La canonisation de Josémaria Escriva de Balaguer ou une

Transcription

La canonisation de Josémaria Escriva de Balaguer ou une
•
La canonisation
de Josémaria Escriva de Balaguer
ou
une nouvelle étape de la
glorification de l’Eglise conciliaire
Monseigneur José Maria Escriva de Balaguer, fondateur
de l’Opus Dei, a franchi les degrés des autels avec une rapidité étonnante : sa cause de béatification a été introduite en 1981, six ans seulement après sa mort ; il a été béatifié en 1992 (devant un foule de 46 cardinaux, 300 évêques
et 300 000 pèlerins), et Jean-Paul II l’a canonisé le 6 octobre
dernier. Dans toutes les étapes de cette cause, Rome a agi extrêmement vite. Pourquoi donc ? C’est ce que cette étude va
tenter de déterminer.
Un peu d’histoire
José Maria Escriva est né en
1902 en Aragon. Il est ordonné prêtre à 23 ans. Au cours d’une retraite en 1928, « l’abbé Escriva “voit” –
c’est le terme qu’il a employé par la
suite – ce que Dieu attend de lui.
Il voit que le Seigneur lui demande de mettre toutes ses forces au
service de ce qui deviendra l’Opus
Dei ; qu’il doit pousser les hommes
de tous les milieux – en commençant par les intellectuels, pour arriver ensuite aux autres – à répondre à une vocation spécifique
consistant à rechercher la sainteté et à faire de l’apostolat au milieu
du monde, dans l’exercice de leur
profession ou métier, sans changer
d’état. » 1
Un an et demi plus tard, alors
qu’il célèbre la messe, il « revoit »
l’Opus Dei, et voit que les femmes
feront aussi partie de l’œuvre.
A la création de l’œuvre, l’abbé Escriva n’a que 26 ans. Son expérience est courte, mais « l’évê-
que de Madrid pleinement au fait
de l’esprit, des fins et des moyens
de l’Opus Dei avait encouragé
le fondateur dès le premier instant et béni son œuvre. »2 C’est
ce même évêque qui plus tard
(juin 1944) ordonnera au sacerdoce les trois premiers prêtres membres laïcs de l’Opus Dei, dont le
futur Mgr Alvaro del Portillo, successeur de Mgr Escriva à la tête de
l’œuvre.
L’abbé prêche des retraites, recrute des membres, organise son
œuvre. Il veut des prêtres pour
l’œuvre afi n d’encadrer ses disciples. Il dit avoir vu clairement, au
cours de la célébration de sa messe, le 14 février 1943, la solution canonique : l’ordination de membres
laïcs de l’Opus. Dès lors : « La société sacerdotale de la sainte Croix
était née, elle représente dans
l’Église un nouveau phénomène
pastoral (des hommes diplômés et
exerçant une profession…) et juridique. »3
1
Nouvelles de Chrétienté Nº 77
Septembre-octobre 2002
L’abbé Escriva s’installe à Rome
en 1946, est nommé prélat de sa
Sainteté en 1947 et recevra diverses charges. Il parcourt le monde,
y prêche sa doctrine, « la sainteté
par le travail », et meurt à Rome le
26 juin 1975. L’Opus a été érigé en
prélature personnelle en août 1982
par Jean-Paul II, avec juridiction
sur les membres de l’Opus dans le
monde entier.
On ne peut qu’être frappé par
la croissance de l’Opus, la diffusion mondiale de la doctrine de Mgr Escriva, en particulier
Camino (Chemin), seul ouvrage
publié du vivant de l’auteur. C’est
un recueil de 999 maximes, qui est
comme un bréviaire pour chacun
des membres de l’Opus Dei. La
première édition parut en 1934.
Depuis lors 250 éditions furent publiées en 39 langues avec un tirage
de près de quatre millions d’exemplaires.
La spiritualité de l’Opus Dei : la
sanctification par le travail
« Le 2 octobre 1928, l’abbé
Escriva de Balaguer connaît la volonté de Dieu dans toute sa portée
(...). La lumière reçue n’est pas une
inspiration générale, mais une illumination précise et déterminée ; le fondateur en présente toute la nouveauté : tout homme quel
qu’il soit est appelé à la sainteté et
à l’apostolat, “sans sortir du monde, pourvu qu’il surnaturalise les
réalités temporelles auxquelles il
est mêlé, le travail professionnel
et les tâches familiales et sociales
avant tout”. »4
L’Opus Dei dit que la tradition
de l’Eglise avait une vision négative du travail : il n’était pas recherché comme quelque chose de bon
en soi, mais en tant que moyen ascétique permettant avant tout de
combattre l’oisiveté.
« Saint Jean Chrysostome est,
parmi les pères de l’Église, le dernier des grands à parler de la sanctification de la vie ordinaire dans
les mêmes termes que Vatican II.
Après 1ui, on a l’impression que
2
•
le chrétien moyen n’est pas appelé à vivre pleinement l’Évangile »,
dit D. Le Tourneau.5 De tels jugements font naître l’étonnement et
1’inquiétude. Notre sainte mère
l’Église est réduite à peu de chose :
quinze siècles d’incompréhension
du message de l’évangile. Enfi n,
Escriva vint !
Dans le paragraphe sur la
sanctification du travail, D. Le
Tourneau cite Mgr Escriva : « Le
travail est en effet pour nous un
moyen spécifique de sainteté.
Notre vie intérieure - contemplative au milieu de la rue - prend sa
source et son élan dans cette vie extérieure de travail de chacun. (...)
Mgr Escriva montre la portée du
passage de la Genèse (2, 15) où il
est écrit que l’homme a été créé ut
operaretur, pour travailler. »
Voilà une nouveauté ! Cette interprétation de la Bible n’est pas
celle de l’Église. La traduction
classique de ce verset de la Genèse
est : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden
pour le cultiver et le garder. » Pour
soutenir sa thèse, Mgr Escriva force aussi le sens de la citation de
Job (5, 7) : « homo nascitur ad laborem, et avis ad volatum », traduisant laborem par « travail », alors
que le sens originel du mot est fatigue, peine ; il déforme ainsi la signification de la phrase, qui est
communément traduite comme
suit par les exégètes : « l’homme
naît pour peiner, se fatiguer… », et
pas pour « travailler ».
Non, Dieu n’a pas créé l’homme pour travailler, mais « pour le
connaître, l’aimer, le servir et obtenir ainsi le bonheur du ciel », comme l’enseigne le catéchisme. En revanche toutes les créatures sont
des moyens pour atteindre cette
fi n, et doivent être utilisées autant
qu’elles nous aident à atteindre cette fi n, ni plus ni moins (y compris
par conséquent le travail). Les différents ordres religieux et les différentes spiritualités au sein de
l’Église au cours des siècles ont
poursuivi cette fi n unique par
des chemins différents, et le tra-
vail peut en être un, certes, mais
qui n’a pas à être érigé en absolu
comme l’Opus Dei tente de 1’inculquer : « Le travail professionnel devient le pivot autour duquel tourne
toute la tâche de sanctification. Ce
qui amenait le fondateur de l’Opus
à résumer la vie sur terre en disant : qu’il faut sanctifier le travail,
se sanctifier dans le travail et sanctifier par le travail. »6
En outre, la spiritualité catholique a toujours enseigné que la vie
contemplative est supérieure à la
vie active, qu’elle est plus noble.
