La concentration de la diffusion, de la distribution et des

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La concentration de la diffusion, de la distribution et des
CHAPITRE IV
La concentration de la diffusion,
de la distribution et des canaux de ventes
Dans la chaîne du livre, les processus de concentration se
manifestent également au sein de la diffusion et de la distribution. Rappelons avant tout brièvement le rôle de ces deux
fonctions.
La diffusion
La diffusion est un acte commercial assuré par des équipes
de ventes qui constituent les représentants des éditeurs et les
interlocuteurs privilégiés des libraires170. Le rôle de ces représentants commerciaux consiste à promouvoir une production
auprès des canaux de vente « en assurant le suivi commercial
aussi bien pour les nouveautés que pour le fonds » et en
veillant entre autres « aux mises en place, aux réassorts, aux
retours et aux campagnes promotionnelles171 ».
Plusieurs cas de figure sont possibles. Un éditeur peut
opter pour l’autodiffusion, soit en répercutant la charge de
travail induite au sein de son personnel, soit en créant une
entité spécifique, laquelle ne pourra être mise en place qu’à
partir d’un certain seuil d’activités et d’un capital important.
170. CAVILLON Pierre, propos recueillis lors d’une intervention à l’université Paris-XIII,
cours « Diffusion », master « Commercialisation du livre », décembre 2010.
171. LEGENDRE Bertrand, « Les enjeux de la distribution » dans BBF t. 49, n°3, Paris,
2004 [en ligne]. <http://bbf.enssib.fr/consulter/01-legendre.pdf>
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
Les petites structures, habituellement, prennent elles-mêmes
en charge leur diffusion.
L’autodiffusion permet d’avoir un contrôle plus précis sur
les flux et d’évaluer les quantités d’ouvrages imprimés avec
précision. Néanmoins, cette pratique s’avère très vite chronophage et difficile à assumer au-delà d’un certain volume
d’ouvrages transitant et d’un certain nombre de points de
vente à démarcher.
À partir d’un certain palier d’activités, l’éditeur peut confier sa diffusion à une structure externe, un « organisme de
service […] avec lequel il entretient des relations de client à
fournisseur172 ». Cette méthodologie confère une souplesse,
néanmoins relative dans la mesure où il est lié à un prestataire par un contrat qu’il lui sera, de surcroît, difficile de
rompre. En parallèle, cette relation présente également des
risques pour la marge d’indépendance et la pérennité d’un
petit éditeur, que nous évoquerons par la suite.
La distribution
La distribution se définit comme une activité strictement
industrielle qui est la plupart du temps intégrée à la structure
de diffusion. Elle concerne tout autant les tâches logistiques
de stockage, le traitement des offices, les commandes, les
retours et les expéditions. Son fonctionnement « repose […]
sur une informatisation très poussée à la base de laquelle se
trouve la fiche-produit du livre173 ». Les grandes structures
exigent des moyens logistiques coûteux. Il suffit de visiter le
centre de la Sodis à Lagny sur Marne pour se rendre compte
de l’ampleur de son activité industrielle.
172. LEGENDRE Bertrand, art. cit.
173. Ibid.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
71
Deux acteurs contrôlent 60 % du marché
En France en 2005, les deux plus grands groupes d’édition Hachette et Éditis contrôlaient « 60 % de la diffusion/distribution174 », par leurs structures dédiées Hachette
Livre Distribution et Interforum. Les cinq plus grands diffuseurs/distributeurs représentaient « environ 85 à 90 % de la
distribution de livres175 ». Cette forme d’intégration de ces
deux cœurs de métiers est de type verticale et constitue « une
particularité bien française », dans la mesure où « la plupart
des éditeurs européens [font] appel à une distribution non
dédiée176 ». Les groupes ne diffusent seulement leurs propres
maisons d’édition ; ils travaillent également pour des éditeurs
externes.
La structure leader en France est représentée par Hachette
Livre Distribution, qui appartient au groupe éponyme, luimême propriété de Lagardère. Lui succèdent alors Interforum, une filiale d’Éditis, Union Distribution du groupe
Flammarion, Volumen du groupe La Martinière et la Sodis
de Gallimard. Nous présenterons brièvement les deux plus
importantes.
Hachette Livre Distribution regroupe les fonctions de diffusion et de distribution. Sa distribution est assurée par un
imposant complexe industriel implanté à Maurepas et à
partir de « deux centres régionaux du livre (CRDL) ainsi que
trois plates-formes basées à l’étranger (Suisse, Belgique et
Canada)177 ». L’activité de la diffusion est prise en charge par
174. « États généraux de l’édition indépendante », acte I, 29 avril 2005.
[Synthèse disponible en ligne sur <http://www.lautrelivre.net/LAL_EG20050429.pdf>]
175. LIMA Anne, « Panorama de la distribution pour les éditeurs indépendants : France,
Portugal, Brésil » dans Des paroles et des actes pour la bibliodiversité (ouvrage collectif),
Paris, Alliance des éditeurs indépendants, 2006, p. 74.
