25 moments inoubliables du Tournoi des 6 - Anciens Asna

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25 moments inoubliables du Tournoi des 6 - Anciens Asna
Les belles
histoires
du Tournoi
25 moments inoubliables
(de 1910 à nos jours)
Sommaire
1910 - Et Joseph Anduran est monté dans le train / pages 3 et 4
1920 - Le match des borgnes / pages 5 et 6
1930 - Coup de folie sur Colombes / pages 7 et 8
1947 - Un gentleman nommé Geddes / pages 9 et 10
1948 - La « french touche » / pages 11 et 12
Années 50 - Le destin brisé de Jean Dauger / pages 13 et 14
1954 - Le match des éclopés / pages 15 et 16
1961 - Un Duc olympique / pages 17 et 18
1966 - Vent mauvais sur Cardiff / pages 19 et 20
1967 - Une sacrée paire de frères / pages 21 et 22
1968 - Le bonheur est dans la boue / pages 23 et 24
1977 - Quand les avants français jouent les lessiveuses / pages 25 et 26
1977 bis - «Sortir ? Jamais» / pages 27 et 28
1981 - Un Grand Chelem très malin / pages 29 et 30
1983 - « Et pour aller où ? » / pages 31 et 32
1986 - 24 passes, un avant et un essai historique / pages 33 et 34
1987 - Et Philippe Sella surgit... / pages 35 et 36
1990 - Et « Flowers of Scotland » devint un hymne / pages 37 et 38
1991 - Et le stade se leva pour Blanco / pages 39 et 40
1992 - Avec le bonjour de Monsieur Hilditch/ pages 41 et 42
1997 - Un Grand Chelem à l’usure / pages 43 et 44
1998 - Le triomphe d’une bande de gamins / pages 45 et 46
2000 - Gazon maudit au Stade de France / pages 47 et 48
2004 - Le jour du « Yach » / pages 49 et 50
2007 - Epoustouflant final / pages 51 et 52
Textes : Fabien Pont - Photos : Presse Sports et archives du journal Sud Ouest
1er janvier 1910 : Galles-France (49-14)
1er janvier 1910 : Galles-France (49-14)
Et Joseph Anduran
est monté dans le train
our la jeune fédération française, c’est un événement à ne pas manquer. Après avoir longtemps
frappé à la porte de la compétition, la voici enfin
invitée dans le prestigieux tournoi que se disputent depuis 1884, les quatre équipes britanniques. Et C’est à
Swansea au pays de Galles que l’équipe de France doit
écrire les premières lignes de son histoire dans cette compétition.
En ce 31 décembre, veille du match, car il est d’usage
d’ouvrir le tournoi le premier jour de l’année, ce n’est pas
le résultat qui tracasse Charles Brennus, le président de
l’Usfsa (l’ancêtre de la FFR), car il ne fait aucun doute que
les Gallois vont gagner, mais la manière dont son équipe
va se comporter. Et les raisons d’être inquiet ne manquent
pas.
La veille, au moment de prendre le train, lui et son secrétaire général ont dû courir partout pour trouver un remplaçant à Helier Thil, le talonneur du Stade Bordelais.
Sous les drapeaux, ce dernier n’a pas pu obtenir de permission pour défendre les couleurs de la France. Et le malheureux n’a même pas pu prévenir Charles Brennus. C’est
P
donc sur le quai de la gare du Nord que ce dernier
constate qu’il n’y a que quatorze joueurs présents.
Sous peine de manquer le train, puis le ferry et donc de
ne pas honorer ce rendez-vous avec l’Histoire, il reste peu
de temps aux dirigeants pour trouver un remplaçant. Il
faut qu’il habite à proximité et disponible, ce qui, un
31 décembre, est loin d’être assuré.
Leur choix se porte sur le talonneur du Scuf (Sporting club
universitaire du rugby), Joseph Anduran. Ils se précipitent dans la galerie d’art de ce dernier, rue de La Boétie.
Joseph Anduran est en train de vendre un superbe Corot
lorsqu’il reçoit le président de la fédération. Son épouse a
organisé un réveillon à leur domicile et le talonneur hésite. Charles Brennus le supplie. Il y va de l’honneur de
la France. Ces arguments et l’occasion de vivre une aventure avec des copains (il y a cinq autres joueurs du Scuf
retenus) l’emportent sur le fin souper de minuit.
Et c’est ainsi que Joseph Anduran est devenu international… Ce sera son unique sélection.
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Paris, 1er janvier 1920
Paris, 1er janvier 1920
Le match des borgnes
ous sommes le 1er janvier 1920. Français et Écossais se retrouvent face à face sur la pelouse du
parc des Princes. Deux ans après l’armistice signé
dans un wagon-restaurant installé dans la clairière de Rethondes, la vie reprend ses droits dans une Europe dévastée. Cette année-là sonne la reprise du tournoi. Frères
d’armes, hier, dans les tranchées, les alliés s’affrontent aujourd’hui pacifiquement sur les terrains. Mais, sur la
feuille de match, les noms ne sont plus les mêmes
qu’avant la guerre. 127 internationaux anglais, gallois,
écossais, irlandais et français sont morts. Beaucoup d’autres sont mutilés ou défigurés. En raison de ces blessures,
les journalistes de l’époque n’ont pas tardé à donner un
surnom à cette rencontre : « le match des borgnes ». Cinq
joueurs ont en effet perdu un œil au combat. Deux Français, le Toulousain Marcel Lubin-Lebrère et le joueur du
PUC Robert Thierry, trois Écossais, Wemyss, Laing et
Hume.
Des trente joueurs qui s’alignent au milieu de la pelouse
avant les hymnes nationaux, Marcel Lubin-Lebrère est
sans doute celui qui est le plus meurtri. C’est un miraculé.
N
Ce pilier qui honore sa quatrième sélection a été atteint
par dix balles. De ses compagnons qui formaient le
Quinze de France en 1913, beaucoup ne sont plus là. Le
rugby français a perdu 24 internationaux ou anciens internationaux au combat. Chez leurs adversaires, c’est pire.
La Fédération écossaise dont tous les internationaux se
sont portés volontaires bien avant la conscription obligatoire établie en 1916 pleure 30 des siens.
Dans ces conditions, le résultat du match demeure anecdotique et malgré la victoire écossaise (5-0), les Français
résistent longtemps à leurs adversaires, et cette défaite a
mis en évidence des nouveaux talents, comme René Crabos et Adolphe Jauréguy. C’est d’ailleurs grâce notamment à ses deux joueurs que l’équipe de France remporte
cette même année sa première victoire à l’extérieur de sa
jeune histoire dans le tournoi. Ce sera le 22 janvier à Dublin. Lors de cette rencontre qu’ils gagnent 15-7, les Français inscriront 5 essais dont deux par Adolphe Jauréguy.
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1930 : France-Galles (0-11)
1930 : France-Galles (0-11)
Coup de folie sur Colombes
our la première fois de sa jeune histoire, le
Quinze de France, en ce 21 avril 1930, peut prétendre à la victoire dans le tournoi. Les frères Béhotéguy et Adolphe Jauréguy ont arrêté leur carrière
l’année précédente, mais les Français, à l’image de leur capitaine, Eugène Ribère, ont marqué les esprits en battant
les Écossais à Paris (7-3), puis en s’imposant à Belfast (50).
La venue du pays de Galles est donc un événement considérable, qui dépasse en passion tout ce que l’on avait vu
jusque-là. Plus de 60 000 personnes se présentent aux
abords de Colombes, dont l’enceinte ne peut accueillir autant de monde. Les billets s’arrachent au marché noir, et
des grilles sont même enfoncées. Ils sont quand même
50 000 à s’agglutiner dans les gradins et au bord de la pelouse.
