transversales P.74

Transcription

transversales P.74
La représentation du monde
Les risques de l’infopollution
Un entretien de Sacha Goldman avec Joël de Rosnay
L’accélération technologique
conduit à une profusion
d’informations qui risque
de polluer les esprits.
Elle s’accompagne aussi
de l’émergence d’un “cerveau
planétaire”, qui démultiplie
les opportunités de connexions
avec les autres et avec notre
propre environnement.
Face à ces risques, il faut savoir
“casser sa matrice mentale”
et “gérer son capital-temps”.
SACHA G OLDMAN :La soif de
l’homme de comprendre nous
mène vers un trop plein
informationnel. Comme s’il y avait
une pollution surinformationelle,
dans laquelle on a du mal à
naviguer
et à se retrouver aujourd’hui…
Joël de Rosnay : Je pense que
cela va s’accélérer et empirer, car
il faut bien comprendre la phase
d’accélération dans laquelle nous
sommes entrés. Rappelons-nous
qu’il y a trois grandes évolutions
qui se superposent et se
complètent : l’évolution biologique
avec sa durée propre ; l’évolution
technologique ; et maintenant
l’évolution numérique.
L’évolution biologique a pris des
millions d’années. Fabriquer une
fourmi par évolution darwinienne,
cela prend très longtemps. Si ça
ne marche pas, il faut que l’espèce
fourmi soit éliminée et remplacée
par d’autres espèces.
*
Par conséquent, cet essai se fait
en temps réel et dans le monde
réel. En fait, l’évolution biologique
n’a qu’un théâtre : le monde réel.
À partir d’un certain moment, les
hommes évoluent avec leur propre
cerveau et deviennent capables
de penser leur propre évolution.
Donc, à côté du monde réel, on
voit apparaître un monde
imaginaire. Et de ce monde
imaginaire peuvent naître,
beaucoup plus vite que dans le
monde réel, des idées, des
inventions, des brevets,
la roue, le marteau, le tournevis,
le moteur, l’avion… On a ainsi
une première accélération :
la technosphère par rapport à la
biosphère se déroule dans un
espace-temps de quelques
siècles, et non plus de millions
d’années.
Troisième étape, peut-être la plus
fulgurante, c’est l’irruption
du numérique avec l’évolution liée
aux bits d’information,
à l’ordinateur, aux réseaux
de télécommunication… Nous
entrons dans ce cyberespace avec
une accélération encore plus
prodigieuse. À partir des deux
mondes précédents, le réel et
l’imaginaire, vient se créer un
troisième, qui est virtuel. Dans ce
monde virtuel, on peut non
seulement inventer les choses,
mais les fabriquer et les échanger
avec d’autres à distance par
les télécommunications.
Un engrenage peut s’engrener
avec un autre engrenage à des
kilomètres de là. Là encore :
accélération par l’immatérialité de
ces échanges. Entre le monde
biologique et sa biosphère,
le monde technologique
et la technosphère, le monde
numérique et le cyberespace,
il se crée à chaque fois
une accélération. Celle-ci génère
cette pollution informationnelle qui
nous envahit et peut inhiber
la créativité si l’on n’y remédie pas
et si l’on ne trouve pas de moyens
pertinents pour extraire
du sens de tout ce gisement
d’informations.
SACHA GOLDMAN : Vous avez
participé à l’aube d’une révolution
du savoir : la transdisciplinarité.
Alors qu’avant, le savoir était
compartimenté, il y eut, à partir
des années 70, un fabuleux
mélange des savoirs, donnant
naissance à un monde tout à fait
nouveau et que la technologie
a suivi et accéléré.
Joël de Rosnay : L’approche de la
connaissance après Descartes est
une approche analytique. Nous
pensions que nous ne pouvions
comprendre la complexité qu’en la
découpant en petits morceaux et
en les recombinant les uns avec
les autres. On sait que ça ne
marche pas dans la mesure où il y
a
des propriétés émergentes
74 > 75 qui naissent de la complexité
Nous pensions que
nous ne pouvions
comprendre
la complexité
qu’en la découpant
en petits morceaux,
en les recombinant
les uns avec
d’autres. On sait que
ça ne marche pas.
et de l’interaction. Il a donc fallu
inventer une approche transversale,
qui est effectivement née dans les
années cinquante avec l’approche
systémique, l’école de Palo Alto,
puis le travail du Groupe des Dix
dans les années 70/80. Il
s’agissait de trouver une
méthodologie permettant d’aborder
la complexité dans sa totalité, sans
la réduire à ses éléments propres.