Saint Benoît disait : ora et labora
c’est-à-dire prie d’abord, travaille
ensuite. Mgr Escriva retourne en
quelque sorte la devise bénédictine, et invente une doctrine : « Le
travail, moyen spécifique où prend
sa source la vie intérieure. » Il est
vrai que le travail est un moyen de
sanctification personnelle, mais il
ne saurait être la source de la vie
intérieure.
Organisation et vie interne de
l’Opus Dei
L’Opus est organisé comme un
ordre religieux, tout en comprenant prêtres et laïcs.
L’entrée dans l’Opus est considérée comme une vocation ; il y a
une règle et des vœux, quoique différents pour les membres mariés.
L’appartenance à l’œuvre comprend quatre degrés :
• Les numéraires, décrits ainsi
dans les sources officielles : « Les
numéraires, hommes et femmes,
sont ceux qui ont reçu de Dieu l’appel à vivre le célibat apostolique et
à conserver une totale disponibilité pour les tâches requises par la
Prélature : celles-ci sont exclusivement des tâches concernant la direction et la formation des autres
membres de l’Œuvre. (…) Ils vivent d’ordinaire dans les centres
de la prélature, ils peuvent cependant le faire dans d’autres lieux si,
par exemple, les nécessités de leur
travail professionnel l’exigent. »
Cette élite fait des vœux – ou engagements – de pauvreté, chaste-
La canonisation de Josémaria Escriva
????????
????????
??
?
??
?
??
Parlons maintenant du clergé
de l’Opus, et de son « système de
recrutement » : il est formé exclusivement de prêtres issus des membres laïcs de l’Opus.
Il arrive que l’on voie dans les
journaux des titres qui annoncent
l’ordination sacerdotale (et souvent des mains mêmes du pape)
de quelques dizaines d’hommes
de tous âges – jamais très jeunes
de toute façon, et souvent pas jeunes du tout – qui offrent un échan-
??
??????
??
té et obéissance. Elle représente
un peu moins de 20 % du nombre
des membres, et constitue l’ossature de l’œuvre. Ce sont eux qui
ont vraiment l’esprit « maison »
et dirigent l’œuvre. Certains versent leurs revenus à l’œuvre, qui
assure leurs besoins. Ils sont prêtres ou laïcs. Tous et toutes ont
obligatoirement un diplôme d’études supérieures, car l’Opus Dei
s’adresse d’abord à des personnes sélectionnées, surtout dans
les milieux intellectuels. Presque
tous exercent une profession.
• Les agrégés, dont les statuts
disent : « Sont “agrégés” ceux qui
sont amenés à vivre avec leur famille naturelle par des circonstances
permanentes
d’ordre
personnel, familial ou professionnel. » Mais ils ont pratiquement les mêmes engagements que
les numéraires, dont le célibat. Ils
sont environ 10 % des membres.
• Les surnuméraires sont les
plus nombreux (70 % des membres).
Leurs engagements sont moins contraignants. Beaucoup sont mariés.
Ils représentent la « normalité », la
vocation la plus habituelle, statistiquement parlant.
• Les coopérateurs ne prononcent pas de vœux, ne font pas vraiment partie de l’œuvre, mais participent aux œuvres d’apostolat.
Le nombre des vocations n’a
cessé de croître. L’Opus Dei compte actuellement 80 000 membres
(la moitié d’hommes et la moitié de
femmes) appartenant à plus de 90
nationalités (en France 1 400 membres environ).
??
•
Mgr Josémaria Escriva de Balaguer
tillonnage de professions variées.
Par exemple : avocats, ingénieurs,
journalistes, médecins, professeurs, conseillers commerciaux :
il s’agit, à coup sûr, des quarante à cinquante prêtres que l’Opus
Dei fait ordonner chaque année
pour ses besoins propres, de façon constante et programmée, afi n
qu’ils fassent partie du clergé de la
Prélature. Ils sont ordonnés au service de la Prélature, et dépendent
uniquement du prélat.
Pratiquement les choses se passent ainsi : après un certain nombre d’années passées dans l’Opus
Dei, le prélat demande à certains
numéraires et agrégés s’ils désirent continuer à vivre la même vocation à l’Opus Dei, mais en accomplissant un travail, un service
différent : celui de prêtre.
Celui qui est sollicité peut accepter ou refuser, en toute liberté. S’il accepte, il abandonne sa
profession civile et – selon les termes des statuts – « il reçoit sa formation dans des centres que la
Prélature a érigés à cet effet, en
respectant les normes établies par
le Saint-Siège ». Il s’agit, en pratique, de séminaires internes.
Le nombre des prêtres est programmé : ils sont actuellement en-
viron 1 500. Ils doivent être aussi nombreux que nécessaire aux
exigences de l’Œuvre, ni plus ni
moins.
Un pareil système de recrutement présente évidemment de
nombreux avantages pour l’Opus
Dei. Le plus important de tous est
que, comme ces prêtres ont avant
tout des devoirs internes de prédication et de direction spirituelle (en plus de l’administration des
sacrements), il faut qu’ils connaissent par expérience personnelle
l’esprit d’une œuvre qui les a forgés. Un esprit qu’ils sont eux aussi appelés à perpétuer, avec l’aide
des laïcs, mais dans une position
objectivement stratégique et décisive. En outre, leur expérience professionnelle est essentielle
dans un lieu où toute la spiritualité se construit précisément autour
du travail.
On remarque dans les documents l’insistance sur le fait que,
dans l’Opus Dei, « la vocation est
la même pour tous. » Voici ce que
dit D. Le Tourneau : « Mgr Escriva
a toujours eu le souci de souligner
que les membres de l’œuvre reçoivent tous la même vocation à la
sainteté et à l’apostolat, à travers
l’exercice de leur travail professionnel ; et que, par conséquent, il
n’existe pas de classes de membres,
dans le sens où certains seraient
plus importants que d’autres et que
quelques-uns recevraient une vocation différente, plus exigeante.
Il affirme donc l’égalité de tous les
membres, même s’il s’agit de prêtres et de laïcs, d’hommes et de femmes, de jeunes et de vieux, de célibataires, de gens mariés, de veufs,
de tous niveaux culturels. Pour
tous les membres l’appel est toujours plein et entier. L’unicité de
la vocation se manifeste par le fait
que tous les fidèles de la Prélature
acquièrent les mêmes engagements ascétiques, apostoliques et
de formation. »
« Dans l’Opus Dei, assure-t-on,
célibat et mariage ne sont pas considérés comme des états opposés,
mais au contraire comme des états
3
Nouvelles de Chrétienté Nº 77
Septembre-octobre 2002
qui s’imbriquent et s’orientent vers
l’objectif commun à tous : la sanctification dans la vie professionnelle ». Laquelle, pour les prêtres, est
d’exercer leur « métier de prêtre »7.
