la loi physique - MPSI 832 Lycee Massena

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la loi physique - MPSI 832 Lycee Massena
Classe de MPSI
LA LOI PHYSIQUE
Dès le début de l'étude des sciences physiques, l'esprit le moins attentif se rend bien vite compte que l'un des
buts essentiels du Physicien est la recherche de ces règles quantitatives qui régissent les phénomènes et qu'on
appelle des lois.
Il importe donc de bien comprendre ce qu'est une loi, comment elle se forme, par quoi elle se traduit, comment
elle peut évoluer. C'est l'objet des pages qui suivent
On pourrait concevoir une physique qui consisterait à accumuler de nombreuses données expérimentales.
Mériterait-elle vraiment le nom de science ? Je ne le crois pas Ce serait plutôt une fantaisie de collectionneur sans
portée féconde. La contemplation d'un incessant défilé de faits indépendants laisse l'esprit insatisfait et il recherche
la connexion et l'harmonie là où il semble n'y avoir que désordre. Le savant doit ordonner, dit H. Poincaré - on fait
la science avec des faits, comme une maison avec des pierres, mais une accumulation de faits n'est pas plus une
science qu'un tas de pierres n'est une maison.
Formation d'une loi
La mesure sera donc un moyen, non une fin. Elle nous aidera à classer les phénomènes. Parmi les nombreux
procédés qui s'offrent à nous dans ce but, nous retiendrons ceux qui, dépassant le cadre des expériences effectuées,
se montreront les plus féconds en permettant le classement des anciens phénomènes et la prévision des
phénomènes nouveaux.
Commençons par l'étude des lois physiques. C'est la méthode inductive qui va nous conduire à cette notion si
importante. Voyons sur un exemple comment on peut y parvenir.
Une masse donnée d'air est enfermée dans un récipient que nous maintenons à température constante. Au
moyen d'un piston, nous pouvons augmenter la pression, le volume diminue et ces deux quantités ne semblent pas
indépendantes. L'expérience est le seul moyen qui s'offre à nous en vue de rechercher la relation que nous
supposons exister entre elles. Faisant varier la pression, nous rechercherons comment varie le volume. Pour fixer
les idées, nous donnerons à la pression vingt valeurs différentes entre 1 et 10 atmosphères et nous mesurerons les
vingt volumes correspondants. Nous pourrons alors rassembler les résultats obtenus. sous forme de tableau, et,
après Boyle et Mariotte, faire la constatation suivante: si la pression devient deux fois plus grande, le volume
devient deux fois plus petit; si elle devient trois fois plus grande, le volume devient trois fois plus petit, et ainsi de
suite aux erreurs d'expérience près. Cela signifie que le produit des nombres qui, dans chaque expérience,
mesurent la pression et le volume, a une valeur constante. Remarque fort intéressante, reliant entre eux les résultats
d'une série d'expériences déterminées, mais ce n'est pas encore une loi. Car des résultats d'expériences isolées,
même fort nombreuses, ne peuvent constituer une loi. Cette loi, comment arriverons-nous à la dégager ?
Quittant momentanément le domaine expérimental, nous allons abstraire les résultats obtenus, et par une
première induction les étendre à toutes les valeurs de la pression et du volume comprises entre les valeurs extrêmes
de nos observations. Autrement dit: bien qu'ayant la même masse d'air et la même température, nous ne pouvons
logiquement rien conclure si la pression n'a pas rigoureusement pour valeur une des vingt valeurs utilisées dans les
expériences ci-dessus. Et cependant, nous pressentons que le produit demeuré constant dans les vingt cas étudiés
sera encore le même, si nous donnons à la pression une valeur intermédiaire. Alors, ayant recours à ce que l'on
appelle l'interpolation, nous étendrons les résultats trouvés à tous les cas intermédiaires. La justification en sera
fournie par l'expérience. Nous obtiendrons ainsi une relation entre la pression et le volume d'une masse d'air
donnée, relation qui sera vraie à la température utilisée et pour des pressions variant de 1 à 10 atmosphères.
Des raisonnements inductifs analogues, confrontés avec l'expérience, nous montreront que l'exactitude de cette
loi ne dépend ni de la masse d'air utilisée, ni dans de larges limites de la température fixe choisie.
Après ces généralisations successives, nous pouvons énoncer la loi suivante: " Pour une masse d'air donnée et à
température constante, le produit du nombre qui mesure le volume par le nombre p qui mesure la pression est
constant.
