functional technology of solutrean points”, conducted
from 1987 to 2000, more than 300 impacts were experimentally produced on ungulate carcasses (goat,
cow, horse). Based on the classification of these types of impacts proposed by P. Morel in 1991, we can
Adresse e-mail : [email protected].
0753-3969/$ – see front matter © 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.annpal.2008.03.003
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estimate that only the inclusions of point fragments in the bones remain diagnostic in most archaeological
contexts. The other types, such as scrapings or splittings, can be confused with tool traces, carnivore tooth
marks or postdepositional alterations. P. Morel has published the results for small herbivores, and we present
our results here for large herbivores. More than 200 stigmata were observed on the carcasses of an adult
cow and horse following experimental shots with solutrean projectiles (shouldered points, laurel leaf points
and willow leaf points) and a few reindeer antler points. These traces are concentrated around the vital
parts of the animals. The most common types are marginal scrapings and splittings, but implantations are
more numerous than on small ungulate skeletons. This numerically significant body of data is derived from
carefully controlled experiments. Indispensable for the interpretation of the stigmata observed on bones
found in Paleolithic sites, such experiments contribute to our knowledge of the conditions prey exploitation
and allow us to address questions concerning the fossilization of these traces and their apparent frequency.
© 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
Mots clés : Taphonomie ; Expérimentation ; Chasse ; Paléolithique supérieur ; Impact sur l’os
Keywords: Taphonomy; Experimentation; Hunting; Upper Paleolithic; Impacts on bone
1. Introduction : historique
Les impacts de pointes de projectiles sur les os ont été repérés dès les origines des recherches
préhistoriques. Edouard Lartet donne, en 1864, une excellente description de la découverte faite
dans la grotte des Eyzies (ou grotte Richard) « d’une vertèbre d’un tout jeune renne qui est percée
de part en part par une lame de silex dont l’une des extrémités (est) restée en saillie hors de l’os »
(Lartet et Christy, 1864). Grâce à un examen détaillé, il parvient même à préciser les circonstances
de la chasse. Depuis, de nombreuses observations ont pu être faites, notamment dans les régions
scandinaves (Bratlund, 1990, 1991, 1996 ; Noe-Nygaard, 1974, 1975 ; Nuzhnyj, 1989), mais elles
demeurent rares en Europe méridionale.
Le programme collectif de recherche « technologie fonctionnelle des pointes solutréennes
(TFPS) » dirigé par H. Plisson et J.-M. Geneste, a été créé pour étudier expérimentalement la
fracturation des pointes de projectiles utilisées au Paléolithique supérieur et notamment au Solutréen. Son origine reposait sur l’observation, dans les niveaux solutréens de la grotte de Combe
Saunière (Sarliac-sur-l’Isle, Dordogne) d’une proportion particulièrement importante de fragments de pointes à cran, alors que les exemplaires entiers étaient fort rares. Même si l’étude de
la fragmentation des pointes à cran du Solutréen de Combe Saunière permettait de confirmer
leur usage comme armature de projectile (Chadelle et al., 1991 ; Geneste et Plisson, 1986, 1990,
1993 ; Plisson et Geneste, 1989), d’autres types d’utilisations ne pouvaient être totalement écartés
(notamment comme couteaux) et surtout le mode d’emmanchement (nature de la ligature) et de
lancer (propulseur ou arc) n’étaient pas déterminés. Le programme de recherche TFPS avait pour
objectifs, grâce à un paramétrage précis de tirs réalisés en série avec des armatures de format et
de fabrication standardisés suivi d’une analyse tracéologique des fragments, de relier la nature
des fractures d’impact observées à des paramètres techniques cynégétiques définis.
De 1987 à 2000, plus de 300 impacts ont été produits expérimentalement sur des carcasses
d’ongulés, soit quatre chèvres, un bœuf et un cheval. Les tirs réalisés sur les carcasses de chèvres de
1987 à 1990 ont été étudiés par P. Morel (1991, 1993, 2000). En 1995, c’est une vache qui est l’objet
d’une nouvelle série d’expérimentations. P. Morel présenta quelques observations préliminaires
dans le rapport d’opération (Morel, 1995), mais n’eut malheureusement pas le temps de mener à
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bien cette étude. Le programme s’est achevé en 2000 avec une séance de tirs sur une carcasse de
cheval.
L’équipe de TFPS n’est pas la seule à avoir réalisé ce type de recherches, mais si les expériences
ne manquent pas, les véritables expérimentations sont beaucoup plus rares. Celle de Pétillon et
Letourneux (2003) est, à notre connaissance, la plus ambitieuse menée ces dernières années. Nous
en utilisons de nombreux résultats dans l’analyse qui suit.
2. Objectifs et précautions méthodologiques
L’objectif principal de ce travail était d’étendre l’analyse entreprise par P. Morel à l’étude des
impacts de pointes de projectiles sur les squelettes de grands mammifères et de comparer les
résultats avec ceux obtenus pour les petits mammifères. Prolongement logique de cet examen,
l’appréciation des chances de préservation des stigmates d’impacts en contexte archéologique
grâce à des données nouvelles, nous a permis d’apporter quelques éléments au débat sur les modalités de chasse au Paléolithique supérieur. À la suite de Morel (1991, 1993, 2000) et de Pétillon et
Letourneux (2003), nous proposons une nouvelle appréciation de la lisibilité archéologique des
stigmates intégrant les observations réalisées sur ces os de grands herbivores.
