approche archeologique de l`artillerie navale a l`epoque moderne
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approche archeologique de l`artillerie navale a l`epoque moderne
Marine Jaouen 60 bd Port Royal 75005 Paris Juin 2001 MEMOIRE DE DEA D’ARCHEOLOGIE DES PERIODES HISTORIQUES APPROCHE ARCHEOLOGIQUE DE L’ARTILLERIE NAVALE A L’EPOQUE MODERNE : ETUDE DES QUARANTE DEUX BOUCHES A FEU DE LA COUR DES VICTOIRE AU MUSEE DE L’ARMEE Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne Sous la direction d’Éric Rieth, Directeur de Recherches au CNRS REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tout spécialement : Mme Leluc, Conservateur de l’Artillerie du Musée de l’Armée pour m’avoir confié cette collection ainsi que de tous les moyens mis à ma disposition lors de mes venues au Musée M Decker, Ingénieur en chef de l’Armement, pour ses explications précieuses et le temps qu’il a bien voulu m’accorder M Banar, Dessinateur du Musée des Invalides, pour son aide efficace lors des prises de mesures et la mise en forme des documents Les membres de l’Atelier « Bois » du Musée des Invalides pour le prêt de leur escabeau et échelle, sans quoi les mesures n’auraient pas été possibles Mme Crémieux, Ingénieur Général du C.H.E.A.R, pour la consultation du fond d’Archives de l’Ecole Militaire M Guérin, pour son aide lors du traitement numérique des documents 2 PLAN INTRODUCTION PREMIERE PARTIE : LA FABRICATION DES BOUCHES A FEU I. Les principaux règlements et ordonnances de 1786 et 1868 II. Les lieux de fabrication a) Ruelle b) Nevers c) Indret c)St Gervais d) Liège III. Les procédés de fabrication a) le fondage b) le moulage c) le forage et l’alésage d) le rayage e) le frettage IV. Les épreuves a) l’épreuve visuelle et les instruments nécessaires b) les épreuves au champ de tir :ordinaire, extraordinaire et à outrance c) les marques et les pièces rebutées DEUXIEME PARTIE : L’UTILISATION DES BOUCHES A FEU I. La poudre et les projectiles a) la poudre :composition, épreuves et approvisionnement b) les projectiles :boulets pleins, boulets creux, boulets ramés, mitrailles, obus, … c) le vent II. Les affûts et les amarrages a) les différents types d’affûts :canon, caronade, obusier b) les différents amarrages :à la serre, au sabord, en vache… III. La mise de feu et quelques notions de tir au canon a) les instruments nécessaires au service du canon b) le pointage, les portées c) les tirs et feux :à démâter, en plein bois, en enfilade…, à volonté, de salut, de bordée… 3 TROISIEME PARTIE : L’ANALYSE DES BOUCHES A FEU DE LA COUR DE LA VICTOIRE I. Les bouches à feu en fonte, à âme lisse et chargées par la bouche a) les canons :N346 à N351, N358, N359, N361, N363 à N365, N369 à N375 et N378 b) les caronades :N353 à N357 c) les obusiers :N360, N362, N366 à N368, N376 et N377 II. Les bouches à feu en fonte, à âme rayée et chargées par la bouche a) les canons :N379 et N380, N382 et N383 III. Les bouches à feu en fonte, à âme rayée et chargées par la culasse a) les canons :N381, N384 à N388 CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES - dessins des quarante deux bouches à feu classés par ordre croissant et de leur numéro d’inventaire - planche des instruments nécessaires à la mise de feu - dessins de quelques affûts : - tenues des artilleurs marins 4 INTRODUCTION L’étude proposée ici a pour objet la mise en valeur d’un patrimoine archéologique nouveau et par conséquent encore mal étudié : le patrimoine industriel. Contrairement aux pays anglo-saxons, la France a mené une politique beaucoup plus discrète sur l’étude des matériels et des moyens de production engendrés par l’industrialisation. Dès les années cinquante, l’Angleterre, dont le passé d’industriel est intimement lié à son histoire, a su s’intéresser à cette partie de son patrimoine, soit environ quinze ans avant les Français, plus férus de beaux arts et d’archéologie, compris dans le sens « académique » du terme à savoir sur des périodes anciennes en délaissant ce parent pauvre qu’est l’archéologie industrielle. Ce certain manque d’intérêt ne s’explique pas uniquement par des points de vue culturels différents, mais vient également d’autres ambiguïtés qu’il convient de soulever. Il ne s’agit pas en effet de prendre en compte toutes les activités techniques de l’industrie dans n’importe quel contexte chronologique ou social. Il convient non pas de dresser une liste complète de chaque usine, sidérurgie et autre fonderie, mais de comprendre un site selon son implantation dans un paysage, dans sa géographie, d’analyser les vestiges physiques de telle ou telle activité. Il faut cependant garder à l’esprit que le principe d’inventaire est l’une des premières préoccupations des archéologues, tant dans l’optique de la conservation des traces documentaires en faveur de la protection et de la sauvegarde que dans la fondation de base de recherches scientifiques et thématiques. Pour reprendre les principes élaborés par Angus Buchanan dans Industrial Achaeology in Britain (Harmondsworth, 1972), l’archéologie industrielle peut se comprendre à travers trois pôles associés :la découverte, le recensement et la description d’un patrimoine laissant son empreinte et par là même celle d’une société à un moment précis et dans un espace donné. A ces trois axes s’en ajoute un quatrième, évident et souhaitable, qu’il convient de citer :la préservation Une activité industrielle vient se « greffer » de façon plus ou moins temporaire dans un paysage rural ou urbain et devient par conséquent éphémère face au temps. Un chercheur est donc en droit de demander la protection de son site d’étude auprès des instances scientifiques et/ou administratives afin de le préserver d’un oubli certain. L’archéologie de l’industrie peut s’appréhender de façon tout à fait classique par un recours à la fouille pour la reconstitution des états anciens d’installations détruites, modifiées ou reconstruites sur place1. Elle peut, par le biais d’une analyse des bâtiments encore en élévation, rendre état des formes et styles typiques des différentes étapes du développement qui