Synthèse Bruit et Impacts Sanitaires

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Synthèse Bruit et Impacts Sanitaires
 les français, le bruit
et la santé
La tranquillité sonore dans la cadre de vie : un droit important aux yeux des Français Faire un rappel des nombreux impacts du bruit sur la santé humaine est essentiel à la compréhension des enjeux de la problématique "bruit et urbanisme". Nous sommes dans un contexte de densification et de multifonctionnalité où les risques de détérioration de l'environnement sonore sont grands ; la sensibilisation de tous les acteurs, l'anticipation et la prévention devront être les maîtres-­‐mots. Il s'agit de garantir des projets urbains offrant une réelle qualité sonore du cadre de vie en Aquitaine et de respecter ainsi la santé de ses habitants. Selon de nombreuses études, les Français, et parmi eux les Aquitains, estiment que la tranquillité sonore dans le cadre de vie est un droit. Face à l'impact croissant des nuisances sonores sur la vie quotidienne du fait notamment du développement des activités humaines, des infrastructures de transport et des constructions…, ce droit prend de plus en plus d'importance à leurs yeux. Les effets du bruit sur la santé souvent sous-­‐estimés Concernant l'impact du bruit sur la santé, les citoyens sont, malgré tout, fort peu à se préoccuper des conséquences du bruit, qu'ils perçoivent plus comme une gêne, une nuisance voire une pollution environnementale que comme un risque réel. Ainsi, "…la pollution sonore ne remet pas en cause l'équilibre de notre planète. De ce fait, l'opinion publique perçoit davantage le bruit comme un élément nuisant à une bonne qualité de vie que comme un problème de santé lié à l'environnement".1 Pourtant, le bruit a de nombreux effets sur la santé, qu'ils soient physiologiques ou psychologiques, à court mais surtout à long terme. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il est considéré comme la troisième source de maladies dites environnementales après la pollution atmosphérique et le tabagisme passif.2 Cependant, du fait du temps de "latence" entre les expositions au bruit et le développement de symptômes sur le plan physiologique ou psychologique, il est souvent difficile d'établir le lien scientifique entre le bruit et ses potentiels effets sanitaires, hors traumatisme sonore. 1
Houssin D., Carmes J., Grénetier N., "Prendre conscience de son impact", Le concours médical, tome 130, n°5, 13 mars 2008, p. 247. 2
Organisation Mondiale de la Santé, Rapport présenté à l'occasion d'un congrès à Parme, Décembre 2010. Le bruit : un phénomène complexe où se mêlent aspects objectifs et subjectifs A cela s'ajoute la complexité même du bruit, ou aspects objectifs et subjectifs s'entremêlent. L'Académie française définit le bruit comme un "son ou ensemble de sons qui se produit en dehors de toute harmonie régulière". Il s'agit d'un phénomène physique d'origine mécanique consistant en une variation de pression, de vitesse vibratoire ou de densité du fluide, qui se propage en modifiant progressivement l'état de chaque élément du milieu considéré, donnant naissance à une onde acoustique. C'est aussi "un phénomène acoustique produisant une sensation auditive jugée désagréable ou gênante", faisant alors intervenir des critères subjectifs. Chaque individu, de par ses caractéristiques personnelles, culturelles, son histoire et ses motivations, construira donc sa propre perception, représentation, évaluation du bruit perçu en fonction du contexte situationnel et des propriétés même du bruit. Un impact sur la santé à l'insu des individus Si la sensation de gêne ou de nuisance sonore ressentie est fortement liée à la perception que chacun peut avoir de la situation bruyante, les effets du bruit sur la santé s'exercent, d'ores et déjà, en deçà du seuil perceptif -­‐ notamment de douleur -­‐, agissant sur les personnes exposées à leur insu. C'est "l'état de complet bien-­‐être physique, mental et social", définition de la santé de l'OMS, qui est mis à mal, dans un environnement où la question du « sonore » est encore trop souvent mal maîtrisé. C'est pourquoi, il est essentiel de connaître ce phénomène complexe qu'est le bruit, présent naturellement dans notre environnement, qu'il provienne de l'intérieur du bâtiment (voix humaines, appareils électroménagers, médias, équipements, …) et/ou de l'environnement extérieur (bruits des transports, industries, loisirs, animaux, …). Cette synthèse se propose donc de rassembler l'essentiel des connaissances disponibles à ce jour sur les liens entre bruit et santé et de donner ainsi l'opportunité aux décideurs et aux aménageurs de concevoir les espaces de demain qui préserveront la santé et le bien-­‐être des français et plus particulièrement des Aquitains. Dans ce rapport, nous présenterons successivement : -
les effets physiologiques du bruit, qu'ils concernent le système auditif ou le reste de l'organisme (effets non-­‐auditifs) ; les effets psychologiques du bruit : en premier lieu la gêne mais aussi les effets sur les attitudes et comportements, les performances et la communication ; la vulnérabilité environnementale : des populations défavorisées et des zones bruyantes dévalorisées. attention à nos oreilles
les effets physiologiques auditifs
Les troubles auditifs produits par une exposition à un environnement bruyant sont de deux types : temporaires, comme la fatigue auditive, les acouphènes et l'hyperacousie le plus fréquemment ; - irréversibles, comme les pertes auditives partielles ou totales, qui peuvent avoir un effet sur l'avenir professionnel et/ou social de l'individu. Afin de mieux comprendre les différentes pathologies, il semble nécessaire de présenter, dans un premier temps, le mécanisme de l'audition. -