Les animaux utilisés sont des adultes d’espèces voisines de celles rencontrées dans les sites
paléolithiques d’Europe occidentale. Les carcasses de grands herbivores ont été obtenues sous
contrôle des services vétérinaires. Les cibles étaient suspendues en position anatomique et les
tirs étaient perpendiculaires. Les premiers tirs suivent la mort de l’animal de quelques heures,
mais les derniers ont eu lieu plusieurs dizaines d’heures plus tard. Plusieurs types de pointes,
d’emmanchement et plusieurs modes de tirs ont été testés successivement. Toutefois, plus de la
moitié des tirs concerne des pointes à cran solutréennes ligaturées de façon identique sur des
hampes d’un poids donné, tirées avec une baliste étalonnée reproduisant l’énergie d’un tir au
propulseur.
La localisation des points d’impacts a été relevée de façon systématique sur des dessins figurant le squelette. Toutes les pointes étaient marquées d’un numéro d’inventaire. Cependant, ce
marquage a souvent été effacé par les frottements ou les liqueurs organiques. Enfin, malgré le soin
apporté à l’identification anatomique, la précision de la localisation sur le squelette axial s’est
avérée insuffisante pour différencier les impacts trop rapprochés. Cet enregistrement étant trop
imprécis (malgré le soin apporté par P. Morel et nous-mêmes), nous n’avons pas pu prendre en
compte les informations sur les paramètres de tir et nous avons dû considérer les observations sur
les os de façon indépendante. Seuls les quelques tirs réalisés avec des pointes en bois de cervidés
ont pu être identifiés et isolés du corpus.
3. Classification des types de marques
À la suite de son étude sur les impacts de pointes de type solutréen sur des carcasses de petits
ruminants, P. Morel (1991, 1993, 2000) propose une classification des dégâts sur les os en cinq
types :
•
•
•
•
•
le raclement ;
l’éclatement, la dislocation ;
la fissuration, le fendage ;
l’implantation, l’insertion ;
la perforation.
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Les expérimentations de Pétillon et Letourneux (2003) ont concerné des pointes de projectiles
en bois de cervidé tirées au propulseur sur des carcasses de veaux d’une trentaine de kilogrammes.
Ils reprennent les bases de la classification de P. Morel et proposent de nouveaux termes adaptés
aux spécificités de leur expérimentation. Le terme d’éraflure est préféré à celui de raclement.
L’éclatement n’est pas retenu comme type. Percement équivaut à perforation, avec la variante
transpercement lorsque toute l’épaisseur de l’os est traversée. L’incrustation signifie que la pointe
est demeurée dans l’os.
La typologie que nous avons utilisée se sert des précédentes et a été adaptée aux particularités
des observations faites sur des carcasses de grands herbivores (vache et cheval) à la suite de tirs
réalisés avec des pointes de projectiles tranchantes en silex.
3.1. Stigmates superficiels
Les stigmates superficiels sont les suivants :
• une éraflure : sillon avec reliefs parallèles longitudinaux (Planche 1, Photo 1a, 1b) ;
• une coupure : incision sur les bords fins principalement des processus vertébraux, des côtes et
os des ceintures. Ces coupures supposent un petit enlèvement de matière. Elles sont distinctes
des éraflures de Pétillon et Letourneux (2003) (Planche 1, Photo 2) ;
• un écrasement : ce que P. Morel avait nommé impact ponctuel ou pastilles (Morel, 1995). Ce
sont des cupules plus ou moins circulaires, de moins de 1 cm de diamètre. Vraisemblablement
spécifiques des pointes en silex, elles correspondent aux cratères dans lesquels les pointes se
sont écrasées. Le fond est rugueux avec éventuellement de petits fragments de silex broyés ; les
bords sont lisses comme ceux des éclats (Planche 1, Photo 3a) ou, en fonction de la structure
osseuse, soulignent par recoupement concentrique les lamelles externes propres à l’os compact
(Planche 1, Photo 3b). Les écrasements peuvent conserver des microfragments de pointes
de projectiles en silex que nous n’avons pas enregistrés comme implantation, ce terme étant
réservé aux fragments de pointes d’au moins 3–4 mm occupant une large partie de l’orifice créé
(Planche 1, Photo 3c).
Les éraflures et les coupures peuvent être très superficielles et avoir une largeur très faible
ce qui peut conduire à des confusions avec des traces provoquées par la boucherie (Planche 1,
Photo 3a). Deux cas sont incertains, nous n’avons pas pu trancher et nous les avons retirés du
corpus.
3.2. Stigmates profonds : percements
Il y a pénétration de la pointe dans l’os, sans autre destruction majeure, par exemple :
• l’implantation : un fragment de pointe de plusieurs millimètres reste fiché dans l’os. Il s’agit en
général d’un apex, brisé lors de l’impact (Planche 2, Photo 4). C’est l’incrustation de Pétillon
et Letourneux (2003) ;
• la perforation : la pointe n’est pas conservée dans l’os et la perforation garde plus ou moins
sa forme. Il s’agit sans doute, pour un grand nombre de cas, de projectiles restés intacts
et extraits de la blessure par les expérimentateurs afin de pouvoir les réutiliser (Planche 2,
Photo 5).
