Expression de l`innovation en géosciences

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Expression de l`innovation en géosciences
Cojan I., Friès G., Grosheny D., Parize O., Expression de l’innovation en géosciences,
Une journée avec Bernard Beaudoin, Paris : Presses des Mines, Collection Sciences
de la Terre et de l’environnement, 2012.
© Presses des Mines - TRANSVALOR, 2012
60, boulevard Saint-Michel - 75272 Paris Cedex 06 - France
email : [email protected]
http://www.pressesdesmines.com
ISBN : 978-2-911256-84-4
Dépôt légal : 2012
Achevé d’imprimer en 2012 (Paris)
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.
Expression de l’innovation
en géosciences
Collection Sciences de la Terre et de l’environnement
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Expression de l’innovation
en géosciences
Une journée avec Bernard Beaudoin
Coordination
Isabelle Cojan, Gérard Friès,
Danièle Grosheny, Olivier Parize
Table des matières
AVANT-PROPOS
THEME 1 – AUX RACINES DE LA CONNAISSANCE
Les grands débats géomorphologiques au XXe siècle : de la croissance
des reliefs aux processus d'érosion - la place de l'École française.
François Guillocheau
p 13
De l'affleurement au modèle numérique - l'importance de l' École
française des turbidites.
Thierry Mulder, Olivier Parize, Jean-Loup Rubino et Gérard Friès
p 23
Science ou plagiat.
Michelle Bergadaà
p 51
THEME 2 – LE TEMPS
Crises climatiques holocènes : enregistrements sédimentaires dans les
prismes estuariens macrotidaux.
Bernadette Tessier et Isabelle Billeaud
p 67
Corrélations entre les variations à très long terme du δ13C au
Cénozoïque et les cycles de modulation de l’excentricité de l’orbite
terrestre
Slah Boulila, Bruno Galbrun et Jacques Laskar
p 77
Isotopes stables et temps instable.
Christophe Lécuyer
p 85
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Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
THEME 3 – UN AUTRE REGARD…
Modernité des paléosurfaces - leur apport à la géodynamique.
Médard Thiry, Caroline Ricordel-Progon, Christine Franke et Jacques Brulhet p 113
Un géomodèle à quoi ça sert ?
Philippe Joseph
p 127
La remobilisation sédimentaire, curiosité ou élément essentiel de la vie
des bassins ?
Patrice Imbert
p 137
THEME 4 – LA BIODIVERSITÉ
Paléobiodiversté, paléobiogéographie, biostratigraphie et systématique Exemples pris chez les Ammonites au Crétacé.
Luc. G . Bulot et Rémy Richet
p 157
Biodiversité, entre Rio et Rio + 20.
Gilles Bœuf
p 165
Émergence de la vie multicellulaire au Gabon - Un nouveau chapitre de
l’histoire de la vie vieux de 2.1 milliards d'années.
Abderrazak El Albani
p 171
Avant-propos
En l’honneur de l’action menée par Bernard Beaudoin pour le rayonnement de
la sédimentologie française, ses collègues, élèves et amis ont voulu lui rendre
hommage au travers d’une journée de discussion et de réflexion autour de
thèmes géologiques qui lui sont chers.
Ingénieur civil de l’École des Mines de Paris en 1963, Bernard Beaudoin mène
ses recherches notamment dans le Sud-Est de la France dans le cadre de la
préparation d’une thèse d’état (méthodes d’analyse sédimentaire et
reconstitution du bassin : le Jurassique terminal/Berriasien des chaînes
subalpines méridionales) qu’il soutiendra en 1977 à l’Université de Caen sous la
direction du Professeur Marcel Lanteaume. Dès 1967, ils publient ensemble un
ouvrage sur les figures sédimentaires des Grès d’Annot et leur utilisation dans le
domaine de la reconstruction des sens d’apports sédimentaires. Sa manière
d’appréhender les affleurements à différentes échelles, du paysage à la lamine, le
conduit à participer à l’établissement de cartes géologiques au 1/50000, celle de
La Javie en particulier, à reconstituer la géométrie des bassins sédimentaires
dans un cadre dynamique aussi bien sédimentologique que tectonique et à
utiliser des objets sédimentaires pour évaluer de manière directe l’influence de
la compaction sur les séries sédimentaires.
Bernard Beaudoin fut président de l’ASF, (Association des Sédimentologistes
Français) de 1984 à 1991, président du Groupe Français du Crétacé de 2004
à 2006 et vice-président de l’IAS (International Association of
Sedimentologists) de 1986 à 1990. En tant que Président de l’ASF, Bernard
Beaudoin est à l’origine de l’organisation du 1er Congrès français de
sédimentologie, c’était en 1987 à l’Ecole des Mines de Paris. D’emblée, ce
congrès remporte un vif succès, il se tient désormais tous les deux ans dans
différentes villes de France, c’est devenu une tradition pour notre communauté
et une tribune privilégiée pour les jeunes chercheurs. Précisément, dans le
domaine de la formation des jeunes sédimentologues, Bernard Beaudoin s’est
toujours beaucoup investi notamment sur le terrain où il a dirigé un nombre
incalculable de stages notamment pour les étudiants de DEA et pour les élèvesingénieurs de l’Ecole des Mines de Paris. Nombreux sont ceux qui sont
maintenant en poste dans les universités ou les grands organismes et qui se
souviennent des longues journées en montagne. Bernard Beaudoin est
également très attaché à l’analyse bibliographique et à la dissection des articles
scientifiques. Dans ce domaine il a appris l’analyse critique des articles et a
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Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
transmis sa manière de synthétiser à de nombreux étudiants. Ses qualités
pédagogiques souvent originales, son humanisme et son attachement au rôle
d’ascenseur social que doivent jouer les établissements d’enseignement
supérieur font que Bernard Beaudoin a joué un rôle crucial dans le
développement de la sédimentologie française au cours des 30 dernières années.
