Poutres encastrées et isolation par l`intérieur
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Poutres encastrées et isolation par l`intérieur
RÉNOVATION PATHOLOGIE ÉTUDE POUTRES ENCASTRÉES ET ISOLATION PAR L’INTÉRIEUR Réaliser une isolation thermique par l’intérieur performante dans le bâti ancien sans risque d’apparition de pathologies au niveau des têtes de poutres encastrées ? Cela semble possible – à condition de respecter scrupuleusement certaines précautions – selon un récent Rapport « RAGE 2012 » évaluant cette technique. TEXTE : FRANCK GAUTHIER PHOTOS & ILLUSTRATIONS : AQC/THIERRY BEL, DITTERT & REUMSCHÜSSELPHOTO, DR, FRAUNHOFER IBP n général, l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) est la solution reconnue comme étant la plus efficace pour le traitement thermique des parois extérieures d’une habitation. Mais pour 70 % des bâtiments construits avant 1948 (1), cette technique n’est pas envisageable pour diverses raisons : conservation patrimoniale, aspect architectural, complexité de la façade… Il ne reste plus alors qu’à recourir à une isolation thermique par l’intérieur (ITI) pour améliorer les performances thermiques de ces bâtiments. « Mais attention, la réalisation d’une ITI modifie les conditions de température et d’humidité au sein du mur. En effet, en hiver, le mur va être plus froid et plus humide qu’il ne l’était avant la mise en œuvre de cette isolation. Le risque est non négligeable de déclencher ainsi des pathologies notamment au niveau des têtes de poutres, en bois ou en métal, qui sont encastrées dans les murs extérieurs », explique Ulrich Rochard, responsable technique chez Pouget Consultants. Un phénomène d’autant plus insidieux qu’il ne se voit pas à l’œil nu (puisque les têtes de poutres sont généralement masquées) et qu’il est à évolution très lente (de l’ordre de 10 à 15 ans). E Il semble pourtant possible de l’éviter d’après le Rapport publié en septembre 2013 par le Programme « Règles de l’art Grenelle Environnement 2012 (RAGE)»: Évaluation des risques de pathologies liées à l’humidité au niveau des poutres encastrées dans un mur extérieur isolé par l’intérieur (2). Des simulations hygrothermiques En effet, Pouget Consultants (3) et le Fraunhofer Institut für Bauphysik (4) se sont associés pour étudier le comportement hygrothermique des têtes de poutres au niveau de murs extérieurs de bâtiments anciens isolés par l’intérieur. Les simulations hygrothermiques ont été réalisées par le Fraunhofer IBP à Holzkirchen (Allemagne). La méthodologie de l’étude et les hypothèses pour les simulations ont été définies en collaboration avec le CSTB (division enveloppes et matériaux isolants). (1) Ils représentent 38 % de bâtiments du parc existant. (2) Téléchargeable gratuitement sur le site Internet www.reglesdelart-grenelleenvironnement-2012.fr. (3) www.pouget-consultants.fr. (4) Institut Fraunhofer de physique du bâtiment (www.ibp.fraunhofer.de). JANVIER/FÉVRIER 2014 • N° 142 • QUALITÉ CONSTRUCTION 37 RÉNOVATION Photo DR PATHOLOGIE 3 Photos Dittert & Reumschüsselphoto 1 2 4 1 Avant d’envisager une isolation par l’intérieur, une façade en brique doit être protégée des infiltrations d’eau (pluie battante, fuites d’eau…). 2 Une très bonne étanchéité à l’air au niveau des poutres est une condition préalable et indispensable pour le bon fonctionnement hygrothermique du système. 3 Pour éviter tout risque de développement des champignons qui détruisent le bois, il faut respecter des critères de teneur en eau du bois, d’humidité relative, et garantir une absence d’eau libre dans le bois. 4 Une humidité relative inférieure à 80 % HR à la surface des poutres permet d’éviter la corrosion du métal. “Avant même d’envisager la mise en œuvre d’une isolation thermique par l’intérieur, il convient de s’assurer que les poutres sont saines, ce qui sous-entend d’ouvrir le plancher par endroits pour les contrôler au moins visuellement” Comme il n’était évidemment pas envisageable d’étudier tous les cas de figures pour pouvoir représenter les bâtiments anciens les plus fréquents, deux types de façades (en pierre de taille et en briques apparentes) et deux matériaux (poutres en métal et poutres en bois) ont été sélectionnés. De même, les deux matériaux les plus utilisés en matière d’isolation par l’intérieur ont été choisis: le polystyrène expansé et les fibres minérales. La performance thermique retenue pour ces isolants correspond à la meilleure qualité disponible sur le marché. Parmi les différentes configurations possibles (isolant appliqué sur les deux côtés du plancher ou non, au-dessus ou au-dessous, avec ou non retour de l’isolant en refend, plancher et plafond, etc.), quatre versions ont été retenues. Signalons également que cette étude se base sur les données météorologiques de Trappes (78). «Les résultats de ces simulations hygrothermiques démontrent qu’il est possible de