« La diversité culturelle, notre meilleur atout »
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« La diversité culturelle, notre meilleur atout »
DOSSIER À LA RECHERCHE DES NOUVEAUX LEADERS « La diversité culturelle, notre meilleur atout » UN ENTRETIEN AVEC JUSSI ITÄVUORI* L Le groupe EADS, premier acteur européen dans les industries aéronautiques et spatiales, est multiculturel de naissance – il résulte d’une fusion germano-hispano-française – et de vocation, puisque, comme ses marchés, ses équipes de direction sont mondialisées. C’est un lieu idéal pour observer les différences nationales dans les comportements des leaders, leurs carrières, leurs modes de sélection et de formation. Et surtout un laboratoire de management interculturel, avec les risques et les richesses qui peuvent naître du brassage des mentalités. Leçon de choses. Sociétal N° 40 2e trimestre 2003 Sociétal. EADS est une entreprise réellement internationale, résultant de la fusion de trois sociétés, française, allemande et espagnole . Constatez-vous des différences entre vos cadres dirigeants, dans leur style de leadership, en fonction de leur culture nationale d’origine ? entre les cultures nationales et qu’elles ont un impact réel sur les comportements professionnels et les styles de management. Chez EADS, nous avons offert à nos employés une formation poussée afin qu’ils soient conscients de ces différences et puissent en tenir compte d’une manière efficace. Jussi Itävuori. C’est vrai, il est certain qu’il existe des différences Cependant, les différences culturelles concernent des aspects plu- * Directeur des Ressources humaines de EADS. 104 tôt superficiels : c’est-à-dire, surtout, la façon dont les gens communiquent et établissent des relations entre eux. Par exemple, les Français sont d’ordinaire très péremptoires quand ils expriment leurs idées et leurs avis, ce qui fait que les étrangers les trouvent arrogants ; alors qu’en réalité la formulation de leurs idées, aussi péremptoire soit-elle, n’est considérée par eux que comme le point de départ de la discussion, et non comme sa conclusion finale. Il arrive souvent qu’à la fin d’une réunion, les Allemands estiment que ce qui a été dit équivaut à une décision qui demande à être appliquée sans autre discussion ; alors que les Français, au contraire, considèrent comme allant de soi que le résultat de la réunion est la base de discussions ultérieures. Mais quand vous creusez sous la surface et en arrivez à l’essence même des qualités requises pour diriger, la conception fondamentale de ce que « diriger » implique est pratiquement la même dans toutes les cultures : donner une orientation précise, savoir écouter, réagir en réponse et être crédible. « LA DIVERSITÉ CULTURELLE, NOTRE MEILLEUR ATOUT » De fait, toutes les nationalités évoluent de la même façon : on demande aux dirigeants de fixer les objectifs, d’évaluer les performances et de répondre aux demandes de leurs collaborateurs. Globalement, il y a plus de différences entre les individus qu’entre les cultures. Dans le groupe EADS, nous avons, en matière de ressources humaines, un ensemble de processus communs que nous utilisons dans tous les pays : la définition d’objectifs, la pratique du salaire variable, l’évaluation des besoins en matière de dévelop pement et l’identification des potentiels. L’important, en ce qui concerne les différences culturelles, c’est d’être très explicite dans la communication : les messages implicites restent en dehors de ce que peuvent comprendre des gens dont l’héritage culturel est différent. Nous constatons que de plus en plus de jeunes cadres ont été confrontés à des cultures diverses, soit parce qu’ils ont fait une partie de leurs études à l’étranger, soit parce qu’ils ont vécu dans un autre pays pendant une période de leur vie. De ce fait, ils possèdent ou peuvent facilement acquérir le sens de l’ouverture à des cultures dif férentes, la capacité à faire confiance et à créer la confiance, et une grande souplesse d’adaptation. Mais, parallèlement, ils ont tendance à s’accrocher à leurs racines : ils accordent de plus en plus d’importance à leur vie privée, à leur famille, à leur cadre de vie, et sont moins disposés