Auteurs de nombreuses publications scientifiques relatives à la préservation du
temps dans les sédiments, à la mise en place de injectites sableuses, à la mesure
directe de la compaction, aux relations tectonique/sédimentation, ses travaux se
caractérisent par une approche originale, à la fois naturaliste, quantifiée et sans a
priori.
Cette journée avec Bernard Beaudoin est organisée par la Société Géologique
de France, le Groupe Français du Crétacé, l’Association des Sédimentologistes
Français et Mines-ParisTech. Elle est soutenue par l’Andra, Areva, le BRGM, la
Fondation de MINES Paris-Tech (FI3M) et Total. La journée s’articule autour
de quatre thèmes :
-
Les racines de la connaissance, animé par Olivier Parize
-
Le temps, animé par Danièle Grosheny
-
Un autre regard..., animé par Isabelle Cojan
-
La biodiversité, animé par Gérard Friès
A Paris, le 6 juillet 2012,
Isabelle Cojan, Présidente de la SGF
Jean-François Deconinck, Président de l’ASF
Danièle Grosheny, Présidente du GFC
Quelques ouvrages :
BEAUDOIN B., GODEFROY P., MOUROUX B. – 1995 - Actes du colloque Géoprospective :
le temps en géologie : du passé au futur, Paris, Unesco, 458 p.
GINSBURG R., BEAUDOIN B. – 1990 - Cretaceous Ressources, Events and Rhythms. Kluwer
Academy Library.
LANTEAUME M., BEAUDOIN B et CAMPREDON R. - 1967 - Figures sédimentaires du
Flysch «Grès d’Annot » – Synclinal de Peira-Cava. Edition du CNRS, 97 p.
I - AUX RACINES DE LA CONNAISSANCE
Les grands débats géomorphologiques du
XXe siècle : la place de l’École française dans
la compréhension des grands aplanissements
François Guillocheau,
Géosciences-Rennes, UMR 6118,
Université de Rennes 1 – CNRS, 35042 Rennes cedex
Les objectifs de la géomorphologie ont beaucoup changé ces quinze dernières
années : d’une discipline fondée principalement sur l’observation du terrain et le
développement de concepts scientifiques, elle évolue de plus en plus en plus
vers la physique des processus au travers d’une double modélisation numérique
et analogique. Cette évolution s’est accompagnée d’une restriction de son
champ d’investigation avec une focalisation sur les chaines de montagnes et les
rivières associées.
Cette évolution s’est faite au détriment d’une géomorphologie moins
spectaculaire, celle des grands domaines à plaines et plateaux dont l’altitude est
située entre quelques centaines de mètres et 1000-1500 m, et qui représentent
pourtant l’essentiel du relief actuel de la Terre ! Ces domaines de plaines et
plateaux sont caractérisés par de grandes surfaces d’aplanissement qui sont
disséquées soit (1) par des systèmes de pédiments/glacis évoluant vers des
pédiplaines, soit (2) par des vallées incisées.
C’est la contribution française à la compréhension de ces grands systèmes
géomorphologiques, hors vallée incisée – vaste sujet en soi -, que nous allons
essayer de raconter.
DÉFINITIONS ET PROCESSUS DE FORMATION
Une surface d’aplanissement désigne une vaste étendue plane (>103 km2)
érosive, tronquant les roches sous-jacentes. Elles peuvent porter des altérites
(latérites, férricrètes, silcrètes, calcrètes) ou des placages sédimentaires (dépôts
fluviatiles en transit, lacs). Ces surfaces sont souvent déformées à grande (x100
km), voire très grande longueur d’onde (x1000 km). Elles sont très souvent
réérodées ; elles sont alors qualifiées de dégradées ou de disséquées.
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Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
Quatre grands types de processus ont été proposés pour expliquer la formation
des surfaces d’aplanissements. Ils sont présentés ici par ordre chronologique.
1. Surfaces d’abrasion marine.
Ce concept fut développé dès 1855 par Sir Andrew C. RAMSAY (1814-1891),
directeur du Service géologique des Iles britanniques, pour expliquer le
caractère absolument plat des grandes discordances identifiées en GrandeBretagne, et notamment la discordance décrite par James HUTTON. Cette idée
fut popularisée en Allemagne à la fin du 19ème siècle avec les travaux de
Ferdinand von RICHTOFEN (1833-1905), Professeur à l’Université de Berlin.