176. PROSPER Martine, Édition, l’envers du décor, Paris, Lignes, 2009, p. 114.
177. Lagardère, « Les sociétés et marques du groupe. Hachette Livre Distribution »
[en ligne]. <http://www.lagardere.com/groupe/presence-dans-le-monde/societes-etmarques-152.html&soc=138>
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
sept structures, nommées « Livre Service Hachette » et implantées en France.
Interforum assure la diffusion et la distribution d’« une
centaine d’éditeurs appartenant au groupe Éditis ou indépendants de celui-ci178 ». Sa diffusion monopolise de nombreuses équipes de ventes composées chacune d’une douzaine
de représentants commerciaux, segmentées par niveaux de
canaux de ventes allant des plus grandes librairies dites de
« premier niveau » aux plus réduites « de troisième niveau »
telles que les librairies spécialisées ou occasionnelles. La
structure travaille également avec les hypermarchés et les
supermarchés, les sites de vente en ligne ainsi que les grossistes. Son activité est à échelle internationale, notamment
dans les pays de la francophonie.
La distribution est centralisée dans le centre Interforum
Malesherbes localisé dans le Loiret et doté d’« un processus
automatisé du stockage, de la préparation et de l’expédition179 » permettant de traiter aussi bien des commandes en
grand nombre que plus réduites telles que la vente par correspondance. Un service nommé « opérations logistiques »
est chargé de « réceptionner, de stocker, de préparer et
d’expédier les commandes180 » et traite quotidiennement
500 000 ouvrages. La structure intègre conjointement les
activités de diffusion et de distribution, ce qui lui permet
d’optimiser son process en améliorant sa réactivité, à tous les
niveaux. Les moyens déployés sont particulièrement puissants.
178. Éditis, « Services. La performance au service du livre » [en ligne].
<http://www.editis.com/content.php?lg=fr&id=12>
179. Ibid.
180. Ibid.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
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Les enjeux pour les éditeurs
Quels sont les enjeux de la diffusion et de la distribution
pour les éditeurs ? On assiste à un phénomène paradoxal.
D’un côté, les techniques de production du livre se sont
modernisées et ont permis de rendre « l’édition du livre
beaucoup plus accessible181 ». Les avancées informatiques ont
favorisé le développement d’outils pointus de publication
assistée par ordinateur ; de même, la modernisation de
l’imprimerie a permis d’imprimer en numérique, avec des
tirages beaucoup plus réduits et moins coûteux. À l’inverse, il
est beaucoup plus difficile pour les petits éditeurs d’atteindre
leur public par la diffusion et la distribution, d’être présents
dans les canaux de ventes. La majorité des petites et
moyennes structures éditoriales sont « confrontées quotidiennement au problème de la diffusion et de la distribution
[de leurs] livres », « qui ne répondent pas à l’image du "produit à succès" et qui sont parfois jugés difficiles182 ».
Les structures au capital modeste ou celles qui débutent
une aventure éditoriale ont de nombreuses difficultés à
trouver un diffuseur qui accepte de valoriser leur production
dans les canaux de vente. Pour en bénéficier, un éditeur doit
justifier de nombreuses garanties économiques, d’une rentabilité potentielle de ses ouvrages. Il doit en outre disposer
d’un catalogue d’au moins quelques titres. Les cinq plus
grands diffuseurs prennent seulement en charge, parmi les
petits éditeurs, « ceux qu’ils jugent solides, parce qu’ils peuvent réaliser de gros tirages à des prix de vente attractifs183 ».
Quelquefois, ils acceptent « des éditeurs jouissant d’une
notoriété historique184 » afin de valoriser leur image de
marque.
181. « États généraux de l’édition indépendante », art. cit.
182. LIMA Anne, op. cit., p. 71.
183. Ibid, p. 75.
184. Ibid, p. 75.
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
Quelles sont les logiques de ces puissantes structures de
diffusion et de distribution ? Le livre, prisonnier de l’idéologie libérale, devient-il un produit comme les autres, banalisé, creusant une dichotomie entre la représentation faite d’un
bien culturel et sa valeur marchande ?
Un distributeur est une mécanique qui se « nourrit » de
livres ; il augmente d’autant plus sa rentabilité qu’il accumule
les flux allers et retours, deux opérations qu’il facture. En
outre, « ces structures réalisent les marges les plus importantes185 ». Elles ont un impact très fort tant sur les librairies
que sur les « éditeurs qui ne leur appartiennent pas […] du
fait de leurs concentrations186 » car elles peuvent leur imposer
« des conditions drastiques en terme de rémunérations187 ».
D’autre part, la concentration de l’édition et des canaux de
vente profite à « la machine à distribuer188 » : le contexte de
surproduction augmente les flux qui constituent autant de
rentabilité pour le distributeur.
Ce processus est insidieux dans la mesure où le foisonnement de titres sature l’espace disponible des canaux de vente.
Ainsi, le libraire peut être amené à modifier ses pratiques et
son assortiment par opportunisme ou nécessité, pour tâcher
d’augmenter ses marges de rentabilité faibles et fragiles. En
conséquence, il pourra légitimement choisir des ouvrages à
forte rotation dont les ventes sont plus rapides et élevées, au
détriment d’une production de fonds pourtant fondamentale.
