Transfert des connaissances: psychologie de l`apprentissage

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Transfert des connaissances: psychologie de l`apprentissage
Transfert des connaissances:
psychologie de l’apprentissage et
fondements didactiques
Mirjam Pfister et Roland Stähli 2016
Haute école spécialisée bernoise
Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires HAFL
Disciplines transversales
1 Introduction
Lorsque dans un processus d’apprentissage des connaissances et des aptitudes sont appliquées à une
situation nouvelle, on parle de transfert de savoir ou de transfert des acquis. La capacité de transposition est l’un des signes d’un processus d’apprentissage réussi. (Krapp, 2001 et Bovet, 2011). Les réflexions qui suivent ont pour objectif de préciser le concept de transfert de savoir, de mettre en évidence les conditions et les méthodes favorisant ce transfert et d’en tirer des conclusions utiles aux
activités d’enseignement et de conseil.
Le concept de transfert de savoir a gagné en importance ces dernières années. Non seulement les
connaissances prennent une place toujours plus importante dans notre société, mais elles dépassent
de plus en plus les limites d’une discipline (Höhne 2010, Jahn et al. 2010). Ce mouvement
s’accompagne d’un accroissement des interactions entre la science et les autres composantes de la
société. Les connaissances scientifiques doivent davantage être diffusées dans la société et y trouver
l’adhésion nécessaire (Höhne 2010). Or, force est de constater qu’elles sont souvent ineffectives,
même si elles font l’objet de mesures intensives de communication. Le savoir existe, mais n’est pas
converti en action. C’est ainsi que des personnes poursuivent des comportements nuisibles pour leur
santé, tel le tabagisme, alors que les conséquences sont désormais connues de tout un chacun.
Le transfert du savoir est bien documenté dans bon nombre de disciplines: sciences politiques, économie, formation, psychologie cognitive, environnement. Cet article met l’accent sur les sciences de
l’éducation, la didactique et la psychologie de l’apprentissage.
2 Généralités au sujet du transfert du savoir
En dépit de la définition donnée en introduction, le concept de transfert du savoir n’est pas toujours
compris de la même façon, même dans la littérature spécialisée (Thorndike 1924, Mähler et Stern
2006). Une première ébauche de définition a été faite par Thorndike (1924), qui affirmait que le transfert suppose des éléments identiques dans les situations d’apprentissage et d’application. En outre, il
n’y a jusqu’à aujourd’hui pas de consensus sur les conditions permettant un transfert.
On trouve dans la littérature différents types de transfert de savoir. Dans le monde anglo-saxon, on
distingue near transfer (transfert « proche », entre deux contextes semblables) et far transfer (transfert « éloigné », entre contextes très différents). Un exemple de transfert proche nous est donné par
l’utilisation de nouvelles compétences en grammaire pour la rédaction d’un texte. En revanche, la
transposition des aptitudes au jeu d’échec à la gestion d’une entreprise constitue un transfert éloigné
(Barnett et Ceci 2002, Royer et al. 2005, Larsen-Freeman 2013).
Depuis les années 90 il a été démontré de manière empirique que les connaissances scolaires
(qu’elles soient dispensées à l’école obligatoire ou dans les formations supérieures) bien souvent ne
peuvent pas être appliquées, ni dans la vie professionnelle ni dans la vie de tous les jours. Selon Renkl
(1996), le savoir est à disposition, mais n’est pas utilisé. L’apprenant-e ne peut pas mettre en pratique
le savoir acquis pour face aux problèmes survenant dans la réalité. (Mandl et al. 1992). Renkl nomme
ce phénomène « savoir inerte » („träges Wissen“). Le courant constructiviste en a fait le fondement de
sa démarche, selon laquelle le savoir n’est pas transmissible et doit être construit par l’apprenant-e.