2. Surface d’érosion fluviatile par abaissement des versants ou des surfaces
(« downwearing ») : pénéplaine.
Ce concept fut élaboré par Williams M. DAVIS (1850-1934), Professeur à
l’Université d’Harvard, de 1885 à 1909 au travers d’une dizaine de publications
(voir « The geographical cycle », Geographical Journal, 1899, 14: 481-504). Une
pénéplaine est le résultat de l’érosion fluviatile d’un relief créé par une
surrection rapide de l’écorce terrestre, l’érosion s’effectuant à niveau de base
constant.
3. Surface d’érosion fluviatile par recul des versants ou escarpement («
backwearing ») : pédiplaine.
Cette idée fut développée avec force par Lester KING (1907-1989), Professeur
à l’Université de Durban, en 1953 (« Canons of landscape évolution », Bulletin of
the Geological Society of America, 64: 721-752). La surface d’aplanissement résulte
du recul d’un escarpement, amont de pédiments dont la coalescence en aval
forme une pédiplaine. Elle s’inscrit dans la continuité d’un mouvement initié
par le géographe autrichien Walther PENCK (1888-1923) qui, par opposition
avec le modèle de DAVIS, considérait que surrection et dénudation du relief
s’effectuait simultanément. La conséquence en serait une croissance du relief
par recul (« backwearing ») et abaissement (« downwearing ») du profil des
rivières (« Die morphologische Analyse, ein Kapitel der physikalischen
Geologie », 1923, Engelhorn, Stuttgart). Ce débat entre tenants du
« downwearing » ou du « backwearing » est toujours d’une actualité brûlante !
4. Surface d’altération : (a) préservée, (b) érodée : surface corrodée
(« etchplain »).
Ce processus mis du temps à être clairement énoncé. Le premier à parler en
1934 de relations entre surfaces et altérations est Edward J. WAYLAND (18881966), directeur du Service géologique d’Ouganda (célèbre pour avoir écrit que
les rifts étaient des structures compressives !). Il considère que les altérites se
forment postérieurement à un aplanissement majeur. La roche, ainsi altérée et
décapée de ses altérites, permet de former une surface plane en position plus
La place de l’école française dans la compréhension des grands aplanissements
15
basse (« etchplain »). C’est Julius BÜDEL, Professeur à l’Université de
Würzburg, qui en 1957 (« Die « Doppelten Einebnungsflächen » in den
feuchten Tropen », Zeitschrit für Geomorphologie, N. F., 1: 201-228) comprend que
le front d’altération peut constituer, une fois l’altérite érodée mais préservée
dans les creux du front d’altération, une surface d’aplanissement.
Les pédiments et glacis désignent des surfaces planes, faiblement inclinées,
érosives, tronquant toutes les structures géologiques sous-jacentes, passant en
amont à un versant abrupt, correspondant souvent à un escarpement. Ces
pédiments peuvent être sans dépôt ou recouverts de placages sédimentaires très
peu épais et souvent discontinus. Ils peuvent constituer soit des piémonts, soit
des réseaux de larges vallées plates, soit des pédiplaines. La littérature anglosaxonne ne retient que le terme de pédiment, tandis que la littérature française
sépare pédiments et glacis, l’un étant sur substrat dur (le pédiment), l’autre étant
sur un substrat moins résistant, généralement sédimentaire (le glacis). Leur
mode de formation est très discuté : un façonnement en climat semi-aride et
une durée de formation de plusieurs centaines de milliers d’années à plusieurs
millions d’années, sont les seuls points d’accord.
L’ÉCOLE GÉOMORPHOLOGIQUE FRANÇAISE
La géomorphologie française est née d’une seule personne, Paul VIDAL de la
BLACHE (1845-1918), normalien, Professeur à la Sorbonne jusqu’en 1909.
Néanmoins, le premier traité de géographie fut l’œuvre d’un géologue, élève de
Léonce ELIE de BEAUMONT, Albert COCHON de LAPPARENT (18391908), Professeur à la Faculté catholique de Paris avec ses « Leçons de Géographie
physique » (1896, Masson, Paris).
Paul VIDAL de la BLACHE eut de nombreux élèves dont les deux plus
importants furent Emmanuel de MARTONNE (1873-1955), également son
gendre, et Henri BAULIG (1877-1962).
Henri BAULIG, Professeur à Strasbourg (1921-1947), résident américain de
1904 à 1909 (Université de Harvard – collaborateur de Williams M. DAVIS,
puis Université Georges Washington), homme à l’œuvre féconde, ne constituât
pas vraiment une école au sens strict. Néanmoins, plusieurs géomorphologues
s’inscrivent dans ses idées (et les revendiquent) plusieurs décennies après sa
mort (Claude KLEIN, Georges CLAUZON..).
Emmanuel de MARTONNE, Professeur à la Sorbonne de 1909 à 1944, format
de nombreux disciplines parmi lesquels, quatre devaient jouer un grand rôle :
André CHOLLEY (1886-1968), son successeur à la Sorbonne (1944-1956),
Jean DRESCH (1905-1994), Professeur à Strasbourg (1945-1947), puis à Paris,
tout aussi connu pour son engagement anti-colonialiste auprès du Parti
communiste français, Pierre BIROT (1909-1985), Professeur à la Sorbonne à
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Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
partir de 1956 et André GUILCHER (1913-1993), Professeur à Nancy, Paris et
Brest de1947 à1981.