seraient partiellement discernables dans son état actuel. L’analyse d’un espace de travail comme celui-ci pose les mêmes problèmes que ceux soulevés par l’archéologie 1 Le recours aux fouilles en matière d’archéologie industrielle n’est cependant pas aussi répandu que pour les sites datant des périodes préhistoriques, antiques, médiévales… 5 urbaine, avec ses perturbations dans la stratigraphie, sa multiplicité des utilisations possibles…et peut permettre la confrontation entre la réalité du terrain et les plans idéalement conçus. L’un des principaux intérêts d’une telle démarche, et non le moindre, est la pluridisciplinarité qu’elle permet. Un travail en collaboration étroite avec des historiens pour une vue d’ensemble de la période, mais aussi des géographes pour les particularités physiques du site, et encore des ethnologues en ce qui concerne l’histoire orale des ouvriers et de leur famille …ouvre bien des horizons. Une association de ce type permet une observation du bâti tant par rapport à son implantation qu’au regard de son abandon puis de son dépérissement, dans le même temps, une étude approfondie de son schéma d’exploitation, de ses moyens de déserte…,et en dernier niveau d’analyse un point de vue plus économique et social. L’analyse de telles structures et de tels produits n’est pas encore rentrée dans l’inconscient collectif comme relevant du domaine de l’archéologie. On conviendra qu’il n’est pas évident de proposer un jour, un mois et une année pour ultime limite du champ de recherche de la discipline, d’autant plus que le paysage industriel prend place peu à peu dans la vision contemporaine de l’histoire. Le rôle de l’archéologie est de restituer les gestes du quotidien faisant fi de l’histoire événementielle. Les gestes de production, les connaissances techniques et la maîtrise d’un métier sont de cette même substance. D’autre part, envisager une installation industrielle uniquement sous l’angle de la production revient à fermer les yeux sur sa capacité de socialisation, ces espaces de travail s’accompagnant très souvent d’habitats pour les employés et d’écoles pour leurs enfants2. Ces lieux de vie n’étant pas spécifiquement ceux de la fabrication, ils rentrent néanmoins dans le domaine d’action de l’archéologie industrielle qui s’ouvre alors à de nouvelles perspectives. Enfin, et de façon plus prosaïque, l’augmentation de la fréquentation des musées dédiées à la culture scientifique, technique et industrielle est irréfutable et stigmatise la demande d’un public de plus en plus connaisseur et impliqué dans la vie d’une région. Notons dès à présent que le fait industriel recouvre, sans limite de temps et d’espace, tous les types d’activité productive issus du secteur secondaire. Il se distingue de l’artisanat par les quantités fabriquées, une concentration minimale de personnel employé en un lieu et enfin une production supérieure au besoin de la population locale. 2 Et jusqu’à de véritables villages comme à Brandes-en-Oisans, dans la mine de plomb argentifère datée du XIIIème et XIVème siècle, où les archéologues ont mis à jour habitats, église paroissiale, cimetière familial…en complément que les systèmes d’exploitations et les aménagements hydrauliques, figeant ainsi toutes les faces de la vie de ces hommes. Voir les Annales de Bretagne, 96-2, 1989, P.134. 6 Comme il l’a été mentionné plus haut, les Anglais sont à justes titres considérés comme les pères fondateurs de la discipline en ayant à la fois insufflé les premières recherches et mis en place la terminologie. Dès les années cinquante, des initiatives privées d’amateurs, d’ingénieurs et d’historiens vont prouver aux yeux des pouvoirs publics la nécessité d’un travail de fond sur ce type de vestiges. Leur but est de recenser, réparer, entretenir les lieux ayant concouru à la Révolution Industrielle et pourquoi pas d’en faire des musées. L’archéologie des moyens de transports (canaux, chemins de fer, aéroports…) est l’une des voies concourant à la vulgarisation de ce type de recherche. Les années soixante voient le lancement du Journal of Industrial Archaeology , sous la direction de K.Hudson, et le premier projet de parc national consacré à l’industrie à partir du Compagny Museum élaboré autour du haut fourneau des Darby. Des progrès remarquables sont réalisés sur le recensement et la protection des vestiges industriels dès 1963. Une organisation plus spécifique apparaît dans les années soixante-dix avec la création de l’Association for Industrial Archeology et le lancement d’un deuxième périodique (Industrial Archeology Review conduit par N.Cossons et A.Buchanan). Cette branche de l’archéologie anglaise demeure dans la sphère de la Révolution Industrielle mais bénéficie malgré tout d’un grand pouvoir de rayonnement par de nombreuses publications de haut niveau et une muséographie inventive. Les recherches en archéologie industrielle reçoivent leur lettre de noblesse grâce à l’Université de Birmingham qui en collaboration avec des musées crée un centre de formation spécifique à la discipline. En 1973, les universitaires organisent la première conférence internationale sur le sujet en Angleterre, d’autres pays européens s’engouffreront dans la brèche (France, Belgique, Autriche, Suède …). Quelques noms sont toutefois à citer parmi ces français qui, les premiers, ont ouvert ce champ de recherche dans les années soixante-dix. L’ Ecole Historique Française se montre réceptive au sujet de la proto-industrialisation mais adopte une approche différente de celle des Anglais. Le raisonnement se décrit plus sur le long terme et englobe les innovations techniques du Moyen Age jusqu’aux manufactures royales du XVIIIème siècle. De même, la première révolution sidérurgique occupe une place de choix avec l’adoption du procédé indirect de fabrication de la fonte de fer dans l’Europe occidentale. Maurice Daumas est l’un des premiers dans l’Hexagone à soumettre une approche raisonnée de cette nouvelle voie de recherche. Il commence d’abord par une très vaste monographie3 qui couvre chaque technique selon un découpage