à rompre leurs liens sociaux pour accepter un poste à l’étranger. Sociétal. Alors que les différences nationales ne sont pas tellement visibles quand il s’agit des compétences et des comportements des dirigeants, le sont-elles davantage dans les déroulements de carrière ou dans les processus de sélection et de formation des futurs dirigeants ? blème très important pour les sociétés multinationales. Sociétal. Comment le traitez-vous chez EADS ? Jussi Itävuori. Oui, là, les différences sont plus sensibles. Les FranJussi Itävuori. La démographie çais sont plus enclins à mettre nous impose la solution. Comme l’accent sur la formation de nombreuses autres initiale, les diplômes uni- « Nous ne firmes, nous allons être versitaires et les grandes promettons confrontés au départ à écoles lorsqu’ils essaient la retraite de nos senior de repérer des sujets jamais que managers dans les dix dotés d’un potentiel l’avancement années à venir. Nous élevé. Ils acceptent de suivra n’avons donc pas d’autre prendre des risques avec solution que d’accélérer des jeunes, et ont l’ha- automatiquement les plans de carrière afin bitude de donner leur la participation de pourvoir les postes chance et de confier à des stages de direction qui deviend’importantes respondront vacants. sabilités à des personnes de formation en début de carrière. Sociétal. Accélérer des dirigeants ». les plans de carrière Au contraire, les Allemands ont implique de repérer très tôt une approche à long terme, palier les cadres à fort potentiel et par palier, du déroulement de carde les aider, grâce à une forrière. Ils accordent davantage de mation adéquate et à des provaleur à l’expérience, en plus de motions rapides, à accéder à la formation académique. C’est des postes élevés. Une telle pourquoi on parvient à des postes politique n’est-elle pas sujette de haute responsabilité à un âge à controverse ? plus avancé. Jussi Itävuori. Oui, bien sûr. Si elle La méthode scandinave est un n’est pas correctement définie, une mélange des cultures française et telle politique peut finir par créer allemande. Les Scandinaves n’acune élite qui sera isolée du reste du cordent pas autant d’importance personnel. Cependant, étant donné aux diplômes que les Français, et le besoin croissant de cadres qualisont plus ouverts au risque que fiés pour remplacer les générations les Allemands, en ce sens qu’ils ne partant à la retraite, le peu de temps demandent pas aux gens d’avoir que nous avons pour les préparer derrière eux une longue liste d’exet le coût des programmes de forpériences réussies avant de les mation nécessaires, nous n’avons promouvoir à des postes clés. pas d’autre choix que d’être sélectifs et de cibler les jeunes cadres La culture britannique serait plus dont nous devinons les hautes proche de la française (accession potentialités. précoce à des postes de responsabilité) et la culture espagnole Cela dit, nous sommes prudents plus proche de l’allemande. En dans notre manière de sélectionmoyenne, les nominations à des ner les gens, de communiquer sur postes élevés d’importance similes carrières et de piloter leur laire peuvent arriver, en France et déroulement. Nous ne promettons au Royaume-Uni, quatre à six ans jamais que l’avancement suivra plus tôt qu’en Allemagne ou en automatiquement la participation Espagne. Un tel écart est un proà des stages de formation de dirigeants. De même, pour les succes- Sociétal N° 40 2e trimestre 2003 105 DOSSIER sions à assurer sur des postes précis, nous n’établissons pas de plans pour déterminer à l’avance les affectations. « Haut potentiel » signifie d’abord « haute performance », et nous demandons de très hautes performances à ceux pour qui nous envisageons un avancement rapide. Nous maintenons en permanence une incitation en ayant toujours plus de candidats potentiels que de postes à pourvoir, ce qui stimule l’esprit de compétition. Les gens doivent prouver leur talent dans des tâches concrètes, face à des défis concrets. Sociétal. Une alternative à la promotion interne est d’aller chercher les candidats à l’extérieur. Quelle est la politique d’EADS dans ce domaine ? Sociétal N° 40 2e trimestre 2003 106 À LA RECHERCHE DES NOUVEAUX LEADERS nent à un