Dans la génération des arrières petits fils de Paul VIDAL de la BLACHE, deux
devaient avoir une forte incidence sur l’école française de géomorphologie :
Jean TRICART (1920-2003), élève de André CHOLLEY, Professeur à
l’Université de Strasbourg à partir de 1948, au départ en retraite de Henri
BAULIG, et Claude KLEIN (1924-2005), élève de André CHOLLEY et André
GUILCHER, Professeur, en fin de carrière, à l’Université Paris-Sorbonne
(1979-1984).
Parallèlement à cette école de géographe, un géologue devait avoir une
contribution majeure dans la compréhension des paléosurfaces associées à des
paléoaltérites, Georges MILLOT (1917-1991), normalien, Professeur à
l’Université de Strasbourg, spécialiste de la géologie des argiles, qui s’inscrit dès
1954 dans la continuité de Jacques COCHON de LAPPARENT, également
Professeur à l’Université de Strasbourg (1919-1947), qu’il considéra comme le «
fondateur de la Géochimie causale des argiles » (in « Géologie des argiles »,
1964, Masson, Paris). MILLOT devait créer, en France, une école foisonnante
d’étude des altérations / paléoaltérations – en étroite collaboration avec
l’O.R.S.T.O.M. (devenue I.R.D.). Parmi eux, Yves TARDY et Médart THIRY
ont eu une action forte en géomorphologie.
L’école vidalienne, et plus particulièrement ses deux piliers, Emmanuel de
MARTONNE et Henri BAULIG, a été profondément marquée par les idées de
Williams M. DAVIS. Ces idées ont été présentées en France pour la première
fois dans les « Leçons de Géographie physique » de Albert COCHON de
LAPPARENT. DAVIS a effectué au moins deux séjours en France en 1898 (il
assiste à une séance de la Société géologique de France !) et en 1911 (sabbatique
à la Sorbonne). Ces idées ont eut une forte incidence sur la communauté
géomorphologique géographe française jusqu’à la fin du 20ème siècle ,
l’enthousiasme de la communauté géologique française étant plus tiède, voire
hostile (par exemple, Emile HAUG (1861-1927) qui défend qui le point de vue
que Emile SUTTER en 1841 avait développé l’essentiel des concepts de
DAVIS ; cf. Guisti, 2004, Géomorphologie, 10 : 241-254).
Cette approche davisienne suscita une vive réaction de la part de Jean
TRICART, chef de file de l’école française de géomorphologie des années 60s à
80s (lire « les concepts de « pénéplaine » et d’aplanissement chez les géographes
français depuis un siècle », Travaux du comité français d’histoire de la géologie,
1991, http://annales.org/archives/cofrigheo/peneplaine.html, véritable règlement de compte avec ses prédécesseurs). TRICART impose une vue
« morphoclimatique » reposant sur le principe « Toute morphologie dérive d'un
système d'érosion mis en place par le climat et qui s'exerce sur des terrains et
La place de l’école française dans la compréhension des grands aplanissements
17
des reliefs divers dus à la structure et à la tectonique ». Dans la réalité, il
promut fortement le climat (récent) et très peu la tectonique.
LA CONTRIBUTION FRANÇAISE
La chronologie des formes du relief et l’intégration du temps
Malgré l’adoption par la communauté française de Géographie physique du
concept de cycle d’érosion de DAVIS (qui comporte donc une référence
explicite au temps), les géomorphologues français vont se cantonner dans la
première moitié du XXe siècle à une description des formes du relief.
Des 1928, Henri BAULIG, dans sa thèse « Le plateau central de la France et sa
bordure Méditerranéenne, étude géomorphologique » et un article en deux
parties dans les Annales de Géographie sur « Les hauts niveaux d’érosion
eustatique dans le bassin de Paris », utilise les sédiments datés pour établir la
chronologie des formes du relief et donc identifier des formes du relief d’âge
Paléogène. Il est de tradition d’attribuer à l’école géomorphologique allemande
cette intégration géologique des formes du relief, mais c’est me semble-t-il a
BAULIG qu’il faut attribuer ce progrès. En a-t-il à l’époque mesurer la portée ?
Cette façon de faire de la géomorphologie sera reprise par André CHOLLEY
en 1943 lors de ses études sur le bassin de Paris (« Recherche sur les surfaces
d’érosion et la morphologie de la région parisienne », Annales de Géographie, 289:
1-19, 190: 81-97, 191: 161-189) avec plus de détails, moins de concepts et…
moins de figures (8 figures en 68 pages de texte). Néanmoins, MARTONNE
lui-même, dans sa « Géographie physique de la France » (1942, Armand Colin, Paris),
restera cantonné à une prudente intégration géologique des formes du relief,
bien en retrait par rapport aux travaux de BAULIG (néanmoins abondamment
cité dans le chapitre « Massif central »).
