UNE CHANSON POUR MOI Par Arnaud Spick

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UNE CHANSON POUR MOI Par Arnaud Spick
UNE CHANSON POUR MOI Par Arnaud Spick-­‐Saucier Travail présenté à André Lambert Analyse populaire 1 MUS 3810-­‐30 Université du Québec à Montréal 1 décembre 2011 Informations relatives au matériel analysé Nom de la pièce : Une chanson pour moi Auteur/compositeur : Daniel Bélanger/Daniel Bélanger Exécutant : Daniel Bélanger Musiciens : Daniel Bélanger (guitare acoustique, flûte traversière et échantillonnage), Alain Quirion et Alain Bergé (batterie), Jean-­‐François Lemieux (basse), Christian Paré (percussions), Guy Kaye (guitare), Maxime St-­‐Pierre(trompette), Kelsley Grant (trombonne), Jean-­‐François Ouellet (Flûte), Carl Bastien (Basse et piano). Arrangements : Daniel Bélanger Réalisation : Carl Bastien et Daniel Bélanger Mixage : Paul Pagé, Carl Bastien, Michel Bélanger, Daniel Bélanger et Louis Legault Pochette : Martin Larouche et Achile Cassel Catégorie : Francophone Numéro de disque : ADCD-­‐10150 Cie de Disque : Les Disques Audiogramme inc. Tempo de la pièce : 129 à la noire Métrique : 4/4 Tonalité principale : Do mineur Table des matières Introduction…………………………………………………………………………..….1 Partie 1 : Esthétisme ou sens ?.........................................................................2 Partie 2 : «[L]e temps n’est qu’un leurre»………………………..…………..5 Conclusion générale…………………………………………………........................ 9 Bibliographie………………………………………………………. ………………..….11 Annexes……………………………………………………………………………….... ...12 Il y a moins de 3 semaines, on peut dire que j’étais toujours à la recherche de monumentales «erreurs» musicales dans des pièces qui me permettraient de remettre un travail d’analyse béton. Découragé de mes recherches interminables, je me suis résigné au repos paisible dans mon salon, une tisane à la main, en écoutant un de mes disques québécois préférés : Rêver Mieux de Daniel Bélanger. Ne prêtant pas l’oreille à analyser quelconque musique, il n’en reste pas moins qu’un détail, à l’écoute d’une piste, est venu piquer ma curiosité. Dans la pièce intitulée Une Chanson Pour Moi (la 7e piste de l’album), on a droit à une réelle bataille (ou même à une douce cacophonie) de voix qui s’entremêlent et se répondent. Quatre voix, toutes du même porteur (en l’occurrence M. Bélanger), avec divers effets, divers discours et surtout avec un emplacement spatial unique à chacune. Quatre voix, prenant une place assez colossale dans l’instrumentation relativement minimaliste. Au début, on croit en une folie, une névrose ou un concept nébuleux de la part de l’auteur. En s’y penchant juste un peu plus, j’ai cru y voir mon sujet d’analyse me sauter à la figure! En effet, suite à l’écoute de cette œuvre, certains questionnements me sont venus naturellement à l’esprit : 1. Les voix réverbérantes présentes ont-­‐elles un but uniquement esthétique ? 2. Si non, en quoi viennent-­‐elles appuyer ou ajouter quelque chose au texte de la chanson? Esthétisme ou sens ? À première écoute (et depuis des années d’écoute plutôt «passive»), il me semblait tout à fait normal et cohérent d’entendre diverses voix échos rebondissantes dans un Cd de Daniel Bélanger. Effectivement, tout concorde bien avec l’ambiance à la fois sereine et quelques peu ténébreuse donnée à l’album Rêver Mieux. Cependant, contrairement à la plupart des autres pièces qui comportent souvent une voix éloignée énonçant des lignes mélodiques aux voyelles et consonnes aléatoires, la pièce Une Chanson Pour Moi semble avoir une structure spatiale plus complexe et plus élaborée que les autres. Ceci accroît, sans aucun doute, l’importance accordée aux voix lors de l’écoute. Spatialisation des voix1 Ces quatre voix sont facilement identifiables dans l’espace sonore et donc, nous permet d’entendre relativement bien ce qu’elles énoncent. La voix principale, du même coup, la plus puissante en volume (que j’appellerai voix #1), est placée en plein centre du spectre sonore et est près de l’auditeur. Une seconde voix à proximité est perceptible (voix #2). Toujours au centre mais un tantinet moins