Cette conception du sacerdoce
est pour le moins étrange :
• l’appel se fait uniquement au
sein de l’œuvre, auprès d’hommes qui ont été observés et ont
fait leurs preuves au sein de l’œuvre pendant des années, pour s’assurer qu’ils ont bien l’esprit requis
d’eux ;
• un appel qui s’adresse à des
hommes qui ne sont plus tout jeunes, et qui jusque-là ne pensaient
pas au sacerdoce ;
• un sacerdoce au service d’une
œuvre laïque, qui en devient la fi n ;
• des membres qui, fondamentalement, sont tous sur le même
pied, les prêtres se contentant de
faire leur « métier de prêtre », c’està-dire un sacerdoce dévalué.
Tout cela oblige à se poser la
question : l’Opus Dei fait-il œuvre
d’Eglise ?
Une spiritualité du laïcat
Comparant la vocation religieuse dans les ordres traditionnels et la vocation à l’Opus Dei,
Mgr Escriva déclare : « La voie
de la vocation religieuse, je considère assurément qu’elle est bénie et nécessaire à l’Eglise. Frères
et sœurs, moines et nonnes, membres du clergé, laïcs consacrés assurent, depuis des siècles, une
présence constante et indispensable, qui doit toujours subsister. Les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance de l’état religieux
traditionnel sont un précieux “signe eschatologique” pour l’Eglise et
pour l’humanité tout entière. Mais
ce n’est pas cette minorité de baptisés, aussi bénéfique et nécessaire soit-elle, qui, dans les desseins
mêmes de Dieu, peut avoir le monopole de la perfection, donc de la
sainteté et de l’apostolat qui en découlent naturellement. Ce qu’il m’a
été donné d’annoncer, c’est que l’on
peut ou, mieux, que l’on doit se
4
•
sanctifier dans la vie ordinaire, à
travers les choses ordinaires, sans
changer de travail, ni quitter sa
famille, ni renoncer aux occupations et aux préoccupations communes de la personne commune.
Ce qui signifie que l’on doit agir
comme les premières générations
chrétiennes qui, à l’extérieur, ne
se distinguaient en rien de leurs
contemporains païens, et prendre au sérieux l’exhortation que
saint Paul adresse par trois fois
aux chrétiens de Corinthe dans sa
première lettre : “Que chacun continue à vivre selon la condition que
lui a assignée le Seigneur, comme
Dieu l’a appelé.” Tel est le message
que nous avons appelé Opus Dei :
devenir tous saints et apôtres en
restant là où l’on est, en continuant
son travail, en poursuivant ses occupations normales, sans quitter sa famille ou sans renoncer à
une former une, si l’on a cette véritable “vocation” au mariage (oui,
je le répète : “vocation” ; et non métaphoriquement mais au sens propre, au même titre que celle de la
virginité), qui est donnée à l’immense majorité des hommes et des
femmes. »8
Ou encore : « On peut dire qu’en
venant à l’œuvre tous et chacun
d’eux l’ont fait à la condition expresse de ne pas changer d’état. »9
« Deviens “saint”, mais en continuant à vivre comme tu en as
l’habitude : reste où tu es et, au
moins extérieurement, reste ce que
tu es, avec ton travail et tes engagements professionnels et personnels. » Mgr Escriva enseigne que
« la famille, le travail, l’amitié mènent tout autant à Dieu que la solitude ou la retraite. »10 Il disait que
« la meilleure façon de comprendre
l’Opus Dei est de penser à la vie des
premiers chrétiens. »11
Dominique Le Tourneau s’efforce de démontrer que les moyens de
la sainteté pour tous sont la découverte et l’apanage de l’Opus : « La
sainteté ne doit pas être réservée à quelques privilégiés, à ceux
qui ont reçu le sacerdoce ou que la
profession religieuse met à l’écart
du monde. Le message du fondateur de l’Opus Dei se montre résolument optimiste et ouvert et même révolutionnaire au moment
où il est proclamé : tous les hommes (...) peuvent et doivent rechercher la sainteté, comme le concile
Vatican II l’affirmera trente-cinq
ans plus tard. » 12
Les écrits de Mgr Escriva ont
annoncé et anticipé les décisions
les plus importantes de Vatican II,
peut-on lire assez souvent. Et l’on
cite l’enseignement du concile sur
la vocation de tous à la sainteté. A-t-on vraiment attendu l’abbé Escriva et le concile Vatican II
pour proclamer que la sainteté n’est pas réservée à quelques
privilégiés ? C’est la prédication
constante de l’Église. Qu’il s’agisse d’une vérité toujours utile à remettre en mémoire, c’est très vrai.
Mais il n’y avait pas besoin d’un
concile, ni de l’Opus Dei, pour la
découvrir, car elle faisait partie du
patrimoine de l’Eglise que tous les
maîtres de spiritualité ont rappelé de tout temps. Ils insistaient davantage, il est vrai, sur les dangers
qu’opposent à la sanctification les
séductions du monde, tandis que le
concile passe en général ces diffi cultés sous silence, ne voulant pas
avoir l’air de s’opposer au monde
avec lequel il voulait se réconcilier. Ils rappelaient aussi que dans
l’Eglise, et conformément à l’Evangile, le modèle de la vie chrétienne est le religieux, qui suit de plus
près les conseils évangéliques, et
qui par exemple renonce pour le
Royaume des cieux à avoir une famille.
D. Le Tourneau précise :
« Telle est la spiritualité séculière de l’Opus Dei (...). C’est ce qui
faisait dire au cardinal Luciani,
le futur pape Jean-Paul Ier, que, si
saint François de Sales proposait
une spiritualité pour des laïcs,
Mgr Escriva, quant à lui, propose
une spiritualité laïque. » 13
Quelle est cette spiritualité de
l’Opus ? Une étude en espagnol
d’une trentaine de pages, signée
Juan Moralès, nous en apprendra
•
davantage. L’auteur fonde sa critique sur sept ouvrages, tous parus
aux éditions Rialp de l’Opus Dei à
Madrid. Il montre par les textes tirés de ces ouvrages écrits par des
membres de l’Opus et par les citations qu’ils font eux-mêmes de l’abbé Escriva, combien celui-ci avait
une mentalité laïque.
Il cite du livre de Peter Berglar,
Opus Dei : « Escriva content de faire ordonner ses trois premiers prêtres, mais très triste aussi de ne
pas les garder laïcs. »
Il cite de Salvador Bernal dans
Monseigneur Escriva de Balaguer :
« Pour nous le sacerdoce est une
circonstance, un accident parce
que, au sein de l’œuvre, la vocation
des prêtres et des séculiers est la
même » et plus loin : « Les œuvres
apostoliques organisées par l’Opus
Dei (...) se projettent et se gouvernent avec une mentalité laïque (...),
pour ce motif elles ne sont pas confessionnelles. »
Vasquez de la Prada, dans El
fundator del Opus Dei, reconnaît
que l’esprit de l’Opus qualifié autrefois d’innovateur et d’hérétique est
aujourd’hui ratifié par le concile
Vatican II. Il écrit : « Son collaborateur et successeur – Mgr Alvaro
del Portillo – qui suivit en son sein
même le concile, fera ce commentaire : “En combien d’occasions durant l’approbation des documents
du concile, en parlant avec le fondateur de l’Opus Dei, je 1ui répétais : félicitations, parce que ce que
vous avez dans votre âme, et que
vous avez enseigné inlassablement
depuis 1928, a été proclamé avec
toute solennité par le magistère
de l’Église”. » 14 C’est un aveu sans
ambages du chambardement de la
doctrine traditionnelle de l’Église.