Les années 50s, dominées par la pensée de Jean TRICART, vont, de mon point
de vue, marquer un net recul intellectuel. Pour cette école, l’essentiel de la
morphogenèse résidant dans le climat et sa variation, c’est donc durant le
Quaternaire et ses variations de forte amplitude que se forme l’essentiel des
formes du relief… Un bel exemple est fourni par les remarquables études
réalisées par Pierre MICHEL sur le fleuve Sénégal (« Les bassins des fleuves
Sénégal et Gambie. Etude géomorphologique », 1973, Mémoires de
l’O.R.S.T.O.M., 63), pour lesquels tous les glacis cuirassés emboités
sont…Quaternaire, alors qu’ils s’échelonnent en réalité du Miocène au
Pléistocène (datation 40Ar/39 Ar sur les cuirasses, Beauvais et al., 2008, Journal of
Geophysical Research, 113: F04007). Les années 50s à 70s vont être marquées par
un « quaternarisme » et un « atectonisme » excessifs pour expliquer les formes
du relief, avec de notables exceptions comme André GUILCHER et de Claude
KLEIN dans l’Ouest de la France ou Fernand TOURAINE et Georges
CLAUZON en Provence.
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Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
La relation surface d’altération – altération
C’est indéniablement la contribution majeure des Sciences de la Terre française
en géomorphologie (hors chaines de montagne), même si son incidence à
l’échelle mondiale peut-être discutée. Elle naît d’un homme et de son école,
Georges MILLOT, dans le contexte strasbourgeois d’un Institut de Géographie
fort, fondé par BAULIG et repris par TRICART (même si ce dernier n’a eu de
cesse de dénigrer son prédécesseur).
C’est une histoire africaine à la croisée entre plusieurs « corps » disciplinaires :
(1) les cartographes des colonies françaises de l’Afrique Occidentale Française
(Service géologique de l’A.O.F.) et l’Institut Français d’Afrique Noire (I.F.A.N.
– Dakar – fondé en 1939 par Theodore MONOD), (2) les géographes
académiques, (3) les pédologues et géomorphologues/altérologues de l’Office
de la Recherche Scientifique Coloniale, devenue O.R.S.O.M. puis O.R.S.T.O.M.
en 1953, (4) les altérologues/géochimistes académiques.
(1) Deux publications marquent le début de la contribution française, celle,
remarquable, de Enzo de CHETELAT en 1938 (« Le modelé latéritique de
l'Ouest de la Guinée française », Revue de Géographie physique et de Géologie
dynamique, 11: 5-120), puis, en 1945, celle de Jean-Charles LECLERC
(« Structure et relief de l'Afrique Occidentale », Etudes Rhodaniennes, 22:149-172).
CHETELAT après avoir cartographié l’A.O.F. sera ingénieur-géologue minier,
puis fonctionnaire international : il prendra la nationalité américaine.
LECLERC, après avoir parcouru l’A.O.F. en avion, meurt foudroyé sur le
terrain en 1946 à 32 ans. CHETELAT est proche de montrer l’incidence des
altérites sur la genèse des surfaces d’aplanissement. Malheureusement, son
travail ne sera jamais cité par le monde académique français (géographes ou
géologues), et peu connu à l’étranger (indice de citation de 16 dont une citation
de C.R. TWIDALE, célèbre géomorphologue australien).
(2) Le premier à comprendre l’importance des altérites dans la genèse des
surfaces aplanissements est Jean DRESCH en 1947 (« Pénéplaines africaines »,
Annales de Géographie, 56-302: 125-137), puis en 1952 (« Dépôts de couverture et
relief en Afrique Occidentale Française », 17th Congress of the International
Geographical Union, Washington, Geomorphology Section, 323-326). Mais il ne propose
pas véritablement de mécanismes de formation ; il se borne à appliquer à
l’Afrique de l’Ouest les concepts d’analyse des formes planes, développés avec
succès par les anglo-saxons en Afrique australe : Franck DIXEY (1892-1982,
geological explorer, British Colonial Office), Alexander S. DU TOIT (19781948, chief consulting geologist to De Beers Consolidated Mines) et Arthur C.
VEATCH (1878-1838, consultant petroleum geologists) entre 1926 et 1935
(aucun n’est géomorphologue de formation !).
La place de l’école française dans la compréhension des grands aplanissements
19
(3) La base de données de terrain qui va permettre le saut intellectuel est le fait
des pédologues et géomorphologues de l’ORSTOM, R. MAIGNIEN, Y.
CHATELIN, P. SEGALEN de la fin des années 50s aux années 70s, mais les
deux figures marquantes sont Bruno BOULANGE et surtout Georges
GRANDIN qui avec Pierre MICHEL, enseignant-chercheur à Dakar puis à
Strasbourg, vont, à eux trois, poser les bases d’une géomorphologie nouvelle.