réaliser une isolation thermique par l’intérieur très performante (R = 5 m²K/W) sans risque de pathologies pour les têtes de poutre. Il faut pour cela tenir compte de 38 QUALITÉ CONSTRUCTION • N° 142 • JANVIER / FÉVRIER 2014 plusieurs conditions préalables et respecter certaines exigences au niveau de la mise en œuvre. Mais on ne peut pas encore généraliser les résultats», précise Ulrich Rochard. L’importance du diagnostic préliminaire Pour éviter l’apparition de pathologies liées à l’ITI, il faut avant toute chose établir un diagnostic soigneux. «Concrètement, avant même d’envisager la mise en œuvre d’une isolation thermique par l’intérieur, il convient de s’assurer que les poutres sont saines, ce qui sous-entend d’ouvrir le plancher par endroits pour les contrôler au moins visuellement. Si les poutres en bois ou en acier souffrent d’une pathologie, il faudra déjà la corriger, quitte à remplacer certaines d’entre elles si elles sont pourries ou corrodées, avant même d’envisager l’isolation du mur», souligne Ulrich Rochard. Les murs extérieurs doivent aussi bénéficier d’une bonne protection contre les infiltrations d’humidité venant de l’extérieur, du sol (remontées capillaires), des fuites au niveau des toitures, des fuites au Illustration AQC/Thierry Bel d’après celle de Fraunhofer IBP niveau des installations sanitaires… C’est essentiel pour garantir la pérennité du mur et des poutres, quelle que soit d’ailleurs la technique d’isolation retenue. La protection des façades anciennes contre la pluie battante est souvent insuffisante, un phénomène aggravé dans certains cas par l’orientation de la façade vis-à-vis des intempéries ou l’absence de protection environnante (maison isolée en rase campagne et non dans un village, par exemple). De plus, en vieillissant, certaines briques deviennent poreuses et les joints deviennent moins étanches. Dans certains cas, le recours à un procédé d’hydrofugation protégera ce type de façades exposées aux intempéries. «Ce traitement empêche l’absorption de l’eau par capillarité mais, étant non filmogène, il préserve la diffusion de la vapeur d’eau à travers le support, favorisant ainsi le séchage du mur. C’est le même principe pour les remontées capillaires: il faut réduire les sources d’humidité et améliorer les capacités de séchage du mur», commente Ulrich Rochard. Ne pas bloquer les transferts d’humidité Autre point important: il faut soigner l’étanchéité à l’air au niveau des têtes de poutres pour éviter les fuites d’air chaud et humide, de l’intérieur vers l’extérieur, le long des poutres. « Sinon l’humidité contenue dans cet air pourrait se condenser en hiver, risquant ainsi d’entraîner la pourriture ou la corrosion des têtes de poutres. Il faut aussi s’assurer de la CE QU’IL FAUT RETENIR : • Réaliser un diagnostic détaillé de l’existant et une évaluation hygrothermique à l’état initial. • Bien protéger le mur contre les infiltrations d’humidité de toutes sortes. • Soigner la mise en œuvre pour garantir une bonne étanchéité à l’air. • Recourir, si nécessaire, à un pare-vapeur hygrovariable pour faciliter le séchage du mur extérieur vers l’intérieur et s’assurer aussi que le renouvellement d’air est suffisant pour évacuer l’humidité intérieure. bonne étanchéité à l’air entre le local et la face extérieure de l’isolation, qui est en contact avec le mur froid», rappelle Ulrich Rochard. Il faut également veiller à ce que la paroi isolée conserve sa capacité de séchage, aussi bien du côté intérieur qu’extérieur, afin d’évacuer l’humidité apportée lors de la mise en œuvre ou via des infiltrations accidentelles. Si nécessaire, on peut aussi avoir recours à un pare-vapeur hygrovariable bien dimensionné pour garder une possibilité de séchage du mur extérieur vers l’intérieur. En effet, l’isolation par l’intérieur ne doit pas bloquer les transferts d’humidité: avec un pare-vapeur hygrovariable, l’humidité peut passer dans le local isolé. En parallèle, cela sous-entend que l’humidité soit correctement évacuée grâce un système de ventilation opérationnel, à même d’assurer un renouvellement d’air suffisant. «Les isolants offrant une capacité de transport capillaire, comme le béton cellulaire multipores de Xella, par exemple, semblent bien adaptés à cet usage. Leur résistance thermique est certes moindre que celle d’autres isolants mais ce type de matériau convient bien aux murs difficiles à assécher car soumis à des infiltrations, des remontées capillaires. L’humidité est évacuée du mur vers l’intérieur du local puis vers l’extérieur grâce à la ventilation, ce qui finit par favoriser l’assèchement du mur. Ce genre de solution est bien adapté au bâti ancien. C’est aussi le cas de certains isolants biosourcés qui savent stocker l’humidité et la réguler, comme ceux à base de fibres de bois, par exemple», signale Ulrich Rochard. ■ JANVIER/FÉVRIER 2014 • N° 142 • QUALITÉ CONSTRUCTION 39