Est-ce l’enjeu du match, la pression qui règne autour de
cette rencontre ? Toujours est-il que les joueurs des deux
équipes se livrent un combat sans pitié où les brutalités
succèdent aux mauvais coups. Et, s’il n’y a pas d’expulsés,
c’est tout simplement parce que, à cette époque, la sanc-
P
tion de l’exclusion, bien que possible, n’est jamais prise
par l’arbitre.
Un essai transformé, deux drops et une pénalité scelleront
les espoirs des Bleus, dont l’attitude ainsi que celle du public vont envoyer le rugby français dans un long exil.
En effet, depuis quelques années déjà, les dirigeants britanniques ont mis en garde leurs homologues français sur
les dérives de la violence et de l’argent dans le championnat de France.
Quelques heures après la fin de la rencontre, et en levant
son verre lors du banquet, le président de la Fédération
galloise n’utilise pas le jargon diplomatique pour condamner les mauvais gestes de l’après-midi. La presse britannique s’en donne, elle aussi, à cœur joie.
Le dernier coup est porté quelques mois plus tard par les
grands clubs du championnat, ceux-là mêmes qui sont accusés par le Board de pratiquer un professionnalisme déguisé. En refusant de mettre leurs meilleurs joueurs à
disposition du Quinze de France et en créant une
autre fédération, ils contribuent directement à
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l’exclusion de la France hors du Tournoi.
1947 : France-Écosse (8-3)
1947 : France-Écosse (8-3)
Un gentleman
nommé Geddes
e 1er janvier 1947 est comme une résurrection
pour le Quinze de France, qui retrouve les saveurs du Tournoi après une absence de dix-sept
ans. Aux années de guerre, il convient en effet d’ajouter
celles d’une mise à l’écart prise par le Board et motivée
par les entorses répétées à l’amateurisme de la part des
clubs français.
Ce jour-là, la France, grâce notamment à une troisième
ligne rayonnante – Jean Prat, Guy Basquet, Jean Matheu
– s’impose en inscrivant deux essais par Lassègue et Terreau et une transformation de Jean Prat.
Mais le fait du match est ailleurs, et son auteur n’est autre
que le capitaine écossais Geddes. Juste avant la mi-temps,
et alors que la victoire n’a pas encore choisi son camp (53 pour la France), le trois-quarts centre Junquas tape un
ballon dans l’en-but écossais, sur lequel se précipitent l’ai-
L
lier français Lassègue et l’arrière écossais Geddes. À la
lutte, les deux hommes plongent ensemble. Il n’y a bien
sûr pas de ralenti et encore moins d’arbitrage vidéo pour
aider l’arbitre anglais dans sa décision, et, dans le doute,
ce dernier s’apprête à ordonner un renvoi aux 22 mètres.
C’est à ce moment-là que Geddes s’adresse au directeur
de jeu et lui dit : « Il y a essai, le Français a touché avant
moi. » Plus rien ne sera marqué par la suite. Les Français
termineront à la troisième place du Tournoi et les Écossais
auront la cuiller de bois, mais le geste de Geddes restera
à jamais gravé dans le chapitre des plus belles histoires du
Tournoi.
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1948 : Galles-France (3-11)
1948 : Galles-France (3-11)
La « French touche »
e stade de Swansea est encore le jardin fétiche des
joueurs gallois. Dans cette enceinte un peu
vieillotte mais où s’entassent à chaque match de
tournoi près de 50 000 spectateurs, les « Diables rouges »
n’ont jamais encaissé la moindre défaite contre les Français. Et, en ce 21 février, la peau du Quinze de France
semble déjà accrochée au palmarès des Gallois, dont les
maillots portent des lettres à la place de numéros.
Battus par l’Irlande au parc des Princes et par l’Écosse à
Murrayfield, les coéquipiers de Guy Basquet courent toujours après leurs premiers points. Mais les apparences peuvent être trompeuses, car cette équipe de France a fière
allure avec Basquet et Jean Prat en troisième ligne et
Alban Moga et Robert Soro juste devant. Même si le solde
est largement négatif, les deux premiers matchs ont montré la puissance du pack Bleu.
Il fait si froid que l’arbitre hésite longuement avant d’autoriser les deux équipes à s’affronter, de peur que les
joueurs ne se blessent sur un terrain gelé. C’est dans ces
conditions que les Français vont surclasser leurs adversaires. Devant, deux joueurs se distinguent particulière-
L
ment : le Lourdais Robert Soro et le Béglais Alban Moga.
Les deux compères planent sur la touche, offrant à leur
demi de mêlée Yves Bergougnan 37 des 48 ballons lancés.
Bousculés, les Gallois encaissent trois essais, dont deux
portent une signature agenaise, celles de Guy Basquet et
de l’ailier Michel Pomathios, qui sera porté en triomphe
par les supporteurs gallois à la fin de la rencontre.
Vainqueurs 11-3, les Français gagnent le respect des Gallois, et Robert Soro, dont les charges sont dévastatrices,
un surnom pour l’éternité : « le Lion de Swansea ». Quatre
semaines plus tôt, le Lourdais voulait mettre un terme à
sa carrière internationale après avoir provoqué la pénalité
qui avait donné la victoire aux Écossais (9-8). Parmi ses
amis qui l’avaient convaincu de poursuivre, Alban Moga.
À Swansea, le Béglais aurait mérité quelques lauriers lui
aussi.
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Années 50
Années 50
Le destin brisé
de Jean Dauger
epuis son origine, en 1910, l’histoire du Tournoi
est, pour les Français, un douloureux apprentissage de la cohabitation sportive avec les Britanniques. Inventeurs de ce jeu et s’estimant dépositaires de
ses règles et de son esprit, ces derniers ont pour les Français le regard d’un professeur envers un de ses mauvais
élèves. Avant la guerre, la France a même été exclue de la
compétition pour la mauvaise tenue de ses supporteurs,
la violence de son championnat et le manquement à
l’amateurisme par le versement d’argent par certains clubs
aux meilleurs joueurs.
Bien que revenue dans le tournoi depuis 1947, la France,
en 1953 est toujours regardée du coin de l’œil par les quatre Britanniques. Le 10 janvier, alors qu’elle reçoit
l’Écosse, les sélectionneurs rappellent deux joueurs, le
Bayonnais Jean Dauger et le Lourdais Thomas Manterola.
Mais tous les deux sont sur la liste noire du Board pour
avoir été, dans leur jeunesse, internationaux à XIII.
Jusqu’au dernier moment, les dirigeants Écossais menacent de boycotter la rencontre et le président de la FFR,
René Crabos parvient de justesse à un compromis, sacri-
D
fiant Manterola pour conserver Dauger.
D’un gabarit très athlétique pour l’époque (1,82 m pour
80 kilos), Jean Dauger est considéré comme le meilleur
trois-quarts centre que la France n’ait jamais eu. Titulaire
en première à l’Aviron Bayonnais à l’âge de 16 ans, il est
« vendu » par son père au club de Roanne XIII l’année
suivante pour la somme de 30 000 F. International l’année
suivante, Jean Dauger reviendra dans le giron du quinze
en 1941. Mais le mal est fait. Malgré son énorme talent,
les dirigeants français, désireux avant tout, de pas provoquer d’incidents diplomatiques avec leurs homologues anglais, effacent le Basque de l’équipe de France jusqu’en
1952 et l’arrivée à la tête de la FFR du Landais René Crabos. Jean Dauger n’avait porté le maillot tricolore qu’une
seule fois : en 1945 contre une sélection de l’armée britannique.