185. STÉPHAN Bernard, « Qu’est-ce qu’une maison d’édition indépendante ? » dans Des
paroles et des actes pour la bibliodiversité (ouvrage collectif), Alliance des éditeurs
indépendants, Paris, 2006, p. 45.
186. Ibid, p. 45.
187. Ibid, p. 45.
188. COLLEU Gilles, « Diffusion et distribution : la place de l’éditeur indépendant » dans
Des paroles et des actes pour la bibliodiversité (ouvrage collectif), Alliance des éditeurs
indépendants, Paris, 2006, p. 157.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
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Les difficultés des éditeurs indépendants à se diffuser
Les principales victimes de ce système seraient les éditeurs
indépendants dont la survie serait l’enjeu, au-delà d’un
simple « problème de croissance189 ». En outre, la surproduction complexifie la diffusion des éditeurs indépendants. Les
grands groupes, « lancés dans une course effrénée au bestseller » saturent le marché et « encombre[nt] les étals des
librairies », ce qui contribue à placer « les éditeurs indépendants devant l’alternative d’avoir à disparaître190 » ou de se
laisser absorber. Dans ce contexte, le livre s’apparente à un
produit industriel, dépossédé de son contenu et sous la
tutelle d’« exigences de rentabilité191 ».
« L’éditeur de création », pour reprendre l’expression de
Gilles COLLEU, a pourtant un rôle capital dans la préservation de la diversité culturelle du livre face à la diffusion de
contenus standardisés à laquelle semblent obéir les grandes
structures. L’auteur le définit comme un acteur cherchant « à
rendre cohérent son catalogue, à tisser au fil des années la
trame de sa légitimité en produisant des livres qui résonnent
ensemble192 ». Cette figure inscrit la création dans une temporalité, de même qu’elle la porte à l’utilité collective : « des
livres […] qui seront les références littéraires des générations
futures. Un système qui ne met pas l’argent comme un but à
atteindre, mais comme un moyen au service de la
ture.193 »
Dans ce contexte, quels sont les moyens mis en œuvre par
les éditeurs indépendants, ainsi que ceux de taille réduite,
pour se diffuser ? Nous évoquerons deux cas de figure : les
maisons d’édition optant pour l’autodiffusion ainsi que les
189. LIMA Anne, op. cit., p. 71.
190. Ibid, p. 71-72.
191. Ibid, p. 71-72.
192. COLLEU Gilles, op. cit., p. 154.
193. Ibid, p. 155.
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
structures de diffusion/distribution que l’on qualifiera d’indépendantes, non affiliées un groupe éditorial et œuvrant la
plupart du temps pour des éditeurs de taille modeste.
L’autodiffusion des petites structures éditoriales n’est pas
une stratégie forcément viable à terme ; elle peut également
s’avérer contre-productive. La charge de travail induite,
parfois sous-estimée, dépasse rapidement les capacités de
l’éditeur et, de fait, nuit à son essor : « C’est une formule qui
peut marcher un temps […] Mais cela représente un énorme
travail et il arrive en général un moment où ce système atteint une limite et empêche la maison d’édition de progresser.194 » En fin de compte, peut-être qu’il serait nécessaire de
repenser « l’ensemble du dispositif de la distribution195 », de
réfléchir à des modèles économiques différents. Les messageries Hachette de l’époque, lors de la Libération, avaient « été
transformées en coopératives196 censées garantir à n’importe
quel titre la possibilité d’être diffusé sur l’ensemble du territoire197 » ; leur modèle économique, toutefois, n’a pas tenu.
Le cas de Calibre
L’exemple de la structure de diffusion et de distribution
Calibre illustre les difficultés pour les petits éditeurs à trouver
un tel allié. Ce projet est né en 2007 avec l’objectif de proposer une alternative aux « problèmes de diffusion des petits ou
tout petits éditeurs198 », à l’issue d’une réflexion conduite
durant plusieurs années par l’interprofession. Les structures
194. « États généraux de l’édition indépendante », art. cit.
195. Ibid.
196. Ces coopératives se nommaient les NMPP, Nouvelles Messageries de la Presse
parisienne. Elles furent fondées en avril 1945 et chargées de diffuser la presse.
197. L’autre livre, art. cit.
198. DUREL Éric, Bibliofrance.org, « Les petits éditeurs sortent leurs "Calibre" »
[en ligne], juin 2007.
<http://www.bibliofrance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=217:les
-petits-editeurs-sortent-leurs-qcalibreq&catid=50:articles-de-bibliofrance&Itemid=41>
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
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de taille modeste avaient jusqu’alors recours à l’autodiffusion, faute de pouvoir « être distribué[e]s par les industriels
du secteur199 ». Le Syndicat national de l’Édition avait appuyé le projet en partenariat avec le Syndicat de la Librairie
française, ce qui a permis de créer « des avantages immédiats
tant aux éditeurs qu’aux points de ventes200 ». Les professionnels du livre s’étaient associés pour le financement au moyen
d’« une commission payée par les éditeurs201 ». Calibre reposait sur le principe de la mutualisation des flux : il centralisait
les commandes des libraires pour les éditeurs, qui adressaient
alors les ouvrages groupés à la plate-forme, chargée à son
tour de les distribuer dans les points de vente. Ce fonctionnement permettait aux éditeurs de centraliser les flux tout en
facilitant la logistique pour les librairies. Calibre a permis aux
petites structures d’effectuer des économies substantielles,
notamment grâce à « la diminution des frais fixes et la baisse
des coûts variables unitaires202 ». Au début de l’année 2011,
elle comptabilisait 120 clients éditeurs pour un réseau de
2500 librairies203.
