L`anniversaire, les bougies et le souffle

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L`anniversaire, les bougies et le souffle
L’anniversaire, les bougies et le souffle -
Xavier Thévenot
Côté Soleil, No 169 de mai 2010
Ensemble Paroissial : Saint-Maurice – Notre-Dame Saint-Alban, archidiaconé de Saint-Jean.
Aujourd’hui, anniversaire d’un proche. Occasion de
réfléchir sur un rite devenu commun à toutes nos
sociétés occidentales : celui du gâteau orné de bougies
allumées, offert à la fin du repas. Rite qui peut sembler
ridicule, quand on le considère superficiellement, mais
qui, en réalité, est beaucoup plus subtil qu’on ne
l’imagine. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre les
cris de joie et les applaudissements qui fusent lorsque
le héros du jour a réussi à éteindre les bougies.
Témoignages d’admiration qui sont, avouons-le,
totalement hors de proportion avec l’«exploit» réalisé !
La raison en est sans doute que ce rite, loin d’être
anodin, conduit le sujet à vérifier, chaque année, son rapport au souffle, c'est-à-dire, en
définitive, son rapport à la naissance et à la mort. Chacun sait, en effet, que la vie dans le
monde se déroule entre deux souffles : le premier qui s’accompagne du cri rassurant de
l’enfant nouvellement mis au monde, le dernier qui est un des signes que l’«on quitte ce
monde». Chacun sait également que bien respirer, c'est-à-dire avoir un bon souffle, est un
gage de bonne santé.
[…]Plus les années passent, plus le gâteau d’anniversaire se garnit d’un grand nombre de
bougies, cherchant ainsi à signifier à celui qui est au centre des regards : «Ta naissance a
été pour nous une bonne nouvelle, et ta vie d’aujourd’hui est importante pour nous qui te
fêtons!»
Mais, en vérité, le héros de la fête se voit contraint par ce «fichu gâteau» à reconnaître, et
si possible avec un grand sourire, ses ambivalences vis-à-vis de son âge ! Bien plus, il se
voit obligé de tester publiquement, dans des conditions de plus en plus difficiles, la qualité
de son souffle.
On peut d’ailleurs remarquer que, depuis quelque temps, notre société «triche» avec le rite,
en mettant des bougies qui ont la forme d’un chiffre ! C’est bien le signe que ce rite festif
peut être lu comme une épreuve ; une épreuve accompagnée cependant d’une promesse
qui l’adoucit. Il cherche, en effet, à transmettre à la personne fêtée le message suivant :
« Prendre le temps de considérer ton devenir, et notamment ton passé, même si celui-ci a
été en partie éprouvant. Aujourd’hui, ces bougies soulignent que ton itinéraire a contribué à
éclairer ton entourage, malgré les zones d’ombre qu’il a inévitablement comportées. Elles te
montrent aussi que, plus les années passent, plus il est difficile «d’éteindre» ta propre
histoire, c’est à dire de faire comme si elle n’avait pas existé. Tu dois l’assumer comme
tienne, avec ses contradictions mêmes. Compte sur le souffle qui t’anime pour aborder ton
avenir, même si tu le sais marqué par l’horizon de la mort. Nous te promettons d’être avec
toi dans cette démarche !»
[…]Chrétien, le gâteau d’anniversaire me donne aussi à penser. Par-delà la sollicitation du
souffle auquel il est destiné, ne porte-t-il pas des flammes lumineuses ?
Souffle et lumière ! Ces deux mots sont au tout début du récit de la création en Gn 1: «Au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était un tohu-bohu, les ténèbres
couvraient l’abîme, le souffle de Yavhé planait sur les eaux. Dieu dit: «Que la lumière soit»,
et la lumière fut» (Gn 1, 1-3).
Souffle et lumière ! Ces deux mots sont aussi au tout début de la «re-création» de la
communauté chrétienne, opérée par Dieu le jour de la Pentecôte: «Ils virent apparaître des
langues qu’on eût dites de feu […] Tous furent alors remplis du souffle saint» (Ac 2, 3-4).
[…]Le rite de nos anniversaires humains ne peut-il pas évoquer ces commencements opérés
par Dieu, ou au moins le fondement divin de nos êtres personnels ?
[…]Cela me conduit à méditer sur le fondement, non seulement, de mon être vital, mais
aussi de l’histoire que ma liberté a, pour une part, écrite. Je découvre, une fois de plus, avec
le même étonnement, que ce fondement n’a rien de la dureté d’un rocher, mais réside dans
l’impalpable d’une Parole et d’un Souffle divins. Ainsi, ma solidité n’existe que grâce à la
«fluidité» de l’Être de Dieu. Elle est ce «je-ne-sais-quoi» qui, arrimé à un mouvement de
liberté, celui de Dieu, me permet d’ouvrir une histoire neuve !
Extrait de "Avance en eau profonde" DDB/Cerf – 1997