Ouest-France, 18 janvier 2016
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Ouest-France, 18 janvier 2016
les Patriotes corses ont deux ans pour convaincre Les nouveaux maîtres de l’assemblée régionale, le tandem Siméoni-Talamoni, exclut de lancer un processus d’accès à l’indépendance. Au grand soir, ils préfèrent les petits pas négociés. Rues jonchées de tas d'ordures, ports encombrés de ferries en grève... C'est un début de mandat compliqué qu'ont affronté les nationalistes portés en décembre à la tête de la Corse. En fin de semaine dernière, le ramassage des déchets a repris. Et des négociations ont démarré dans un bon climat avec les syndicats du transport maritime. De quoi faire taire ceux qui daubaient sur leur manque d'expérience. Dans deux ans, de nouvelles élections auront lieu pour mettre en place la Collectivité unique, voulue par la loi Notre. Le délai est court pour imprimer sa marque. Surtout en disposant d'une aussi faible majorité : 24 conseillers sur un total de 51. L’assemblée corse à Ajaccio, avec à droite : en haut Jean-Guy Talamoni et en bas Gilles Siméoni. Achats de terrain : priorité aux résidents ? Clientélisme, petits arrangements entre amis, passe-droits... Les nouveaux élus veulent d'abord en finir "avec un système archaïque qui a fait, et continue de faire, beaucoup de mal à la Corse". assure Gilles Simeoni, président du conseil exécutif. Jean-Guy Talamoni, président indépendantiste de l'assemblée, rêve d'une "maison de cristal" pour l'attribution des subventions ou la passation des marchés publics. "Nous allons remettre de la transparence et de la démocratie dans le fonctionnement de la collectivité territoriale". promet-il. Second chantier ; "Faire respecter par Paris les délibérations de l'Assemblée de Corse", votées du temps de la présidence de Paul Giacobbi (DVG). À commencer par le "statut de résident" qui réserverait l'achat d'un terrain ou d'une maison aux personnes habitant l'île depuis plus de cinq ans. La mesure est destinée à stopper l'envolée des prix, devenus inaccessibles à la classe moyenne depuis que l'île s'est muée en villégiature à la mode pour continentaux fortunés. Mais elle se heurte au principe d'égalité pour l'accès à la propriété. Amnistie demandée pour les prisonniers politiques L'assemblée a aussi voté pour que le corse devienne la deuxième langue officielle. Pour que l'île dispose d'un statut fiscal spécifique, d'un pouvoir législatif véritable. Et que l'amnistie soit accordée à tous les prisonniers politiques, Yvan Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, compris. La méthode sera celle d'un "dialogue respectueux avec Paris", explique Gilles Simeoni. Premières discussions aujourd'hui avec la rencontre avec Manuel Valls. à qui le terme de "peuple corse" écorche les oreilles. Jean-Guy Talamoni se veut toutefois optimiste : "Je n'imagine pas que Paris ne tienne pas compte de la démocratie qui s'est exprimée en Corse. S'il le faut, nous saisirons l'opinion internationale". La mise en place d'une assemblée unique, dans deux ans, est perçue comme une opportunité vers davantage d'émancipation. Mais le contrat de mandature signé par les partenaires nationalistes est clair sur ce point : pas question d'imiter la Catalogne ou l'Ecosse. Aucun processus d'indépendance ne sera lancé. Pour autant, Jean-Guy Talamoni ne renie rien de son idéal. Sa stratégie est celle d'une progression par étapes, commençant par l'obtention d'un statut le plus à part possible. Il lui faudra aussi convaincre ses propres concitoyens : sept Corses sur huit sont opposés à l'indépendance. (d’après Marc Mahusier, Ouest-France, 18 janvier 2016) Une assemblée et un conseil exécutif La Corse dispose d’un statut territorial à part. L'Assemblée de Corse, présidée par Jean-Guy Talamoni, délibère sur la carte scolaire, la construction de bâtiments universitaires, le tourisme, l'agriculture… Le conseil exécutif (composé de neuf membres issus de l'assemblée) est chargé de faire exécuter ces décisions. En janvier 2018, une collectivité unique de Corse sera créée et remplacera l'assemblée de Corse et les deux départements. Les thèmes "nationalistes" se banalisent Les nationalistes ont gagné les élections à la faveur d’une quadrangulaire. Cela a-t-il été décisif ? Au premier tour il y avait cinq listes de gauche. Les trois qui ont été éliminées ont refusé d'appeler à voter pour les deux restantes qui avaient fusionné. Des procédures judiciaires étaient en cours contre M. Giacobbi, le président sortant, et plusieurs de ses proches. À droite, la liste officielle et la liste dissidente ont fusionné mais cela manquait de sincérité. Et le Front national, qui avait dépassé la barre des 7 %, a pu se maintenir, ce qui n'était pas arrivé depuis 1992. Mais plusieurs enquêtes montrent aussi que les thèmes nationalistes gagnent du terrain, se banalisent. Par exemple, 62 % des Corses seraient favorables à un statut d'autonomie. Les électeurs nationalistes que l’on interroge disent avoir voulu sanctionner les échecs de la droite puis de la gauche. Le vote de rejet existe. Il est significatif mais impossible à quantifier. Ce n’est qu’une partie de l’explication. La qualité du leader, Gilles Siméoni a joué. Il a du charisme, il est resté ferme sur les thèmes historiques du nationalisme, tout en se montrant ouvert. Le fait d’être maire de Bastia lui a donné de la crédibilité. L'annonce par le FLNC de l'abandon de la lutte armée a rassuré, aussi. Les nationalistes ont réussi à séduire bien au-delà de leur électoral. Même des continentaux récemment installés en Corse ont voté pour eux. La fusion des listes autonomistes et indépendantistes a-t-elle bien fonctionné ? Oui, cela n'était pas acquis a priori. Des indépendantistes ont fait campagne pour des candidats autonomistes souvent jugés trop tièdes. Et vice-versa. La mobilisation militante a été extrêmement importante. Beaucoup de jeunes se sont engagés aux côtés des nationalistes, qui ont nettement mieux utilisé que les autres les réseaux sociaux. (questions posées à André Fazi, professeur de sciences politique à l’université de Corte)