Malheureusement, la pérennité de Calibre n’a pas pu être
assurée, tout comme son prédécesseur Distique, un « distributeur agrégateur de la petite édition » fondé en 1979 puis
repris en 2001 « sous la dénomination Alterdis204 », qui
tombera en liquidation deux ans plus tard. Calibre a récemment annoncé sa mise en liquidation, son déficit rendant
« impossible la poursuite de l’activité205 » ; ses objectifs escomptés de 250 000 ventes par an n’ont pas été atteints. Des pour199. Ibid.
200. Ibid.
201. Ibid.
202. Ibid.
203. Envie d’écrire, « Les petits éditeurs perdent un allié de poids » [en ligne].
<http://www.enviedecrire.com/les-petits-editeurs-perdent-un-allie-de-poids/>
204. DUREL Éric, Bibliofrance.org, art. cit.
205. Envie d’écrire, art. cit.
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
parlers seraient en cours avec un éventuel repreneur, Pollen
Diffusion, « créé en 2004 par Benoît Vaillant et spécialisé
dans la diffusion des maisons d’édition indépendantes206 »207.
La mutualisation de services, malgré tout, pourrait constituer une alternative pour les petites structures, dans le contexte d’une diffusion et d’une distribution fortement concentrées. Il faudrait toutefois que des groupements puissent
s’accorder sur un modèle économique autrement plus viable
à long terme que les deux cas évoqués.
Les canaux de vente
Les canaux de vente du livre se sont progressivement inscrits dans un mouvement d’industrialisation marqué par
l’essor de la grande distribution208. En 2010, trois principales
enseignes occupaient la tête du marché : la FNAC et son site
de vente en ligne Fnac.com, « leader avec une part de marché
estimée à 13-15 %209 », suivi par DirectGroup France détenu
par Bertelsmann. En troisième position, le groupe Leclerc
incluant ses espaces culturels, suivi des grandes surfaces alimentaires Carrefour et Auchan210. Ce classement sera modifié
en 2011 pour Bertelsmann, qui s’est récemment séparé de
DirectGroup.
206. Envie d’écrire, « Un espoir pour Calibre, distributeur des petits éditeurs ? » [en
ligne].
<http://www.enviedecrire.com/un-espoir-pour-calibre-distributeur-des-petitsediteurs/>
207. Aucun arrangement financier n’était encore trouvé à la date du 30 juin 2011.
208. Nous reviendrons sur les enjeux de la grande distribution.
209. Xerfi 700, « Livres (distribution) » [en ligne], septembre 2010, p. 1.
<http://195.154.196.81/Etudes_sectorielles_non_imprimables/secteur700/pdf/0DIS20.pdf>
210. Ibid.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
Source : Étude sectorielle Xerfi 700,
« La distribution des livres », septembre 2010.
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80
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
La Fnac, malgré sa position de leader, traverse des difficultés ; elle est en quête d’un repreneur. « Elle a peiné à maintenir le niveau de son activité sur le secteur.211 » Ses ventes de
livres auraient même décru de 1 % en 2010 ; cela demeure
toutefois une probabilité étant donné que « l’enseigne ne
communique plus ses chiffres depuis l’an dernier212 ».
Leclerc est en position favorable ; ses performances sont
« dopées par l’extension régulière du parc de ses espaces
culturels213 », évalués à une vingtaine. Le chiffre d’affaires de
ceux-ci a progressé de 10 % en 2010. Entre 2005 et 2010,
l’enseigne a ouvert plus de 100 magasins et a augmenté ses
ventes de livres de 75 %214.
Le réseau des canaux de vente, d’un point de vue global,
est à la fois concentré et dense215. Il se constitue de 3000
points de vente actifs répartis en cinq circuits de distribution : les grandes surfaces spécialisées (ou GSS), les grandes
surfaces alimentaires (ou GSA), les librairies, les clubs de
lecture et la vente en ligne.
Dans ce contexte, comment se positionnent les plus petites librairies, celles nommées « indépendantes » et « généralistes » ? Pour répondre à cette question et esquisser un
panorama de la vente du livre, nous nous référerons essentiellement au rapport du SLF édité en 2010216. La librairie,
de manière générale, a subi les contrecoups de l’essor des
grandes surfaces, tous types confondus, ainsi que de la vente
en ligne. Sa part de marché a considérablement décru, « au
regard de la montée en puissance d’autres circuits commer211. « Les chaînes 2010 » dans Livres Hebdo n° 857, mars 2011.
