René Magritte La Trahison des images - fiche

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René Magritte La Trahison des images - fiche
Connaître
l’œuvre d’art
Description
Décrire l’œuvre avec
le vocabulaire précis et
adapté à une œuvre
d’art
René Magritte, La Trahison des images, 1929.
Huile sur toile, 59 x 65 cm
Los Angeles County Museum
Genre : Nature morte ? Vanité ? Mise en abyme ?
« La Trahison des images » (1929) représente de toute évidence une pipe, en bois, sur
un fond beige. Les couleurs ternes (marron, brun) sont une représentation fidèle de la
réalité. La technique de peinture est réaliste, figurative, mais l'inscription « Ceci n'est
pas une pipe », en écriture manuscrite cursive, nous pose en revanche une énigme,
comme la plupart des tableaux de Magritte (La clairvoyance, La reproduction interdite,
Les valeurs personnelles, etc.). Ceci nʼest donc décidément pas seulement une pipe !
Alors, quʼest-ce ?
• . Le tableau représente un objet banal de la vie quotidienne. À première vue,
Titre
Indiquer et expliquer
le titre de l’œuvre
l'intention la plus évidente de Magritte est de montrer que, même peinte de la manière
la plus réaliste qui soit, un tableau qui représente une pipe nʼest pas une pipe, mais
seulement lʼimage dʼune pipe, sa représentation. Le titre semble assez clair : ce que
lʼon voit, ou que lʼon croit voir, nʼest pas toujours la réalité. Lʼimage de lʼobjet nʼest pas
lʼobjet lui-même. Les images nous trahissent, comme les mots nous mentent.
• Il faut donc se méfier se méfier des images… Dʼautant que Magritte avait lʼhabitude
dʼinviter ses amis pour leur demander de donner des titres à ses tableaux, titres qui
nʼavaient le plus souvent aucun rapport avec le tableau lui-même.
• Ce titre, tout à la fois, brouille les pistes, porte une interrogation sur le statut de
lʼimage et de lʼœuvre dʼart, et met lʼaccent sur les démarches de lʼartiste, les
associations dʼidées, le « processus mental » qui aboutit à la création artistique.
• René Magritte (1898-1967) est un peintre surréaliste belge. Né dʼun père tailleur et
Auteur
Donner des
informations sur
l’auteur, son contexte
historique et artistique
dʼune mère modiste, il a suivi les cours de lʼAcadémie royale des beaux-arts de
Bruxelles. Il a été influencé par les tableaux du peintre Giorgio de Chirico, notamment
Chant dʼamour (1914), ainsi que par les techniques des impressionnistes.
• Le mouvement surréaliste apparaît durant la période de lʼEntre-deux-Guerres (19181939), après le traumatisme de la Première Guerre Mondiale. Il fait suite au
mouvement Dada, né à Zurich, en Suisse, pendant la guerre (1916-1921).
• René Magritte rejoint le mouvement surréaliste belge en 1926, et sʼinstalle en France
en 1927.
• Les surréalistes reconnaissent comme précurseurs le peintre Giuseppe Arcimboldo
Contexte
artistique
Dater l’œuvre et la
replacer dans les
courants esthétiques de
son époque
(1526-1593), les poètes Gérard de Nerval (1808-1855 ; symboliste : « lʼépanchement
du songe dans la vie réelle»), Lautréamont (1846-1870 : « beau comme la rencontre
fortuite sur une table de dissection dʼune machine à coudre et dʼun parapluie »), Arthur
Rimbaud, ou encore Alfred Jarry, créateur vers 1897 de la Pataphysique, « science des
solutions imaginaires ». En peinture, certains surréalistes, comme Magritte ou Salvador
Dali, ont été influencés par lʼimpressionnisme.