Puis, nous nous attacherons à identifier les paramètres qui influencent le degré de nocivité du bruit, avant d'exposer en détail les différents troubles auditifs. Le mécanisme de l'audition : physiologie de l'oreille Enclume
Cochlée
Marteau
Nerf auditif
Pavillon
Canaux semicirculaires
Conduit auditif
Etrier
Tympan
Sources : Cdrom FormatBruit ENSP, juillet
2000
L'oreille humaine est composée de trois parties : l'oreille externe, l'oreille moyenne et l'oreille interne, chacune d'entre elles jouant un rôle précis dans la transmission sonore. L'oreille externe capte les sons aériens ; ceux-­‐ci sont transmis par le conduit auditif ; ils communiquent au tympan un mouvement vibratoire correspondant à leur intensité, à leurs particularités. Il en résulte une pression acoustique au tympan trois fois plus élevée qu'à l'entrée du conduit. Le pavillon joue un rôle dans la localisation auditive. L'oreille externe protège les oreilles moyenne et interne. La principale fonction de l'oreille moyenne est la transmission du mouvement du tympan à l'oreille interne. A cet effet, les osselets (marteau, enclume et étrier) constituent un système de bras de levier réalisant un transfert d'énergie mécanique et une amplification de pression acoustique. C'est une adaptation d'impédance, de cette résistance de passage du son entre deux milieux différents, entre les sons aériens dans le conduit auditif et les sons liquidiens dans l'oreille interne ; ce phénomène d'adaptation permet d'optimiser le transfert de la puissance sonore. L'oreille interne est un système hydrodynamique complexe, capable d'analyser les propriétés physiques du liquide en mouvement dans la cochlée. La cochlée, ou limaçon est un canal enroulé en spirale, remplie de liquide physiologique et tapissée de cellules ciliées ; c'est l'organe qui code l'information acoustique en signaux nerveux transmis au cerveau par le nerf auditif. Elle est composée d'une membrane basilaire supportant les cellules ciliées, capteurs sensitifs. En ondulant sous l’effet des vibrations, leurs cils transmettent le signal au nerf auditif. La membrane basilaire joue un rôle déterminant dans la capacité qu'a notre oreille à discriminer, à reconnaître et identifier la fréquence d'un son. L'amplitude vibratoire varie le long de la membrane et présente un maximum dont la localisation dépend de la fréquence : on a donc une transformation fréquence/position. L'oreille interne comprend aussi l'organe de l'équilibre : système vestibulaire composé de vésicules (utricule, saccule, ampoules) et des canaux semi-­‐circulaires. Les troubles de ce système peuvent conduire à des vertiges. Photographie de cellules ciliées vues au microscope électronique Sources : Cdrom FormatBruit ENSP, juillet 2000
Du silence à la douleur : une sensibilité différente en fonction de la fréquence du son En dehors du volume sonore (faible, moyen, fort), le bruit se caractérise aussi par des fréquences (aigües, moyennes ou graves). Le bruit est un mélange complexe de plusieurs fréquences. Niveau de pression en dB Fréquence en Hz Sources : Cdrom FormatBruit ENSP, juillet
2000
Toutefois, les compétences cochléaires de l'oreille interne en matière de discrimination fréquentielle ne permettent pas à notre oreille de percevoir tous les sons. Pour qu'ils soient audibles, ils doivent être à l'intérieur du domaine dit « audio, délimité en fréquence et en niveau de pression, comme représenté dans le graphique. La courbe limite inférieure (bleue) indique le seuil d'audition. La courbe limite supérieure (rouge) correspond au seuil d'audition douloureuse. La dynamique, différence des seuils en leurs extrêmes, est d'environ 120-­‐130 dB(A). L'échelle du son audible varie entre 120 et 130 dB(A). Les fréquences audibles, des aigües aux graves, couvrent de 16 Hz à 16 kHz en moyenne, la limite inférieure remontant normalement avec l'âge. Pour chaque fréquence, le seuil de perception est différent : les fréquences les mieux perçues se situent dans la gamme moyenne entre 1000 et 3000 Hz. Hors troubles auditifs, tous les individus n'ont pas la même sensibilité auditive et ne sont donc pas égaux face aux sons. La nocivité du bruit pour l'audition La nocivité du bruit dépend de nombreux facteurs, regroupant les caractéristiques du bruit, les conditions d'exposition et la vulnérabilité individuelle. Les facteurs liés au bruit Concernant les propriétés du bruit, les aspects fréquentiels, l'intensité, l'émergence et le rythme, la périodicité d'apparition vont avoir une influence sur la gravité des traumatismes auditifs. -
Un bruit aigu (fréquence élevée) est plus nocif, à intensité égale, qu'un bruit grave (fréquence basse). Par contre, une longue exposition à un bruit grave peut être plus -
traumatisante qu’une exposition de plus courte durée à un bruit de fréquence et d’intensité supérieures. Un bruit ayant un caractère soudain et imprévisible est plus nocif qu'un bruit continu de même énergie. A échelles de fréquence et d’intensité égales, les bruits répétés sont plus nocifs que les bruits continus. Un son pur (composé d'une seule fréquence comme une note de musique par exemple) est plus traumatisant pour l'oreille interne qu'un son complexe (plusieurs fréquences, harmoniques ou non). Le risque de trouble de l'audition croît avec l'augmentation de l'intensité du bruit. A partir de 70-­‐80 dB(A), les troubles peuvent apparaître et deviennent importants au dessus de 120 dB(A) (seuil de la douleur). - Un son de fréquence et d’intensité déterminées est davantage nocif pour le système auditif s’il est produit simultanément par plusieurs sources sonores que s’il est produit par une seule source. Les facteurs liés aux conditions d'exposition -