On pourrait dire que l’approche
systémique est
une nouvelle méthodologie,
qui permet d’organiser les
connaissances en vue d’une plus
grande efficacité de l’action.
Se sont greffés sur cette approche
des outils nouveaux comme la
théorie des graphes, la théorie
du chaos, toute une série d’outils
empruntés aux différentes
disciplines.
La biologie a d’ailleurs joué un rôle
de catalyseur, et l’écologie aussi
en tant que science intégrante.
Progressivement, on a vu
les cloisons s’abaisser, mais aussi
la confusion naître. Car lorsque
les cloisons ont été abattues, l’ère
des généralistes est arrivée.
C’est-à-dire des gens un peu
“touche-à-tout”, capables de
sauter d’une discipline à l’autre
sans vraiment tenir compte des
bases fondamentales de cette
discipline. Dans le cadre du
Groupe des Dix, nous avons
toujours prôné
une vision généraliste fondée sur les
disciplines : c’est à partir de
disciplines que l’arbre s’enracine
dans la terre et qu’il peut, dans sa
frondaison, s’interconnecter avec
d’autres arbres.
Aujourd’hui, avec l’irruption des
technologies de la communication
interactive, comme Internet,
cette approche prend une nouvelle
dimension. Pourquoi ? Parce que
nous sommes à un clic de souris
d’une base de données ou
d’un site à l’autre.
Par conséquent, en plus des
disciplines, de l’interdisciplinarité,
de la pluridisciplinarité ou de la
transdisciplinarité, il y a des
méthodologies qui ne sont pas
seulement théoriques (décrites
dans les livres) mais vivantes
sur le net.
Prenons l’exemple d’Internet.
On nous dit : « L’important, c’est
l’interactivité ». Pas du tout :
je vois que face à des systèmes
d’interactivité, les gamins ne font
qu’appuyer sur des boutons,
un peu comme une sorte de jeu,
de dialogue stérile sans
comprendre ce qu’on essaie de leur
dire derrière. Donc l’interactivité,
au premier degré, ce n’est pas
intéressant.
Ce qui est intéressant, c’est
l’usage de l’interactivité pour créer
collectivement, ce que j’appelle
« l’intercréativité ». Là, on n’est
plus connectés à Internet, on est
connectés par Internet : ce sont des
cerveaux qu’il y a derrière, et c’est
cette créativité mutuelle qui peut,
ou non, s’exprimer. Concernant>>>
La représentation du monde | suite
>>> Internet, on ne parle pas non plus
souvent de l’intercommmutabilité.
Pourtant, pour moi, c’est presque
plus intéressant que le Web,
le TCP-IP ou les signets.
L’intercommutabilité, cela
commence par le fait de
pouvoir créer, sur ma propre page
Web, un lien avec le site de
Transversales, par exemple :
quand les gens viennent sur ma
page, ils cliquent dessus et se
retrouvent sur la page de
Transversales où ils vont découvrir
toute une série d’interviews ou
d’articles. C’est cette
intercommutabilité qui fait la force
d’Internet. Et c’est la première fois
dans l’histoire de l’humanité que
cela se produit. Pourquoi ? Parce
que les deux systèmes
intercommutables
qui existaient auparavant
– le téléphone et la poste –
n’étaient pas commutables par
moi. Avec le Web, pour la
première fois, chaque personne a
potentiellement la possibilité
de réaliser une interconnexion,
une synapse d’intercommutabilité
entre lui et les autres.
Le « cerveau planétaire »
que je décris dans L’Homme
symbiotique se complexifie
au fur et à mesure des liens
intercommutables et, il faut
l’espérer, de l’intercréativité…
SACHA G OLDMAN : Avec cette
pollution d’information comme
vous le dites, n’est-on pas
confronté à un phénomène
à double tranchant qui risque
de créer des culs-de-sac
irréversibles ?
Joël de Rosnay : Avant de parler
de ce phénomène de pollution qui
nous guette, il faut comprendre où
l’on en est dans ce mental
collectif. On parle de
cyberespace… mais
de quoi parle-t-on au juste ?