Ce rôle de précurseur du concile Vatican II de Mgr Escriva, en
particulier pour la « revalorisation » du rôle des laïcs, a été reconnu, et même proclamé, par les
voix les plus autorisées de l’Eglise
conciliaire.
En 1975, quelques mois après
sa mort, le cardinal König, qui fut
pendant près de trente ans l’arche-
La canonisation de Josémaria Escriva
vêque de Vienne, disait : « La force
magnétique de l’Opus Dei tient probablement à sa profonde spiritualité du laïcat. Quand il le fonda, en
1928, Mgr Escriva retrouva, avant
le concile Vatican II, ce qui, après
le concile, est redevenu le patrimoine commun de l’Eglise. » Et le
cardinal poursuivait : « A ceux qui
l’ont suivi, Escriva a rappelé on ne
peut plus clairement que la place du chrétien se trouve au milieu
du monde. Il s’est opposé à toute
espèce de faux spiritualisme parce que cela équivaudrait presque à
la négation de la vérité centrale du
christianisme : la foi dans l’Incarnation. »
Le cardinal Poletti, dans le décret officiel d’introduction du procès de béatification a réaffi rmé que
le fondateur de l’Opus Dei « a été
reconnu comme un précurseur du
concile ».
Et Jean-Paul II a par exemple
déclaré : « C’est un grand idéal,
vraiment, que le vôtre, qui depuis
le début a anticipé cette théologie
du laïcat qui caractérisa ensuite
l’Eglise du concile et de l’après-concile. Tels sont, en effet, le message
et la spiritualité de l’Opus Dei. »
Le caractère secret
L’Opus Dei a dès l’origine été
marqué d’un caractère secret, qui
était imposé aux membres par ses
premières constitutions de 1941
(quand il fut approuvé comme
pieuse union), et de 1950 (quand il
fut érigé en institut séculier, le prototype du genre dans l’Eglise). Ces
constitutions étaient jusqu’en 1982
la charte de gouvernement de l’œuvre. Voici la traduction de quelques
articles :
• Article 189 : « Pour réaliser
plus efficacement sa fin propre,
1’institut en tant qu’institut veut
vivre caché (“occultum vivere”) :
aussi s’abstient-il de participer
aux actes collectifs (...). Étant donné la nature de l’institut à qui il ne
convient pas d’apparaître à l’extérieur comme une société, ses membres n’interviendront pas collecti-
vement dans certains actes publics
du culte, comme les processions. »
• Article 190 : « Le fait même
d’être membre de l’institut ne permet aucune manifestation extérieure ; et l’on cachera aux gens de
l’extérieur le nombre des membres ;
bien plus, nos membres n’en parleront pas aux gens de l’extérieur. »
• Article 191 : « Que les membres numéraires et surnuméraires sachent bien qu’ils devront toujours observer un silence prudent
quant aux noms des autres associés et qu’ils ne devront jamais révéler à quiconque qu’ils appartiennent eux-mêmes à l’Opus Dei, pas
même pour l’extension dudit institut. »
Certains articles de ces constitutions ont été modifiés lors de
l’érection de l’Opus Dei en prélature personnelle en 1982. L’Opus Dei
dit que ses constitutions étaient
secrètes jusqu’à cette époque (en
fait elles n’ont été divulguées qu’en
1989), car le statut que l’œuvre
avait jusque-là était une solution
provisoire, et ne correspondait pas
à ce que souhaitait Mgr Escriva, selon la vision qu’il avait eue de l’œuvre à son origine. Il n’empêche que
cette mentalité du secret a indéniablement perduré dans l’œuvre,
« qui a toujours poussé très loin le
souci du secret » 15. Ceci explique
les accusations de franc-maçonnerie catholique dont elle a été l’objet
de la part de ses adversaires.
Les appellations et titres utilisés dans l’œuvre (numéraires, surnuméraires…) sont inhabituels, et
furent choisis par le fondateur luimême pour prendre nettement ses
distances d’avec la tradition des
ordres religieux. Ce fut une préoccupation constante de Mgr Escriva
de préserver à tout prix le caractère laïc, et même séculier, de ses
disciples, tant dans la substance
que dans les apparences. Jusque
dans les noms donc : ceux des
membres, mais aussi ceux des centres. Le quartier général de l’Opus
Dei, à Rome, n’a reçu aucun nom
religieux, n’est placé sous aucun
patronage, contrairement à ce qui
5
Nouvelles de Chrétienté Nº 77
Septembre-octobre 2002
se fait dans toutes les institutions
catholiques : la maison mère a été
laïquement baptisée Villa Tevere.
La résidence universitaire féminine a été nommée « Villa des palmiers ». Le bâtiment de l’EUR,
toujours à Rome, s’appelle tout
simplement « Résidence universitaire internationale ». Il en est ainsi partout, dans le monde entier : il
n’y a pas une maison, un centre,
une œuvre apostolique de l’Opus
Dei qui trahisse par son nom une
réalité religieuse ou son appartenance à l’Œuvre.
Dans la même ligne de conduite, on se lie à la Prélature par un
contrat laïc et privé, en présence
de deux témoins, et pas dans une
église, mais dans un lieu quelconque, sans aucun caractère solennel.16
Mgr Escriva disait : « J’aime
que le catholique porte le Christ
non pas dans son titre mais dans
sa conduite et qu’il offre un témoignage réel de vie chrétienne. » Il
aimait un catholicisme discret, et
même effacé, qui ne s’affiche pas :
« Tu peux, bien sûr, être appelé à
l’héroïsme, mais à l’intérieur de
toi, dans un contexte intime, privé, de “normalité”. »17 De même
l’apostolat doit être normal, discret, tranquille, à l’instar du style
de vie dont il doit être issu.
Ce désir de discrétion peut se
comprendre favorablement, dans
une certaine mesure : la vie chrétienne n’a pas à s’étaler, c’est très
bien d’éviter l’ostentation et le tape-à-l’œil. Mais l’Opus Dei va audelà de cette légitime discrétion.
Le résultat le plus clair de ce catholicisme anonyme dans les noms
des maisons et dans la vie de l’œuvre est qu’il ne contribue pas à la
royauté sociale de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, ça l’estompe au contraire et la met sous le boisseau, et
nous verrons que c’est un des principaux reproches que l’on peut faire à l’Opus Dei. Mgr Escriva invoque souvent la vie des premiers
chrétiens, mais le contexte est
maintenant tout différent : depuis,
il y a eu la chrétienté, et on ne peut
6
•
faire comme si elle n’avait pas existé, surtout dans l’Espagne ou l’Italie des années 1950.