Ce 10 janvier 1953 sera sa deuxième et dernière sélection.
La pression des Écossais après la rencontre gagnée par
les Français ne faiblit pas et René Crabos doit s’incliner.
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1954 : France – Angleterre (11-3)
1954 : France – Angleterre (11-3)
La victoire des éclopés
es connaisseurs la baptisent « la décennie fondatrice ». Ces années 50 sont pour l’équipe de
France comme un nouveau départ après les déculottées d’avant-guerre. Il y a eu une première victoire à
Twickenham (1951), et un succès historique contre les All
Blacks (1954). Construit autour des joueurs lourdais
comme les frères Prat et Roger Martine, le Quinze de
France développe un jeu très ambitieux, tourné vers l’offensive. Pour cette dernière rencontre face à l’Angleterre
à Colombes, les Bleus, qui ont battu l’Écosse et l’Irlande
mais ont été défaits par les Gallois, peuvent espérer partager le trophée à condition de vaincre les Anglais à Colombes qui, eux, rêvent de Grand Chelem.
C’est une petite finale en somme que chacune des équipes
a préparée à sa manière. Au Châtelet où se sont rendus
jeudi soir les Français pour écouter des airs d’opérette, les
Anglais ont préféré les danseuses des Folies-Bergère. Un
petit entraînement le lendemain (le seul autorisé par le
Board avant les rencontres du Tournoi) permet à Roger
Lerou de procéder aux derniers ajustements en installant
notamment le Basque Celaya au centre de la troisième
ligne. L’équipe de France a fière allure même avec ses minots qui ont tout juste vingt ans, Pierre Albaladejo,
André Boniface et Amédée Domenech.
Il n’y a pas encore la télévision mais Colombes fait le
plein. Au coup d’envoi, 38 000 spectateurs poussent avec
les Bleus. Mais on joue depuis moins de cinq minutes que
L
le deuxième ligne Sanac est victime d’une entorse au
genou et c’est en boitillant qu’il rentre sur le terrain après
s’être fait soigner. Car le règlement n’autorise pas le remplacement d’un joueur, même blessé. À quinze contre
quinze, le match s’annonçait déjà difficile. À quatorze
contre quinze, battre les Anglais prend des airs de mission
impossible. Et pourtant, les malheurs des Français sont
loin d’être terminés. Juste avant le premier quart d’heure
de match, c’est au tour du trois-quarts aile Fernand Cazenave de boiter bas. Un claquage cette fois.
Roger Lerou demande au troisième ligne Beaulon d’aller
sur l’aile et à Cazenave de faire ce qu’il peut en se positionnant à côté d’Albaladejo à l’arrière. Pourtant, devant
un public stupéfait, mais aux anges, les avants français
amenés notamment par Biénès, Jean Prat et Mias se démultiplient tandis que les arrières construisent un véritable mur défensif et saisissent le moindre ballon pour
porter le fer chez l’adversaire. Deux essais d’André Boniface et de Maurice Prat assomment les Anglais qui s’obstinent à jouer devant. Dix minutes avant la fin du match,
un troisième Tricolore, Domec, se blesse. Mais le courage
des Français est tel que rien ne peut les faire fléchir.
Présent dans les tribunes, le maréchal Montgomery salue,
en connaisseur, un comportement héroïque.
16
1961 : Angleterre-France (5-5)
1961 : Angleterre-France (5-5)
Un Duc olympique
’histoire prêterait aujourd’hui à sourire. Mais
nous sommes en 1961, et ce qui est en train de
se passer sur la pelouse de Twickenham a de quoi
étonner le public anglais. « Sacrés Français », pense-t-il
en voyant le pilier Amédée Domenech se placer à l’aile de
l’attaque française pour remplacer Jean Dupuy, victime
d’un claquage, incapable de courir et repositionné comme
deuxième arrière aux côtés de Michel Vannier.
Dans les années soixante, où les joueurs ne connaissent ni
les salles de musculation ni la créatine, avants et arrières
composent des ensembles hétérogènes. Il y a les « gros »
et les « gazelles ». Et assurément, avec ses 95 kilos pour
1,79 m, André Domenech entre dans la première catégorie. Mais celui que l’on surnomme le Duc, en raison de sa
prestance, est aussi un joueur de ballon doté d’une belle
accélération. Aussi le capitaine François Moncla ne
trouve-t-il que cette solution pour combler le vide créé
par la blessure de Dupuy. Le pack est bien sûr chamboulé,
mais les plus perturbés sont peut-être les Anglais euxmêmes, qui pensent que Moncla est tout simplement devenu fou, à moins qu’il ait oublié que le vis-à-vis de
L
Domenech est en face de John Young, champion de
Grande-Bretagne du 100 yards, ce qui lui a valu de participer aux Jeux olympiques de Melbourne cinq ans plus
tôt. Les chroniqueurs Anglais parlent de « chose incroyable » et l’ouvreur Richard Sharp décide de mettre à profit
cette situation en transformant en chandelles sur Domenech tous les ballons qui lui passent entre les mains.
Jamais le Duc n’a touché autant de ballons dans un match
international. Arrêts de volée, relances et dégagements en
touche, le Briviste rend une copie parfaite et va même y
ajouter en bonus une feinte de passe suivie d’un cadrage
débordement sur John Young. Le match nul arraché par
les Bleus dans ces circonstances a des parfums de victoire.
Quant au Duc, ce jour-là en forme olympique, il manifestera sa capacité de polyvalence aussi bien sur le terrain
que dans la vie civile, à Brive, où il sera tour à tour restaurateur, agent immobilier, comédien, attaché parlementaire et, pour finir, maire adjoint de Paris.
18
1966 : Galles-France (9-8)
1966 : Galles-France (9-8)
Vent mauvais sur Cardiff
’est un temps où les sélectionneurs prennent un
malin plaisir à couper les têtes. Surtout celles qui
ne leur reviennent pas. Pour ce dernier match du
tournoi, le Quinze de France, invaincu jusque-là (victoires
contre l’Angleterre et l’Irlande et match nul à Murrayfield), se rend à Cardiff pour un possible petit chelem. Les
coéquipiers de Michel Crauste, surnommé « le Mongol »
en raison de ses yeux légèrement bridés et de sa fine moustache, font figure d’épouvantails. Un pack de fer, avec notamment Benoît Dauga, Walter Spanghero et André
Herrero, et une ligne de trois-quarts capable de percer
n’importe quelle défense. Il y a Jean Gachassin à l’ouverture (aujourd’hui président de la Fédération française de
tennis), prêt à toutes les facéties et surtout parfait animateur de ses trois-quarts centre et amis, Guy et André Boniface.
Les deux Montois ont joué 16 fois ensemble sous le
maillot de l’équipe de France. C’est beaucoup et trop peu.
Car, pour tous les observateurs de l’époque, Guy et André
marient leurs différences pour mieux berner leurs adversaires. « Le plus dangereux des “Boni”, c’est celui qui n’a
pas le ballon », a même dit un jour un commentateur
sportif.