La durée d’exposition au bruit est, en elle-­‐même, un facteur de nocivité, quelle que soit l’importance de ce bruit. En effet, pour une même ambiance sonore, plus la durée d'exposition est longue, plus les lésions auditives sont importantes et irréversibles. Les caractéristiques physiques de l'environnement, dans lequel se trouve l'individu exposé, jouent également un rôle sur la nocivité du bruit. A qualité égale de bruit à la source, le risque de traumatisme sonore est amplifié par l’ambiance plus ou moins fermée dans laquelle il est perçu, et la nature des parois contre lesquelles il vient se réfléchir. Les facteurs liés à la vulnérabilité individuelle L'âge, les antécédents infectieux de la sphère ORL, les antécédents de traumatisme crânien et la tension artérielle peuvent accroître l'effet du bruit sur le système auditif. Les troubles auditifs La fatigue auditive La fatigue auditive intervient lorsque l'oreille est exposée à un niveau sonore supérieur à 70-­‐80 dB(A) après une exposition de plusieurs heures. Elle se manifeste par une augmentation passagère du seuil de l'audition. Le temps de récupération nécessaire au rétablissement de l’audition normale dépend de la durée d’exposition au bruit, pouvant aller de plusieurs heures à quelques jours. Nous pouvons donner, ici, deux exemples de temps de récupération consécutifs à des expositions qui diffèrent en fréquence et en temps : pour une exposition de 60 minutes à un son de 4000 Hz à 90 dB(A), l'augmentation du seuil de l'audition est de l'ordre de 20 dB(A), 2,5 minutes après la fin de l'exposition – (en dessous de 20 dB(A) le son de 4000 Hz ne sera pas perçu) -­‐ et de 5 dB(A) après 160 minutes de repos ; - pour une exposition de 2 minutes à un son de 2000 Hz à 130 dB(A), l'augmentation du seuil de l'audition est de l'ordre de 60 dB(A) immédiatement après l'exposition, puis de 20 dB(A) après 20 minutes de repos. Mais dans ces deux cas, il s'agit de sons purs. Or, dans notre environnement, il est très rare d'être exposé à ce type de sons et par conséquent que la fatigue auditive ne concerne qu'une seule fréquence. -
Au-­‐delà d'une certaine limite, l’ampleur du déficit engendré par une exposition à un bruit traumatisant pour l'oreille peut entraîner une surdité partielle définitive. De même, si les expositions se renouvellent de façon chronique ou sont particulièrement intenses, la fatigue temporaire de l'oreille peut se transformer en une perte auditive irréversible. La fatigue auditive doit donc être considérée comme un signal d’alarme. Les acouphènes et l'hyperacousie Les acouphènes surviennent souvent après une exposition à un bruit intense (par exemple concert rock ou soirée en boîte de nuit) ; ils se développent avec l’avancée en âge, notamment après 50 ans ; ils semblent souvent associés à la répétition d’expositions sonores et à la surdité liée au vieillissement (presbyacousie). L'acouphène correspond à des "bourdonnements", des battements ou des "sifflements" ; ils sont entendus dans une ou deux oreilles en l'absence de toute source sonore dans le milieu environnant. Ces acouphènes pourraient être dus à des lésions des cellules ciliées, les cellules de la cochlée qui perçoivent les vibrations sonores. En cas d’acouphènes, les cils bougeraient en l’absence de sons et transmettraient ainsi un signal erroné permanent au nerf auditif. L’anomalie pourrait également se situer à l’intérieur de la jonction nerveuse (synapse), entre les cellules ciliées et les fibres nerveuses du nerf auditif. Toutefois, en cas de multiplication des traumatismes sonores, ils peuvent devenir permanents. L'acouphène est souvent accompagné d'une hyperacousie (dans 40% des cas). C'est une forte augmentation de la sensibilité auditive de l'oreille qui provoque une souffrance à un niveau de bruit faible ou modéré. Ce terme correspond donc à un effondrement de la tolérance de l'oreille à des sons de l'environnement présentant une intensité normale. L'oreille perd sa dynamique de fonctionnement ; les seuils d'inconfort auditif se rapprochent des seuils d'audition. L'audition des sons courants devient désagréable, voire insupportable ou douloureuse suivant le degré d'hypersensibilité. Dans les cas extrêmes, l'hypersensibilité auditive devient une véritable phobie des stimulations sonores, l'individu "traumatisé" passant son temps à développer des stratégies pour les éviter. L'hyperacousie représente alors un véritable handicap avec lequel il devient impossible de poursuivre une vie normale. La surdité L'exposition prolongée à des bruits intenses accélère la dégradation de l'ouïe, liée ou pas au vieillissement physiologique (presbyacousie). Elle peut aussi aggraver une surdité partielle et conduire à la surdité complète. La surdité peut être d'origine traumatique du fait d'une exposition courte mais violente (comme les tirs, les pétards…) qui occasionne des dégâts considérables tels qu'une atteinte des cellules ciliées, une rupture du tympan, une luxation des osselets, une hémorragie interne. Elle peut être progressive et dépend dans ce cas, comme nous l'avons vu précédemment, de nombreux paramètres tels que les caractéristiques du bruit, la durée et la fréquence d'exposition, et la sensibilité physiologique de chacun.