Georges GRANDIN contribue à trois publications majeures, sa thèse
(« Aplanissements cuirassés et enrichissement des gisements de manganèse dans
quelques régions d’Afrique de l’Ouest », 1976, Mémoires de l’O.R.S.T.O.M., 82),
un article en collaboration avec Médart THIRY (« Les grandes surfaces
continentales tertiaires des régions chaudes – succession des types d’altération »,
1983, Cahiers de l’O.R.S.T.O.M., série Géologie, XIII: 3-18) et une synthèse avec
Dominique CHARDON et autres collaborateurs (« Planation, bauxite and
epeirogeny: One or two paleosurfaces on the West African margin? », 2006,
Geomorphology, 82: 273-282.). Trois éléments morphologiques sont définis : une
surface bauxitique, une surface intermédiaire cuirassée de fer, et trois glacis
cuirassés emboités. Les deux premières surfaces sont liées à l’altération
chimique, les trois dernières résultent, à niveau de base baissant, d’alternances
de périodes semi-arides et humides.
(4) En 1980, Georges MILLOT publie une remarquable synthèse de l’ensemble
des travaux menés par cette équipe de l’O.R.S.T.O.M. (dont l’essentiel des
thèses d’état a été soutenu à Strasbourg) et de son propre groupe,
minéralogistes des argiles, géochimistes des altérations plus ou moins intéressés
par la géomorphologie, intitulée « Les grands aplanissements des socles
continentaux dans les pays subtropicaux, tropicaux et désertiques », (Mémoire
Hors Série de la Société géologique de France, 10: 295-305).
L’ensemble de ces acteurs ont disparu, et cette brillante école de pensée avec
eux. Il ne reste plus guère que Anicet BEAUVAIS du CEREGE à posséder ce
savoir…
Tous ces travaux ont été menés à partir des possessions coloniales françaises en
Afrique (A.O.F. principalement), occupées puis libres. Par rapport aux
allemands (qui n’ont pourtant qu’une brève période coloniale de 1884 à 1918),
aux britanniques et même aux belges ou portugais, la géographie physique des
colonies françaises ne sera vraiment étudiée qu’après la seconde guerre
mondiale. Nous n’avons pas eu de géomorphologues français capables de
rivaliser en développement de nouveaux concepts avec les allemands Siegfried
PASSARGE (« Die Kalahari. Versuch einer physisch-geographischen
Darstellung der Sandfelder des südafrikanischen Beckens », 1904, Dietrich
Reimer, Berlin) et Otto JESSEN (avec sa remarquable analyse des paléosurfaces
d’Angola dans « Reisenund Forschungen in Angola », 1936, Verlag von Dietrich
Reimer, Berlin) ou les britanniques Frank DIXEY et Edward J. WAYLAND.
20
Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
Je n’ai pas trouvé de réponses à ce retard : le poids de l’armée dans la
cartographie, la structure politique et administrative coloniale faisant peu de cas
de la chose intellectuelle, une France décimée de ses cadres intellectuels après la
première guerre mondiale, une géologie utile tournée vers la prospection
minière ? L’histoire des Services géologiques des colonies françaises reste à
écrire.
Les surfaces d’abrasion marine
Comme nous l’avons déjà vu, Henri BAULIG publie en 1928 sa thèse et un
article sur l’effet des hauts niveaux d’érosion eustatique dans le bassin de Paris,
qui défendent la thèse d’un rôle prépondérant de l’abrasion marine dans la
genèse des surfaces d’aplanissements. Il faut noter que BAULIG avait été, entre
1910 et 1913, un des traducteurs du célèbre traité de Eduard SUESS « Das
Antlitz der Erde » (La face de la Terre – traduction coordonnée par Emmanuel
de MARGERIE), et notamment des chapitres consacrées à l’eustatisme, terme
défini par SUESS. Dès 1929, Emmanuel de MARTONNE adresse, dans les
Annales de Géographie, un commentaire ferme (mais bienveillant – il soutient
la promotion de BAULIG comme Professeur avec chaire à Strasbourg après
1928) contestant la réalité des interprétations de BAULIG. Henri BAULIG luimême va revenir dans sa synthèse sur les Surfaces d’aplanissement en 1952
(Annales de Géographie, 61, 236 : 245-262) sur l’importance des surfaces
d’abrasion marine.
« L'abrasion littorale, au contraire, est un instrument idéal de planation ;
mais, à niveau constant, son progrès est limité, même lorsque les agents
subaériens ont préparé ses voies en réduisant considérablement le
relief. En revanche, un lent mouvement positif permet l'extension
presque indéfinie de la plate-forme d'abrasion, avec fossilisation
concomitante de sa partie externe. Des transgressions quasiuniverselles se sont produites à diverses époques ; mais leur étendue
même prouve qu'elles n'ont fait que recouvrir, sans les modifier
profondément, des surfaces préalablement aplanies. »
Ces travaux n’auront pas (ou peu de suites), le concept de « wave-cut platform »
sera réinventé par les américains Rhodes W. FAIRBRIDGE (qui publie
pourtant en français en 1961 dans les annales de Géographie un article intitulé
« la base eustatique de la géomorphologie » - BAULIG n’est pas cité) et Robert
S. DIETZ (1963, « Wave-base, marine profile of equilibrium, and wave-built
terraces: a critical appraisal », American Association of Petroleum Geologists Bulletin,
74 : 971-990), à partir des travaux de Joseph BARRELL (1925, « Marine and
terrestrial conglomerates ». Geological Society of America Bulletin, 36 : 279-341) et
de John L. RICH (1938, « Recognition and significance of multiple erosion
surfaces ». Geological Society of America Bulletin, 49 : 1695-1722).