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Planche 1. Photos 1–3 : expérimentation sur une carcasse de cheval. Les triangles indiquent le sens de pénétration lorsque
celui-ci n’est pas orthogonal. Les barres représentent 1 cm. Photos J.-C. Castel. Photo 1a : raclement, septième côte ; 1b :
raclement, dix-septième côte ; Photo 2 : coupure, septième cervicale ; elle est associée à une fissuration importante qui
conduirait certainement à une dislocation lors de la fossilisation ; Photo 3 : écrasements sur diaphyses ; 3a : présence de
deux raclements très légers qui pourraient être attribués à d’autres agents de modification ; 3b : écrasement en cratère avec
raclement assez important bien que la direction de l’impact soit orthogonale ; 3c : deux impacts sur le coxal qui illustrent
la difficulté de classement typologique ; celui de droite est un raclement ; celui de gauche est un écrasement légèrement
oblique avec un fragment de pointe inférieur à 2 mm, peu solidaire qui n’a pas été enregistré parmi les implantations.
Plate 1. Photos 1–3: experimentation with a horse carcass. The triangles indicate the direction of penetration when it is
not orthogonal. The lines represent 1 cm. Photos J.-C. Castel. Photo 1a: scraping, seventh rib; 1b: scraping seventeenth
rib; Photo 2: cut, seventh cervical; it is associated with a significant cracking that would likely lead to a dislocation
during fossilization; Photo 3: crushing on diaphyses; 3a: presence of two light scrapings that could be attributed to other
modifying agents; 3b: crater shaped crushing with rather significant scraping, even if the direction of impact is orthogonal;
3c: two impacts on the iliac that illustrate the difficulty of typological classification; that on the right is a scraping; that on
the left is a slightly oblique crushing with a point fragment less than 2 mm long, not very solid, which was not recorded
among the implantations.
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Planche 2. Photos 4–9 : expérimentation sur une carcasse de cheval. Les triangles indiquent le sens de pénétration
lorsque celui-ci n’est pas orthogonal. Les barres représentent 1 cm. Photos J.-C. Castel. Photo 4 : deux implantations
dans la diaphyse du fémur associées à des fissurations ; au-dessus un petit écrasement ; Photo 5 : perforation à travers le
processus épineux de la onzième thoracique ; Photo 6 : raclement associé à un large éclat sur la diaphyse du radius ; Photo
7 : éclatement associé à un raclement sur le processus articulaire crânial de la sixième cervicale ; Photo 8 : dislocation de
l’extrémité du premier processus épineux du sacrum ; en dessous : implantation ; Photo 9 : écrasement sur la diaphyse du
fémur montrant une fissuration symétrique sans doute liée à la rotation du projectile autour de son axe (spin).
Plate 2. Photos 4–9: experimentation with a horse carcass. The triangles indicate the direction of penetration when it is
not orthogonal. The lines represent 1 cm. Photos J.-C. Castel. Photo 4: two implantations in the diaphysis of the femur
associated with cracks; above a small crushing; Photo 5: perforation across the spinal process of the eleventh thoracic;
Photo 6: scraping associated with a large flake on the diaphysis of the radius; Photo 7: splitting associated with scraping
on the cranial articular process of the sixth cervical; Photo 8: dislocation of the extremity of the first spinal process of the
sacrum; below: implantation. Photo 9: crushing on the diaphysis of the femur showing a symmetric cracking probably
related to the spinning of the projectile around its axis.
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3.3. Stigmates associés
Les stigmates associés sont les suivants :
• un éclatement : nous entendons ce terme comme le détachement d’un éclat entraînant sur l’os
une perte plus ou moins importante de matière. Ces stigmates sont fréquemment associés aux
différentes marques décrites ci-dessus, que ce soit sur l’os spongieux ou l’os compact (Planche
2, Photo 6). Lorsque ces éclats ont une extension importante et que les stigmates de contact sont
très superficiels, nous les avons considérés comme un type de marque à part entière (Planche
2, Photo 7) ;
• une fissuration et un fendage : fissuration de l’os, sans perte de matière. Elle concerne tous
les types d’os quelle que soit l’épaisseur de la corticale. À la suite de l’observation des os
des grands herbivores, nous avons considéré que la fissuration était un phénomène secondaire
fréquemment associé à un impact, mais qu’il n’entrait pas dans la description des stigmates
produits par l’impact puisqu’il pouvait aussi être le résultat du séchage de l’os ;
• une dislocation : des fragments sont détachés. Ce type de stigmates observé et illustré par
P. Morel (1991, 1993) est enregistré sous fissuration par Pétillon et Letourneux (2003 : Fig.
7). Nous ne l’avons retenu que pour les cas où les os avaient été sectionnés en deux parties,
conservées séparément après séchage (Planche 2, Photo 8).