• Le mouvement Dada ou « dadaïsme » (1916-1921) prônait lʼincongru, lʼhétéroclite :
« Je portais une brioche dans la narine gauche » (Hans Arp). Provocateurs,
irrévérencieux, extravagants, rejetant la Raison et la logique, les dadaïstes avaient pour
but d'amener le spectateur à réfléchir sur les fondements de la société. « Le plus
acceptable des systèmes est celui de nʼen avoir par principe aucun. (Tristan Tzara,
Manifeste Dada, 1918)
•
Cʼest le poète Guillaume Apollinaire qui a commencé à employer le terme
« surréaliste ». En 1924 est publié le Manifeste du surréalisme, qui définit ses
principes : libération du contrôle de la raison, dimension onirique du rêve, de
lʼinconscient (influence de la psychanalyse de Sigmund Freud), subversion des valeurs
« bourgeoises ». Les écrivains surréalistes inventent le « cadavre exquis », lʼécriture
automatique. Dans le domaine graphique, ils pratiquent lʼart du collage, des « papiers
collés », quʼavaient initié les cubistes…
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• À une époque où, après lʼimpressionnisme et le cubisme, la peinture se dirige de plus
en plus vers l'abstraction, Magritte choisit au contraire de provoquer la curiosité et la
réflexion avec un tableau dʼapparence réaliste, mais dont la signification est
paradoxale : une image parfaitement figurative, mais contradictoire avec la légende.
Magritte nous confronte à un paradoxe, une contradiction logique, voire à une aporie,
une impossibilité logique.
• Dans cette période de lʼentre-deux-guerres, de la montée des totalitarismes après le
ère
Contexte
historique
Établir un lien entre le
sens de l’œuvre et le
contexte historique et
artistique
traumatisme de la 1 Guerre Mondiale, les artistes et écrivains surréalistes se
partagent entre deux tendances : dʼune part une préoccupation purement artistique,
dʼautre part un engagement politique qui sʼincarne entre 1924 et 1929 dans la revue La
Révolution surréaliste et à partir de 1932 dans lʼAssociation des écrivains et artistes
révolutionnaires (AEAR). « "Transformer le monde ", a dit Marx ; "Changer la vie ", a dit
Rimbaud ; ces deux mots dʼordre pour nous nʼen font quʼun », déclare Breton en 1935.
Avec les communistes, les surréalistes seront ainsi les seuls à protester contre
lʼExposition coloniale de 1931. En 1938, André Breton (1896-1966) voyage au Mexique
et rencontre les peintres Frida Kahlo et Diego Rivera, ainsi que Léon Trotski avec qui il
écrit le manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant.
• Contrairement à André Breton, Paul Éluard ou Louis Aragon, Magritte semble donner
davantage d'importance à une remise en cause de l'Art lui-même qu'à un engagement
politique. En 1932, il adhère cependant au Parti communiste belge. Beaucoup de
surréalistes adhérent ainsi au parti communiste, dont ils partagent la volonté de rupture
avec l'ordre bourgeois. Pour certains, cette adhésion ne dure quʼun temps. Louis
Aragon, en revanche, demeure membre du Parti Communiste Français (PCF) jusquʼà
sa mort, en 1982.
• Magritte partage avec les autres surréalistes lʼesprit de provocation. Lʼœuvre crée un
effet de surprise, elle décontenance le spectateur. La façon dont la pipe est
représentée, les tons utilisés, évoquent un intérieur bourgeois ou « petit-bourgeois », la
banalité rassurante dʼun objet quotidien, quand lʼinscription au contraire nous invite à
remettre en cause ce qui semble évident au premier abord. Avec peu, Magritte fait plus
que beaucoup de longs discours !
• En quoi ce tableau peint d'une manière extrêmement précise, très réaliste, est-il
néanmoins « surréaliste » ? Cʼest quʼen fait, il suscite chez le spectateur - confronté à
lʼabsurde, au saugrenu ou à lʼirrationnel -, une réflexion, une mise à distance, voire un
sentiment dʼ« inquiétante étrangeté » dans lʼenvironnement familier (all. Unheimlich <
!"#$%#&!'(!"#$%&'#()*+),#(-.(/01#23(-#(!&(/&,)!!#3(-.($#'2#+), selon lʼexpression utilisée par
Sigmund Freud : un malaise derrière les apparences du quotidien.
Portée
historique
Identifier l’école de
l’œuvre, l’apport de
son auteur et la portée
historique de l’œuvre
Simple provocation humoristique ? Métaphore ? Figure de style, écart entre le signifiant
et le signifié ? Le propos de Magritte est de remettre en question les évidences. Il
introduit un doute sur la réalité comme sur la représentation de la réalité. Il interroge les
rapports entre lʼobjet de la vie quotidienne, son identification, sa représentation, et nous
invite à réfléchir sur la polysémie des mots et des images.