les effets physiologiques
non-auditifs
Le bruit peut affecter le fonctionnement de notre organisme soit en agissant directement sur le système nerveux central qui gère les activités inconscientes, soit parce qu'il entraîne un état de stress dont les conséquences physiologiques peuvent être nombreuses. Dans les deux cas, les troubles engendrés sont très similaires et rendent donc difficile la démonstration scientifique du lien entre bruit et santé, le stress pouvant avoir des origines variées et cumulables et de nombreux facteurs de confusion pouvant intervenir dans l'explication des troubles. Par ailleurs, l'effet du bruit sur le sommeil, que ce soit sur le plan qualitatif ou quantitatif, a été longuement étudié et démontré.3 4 5 6 7 L'impact sur le fonctionnement de l'organisme Les principaux effets du bruit sur notre organisme, de jour comme de nuit, concernent essentiellement les activités inconscientes de notre organisme, gérées par le système neurovégétatif et le système endocrinien : -
augmentation du rythme cardiaque, augmentation du rythme respiratoire, augmentation de la pression artérielle, diminution du transit intestinal, modification de la composition des sucs gastriques pouvant entrainer des ulcères, augmentation de la sécrétion de certaines hormones liées au stress, déficit immunitaire. A plus long terme, certains travaux ont montré l'augmentation de certaines maladies cardio-­‐
vasculaires, telles qu'angine de poitrine, hypertension et infarctus du myocarde.8 9 Mais la relation causale entre le bruit et ces affections de type cardio-­‐vasculaire reste incertaine car de nombreux facteurs individuels, comportementaux et l'impact d'autres caractéristiques environnementales pourraient intervenir dans cette augmentation. 3
Nérome S., Enjalbert J.P., Bouée S., Lainey E., Impact des nuisances sonores (maladie et insomnie) à proximité des aéroports, Hôpital Européen Georges Pompidou, 2004. 4
Jong R.G., Extra-­‐aural health effects of aircraft noise, 1993. 5
Libert J.P., Bach V., Johnson L.C., Ehrhart J., Wittersheim G., Keller D., Relative and combined effects of heat and noise exposure on sleep in humans, 1991. 6
Kawada T., Suzuki S., Aoki S., Ogawa M., Effects of noise on sleep, 1989. 7
Muzet A., "Les effets du bruit sur le sommeil", Acoustique & techniques, n°28, 2002, pp. 13-­‐19. 8
Camard J.P., Lefranc A., Gremy I., Cordeau E., Le bruit et ses effets sur la santé, estimation de l'exposition des Franciliens, Observatoire Régional de Santé d'Ile-­‐de-­‐France – Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Ile-­‐de-­‐France, avril 2005. 9
Willich Stefan N., Institute for Social Medicine, Epidemiology, and Health Economics, Charity University Medical Centre, Berlin, Germany, Octobre 2005. D'autres fonctions de l'organisme peuvent également être perturbées par une exposition intense ou répétée au bruit : -
troubles de l'équilibre entrainant des nausées et des vertiges (système vestibulaire situé dans l'oreille interne) ; troubles sensoriels tels que diminution de la vision nocturne, défaut d’appréciation des distances, retard de perception de certaines couleurs dont le rouge ; troubles moteurs : baisse de la précision des gestes. Des troubles plus comportementaux ont enfin été reliés à l'exposition au bruit, tels que des troubles de l'humeur, de la nervosité, de l'agressivité, des troubles de la concentration et de la mémoire.10 Chez les individus fragiles mentalement ou dépressifs, un accroissement des visites médicales et des prescriptions notamment d'antidépresseurs, d'anxiolytiques, de tranquillisants, peut être également provoqué par l'exposition au bruit. Les perturbations du sommeil Rappelons que le sommeil est composé de 4 à 5 cycles, de 1 heure 30 à 2 heures, eux-­‐mêmes divisibles en 5 stades : -
stade I et II : sommeil lent léger (simple repos), stade III et IV : sommeil lent profond (récupération physique), stade V : sommeil paradoxal (récupération psychique). Pendant le sommeil, le bruit continue à être traité par le système auditif puis par le cerveau qui traite ces informations jusqu'à entraîner des réponses partielles ou globales de l'organisme, même si l'individu ne perçoit pas consciemment son environnement sonore. Les réponses de l'organisme aux stimulations sonores pendant le sommeil peuvent être de différentes natures allant de simples mouvements corporels à l'éveil nocturne, en passant par des difficultés d'endormissement ou des perturbations du cycle de sommeil (changement de stade allant toujours dans le sens d'un sommeil plus léger lors de l'exposition au bruit. Le type de perturbation engendré dépend des caractéristiques du bruit (fréquences, intensité, émergence, …) et du stade de sommeil dans lequel se trouve l'individu mais également de la signification que peut avoir le bruit pour le dormeur. Les facteurs liés aux caractéristiques du bruit et à sa signification Dès que l'environnement sonore atteint 35 dB(A) sur l'ensemble de la nuit, la fonction réparatrice du sommeil risque d'être perturbée. De même, l'apparition d'évènements acoustiques isolés atteignant 55 dB(A) provoque le réveil d'un individu sur deux.11 Ce niveau est augmenté de 10 dB(A) chez l'enfant.12 Dans le cas de bruits nocturnes répétitifs, les personnes disent s'être habituées tandis que l'organisme continue à réagir notamment au niveau cardio-­‐vasculaire. L'habituation évoquée n'est en fait que psychologique ; le bruit continue à avoir des effets physiologiques sur le corps et, de fait, sur l'état de santé des individus exposés. Enfin, plus le signal acoustique "perçu" est signifiant pour l'individu (alarme, mots prononcés même à voix basse comme le prénom de la personne, …) plus la perturbation du sommeil, notamment le 10
Evans G., Hygge S., Bullingar M., "Chronic noise and psychological stress", Psychological Science, n°6, 1995, pp. 333-­‐338. DDASS-­‐ESSONNE, SERVICE SANTE-­‐ENVIRONNEMENT, Bruits de voisinage, guide de traitement des plaintes, janvier 2002. 12
Muzet A., Ehrhart J., Eschenlauer R., Lienhard J.P., "Habituation and age differences of cardiovascular responses to noise during sleep", Sleep1980, 1981, pp. 212-­‐215. 11