Des bourrasques soufflent sur l’Arms’Park, mais elles
n’empêchent pas les Bleus de prendre rapidement l’avantage. Un essai de Duprat d’entrée de jeu, puis un autre de
C
Rupert, cette fois transformé par Lacaze, leur procurent
un avantage substantiel. Deux pénalités du centre gallois
Bradshaw maintiennent un semblant de suspense, mais
rien ne semble pouvoir briser l’élan du Quinze de France,
dont les avants font main basse sur les ballons, dans les
regroupements et en touche, où le grand Benoît Dauga
fait son habituelle moisson. Loin de fermer le match, les
Français, en dépit de ces rafales qui continuent de s’abattre
sur le terrain, profitent du moindre ballon pour lancer des
offensives. Ainsi, à dix minutes de la fin du match, Jean
Gachassin décide-t-il de décaler André Boniface en effectuant une longue passe sautée. Un coup de génie, mais
que le vent va transformer en coup de poignard. Ralentie,
déviée, la balle ne va pas jusqu’à André Boniface mais
dans les bras du Gallois Watkins, qui marque après une
course de 90 mètres, crucifiant l’équipe de France.
Si injuste que cela puisse paraître, les sélectionneurs feront
porter le chapeau aux frères Boniface, oubliant tout ce
qu’ils avaient apporté au Quinze de France. Quelques
heures après, dans une salle de réunion de l’hôtel de Cardiff dans lequel ils étaient descendus, les dirigeants de la
fédération rayeront définitivement les Montois de la liste
des sélectionnables. « Ces cons de Boni, on les vire »,
a même entendu André Boniface, qui avait l’oreille
collée derrière la porte.
20
1967 : Irlande-France (6-11)
1967 : Irlande-France (6-11)
Une sacrée paire de frères
a France aurait-elle pu remporter son premier
grand chelem en 1967 si les sélectionneurs
avaient retenu Lilian et Guy Camberabero lors
du premier match perdu contre l’Écosse à Colombes ? Nul
ne peut le dire. Ce qui est certain, en revanche, c’est que,
en rappelant les deux frères après ses débuts ratés, la
France remporte les trois rencontres suivantes et le tournoi. C’est encore avec cette même charnière que les Bleus
gagneront l’année suivante à Cardiff pour conquérir leur
premier grand chelem.
Mais nous sommes en 1967. C’est dans le secret des salles
de restaurant que se prennent les décisions du comité de
sélection. Parfois avec d’obscurs critères. Comme d’autres,
Guy et Lilian Camberabero ont fait souvent les frais des
humeurs changeantes de ces comités. Depuis sa première
sélection, en 1961, Guy n’a été retenu que sept fois, dont
cinq avec son frère. Lors de la tournée en Afrique du Sud,
six mois auparavant, Guy, avec deux drops et deux transformations, a été un des artisans de la victoire tricolore
(19-14). Pas suffisant aux yeux des gros pardessus pour
disputer le tournoi. La défaite face au Quinze du chardon
change la donne. Guy et Lilian reviennent. Les succès
L
aussi, même si ce sont avant tout les réussites d’un groupe.
Les victoires en Angleterre et contre le pays de Galles
confirment le potentiel des coéquipiers de Christian Darrouy. La dernière étape sur le chemin d’un trophée passe
par Lansdowne Road.
Dominateurs devant, les Français mettent les Verts sous
l’éteignoir et inscrivent rapidement un essai signé du talonneur Cabanier. Le reste est une affaire de fratrie. Les
excellents ballons distillés par le pack français sont livrés
par Lilian Camberabero sur un plateau à son frère Guy
pour deux drops qui sonnent le glas des espoirs irlandais.
Cette année-là, lors des trois matchs qu’il dispute, Guy
Camberabero inscrira à lui tout seul 76 points sur les 127
de l’équipe de France, dont 7 drops et un essai. Son adresse
au pied n’avait d’égale que sa complémentarité avec Lilian, capable d’envoyer des passes de plus de 20 mètres.
Cette même année 1967, Guy établit contre l’Italie le record de points (27) marqués par un joueur français lors
d’un match international. Et c’est son fils, Didier, qui
battra ce record contre le Zimbabwe lors de la
Coupe du monde 1987 (30 points).
22
1968 : Galles-France (9-14).
1968 : Galles-France (9-14).
Le bonheur est dans la boue
’est un temps où les sélectionneurs s’amusent
bien. Leur jeu préféré ? Celui des chaises musicales. Défaite où victoire, peu importe. Il faut
que cela bouge. Une attitude déplaisante, une parole de
trop suffisent à remettre en cause la sélection d’un joueur,
fût-il talentueux, fût-il doué, fût-il efficace.
Le 23 mars 1968, la France a rendez-vous avec l’Histoire.
L’équipe commandée par Christian Carrère a remporté les
trois premières rencontres. Pour conquérir son premier
grand chelem ce qui ferait d’elle une nation rugbystique
enfin « respectable », il faut désormais qu’elle s’impose à
Cardiff. Mais, depuis le début du tournoi, le comité de
sélection n’a de cesse de bouleverser le Quinze tricolore.
Derrière, c’est la grande valse. Du premier succès contre
l’Écosse, il ne reste plus que Lacaze, Maso et Campaès.
Devant, c’est pire : La première ligne – Gruarin, Cabanier,
Abadie – a disparu, remplacée par Noble, Yachvili et Lasserre, et Plantefol et Greffe ont pris la place de Dauga et
Rupert. Il est vrai qu’après les deux premiers matchs du
tournoi, l’équipe de France a rencontré à Grenoble une
C
sélection du Sud-Est. Réunis par Walter Spanghero, dans
sa ferme de Bram, les tricolores ont surtout effectué un
déplacement… gastronomique. La défaite des Bleus provoque une poussée de fièvre chez les sélectionneurs qui
procèdent à huit changements et annoncent le retour des
frères Camberabero.
Mais, les Français ont du talent et du cœur. Sous une pluie
battante et sur un terrain transformé en marécage, les
avants autour d’un immense Walter Spanghero imposent
leur puissance et privent de ballon la redoutable charnière
galloise Edwards-John. Deux essais de Carrère et Lilian
Camberabero, une transformation, un drop et une pénalité
de Guy Camberabero scellent le sort des « diables
rouges ».
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Français et
leur French Flair ont conquis ce premier grand chelem à
la manière anglo-saxonne, grâce à un pack d’airain.
24
1977 : France-Galles (16-9)
1977 : France-Galles (16-9)
Quand les avants français
jouent les lessiveuses
l’instar de leurs confrères des années 2000 qui
ont surnommé les rencontres entre Français et
Anglais le « crunch », ceux des années 70 n’ont
pas immortalisé par un titre ce que furent les matchs entre
les « Diables rouges » du Pays de Galles et les Bleus de
France. Dommage car, durant cette décennie, le Tournoi
des Cinq-Nations vit au rythme des affrontements de ces
deux super-équipes même si, incontestablement, celle de
Galles conduite par des joueurs exceptionnels comme Gareth Edwards, Phil Bennet, J.P.R. Williams, l’arrière aux
immenses rouflaquettes ou encore le pilier Graham Price
est un ton au-dessus.
En 1976, la France est en effet la seule nation à tenir tête
aux Gallois. Pire, à leur faire peur. « Nous savions que
cette équipe était capable de pratiquer un rugby sublime,
mais surtout qu’elle alignait toujours des packs de salopards qui sentaient l’ail et la méchanceté » n’hésita pas à
dire plus tard Mervyn Davis, troisième ligne centre et capitaine du Quinze de Galles. Une réflexion qui en dit long
sur la dureté des combats de l’époque.
En réalité et comme souvent dans ces cas-là, il faut remonter à l’année précédente, 1976, pour comprendre les
raisons du Grand Chelem de 1977. À l’exception du Biterrois Paco, le cinq de devant est entièrement renouvelé.