niveau compétitif de compétence et de qualité. rieurs sont souvent des supports appropriés à cette démarche. Sociétal. Une fois que les firmes ont transformé les « Hauts potentiels » en leaders, elles se heurtent néanmoins à un nouveau défi : donner à ces nouveaux responsables la possibilité d’exprimer leurs talents. Comment y répondez-vous ? Ces actions revêtent une extrême importance dans un contexte où toutes les organisations, en compétition pour accroître leur productivité, ne peuvent guère songer à accroître beaucoup leurs effectifs, même si leur activité se développe. Jussi Itävuori. Il est clair qu’il ne suffit pas de compter sur le renouvellement naturel, d’attendre que les postes de cadres supérieurs se libèrent lorsque leurs titulaires partent à la retraite ou sont promus, selon leur âge ou leur expérience. Cela ne crée tout simplement pas assez d’opportunités pour les jeunes talentueux désireux de prendre des responsabilités. essayons Jussi Itävuori. Nous avons 10 % « Nous à 15 % de recrutements extérieurs pour les de repérer Sur ce plan, notre effort postes de hauts respon- ceux qui sont chez EADS comporte sables. La proportion capables deux volets. Premièreest moindre pour les ment, la gestion des postes spécialisés du sec- d’affronter postes de direction susteur industriel, car nous des défis ceptibles d’être ouverts s o m m e s l à d a n s u n supplémentaires, dans un avenir proche et domaine de haute la discussion à leur sujet spécialisation, où nous et nous créons se passe au niveau du occupons une position pour eux des groupe, toutes divisions dominante : il n’y a donc opportunités ». confondues : les opporpas tellement de résertunités qui s’offrent aux voirs de talents à l’extéjeunes talents prometrieur pour ces postes. En revanche, teurs dans chaque département ne la proportion est sûrement supésont donc pas limitées à leur base rieure pour les postes de direction d’origine. Deuxièmement, et ce générale, ainsi que dans les déparpoint est encore plus important, tements financiers ou des resnous essayons de repérer ceux qui sources humaines. sont désireux et capables d’affronter des défis supplémentaires, et Le recrutement extérieur ne fournous créons pour eux des oppornit pas de solution au problème du tunités, de diverses façons : soit en développement du leadership, mais leur donnant la responsabilité d’un c’est une aide appréciable pour projet, en plus de leurs tâches habiacquérir de nouvelles compétences tuelles, soit en réorganisant la réparquand nous n’avons pas le temps de tition des tâches de façon à leur les créer « sur le tas ». C’est aussi offrir un champ d’action plus étendu. une source appréciable d’idées Des projets transversaux à l’inténeuves, et un moyen de stimulation rieur du groupe ou des opérations pour que nos cadres se maintienmontées avec des partenaires exté- Sociétal. Dans une entreprise, un leadership bien affirmé est un atout, mais peut devenir un handicap si l’on ne parvient pas à entretenir une pratique vivante de discussion et de remise en question des leaders. Chose très difficile, comme on l’a vu à travers quelques exemples récents… Jussi Itävuori. Un chef qui n’accepte pas, et même n’encourage pas, les remises en question et les défis n’est tout simplement pas un bon chef. Des personnalités de haut vol, charismatiques, uniques comme Jack Welsh, Percy Barnevick ou Jean-Marie Messier ont été très à la mode ces dernières années, mais ce modèle a perdu de sa popularité. Le modèle de chef que les firmes recherchent aujourd’hui est quelque peu différent : un profil moins pointu et plus d’esprit d’équipe. La clarté de la vision, l’aptitude à convaincre et à impliquer les autres sont des atouts importants, mais diriger requiert d’autres qualités pour éviter de dérailler, principalement la capacité d’écouter les autres et de rechercher leurs avis. En réalité, les firmes abordent la question du leadership non plus sur le modèle « une personne au sommet », mais en termes d’équipe de direction. Ce qui importe, c’est que l’équipe de dirigeants ne soit pas composée de « beni oui-oui ». Sur ce point, la diversité, et particulièrement la diversité internationale, est un énorme avantage. Nous en