Dans mon livre L’Homme
symbiotique, j’ai inventé deux
concepts : le cybionte et
l’introsphère . Le cybionte (de cyb-,
cybernétique et bios, biologie), c’est
cette espèce de métaorganisme
planétaire qui s’est constitué par
Le cerveau planétaire
en constitution –
avec l’augmentation
du multimédia et
des hauts débits –
va générer une sorte
de mental d’images
dont la télévision n’est
qu’un tout petit élément.
nous, avec nous (et peut-être
contre nous), du fait que nous
sommes devenus des neurones
interconnectés par des réseaux
planétaires. Ceux-ci créent une
sorte de métaorganisme qu’on a
appelé global brain (cerveau
planétaire) avec tous les risques
que cela comporte. Et donc,
ce métasystème en train de
se construire crée le cybionte :
un organisme hybride à la fois
vivant, biologique (nous),
technologique (les machines)
et électronique (les ordinateurs
interconnectés). Le “mental”
du cybionte, c’est ce que j’appelle
l’introsphère. Parce qu’il y a la
biosphère, ce monde réel autour
de nous dont nous sommes
les constituants biologiques.
Il y a aussi la technosphère,
qui est le monde des machines
communiquant entre elles, depuis
les locomotives jusqu’aux avions
en passant par les ordinateurs.
Et puis, il y a la noosphère de
Teilhard de Chardin : cette vision
assez géniale de penser à une
autre couche résultant de la
communication des esprits
et des cerveaux des hommes
entre eux par les réseaux de
communications. Je pense que
nous passons d’une phase
extériorisée (biosphère,
technosphère, noosphère…)
à une phase intériorisée, que
j’appelle l’introsphère. Je pense
que ce cerveau planétaire en
constitution – avec l’augmentation
du multimédia, du temps réel,
des hauts débits, de l’image… –
va générer une sorte de mental
d’images partagées dont la
télévision n’est qu’un tout petit
élément et qui, qu’on le veuille ou
non, crée un fossé extraordinaire
entre ceux qui ont ces techniques
et ceux qui ne les ont pas. Cette
introsphère va propager à travers
le monde, de manière très fluide
et très rapide, une sorte de culture
de l’image, du son, de
l’expression,
de l’expérience et de l’émotion.
Je souligne ces deux mots
car ils me semblent essentiels :
l’expérience et l’émotion. Je crois
que toute la dérive médiatique
à laquelle nous assistons
aujourd’hui – depuis le journal
télévisé jusqu’à Loft Story,
en passant par le tourisme
de masse, la passion pour le sport
ou pour les parcs d’attractions –
repose sur l’idée d’aller
expérimenter avec émotion
quelque chose que l’on peut
partager. Partager l’expérience,
c’est partager l’émotion. Je crois
que cette tendance est en train de
prendre le pas sur le fait d’acquérir
des objets ou des savoirs…
SACHA GOLDMAN : Il s’agit là de
tendances qui vont complètement
bouleverser tous les domaines :
la création artistique, les médias…
Joël de Rosnay : Absolument.
La création artistique peut
désormais se faire en dérobant,
en numérique, les éléments d’un
autre et en les recréant à sa
façon. Est-ce que c’est du copiage
ou
de la re-création ? Que devient la
propriété intellectuelle ? Et que
devient la vie privée dans cette
introsphère partagée par des
quantités de gens où la traçabilité
des personnes va devenir de plus
en plus préoccupante ? Il faut que
nous repensions tous nos repères
sociaux basés sur le cloisonnement
des individus dans une sorte de
fusion des idées, des esprits,
de la création volée, piratée,
partagée…
Je pense que l’un des principaux
dangers qui guettent le cerveau
humain, c’est la pollution par
excès d’informations. Nous avons
76 > 77 eu la pollution de l’air, celle de
Nous avons eu
la pollution de l’air
et celle de l’eau…
La pollution
par l’information est
particulièrement insidieuse : s’il n’a pas
appris à la trier, l’individu est
vite submergé.
l’eau, celle par le bruit… Mais la
pollution par l’information est
particulièrement insidieuse :
s’il n’a pas appris suffisamment tôt
à trier l’information, à la rendre
pertinente dans le cadre de son
travail ou de sa vie personnelle,
l’individu est rapidement
submergé. Et la réponse
habituelle devient alors : « Je n’ai
pas le temps, je suis débordé ».
Cela relève d’une incapacité à
organiser son information, donc
son temps. Dans L’Homme
symbiotique,
je fais la différence entre ce que
j’appelle le temps court, le temps
long et le temps large. Je dis que
créer un capital-temps permet
de vivre dans un temps large
en parallèle. Et je pense qu’un
des moyens principaux de lutter
contre l’infopollution consiste
justement à savoir gérer le temps
lié à l’information avec les moyens
dont on dispose, à condition de
savoir bien les utiliser.