Le contraire d’un savoir inerte est un savoir disponible, ou « porteur », dans la mesure où il peut être
mobilisé s’il s’agit de faire face à de nouveaux contenus ou de nouvelles situations ( Stern et Schumacher 2006, Bovet 2011). Le savoir inerte constitue un problème à tous les niveaux de formation, à
l’école primaire comme dans la formation professionnelle ou universitaire; il engendre également
d’importants coûts individuels et sociaux (par ex. Larsen-Freman 2013).
Différents travaux de recherche ont mis en évidence l’existence du savoir inerte dans de nombreux
domaines. Elle est le plus marquée dans le domaine des mathématiques de base. En voici deux
exemples, mentionnés par Renkl (1996): Au Brésil, des enfants des rues vendent des bonbons pour
leur subsistance et dans ce cas font leurs calculs correctement; cependant ils sont incapables
d’effectuer des opérations semblables à l’école. Les collaborateurs d’une laiterie prennent des décisions quant au prix et la quantité de produits laitiers; si on leur demande la même chose lors
d’épreuves scolaires, ils obtiennent de mauvais résultats. On a pu en tirer la conclusion que le transfert ne s’est pas fait, ni de l’école vers la vie quotidienne, ni dans le sens inverse.
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3 Causes du savoir inerte
Comment s’explique l’inertie d’un savoir ? Bovet (2011) ainsi que Mähler et Stern (2006) voient une
raison dans les connaissances elles-mêmes : elles sont insuffisamment disponibles, ne peuvent
qu’insuffisamment être mobilisées et ne sont pas assez structurées. Par exemple les apprenants ne
sont pas en mesure de transposer des savoirs factuels en une action concrète, comme utiliser des
mots nouvellement appris dans une conversation.
Une autre raison est liée au processus cognitif. Le savoir est enregistré dans divers compartiments.
Les contenus sont mémorisés de façon séparée, en fonction du contexte. Les concepts permettant de
trouver des solutions s’en retrouvent stockés dans différents compartiments, ce qui explique par
exemple qu’un savoir issu de la vie quotidienne n’est pas transposé dans l’environnement scolaire.
D’autres causes sont à rechercher dans la déficience des stratégies métacognitives d’apprentissage
(Mähler et Stern 2006). Il est question ici de manques dans la planification, le suivi et l’évaluation du
processus d’apprentissage, lesquels, selon Konrad (2005) parasitent le transfert des connaissances.
Ainsi, les apprenants connaissent les stratégies d’apprentissage, mais ne les mettent pas en œuvre
(Hilbe et Herzog 2011).
Le transfert des connaissances peut être également perturbé par des phénomènes touchant aux émotions et à la motivation. Tout processus d’apprentissage fait intervenir les émotions (Siebert 2001).
Celles-ci empêchent ou au contraire favorisent les processus de perception, d’appropriation intellectuelle et de mémorisation (Reinmann 2005). En outre la motivation joue un rôle central, dans la mesure où, si elle fait défaut ou si elle est inappropriée, le transfert s’en trouvera compromis, ce qui peut
se produire par exemple si un savoir acquis n’est pas transposé dans la pratique (entre autres Bovet
2011).
4 Mesures favorisant le savoir porteur
Que peut-on entreprendre pour contrecarrer le savoir inerte ? Il y a lieu de favoriser le savoir et le savoir-faire porteurs et de promouvoir d’une part la faculté de traiter les problèmes avec méthode,
d’autre part l’apprentissage autonome et coopératif. Une démarche qui devrait être appliquée non
seulement à l’école, mais également dans la formation des adultes et dans les activités de conseil.