A
Gérard Cholley et Robert Paparemborde s’installent aux
fauteuils d’orchestre tandis que Michel Palmiè, autre Biterrois, et le Perpignanais Jean-François Imbernon sont
associés en deuxième ligne.
Le 6 mars 1976, sur la pelouse de l’Arm’s Park, les avants
des deux camps se livrent un combat d’une extrême intensité, sauvage diront les commentateurs. Les Gallois
l’emportent de justesse (19-13), mais déjà, les supporteurs
français se lèchent les babines en pensant à la venue des
Gallois à Paris l’année suivante.
Le 5 février 1977, les grognards de Jacques Fouroux
jouent les lessiveuses. Le redoutable pack gallois a le sentiment de passer 80 minutes dans un broyeur dont les mâchoires s’appellent Cholley, Imbernon, Palmié et Bastiat
et l’emportent plus facilement que le score ne l’indique
(16-9).
Devenu reporter à la BBC, et alors qu’il revenait au parc
des Princes quelques années plus tard commenter un
match France-Galles, le pilier Graham Price aura ces
mots. « C’est la première fois que j’entends la “Marseillaise” en sachant que je n’en prendrai pas plein la
tronche pendant quatre-vingts minutes… »
26
1977 : France-Écosse (23-3)
1977 : France-Écosse (23-3)
« Sortir ? Jamais »
u moment de recevoir le Quinze du Chardon
pour cette troisième rencontre du Tournoi, le
Quinze de France a le sentiment d’avoir fait le
plus dur. En dominant Galles (16-9) à Paris puis en arrachant la victoire à Twickenham (4-3), les Tricolores peuvent rêver d’un deuxième Grand Chelem. Leurs armes ?
Un cinq de devant surpuissant avec Cholley, Palmiè et
Imbernon, notamment, une troisième ligne redoutable
(Rives, Skrela et Bastiat) et un exceptionnel meneur
d’hommes, Jacques Fouroux.
Pourtant, cette année-là, le demi de mêlée auscitain est
loin de faire l’unanimité. Comme d’habitude la France du
rugby est partagée en deux. Il y a les pro et les anti-Fouroux. Les premiers apprécient en lui ce combattant, ce ferrailleur perpétuel, ce capitaine qui malgré son petit
gabarit (1,62 m) sait se faire respecter des gros. Les seconds lui reprochent un manque de style et lui opposent
le Biterrois Richard Astre, dont le jeu est plus fluide et
l’attitude plus élégante. Quand Fouroux joue chaussettes
baissées et manches relevées, Astre porte haut le col d’un
maillot impeccablement rentré dans le short.
La vérité est que la France possède deux excellents demis
de mêlée dont la rivalité est un atout majeur pour les sé-
A
lectionneurs qui ont choisi de titulariser Jacques Fouroux
et de mettre Richard Astre sur le banc des remplaçants.
Et, chose rarissime, pour la troisième fois, ils ont reconduit les quinze mêmes joueurs entre lesquels s’est forgée
une sincère et profonde complicité.
Le début de la rencontre est d’une grande férocité et les
Français s’aperçoivent vite que le Chardon a encore beaucoup d’épines. Cholley fait la police lui-même en boxant
le troisième ligne McDonald, hors jeu, et quelques minutes plus tard c’est au tour d’Aitken de s’essuyer les
crampons sur Fouroux. Visage en sang et nez cassé, celui
que l’on surnomme déjà « le petit caporal » est au bord
de la sortie. Le docteur de l’équipe de France lui conseille
de quitter le terrain. Mais, la seule vue de Richard Astre,
enlevant son survêtement pour aller s’échauffer guérit
toutes les blessures de Fouroux dont on pourrait presque
lire sur les lèvres : « Sortir ? Jamais. » Et c’est les narines
bourrées de coton que Fouroux terminera ce match sous
le regard admiratif de son pack. Quinze jours plus tard et
toujours avec le même groupe, la France décrochera son
deuxième Grand Chelem en Irlande.
28
21 mars 1981 : Angleterre-France (12-16)
21 mars 1981 : Angleterre-France (12-16)
Un Grand Chelem
très malin
’histoire a toujours préféré l’essentiel à l’accessoire. Mais ce sont souvent des sommes de petits
détails, des fautes, des inattentions, mais aussi
des gestes de génie, des opportunités rapidement saisies
qui font parfois le résultat d’un match. En ce 21 mars
1981, la France dispute son quatrième et dernier match
du tournoi. Un peu à la surprise générale, les Bleus de
Jacques Fouroux sont encore la seule équipe capable de
gagner le Grand Chelem. Encore faut-il pour cela battre
les Anglais sur leur gazon fétiche de Twickenham.
En ce début de l’année, de nouveaux Tricolores ont été
appelés pour remplacer des cadres en fin de carrière
comme Jean-Michel Aguirre et Jean-Luc Gallion. C’est
le cas de Serge Blanco et de Pierre Berbizier. À 23 ans seulement, ce dernier a imposé ses qualités, dont une très
haute technique et une grande rigueur. Mais, ce jour-là,
les Anglais médusés découvrent que Berbizier, dans la
grande tradition des demis de mêlée, peut être un vrai
filou. L’occasion lui en est donnée à la 23e minute de la
rencontre lorsque Rose, l’arrière anglais, dégage précipitamment en touche à la limite des vingt-deux mètres anglais. Le ballon du match est encore dans les gradins que
L
Pierre Berbizier chipe un autre ballon dans les mains d’un
petit ramasseur de balles pour jouer rapidement le renvoi.
Il transmet à son capitaine Jean-Pierre Rives qui donne à
son tour à Pierre Lacans pour un essai en coin. Malgré les
protestations des joueurs anglais, l’arbitre écossais accordera cet essai. À tort, car le règlement, s’il prévoit qu’un
joueur peut effectuer une touche rapide, c’est à la seule
condition d’utiliser le ballon du match et que personne
d’autres que les joueurs ne l’aient touché.
Cet essai, transformé par Guy Laporte, permettra ainsi
aux Français de résister aux assauts anglais et de conserver
quatre points d’avance à la fin de la rencontre et de réaliser
le troisième Grand Chelem de leur histoire après ceux de
1968 et de 1977.
Les Anglais protesteront sur le coup mais sauront se montrer beaux joueurs par la voix de leur capitaine Billy Beaumont dont les propos remplis d’éloges sur le jeu de
l’adversaire eurent l’immense mérite de ne pas susciter de
polémique.
30
1983 : France-Galles (16-9)
1983 : France-Galles (16-9)
« Et pour aller où ? »
rançais et Gallois ne dominent plus outrageusement le Tournoi comme ils l’ont fait lors de la
décennie précédente. Pourtant, pour ce match de
clôture, la première place n’a rien à envier aux affrontements rugueux des années 70. Comme à son habitude,
Jean-Pierre Rives est partout, au cœur des mêlées ouvertes, comme en redoublement de ses trois-quarts. Un
premier coup de crampon sur le crâne, une entaille de l’arcade, puis de la pommette gauche teintent de sang le
maillot blanc frappé du coq. Au micro, Roger Couderc
ne trouve plus les mots pour décrire le comportement héroïque de celui qu’il a surnommé Casque d’or. Sanguinolent, mais toujours à la pointe du combat pour redresser
une situation délicate (9-6 pour le Pays de Galles à la mitemps), Rives continue à donner l’exemple.