La place de l’école française dans la compréhension des grands aplanissements
21
CONCLUSION : QUELLES LEÇONS TIRER ?
1. L’efficacité d’un travail scientifique. La question peut choquer à une
époque où les indicateurs bibliométriques nous évaluent en continue. Ce dont
je parle, c’est l’efficacité d’un travail, d’un article, d’une personne, à durablement
marquer un champ disciplinaire, criblé au filtre de l’histoire. Deux critères sont
incontournables : (1) avoir été cité par l’ensemble de la communauté
internationale de la discipline et (2) être reconnu par cette communauté comme
étant attaché à une découverte, un nouveau concept, etc. Mais, sans négliger le
fait que les « lobbies » susceptibles de forcer le système ont existé à toute
époque, ces critères me semblent applicables à l’ère du pré-indice de citation,
c’est à dire avant les années 90s.
A ce jeu, Henri BAULIG et Georges MILLOT ont une vraie reconnaissance
internationale. Henri BAULIG ayant publié quelques articles en anglais (et
notamment un commentaire au célèbre article de Lester KING « Canons of
landscape evolution », paru en 1957 sous le titre de « Peneplains and
pediplains », Bulletin of the Geological Society of America, 68: 913-930).
Ce qui a fait défaut à cette école est la capacité de conceptualiser leurs
observations, souvent très pertinentes. Elle n’a pas appris de son maître à
penser, Williams M. DAVIS, le sens de la théorie simplement énoncée et bien
diffusée (variation de plusieurs articles sur le même sujet).
2. Le nationalisme français. Il est indéniable, malgré la considérable influence
de Williams Morris DAVIS sur la communauté française de Géographie
physique, que la géomorphologie / altérologie française va rester très
longtemps en dehors de la sphère internationale.
Elle est clairement anti-allemande. Pour des raisons historiques évidentes, la
Géographie française va s’inscrire dans la revanche sur l’Allemagne et ignorer
beaucoup des travaux d’une très brillante école de géomorphologie. L’exception
est Henri BAULIG, qui bien que nommé Professeur à Strasbourg à la faveur de
la réunification de l’Alsace et de la Lorraine, connaît (et cite) les travaux
allemands. Récemment, Hallair (2011, Géomorphologie, 319-334) soutient une
thèse inverse concernant les relations entre Siegfried PASSARGE et l’école
vidalienne (dont Emmanuel de MARTONNE). Indépendamment du fait que la
théorie du paysage (« Landschaftskunde ») de PASSARGE se soit avérée très
rapidement une impasse, cette approche est peu citée dans les travaux des
géographes français, sauf ceux de germanophiles post-1933 (PASSARGE a été
un membre actif du NSDAP et, selon les « Führerprinzip », « chef » de la
géographie allemande). Une des plus belles preuves de cette ignorance est
donnée par la méconnaissance des travaux de Otto JESSEN par l’école
« morphoclimatique » de Jean TRICART. Dès 1938 dans un article intitulé
« Tertiarklima und Mittelgebirgsmorphologie » (Zeitschrift der Gesellschaft für
22
Une journée avec Bernard Beaudoin : expression de l’innovation en géosciences
Erdkunde zu Berlin, 36-49) JESSEN montrait que le climat actuel de l’Europe
était récent (« Pliocène ») et donc qu’il fallait penser l’essentiel de la
morphogenèse des reliefs dans des condition climatiques différentes, tropicales
à semi-arides… Nous sommes loin du « tout Quaternaire »…
Elle est clairement franco-française. Deux freins vont limiter la diffusion des
idées des idées françaises : (1) la langue utilisée est uniquement le français
(même si jusque dans les années 70s, le français était plus pratiqué dans le
monde scientifique international que maintenant) et (2) les publications sont
faites dans des périodiques français, à diffusion souvent confidentielle (par
exemple le Bulletin Sciences géologiques de Strasbourg ou les Cahiers de
l’O.R.S.T.O.M.). Le cas le plus intéressant est l’article majeur de Georges
MILLOT en 1980 « Les grands aplanissements des socles continentaux dans les
pays subtropicaux, tropicaux et désertiques », qui (1) est publié dans le Mémoire
Hors Série n° 10 de la Société géologique de France, et qui (2) cite 31 articles
français sur les 31 appelés !
Ce travail n’a été possible que grâce au programme Persée (http://www.persee.fr), portail de
revues en Sciences humaines et sociales financé par le Ministère de la Culture. La très grande
majorité des revues françaises en Sciences humaines et sociales ont été numérisées et mises en
ligne en accès gratuit. L’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a également
numérisé ses publications scientifiques et son centre de documentation (Horizon Pleins textes,
http://horizon.documentation.ird.fr). Il est à regretter que de tels sites gratuits ne soient pas
disponibles pour les Géosciences (Comptes rendus de l’Académie des Sciences, Bulletin de la
Société géologique de France, Bulletin du BRGM…ou Mémoires de l’Ecole des Mines).