212. Ibid.
213. Ibid.
214. Ibid.
215. Xerfi 700, op. cit., p. 53.
216. SLF, « La librairie, Guide 2010 du Syndicat de la Librairie française » [en ligne].
<http://www.syndicat-librairie.fr/images/documents/guide_slf_2010_portail.pdf>
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
81
ciaux […] et de l’essor global du marché217 ». Cette tendance
s’est surtout accentuée à partir de « la deuxième moitié des
années 1980 et s’amplifiera de façon presque ininterrompue
jusque 2004218 ». Cette évolution peut être comparée avec le
premier palier de concentration éditoriale : « aux concentrations verticale et horizontale de l’édition correspondent les
ouvertures ou rachats de magasins219 ».
Un double mouvement de concentration
dans les années 1970 à 1990
Rappelons dans un premier temps les principales mutations qui sont intervenues ces trente dernières années au sein
des canaux de vente du livre, bien qu’il soit difficile d’en
mesurer avec précision les évolutions car « on ne dispose pas
à ce jour d’outil régulier de suivi de la concentration du
commerce du livre220 ». Par ailleurs, les nomenclatures sont
complexes et il manque des « données nominatives sur la
part de marché des différentes enseignes221 » dans divers
panels.
Selon le SLF, de 1970 à la fin des années 1990, on a constaté deux principaux mouvements de concentration : la
création et l’essor des clubs de lecture et le développement
rapide des grandes surfaces, spécialisées ou non. Jusqu’alors,
les canaux de vente étaient plus dilués.
En parallèle, au début des années 1980, les « indépendants se sont constitués […] en groupements à finalité et
217. SLF, op. cit., p. 68.
218. Ibid, p. 69.
219. LANE Philippe, « La librairie du XXIe siècle, un acteur en perpétuelle mutation »
dans MOLLIER, Jean-Yves (dir.), Où va le livre ?, La Dispute, Paris, 2007 (1re éd. 2000).
220. SLF, op. cit., p. 69.
221. Ibid, p. 69.
82
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
modalités de fonctionnement variables222 ». Fin 1980, « ils
représentaient un tiers du chiffre d’affaires de la librairie223 ».
À partir de 1998, les réseaux de vente ont connu d’importantes mutations marquées par des processus d’absorption.
La Fnac a racheté le groupe Alizé (SFL, alibbook.fr) qui lui a
notamment permis de devenir un acteur majeur de vente en
ligne ; les GSS telles que Leclerc et Cultura se sont développées ; le groupe allemand Bertelsmann s’est lancé en France
dans le commerce de détail, en rachetant, entre autres, les
chaînes de librairies Baume et Privat224. Bertelsmann, encore
récemment en France, était l’acteur majeur des clubs de
livres avec France Loisirs et le Grand livre du mois, par le
biais de sa filiale française225. La vente en clubs s’est effondrée
ces dix dernières années en perdant plus de 10 % de parts de
marché : évaluée à 24 % en 2000, elle ne constituait plus que
13,5 % en 2010. En mai 2011, Bertelsmann a cédé DirectGroup France au fonds américain Najafi Companies226, se
séparant ainsi des clubs France Loisirs et du Grand livre du
mois, mais également de Chapitre.com, un réseau de 71
librairies en ligne.
Les évolutions par canaux
À partir des données des quinze dernières années et un
peu plus récemment pour la vente en ligne, on peut mettre
en évidence trois tendances :
― Les librairies, tous réseaux confondus, des librairies spécialisées et généralistes aux grandes librairies et aux maisons de la presse, ont vu leur part de marché se réduire
222. Ibid, p. 69.
223. Ibid, p. 69.
224. Ibid, p. 69.
225. Sa filiale française, jusqu’en mai 2011, se nommait DirectGroup France.
226. Ibid, p. 69.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
83
de moitié entre 1994 et 2007, passant de 33,2 % à
24,4 %227, selon le panel de TNS-Sofres sur les achats
de livres. Si l’on isole la librairie traditionnelle, sa part
de marché, qui était de 20,8 % en 2000, a diminué à
16,3 % en 2010228. L’outil de prévisions Xerfi 700 à
destination des financiers, entreprises et institutions,
évaluait en septembre 2010 l’avenir de la librairie indépendante comme « un circuit condamné à jouer un rôle
de plus en plus marginal229 ».
― En parallèle, les grandes surfaces ont gagné du terrain,
qu’elles soient spécialisées (GSS ou GSC telles que la
Fnac, Virgin) ou non spécialisées (les grandes surfaces
alimentaires, GSA, telles que Carrefour, Auchan). Leur
part de marché a quasiment doublé, augmentant respectivement, de 1994 à 2007, de 11,3 % à 21,2 % et de
13,7 % à 21,4 %. Cette hausse s’est toutefois un peu
réduite entre 2005 et 2007.
― La vente en ligne s’est fortement développée ces 10 dernières années avec une croissance régulière : de 0,9 % en
2000, sa part de marché a augmenté à 4,6 % en 2004, à
7,9 % en 2007 pour atteindre 12,6 % en 2010. Ce secteur semble fortement concentré ; la part cumulée des
deux leaders Amazon.com et Fnac.com, actuellement,
« se situerait entre 60 % et 66 %230 ».
La quantité d’ouvrages produits a régulièrement augmenté ces quinze dernières années. Selon Livres Hebdo, de 42 997
titres incluant les nouveautés et les réimpressions en 1995, la
227. Ibid, p. 67.
228. Xerfi 700, op. cit., p. 35.
229. Xerfi 700, op. cit., p. 34.
230. SLF, op. cit., p. 70.
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CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
production est passée à 51 887 en 2000, à 68 433 en 2005
puis à 76 205 titres en 2008.