Même l’arbitre néo-zélandais, Tom Doocey, s’émeut des
blessures du Français. Et bien que le règlement permette
F
à un joueur de rester sur le terrain malgré un saignement,
il lui conseille de se faire soigner. « Vous devriez sortir »,
lui dit-il. Étonné, Jean-Pierre Rives, en le regardant, lui
dit simplement : « Et pour aller où ? »…
Ce fabuleux joueur, 32 fois capitaine du Quinze de France,
qui terminait rarement intact les matchs, mettait beaucoup d’élégance dans ses formules. « J’ai souvent du sang
sur mon maillot, mais vous remarquerez que c’est toujours
le mien », disait-il.
32
1986 : France-Irlande (29-9)
1986 : France-Irlande (29-9)
24 passes, un avant
et un essai historique
l y a dans le rugby français des années 1980
comme un parfum de liberté. Une envie irrésistible d’évasion. L’air du large, en somme, pour
une génération d’attaquants surdoués, prompts à saisir la
moindre occasion pour enrhumer les défenses adverses et
enflammer le stade. Qu’ils se nomment Serge Blanco, Philippe Sella, Jean-Baptiste Lafond, Patrick Estève ou encore Patrick Lagisquet (il ne rejoindra le groupe qu’en
1988), tous semblent comme attirés par des courses interminables ou de folles relances.
Ce 1er février 1986, les Irlandais vont en faire l’amère expérience. Il reste huit minutes à jouer. La France mène de
13 points, mais ses joueurs ont encore faim. Sur une
touche irlandaise, Éric Champ, en déviant le ballon sur
son talonneur Daniel Dubroca, donne le coup d’envoi
d’une action qui demeure, même aujourd’hui, comme une
des plus belles de toute l’histoire du tournoi et que
conclut soixante-cinq secondes plus tard Philippe Sella.
Dans cet intervalle, le ballon change 24 fois de main. Sur
les 11 joueurs à s’en saisir, Guy Laporte le touche à quatre
I
reprises et Éric Champ, Pierre Berbizier et Jean-Baptiste
Lafond trois fois. Renversement, prise d’intervalle, passe
sur un pas ou passe sautée, le public aux anges voit défiler
devant ses yeux le meilleur de ce qu’une équipe est capable de produire en se faisant des passes. Il y a bien sûr cet
en-avant commis par Éric Champ au milieu du mouvement, mais, un Irlandais ayant pris la balle pour la dégager sans pour autant trouver la touche, l’arbitre, qui
semble beaucoup s’amuser, considère que l’avantage est
terminé et laisse Jean-Baptiste Lafond repartir de plus
belle. C’est ainsi que ce match reste comme celui de l’essai
aux 24 passes.
Mais ce qu’il y a sans doute de plus extraordinaire dans
ce temps de jeu est que, contrairement au rugby d’aujourd’hui, il ne se nourrit pas de mauls ou de mêlées ouvertes. Il y a seulement deux regroupements dans lesquels
la balle ne reste que quelques secondes pour mieux rejaillir et alimenter une ligne de trois-quarts avides
d’espace.
34
1987 : Angleterre – France (15-19)
1987 : Angleterre – France (15-19)
Et Philippe Sella surgit…
’est un Quinze de la Rose particulièrement motivé
que doit affronter l’équipe de France pour la
deuxième journée du Tournoi. Humilié quinze
jours avant par les Irlandais, il court depuis sept ans à la
recherche d’une gloire passée et compte bien se refaire une
santé au détriment des Bleus, difficiles vainqueurs des Gallois lors du match d’ouverture. Mais ce Quinze de France
là que bâtit Jacques Fouroux en vue de la première Coupe
du monde en Nouvelle-Zélande est un savant mélange de
talents purs et de combattants à l’image d’un Rodriguez
ou d’un Champ.
Devant Twickenham aux anges, les Anglais bousculent des
Coqs valeureux mais démunis de munitions. Trois pénalités
et un drop contre un but de Bérot concrétisent cette domination (12-3 à la mi-temps). Si un essai de Bonneval à
l’heure de jeu remet les pendules à l’heure (12-12), les Anglais ont toujours la main sur le ballon et mettent au supplice les coéquipiers de Daniel Dubroca. Bien campés dans
les vingt-deux mètres bleus et alors qu’il reste encore un
quart d’heure de jeu, le demi de mêlée Hill lance une nou-
C
velle attaque plein champ pour sa ligne de trois-quarts en
surnombre. C’est un essai presque tout fait si Andrew se
saisit du ballon. Presque, car d’un formidable coup de
reins, Philippe Sella surgit et coupe la trajectoire des arrières anglais pour se saisir de la balle. L’en-but adverse est
à plus de soixante mètres mais plus personne ne peut arrêter
l’Agenais lancé comme un boulet. Ni le retour de l’ailier
Harrison, ni la tentative désespérée de l’arrière Rose n’arrêtent Sella, qui offre à la France un succès inespéré. Dans
la foulée de cette victoire, le Quinze tricolore domine
l’Écosse à Paris, puis l’Irlande à Dublin pour signer son
quatrième Grand Chelem.
Considéré à juste titre comme le meilleur trois-quarts centre du monde, Philippe Sella deviendra avec 111 sélections
le joueur le plus capé du rugby français (il sera plus tard
dépassé par Fabien Pelous [118]). Cependant, il détient
toujours les records du nombre de matches joués par
un Français dans le Tournoi (50).
36
1990
1990
Et « Flowers of Scotland »
devint un hymne
a rencontre Écosse-Angleterre est la dernière de
ce tournoi 1990. Murrayfield est rempli
jusqu’aux cintres comme d’habitude mais, une
fois n’est pas coutume, les Écossais ont la possibilité d’offrir à leurs supporteurs le troisième Grand Chelem de leur
histoire. Et pour mettre en condition ses joueurs et le public, le capitaine David Solé a réservé une petite surprise
aux Anglais. Une fois sur la pelouse et après le « God Save
the Queen » qui était jusque-là l’hymne des deux pays,
la fanfare se met à jouer un vieil air folklorique « Flowers
L
of Scotland » aussitôt chanté par tout le stade. Depuis
longtemps, les joueurs au Chardon, lorsqu’ils devaient
écouter l’hymne anglais, marmonnaient entre leurs dents
les paroles de « Flowers of Scotland » qui évoquent la résistance écossaise au roi Édouard.
Ce jour-là L’Écosse remporte le match, décroche le Grand
Chelem et adopte un hymne, même s’il faudra attendre
1993 pour que celui-ci soit officiellement joué
avant chaque rencontre.
38
1991 : France-Galles (36-3)
1991 : France-Galles (36-3)
Quand le stade se lève
pour Blanco
’est un rituel devenu courant sur tous les terrains
de Top 14 et de Pro D2 aujourd’hui. Mais nous
sommes en 1991. La ola et les sifflets n’ont pas
encore gagné les stades de rugby. Ce 2 mars, au parc des
Princes, un Quinze de France époustouflant submerge une
équipe galloise au fond du trou et qui, après avoir encaissé
six essais, n’a qu’une seule envie, celle de regagner les vestiaires au plus vite. Cela tombe, bien, il ne reste qu’une
poignée de secondes à jouer. Serge Blanco, dont c’est le
dernier match en France dans le Tournoi des Cinq-Nations, s’apprête à tenter la transformation de l’essai qu’il
vient d’inscrire. Soudain, lorsque l’arrière biarrot prend
ses marques, tout le stade se met à applaudir. De plus en
plus vite. C’est la première fois qu’un tel événement se
produit au rugby mais, conscients qu’un artiste exceptionnel va quitter la scène qu’il anime depuis onze années,
les spectateurs tiennent à lui rendre un hommage particulier. Une « standing ovation », en somme, conforme à
l’esprit de cette compétition si britannique. Du coin du
terrain, le ballon s’élève et passe au milieu des poteaux,
point d’orgue d’un feu d’artifice tricolore dont la plupart
C
des fusées ont été allumées par le funambule basque.