près ; celle-­‐ci double la voix #1 à l’octave. Pour ce qui en est de la voix #3, elle est située complètement à gauche et n’est plus à proximité (éloignée des deux premières). Cette sensation est due, entre autre, à un effet de réverbération notable. Finalement, la dernière (voix#4) se trouve à être 1 Annexe 1, spatialisation celle qui possède le plus grand facteur d’éloignement à comparer des autres. De plus, elle est balancée à l’opposé de la voix #3 ; c’est à dire littéralement à droite. Ce schéma de spatialisation bien établi permet d’en déduire qu’il y a clairement une recherche d’esthétisme vu la minutieuse disposition des voix dans le spectre sonore. Esthétisme oui, mais peut-­‐on aller plus loin (pour en revenir à notre première question : Les voix réverbérantes présentes ont-­‐elles un but uniquement esthétique?) ? Pour essayer de répondre à cette question, il me semble évident et primordial d’évaluer le discours énoncé par chacune des voix pour ainsi parvenir à y trouver ou non un sens qui outrepasserait l’esthétisme sonore sans finalité en soi (si on peut toujours appeler ça de l’esthétisme!). Discours des voix Il semble bien évident que la voix #1 chante la ligne principale et donc défile le texte dans la manière convenue comme indiqué dans le livret de l’album2. La voix #2 fait de même puisque qu’elle double le même texte que la voix principale, mais une octave au-­‐
dessus. Pour ce faire, Daniel Bélanger chante la même ligne en utilisant sa voix de tête (inverse de la pleine voix où le diaphragme est grandement utilisé pour propulser les sons). Le phénomène intéressant se situe dans les voix #3 et #4 3. La voix #3 dit exactement le même texte que les précédentes, cependant elle le fait avec un long décalage. De façon générale, quand les voix #1 et #2 commencent leur phrase sur le 2 Annexe 2, paroles 3 Annexe 3, structure des voix premier temps d’une mesure, la voix #3 commence la même une mesure plus tard; chevauchant ainsi avec l’arrivée d’une nouvelle phrase des voix #1 et #2. On peut dire que celle-­‐ci agit comme un délai («Delay») appliqué sur ses précédentes. Un délai oui, mais que je qualifierais d’inexact car on entend clairement par des différences rythmiques que le chanteur a bel et bien réenregistré une piste à part et donc a exécuté l’effet du délai par lui-­‐même et non par appareil quelconque. Pour ce qui est de la voix #4, son discours semble à première écoute tout à fait incohérent. Elle ne chante en aucun cas les mêmes mots que les autres voix; excepté dans les refrains. Pourquoi? La raison est simple. Au moment qu’on écoute un peu le texte de celle-­‐ci, la voix #4 énonce le discours du couplet inverse. Pendant que les voix #1, #2 et #3 évoquent le couplet 1 (premier couplet du texte), la voix #4 chante le couplet 2 (deuxième couplet des paroles) et cette situation se perpétue tout au long de la pièce, car la voix #4 évoque le couplet 1 quand les autres chantent le couplet 2. Il n’y a que dans les refrains qu’on a l’impression que les voix chantent le même texte, car les deux refrains dans la chanson sont presque identiques. Cette opposition est sans doute la principale cause du sentiment de petite cacophonie à l’écoute. De plus, cette voix rebelle est aussi décalée des autres; sensiblement comme la voix #3, mais est énoncée plus tôt que celle-­‐ci. Si on résume, l’ordre dans lequel on entend les voix est : voix #1 et #2 ensemble, suivit de la voix #4 qui évoque son texte opposé et finalement suivit de la voix #3 qui répond en écho aux voix initiales (#1 et #2). Voyant ce genre de logique vraisemblablement établie entre les voix, est-­‐il possible d’y trouver un sens ou une signification? La réponse réside fort probablement dans une analyse plus approfondie sur le texte de Daniel Bélanger. « [L]e temps n’est qu’un leurre » Analyser le point de vue du personnage et le régime narratif semble l’option idéale pour bien cerner l’univers dans lequel Bélanger veut nous plonger. Une fois évalué, il nous sera peut-­‐être possible de faire un lien clair avec l’élaboration des diverses voix dans la pièce. Le statut de la parole Tout d’abord, au