4. Examen des impacts sur les os de grands herbivores
4.1. Tirs sur une carcasse de vache
L’expérimentation a eu lieu en avril 1995 pendant une durée de quatre jours sur une vache
adulte. Le temps était très frais (gel en fin de journée). L’animal était suspendu en position
anatomique par une potence. Les tirs ont respecté les règles expérimentales de régularité des
paramètres notamment concernant le mode de montage, le poids des projectiles, l’énergie du
tir. Le principal lot de projectiles était constitué de pointes à cran de type Solutréen façonnées
par S. Maury et J. Pelegrin. La majorité a été tirée au propulseur (50) ou plus précisément par
une baliste préalablement paramétrée à partir de tirs réels, et une partie (24) avec un arc en if.
L’expérimentation a été complétée par le tir de huit feuilles de laurier, de six pointes à face plane
tirées à l’arc et au propulseur et de trois pointes de la Gravette tirées au propulseur. Enfin, une série
de sagaies de type Aurignacien a été tirée sur la face opposée, principalement sur l’omoplate ;
nous n’analyserons pas le résultat de ces derniers tirs ici.
Chaque pointe a été tirée sur la carcasse jusqu’à ce qu’elle se brise de façon significative.
Lorsque les dégâts étaient jugés trop limités (enlèvement distal de 2 ou 3 mm), les pointes étaient
tirées à nouveau parfois après une légère reprise de la pointe. Il en résulte que certaines pointes ont
pu faire plusieurs dégâts et que les fragments d’une même pointe peuvent se trouver à plusieurs
endroits. Au contraire, dans de rares cas, plusieurs pointes ont pu heurter l’os dans un même point.
Pour P. Morel : il n’y a pratiquement que des éclatements et des implantations, lesquels se
trouvent parfois combinés. Il semble impossible de disloquer un os long de grand ruminant
adulte avec des projectiles tels que les pointes à cran. On observe une nouvelle forme
d’impacts : enlèvement d’éclats autour du point d’impact ; il s’agit d’une forme « avortée »
d’éclatement d’os ; « pastilles » d’environ 1 cm sur les os longs. Les fissurations sont très
rares et ne concernent que les bords des os plats. Le fendage d’un os par le milieu n’est
pas observé, même pas sur les côtes. Les insertions, les plus susceptibles de se conserver
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Tableau 1
Distribution des différents types de stigmates sur les principales régions du squelette de vache selon la typologie des
marques proposée par P. Morel
Table 1
Distribution of the different types of stigmata on the principal zones of the cow skeleton according to the typology of
marks proposed by P. Morel
Vertèbres
Raclement
Écrasement
Éclatement
Fissuration seule
Implantation
Perforation
Total
1
6
Côtes
Ceintures
6
1
17
11
3
1
15
1
2
3
1
11
1
14
48
18
Os longs
4
1
5
Total
Pourcentage
20
24
5
1
32
3
23,5
28,2
5,9
1,2
37,6
3,5
85
100,0
en contexte archéologique, sont beaucoup plus fréquentes que pour les petits ruminants
(Morel, 1995).
Notre analyse des os des grands herbivores confirme ces observations et permet de préciser
certains points (cf. classification ci-dessus).
P. Morel avait compté 67 impacts, mais aucune note n’a été retrouvée concernant le détail de
cette analyse. Nous avons repris l’étude et trouvé 85 impacts que nous avons enregistrés selon
le même code. Toutefois, il apparaît que raclements et éclatements n’ont pas été comptés de la
même façon. En effet, P. Morel considère les impacts ponctuels — ou écrasement — tantôt comme
faisant partie des raclements (1991) tantôt comme relevant des éclatements (« pastilles de 1 cm »
en 1995). Pour résoudre ce problème, nous avons développé un nouveau code d’enregistrement
des stigmates qui a été utilisé lors de l’expérimentation sur le cheval.
Les tirs ayant surtout concerné le gril costal, les impacts se retrouvent logiquement concentrés
sur cette partie du squelette (Tableau 1). Certaines distorsions entre l’enregistrement des tirs et
les observations ostéologiques s’expliquent de deux manières déjà évoquées : certaines cassures
de pointe ne sont pas reliées à un impact sur l’os et certaines traces sur les os correspondent à
plusieurs tirs.
4.2. Tirs sur une carcasse de cheval
La dernière expérimentation a eu lieu en avril 2000 sur un cheval adulte, par un temps plus doux,
dans des conditions expérimentales basées sur les mêmes principes que les précédentes. Sur les 140
pointes à cran tirées (Fig. 1), 133 ont été cassées sur de l’os (Fig. 2). Il faut y ajouter 17 pointes composites constituées de lamelles à dos disposées sur deux fentes latérales de sagaies en bois de renne.
Nous avons observé 126 stigmates d’impacts sur les os du cheval. Cette valeur est assez
proche du décompte des tirs avec bris de pointes relevé lors de la séance expérimentale. Toutefois,
compte tenu des conditions d’expérimentation (nombre élevé de tirs sur une partie restreinte d’une
carcasse, utilisation d’une baliste paramétrée, déchirement ponctuel de la peau d’un cadavre
partiellement rigide en fin de journée), il est probable que certains stigmates correspondent à
deux pointes qui ont pénétré par le même orifice et que certaines pointes se sont brisées sur un
fragment de la pointe précédente. Inversement, certaines marques qui paraissent doubles peuvent
résulter de la fracturation d’une partie du projectile en un point de la surface osseuse alors que le
reste poursuivait son chemin pour produire un impact éloigné de plusieurs millimètres, comme
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Fig. 1. Expérimentation sur une carcasse de cheval ; distribution des tirs d’après les fiches d’enregistrement.