chronologique. Loin des « curieux » du XIXème siècle pour qui il étaient plus question de beaux ou d’insolites objets, Daumas voit dans l’archéologie industrielle la manifestation d’un fait technique et perçoit les bâtiments comme une enveloppe de celui-ci pour chaque époque. Le bâti n’a pas seulement fonction de « coque » partiellement dictée par les nécessités de la production régie elle-même par une économie des gestes…il synthétise donc à la fois les nécessités de l’utilisation finale, l’attente du client et les possibilités du 3 Maurice Daumas : Histoire générale des techniques, Presses Universitaires de France, 1962 à 1979, Paris, 5 volumes 7 constructeur. Sa réflexion mûrie et aboutie à une enquête lancée en 1975 et 1978 sur les Bâtiments à usage industriel au XVIII è et XIX è siècle en France (Paris, Centre de documentation d’histoire des techniques). En 1980, Daumas publie l’archéologie industrielle en France , vision élargie de sa première enquête et malgré les reproches faits à cet ouvrage, il est bon de noter qu’il s’agit d’une des premières études sectorielles et typologiques de terrain à ce sujet. Parallèlement, Y.Lequin, S.Chassagne et D.Woronoff, tous trois historiens économiques et sociaux, s’intéressent également au sujet. La combinaison des deux mouvements de recherche permet d’asseoir la discipline, avec entre autres, la création du C.I.L.A.C (Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine). Le comité a pour vocation la sensibilisation des autorités, la promotion de la recherche et l’harmonisation des initiatives individuelles et associatives. Depuis les années quatre-vingt, la Direction du Patrimoine de la Culture prend de plus en plus en considération ce secteur et stimule l’inventaire et les recherches méthodiques. L’ambition scientifique de l’archéologie industrielle est de travailler au devant de l’urgence. Les témoins encore visibles aujourd’hui ne le seront peut-être plus demain, d’où l’intérêt d’en tirer le meilleur parti et ce le plus tôt possible. Le va et vient entre le terrain et les fonds d’archives multiples permet aux éléments recueillis de s’éclairer les uns les autres. L’Hôtel des Invalides possède dans ses collections une série de quarante deux bouches à feu de marine exposée dans l’une des cours intérieures du musée. Ces bouches à feu sont précisément datées entre 1809 et 1868, certaines d’entre elles étant de modèle antérieur (1786). Il s’agit donc d’une collection quasiment complète des modèles successivement adoptés par la Marine Française pendant cette période et surtout du témoignage d’environ un siècle d’artillerie navale et de ses techniques. Arrivées en 1873 par un don du ministère de la Marine au musée de l’Artillerie, devenu musée de l’Armée, elles sont actuellement entreposées dans la cour de la Victoire le long des murs nord et ouest en position verticale, à l’exception de quatre d’entre elles disposées horizontalement au milieu de la cour. Madame Leluc, le Conservateur de l’artillerie du musée, souhaite pouvoir leur rendre dès que possible leur station horizontale, plus en accord avec leur position d’utilisation. Il est manifeste qu’une telle série de bouches à feu doit bénéficier d’une étude plus avancée. Néanmoins, le musée étant d’abord celui de l’Armée de Terre, ces canons navals n’ont pas encore été livrés à un examen approfondi. Il faut toutefois souligner leur présence dans l’inventaire général proposé par Weimar puis corrigé avec attention par l’Ingénieur Général Decker. Loin d’être vaine, l’étude d’un matériel si « récent » peut aboutir , grâce aux nombreux documents conservés dans 8 les différentes archives (nationales, de la marine, départementales, régionales et des entreprises), à une analyse pertinente et profonde des procédés de fabrications, de l’utilisation sur le terrain, une typologie efficace permettant une identification et une datation rapide du type de bouche à feu lors d’un chantier de fouille subaquatique ou non et enfin la constitution d’une bibliographie de référence sur le sujet. Le mot « artillerie » apparaît dans les textes français à partir de 1248 et vient du latin ars, artis compris comme art, artisan, artifice… Artiller, en particulier signifiait armer, fortifier. Le terme d’artillerie comprend l’art de réaliser et de mettre en œuvre des moyens de guerre sortant de l’ordinaire mais c’est aussi l’ensemble des moyens et du personnel. Enfin, il désigne l’atelier dans lequel ces engins sont construits et conservés. Il ne s’agit pas ici de reprendre l’évolution de l’artillerie depuis ses origines jusqu’à nos jours, mais il est toutefois important de replacer ces quarante deux canons dans leur contexte historique qui ne saurait se comprendre sans celui de l’histoire militaire, et en particulier celui de la marine de guerre. La collection que représente les quarante deux bouches à feu du musée de l’Armée couvre donc une période allant de 1786 à 1868. En quatre vingt ans, l’artillerie navale va connaître une évolution telle, du point de vue technique, qu’il sera possible de voir dans les derniers modèles les prémices des canons modernes. Les transformations successives des pièces d’artillerie allant sans cesse dans le sens d’une plus grande efficacité, se traduisant par une puissance de tir et des portées toujours plus importantes, vont être le vecteur d’un changement irréversible dans la conception de l’architecture navale. Ces bouches à feu apportent un témoignage d’une grande richesse sur les étapes de transition qui mènent la marine à abandonner la voile pour la vapeur, le bois pour la cuirasse et, de ce fait de penser la guerre d’une façon plus moderne que médiévale. A l’heure de la révolution française, la flotte de guerre est au faîte de sa puissance. Relevée de nouveau au prix de grands efforts durant les années 1763 à 1789, cette marine est la meilleure que la France ait eue depuis Colbert d’un point de vue matériel et humain4. C’est également dans les années 1780, sous l’impulsion du Baron Sané5, que l’effort est porté vers une standardisation des types de navires afin de faciliter la construction et la maintenance. Les vaisseaux de 50 puis de 64 canons sont abandonnés pour la construction de vaisseaux de 110, 80 et 74 canons plus puissants. Les frégates connaissent elles aussi un simplification de leur modèle 4 La flotte commerciale ne se portant pas aussi bien puisque la plupart des échanges se faisaient sous pavillon anglais au XVIIIème siècle. 