risque de réveil, sera marquée,. A l'inverse un bruit neutre (bruit habituel, "ronron" de la ville, …) ne stimulera pas de la même façon le dormeur pour qui les risques de réveil sont moindres. Les facteurs liés aux cycles du sommeil Au sein d'un cycle de sommeil, ce sont les stades III et IV qui sont les moins susceptibles d'être perturbés au point de provoquer le réveil. Toutefois, dans le cas d'un réveil provoqué par le bruit en milieu ou en fin de cycle, il sera plus difficile à l'individu de se rendormir. Enfin, plus l'individu avance dans ses cycles de sommeil, plus la sensibilité au bruit et le risque de perturbation augmentent. La perturbation du sommeil, quelle qu'en soit la nature, peut entraîner des problèmes de santé liés au manque de récupération ainsi que des accidents par irritabilité ou somnolence. L'OMS insiste sur le lien clairement établi entre l'exposition aux bruits nocturnes et l'apparition ou l'aggravation de problèmes de santé -­‐ tels qu'une augmentation de la tension artérielle ou du rythme cardiaque, des troubles mentaux – pouvant même entraîner le décès prématuré de personnes exposées.13 13
Organisation Mondiale de la Santé, Nuisances nocturnes : quel est le niveau tolérable ?, Communiqué de Presse, 08 octobre 2009. les effets psychologiques
du bruit
Le bruit est aussi, de par sa définition même, un phénomène ayant une dimension subjective forte.14 Les propriétés mesurables du bruit ne permettent pas à elles seules d'identifier et de justifier l'hétérogénéité des réactions individuelles, voire même de celles d'un même individu en fonction du contexte. Les caractéristiques physiologiques et psychologiques des individus jouent alors un rôle important dans l'interprétation qui sera faite de la situation bruyante par la personne exposée au bruit et de la réaction qui s'en suivra. L'exposition au bruit entraîne, de ce fait, des effets subjectifs à différents niveaux : -
gêne ressentie, effets sur les attitudes et les comportements sociaux, diminution des performances intellectuelles, interférence avec la communication. Le principal effet subjectif du bruit : la gêne Retour sur la terminologie La nuisance intègre essentiellement une notion de subjectivité, pouvant entraîner des réactions différentes en fonction des individus, ce qui est le cas du bruit dans l'environnement. La pollution évoque davantage la présence d'un élément perturbateur affectant un ensemble de personnes, qui ne serait pas naturellement présent dans l'environnement et qui n'est pas nécessaire à la vie. De ce fait, le bruit ne peut être considéré comme une pollution puisqu'il est l'une des composantes naturelles de l'environnement et joue un rôle essentiel notamment à travers des fonctions de vigilance, d'identification de l'environnement, de communication, etc. La gêne se distingue également de la nuisance du fait qu'elle concerne généralement un facteur précis. La gêne se définit comme "une sensation perceptive et affective, provoquée par un facteur de l'environnement dont l'individu ou le groupe reconnaît ou imagine le pouvoir d'affecter la santé".15 Au final, lorsque la problématique des effets subjectifs du bruit est évoquée ou étudiée, la gêne est identifiée comme le principal effet subjectif du bruit.16 Il existe une grande variabilité inter et intra-­‐individuelle en matière de gêne due au bruit, du fait notamment de l'influence de l'environnement social, culturel, affectif, …, sur la façon de percevoir et de subir le bruit. Une grande divergence apparaît alors souvent entre l'exposition objective, mesurable et la sensibilité au bruit, expliquant par exemple que la gêne peut survenir à des niveaux très faibles de bruit. 14
Lambert J., "La gêne due au bruit des transports terrestres", Acoustique et Techniques, n°28, Paris, 2002, p. 2. Organisation Mondiale de la Santé, "Le bruit critère d'hygiène de l'environnement", OMS, n°12, 1980. 16
El Yamani M., Bruit et Santé, AFSSET, avril 2006.
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Les principaux facteurs influant sur la gêne ressentie La gêne, qui correspond donc à une impression désagréable, dépend de nombreux facteurs en lien avec : -
les propriétés du bruit, les caractéristiques individuelles, le contexte, la relation à la source, l'acceptabilité du bruit et le sentiment de contrôle. Concernant les propriétés du bruit, bien qu'un bruit de forte intensité apparaisse généralement plus gênant qu'un bruit plus faible, la fréquence semble jouer un rôle majeur dans le sentiment de gêne. Ainsi, plus un bruit est aigu et plus il sera vécu comme gênant. L'aspect temporel du bruit est également un facteur pouvant influencer la gêne ressentie. Les bruits intermittents, les chocs et les percussions sont plus gênants que les sons stables ou continus, surtout si leur rythme d’apparition est aléatoire. C’est le caractère impulsif de ces bruits qui accentue la gêne. De même, des bruits répétitifs vont avoir un effet plus nocif car ils ont déjà provoqué des troubles et le sentiment de gêne sera alors renforcé. Enfin, plus un bruit va être persistant (durée d'exposition longue) plus il sera perçu comme gênant. Parmi les caractéristiques individuelles influençant la gêne ressentie, nous pouvons citer les facteurs sociodémographiques comme le sexe et l'âge. Les enfants, les adolescents et les personnes âgées y seraient plus sensibles du fait qu'ils auraient moins de contrôle sur leur environnement et disposeraient de capacités d’adaptation moins importantes que les personnes appartenant à d’autres tranches d’âge. Le niveau de formation, la catégorie socioprofessionnelle, les antécédents, l'état de santé mentale et physique, les traits de personnalité, le statut d'occupation du logement ou encore la culture d'origine sont d’autres facteurs importants. Certains facteurs d'attitude jouent également un rôle dans la gêne ressentie, parmi lesquels la sensibilité au bruit qui a déjà été évoquée dans ce document. Le contexte d'exposition est également un facteur à prendre en compte dans la gêne due au bruit, avec notamment : -