Fig. 1. Experimentation with a horse carcass; distribution of the shots according to the recording sheets.
nous l’avons fréquemment observé lors des tirs. Dans la mesure du possible, nous avons tenté de
distinguer les impacts multiples, mais certains cas complexes ont pu être mal interprétés (moins
de cinq probablement).
Pour décrire les stigmates d’impact, nous avons utilisé la nouvelle dénomination présentée
ci-dessus. Les impacts observés sont nombreux sur les os longs (Tableau 2). Même si ces parties
du squelette sont peu recherchées lors la chasse et que les os longs font l’objet d’une exploitation
qui peuvent les masquer, l’examen de ces parties du squelette permet de caractériser la nature des
marques sur l’os compact et de mieux comprendre les traces variées, observées archéologiquement
en petites quantités, qui ne semblent pas correspondre à la découpe ou à la fracturation des os à
moelle.
Les vertèbres et les os des ceintures portent surtout des coupures et des implantations ; les côtes,
des éraflures ; enfin, les os longs portent surtout des stigmates d’écrasement, des implantations et
des éraflures. Sur les sept impacts observés sur le crâne, seule l’éraflure pourrait avoir une chance
(assez faible) d’être préservée archéologiquement.
4.3. Observations ponctuelles
Des morphologies particulières peuvent être observées occasionnellement. Leur examen permet de mieux appréhender la nature des impacts et leurs conséquences ou les particularités
balistiques du tir.
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Fig. 2. Expérimentation sur une carcasse de cheval ; distribution observée des impacts.
Fig. 2. Experimentation with a horse carcass; observed distribution of impacts.
La fréquence des fissures est loin d’être négligeable surtout si l’on examine les impacts
à la loupe. Elles peuvent être identifiées sur un quart des impacts, quel que soit le type de
tissu concerné (Tableau 3). Il est probable que d’autres apparaîtront au cours de l’épigénie
de l’os.
Tableau 2
Inventaire des types d’impacts observés sur les os d’un cheval
Table 2
Inventory of the types of impacts observed on the horse bones
Éraflure
Coupure
Écrasement
Implantation
Perforation
Complexe
Éclat seul
Fissuration seule
Dislocation seule
Total
1a
1b
1c
2a
2b
2c
3a
3b
3c
Vertèbres
Côtes
Ceintures
2
16
2
13
7
11
5
1
2
12
3
5
7
1
1
2
Os longs
9
10
11
1
1
2
2
44
21
29
32
Total
Pourcentage
Crâne
34
24
18
33
9
4
2
0
2
27,0
19,0
14,3
26,2
7,1
3,2
1,6
0,0
1,6
1
1
126
100,0
7
5
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Tableau 3
Fréquence de la fissuration due aux impacts sur les os de cheval
Table 3
Frequency of cracking due to impacts on the horse bones
Vertèbres
Côtes
3
Ceintures
Os longs
7
1
22
23
8
92
18,7
6,5
74,8
30
123
100,0
Fissures visibles
Micro-fissures
Pas de fissures
8
4
30
17
5
3
23
Total
42
20
31
Total
Pourcentage
Certains os minces comme les vertèbres et la scapula montrent des détachements partiels
d’éclats qui s’écartent à la fois vers l’intérieur de la carcasse (direction du projectile) et vers
l’extérieur (origine du projectile). Il faut donc être prudent dans l’interprétation de la direction de
l’impact sur la base de la seule observation des éclats partiellement détachés.
La morphologie de la pointe pénétrant dans l’os peut être observée grâce à plusieurs types de
contours (Tableau 4). Le cas le plus simple correspond aux pointes dont une portion significative
est conservée fichée dans l’os. Lorsque la largeur de la pointe (ou la longueur de la cicatrice
produite) dépasse 6 mm, elle commence à être identifiable. Le contour de l’apex peut alors être
rapproché de celui de la pointe supposée, c’est-à-dire ici des pointes à cran de type solutréen
(Planche 2, Photo 4). Les négatifs des pointes, dans le cas de perforations, sont également faciles
à attribuer. Ces deux catégories constituent un tiers des impacts observés. Coupures et raclements
permettent d’identifier des pointes en silex tranchantes qui peuvent être des pointes solutréennes,
mais aussi les autres projectiles utilisés au Paléolithique supérieur (pointes de Châtelperron et de
la Gravette, lamelles à dos montées sur sagaies en bois de cervidé, etc.). Un autre tiers des marques
correspond à cette possibilité. Les raclements les moins profonds produisent des stries larges qui
peuvent être confondues avec celles produites par un couteau de silex fortement appuyé ou un
coup de hache. Enfin, dans 21 % des cas, les marques pourraient être interprétées comme le résultat
de contact avec un outil lithique par percussion posée ou lancée : pointe de projectile lithique,
perçoir, couteau de silex, de quartzite, voire de calcaire. La justification technique de certaines
de ces marques serait alors obscure (pourquoi appuyer fortement sur un couteau dans certaines
parties du squelette là où cette action n’est justifiée ni par la boucherie ni par la préparation de
supports pour l’industrie osseuse ou la production symbolique ?).