5 Jacques-Noël Sané (1740-1831), Inspecteur Général du Génie Maritime de 1800 à 1817 9 réduit à deux types . Sané et ses élèves dotent la marine d’excellents bâtiments et les canonniers soigneusement entraînés, figurent parmi les corps d’élite. Seuls les officiers bien que très instruits semblent moins capable d’excellence dans les manœuvres de combat. La marine compte alors quatre vingt vaisseaux, autant de frégates et une centaine de petits bâtiments divers. Le programme proposé par Sartine6 en matière de construction navale est prêt en 1790. Les faiblesses sont d’ordre technique. En 1789, le doublage en cuivre des coques est à peu près réalisé mais bien en retard par rapport aux autres flottes. Du point de vue de l’artillerie, la guerre d’Amérique prouve la supériorité des bouches à feu anglaises avec des caronades aux cadences de tir plus rapide et au pointage plus sûr. Lors de la révolution française, un grand nombre d’officiers, matelots et canonniers de marine quittent la France par loyauté envers l’ancien régime. Il est alors fait appel aux officiers de la marine marchande, puis aux pilotes, aux officiers d’administration et finalement aux officiers de la Garde Nationale. Les ministres de la Marine7 se succèdent avec rapidité sans parvenir à enrayer les émeutes dans les ports et arsenaux. La rébellion se propage dans les vaisseaux et nombre d’entre eux se refusent même à appareiller dans certains ports. En seulement quatre années, les résultats d’une telle confusion ont déjà des répercussions sur l’efficacité de la flotte. Cette période de troubles aggrave les retards et freine les efforts fournis depuis plusieurs décennies. La Convention réagit énergiquement en faisant parfois régner la terreur. La politique menée ne porte pas les fruits escomptés et les batailles sont perdues les unes après les autres anéantissant l’œuvre d’hommes comme Sartine et de Castries. Il faut attendre quarante ans pour que la flotte française retrouve son panache d’antan, laissant la part belle aux Anglais sur les mers. Durant ces années, les bâtiments français sont bien construits mais malheureusement manœuvrés par des équipages presque toujours improvisés manquant d’expérience et de capacité. En 1803, Jurien de la Gravière parle en ces terme : « Le métier de la mer est quelque chose de si exceptionnel et de si rude, de si peu semblable à ce qui se passe sur la terre que jamais nos conscrits n’ont pu se faire, en quelques mois, le pied et le cœur marins ;et qu’ils ont, au contraire, constamment témoigné une répugnance extrême, et que rien n’a pu jamais vaincre pour une profession leurs habitudes. » Si en 1805, la flotte fait quelques progrès, elle n’en reste néanmoins encore trop faible pour dominer Trafalgar, défaite après laquelle l’Empire aura grand peine à se relever. L’espoir de rétablir une marine aguerrie est alors bien menu. Quatre vingt vaisseaux sont alors construits mais la question est où et comment les entraîner, les mers étant désormais sous domination anglaise . En 1815, la France se résigne à n’avoir pour ainsi dire plus de marine. Au même moment, la Restauration licencie quatre cents bons officiers coupables d’avoir servis la France sous « l’usurpateur » et rappelle des officiers n’ayant pas servi de puis 1790. Il faut attendre 1822 pour que le ministre de la Marine, Portal, reçoive un budget raisonnable du Parlement et quelques années encore pour que la flotte française redevienne une vraie marine de guerre. C’est à ce moment que Paixhans met au point son obus explosif. Le grand 6 7 Antoine Gabriel de Sartine, homme politique français (1729-1801) puis ministre de la Marine. La Luzerne, Fleurieu, Thévenard, Molleville, Monge, Dalbarade… 10 œuvre n’arrive qu’entre 1830 et 1840 pour rétablir une flotte saine. Le gouvernement de Juillet, suivant les traces de Charles X, reprend les choses dans l’ordre :recrutement de personnel, remise à niveau des bâtiments et enfin adaptation progressive des deux. En 1846, les Chambres décident de remettre sur pied une vraie flotte de ligne qui comptant quarante quatre vaisseaux, soixante six frégates et cent trente cinq bâtiments de servitude. En outre, il est entendu d’expérimenter en masse le nouvel engin qu’est le bâtiment à vapeur. Le gouvernement jette là les bases solides d’un réel édifice maritime dont l’héritier fut Napoléon III qui sut lui donner sa puissance avec une volonté de créer une marine moderne. Les années 1847-1849 voient le premier bâtiment de guerre français à hélice construit en fer, fait relativement mal perçu. Les officiers et ingénieurs doutent des capacités de résistance des coques métalliques et de plus les arsenaux possèdent d’importants stocks de bois. En 1854, la marine possède une grande valeur intrinsèque :vingt quatre vaisseaux dont cinq à vapeur, quarante neuf frégates dont vingt à vapeur (voiliers pourvus d’une machine actionnant deux roues à aubes) et quatre vingt onze navires plus petits. Le lancement du Napoléon8, en 1850 est la réponse française aux essais anglais d’adaptation de machine à vapeur sur un vieux bâtiment. Le Napoléon , vaisseau à hélice de quatre vingt dix canons, mu par 900 chevaux, conçu sur les plans de Dupuy de Lôme9 porte encore un gréement complet de vaisseau à voile. Ce bâtiment marque la transformation complète de la construction navale aussi bien dans le domaine du matériel que dans celui des conditions de guerre navale. La voile y est utilisée comme simple auxiliaire de la vapeur. En outre, les arsenaux ont aussi en chantier treize vaisseaux dont sept à vapeur. Devant les succès remportés par le Napoléon, Dupuy de Lôme propose de transformer en bâtiments à vapeur les vaisseaux à voile en cours de construction. Le