Cela commence après seulement trois minutes de jeu et
un essai « made in Blanco », chef-d’œuvre d’intelligence
et d’adresse. Lorsque Jean-Baptiste Lafond lui transmet
le ballon, Serge Blanco doit encore se débarrasser de Thorburn. En pleine course, l’arrière français tape un petit
coup de pied par-dessus le Gallois qu’il prend de vitesse
pour pointer ensuite dans l’en-but.
Légende vivante du rugby, Serge Blanco n’aura pourtant
pas la fin de carrière internationale qu’il méritait tant.
Huit mois plus tard, alors qu’il honore sa 93e sélection
dans le quart de finale de la Coupe du monde qui oppose
la France à l’Angleterre, les coéquipiers de Carling réservent un traitement de choc au magicien, multipliant les
mauvais gestes et les agressions. Ce jour-là, le fair-play
n’était pas britannique.
40
15 février 1992 : France-Angleterre (13-31)
15 février 1992 : France-Angleterre (13-31)
Avec le bonjour
de Monsieur Hilditch
usqu’à ce 15 février 1992, peu de Français si ce
n’est quelques dirigeants de la FFR connaissent
Stephen Hilditch. Directeur adjoint d’école de
son état. Cet arbitre Irlandais, grand, sec et chauve est désigné pour arbitrer la dernière rencontre du tournoi entre
la France et l’Angleterre sur la pelouse du parc des
Princes. Autant le dire, l’amitié franco-britannique, du
moins en rugby, n’est pas au beau fixe. Quelques mois
plus tôt, le quart de finale de Coupe du monde entre la
France et l’Angleterre a viré au cauchemar pour les Bleus.
L’entraîneur Daniel Dubroca dont l’attitude a toujours
été exemplaire, s’en prend même verbalement à l’arbitre
néo-zélandais, David Bishop, à l’issue du match, l’accusant d’avoir fermé les yeux sur les agressions commises
par les équipiers de Carling à l’encontre de Serge Blanco.
Daniel Dubroca démissionne six jours plus tard, mais l’affaire a laissé des traces dans les mémoires, et lorsque Français et Anglais se retrouvent à Paris. Les Tricolores sont
toujours considérés par nos « amis » britanniques comme
des mauvais garçons.
Juste avant la mi-temps, alors que la victoire est loin
d’avoir choisi son camp (4-3 pour l’Angleterre), Monsieur
Hilditch ordonne une mêlée à 5 mètres de l’en-but fran-
J
çais. Celle-ci s’écroule et à la stupéfaction générale, l’arbitre accorde un essai de pénalité à l’Angleterre.
La deuxième mi-temps ressemble à un long chemin de
croix. C’est d’abord le pilier Grégoire Lascubé qui est expulsé après un accrochage avec Bayfield puis, quelques
minutes plus tard, c’est au tour de Vincent Moscato de
regagner les vestiaires précipitamment. Le Béglais est accusé d’avoir fait une entrée en bélier. Les Anglais déroulent ensuite leur rugby et infligent aux hommes de
Robert Paparemborde une cinglante défaite (13-31).
Pour Vincent Moscato qui écope comme son compatriote
Lascubé, cette sanction met un terme à sa carrière internationale, après seulement quatre sélections. Jamais plus,
le talonneur ne portera le maillot du Quinze de France.
Quant à Stephen Ilditch, il dirigera trois autres matchs
de l’équipe de France, deux tests l’année suivante en
Afrique du Sud (un match nul et une victoire française)
et, en 1994, un France-Angleterre à nouveau perdu par
les Bleus (14-18).
42
1997 : Angleterre-France (20-23)
1997 : Angleterre-France (20-23)
Un grand chelem à l’usure
près un tournoi 1996 sans relief particulier (deux
victoires et deux défaites), c’est un Quinze de
France en construction qui défie l’Angleterre
dans son jardin de Twickenham. Victorieux de l’Irlande à
Dublin et du pays de Galles à Paris, les Bleus de JeanClaude Skrela, mélange d’expérience et de jeunesse, alternent le très bon et le passable, mais manifestent une
énorme envie de vaincre, comme en témoignent leurs
deux succès précédents, obtenus en deuxième mi-temps.
Mais cela fait dix ans que la France rentre bredouille de
Londres. Et il y a pire. Durant cette décennie, les hommes
à la rose se sont imposés trois fois à Paris. Aussi,
lorsqu’Abdelatif Benazzi entraîne ses coéquipiers sur la
pelouse, la cote des Bleus est-elle au plus bas, et les supporters anglais se demandent à quelle sauce les « Froggies » seront dévorés.
La première mi-temps donne d’ailleurs raison aux sujets
de Sa Gracieuse Majesté. Tandis que les Anglais récitent
sans génie mais proprement leur leçon de rugby, les Français accumulent les fautes. Contre le vent, l’ouvreur Grayson inscrit trois pénalités, puis un quatrième but après la
A
pause, ainsi que la transformation d’un essai inscrit par
Dallaglio.
Il reste trente minutes à jouer, et on ne voit pas ce qui
pourrait arriver aux Anglais, munis d’une avance confortable (20-6). Les « sweet charriot » poussés à tue-tête par
le public ressemblent pour les tricolores à une oraison funèbre, d’autant que Rougemont, talonneur remplaçant,
entre en troisième ligne pour remplacer Benazzi, blessé.
Mais, comme ils le feront deux ans plus tard en demi-finale de la Coupe du monde contre les Blacks, les Bleus
sonnent la révolte. Et c’est Titou Lamaison qui donne
l’exemple en réussissant deux pénalités, un drop, un essai
et deux transformations face à un Quinze d’Angleterre
sonné et dont les avants, il est vrai, sont usés par le travail
de sape du pack français.
En ne faisant qu’une bouchée des valeureux mais limités
Écossais quinze jours plus tard à Paris (47-20), la France
signe cette année-là son cinquième grand chelem.
44
1998 : Galles-France (0-51)
1998 : Galles-France (0-51)
Le triomphe d’une
bande de gamins
ne fois n’est pas coutume. Le Millennium de Cardiff, où doit se dérouler la finale de la Coupe du
monde 1999, n’étant pas encore achevé, c’est
dans le temple du football, à Wembley, que les Gallois
accueillent l’équipe de France. Depuis un an, Pierre Villepreux est associé à Jean-Claude Skrela pour diriger le
Quinze de France. Des joueurs ayant remporté le grand
chelem l’année précédente, ils ne sont plus que sept à entrer sur le terrain, dont un seul trentenaire, Jean-Luc Sadourny. Fait rarissime à ce niveau de compétition, la
troisième ligne, Olivier Magne, Thomas et Marc Lièvremont, n’a pas 25 ans de moyenne d’âge. 25 ans, c’est aussi
l’âge du capitaine, Raphaël Ibañez. Mais tous ont l’expérience de vieux briscards et déjà un record à leur actif :
celui du plus grand nombre de points marqués dans le
Tournoi : 51-16 contre l’Écosse à Murrayfield. Et puis,
comme leurs aînés de 1968, ce match contre Galles est
l’occasion d’inscrire un grand chelem à leur palmarès. Le
U
sixième de la France après ceux de 1968, 1977, 1981,
1987 et 1997.