Tableau 4
Tirs sur des carcasses de cheval ; conservation de traces diagnostiques sur les os du squelette postcrânien
Table 4
Shots on horse carcasses; preservation of diagnostic traces on the bones of the postcranial skeleton
Vertèbres
Morphologies diagnostiques
Pointes conservées
Pointe solutréenne
Pointe tranchante
« Strie large »
Sagaie
Autre objet pointu
Non diagnostic
Implantation
Petits fragments
Total impacts
17
18
1
8
13
5
44
Côtes
Ceintures
Os longs
Total
Pourcentage
2
9
8
8
10
2
1
12
9
2
1
2
4
20
9
7
7
30
9
11
8
32
39
46
12
1
1
27
33
24
126
31,0
36,5
9,5
0,8
0,8
21,4
26,2
19,0
100,0
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Enfin, un examen attentif des impacts montre que 45 % de ceux-ci conservent au moins un petit
fragment de pointe inséré (Tableau 4), les grands fragments plus ou moins identifiables comptant
pour 26 % du total et les petits fragments inférieurs à 3 mm pour 19 %. C’est d’ailleurs sur les os
longs que cette proportion est la plus forte (59 %). En général, ces fragments sont plus ou moins
incrustés dans l’os et il est probable qu’une partie non négligeable se désolidariserait au cours de
la fossilisation rendant, ainsi, l’identification des impacts difficile sinon impossible.
À titre anecdotique, signalons une fissuration observée autour d’un fragment de pointe fiché
dans la diaphyse d’un fémur de cheval qui semble indiquer un mouvement de rotation de la pointe
sur elle-même ; l’os a enregistré, par sa fissuration en spirale, cette énergie cinétique parasite du
tir (Planche 2, Photo 9).
4.4. Comparaison et lisibilité archéologique des impacts sur grands ongulés
Les protocoles du programme expérimental, centrés sur le mode de cassure des pointes, font
que les comparaisons interspécifiques des stigmates doivent être réalisées avec prudence puisque
les conditions de tir introduisaient plusieurs variables : arc ou propulseur, pointes à cran ou
composites. Les régions anatomiques visées ont également varié. Malgré cela, il existe une réelle
homogénéité des observations due à l’utilisation d’une grande proportion de pointes à cran,
une énergie cinétique variant assez peu et des tirs orthogonaux sur la partie haute de carcasses
suspendues.
Pour ces deux espèces de grande taille, on peut retenir une forte proportion d’implantations
et de perforations, l’abondance des coupures de bordures et des écrasements avec microimplantations au point d’impact. En revanche, les raclements et les fissurations sont plus rares
et fréquemment associés à d’autres stigmates qui retiennent plus volontiers l’attention.
Les côtes de cheval, étroites et au profil arrondi, constituent un rempart moins efficace que
celles de vache qui sont plates ; leur nombre n’a pas d’influence. Le tir sur le gril thoracique afin
de traverser les côtes est donc possible pour la première espèce et peu efficace pour la seconde.
Un exemple témoigne de cette différence de conformation squelettique : la carcasse d’aurochs
trouvée dans le Mésolithique du site de Vig dans l’île de Sjaelland au Danemark étudiée par
N. Noe-Nygaard. Le squelette de cet aurochs a été retrouvé entier sans traces de découpe.
Une côte portait un impact cicatrisé. Deux autres impacts, sur une côte et sur une scapula, ont
été produits au cours d’une seconde chasse qui a entraîné la mort de l’animal après un temps
suffisamment long pour que les chasseurs aient abandonné la poursuite, mais insuffisant pour
qu’un cal osseux se soit formé (Noe-Nygaard, 1973, 1974). Bien que le tir à travers les côtes
ne soit pas le plus efficace à la chasse, particulièrement avec des projectiles préhistoriques, la
surface du gril est suffisamment étendue pour que nombre de projectiles s’y trouvent concentrés.
L’examen de cette partie du squelette ne doit pas être négligé. L’horizontalité de la partie
supérieure des côtes entraîne une abondance de raclements et la section plate de la partie verticale
donne naissance à de nombreuses coupures. Les implantations de pointes sont rares. Lorsque
l’impact est localisé au milieu de la face latérale, une cassure en deux morceaux est possible. Par
conséquent, le tir sur les côtes génère, plus que sur toute autre partie du squelette, une gamme
variée de stigmates qui peuvent être confondus avec ceux laissés par d’autres gestes techniques.