principe mit au point consiste en la division en deux de la coque d’un navire, en l’équipement de la partie arrière de l’espace nécessaire à la machine et aux chaudières. Une fois les modifications terminées les deux tronçons sont solidement rassemblés. La méthode se révèle si bonne que la marine marchande l’adopte elle aussi. Les recherches sur l’intérêt de la cuirasse débutées dès 1827 à Gâvres commencent à donner de réels résultats entre 1843 et 1845, les progrès réalisés par l’industrie sidérurgique y étant pour beaucoup. En 1845, la première proposition de Dupuy de Lôme d’un bâtiment muni d’une ceinture cuirassée de 166 mm d’épaisseur sur 2,40 mètres de haut est refusée. Il faut attendre 1853 pour voir les essais relancés à Vincennes. En 1854, commence le chantier de cinq batteries flottantes du type « Dévastation », leur cuirasse est de 110mm sur un bordé en bois de 20cm. Elles sont armées de 16 8 Le Napoléon baptisé successivement selon les changements de régime :Le 24 Février, Le Président et enfin Le Napoléon. Capacité de 5000 tonneaux, 71,46 mètres de longueur, 16,16 m de large, 8 m de creux et 7,70 m de tirant d’eau. Le poids de sa machine est de 550 tonnes 9 Henri Dupuy de Lôme (1816-1885), Directeur de constructions navales, Directeur du Matériel au Ministère de la Marine en 1857. 11 canons de 50 sous la cuirasse. C’est le début d’une nouvelle façon d’envisager la guerre navale. Les années suivantes verront se construire des frégates, corvettes et bâtiments cuirassés dont la conception est encore celle de la marine à voile et progressivement les ingénieurs produiront des plans en accord avec le principe de propulsion à vapeur et celui de la cuirasse. En 1855, la Guerre de Crimée permet de mettre en avant les valeurs des batteries flottantes10 issues des essais de Vincennes. Bien que de très mauvaises qualités sur le plan nautique, ces batteries illustrent avec éclat l’efficacité de la cuirasse et participent à la naissance des plans des bâtiments protégés par une armure. Parallèlement dans le domaine de l’artillerie, Napoléon III commande en 1855 l’étude d’un matériel rayé expérimenté sur le canon de 16 cm procédé appelé à l’époque le « système français ». Les essais du chargement des projectiles par la culasse ne tardent pas à être au point. Et dès 1858, les pièces sont munies de culasse « ouvrante »11. Les ingénieurs et les hommes de mer savent bien qu’un tel procédé permet des manœuvres plus rapides et plus facile, que le pointage en est simplifié, que les chargeurs risquent moins d’avoir le bras emporté par l’écouvillon et enfin d’un point de vue balistique, le vent s’en trouve nettement diminué ce qui représente à la fois moins de battement à l’intérieur de l’âme et la dérivation du boulet. Les essais effectués à Lorient concluent au bien fondé de la suspension des travaux sur les navires en bois et à l’adoption de la cuirasse pour les prochaines constructions. Après une série d’expériences à Gâvres sur les épaisseurs des plaques métalliques, plusieurs bâtiments sont mis successivement en chantier. Des perfectionnements sont apportés à chaque nouvelle construction. L’apparition de la première frégate cuirassée provoque une révolution technique universelle et ouvre l’ère des transformations. Les frégates cuirassées de Dupuy de Lôme sont encore doublées de bois. Il semble que cette formule fut davantage choisie pour vaincre les oppositions provoquées par ces bâtiments que par conservatisme de sa part. De plus, les parties en bois facilitent les opérations de radoubages. La caractéristique des bâtiments de cette époque est une puissance offensive supérieure à leur protection. Il est remarquable que les cuirassés mis en service étaient déjà dépassés par les progrès réalisés dans l’artillerie. La réponse apportée à l’augmentation des calibres était une plus grande épaisseur de cuirasse et, par conséquent, un accroissement du tonnage. 10 Représentées par les célèbres la Lave, la Dévastation et la Tonnante. Leurs plans sont établis par M.Guyesse. Elles déplacent 1500 tonnes et sont armées de 16 canons de 50 et sont blindées à 10 cm. Leurs dimensions sont de 51x13x22,60m. Elles sont munies de trois mâts comme auxiliaires de propulsion, mâts retirés avant le combat. Leur vitesse ne dépasse pas 2 à 3 nœuds. 11 Plusieurs nations revendiquent la paternité du chargement par la culasse, et ce bien avant les Français :en 1846, le brevet de Wahrendorff en Suède, en 1853 avec Schenkl et Saroni aux Etats Unis et enfin, en Italie avec Cavalli. 12 Le décret du 1er janvier 1857 franchit un nouveau pas vers la modernisation de la flotte en proscrivant les bâtiments qui ne sont pas équipés de machine à vapeur. La vapeur n’a au début qu’un rôle secondaire de propulsion, le bois reste le matériau principal. Mais les problèmes d’adéquation entre la structure et l’armement commencent à se faire de plus en plus présents. Malgré tout, les pièces d’artillerie continuent d’occuper leur place habituelle, définie par la pratique, sur le navire. La tactique de guerre navale est profondément bouleversée, le combat de ligne n’a plus l’exclusivité des méthodes de combat. Le combat naval prend alors sa forme définitive à savoir la lutte entre deux artilleries. Il est nécessaire de tirer plus loin et plus vite que l’adversaire. Il reste cependant très difficile de couler le navire ennemi. Il faut pour cela atteindre la muraille sous la ligne de flottaison. L’artillerie de l’époque n’est pas encore capable de créer des dégâts irréparables dans le tir en plein bois . La fin des combats intervient lorsque l’un des vaisseaux n’est plus à même de manœuvrer, que son équipage est aux trois quart perdu et/ou que son artillerie est démontée. Dans d’autres cas, le simple fait de jauger les capacités de l’adversaire suffisent pour rendre son pavillon. Les combats se livrant de plus en plus éloignés, il est primordial de garder ses distances et d’avoir le maximum de pièces tirant de chaque bord. L’éperon fait également une réapparition surtout après l’épisode de Lissa, mais il nécessite de pouvoir tirer vers