Quelquefois, cela nous perturbe
d’avoir plus d’informations que
celles, pertinentes, dont nous
avons vraiment besoin ; mais
quand c’est bien utilisé, c’est aussi
un moyen de savoir bien gérer
son capital-temps et de donner
du sens à sa vie.
S ACHA G OLDMAN : Le monde réel,
éloigné et caché dans une sphère
intouchable, nous parvient par
le savoir, par la parole, par notre
imagination, etc. Tout passe donc
par une matrice mentale. Est-ce
qu’on pourrait évoquer l’écologie
mentale dans la mesure où tout
passe par cette matrice ?
Joël de Rosnay : Je pense que
la création naît quand on casse
la matrice mentale. C’est ce qu’on
pourrait appeler un phénomène de
disruption. À un moment donné, il
faut être disruptif
pour voir différemment.
Le paysage se découvre tout
d’un coup, comme de la brume
qui s’estompe, et on revoit le
paysage vu d’avion.
Je pense que cette matrice
mentale est très souvent une
prison qui nous empêche de voir
la réalité parce qu’on s’enferme
dans des paradigmes et des
schèmes connus et répétitifs. >>>
La représentation du monde | suite
>>> La force extraordinaire des
visionnaires artistiques ou
scientifiques a été de casser
la matrice du langage pour
les poètes, ou la matrice
de la vision pour les artistes,
en créant un monde fractal
où le kaléidoscope de vision des
autres me donne une vision
différente du monde où je
me suis enfermé dans ma
matrice mentale.
C’est pourquoi je suis très
heureux en tant que scientifique,
d’être autant passionné par l’art.
Sans doute parce que mon père
était un grand artiste et que
j’ai vécu dans ce monde pendant
toute ma jeunesse.
Je crois que la mission des
scientifiques et la vocation
des artistes sont très proches :
ce sont des mondes de créativité
dans le tout nouveau, dans
l’original. Si le scientifique refait
ce que les autres ont fait avant,
ça n’a aucun intérêt, et c’est la
même chose pour l’artiste.
C’est comme une chaîne de
montagne, avec des pics à des
hauteurs différentes : chaque
artiste a son cheminement
et sa voie. Et tout à coup, il y a
un pic, et on dit : « C’est Cézanne,
c’est Vuillard… extraordinaire !
Braque. Comment a-t-il fait ?
Pourquoi fait-il ça ? »
Et soudain, les autres
se repèrent par rapport à lui,
comme les scientifiques, et ils
essaient d’aller plus loin.
Donc, casser la matrice mentale
me paraît absolument essentiel.
C’est le moyen, me semble-t-il,
d’interconnecter les intelligences
pour déboucher, dans le réseau
humain et dans le réseau Internet,
vers cette intelligence collective
qui permet de créer du sens
en commun. Qui écrit des livres ?
Qui fait des émissions de télévision ? Juste quelques-uns…
À partir du moment où cette
possibilité sera donnée à un plus
grand nombre, on rentre dans
des phénomènes d’intelligence
Ces savoirs
connectés entre
eux créent des
connaissances
de dimension
supérieure,
intégrées dans
les cultures :
c’est la sagesse,
peut-être le génie…
collective extrêmement
intéressants.
C’est là où se dégage
cette fameuse étape d’intégration.
Aujourd’hui, on vit dans un
monde de bits, de données…
Reliées entre elles, ces données
créent un monde informationnel.
Et reliées entres elles, ces
informations constituent des
savoirs opérationnels. À partir de
là, on peut agir, enseigner,
comprendre, modifier… Ces
savoirs connectés entre eux créent
des connaissances de dimension
supérieure, des connaissances
intégrées dans des cultures :
c’est la sagesse, et peut-être
le génie…
S ACHA G OLDMAN : Il y a une histoire
qui me vient à l’esprit, celle de
l’artiste qui dit au scientifique : « Si
tu ne sais pas ce que tu fais,
ne le fais pas », et le scientifique,
lui, dit à l’artiste : « Si tu sais ce
que tu fais, arrête ! »…
Joël de Rosnay : Je pense qu’il
y a beaucoup de scientifiques qui
tâtonnent et ne savent pas trop
où ils vont. Ils cassent leur
éprouvette, puis reconstituent
les morceaux, le produit s’est
mélangé et ça fait une
publication scientifique.