Ce comportement qui consiste
à cacher l’œuvre en tant que telle
retentit forcément sur les membres
de l’œuvre, qui cultivent aussi cette culture du secret. On le constate en particulier dans les méthodes
d’approche des cadres de l’Opus en
quête de nouveaux adeptes, comme le montrent de nombreux témoignages.
Le recrutement des membres se
fait essentiellement dans les universités, écoles, camps de sports,
clubs, cercles, etc., dirigés par
l’œuvre.
Une étude critique de l’Opus
Dei rédigée par Arnaud de Lassus18
met en parallèle en un tableau ce
qu’il appelle « les deux images de
l’œuvre ». La première image étant
celle de sa carte d’identité officielle, pour l’extérieur, la seconde image, celle du comportement réellement vécu, à l’intérieur de l’œuvre.
Citons un exemple pris de ce tableau :
« On trouve à l’Opus Dei le contraste entre l’apparence et la réalité. Il en résulte un malentendu
sur la nature de l’œuvre dont peuvent témoigner de nombreuses familles.
Se représentant l’œuvre selon sa
première image, ces familles envoient leurs enfants dans les clubs
de jeunes, les foyers d’étudiants, les
camps de ski (...) créés à l’initiative
de l’œuvre et dirigés par elle et n’y
voient que cela. Quelques années
plus tard, elles se rendent compte
que leurs enfants sont entrés dans
une structure de nature religieuse et y ont pris des engagements
(d’après les statuts - article 20 - des
engagements dans l’œuvre peuvent être pris à partir de l’âge de
17 ans), ces clubs de jeunes, foyers
d’étudiants, camps de ski (...) ayant
servi d’instruments pour les recruter pour l’œuvre. Et c’est alors que
l’œuvre leur apparaît peu à peu
sous sa seconde image. »
Ces pratiques de recrutement,
révélées et dénoncées par des familles trompées, corroborent les
révélations d’anciens numéraires
de l’Opus Dei publiées dans des
ouvrages mettant en lumière la face cachée de l’Opus Dei :
• El Opus Dei anexo a una
historia, éd. Textos, de Maria
Angustias Moreno, de nationalité
espagnole.
• Das Opus Dei, eine Innenansicht, éd. Benziger, de Klaus
Steigleder, de nationalité allemande.
L’un et l’autre expliquent comment, entre autres méthodes déloyales, se fait le recrutement des
membres dans les familles où sont
encore vécus les principes traditionnels – car l’Opus Dei ne veut
en son sein que des gens de bonne
tenue et de bonne éducation ; comment les jeunes sont sollicités pour
des activités saines et légitimes,
puis endoctrinés et fi nalement
embrigadés dans un milieu occulte et liés par des engagements à
l’insu des parents mis en confiance du fait de la reconnaissance et
de la garantie officielle conférée
par l’Église à l’Opus Dei. Tout cela étant couvert par « le père », patron tout-puissant et vénéré.
La doctrine de l’Opus Dei sur la liberté
Dominique Le Tourneau consacre un chapitre à la liberté vue et
vécue par l’Opus Dei :
« Une des caractéristiques de
l’esprit de l’Opus Dei, souvent rappelée par ses porte-parole et sur laquelle le fondateur a sans doute le
plus insisté, est la mise en valeur
de la liberté. Cet amour de la liberté est intimement uni à la mentalité séculière inhérente à l’Opus
Dei qui fait que (...) chacun agit
à sa place dans le monde selon ce
que 1ui dicte sa conscience, droitement formée, en prenant sur soi
toutes les conséquences de ses actes et de ses décisions. Il est amené
non seulement à respecter, mais à
•
aimer de façon positive et pratique
le pluralisme véritable. » 19
Dans Entretiens avec Mgr Escriva
de Balaguer, on lit : « Vivent les étudiants de toutes les religions et de
toutes les idéologies. » Mgr Escriva
dit encore dans le même document : « Le pluralisme n’est pas
craint mais aimé comme une conséquence légitime de la liberté personnelle. » 20
Sa passion pour la liberté le
poussa à convertir des maisons de
l’Opus en résidences interconfessionnelles.
Camino exalte la dignité de la
personne humaine indépendamment de la religion. Le successeur
de Mgr Escriva commente dans
Estudios sobre Camino : « Cette dimension humaine de Camino explique la capacité, démontrée par
le livre, de réunir les espoirs et les
aspirations de n’importe quel homme ou femme qui sent vraiment sa
propre dignité indépendamment
de ses convictions religieuses, en
offrant au lecteur l’impulsion pour
avoir une vie humainement plus
claire et plus noble.» 21
Cet amour de la liberté et de la
dignité humaine va évidemment
avoir des conséquences importantes dans le domaine de l’apostolat.
Nous trouvons l’orientation de
l’Opus Dei en matière d’apostolat
défi nie au chapitre IV de l’ouvrage de D. Le Tourneau. L’Opus admet dans ses activités d’apostolat
des hommes de toutes tendances,
de toutes religions, même des noncroyants :
« Un apostolat personnel d’amitié et de confidence. Cependant des
membres de l’Opus, unis à certains
de leurs amis, y compris non catholiques, voire non chrétiens,
mettent parfois sur pied des activités collectives d’apostolat, toujours
à caractère professionnel et civil,
qui sont des foyers d’où rayonne
l’esprit chrétien et qui contribuent
aussi à résoudre des problèmes du
monde contemporain. Ces œuvres
ne sont en aucun cas, ni de près ni
de loin, des œuvres officiellement
ni même officieusement catholi-
La canonisation de Josémaria Escriva
ques (...), elles sont réalisées et dirigées avec une mentalité laïque. »
« De plus, poursuit l’auteur, ces
activités sont ouvertes à des hommes et à des femmes de toutes provenances, sans discrimination de
situation sociale, de race, de religion ou d’idéologie. Ceci vaut aussi bien pour les bénéficiaires de ce
travail que pour le personnel de direction (...). C’est dans la coexistence que se forme la personne. »22
Les personnes en question peuvent faire partie de ce que l’Opus
Dei appelle ses « coopérateurs »,
et dont il donne la défi nition suivante : « Les coopérateurs, bien que
n’étant pas membres de l’Opus Dei,
aident la Prélature par la prière –
s’ils sont croyants -, par leur travail ou par une quelconque forme
d’apport financier. Ils font partie
d’une association spécifique et inséparable de l’Œuvre. (…) Peuvent
être coopérateurs des hommes et
des femmes non catholiques, non
chrétiens ou sans aucune confession religieuse. L’Opus Dei est la
première institution de l’Eglise qui
appelle à collaborer avec elle de façon organique des non-catholiques, des non-chrétiens, des agnostiques et des athées. »23
Cette réunion entre gens de religions et d’idéologies différentes,
d’un même métier ou d’une même
entreprise, dans une même association, ressemble à un syndicat
d’intérêts, mais n’est pas une œuvre d’apostolat. L’Opus Dei, en ornant son action du nom d’« apostolat », fait dévier le sens du terme,
entendu dans le catholicisme comme propagation de la foi, qui a pour
but la conversion.