l’avant afin de charger l’ennemi. L’organisation des pièces d’artillerie à bord va connaître elle aussi de profondes transformations. Les trois rangées de batteries de la coque vont progressivement disparaître. En 1859 ont lieu les lancements des Solférino et Magenta. Ces deux bâtiments ne portent plus que deux batteries superposées au centre du navire. En 1865, l’Embuscade ne compte que six sabords d’artilleries de chaque bord sur une seule ligne de batterie. Les bouches à feu vont prendre leur place sur les ponts et les dunettes. A la bataille de Lissa, les batteries sont installées en tourelles sur la plage avant et en encorbellement de chaque côté du navire. Elles se trouvent aussi dans l’angle du réduit central, profitant de la rentrée des murailles. Deux ans plus tard, l’Océan est muni de tourelles barbettes12, aux angles du réduit central, dans lesquelles quatre canons de 274 mm sont installés. Il ne reste en batterie que quatre pièces de 190 mm et quatre autres de 160 mm. L’artillerie navale, représentée par la collection du Musée de l’Armée, va être étudiée du point de vue le plus large possible depuis les décrets et ordonnances imposés par le Royaume ou l’Etat jusqu’à leur mise au rebut. Nous verrons dans un premier temps, les procédés de fabrication des bouches à feu dans les différents établissements habilités à fondre des canons navals ainsi que les épreuves par lesquelles elles doivent impérativement passer. Dans un deuxième temps, nous 12 plate forme semi-circulaire munie de galets de roulement, qui permet d’orienter le canon en assurant une protection légère du personnel et du dispositif de chargement, la pièce elle même restant au dessus de la tourelle. Elle supprime la difficulté d’élimination des gaz si gênants dans la cas des canons placés en batterie 13 examinerons l’utilisation de ces matériels depuis les poudres employées, les projectiles et les affûts jusqu’à la mise de feu. Enfin, une analyse spécifique des quarante deux pièces d’artillerie navale sera développée afin de mettre en évidence leurs profondes transformations sur la période. Les ordonnances et décrets se succèdent, entre 1786 et 1868, avec une telle rapidité qu’il est difficile de donner une synthèse parfaite sur des sujets tels que les épreuves au champ de tir ou encore la forme d’un affût. Le parti pris est de donner une vision la plus représentative possible de la période, argumentée par des exemples précisément datés. Il est à noter que le canon N352 ne figure pas parmi la collection. Ce dernier n’a pas été versé au Musée de l’Armée comme les quarante deux autres, mais au musée de Nîmes. A ce titre, il ne figure pas dans cette étude. Enfin, une description complète de bouche à feu est donnée en Annexe Document 6. 14 PREMIERE PARTIE :LA FABRICATION DES BOUCHES A FEU I. Les principales ordonnances et décrets13 La première ordonnance de la Marine correspondant aux bouches à feu du musée du l’Armée est celle du 26 novembre 1786. C’est l’apparition du système Gribeauval14 dans l’artillerie de mer caractérisée par la diminution des épaisseurs, la réglementation rigoureuse des cotes ainsi que les principes de construction des canons de fer pour les vaisseaux et leurs dimensions. Les calibres sont les suivants :36, 24, 18, 12, 8 longs et courts, 6 longs et courts. Malheureusement ces tables ne furent que peu suivies lors de la fabrication, les maîtres fondeurs ayant l’habitude de procéder à leur manière, manière que l’on pourrait qualifier de plus « instinctive » que celle préconisée par Gribeauval. Dans cette ordonnance se trouvent également les épreuves extraordinaires que les canons devaient passer et les circonstances de celles-ci. Le décret impérial du 17 décembre 1812, la décision ministérielle du 19 février 1829, l’ordonnance royale du 1er février 1837, et enfin, le décret du 27 juillet 1849 fixent tour à tour la composition des bâtiments de tous rangs de la flotte. Ce décret fixe également le nombre et les espèces de projectiles (boulets pleins, boulets creux et mitrailles) à délivrer aux bâtiments armés15. 1819 voit remplacer le calibre de 36 par celui de 30 pour alléger un peu les ponts des navires. En 1824, les calibres de 30, 24 et 18 courts sont approuvés. Il est ainsi plus aisé de maintenir la charge d’un navire à la limite désirée. Parallèlement, la qualité des fontes s’améliore avec le temps et l’épaisseur des canons se voit encore diminuer pour les 30 longs et courts, les 24 et les 18 courts. Ordonnance royale du 24 avril 1837 « portant règlement pour la fabrication, l’épreuve et la réception des bouches à feu en fonte de fer, dans les fonderies de la Marine », remplacée par le décret du 9 février 1859 de même objet subvenu en raison des progrès effectués par une expérience de 20 ans dans la métallurgie du fer appliquée à la production des canons et à l’apparition de l’artillerie rayée. 4 juillet 1837 :régularisation de l’emploi de l’artillerie Paixhans. Car l’introduction de nouvelles bouches à feu et la modification des anciennes rendent les tables de Gribeauval obsolètes. De plus, le système métrique est utilisé dans tous les documents officiels. 13 Les Ordonnances royales de 1827 à 1858 se trouve aux archives de la marine à Vincennes sous la cote AA1, après il faut consulter les Bulletins officiels. 14 Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval (1715-1789), Général et ingénieur militaire français. 15 Prenons par exemple les boulets pleins qui sont au nombre de 65 par canon placé dans les batteries couvertes, 50 par canon placé dans les batteries ouvertes et 40 pour les perriers. 15 24 juin 1840. Etablissement de nouvelles tables de construction des bouches à feu et des projectiles réglementaires. Le millimètre est adopté comme unité principale complété par une unité au dernier chiffre quand la fraction négligée dépasse un demi-millimètres (excepté pour les dimensions auxquelles il importait de conserver leur valeur absolue, pour lesquelles on emploie les décimètres).Les bouches à feu à projectiles creux sont désignées par le diamètre de leur projectile en nombre rond de centimètres. 