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La loi est donc une proposition qui établit un lien entre des quantités susceptibles de variation. En indiquant
qu'il y a entre celles-ci une relation nécessaire, elle met en relief l'invariabilité de l'association qui la justifie.
Expression mathématique d'une loi
Si, faisant un pas de plus, nous désignons par v et p les deux nombres qui mesurent le volume et la pression de
notre masse gazeuse, il nous sera facile de traduire cette proposition en langage algébrique. Nous aurons alors
l'expression de la loi:
pv = C
où C désigne une constante.
Nous obtenons, dans ce cas particulier, une fonction mathématique excessivement simple. Il n'en est pas
toujours ainsi. La plupart du temps, la fonction est même tellement compliquée que des approximations sont seules
possibles; bien plus il se présente des cas où une traduction mathématique de la loi n a pu être trouvée. Les
graphiques sont alors d'un très grand secours.
Lorsque le physicien sera parvenu à représenter une loi physique par une fonction, l'usage de l'analyse
mathématique lui permettra d'intéressantes déductions. Partant de la fonction pv = C, il montrera, par exemple.
avec facilité, que le travail nécessaire pour faire passer, à température constante, une masse de gaz d'un volume V
à un volume V' est proportionnel au logarithme du rapport V'/V, et que la courbe représentant les variations du
volume en jonction de la pression est une branche d'hyperbole, etc.
C'est au moment où la loi prend la forme mathématique, soit géométrique (courbes), soit analytique (fonctions),
que sa fécondité apparaît. Nous venons de voir, en effet, que le physicien peut alors faire usage du raisonnement
déductif, et être ainsi conduit à de remarquables prévisions. On peut citer, à ce sujet, la découverte théorique de la
planète Neptune.
Rappelons brièvement cette histoire, certainement connue du lecteur: des irrégularités avaient été constatées de
façon indubitable dans le mouvement d'Uranus. Elles restaient absolument inexpliquées, lorsque Le Verrier
(1811-1877), sur les conseils d'Arago - toujours vivement intéressé par les idées nouvelles - rechercha avec ardeur
la solution du problème. Ce jeune astronome - il n'avait pas 35 ans - vit rapidement quelle orientation donner à ses
recherches, si l'on en juge par les paroles suivantes:
"Se pourrait-il qu'Uranus fût soumis à d'autres influences que celles qui résultent des actions du Soleil, de
Jupiter et de Saturne ?
Parviendrait-on à déterminer la cause de ces inégalités imprévues?
Pourrait-on en venir à fixer le point du ciel où les astronomes observateurs devraient reconnaître le corps
étranger, source de tant de difficultés ?"
Moins d'un an plus tard, la solution était trouvée, et le 1er juin 1846, Le Verrier donnait à l'Académie les
coordonnées célestes de la planète troublante d'Uranus. L'Académie accueillie cette assertion avec quelque
défiance.
Le 18 septembre, il écrit à l'Observatoire de Berlin, où l'astronome Galle possédait une carte détaillée de cette
région du ciel. Galle, peut-être plus par curiosité que par conviction, regarde dans la direction indiquée et découvre
la nouvelle planète à une position très voisine de celle prévue par Le Verrier.
Ce résultat, qui fut un triomphe pour l'astronomie mathématique. montrait aussi toute la fécondité possible d'un
usage judicieux des lois physiques. Il faisait ressortir le fait que la loi n'est pas destinée seulement à classer, mais
encore à prévoir les phénomènes.
Certitude d'une loi
Quel sera le degré de certitude d'une loi ainsi obtenue ? D'après ce que nous venons de voir sur le mécanisme de
sa formation, la critique peut porter sur deux points essentiels: le premier point relevant de la logique pure consiste
à étudier la légitimité du principe d'induction. Discussion que nous n'aborderons même pas. Je renverrai le lecteur
aux traités spéciaux en me bornant à constater que ce principe est indispensable à toute science. Nous l'admettons
donc.
Mais l'induction n'est pas seule en cause, et j'insisterai uniquement sur le deuxième point. Des oublis ou des
négligences ne nous obligent-ils pas à la réserve ?
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Dans les cas les plus favorables, nous avons essayé d'enfermer dans une formule une tranche d'univers Avonsnous réussi ? Pouvons-nous affirmer, par exemple, que, de façon rigoureuse, le produit pv est constant ?