Cette mentalité dans l’apostolat a été condamnée par les papes
saint Pie X, Pie XI, Pie XII. L’Opus
Dei tombe par exemple sous le
coup de la sentence prononcée
par la Lettre sur le Sillon de saint
Pie X, condamnant ses utopies :
« Effrayantes et attristantes à la
fois sont l’audace et la légèreté d’esprit d’hommes qui se disent catholiques, qui rêvent de refondre la société (...) avec des ouvriers venus
de toute part, de toutes religions
ou sans religion, avec ou sans
croyances, pourvu qu’ils oublient
ce qui les divise. »
Les textes de l’Opus Dei, similaires à ceux du Sillon, sont nombreux. En voici encore quelques
échantillons :
• De Berglar : « Quand en 1950
le fondateur obtint finalement du
Saint-Siège la permission d’admettre dans l’œuvre (...) des noncatholiques et des non-chrétiens
parmi les “coopérateurs” de l’œuvre, la famille spirituelle de l’Opus
Dei se compléta. »
- De Vasquez : « C’était quelque
chose d’inouï dans l’histoire pastorale de l’Église, ce fait de tirer des
verrous et d’ouvrir complètement
des portes, intégrant les âmes des
bienfaiteurs protestants, schismatiques, juifs, musulmans et
païens. »24
Berglar, Vasquez et d’autres
donnent des détails sur les rapports d’amitié très fraternelle entre Mgr Escriva et ces coopérateurs d’autres religions, très bons
agents de fi nancement de l’œuvre ;
c’était déjà un œcuménisme actif.
Mgr Escriva était effectivement un
précurseur en tous domaines.
Dans Estudios sobre Camino,
le successeur de Mgr Escriva révèle comment se fit l’endoctrinement dès avant le concile. Quoique
caché, cet endoctrinement alla
bien au-delà du cadre de l’Opus :
« Camino a préparé en ce temps-là
des millions de personnes pour entrer en harmonie et pour recueillir
en profondeur quelques-uns des
enseignements les plus révolutionnaires que trente ans après promulguerait solennellement l’Église
dans le concile Vatican II. »
La doctrine de Mgr Escriva a
atteint bien plus que de simples fi dèles, elle est allée jusqu’aux sommets de la hiérarchie. Peter Berglar
– qui écrit en qualité de porte-parole de l’Opus Dei – nous apprend
l’influence qu’elle a eue sur les derniers papes : « Nous savons que
Paul VI utilisait son livre Camino
pour sa méditation personnelle.
7
Nouvelles de Chrétienté Nº 77
Septembre-octobre 2002
Jean XXIII pour sa part disait à
son secrétaire “que l’œuvre est destinée à ouvrir dans l’Église des horizons inconnus de l’apostolat universel”. Pour les papes Jean-Paul Ier et
Jean-Paul II, l’Opus Dei et son fondateur étaient déjà des faits historiques objectifs qui supposaient
le commencement d’une nouvelle
époque du christianisme. »25
L’Opus Dei et la politique
« J’ai écrit, dit Mgr Escriva, que
si, à un moment donné, l’Opus Dei
avait fait de la politique ne seraitce que pendant une seconde, moi,
dans ce moment d’erreur, je serais parti de l’Opus Dei. L’on ne
peut donc pas accorder le moindre crédit à une nouvelle qui mêlerait l’Opus Dei à des questions
politiques, économiques ou temporelles de quelque nature que ce soit.
(…) Les hommes et les femmes de
l’Opus Dei jouissent, dans leurs
choix de citoyens, de la liberté personnelle la plus totale, respectée
par tous, et dont découle logiquement une responsabilité elle aussi personnelle. Il est donc impossible que l’Opus Dei s’occupe jamais
de tâches qui ne soient immédiatement spirituelles et apostoliques,
lesquelles sont par conséquent sans
rapport avec la vie politique d’un
pays. »26
« Avec notre liberté bénie, dit
Mgr Escriva, l’Opus Dei ne peut
jamais être, dans la vie politique
d’un pays, comme une espèce de
parti politique. Il y a la place – et
il y aura toujours la place – dans
l’Opus Dei pour toutes les tendances que la conscience chrétienne
peut admettre. »27
On retrouve dans divers documents cette pensée du fondateur :
« Nous admettons le plus grand
pluralisme dans tout ce qui est
temporel »28. « Il n’arrive jamais
à ce chrétien [le membre de l’Opus
Dei] de croire ou de dire qu’il descend du temple vers le monde pour
y représenter l’Eglise, ni que les solutions qu’il donne à ces problèmes
[temporels] sont les solutions ca-
8
•
tholiques. Non… cela n’est pas possible ! Ce serait du cléricalisme »29.
Et encore : « Je ne parle jamais de
politique. Je ne pense pas que la
mission des chrétiens sur la terre
soit de donner naissance à un courant politico-religieux (ce serait
une folie) » 30.
La conséquence est que, si les
membres de l’Opus Dei s’occupent de la chose publique, c’est à
titre individuel et non en tant que
membres de l’Opus Dei : « Les
membres de l’Opus Dei, dit D. Le
Tourneau, répondent individuellement de leurs opinions et de leurs
actions. Le lien spirituel avec la
Prélature ne conditionne en rien
leurs préférences politiques. (…)
Dire de quelqu’un qu’il est membre
de l’Opus Dei à propos de ses idées
politiques, ou de ses interventions
en politique, s’il s’agit d’un homme
politique, n’a pas de sens. »
Et les Statuts de l’Opus précisent : « Pour ce qui concerne les
activités professionnelles, les doctrines sociales, politiques, etc.,
chaque fidèle de la Prélature jouit
de la même liberté que les autres
citoyens catholiques. Les autorités de la Prélature doivent donc
s’abstenir de donner quelque conseil que ce soit en ces matières. Par
conséquent, cette totale liberté ne
pourra être réduite que par les normes que pourraient avoir à édicter
pour tous les catholiques, dans un
diocèse ou une nation, l’évêque ou
la Conférence épiscopale. (…) La
Prélature ne fait pas siennes les
activités professionnelles, sociales, politiques, économiques, etc.,
d’aucun de ses membres. »31
On comprend donc pourquoi tel
membre responsable de l’Opus Dei
interrogé sur l’avortement déclarait à un journaliste du Courrier
de l’Ouest : « En Espagne, l’Opus
Dei s’est toujours refusé à prendre
officiellement parti dans la campagne contre l’avortement. Ce n’est
pas son rôle.»32 Si la Conférence
épiscopale ne donne aucune consigne, l’Opus Dei ne bouge pas non
plus. Au nom de la liberté…
Comme nous sommes loin de
l’enseignement de saint Pie X :
« Nous ne pouvons pas ne pas faire de politique », et de celui de
Pie XII : « De la forme donnée à la
société dépend le salut ou la perte
d’un grand nombre d’âmes » !
On peut même trouver dans
les œuvres de Mgr Escriva 33 une
déclaration en faveur de l’introduction en Espagne de la liberté
du culte des fausses religions. On
comprend son exclamation : « Les
enseignements qu’a promulgués
le Concile à ce sujet [la liberté religieuse] ne peuvent que me réjouir. »34
La chose ne doit pas nous étonner particulièrement, puisqu’il a
déclaré lors d’un entretien accordé au journal Le Monde, en 1964 :
« Mon unique fanatisme est sans
doute celui de la liberté. »
Cette doctrine sociale libérale
est très loin de la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ
défi nie par le magistère et la pratique de l’Eglise. Les membres de
l’Opus Dei ne prennent pas position dans la cité en catholiques,
pour faire œuvre de politique catholique contre l’esprit du monde.