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le moment de la journée ; l'activité en cours : sommeil, activités privées, activités sociales, activités intellectuelles, activités manuelles ; la nature de la tâche : simple, sensorielle ou motrice, complexe de coordination sensorielle, intellectuelle ; le lieu : fonction du lieu -­‐ lieu de travail, habitat, espace de loisirs -­‐, caractéristiques spatiales -­‐ matériaux (notamment isolation vis-­‐à-­‐vis de l'extérieur), dimensions, formes – satisfaction par rapport au cadre de vie ; la nature imprévisible ou prévisible du bruit. Notons que les relations de l'individu à la source vont intervenir sur la gêne vécue face au bruit produit, que la source soit individuelle (voisin, équipement privé, …) ou collective (moyen de transport, industrie, …). Ainsi, une source appréciée en dehors du contexte bruyant sera perçue comme moins gênante qu'une source vis-­‐à-­‐vis de laquelle l'individu développe au préalable un sentiment négatif, à bruit équivalent. C'est l'attitude émotive, affective qui va influencer l'évaluation que la personne fait de la gêne qu'elle ressent. Le sentiment de gêne s'accroît également si les auteurs de la nuisance sont perçus comme des personnes se préoccupant peu du sort des autres. L'acceptabilité du bruit augmente en fonction : -
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de la dimension économique et sociale du bruit. Si les bruits produits par des sources "privées" sont généralement vécues comme gênantes, les bruits sont davantage acceptés quand ils sont produits dans l'intérêt collectif. de l'utilité de la source pour la personne exposée. Le bruit des transports en commun en milieu urbain est mieux toléré par les personnes qui les utilisent. de l'exercice d'un certain contrôle sur la source de bruit. Un bruit sur lequel la personne sait qu'elle peut agir pour le faire cesser ou diminuer sera mieux accepté qu'un bruit face auquel la personne se sent démunie. En somme, les propriétés du bruit "n'expliqueraient que 30 à 40% de la gêne exprimée, bien d'autres facteurs non acoustiques de modulation intervenant dans la réaction individuelle."17 Le bruit est donc perçu différemment selon le vécu de chacun et la représentation personnelle accordée à ce bruit. Les effets sur les attitudes et les comportements sociaux Le bruit, comme tout facteur de stress environnemental, peut également agir sur les relations sociales. Il influence le jugement porté sur autrui, altère les comportements d'assistance, peut augmenter l’agressivité ainsi que les comportements d'isolement.18 Exposés au bruit, les individus ont tendance à porter un jugement plus négatif sur les autres personnes présentes dans la situation. Par exemple, le degré de sympathie accordé est inférieur à celui qui aurait été attribué dans une situation ordinaire. De plus, dans une situation bruyante, les comportements d'assistance se trouvent diminués.19 Consécutivement à l’exposition à des facteurs de stress environnementaux tels que le bruit, on peut également observer une augmentation de l'agressivité. Toutefois, cette réaction est davantage controversée car il semble que le lien entre les deux événements soit plus difficile à établir. 20 A l'opposé, des comportements agressifs, des attitudes de repli sur soi et d'isolement peuvent aussi se manifester en présence de bruit. Ces comportements remplaceraient les comportements agressifs lorsque la gêne est extrême. Les performances affectées par le bruit Suivant le type de tâche à réaliser, la présence de bruit dans l'environnement peut affecter les performances de façon plus ou moins marquée. L’effet du bruit sur les performances s’exerce à plusieurs niveaux : 21 -­‐
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modification du niveau d'éveil : pour chaque type de tâche il existe un niveau d'éveil optimal, si celui-­‐ci est modifié les performances seront moindres ; surcharge d’attention : l'homme a des capacités limitées pour traiter les informations qui arrivent en même temps. Quand un stimulus intervient, ici le bruit, un processus d’évaluation de la signification et de décision des réponses à donner se met en fonction. Plus les stimuli sont intenses ou imprévus ou incontrôlables, plus forte est la demande d’adaptation et moins grande est la capacité de traitement disponible pour la réalisation de la tâche ; création de distraction : l'individu distrait par le bruit perd le fil de son activité et mettra un certain temps avant de retrouver sa concentration ; 17
AFSSE, Impacts sanitaires du bruit, Etat des lieux – Indicateurs bruit/santé, mai 2004. El Yamani M., Bruit et Santé, AFSSET, avril 2006. 19
AFSSET, Effets biologiques et sanitaires du bruit, Comment lutter contre le bruit, octobre 2007. 20
AFSSE, Impacts sanitaires du bruit, Etat des lieux – Indicateurs bruit/santé, mai 2004. 21
Baker M.A., Holding D.H, "The effects of noise and speech on cognitive task performance". Journal of General Psychology, n°120, 1993. pp. 339-­‐355. 18
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masquage de sons pertinents : si le bruit est plus intense que le niveau sonore environnant, la perception de sons nécessaires à la réalisation de la tâche pourra être rendue impossible, perturbant ainsi le bon déroulement de l'activité et de fait les performances finales ; mise en place de stratégies pour faire "avec le bruit" mais conduisant à une fatigue et à des effets à long terme. Les tâches les plus affectées par la présence de bruit sont plutôt de nature complexe, demandant une attention soutenue et régulière telles que des tâches de vigilance, de coordination multi-­‐