La Trahison des images est un tableau dont le sujet est paradoxal, tout comme la façon
dont il est traité : cette pipe est-elle réellement une pipe ? Accrochée au mur, elle
apparaît plutôt comme une invitation à réfléchir à ce que nous croyons savoir dʼune
pipe, et de là, à notre rapport au monde, à une réalité entourée des énigmatiques
mystères de lʼinconscient… Une vision poétique de la réalité quotidienne, où
lʼirrationnel se cache derrière le rationnel, ou bien un Humanisme pour exorciser le
désenchantement de lʼentre-deux-guerres ?
• Le succès de lʼœuvre de Magritte tient sans doute aux multiples paradoxes quʼelle
renferme : œuvre surréaliste, mais de facture figurative, réaliste ; aux significations
mystérieuses, mais aux images familières, et qui invitent à porter un autre regard sur
notre environnement quotidien et de simples objets, une pipe, un peigne, une
ème
savonnette… Nature morte ? Clin dʼœil aux Vanités du XVII
siècle ? Sorte de
« Ruban de Möbius » en deux dimensions ? Trompe-lʼœil sémantique ? La trahison des
images est une véritable mise en abyme dʼinterrogations multiples, une œuvre
polysémique qui suscite presque autant de perplexité que lʼénigmatique sourire de la
Joconde. Une réflexion sur lʼArt lui-même, hanté, de Rembrandt aux Romantiques, des
Impressionnistes aux Surréalistes, par la réflexivité, par sa dimension autotélique (gr.
autos, soi-même, et telos, le but), comme par ses engagements dans les grands enjeux
politiques de son époque et les évolutions de la société.
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• Dès 1927, Magritte collabore à la publicité et dessine des affiches publicitaires, pour
des chocolats, des vêtements de luxe ou des compagnies aériennes. Une activité
alimentaire quʼil n'exerce pas par vocation et qui a continué sporadiquement jusquʼen
1965. Mais, progressivement depuis les années 1960, Magritte est devenu à son tour
une icône de la société de communication, des images commerciales, aussi célèbre
que la Marylin Diptych ou les boîtes de soupe dʼAndy Warhol. À partir des années 80,
ses tableaux ont directement inspiré certaines publicités, pour des marques ou des
organisations humanitaires. La « pub » a puisé – quand elle ne lʼa pas plagié - dans
lʼunivers pictural de Magritte et, plus largement, dans les collages ou les « cadavres
exquis » des surréalistes.
Ainsi pastiché à lʼinfini, Magritte a durablement imprimé dans notre paysage mental une
distanciation ironique et onirique, une vision déformée de la réalité, une remise en
cause de ce que nous croyons voir, qui sʼinscrit bien dans lʼesprit de subversion des
valeurs bourgeoises prôné par les surréalistes. Golconde (1953), cette « pluie »
d'hommes au chapeau melon, vêtus de gris foncé, est devenue une métaphore de la
e
condition humaine au xx siècle, le symbole de la perte d'identité individuelle (cf.
Charlie Chaplin Les temps modernes) et de la banalité monotone du quotidien. Les
images de Magritte sont partout, à commencer par le langage publicitaire, qui repose
dʼailleurs souvent lui-même sur un « écart », un décalage entre le contenu du message
et la signification du message lui-même. Ou, comme lʼaurait dit le linguiste Ferdinand
de Saussure vers 1890, entre le signifiant et le signifié.
• Ultime paradoxe ? Ironie de lʼhistoire ? Revers de la médaille ? Après avoir préfiguré
Magritte et la publicité
ou inspiré certains slogans révolutionnaires de Mai 68 comme « Sous les pavés, la
plage », « Lʼimagination au pouvoir » ou « Il est interdit dʼinterdire », le peintre se
retrouve lui-même objet publicitaire, produit commercial. Mais là réside aussi sans
doute la grande force du mouvement surréaliste, dont les images étranges, décalées,
voire inquiétantes, se sont intimement fondues dans nos vies quotidiennes (cf. par
exemple Jean-Paul Gaultier) et ont profondément imprégné nos imaginaires,
principalement à travers lʼimage publicitaire, mais aussi bien sûr le cinéma.