Avec de tels principes, il ne peut y
avoir de vraie et effective restauration catholique, en Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Et même l’Opus Dei
suscite dans les sociétés une mentalité laïque, contraire à la royauté
sociale de Notre-Seigneur JésusChrist, mentalité qui est effectivement celle du concile Vatican II.
Le rôle politique de l’Opus Dei en
Espagne
Evoquons maintenant une question que l’on ne peut éviter quand
on parle assez complètement de
l’Opus Dei : il s’agit du rôle qu’il a
joué dans la politique de l’Espagne
depuis un demi-siècle.
Depuis la fi n de la guerre d’Espagne, la pénétration de l’Opus n’a
cessé de progresser dans l’élite espagnole. Par ses méthodes, par ses
moyens, il a formé intellectuellement et moralement des hom-
•
mes aptes à assumer toutes les
responsabilités des structures de
l’État. Leurs mérites intellectuels
et techniques, leur capacité à mener les affaires, là où ils les détenaient dans leur milieu professionnel, leur a fait une juste réputation.
Ils ont accédé normalement aux
postes de direction de banques,
d’entreprises industrielles et commerciales, dans les universités, la
magistrature et l’armée.
« En 1957, le général Franco
réorganisa son équipe ministérielle pour redresser une situation économique précaire, particulièrement en ce qui concernait la
balance commerciale avec l’étranger. Afin de mettre l’Espagne sur
la voie d’un système économique et
financier capable d’entrer en compétition avec le monde moderne, il
nomma à des postes de ministres
un certain nombre de spécialistes qualifiés qui venaient des banques et de l’université. Deux d’entre
eux étaient membres de l’Opus Dei :
Alberto Ullastres, professeur d’histoire de l’économie à l’université
de Madrid, fut nommé ministre
du commerce ; Mariano Navarro
Rubio, directeur administratif du
Banco popular, fut appelé au ministère des finances. Plus tard se
joignirent à eux Gregorio Lopez
Bravo, en qualité de ministre de
l’industrie, et Laureano Lopez
Rodo, comme ministre sans portefeuille et commissaire général au
plan de développement industriel.
Ces deux derniers, quelques années plus tard, mais à des époques
différentes, furent aussi ministres des affaires étrangères. Dans
les publications spécialisées, on
a coutume de parler de “l’ère technocratique” du régime franquiste,
comme pour indiquer que l’on passa alors de la priorité à l’idéologie
à la priorité au pragmatisme. »35
Ce gouvernement entreprend la
réforme économique et commence
l’ouverture du pays, à cadence rapide. L’influence des membres de
l’Opus croît, celle de la phalange décroît. Le gouvernement américain et les banques des USA, le
La canonisation de Josémaria Escriva
FMI (Fonds monétaire international) et l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) apportent leur aide.
Les technocrates ont cherché
la réussite matérielle. Ils ont donné un essor économique spectaculaire au pays, mais les ferments
de corruption morale et de subversion ont profité de l’ouverture
des frontières pour s’y introduire.
La philosophie du travail chère à
l’Opus a porté ses fruits matériels,
mais l’Espagne y a-t-elle trouvé le
vrai profit ?
Certes l’Opus Dei n’est pas un
parti politique, et il se défend de
faire de la politique. L’Opus ne participe pas en tant que formation au
gouvernement espagnol : ce sont
des hommes de l’Opus qui y sont,
indépendamment de leur appartenance à l’Œuvre. Mgr Escriva dit
qu’il n’a appris leurs nominations
aux ministères que par la presse,
et on peut l’en croire : cela s’accorde parfaitement avec la grande liberté et autonomie dont jouissent
les membres de l’Opus dans l’action politique et civile. Mais ces
hommes, tout naturellement, ont
agi dans un esprit conforme à la
doctrine de l’Opus.
Il ne faut pas non plus exagérer
l’influence qu’ont eue les ministres
de l’Opus Dei. D’abord ils n’ont été
en tout et pour tout que huit, durant toute la période qui va de 1957
à 1975 (la mort de Franco). Il est
vrai que leur arrivée au gouvernement a coïncidé avec une inflexion
de la politique dans un sens libéral,
et qu’ils s’en sont très bien accommodés, et ont même influé dans
ce sens. Mais d’autres membres
de l’Opus Dei se trouvaient dans
l’opposition au gouvernement, et
ont été attaqués par lui. Il y avait
des membres de l’Opus Dei de
tous les côtés36. Il semble qu’il ne
faille pas faire de mauvais procès
(comme l’ont fait des phalangistes,
sans doute en partie par jalousie)
en des matières qui, de leur nature, sont délicates. Le vrai problème est plutôt la séparation complète, à l’Opus Dei, entre la religion et
la politique ou le plan temporel, qui
fait que chacun, dans ce domaine,
est renvoyé à sa conscience et laissé libre d’agir comme il veut.
En 1969 un scandale éclate en Espagne, autour d’une importante entreprise industrielle : Maquinaria textil del norte
(Matesa). Cette société fondée en
1956 à Pampelune (la capitale de
l’Opus) s’est spécialisée dans la fabrication de métiers à tisser. Elle
est dirigée par Juan Vila Reyes,
membre de l’Opus. L’entreprise
est donnée par la presse comme
un modèle de dynamisme commercial. Reyes est un vieil ami de
Lopez Rodo, le commissaire gouvernemental au plan.
Des irrégularités fi nancières ne
peuvent pas échapper au contrôle
du fisc. Cinq milliards de pesetas
ont quitté l’Espagne et des dizaines de millions ont servi à subventionner des organismes bien étrangers à la fabrication des métiers à
tisser, tels l’université de Navarre
et l’Institut des études supérieures
de l’entreprise à Barcelone, créés
et dirigés par l’Opus Dei. Cet empire commercial de 75 fi liales espagnoles s’écroula.
Le scandale était causé par l’importance du délit : le détournement
de fonds publics. De 1959 à 1969,
Matesa reçut des crédits d’État à
l’exportation, pour un montant de
10 milliards de pesetas, en principe pour l’exportation des métiers
à tisser, mais les machines n’ont
pas quitté le pays, ou ont été mises
dans des dépôts de fi liales étrangères. Grâce à des livraisons fictives, de nouveaux crédits étaient
alloués.
Coïncidence gênante, les ministres des fi nances et du commerce
et le gouverneur de la banque d’Espagne sont de l’Opus. Ils sont plus
ou moins compromis. On ne connaîtra sans doute jamais toute la
vérité sur cette histoire, mais les
organismes de l’Opus Dei qui ont
touché des fonds détournés devaient bien savoir d’où ils venaient.