Il ne faut guère plus de dix minutes aux Bleus pour faire
taire les chœurs gallois. Deux essais et une transformation
concluent une emprise totale sur le match. La suite de la
rencontre n’est qu’un calvaire pour les coéquipiers de Neil
Jenkins, qui ne peuvent même pas sauver l’honneur, et
une démonstration de la part des Tricolores. Mais un
joueur est plus particulièrement éblouissant : Thomas
Castaignède. L’ouvreur français, qui honore sa 18e sélection, vient de fêter ses 23 ans. Lancé à 19 ans en première
au Stade Toulousain, il garde de son origine montoise un
surnom : le Petit Boni. Sur la pelouse de Wembley, Thomas Castaignède, qui portera 54 fois le maillot de l’équipe
de France sur une période de douze ans (1995-2007),
réalise ce jour-là un de ses matchs les plus aboutis.
46
2000 : premier tournoi à six
2000 : premier tournoi à six
Gazon maudit
au Stade de France
ncore tout auréolés de leur succès en demi-finale
de Coupe du monde contre les All Blacks cinq
mois auparavant, c’est en grandissimes favoris
que les Bleus entament le tournoi, désormais appelé « des
Six Nations » avec l’arrivée de l’Italie. 12 des mondialistes
ont été retenus par le nouvel entraîneur Bernard Laporte,
qui rêve d’un premier grand chelem.
Mais, avec l’équipe de France, il est écrit que les choses
ne se déroulent jamais comme prévu.
Tout commence bien avec une démonstration au Millénium de Cardiff face à des Gallois dépassés dans tous les
compartiments du jeu (3-36). Les affaires se gâtent quinze
jours plus tard contre l’Angleterre de Johnny Wilkinson,
auteur de tous les points de son équipe lorsque les Français
se prennent les pieds dans le tapis du Stade de France (915).
Une victoire à Murrayfield (28-16) met du baume au
cœur des Bleus avant de recevoir l’Irlande, dont la dernière victoire à Paris remonte à 1972, année où la plupart
E
des coéquipiers du capitaine Fabien Pelous n’étaient pas
encore nés. Cinq minutes avant la fin du match, les Français doivent gérer une avance de 8 points que tout le
monde estime confortable. Tout le monde sauf 15 Irlandais déchaînés et Brian O’Driscoll, dont l’essai à cinq minutes de la sirène fait vaciller la citadelle France. Une
transformation, puis deux minutes plus tard une pénalité
de David Humphreys envoient les Verts au paradis et les
Bleus en enfer.
Invaincu à l’extérieur mais incapable de s’imposer chez
lui, le Quinze de France reçoit l’Italie en clôture de cette
première édition à six. Hésitants et bousculés par l’intelligence tactique des Azurri, les Bleus encaissent 17 points
sans réagir. Ils s’en tireront au courage, mais aussi grâce
aux fautes grossières de leurs adversaires, pour lesquelles
le troisième ligne Cristofoletto sera définitivement expulsé à l’heure de jeu et enfin obtiendront la première victoire à Paris de ce XXIe siècle (42-31). 48
2004 : France-Angleterre (24 -21)
2004 : France-Angleterre (24 -21)
Le jour du « Yach »
e traumatisme de la défaite contre l’Angleterre
en demi-finale de Coupe du monde est encore
dans toutes les têtes des Français lorsqu’ils reçoivent, le 27 mars 2004, les Anglais, fraîchement auréolés
de leur titre de champions du monde.
Titulaire à Sydney, Fabien Galthié a mis un terme à sa
carrière. Titularisé lors des trois premiers matchs, tous
remportés, le Toulousain Jean-Baptiste Elissalde a cependant été remplacé par le Biarrot Dimitri Yachvili pour
rencontrer l’Écosse à Murrayfield (victoire 31-0) huit jours
auparavant et pour ce match de clôture, véritable
« crunch » dont l’enjeu est pour les Français un huitième
Grand Chelem.
Le demi de mêlée qui retrouve ses coéquipiers de Biarritz
Olympique, Brusque, Traille, Betsen et Harinordoquy,
n’a que 24 ans mais déjà une expérience de vieux briscard
avec 14 sélections au compteur. Si la semaine précédente,
face à l’Écosse, Dimitri Yachvili a montré ses talents de
buteur (16 des 31 points de la France), ce jour-là c’est en
véritable stratège qu’il va conduire la rencontre. Le premier essai, inscrit après vingt minutes de jeu, est un modèle d’intelligence tactique. Sur un maul tricolore, le
demi de mêlée adresse une passe au pied millimétrée à
L
son compère Imanol Harinordoquy, détaché sur l’aile. Asphyxiés devant, les Anglais se contentent des miettes,
sous la forme d’une pénalité. Mais, juste avant la mitemps et alors que l’écart n’est que de 11 points (14-3),
le « Yach » mystifie la défense adverse. Feintant une ouverture plein champ, il s’engouffre dans le petit côté, réalise un grand pont à l’ailier anglais Lewsez en tapant au
pied pour lui-même et aplatit le premier pour un essai en
coin qu’il transformera lui-même.
La deuxième mi-temps est plus compliquée. Usés par leur
débauche d’efforts, les Bleus sont dominés. À six minutes
de la fin, lorsqu’un essai de Lewsez permet aux siens de
revenir à seulement 3 points des Français, tout le public
du Stade de France doit pousser ses protégés pour préserver ce mince avantage et rejoindre le Pays de Galles au
nombre de grands chelems conquis.
Fait unique dans l’histoire du rugby français, Dimitri
Yachvili, trente-trois ans après son père, rejoint celui-ci
au palmarès des joueurs ayant remporté un grand chelem.
50
2007 : Irlande – France (17-20)
2007 : Irlande – France (17-20)
Époustouflant final
’est un match d’ouverture aux parfums de finale.
Dominateurs de l’édition précédente, Français et
Irlandais se retrouvent dans le cadre exceptionnel
de Croke Park, siège de l’association promouvant les
sports gaéliques, ce qui bien évidemment n’inclut pas le
rugby, jeu inventé par les Anglais. Les travaux de reconstitution du stade de Lansdowne Road, qui ont provoqué
cette entorse aux traditions, font aussi ressurgir en mémoire une histoire douloureuse de l’Irlande. C’est sur ce
même terrain qu’eut lieu le 21 novembre 1920 ce que l’on
appelle le « Bloody Sunday » lorsque treize personnes furent tuées par l’armée anglaise.
Poussé par plus de 80 000 spectateurs, le Quinze d’Irlande, dont l’effectif a rarement aussi été talentueux, subit
les assauts français avant de dominer la deuxième mitemps. Il ne reste que deux minutes à jouer lorsque le
demi d’ouverture Ronan O’Gara, déjà auteur d’un essai,
C
donne quatre points d’avance aux siens en passant sa quatrième pénalité (17- 13). Dans le camp français, on se dit
qu’il faudrait un miracle pour transpercer le mur que forment les Verts. Un miracle ou un exploit dont le réalisateur est l’ailier du Stade Toulousain, Vincent Clerc. En
première mi-temps c’est grâce à une touche qu’il a jouée
rapidement que les Bleus ont inscrit leur premier essai.
Là, c’est sur une dernière relance et un ballon donné par
Lionel Beauxis qu’il réalise un des plus grands numéros
de funambule mystifiant cinq adversaires pour enfin plonger sous les poteaux et offrir à Skrela la plus facile des
transformations.
Et ce n’est pas un hasard si, quelques années plus tard,
Vincent Clerc égalise le record d’essais marqués en
équipe de France (38) détenu jusque-là par un autre
funambule : Serge Blanco.
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