Malheureusement non. D'abord, nous avons Peut-être négligé quelque circonstance importante. De pareilles
aventures arrivent même aux plus grands génies. En 1687, Newton, appliquant le premier les mathématiques à
l'acoustique, calcula la vitesse de propagation du son en partant de la loi de Mariotte. La valeur indiquée, publiée
dans ses Principes, était en désaccord complet avec les déterminations expérimentales. La différence entre
l'expérience et la théorie atteignait le sixième de la valeur totale, et dépassait de beaucoup les erreurs de mesure
possibles. D'éminents mathématiciens. tels que Gabriel Cramer, Euler, Lagrange, reprirent la question, sans
parvenir à une solution définitive. Pendant tout le XVIIIe siècle, la différence entre la théorie de Newton et
l'expérience demeura un paradoxe inexplicable. Ce n'est qu'en 1816 que Laplace publia un calcul correct, en
montrant l'importance des phénomènes thermiques, dont ses prédécesseurs n'avaient tenu aucun compte.
Même si tous les facteurs essentiels ont été envisagés, nous avons été obligé de traduire par des nombres les
circonstances concrètes d'une expérience; il s'ensuit que la loi ne peut avoir la prétention d'expliquer un fait dans
son ensemble. Elle ne peut en donner qu'un schéma. Il y a là le résultat d'une abstraction traduit dans un langage
spécial. En outre, le degré de certitude n'est pas le même pour les vingt valeurs déterminées expérimentalement et
pour celles qui ont été calculées par interpolation. Pour ces dernières, en effet, nous décrétons à priori qu'elles
doivent coïncider, aux erreurs d'expérience près, avec les valeurs que l'on observerait.
Enfin. l'imprécision de nos mesures surtout nous oblige à la prudence. Déduite de résultats expérimentaux
forcément approximatifs, la loi ne saurait être réputée exacte que dans les limites de nos erreurs.
L'expression d'une loi ne saurait être définitive
Aussi n'est rien d'étonnant à ce que le perfectionnement des instruments de mesure détruise les résultats du
passé et à ce que les conclusions déduites de la loi se trouvent alors incompatibles avec les faits expérimentaux.
Un exemple historique nous est fourni par Amagat, qui, reprenant les expériences de Boyle et de Mariotte, a pu
montrer que, même pour l'air, la valeur du produit pv indiqué plus haut comme constant dépend en réalité de la
pression.
Au point de vue de la logique pure, la loi pv = C obtenue par ces excellents expérimentateurs n'était donc pas
vraie. Alors, était-ce la faillite de cette partie de la physique ? Nullement. Poursuivant sa route, elle avait
simplement franchi une étape de plus. Les faits restaient ce qu'ils avaient toujours été. La formule dans laquelle
nous avons essayé de les enfermer s'est montrée insuffisante. Voilà tout. La loi de Mariotte n'est valable que si les
expériences ne sont pas faites avec une très grande précision. La relation qui lie le volume et la pression et qui
s'était trouvée algébriquement si simple est, en réalité, plus complexe.
J'ai développé longuement cet exemple pour attirer l'attention du lecteur sur une constatation qui, à première
vue, peut paraître étrange l'expression d'une loi physique en langage humain est variable avec le temps.
L'expérience restant le souverain juge, l'énoncé d'une loi ne sera vrai que jusqu'à preuve du contraire. Rendus
modestes par l'expérience du passé, les physiciens ont abandonné l'espoir de traduire dans une formule algébrique
simple la complexité du monde. Obligés de schématiser pour comprendre, nous arrivons à la vérité par
approximations successives.
De l'ensemble de cette discussion on peut conclure ce qui suit: pour un absolutiste qui cherche dans la loi une
sorte de certitude métaphysique, la loi ne peut être que "probable". Pour un physicien, qui voit, aux erreurs
d'expérience près, un rapport nécessaire entre les différentes parties d'un phénomène complexe, la loi peut être
"certaine".
Dans bien des cas, dont il reste seul juge, il n'hésitera pas à faire usage d'une loi qu'il sait n'être pas
rigoureusement vraie, et, employant deux termes qui semblent contradictoires, il n'hésitera pas à dire que la loi de
Mariotte est une loi approchée.
De toute façon, la loi lui aura permis non seulement de classer, mais encore de prévoir. Elle aura d'autant plus
de valeur que son domaine s'étendra à un plus grand nombre de faits, c'est-à-dire qu'elle sera plus générale.