Les nouveaux concepts de formation ont pour but de favoriser l’acquisition de connaissances qui
puissent être mises en pratique. Les nouvelles démarches pédagogiques se basent notamment sur le
concept de l’apprentissage situé, lequel se définit comme un apprentissage coopératif par confrontation à des problèmes authentiques dans un environnement pédagogique favorisant la résolution de
problèmes ( Mandl et al. 1992, Renkl 1996, Gerstenmaier et Mandl 2001, Bovet, 2011). Une des approches les plus répandues est l’apprentissage par problèmes APP (« problem based learning » PBL)
: Les apprenant-e-s traitent des problématiques d’une certaine complexité, authentiques et proches de
la réalité. Dans l’idéal, l’apprentissage s’effectue là où les connaissances trouveront par la suite leur
application. C’est ainsi que pour les étudiants en médecine l’enseignement « au chevet » des malades
s’est avéré très efficace. Pour ce qui est du « cognitive apprenticeship », l’enseignant fournit au début un modèle expliquant comment un problème authentique peut être traité. Ensuite, les apprenants
ont à leur tour à résoudre par eux-mêmes, avec le soutien d’experts. Dans la démarche « cognitive
flexibility », les apprenants sont confrontés à des contextes variés et sont appelés à considérer les
problèmes selon différentes perspectives, le recours à différents exemples favorisant la flexibilité.
Même si la vérification empirique quant à l’efficacité de ces trois concepts est encore insuffisante
(Bovet 2011), leur utilisation dans la pratique n’en est pas moins très répandue.
Un enseignement favorisant le transfert devrait, outre les nouvelles approches pédagogiques,
permettre la transposition interdisciplinaire de connaissances. Il faut cependant tenir compte du fait
que la pensée humaine fonctionne de manière situative. Les démarches suivantes se sont révélées
pertinentes (Bovet 2011) :
1. Les tâches scolaires et les savoir-faire visés se ressemblent : De cette manière, des connaissances semblables peuvent être mobilisées, ce qui facilite la réalisation de la tâche. Le recours à l’analogie est une des méthodes possibles.
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2. Les contextes d’apprentissage sont semblables : En même temps que l’apprentissage, c’est
également son contexte (la situation sociale dans laquelle il prend place), qui est enregistré,
raison pour laquelle apprendre dans des contextes semblables favorise le transfert des acquis.
3. Les connaissances préalables jouent un rôle important : plus on a acquis de connaissances,
plus on est à même de trouver des analogies. Qui connaît plusieurs méthodes trouvera
d’autant plus facilement des solutions.
4. Routine dans les aptitudes de base (procédures de calcul, lecture, façons de d’exposer une
problématique, étapes de planification), grâce à laquelle l’apprenant-e ayant à résoudre un
problème peut se concentrer sur les éléments nouveaux.
5. Exemples parlants : Le recours dans l’enseignement à des exemples variés facilite le transfert
des connaissances vers différents domaines.
6. Problèmes authentiques : Les apprenants doivent pouvoir appliquer ce qu’on leur enseigne à
des problèmes qui les concernent de près ou qui ont trait à des situations réelles (par ex. des
simulations à l’ordinateur ou travaux de projet qui se déroulent dans la « vraie vie »).
7. Décontextualisation : Sortir du contexte. Selon Mandl et al. (1992), il s’agit de faire la distinction entre connaissance abstraite, qui a été transmise par autrui, et la connaissance « extraite », utilisée par l’apprenant-e dans diverses situations en se détachant des contextes spécifiques. Ce type de savoir peut conduire à la réussite du transfert (« mindful abstraction » selon Salomon et Perkins 1989). Les enseignants peuvent contribuer à ce processus de décontextualisation.
Il faut prendre en considération qu’acquérir des connaissances qui puissent faire l’objet d’un
transfert réussi prend du temps. Bovet (2011) suppose que le savoir inerte s’explique dans bien
des cas par la densité des plans d’études, laquelle empêche la mise en pratique des connaissances et leur confrontation à différents contextes.
Pourtant, ce temps est bien investi si en découle un savoir porteur, transposable dans l’activité
professionnelle ou la vie de tous les jours. Il est donc primordial de transmettre des connaissances transférables en offrant aux apprenants de tous âges la possibilité d’utiliser leur savoir
dans différents contextes et de le mobiliser dans les situations qu’ils rencontrent.
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