sensorielle, de mémorisation ou des doubles tâches. A l'inverse, les tâches faciles, répétitives ou de coordination motrice, pouvant être réalisées de façon automatique, ne semblent pas affectées par le bruit. L'interférence avec la communication Le bruit affecte également la qualité des communications orales (conversations, écoute de la télévision, …) car s'il est d'intensité supérieure au niveau sonore ambiant il peut masquer les sons notamment de la parole. Le niveau moyen d'une conversation normale varie de 55 à 60 dB(A) environ à une distance d'un mètre, le bruit de fond ne doit pas dépasser ce niveau de plus de 10 dB(A) pour que la communication soit compréhensible. Sachant que les fréquences graves masquent mieux les sons de fréquence aigüe qu'inversement, le bruit du trafic routier, composé essentiellement de fréquences graves, masque largement la voix humaine, située dans les fréquences médiums et aigües, provoquant une gêne importante. Dans des situations bruyantes, c'est une partie du message, de la syllabe à la phrase entière, qui peut être masquée et rendue incompréhensible, bien que la personne adulte n'ait pas besoin d'entendre toute la phrase, dans une certaine limite, pour en comprendre le sens. La difficulté de compréhension du discours et la gêne engendrée sont davantage marquées pour les enfants, qui ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue tant sur le plan lexical, grammatical et syntaxique, et pour les personnes qui ne présentent pas une certaine familiarité avec le langage écouté. La gêne occasionnée peut entraîner une réduction des échanges verbaux du fait notamment de l'effort trop important à fournir pour comprendre le sens de la communication. Le cas particulier de l'apprentissage scolaire : communication et performances perturbées Dans le cas du milieu scolaire, le bruit, qu'il provienne de l'extérieur de la classe ou de l'intérieur (voix du professeur ou des élèves, sons provenant des activités des élèves) va provoquer à la fois des interférences avec la communication et une diminution des performances liées à l'apprentissage.22 23 Les effets immédiats sur le déroulement d'un cours Les conséquences d’un niveau de bruit trop important pendant les cours sont diverses. S’il s’agit de bruits intermittents, le message sera souvent interrompu pendant l’émission du bruit perturbant, entraînant une perte de temps mais aussi des difficultés à capter de nouveau l’attention des élèves et à reprendre le fil des activités interrompues. 22
Billaud P., "Le bruit en milieu scolaire et ses conséquences", Après-­‐demain, 1982, pp. 15-­‐20. Lehman G., Les effets du bruit sur les enfants à l'école, Ministère de l'Environnement, 1981.
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Une partie du message, souvent importante, est perdue pour l’élève ou bien l’enseignant est obligé de répéter davantage les informations, ce qui produit fatigue supplémentaire pour l'enseignant et risque de retard sur le programme. La perturbation des facultés d'attention va conduire à des difficultés de réflexion, de développement de stratégie par l’élève. Enfin, une augmentation de la nervosité et de l’agitation des élèves peut se faire jour. Les effets sur les apprentissages La relation entre bruit et apprentissages scolaires est complexe car elle fait intervenir différents facteurs : les caractéristiques des sons, les caractéristiques de l’enseignant, la nature de la tâche (manuelle, résolution de problème, lecture…), la situation (heure, jour, lieu…), le type d’activité (apprentissage ou contrôle des connaissances) et les différences individuelles. Si le bruit est perturbant lorsqu’il est diffusé pendant la réalisation de la tâche, il a également des effets à long terme sur les performances et notamment sur l’apprentissage de la lecture.24 25 En effet, la maîtrise de la lecture dépend notamment des capacités de discrimination des sons de la langue par l’enfant. Les enfants vivant dans ou habitués à des milieux bruyants ne sauraient plus faire la distinction entre les signaux acoustiques pertinents et non pertinents du langage, ils deviendraient en fait inattentifs en quelque sorte à tous les signaux acoustiques. 24
Bronzaft A.L., "The effect of a noise abatement program on reading ability", Journal of environmental psychology, n°60(6), 1969, pp. 215-­‐222. 25
Dumaurier E., Le bruit à l'école : de 5 à 7 ans, Ministère de l'Environnement, 1983. la vulnérabilité
environnementale
Tous les individus ne sont pas égaux dans leur exposition au bruit, certains sont donc dans des situations plus vulnérables que d'autres du point de vue sanitaire. Les groupes vulnérables identifiés dans les travaux d’observation ou d’études sont les enfants, les personnes âgées, les malades chroniques, les travailleurs postés et les populations pauvres. En effet, l’inégalité environnementale du point de vue sonore peut être définie comme une inégalité d’exposition au bruit et une inégalité d’accès à un cadre de vie de qualité. Le bruit constitue donc un révélateur d'inégalités sociales et participe à la persistance de ces inégalités. Les populations défavorisées et le bruit Les populations défavorisées sont plus exposées au bruit dans leur logement car elles vivent généralement à la périphérie des villes ou dans des quartiers de ville d'habitat ancien dégradé et près de grandes infrastructures de transports ou de sites industriels. Les sources de bruit sont donc multiples à proximité de leur espace de vie. La multi-­‐exposition recouvre deux situations possibles et cumulables telles que la présence de sources de bruit combinées et simultanées et des expositions successives et cumulées dans le temps. Quelle que soit la situation envisagée, les connaissances actuelles ne permettent pas de conclure sur l'impact de ces multi-­‐expositions sur la gêne totale ressentie.26 Néanmoins, ces populations très exposées dans leur habitat mais également dans leur activité professionnelle (milieu ouvrier, industriel, …) ont une moins grande exigence vis-­‐à-­‐vis du bruit et portent moins souvent plainte. Cette attitude vis-­‐à-­‐vis du bruit peut s'expliquer par une méconnaissance des démarches administratives, une moins bonne maîtrise du langage écrit et surtout par une gestion de problématiques plus prioritaires. Ce sont ces mêmes populations qui sont le plus souvent exposées au bruit et à d'autres types de nuisances : bruit et agents ototoxiques ou toxiques pour l'oreille dans le milieu ouvrier ; bruit et températures extrêmes, voire humidité importante, dans les habitats insalubres ou dégradés ; bruit et pollution atmosphérique dans les logements à proximité des grands axes routiers ou des industries. Il est reconnu, par exemple, que certains agents toxiques professionnels ou extra-­‐professionnels peuvent affaiblir les fonctions de l'oreille interne et la rendre plus vulnérable aux agressions sonores.27 26