4.5. Comparaisons avec les petits ruminants
Les tirs réalisés de 1987 à 1990 sur des carcasses de chèvres concernaient en priorité le tronc
(squelette axial et os des ceintures) ; peu d’informations ont été recueillies pour les os longs des
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Tableau 5
Inventaire des types d’impacts observés sur les os de petits ruminants (document P. Morel)
Table 5
Inventory of the types of impacts observed on the bones of small ruminants (document P. Morel)
Vertèbres
Côtes
Ceintures
Os longs
Autres parties
Raclement
Éclatement
Fissuration
Implantation
Perforation
16
20
8
21
10
56
36
3
10
7
3
4
3
7
12
4
4
2
6
2
1
Total
75
112
29
18
5
4
Total
Pourcentage
80
64
16
48
31
33,5
26,8
6,7
20,1
13,0
239
100,0
membres plus difficiles à viser (Tableau 5). P. Morel observe beaucoup plus de raclements et
d’éclatements que d’implantations et de perforations (Morel, 1991, 1993, 2000). Cette distinction
est à mettre sur le compte de la différence de taille des carcasses.
Ainsi que le souligne P. Morel, à la différence de ce qui peut être observé pour les petits ruminants, « la probabilité de tuer ou blesser un animal de grande taille en touchant les parties osseuses
est pratiquement nulle » (Morel, 1995). Les os des grands mammifères, plus résistants, se brisent
beaucoup moins sous l’impact ; ils ont donc beaucoup plus de chances de conserver des stigmates
d’impacts. Les enlèvements d’éclats, très caractéristiques, peuvent se faire sans affaiblissement
de l’os et se conserver. Sur l’os compact, des micro-implantations (liées aux écrasements) diagnostiques peuvent être préservées, ce qui n’était que rarement le cas chez les petits ruminants.
Enfin, sur l’os spongieux, la pénétration de pointes de projectiles ne constitue pas forcément une
cause d’affaiblissement de l’os touché ; les implantations sont moins fréquemment associées à
une fissuration (avant diagenèse). Ces différentes observations indiquent que, pour de multiples
raisons, les os de grands mammifères sont susceptibles de conserver un plus grand nombre de
stigmates d’impact interprétables ainsi qu’une proportion qui reste à préciser d’impacts cicatrisés.
5. Transfert à l’archéozoologie : conservation des traces d’impacts
Pétillon et Letourneux (2003 : p. 180) considèrent que l’absence des stigmates sur les os archéologiques est surprenante ; ils dressent néanmoins une liste des causes de cette absence dans laquelle
ils reprennent des arguments développés par P. Morel (1991, 1993, 2000) et en introduisant
d’autres :
• les impacts sur l’os ne sont pas recherchés lors de la chasse. On peut raisonnablement penser
qu’ils sont même évités, y compris lorsqu’il y a utilisation de poison. Le gril costal et l’abdomen
sont des régions du squelette prioritairement recherchées. Les fractures de pointes y sont moins
fréquentes qu’au contact des os plus volumineux des membres ;
• les expérimentations sont réalisées sur des animaux préalablement abattus, immobiles et avec
une réaction des tissus qui n’est pas celle d’un animal vivant (rigidité) ;
• les os percutés par des pointes de projectiles sont fragilisés et susceptibles de se briser autour
des points d’impacts. C’est une opinion de P. Morel qui ne convainc pas totalement Pétillon et
Letourneux (2003 : p. 181) ;
• les os qui portent les traces les plus remarquables, les os spongieux des vertèbres et des extrémités articulaires, sont ceux qui subsistent le moins dans les séries archéologiques, que ce soit pour
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des raisons d’origine anthropique (fracturation, combustion) ou de conservation différentielle
(faible densité, rapport surface/volume défavorable) ;
• dans la majorité des sites du Paléolithique supérieur, les os longs sont systématiquement brisés
pour permettre l’accès à la moelle, ce qui a pour effet d’effacer un grand nombre de stigmates
sur l’os cortical ;
• la récupération volontaire des pointes efface les implantations (incrustations) ;
• certaines traces postérieures à la chasse, causées par l’homme ou des phénomènes postdépositionnels, peuvent être confondues avec des traces d’impact, elles ne sont donc pas retenues
comme preuves d’impact.
Ces remarques parfaitement fondées correspondent à nos propres conclusions. Nous y apportons les précisions suivantes concernant la fissuration des os percutés. En effet, la fragilisation des
os suite à l’impact et leur cassure préférentielle nous semble constituer un élément particulièrement important. Notons au préalable que les expérimentations observées par P. Morel se faisaient
avec des projectiles à tranchant latéral (surtout des pointes à cran) susceptibles de fissurer les os
alors que les projectiles utilisés par Pétillon et Letourneux (sagaies aurignaciennes) favorisaient
plutôt les incrustations avec une fissuration moindre.
Pour les petits ongulés ou les individus très jeunes, des impacts avec une énergie cinétique
comparable à celle utilisée lors de tirs sur des carcasses de grands herbivores, doivent sérieusement
endommager leurs os bien moins résistants. Sur le squelette de cheval, un quart des impacts
conservés est associé à une fissuration. D’autres pourraient logiquement apparaître sur les os
les plus fragiles, au cours de la fossilisation. Une partie des impacts pourrait par conséquent
disparaître. Il est, toutefois, vraisemblable que la majorité des stigmates observés ne sera jamais
associée à une fissuration pouvant favoriser l’éclatement de l’os. La conservation des impacts sur
les os de grands ongulés doit donc être bien supérieure à ce que l’on doit attendre pour les petits
ongulés. En résumé, la rareté des stigmates significatifs dans le matériel archéologique ne nous
semble pas surprenante, particulièrement pour des ongulés de taille inférieure ou égale au renne,
compte tenu de la fragilisation des os par les impacts et les destructions différentielles dues à
l’homme et aux processus de fossilisation. Pour les animaux de la taille du renne ou plus petits,
il est ainsi plus profitable de chercher les traces d’impact sur les bords des faces de fractures que
sur les surfaces intactes de l’os.