1840 adoption de la hausse. Elle va améliorée considérablement les conditions de tir mais son acceptation au sein de l’artillerie ne se fait pas sans oppositions. Dépêche du 12 juillet 1849 rend réglementaire les canons de 50 et de 30 n°3 et 4, et retire du service les canons et caronades de 8 et au dessous. Le 9 janvier 1851, il est décrété qu’un registre signalétique des bouches à feu en fonte serait tenu dans chaque bâtiment dans lequel seront reportés le nombre de coups tirés, les différentes charges reçues, les projectiles envoyés et les variations survenues dans le diamètre et l’empreinte de la lumière. II. Les lieux de fabrication et rapide historique Les premières bouches à feu en fonte de fer furent réellement significatives qu’à partir du règne de François 1er. Auparavant, il était possible d’en fabriquer en fer forgé d’une seule pièce pour les plus petites, les plus grandes, sont quant à elles, étaient constituées de l’assemblage de pièces forgées à part. Lorsqu’il fut possible de les couler d’une seule pièce, la question du transport obligea les fondeurs à opérer à proximité directe des hauts fourneaux et environs des mines de fer. C’est donc naturellement que les régions minières furent à même d’accueillir la production des canons de fonte. Sur la période c’est l’Etat qui donne toute l’impulsion à l’industrie par ses nombreuses commandes. Entre les années 1820 et 1870, les fonderies en service sont Ruelle, Nevers, Indret, Liège et St Gervais. Elles ont des commandes à la fois de la Marine et du Ministère de la Guerre. A ce moment, leurs cadences de production sont suffisantes pour combler le déficit que connaît le parc d’artillerie. Un état des lieux réalisé par le Baron Tupinier16 déclasse un grand nombre de pièces anciennes présentant de graves défauts. On prévoit alors que le déficit engendré peut être comblé par les fonderies dans un délai de sept à huit ans. En 1829, il manque quatre mille bouches à feu à la flotte pour être armée conformément à la décision royale du 10 mars 1824. 16 Baron Tupinier, directeur des ports au département de la Marine de 1823 à 1844. 16 De 1820 à 1830, l’activité des fonderies est surtout orientée vers la modernisation du parc. Malgré de faibles crédits accordés à la Marine, l’effort de rénovation est manifeste. Les canons de 30 et caronades sont fondus en grandes séries17. a) Ruelle C’est la fonderie la plus importante de la Marine, à deux lieux d’Angoulême. Situé sur la Touvre, rivière aux eaux abondantes toute l’année, l’établissement bénéficie d’une force équivalante à 272 chevaux en moyenne et qui varie entre 127 et 415 chevaux selon les saisons. Elle appartient d’abord au roi depuis 1762. En 1777, le marquis de Montalembert la vend au gouvernement. En 1808 le prix d’un canon est de 28 francs par quintal et 32 francs pour une caronade. En 1837, Ruelle possède deux hauts fourneaux, douze fours à réverbères et dix huit bancs de forerie. En 1844, un fourneau Wilkinson est installé18. Le combustible provient de la forêt royale de Braconne qui fournit tout le charbon qu’elle consomme. En 1837, Ruelle peut fournir 1 700 000 kg d’artillerie par an et fabrique 243 bouches à feu et grâce à un maître des forges particulièrement organisé, les fours quant à eux supportent cent dix fusions à la place de soixante-dix avec un autre maître. En 1839, Ruelle reçoit l’ordre d’accueillir la fabrication des canons et mortiers de bronze autrefois à Rochefort. Le déplacement des moyens de fabrication et leur mise en place à Ruelle s’étalent sur une durée de deux ans. La fabrication effective commencera réellement en 1841 pour atteindre sa plaine activité que trois années plus tard avec 50 000 kg d’artillerie en bronze produite cette année là pour la flotte, les écoles, les forts et les batteries. De 1846 à 1855, Ruelle et partiellement Nevers participent à la fabrication d’affûts en fonte de fer pour les batteries des ports et les colonies servies par la Marine. En 1841, la fonderie de Ruelle fabrique des canons pour l’Armée de Terre19.La Guerre se résout à adopter les canons en fonte de fer de la Marine ces derniers étant moins coûteux et plus rapides à la fabrication avec les canons en bronze. Il s’agit de la fabrication d’obusiers de 22 n°1 et de canons de 30 longs pour la défense côtière et l’armement des places fortifiées ou à fortifier. En 1855 ont lieu des premiers essais et les premières fabrication d’artillerie rayée. C’est dans cet établissement qu’est mise au point, après plusieurs tentatives, une nouvelle méthode pour couler les canons. A l’origine de ce procédé est un anglais, 17 Tout établissement confondu, 438 canons de 30 longs sont fondus entre 1822 et 1824 ainsi que 236 canons de 30 courts et 325 caronades de 30. 18 MAR DD2 546, MAR DD2 769 ; MAR DD2 770 19 Commandes de 750 obusiers de 22 cm dont 118 seront fabriqués cette année là 750 canons de 30 longs dont 153 seront fabriqués cette année là 17 Claxton, venu en France comme l’avait fait Wilkinson quelques années auparavant. Il s’agit de couler les canons « creux » grâce à un moule à deux siphons. Le procédé est rendu réglementaire à partir de 1867. En 1870, la fonte grise en deuxième fusion est toujours utilisée pour couler les canons. Cette fonte très résistante commence néanmoins à montrer ses limites du fait de l’augmentation des charges. Des essais sont alors réalisés avec l’acier fondu, mais les résultats ne sont pas encore aussi valables que eux de la fonte. b) Nevers Cette fonderie est placée sur la Nièvre 20. La fonderie est placée en régie d’après le règlement du 20 décembre 1813 et l’exploitation se calque donc sur celles de Ruelle et Liège. En 1837, la fonderie ne possède pas de hauts fourneaux mais dix huit fours à réverbères, une fonderie et un vaste atelier de quinze bancs de forerie. En 1837, Nevers peut fournir 1 000 000 kg d’artillerie par an Tout comme Ruelle, Nevers reçoit une première commande de l’Armée de Terre en 1841, commandes qui se poursuivirent jusqu’à la date 1850 date à laquelle les fonderies de la Marine ne pouvaient plus