niveau du point de vue, M. Bélanger parle principalement à la première personne et à la troisième personne. L’auditoire entre littéralement dans l’intimité mentale de l’orateur. Le titre de la chanson est : Une chanson pour moi. Juste avec cette information, il est facile de prédire le point de vue qui sera utilisé. Il décrit une chanson qui lui est en quelque sorte dédié (D. B.) ou du moins au personnage qu’incarne le chanteur dans la chanson («Une chanson pour moi, pour personne d’autre»)2. En soumettant cette courte citation aux questions du statut de la parole (Qui parle de qui ou quoi à qui ?), le point de vue semble s’éclaircir : 2 Annexe 2, paroles «Une chanson pour moi, pour personne d’autre» (a) Qui parle ? Daniel Bélanger, ou le personnage qu’incarne l’auteur. Point de vue: 1ere personne (b) De qui/quoi parle t-­‐il ? Il parle d’une chanson qui lui appartient ou qui lui est dédiée. Une chanson appartenant ou concernant uniquement celui-­‐ci ; excluant tout autre individu. Point de vue: 3e personne (la chanson) (c) À qui parle t-­‐il ? Ça pourrait être à son auditoire, mais principalement à lui-­‐même. Un peu comme s’il faisait à lui-­‐même un compte rendu de sa vie et de ses perceptions ; comme s’il se chantait une chanson à voix haute. Voyant les résultats aux questions, il serait juste de prétendre que la diégèse se passe entièrement dans la conscience du personnage. Du fait qu’il est éloquent de voir à quel point le texte vient confirmer qui est le destinataire. Cela ne s’adresse à personne d’autre que lui, et donc il parait rationnel de croire que l’histoire se déroule dans la tête de D.B. Régime narratif Ensuite, le régime peut sembler difficile à cerner car Daniel Bélanger nous fait part de ses sentiments réels que tout humain peut avoir. Mais rapidement, on se rend compte que le personnage est parti dans une certaine trame qui détonne de la réalité. Il semble expliquer sa réalité quotidienne par la voie de l’imaginaire (« Une chanson pour m'assurer, d'une présence dans le monde»)2 et des métaphores (« sans avoir l’air d’un chien battu, ou d’un fruit mou sur espadrilles»)2 ; ces phrases qui peuvent sembler insensées et irréelles si prises au premier degré. Ceci permet d’en déduire qu’il s’agit d’un régime narratif fabuleux et plutôt éloigné du réalisme (même si c’est de «sa» réalité que le personnage tente d’expliquer). Sachant maintenant clairement dans quel univers se déroule la chanson, il est déjà possible d’émettre une partie d’explication à nos questions initiales. Les voix réverbérantes dans la chanson peuvent clairement s’associer aux diverses pensées intérieures du personnage. L’effet de réverbération donne une sensation de flou et d’éloignement comparable à un long flux de réflexions dans un cerveau humain. Si leurs rôles semblent évidents, quand est-­‐il de la voix #4 énonçant un texte qui diffère des autres? 2 Annexe 2, paroles Idées et sens Pour ce qui est de la substance du texte, l’idée principale véhiculée réside selon moi dans le refrain. Les couplets expliquent le mal de vivre de la personne alors que les refrains résument parfaitement les réflexions en deux simples phrases : « Parce que rien ne rime à rien Parce que le temps n’est qu’un leurre »2 Tout semble s’expliquer ici. La première phrase résume le sentiment d’incompréhension (et du non-­‐sens) de la vie vécu par l’auteur. Tandis que le deuxième énoncé traduit l’unique perception ou compréhension qu’il fait de la vie : le temps est une tromperie. Considérant ici que le personnage prétend renier tout concept de chronologie (associé directement au temps), tout converge vers une explication plausible de la fameuse voix #4! Il est très peu commun qu’une voix puisse évoquer un couplet à venir et qui n’est pas encore dévoilé (une voix qui «vole le punch!»). Pourquoi celle-­‐ci peut se le permettre? «Parce que le temps n’est qu’un leurre»2! En positionnant une voix éloignée qui énonce un texte déjà cité (ou non-­‐dévoilé) en opposition avec la chronologie originale de la chanson, Daniel Bélanger vient renforcer et appuyer la deuxième phrase du refrain Une chute? Habituellement, la