L’essor de la grande distribution
L’essor de la grande distribution constitue, à l’évidence,
un danger pour la qualité de l’offre éditoriale pour les petits
éditeurs et, plus largement, les indépendants.
La grande distribution est apparue en France il y a moins
d’un demi-siècle. Elle serait devenue « un engrenage destructeur dont les producteurs et les consommateurs ne sont pas
près de se sortir.231 » Seules quelques centrales d’achat regroupent les commandes auprès des éditeurs ; les flux extrêmement élevés d’ouvrages qui transitent sont sans commune
mesure avec les circuits des librairies. La grande distribution
impose des conditions commerciales aux éditeurs extrêmement élevées et contraignantes et exige des taux de marges
dépassant généralement les 40 %. En comparaison, la part
moyenne que concède le diffuseur de l’éditeur à une petite
librairie varie entre 30 à 35 % et s’élève à un maximum de
40 % pour une grande surface spécialisée telle la Fnac.
Les structures éditoriales et les librairies de petite taille
sont aujourd’hui menacées, de la même manière que l’essor
de la grande distribution dans le secteur alimentaire a causé
la disparition des petits commerces de quartier. À titre de
comparaison, ces derniers subissent par ailleurs la concurrence puissante d’un nouveau concept lucratif de la grande
distribution, dite « de proximité », à travers par exemple les
« Daily Monop’ » ou autres « Carrefour Market ».
Cette parenthèse fermée, l’industrie du livre a cette particularité d’être protégée par la Loi Lang qui impose un prix
fixe et plafonne la remise à 5 %. De fait, elle ne permet pas à
231. DISCEPOLO Thierry, La trahison des éditeurs, coll. « Contre-feux », Agone,
Marseille, 2011, p. 33.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
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la grande distribution de pratiquer des rabais élevés pour
lesquels les librairies classiques ne pourraient s’aligner232.
Au sein de la grande distribution, les flux qui transitent
sont extrêmement élevés : un livre que l’on trouve en hypermarché doit se vendre à très large échelle233. Il est inutile de
préciser que l’y trouvera difficilement des ouvrages de
sciences humaines ou d’autres genres dits « mineurs », mais
surtout ceux à très forte rotation234 dont les flux se chiffrent à
au moins plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires.
Les difficultés de la librairie indépendante
On assiste à un double phénomène : dans un contexte de
surproduction, les canaux de vente des grandes surfaces,
spécialisées ou non, s’accaparent les plus fortes parts de
marché, au détriment des librairies de fonds, indépendantes,
de plus petite taille. D’une part, on peut imaginer le risque
d’un affadissement de la production, d’une uniformisation
de la production dans les plus gros canaux. Et, de l’autre,
craindre un affaiblissement du réseau des librairies de second
niveau, de plus petite taille, indispensables car garantes d’une
diversité éditoriale mais saturées du contexte de surproduction et souffrant de la concurrence de plus en plus forte des
GSS et GSA.
Parallèlement à cette concurrence démultipliée, l’économie de la librairie indépendante est extrêmement fragile.
Selon le rapport d’Antoine Gallimard datant en 2007235, sa
232. Nous y reviendrons.
233. Ce qui exclut d’emblée les petits éditeurs.
234. Dans le jargon technique de la librairie, un ouvrage à « forte rotation » ou de
« rang A » fait partie des plus vendus, que le libraire renouvelle le plus fréquemment. À
l’inverse, un ouvrage de « rang C » pourra rester plusieurs semaines sur un rayonnage
sans trouver preneur.
235. GALLIMARD Antoine, « Rapport de la Mission de réflexion sur la Librairie indépendante », septembre 2007 [en ligne].
<http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapportgallimard07.pdf>
86
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
rentabilité moyenne s’élève à seulement 1,4 % de son chiffre
d’affaires. Pour une librairie considérée comme importante,
c’est-à-dire « employant plus de 34 personnes et d’un chiffre
d’affaires supérieur à 2 millions d’euros236 », la rentabilité
atteint 2 % et s’effondre à 0,6 % pour une structure de deux
personnes. Selon Antoine Gallimard encore, « 23 % des
librairies ont un résultat courant négatif » et « 31 % pour les
petites librairies237 ».
Ces données illustrent l’extrême fragilité économique des
librairies indépendantes ainsi que leur précarité, vulnérables
aux moindres fluctuations conjoncturelles. Quelques mois
difficiles peuvent engendrer un dépôt de bilan. Or, la librairie indépendante est un acteur majeur dans le monde du
livre en ce qu’elle constitue un « véritable relais social et
culturel238 » ; « sur le plan culturel, [elle permet de] fai[re]
découvrir les auteurs et les livres et les défend dans la durée239 ».
Elle demeure prescriptrice d’une grande variété d’ouvrages
et permet notamment de porter à la connaissance du public
des livres méconnus ou des premiers auteurs. Le rôle des
grandes surfaces spécialisées et de la grande distribution
devrait alors consister, dans l’idéal, à « amplifier les succès
[…] durant la phase de reconnaissance d’un ouvrage240 ».