AFSSE, Impacts sanitaires du bruit, Etat des lieux – Indicateurs bruit/santé, mai 2004. Institut National de Recherche et de Sécurité, "Bruit et agents ototoxiques", Le point sur les connaissances sur…, Brochure ED5028, février 2005. 27
Dévalorisation symbolique et économique des zones bruyantes Certaines zones urbaines, périurbaines ou rurales dégradées sur le plan environnemental, par exemple particulièrement bruyantes, subissent une dévalorisation à la fois économique (faiblesse relative des prix immobiliers et fonciers)28 et symbolique (espace déconsidéré), et représentent souvent des espaces d’accueil de ménages à faibles revenus. Ainsi la valeur des logements est largement dépréciée par une situation sonore particulièrement dégradée, du fait notamment de l'installation de nouveaux équipements bruyants ou de la densification de la zone. Face à de telles situations, les individus eux-­‐mêmes sont partagés entre leurs intérêts d’habitant et leurs intérêts de salarié. L’environnement a souvent été le prix à payer pour le maintien de l’emploi, notamment pour les emplois industriels titulaires, qui sont stables et correctement rémunérés. Enfin, la présence de nuisances environnementales contribue à l'image du site ou du quartier et en conséquence remet en question l'identité sociale et spatiale des populations et leur capacité à trouver dans leur environnement immédiat des espaces « ressources » qui pourraient contribuer à compenser les dégradations environnementales subies. On sait en effet que l'image du quartier peut renvoyer à l'image de soi, elle peut être entendue comme une extension de cette image de soi.29 30 28
Faburel G., "Dépréciation immobilière et ségrégation sociale pour cause de bruit des avions", Echobruit, n°109-­‐03, 2005, pp. 54-­‐57. 29
Lalli M., "Urban related identity: Theory, measurement and empirical findings", Journal of Environmental Psychology, n°12, 1992, pp. 285-­‐303. 30
Pretty G.H., Chipuer H.M., & Bramston P., "Sense of place amongst adolescents and adults in two rural Australian towns: The discriminating features of place attachment, sense of community and place dependence in relation to place identity", Journal of Environmental Psychology, n°23, 2003, pp. 273-­‐287. le bruit,
un enjeu pour tous
Cette synthèse a permis de mettre en lumière l'impact sanitaire du bruit tant au niveau physiologique que psychologique dans le but de mettre à la disposition des décideurs et des aménageurs de nombreux éléments de connaissance nécessaires à une prise en compte de l'environnement sonore dans le projet urbain. Un enjeu et un coût social à ne pas négliger Un des défis du développement et de l'aménagement urbain aujourd'hui réside dans la juxtaposition d'activités nécessitant du calme et activités bruyantes dans un même périmètre. Comment concilier politique de santé publique et maintien d'une activité économique performante ? Car si le bruit est produit indirectement par les activités économiques, culturelles, sociales ou de loisirs indispensables à la société, le bruit est également source de dépenses pour elle. En effet, le Grenelle de l'environnement a chiffré le coût social annuel du bruit entre 4,8 et 9,5 millions d'euros, suivant les modes d'évaluation.31 Mieux réfléchir en amont des projets à l'environnement sonore qui sera produit et par là-­‐même maîtriser l'impact du bruit sur le plan sanitaire peut donc permettre de proposer des espaces de vie de qualité et réduire le coût pour chacun d'une exposition au bruit néfaste. Le bruit nuit mais le son renseigne Ce qui fait son n'est pas que nuisance, gêne et pathologies associées. Le paysage sonore d'une ville, d'un quartier fait partie de sa carte d'identité. A l'écoute des sons d'une ville, nous prenons conscience de sa dimension, de ses formes, des trajets, de la culture de ses habitants. Voix, pas, avertisseurs, sonnettes, moteurs, échappements, freins, sirènes, musiques, signaux… composent la rumeur des villes. L'identité sonore d'une ville tient à la structure d'assemblage des éléments qui la composent tout autant qu'à la nature des éléments assemblés.32 33 Le projet d'urbanisme, s'il veut tenir compte de l'environnement sonore qui sera produit, doit avant tout se baser sur l'analyse de l'existant afin de : -­‐
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connaître ce qu'il est absolument nécessaire de conserver sous peine de détruire l'identité sonore d'une ville ; renforcer ou faire évoluer cette identité en connaissant les éléments et les structures qui peuvent le permettre ; 31
Collectif d'auteurs, Le bruit nuit-­‐il gravement à la santé ? Etude des effets du bruit sur la santé en milieu urbain, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Module interprofessionnel de santé publique, 2011. 32
Actes Journée spécialisée thème 4 GdR CNRS 2493, Evaluation de la qualité des ambiances sonores urbaines, Bron, janvier 2005. 33
Actes Journée thématique G2AU/GSO de la SFA, La place des ambiances sonores dans l’aménagement urbain et péri-­‐
urbain, EAP Bordeaux, juin 2001. -­‐
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doter les responsables de l'aménagement urbain des connaissances qui assurent l'existence de cette identité ; maîtriser la quantité des bruits et la qualité des signes. Une politique d'aménagement du territoire visant à maîtriser les nuisances sonores passe par des mesures adaptées : réduction du volume des transports par un aménagement de l'espace et de la ville ; favoriser des modes de transport non motorisés combinés aux transports collectifs ; éviter de construire des infrastructures bruyantes à proximité de zones sensibles ou zones calmes. La réflexion urbanistique peut alors devenir un moyen efficace pour réduire l'impact sanitaire du bruit à long terme, dans une optique de développement soutenable. bibliographie
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