De l'affleurement au modèle numérique :
l'importance de l'École française
des turbidites
Thierry Mulder1, Olivier Parize2, Jean-Loup Rubino3, Gérard Friès4
1 Université de Bordeaux, UMR CNRS 5805 EPOC, 33405 Talence cedex
2 AREVA Mines, 1 place Jean Millier, 92484 Paris La Défense
3 TOTAL, CSTJF, Avenue Larribau, 64018, Pau cedex
4 Véolia Environnement Recherche et Innovation, 92500 Rueil-Malmaison
INTRODUCTION
Les turbidites… une idée dans l’air
Rarement dans les sciences modernes, une idée qui marque leur histoire, naît
dans un seul esprit. Comme cela est souvent le cas en géologie de terrain, c’est
le fruit d’une accumulation laborieuse de données, d’abord parcellaire, mais qui,
une fois organisée puis synthétisée petit à petit, permet de faire naître un
concept, une théorie, un paradigme. L’histoire scientifique, in fine, ne garde, en
mémoire officielle, que le publiant. La mémoire collective, imprime parfois le
nom de ceux qui diffusent ou popularisent. La science moderne est encore plus
restrictive, ne mémorisant que le publiant en anglais, dans les revues
internationales, les plus renommées.
La naissance du concept de turbidite résume bien ce modèle. Les données
accumulées juste avant- et après-guerre, dans de grandes monographies et
synthèses régionales de terrain, ont trouvé leur écho, au milieu du siècle dernier
dans les études des dépôts récents dont l’essor est lié à celui des technologies
océanographiques. Dans ce cadre, l’implication de l’industrie pétrolière et le rôle
des grandes institutions scientifiques, le tout organisé en associations, groupes
de recherche, programmes ou consortia industriels, ont été prépondérants.
Près de 50 ans après la naissance de ce concept, Shanmugam [2000, 2006],
Mutti et al. [2009] ou Hüneke et Mulder [2010], entre autres, en ont réactualisé
la biographie, à la fois chronologique et thématique. Notre objet est d’y détailler
24
Expression de l’innovation en géosciences : une journée avec Bernard Beaudoin
les acquis de la recherche francaise et d’y préciser les contributions de cette
École des turbidites.
LES PRÉMICES
Les plus anciennes descriptions de courant de densité sont probablement à
mettre au crédit de Forel [1885]. Décrits à l’embouchure lacustre du Rhône,
dans le lac de Genève, ces courants deviendront plus tard des écoulements
hyperpycnaux [Forel, 1892], repris par Bates [1953]. Quelques décennies plus
tôt, S. Gras, ingénieur des Mines, contribue au levé de la Carte géologique de la
France, dans le Vocontien [1835] puis dans les « Grès d’Annot » [1840] : dans
les séries alternantes marno-calcaires jurassiques et crétacées du Vocontien, des
« couches ordinairement contournées, ondoyantes, et il leur arrive de se replier
sur elles-mêmes en faisant plusieurs zigzags dans un très petit espace », sont
décrites comme des « contournements et accidents de sédimentation » [Gras,
1835, p.52], et l’existence d’érosions et de remaniements de faunes est attestée
dans « les bancs bréchoïdes » par Leenhardt [1895, p. 818 et 829]. Au siècle
suivant, ces deux bassins, Vocontien et des Grès d’Annot, deviendront le
berceau de l’école de sédimentologie gravitaire française.
Il faut néanmoins attendre le XXe siècle pour que les études sédimentologiques
de terrain mettent en évidence des associations et successions de faciès, sans
encore leur donner leur interprétation moderne [Sheldon, 1928], mais
reconnaissant néanmoins leur subdivision en cinq faciès type [Signorini, 1936 ;
cf. Bouma et Brouwer, 1964, p. 256]. Le granoclassement des dépôts du flysch,
rapidement caractérisé, est interprété comme le résultat d’un processus se
produisant en eaux profondes [Bailey, 1936].
Parallèlement, les progrès de l’océanographie confirment l’existence de reliefs
importants et abrupts entaillant les marges continentales : les canyons. Ils
avaient été déjà identifiés depuis plus d’un demi-siècle : « un gouffre étonnant
de pas moins de 4000 m, le « Great Swatch » s’étend à l’extrémité septentrionale
du Gange » écrit Reclus [1862, Fig. 10, p. 21]. Sur le littoral français, les
contours bathymétriques qu’il dresse de la tête du canyon de Capbreton
[Reclus, 1862, Fig. 1, p. 8], ne concernent que la partie proximale du système et
sont encore imprécis quand on se réfère aux images modernes. Ce n’est qu’en
1936 que l’hypothèse de l’action de processus érosifs dans la genèse de ces
structures sous-marines est finalement émise par R.A. Daly. Cette activité
gravitaire dans les canyons sous-marins est caractérisée par Heezen [1956] au
débouché de la Magdalena dans la mer des Caraïbes, par Bourcart et Glangeaud
[1958] après le séisme d’Orléansville (El Asnam, aujourd’hui Chelf), également
illustrée par Shepard [1951, in Shepard, 1967, Fig. 148 p. 320] avec des
photographies, toujours d’actualité, montrant des écoulements sableux dans la

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