On travaille a posteriori. C’est
arrivé très souvent. La question
qui est posée, c’est « qu’est-ce
que le génie dans tout ça ? » On
voit souvent le génie comme une
espèce de mutant qui aurait une
position d’observation unique,
ce qui fait qu’il nous entraînerait
dans son sillage comme une sorte
de phare.
Je ne suis pas bien sûr de cela.
Je pense que le génie, au
contraire, c’est quelqu’un qui a su
se fondre de façon extraordinaire
dans la sensibilité artistique
et scientifique de son monde,
qu’il voit différemment
de l’intérieur. Mais pas
de l’extérieur.
SACHA GOLDMAN : Le génie vient-il
de la sagesse, de l’au-delà, ou
bien est-ce quelque chose posé à
la manière d’une
métaconnaissance,
c’est-à-dire “à côté” ?
Joël de Rosnay : La sagesse
s’exprime dans une multidimensionalité à la fois rationnelle,
émotionnelle et comportementale,
qui fait sa force. Le génie est-il à
côté, dans tout ça ? Je pense qu’il
est immergé dans cette multidimensionalité. En étant dans une
approche à la fois intellectuelle,
émotionnelle, sensible, il crée un
nouveau paradigme et nous
entraîne, de l’intérieur, dans ce
nouveau paradigme. Je vous
rappelle que, chez Goedel, une
métalogique est nécessaire pour
appréhender toute logique. Mais
n’oublions pas que cette
métalogique est une récurrence
à l’infini : donc, à chaque fois
qu’on a compris cette logique
avec la métalogique, on recrée
une logique et il faut une
métalogique pour la comprendre.
Je pense que le génie, en se
créant à la fois dans le monde,
immergé dans le monde, et dans
la multi-dimensionalité ouvrant un
nouveau paradigme, nous incite
à créer en permanence puisqu’à
chaque fois il nous faut une
référence différente pour
comprendre ce que ce génie
a ouvert comme porte.
SACHA GOLDMAN :
Rétrospectivement, on s’aperçoit
que vous avez été un pionnier sur
de multiples sujets devenus des
thèmes de modernité, l’Internet
notamment. Il y a une trentaine
d’années, vous avez été pionnier
sur la question de la malbouffe (un
concept issu d’un de vos livres,
78 > 79 publié en 1979). Puis sur la
Dans quinze ans,
l’Homme ne sera
plus isolé
par rapport
à des objets
physiques,
statiques qui
attendent que nous
communiquions
avec eux.
biotique, etc. J’aimerais que vous
esquissiez votre vision
de l’avenir du monde dans le
contexte de la mondialisation.
Joël de Rosnay : Je ne peux le
faire que du point de vue du
technologue humaniste que je
suis, c’est-à-dire un futurologue
qui va projeter les évolutions
possibles de certaines
technologies. Mais déduire de cela
des conséquences politiques,
économiques ou sociétales ne
peut pas être fait sérieusement
au cours d’un entretien. Je pense
que, dans les quinze prochaines
années, nous allons entrer vers ce
que j’appelle des environnements
“intelligents”. C’est-à-dire que
l’Homme ne sera plus isolé par
rapport à des objets physiques,
statiques, qui attendent que nous
communiquions avec eux, nous
allons entrer en symbiose entre
l’environnement et nous-même.
C’est-à-dire que l’interface entre
biologique, mécanique et électronique va être de plus en plus
étroite. La parole, la
reconnaissance du visage, des
gestes, des signes… va nous
permettre de rentrer en
communication de plus en plus
étroite avec cet environnement,
qu’il s’agisse de sa maison, de
son bureau, de sa voiture ou de
ses moyens de transport, .
Dans les quinze à vingt
prochaines années, cette
symbiose va changer
complètement la relation que nous
avons à nous-même et aux autres.
À l’automne dernier, nous avons
ouvert une grande exposition à la
Cité des sciences et de l’industrie,
sur «L’Homme transformé», qui
parle exactement de cela :
comment la vie artificielle, les
nanotechnologies, la robotique, la
connexion à un réseau Internet
transforment l’Homme par le
regard que
nous portons sur nous-même
et par la modification des
connexions avec d’autres.
Reste que tout cela est
aujourd’hui réservé à quelquesuns : Internet, ne concerne
aujourd’hui que 5 % de l’humanité.
Ces technologies sont coûteuses
et difficiles à utiliser. Qui va