chute est présente qu’une seule fois dans une chanson; étant un «punch» final qui donne une explication à tout le texte. Cependant, j’aurais tendance à qualifier et associer la deuxième phrase du refrain à la chute de la chanson. Bien que la phrase soit évoquée deux fois dans la pièce (deux refrains), celle-­‐ci vient donner un sens complet à la pièce et vient ainsi expliquer le discours nébuleux des voix réverbérantes. La structure des voix étant construites par rapport à cette phrase bien précise, il est rationnel de croire que cet énoncé est d’une importance majeure. Voilà donc pourquoi la chute semble le bon terme. Conclusion Suite à ce processus d’analyse, il parait plus simple de répondre adéquatement aux questions initiales : 1. Les voix réverbérantes présentes ont-­‐elles un but uniquement esthétique ? Il est clair que l’esthétisme des voix dans la chanson est présent et très bien exploité : une spatialisation efficace et des effets de réverbération intéressants. Mais contrairement aux autres pièces du disque, l’esthétisme n’est pas l’unique but. Donc, la réponse est non ! 2. Si non, en quoi viennent-­‐elles appuyer ou ajouter quelque chose au texte de la chanson? En premier lieu, les voix réverbérantes viennent donner une ambiance qui permet de rapidement situer l’auditoire dans un vaste espace de réflexions. Elles viennent appuyer l’univers narratif fabuleux dans lequel est plongé le texte; c'est-­‐à-­‐dire dans la tête du personnage principal. Les voix reflètent les pensées qui surgissent et rebondisses dans un esprit humain. En deuxième lieu, ces voix appuient la chute dans la chanson. Ces voix décalées évoquant des textes qui parfois diffèrent amplifient la thèse voulant considérer le temps comme un artifice et mensonge. De plus, la voix #4 vient confirmer la donne en récitant dans le désordre les couplets. Bref, cette chanson qui me semblait, depuis des années, banalement plaisante, s’est révélée à être lourde de sens. Cet exercice d’analyse vient une fois de plus confirmer l’importance, ou du moins la pertinence, d’explorer plus en profondeur les œuvres musicales. Une chanson peut renfermer des trésors! Arnaud Spick-­‐Saucier Bibliographie
1-­‐ http://www.danielbelanger.com/nouvelles.php (Site official de Daniel Bélanger) 2-­‐ http://www.lyricsmania.com/une_chanson_pour_moi_lyrics_daniel_belanger.html (Paroles de la chanson ) 3-­‐ http://www.musiqueplus.com/daniel-­‐belanger (Texte sur album Rêver mieux) 4-­‐ http://www.youtube.com/watch?v=eRjjYPSQSqo (La chanson pour moi -­‐ Youtube) Annexe 1: Spatialisation des voix Éloignement Voix #4 Voix #3 Voix #2 Voix #1 Gauche Proximité Droite Annexe 2: Paroles Couplet 1:
Une chanson pour moi,
Pour personne d'autre,
Pour un peu de réconfort
Quand plus rien qui bat ne va,
Une chanson pour du soleil
Quand il n'est plus qu'un objet,
Dans le rayon des suspendus,
Pour un peu me féliciter
De ne pas mourir à tout bout de champ
Chaque fois que je devrais
Et surtout pour mieux me comprendre
Dans ma dramaturgie
Refrain 1:
Parce que rien ne rime à rien
Parce que le temps n'est qu'un leurre
Couplet 2:
Une chanson pour dire
Ce qu'on ne dit pas
Sans avoir l'air d'un chien battu
Ou d'un fruit mou sur espadrilles,
Pour au moins me savoir mieux,
Pour un peu accepter
L'irrémédiable et l'insensé
Comme la solitude universelle,
Comme l'incommunicable soi,
Pris tout en dedans,
Une chanson pour m'assurer
D'une présence dans le monde
Refrain 2
Parce que rien ne rime à rien
Parce que le temps n'est qu'un leurre
Chanson pour moi...
Annexe 3: Structure des voix Chronologie des parties Voix #1 : Couplet 1 -­‐» Refrain 1 -­‐» Couplet 2 -­‐» Refrain 2 Voix #2 : Couplet 1 -­‐» Refrain 1 -­‐» Couplet 2 -­‐» Refrain 2 Voix #3 : Couplet 1 -­‐» Refrain 1 -­‐» Couplet 2 -­‐» Refrain 2 Voix #4 : Couplet 2 -­‐» Refrain 2 -­‐» Couplet 1 -­‐» Refrain 1 Ordre général de discours Direction du temps »»»»»»-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐»»»»»»-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐»»»»»» Voix #1 Voix #4 Voix #3 + Voix #2 Canevas : Phrase originale -­‐ Phrase opposée -­‐ Rappel de la phrase originale