6. Bilan et perspectives
L’analyse des squelettes utilisés dans le cadre du programme expérimental « technologie fonctionnelle des pointes solutréennes » apporte des précisions sur la nature des impacts produits lors
de la chasse et sur leur possibilité d’identification en contexte archéologique. Ainsi, la fréquence
des différents types de stigmates varie sensiblement en fonction de la taille des espèces. S’y
ajoute une grande différence de proportion des stigmates susceptibles de se préserver. En effet,
une grande partie des traces observées ne se conserve pas en contexte archéologique, surtout pour
des espèces de petite taille dont les os se fendent plus facilement à l’impact, lors de l’exploitation
des carcasses ou durant la fossilisation. Elles ont, en revanche, plus de chances de se conserver
pour les grands herbivores, pour plusieurs raisons :
• l’os résiste plus facilement à un impact ;
• les morphologies des stigmates dus à l’impact sont plus faciles à identifier ;
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• les préhistoriques ont brisé les os de ces espèces en fragments de petites dimensions ;
• certains archéozoologues n’observent que les fragments aisément déterminables donc de
grandes dimensions ;
• la fissuration fréquemment associée aux implantations et aux perforations est susceptible de
faire disparaître ce type de traces, alors que les raclements sont plus difficiles à identifier, mais
se conservent mieux.
On constate aussi qu’au sein d’une même classe de taille, quelques différences apparaissent en
fonction de la morphologie du squelette. Ainsi, le tir dans les flancs du cheval devrait engendrer
sensiblement plus d’impacts lisibles que le tir sur les flancs des bovinés.
Un impact de projectile a été observé dans le Solutréen de Combe Saunière sous la forme d’un
petit éclat de silex planté dans le tubercule supraglénoïdal d’une scapula de cheval (Castel, 1999).
Cette unique trace est à mettre en rapport avec le nombre d’animaux abattus ; le NMI donne une
valeur de 51 ongulés. La majorité du gibier est constituée d’espèces de taille inférieure ou égale
au renne, moins propices à la préservation des impacts. En revanche, la présence des carcasses
d’au moins quatre chevaux, deux bisons et un cerf est à mettre en relation avec cette unique
identification.
Dans les gisements du Paléolithique moyen et supérieur dont nous avons examiné la faune
et pour lesquels le renne domine toujours largement, aucun impact de projectile n’a été trouvé.
La rareté de mentions dans les études anciennes n’est donc pas seulement due à une absence
de regard avisé. Au contraire, pour nombre de chercheurs, les stigmates les plus caractéristiques
n’auraient pas manqué de susciter leur intérêt et ils n’auraient pas hésité à suivre l’exemple de
Lartet en valorisant ce fait ponctuel, mais révélateur.
Un des intérêts de la présente étude est de permettre l’identification d’une gamme de stigmates jusqu’alors peu interprétés du fait de la possible confusion avec le résultat d’autres types
d’interventions humaines sur les carcasses et leurs os. L’étude des stigmates d’impacts de pointes
de projectiles constitue un des moyens d’appréhender la chasse. Dans le Paléolithique d’Europe
occidentale, les observations demeurent, cependant, trop ponctuelles et n’autorisent que des
remarques anecdotiques. En revanche, dans le postglaciaire de plusieurs régions d’Europe, avec le
développement de milieux favorables à une conservation exceptionnelle des vestiges, comme les
milieux lacustres ou tourbeux, la constitution de corpus exploitables pour préciser les objectifs
et les modalités des chasses devrait permettre de s’échapper de l’information anecdotique. Le
meilleur exemple est donné par les niveaux arhensbourgiens du site de Stellmoor où l’observation
d’une trentaine d’impacts couplée à une reconstitution précise des paléoenvironnements a permis
de reconstituer certains aspects d’une chasse saisonnière en masse du renne (Bratlund, 1991).
Espérons, toutefois, que le Paléolithique supérieur de l’Europe plus méridionale fournisse un jour
de telles informations.
Remerciements
La présente étude est le fruit du travail d’équipe de TFPS composée de H. Plisson, J.-M.
Geneste, J.-P. Chadelle, S. Maury, P. Morel, et ses collaborateurs occasionnels, J. Brunet, F.
Chaptal, V. Guillomet-Malmassary, H. Knecht-Katz, M. O’Farrell, J. Pelegrin. Je remercie tout
particulièrement H. Plisson et J.-P. Chadelle qui ont accepté de relire cette contribution. Les
expérimentations ont pu se dérouler dans de bonnes conditions grâce aux services vétérinaires
de la Dordogne et au personnel du Parc du Thot. Je remercie enfin F. Marteau, infographiste du
MHN de Genève pour la mise en forme de l’illustration.
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