Le surréalisme, presque un siècle plus tard, aurait ainsi finalement parfaitement réussi
son « pied de nez » à la société, et il serait devenu en quelque sorte aussi naturel à
lʼhomme de la fin du XXème siècle que la bicyclette ou le téléphone. La « révolution
surréaliste » aurait au bout du compte bien eu lieu, inspirant à toute la société, à travers
la publicité, le regard distancié, voire la dimension onirique quʼaffectaient les
surréalistes. Tout un chacun se retrouve investi du droit dʼêtre surréaliste – parfois il est
vrai en lʼignorant, comme Monsieur Jourdain. DʼAlfred Jarry à Henri Salvador, Boris
Vian, Raymond Queneau, Jacques Prévert, croisant sur leur chemin la Pataphysique,
Charles Cros, Lautréamont ou lʼOULIPO, les images de Magritte font désormais partie
de notre paysage, où lʼon ne sʼétonne plus de la rencontre dʼune machine à coudre et
dʼun parapluie. Un monde où tout devient possible, puisque « Sony lʼa fait ».
• Mais, Magritte, lui, tel lʼ« arroseur arrosé » des frères Lumière, se trouve du même
coup, à son tour, piégé, ramené au rang dʼicône dans la banalité quotidienne des
images de la société de consommation. Comme lʼeffigie de Che Guevara sur des
ticheurtes, ou le nom dʼun autre peintre célèbre, dʼorigine espagnole, sur une
automobile. Il est vrai que ses images inspirent également les campagnes de grandes
causes humanitaires et sanitaires. Encore une fois, Magritte nous échappe, et si la
portée de son œuvre sʼinscrit aussi profondément dans lʼimaginaire de la seconde
e
moitié du xx siècle, cʼest peut-être justement parce quʼon ne vient jamais à bout de ses
paradoxes, images des nôtres. Ceci nʼest pas une surprise.
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Magritte : les mots et les images
Mêler du texte à lʼimage nʼest pas habituel en peinture.
« Les titres des tableaux ne sont pas des explications et
les tableaux ne sont pas des illustrations des titres. »
René Magritte
Dans Les Mots et les images (in La Révolution surréaliste,
n°12, Décembre 1929), Magritte explore les rapports
entre les mots et les images. Le tableau « La Trahison
des images » (1929) prend ici tout son sens : avec
Magritte, il ne faut pas nécessairement chercher un
rapport évident entre l’image et sa signification. Au
contraire, ce sont les rencontres fortuites, les contiguïtés,
les incongruités, qui constituent le ressort même de la
démarche surréaliste.
Dans cet article, Magritte semble faire référence au
linguiste Ferdinand de Saussure, fondateur de la
linguistique moderne et des bases de la sémiologie (étude
des signes).
Ferdinand de Saussure avait établi la relation «arbitraire»
entre le « signifié » (le concept, l’idée) et le « signifiant »
(le mot).
Ferdinand de Saussure,
Cours de linguistique générale, 1916.
Mais, sʼil reprend lʼidée de Saussure, Magritte ne peut
sʼempêcher de la détourner :
La Révolution surréaliste, n°12, Décembre 1929 (extraits)
!
Autres tableaux
Tentative de lʼimpossible (1928), Lʼapparition (1928), La Trahison des images (1929), La condition humaine
(1935), La reproduction interdite (1937), La clairvoyance (1938), La durée poignardée (1938), Les valeurs
personnelles (1952)
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La Trahison des images (1929)
Tentative de lʼimpossible (1928)
Lʼapparition (1928)
La condition humaine (1935)
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La clairvoyance (1938)
La reproduction interdite (1937)
Les valeurs personnelles (1952)
La durée poignardée (1938)
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Exprimer son opinion personnelle, expliquer en quoi cette œuvre vous fait réfléchir, vous
touche (ou non), pourquoi on peut dire qu’il s’agit d’une « œuvre d’art », justifier ses choix en
montrant ses acquis en Histoire des arts…
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