Enfin, la librairie indépendante contribue à diffuser la production des petits éditeurs qui ne peuvent pas être présents
dans les plus gros canaux de ventes. Ces « productions dynamiques et originales » permettent d’« alimenter la réflexion
de chaque individu241 ».
236. Ibid.
237. Ibid.
238. SLF, op. cit., p. 72.
239. Ibid, p. 72.
240. Ibid, p. 72.
241. RIPOUTEAU Raphaël, « Le libraire : de la vitrine au "fonds" du magasin », dans
L’édition menacée. Livre blanc sur l’édition indépendante, Duboiris, Paris, 2005, p. 64.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
87
Le statut de la librairie indépendante
Le statut de la librairie indépendante mérite d’être précisé.
Celle-ci est parfois confondue avec la librairie « de fonds » ou
même « spécialisée ». Ces notions renvoient à des réalités
distinctes. Le libraire Raphaël RIPOUTEAU en propose une
définition. La librairie indépendante doit avant tout l’être du
point de vue économique, sans dépendre d’une chaîne ou
d’un groupe financier. Par exemple, les librairies Payot appartiennent à la filiale Lagardère Services, elle-même propriété du groupe Lagardère242. D’autre part, elle ne doit pas
dépendre d’une maison d’édition, à défaut de quoi « elle ne
servirait que de vitrine […]243 ». Enfin, son statut doit satisfaire les caractères d’indépendance intellectuelle et idéologique, livre de toute « organisation politique ou [d’]un
groupe de pression quelconque244 ». Ce critère ne sousentend pas qu’elle soit apolitique, dans son sens dérivé ; elle
aura ainsi tout à gagner à conduire des « gestes politiques »
tels que celui de « privilégier la qualité à la quantité » ou la
« rectitude à la notoriété245 ».
Ces caractéristiques confèrent au libraire une « liberté intellectuelle et/ou esthétique de choisir et de soutenir des
ouvrages qui lui semblent essentiels246 », liberté qui constitue
en outre la condition sine qua non de « l’attrait et [de] la
noblesse du métier247 ». Enfin, les librairies indépendantes
« ont tendance à être des librairies de fonds », davantage
orientées vers des ouvrages au rythme de rotation faible, plus
242. Lagardère, « Activités Lagardère Services » [en ligne].
<http://www.lagardere.com/activites/lagardere-services-998.html>
243. RIPOUTEAU Raphaël, op. cit., p. 64.
244. Ibid, p. 64.
245. Ibid, p. 64.
246. Ibid, p. 64.
247. Ibid, p. 64.
88
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
lents à écouler, dans la mesure où elles sont « moins sujettes à
la saisonnalité ou aux effets de mode248 ».
Loi Lang et concentration
La loi Lang instaurée en 1981 a soutenu les librairies indépendantes. Elle leur a permis, entre autres et dans une
certaine mesure, de faire face à l’essor des grandes surfaces ;
elle a en ce sens contribué à préserver le patrimoine culturel.
Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer l’industrie du
livre à l’industrie audiovisuelle et de constater ainsi la disparition des disquaires au profit de la grande distribution.
Aux États-Unis, aucune législation ne favorise voire ne
préserve les librairies indépendantes. André SCHIFFRIN
affirmait en 1999 dans L’édition sans éditeurs qu’elles ne
représentaient plus que 17 % de la vente du livre, rattrapées
par les « grandes chaînes de librairies comme Barnes &
Noble, B. Dalton et d’autres, qui partagent largement avec
les grands groupes de médias l’idéologie du profit249 ».
Les données du sondage de Livres Hebdo sur l’efficacité de
la loi 25 ans après, effectué en 2006 auprès de libraires250,
révèlent que 93 % des sondés s’en estiment satisfaits ; parmi
eux, 56 % jugent le bilan plutôt positif et 37 % très positif ;
et seulement 7 % plutôt négatif.
En revanche, la loi Lang n’a pas empêché les phénomènes
de concentration au sein des canaux de vente ; cela semble
d’ailleurs majoritairement compris à l’intérieur de la profession : selon Livres Hebdo251, 62 % estiment que la loi ne l’a
pas ralentie, dont 32 % en sont convaincus et 30 % plutôt
248. Ibid, p. 64.
249. SCHIFFRIN André, op. cit. p. 77-78.
250. « La loi Lang et ses effets » dans Livres Hebdo n°654, août 2006.
251. Ibid.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
89
convaincus ; alors que 38 % estiment le contraire, pour 14 %
de convaincus et 24 % de plutôt convaincus.
La concentration des points de vente :
un obstacle pour la diversité éditoriale ?
Dans le contexte d’une surproduction qui ne cesse de
croître, la concentration des points de vente et des structures
de distribution rend l’accès de plus en plus difficile pour les
petits éditeurs ainsi que pour les structures indépendantes,
car elle crée des « barrières de plus en plus infranchissables
pour les "nouveaux entrants"252 ». Selon le président du SNE
Antoine GALLIMARD, ce processus contribue au final à raréfier « l’offre au profit des plus grosses structures253 ».