9
Nouvelles de Chrétienté Nº 77
Septembre-octobre 2002
Conclusion
Réfléchissant sur cette canonisation du fondateur de l’Opus Dei,
mort il y a seulement 27 ans, on
est tenté de penser qu’il ne s’agit
pas seulement de donner ce nouveau “saint” comme exemple au
peuple chrétien et de le lui recommander comme intercesseur
auprès de Dieu. Qui connaît un
peu l’Opus Dei et son rôle dans
l’Eglise aujourd’hui, pensera qu’il
s’agit en fait de la canonisation de
l’Opus Dei : ce n’est pas seulement
Mgr Escriva qui est recommandé
à la piété des fidèles, c’est l’Opus
Dei qui est mis en vedette, parce
qu’il offre à la politique religieuse
du Saint-Siège un contrepoids aux
fantaisies des modernistes. L’Opus
bénéficie d’une réputation de modération, de juste milieu. Et Rome,
la Rome moderniste, apprécie cette position d’ouverture, mais dans
l’ordre, pour tenter de satisfaire
les progressistes, et de rassurer
les conservateurs.
Si Mgr Escriva n’a jamais, à
ce que l’on dit, célébré la nouvelle messe, les prêtres de l’Opus
Dei sont, eux, des fervents défenseurs de l’orthodoxie du nouvel
ordo missae. Ils se font les propagateurs du concile Vatican II :
ce sont les conciliaires conservateurs dont le Vatican a besoin pour
rééquilibrer l’Eglise qui sombre en
bien des endroits dans l’anarchie.
En outre, les fidèles de l’Opus Dei
sont généralement des adeptes de
la démocratie chrétienne, et même
du mondialisme, fidèles en cela à la
politique du Vatican.
Mais il y a d’autres aspects
du concile que l’on retrouve chez
Mgr Escriva de Balaguer : promotion du laïcat, liberté religieuse,
pluralisme, œcuménisme. On trouve dans l’Opus Dei un certain mariage de l’Eglise et du monde. Il est
significatif que l’Opus Dei, à la différence de presque tout le reste de
l’Eglise, n’a dû procéder à aucun
aggiornamento après le concile. Il a même vu dans ce concile
une confi rmation de ce qu’il ensei-
10
•
gnait. Ce n’est pas tant l’Opus Dei
qui est dans le fi l de Vatican II, que
l’inverse. Notons cependant que ni
les membres de l’Opus Dei, ni a
fortiori leur fondateur, ne se sont
faits les promoteurs des interprétations extrêmes des textes conciliaires. Ils se contentent d’une
interprétation libérale. C’est précisément cette ligne que veut favoriser aujourd’hui le Vatican, dans le
vain espoir de mettre fi n par là à
toutes sortes d’excès qui nuisent à
la crédibilité du concile, car tous
sont faits au nom du concile.
Il paraît donc évident que la canonisation du fondateur de l’Opus
Dei a pour but de favoriser l’aile
conservatrice du catholicisme
conciliaire. D’où l’amertume de
beaucoup de progressistes : pour
eux, l’Opus Dei est encore trop
conservateur, mais cela ne doit pas
nous donner le change et nous faire croire que les membres de cette œuvre défendent réellement la
Tradition.
Par cette canonisation du fondateur, ce sont les principes de
l’Opus Dei que l’Eglise conciliaire exalte. Cette doctrine nouvelle, ratifiée hier par le concile, est
aujourd’hui glorifiée par la béatifi cation et la canonisation. Elle est
revêtue d’une solennité toujours
plus officielle. Après la béatification de Jean XXIII, c’est la glorifi cation de Vatican II qui se poursuit
par cette canonisation.
Au-delà de cette canonisation
“politique”, qu’en est-il de la sainteté personnelle de Mgr Escriva ?
Elle n’est pleinement connue que
de Dieu seul. Mgr Escriva était
FRATERNITÉ SACERDOTALE ST-PIE X
MAISON GÉNÉRALE
Directeur de la publication
Abbé Arnaud Sélégny
Rédacteur
peut-être pieux et vertueux, mais
il est tout à fait licite et légitime de mettre en doute et de réfuter sa doctrine nouvelle. Vertu et
piété ne confèrent pas automatiquement orthodoxie doctrinale et
pastorale. Que Mgr Escriva soit
au ciel, nous le lui souhaitons de
tout cœur. Mais qu’on le donne en
exemple à toute l’Eglise, alors qu’il
a favorisé des erreurs et justement
pour ce motif, cela est très regrettable, et même plus. Mais l’Eglise
issue du concile Vatican II a besoin
de modèles.
Abbé Hervé Gresland
1
Dominique Le Tourneau, L’Opus Dei,
Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, p. 6. L’auteur est un porte-parole de l’Opus Dei, c’est pourquoi on
peut lui faire de nombreux emprunts. – 2
Ibidem, p. 9. – 3 Ibidem. – 4 Ibidem, p. 20. –
5
Ibidem, p. 21. – 6 Ibidem, p. 28. – 7 Vittorio
Messori : Opus Dei. L’enquête. Claire
Vigne Ed., Paris, 1995, p. 227. – 8 Ibidem,
p. 164-166. – 9 D. Le Tourneau, p. 25. – 10 J.J. Thierry : L’Opus Dei, mythe et réalité,
Hachette, Paris, 1973, p. 115. – 11 Cité par
V. Messori, p. 184. – 12 D. Le Tourneau, p. 33.
– 13 Ibidem, p. 26. – 14 Nicolas Dehan : Un
étrange phénomène pastoral : l’Opus Dei,
in Le sel de la terre n° 11, p. 130. – 15 Arnaud
de Lassus : L’Opus Dei, Textes et documents, Action familiale et scolaire, 1992.
– 16 V. Messori, p. 203. – 17 Ibidem, p. 185. –
18
Cf. note 15. – 19 Opus cit., p. 36. – 20 Edition
française Fayard et édition espagnole Rialp,
p. 126. – 21 Ed. Rialp, Madrid, 1989, p. 52. –
22
D. Le Tourneau, p. 89-92. – 23 V Messori :
opus cit., p. 188. – 24 N. Dehan, p. 135. – 25
Peter Berglar : L’Opus Dei et son fondateur,
Josémaria Escriva, Mame, Paris, 1992.
– 26 Cité par V. Messori, opus cit., p. 301.
– 27 D. Le Tourneau, p. 37. – 28 Entretiens
avec Mgr Escriva de Balaguer, Le Laurier,
Paris, 1987, n° 30. – 29 Ibidem, n° 116 -117. – 30
Homélie, n° 3, p. 26. – 31 Statuts, numéro 88.
– 32 N. Dehan, p. 140. – 33 Entretiens, n° 29. –
34
Ibidem, n° 44. – 35 Peter Berglar : opus cit. –
36
cf. Vittorio Messori : opus cit., p. 335 -370.
France : chèque à l’ordre de :
Association CIVIROMA
Suisse : CCP 60-29015-3,
Priesterbruderschaft St. Pius X.
Schwandegg — 6313 Menzigen
Abbé Bernard Lorber
Adresse postale
Abonnement
Normal : 20,- € – Etranger : 28,-€
de soutien : 40,- €
DICI-Presse – Etoile du Matin
F – 57 230 EGUELSHARDT

Documents pareils