Quels soutiens à la librairie indépendante ?
Quels dispositifs permettent de soutenir la librairie indépendante ? La loi Lang, promulguée le 10 août 1981, a
permis de la préserver des menaces des puissants circuits
industriels en instaurant, notamment, un prix unique plafonnant la remise accordée à 5 %. Elle a permis de limiter,
de fait, les effets de la concurrence des plus importants canaux de vente dont les rabais élevés auraient pu causer la
disparition progressive des librairies de taille modeste. Malgré cela, elle n’a pas empêché la concentration de ces circuits,
inhérente aux logiques de l’économie de marché.
Différentes aides économiques sont proposées par des
structures étatiques ou semi-étatiques en faveur de la diversité culturelle, dont la librairie indépendante se veut garante.
Celles-ci peuvent prendre la forme de subventions ou de
252. GALLIMARD Antoine, « De la petite édition : un malentendu » dans Le Monde Des
Livres, mars 2006.
253. Ibid.
90
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
prêts sans intérêts. Nous mentionnerons trois structures : le
CNL, la DRAC et l’ADELC.
Le Centre national du Livre soutient la diffusion d’ouvrages de fonds en librairie, à plus faible rotation, dans des
domaines éditoriaux économiquement plus difficiles tels que
la poésie, le théâtre ou les sciences humaines ; c’est une
manière indirecte de favoriser la librairie indépendante.
La Direction régionale des Affaires culturelles peut accorder des subventions pour aider au développement de la
librairie et de sa logistique : par exemple, pour un projet
d’informatisation, pour un déménagement, ou encore en
faveur de l’acquisition d’un stock. En outre, elle peut subventionner des projets de création de librairies « lorsqu’ils
présentent des garanties de viabilité suffisantes254 ».
L’ADELC255, dirigée par Antoine Gallimard et soutenue
par le ministère de la Culture et de la Communication,
accorde « des prêts sans intérêts, pour aider à la création, au
développement ou à la reprise de librairies256 ». Nous ne nous
attarderons pas sur les autres organismes tels que le Fonds
d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce
(FISAC) ; l’Institut pour le Financement du Cinéma et des
Industries culturelles (IFCIC) ou encore les nombreuses
collectivités territoriales et conseils régionaux qui soutiennent
économiquement la librairie.
Le label LiR
Récemment, une politique de labellisation de la librairie
indépendante a été mise en place par le biais de la marque
LiR, « librairie indépendante de référence », à la recomman254. Le MOTif, « Les aides aux librairies » [en ligne].
<http://www.lemotif.fr/fr/ressources-professionnelles/droit-gestion-fiscalite/reprendreou-creer-une-librairie/guide-pratique/>
255. L’ADELC, Association pour le Développement de la Librairie de Création.
256. Le MOTif, art. cit.
IV. LA CONCENTRATION DE LA DIFFUSION - DISTRIBUTION
91
dation d’Antoine GALLIMARD dans le Rapport de la Mission
de réflexion sur la Librairie indépendante remis fin 2007. Le
rôle de ce label est, d’une part, de « distinguer les librairies
indépendantes de référence » et, de l’autre, de « les soutenir
par des allégements de charges257 ». Les librairies qui en
bénéficient sont exonérées de la taxe professionnelle et peuvent solliciter « une subvention dans le cadre du dispositif
d’aide du CNL258 ».
Les critères d’éligibilité rejoignent les caractéristiques de la
librairie indépendante. La structure juridique doit être « une
PME indépendante » qui doit mener « une activité principale
de ventes de livres neufs au détail » et « présenter un assortiment de livres important », tout en proposant des « actions
régulières d’animation culturelle259 ». En août 2011, les seuils
et critères du dispositif ont été élargis « à d’autres librairies de
référence260 » qui, sans être précisément éligibles aux critères
requis, n’en demeuraient pas moins « des librairies de qualité261 ». On recense à ce jour 514 établissements labellisés
LiR262.
Le label LiR est le fruit de revendications et de pressions
entreprises par des acteurs et des regroupements de professionnels du livre tels qu’Antoine GALLIMARD, le SNE et le
SLF. Cette démarche s’est inscrite dans le désir d’une prise
de conscience par l’État et l’opinion publique des difficultés
de la librairie indépendante et des risques à terme pour la
diversité culturelle. Ce label peut être considéré au même
257. CNL, « LiR - un label de Référence » [en ligne].
<http://www.centrenationaldulivre.fr/?-Le-label-Librairie-Independante-de->
258. BREUIL Frédérique, Livre au centre, « Le label LIR – librairie indépendante de
référence » [en ligne].
<http://livreaucentre.fr/2010/09/le-label-lir-librairie-independante-de-reference/>
259. Ibid.
260. CNL, art. cit.
261. Ibid.
262. Ibid.
92
CONCENTRATION ÉDITORIALE ET BIBLIODIVERSITÉ
niveau que les nombreuses aides économiques et dispositifs
juridiques mis en place ; ceux-ci dénotent, appréhendés dans
leur ensemble, la démarche de conscientisation de la gravité
des enjeux et leur place dans le débat public, ayant permis
des actions concrètes sur le plan économique tout autant que
politique.