honorer les commandes trop importantes pour leur capacité. Une réduction de crédit a alors lieu qui force l’établissement à fermer de janvier à juin cette année là. En 1859, la Marine décide remettre en activité la fonderie pour le Service de l’Artillerie. La production redémarre par la fabrication de boulets ogivo-cylindrique de 16 cm. Durant une année, des essais ont lieu à Nevers sur un système de chargement par la culasse. Malgré les perfectionnements, l’obturation ne fut jamais satisfaisante et les essais prirent temporairement fin jusqu’en 1863. La fonderie se spécialise dans la fabrication des dispositifs de culasse, destinés aux bouches à feu fondues dans d’autres établissements. Elle se consacre également aux tentatives d’emploi de l’acier dans la construction des bouches à feu, domaine cher à la Direction centrale de l’Artillerie. Dès 1865, Nevers est chargé de fabriquer des systèmes de fermeture de la culasse et d’essayer les canons en acier fabriquer par Petin et Gaudet21. En 1868, la fonderie reprend enfin la fabrication des canons. L’établissement connaît quelques problèmes d’approvisionnement en fonte. Celles du Berry et du Nivernais ne répondent pas à la qualité requise pour fondre des canons. Il faut donc faire venir le métal des mêmes sources que celles qui alimentent Ruelle. La fonderie de Nevers occupe une place remarquable dans la mise au point de l’artillerie en acier. 20 MAR DD2 769 ; MAR DD2 770 ; MAR DD2 546 in Mémorial de l’artillerie française, sciences et techniques de l’armement, Denoix (l) et Muracciole (jn), paris, 1964, 3ème fascicule, Tome 38. 21 18 c) Indret L’établissement est implanté sur une île de la Loire, sur l’arrondissement de Nantes. Elle possède six fourneaux installés par Wilkinson dont quatre pour la fabrication des canons et deux pour couler les pièces. En 1789, les matières premières sont constituées de fontes anglaises pour un montant de 1.217.235 livres. Le combustible est alors du charbon de terre. Vers 1827, la France reconnaît l’utilité des recherches sur les machines à vapeur et se trouve confrontée à un grand dilemme. Trois solutions étaient envisagées pour fournir à la flotte des appareils propulsifs :s’adresser à l’étranger (Angleterre), s’adresser à l’industrie privée, créer sur le territoire national une usine spécialisée. M. le comte de Chabrol, Ministre de la Marine, décida de créer cette usine à Indret. L’usine à canon, installée depuis 1777 pouvait être facilement abandonnée sans trop d’inconvénients et sa position géographique était suffisamment centrale entre les ports de Rochefort, Lorient et Brest. Dès la fin de l’année 1828, la fonderie est immédiatement transformée pour s’adapter aux nouvelles fabrications22. Parallèlement, un chantier naval fut établis sur le site. Le chantier et l’usine fusionnèrent en 1838 pour ne former qu’une seule organisation sous le titre d’Etablissement de la Marine à Indret. L’activité de fabrication fut donc absorbée par la construction d’appareil à vapeur pour la Marine militaire. d) St Gervais La fonderie est située sur la Devrène, sur rive gauche de l’Isère, dans l’arrondissement de St Marcellin23. Dès 1691 :fonderie royale, d’après Chabrand (in « histoire de la métallurgie ») cette fonderie aurait été fondée en 1619 et cédée à l’État en 1764 à une compagnie fermière, puis elle est vendue au comte d’Herculais. En 1717, elle possède deux hauts fourneaux, un fourneau à réverbère, une forerie, un martinet. En 1837, elle compte un four à réverbères de plus et huit bancs de forerie. Elle peut fournir 500 000 kg d’artillerie par an. St Gervais bénéficia aussi des commandes du Ministère de la Guerre de 1841 à 185024. 22 MAR DD2 546, MAR DD2 549 MAR DD2 546 24 les commandes de la Guerre représentent pour les trois fonderies réunies (Ruelle, Nevers et St Gervais) pour l’année 1844 :211 obusiers de 22 n°1 et 56 canons de 30 longs l’année 1845 :172 obusiers de 22 n°1 et 114 canons de 30 longs l’année 1846 :196 obusiers de 22 n°1 et 250 canons de 30 longs l’année 1847 :250 obusiers de 22 n°1 et 250 canons de 30 longs l’année 1849 :250 obusiers de 22 n°1 et 250 canons de 30 longs 1850 :programme temporairement interrompu. 23 19 e) Liège Ville de Belgique sur la Meuse au confluent de l’Outre. De 1803 à 1813, la fonderie fournit la Marine française en pièces d’artillerie. La documentation sur la fonderie de Liège est très éparse et peu dense. L’essentiel des archives concernant les commandes passées par la Marine française n’ont pas été versé aux archives nationales. Il est donc très difficile de donner plus amples informations. De plus, seul le canon N350 de la collection du musée de l’Armée est susceptible de provenir de Liège mais l’absence d’inscription sur la pièce ne permet pas une affirmation ferme. III. les procédés de fabrication La technique de fabrication des canons est évidemment soumise aux avancées des connaissances et les possibilités de l’industrie sidérurgique. Au XVIIIème siècle, les fondeurs savent obtenir la fonte de fer par fusion du minerai dans un haut fourneau, le principe est appelé coulée directe. En France, ces hauts fourneaux sont alimentés en règle générale, par du charbon de bois. L’Ordonnance du 24 avril 1837 stipule à ce sujet que le charbon de bois doit provenir autant que possible de « bois jeune, de bonne espèce et de grosseur médiocre ». Plus tard, les fontes issues de la deuxième fusion sont reconnues de meilleure qualité et le procédé est adopté. Parallèlement aux études menées afin obtenir des fontes de plus en plus résistantes, différents modes de coulées se succèdent pour accroître les performances des canons. Selon Denoix et Muracciole, dans leur Mémorial de l’artillerie française 25, la fabrication des canons n’a quasiment pas évoluée de Louis XIV à Gaspard Monge. Même si des progrès sont à noter, les auteurs n’y voient toutefois pas de révolution dans l’histoire du matériel d’artillerie navale ni dans son utilisation. Dans l’Art de fabriquer les canons26, Monge prouve son ignorance en matière de conditions chimiques et thermiques du traitement des minerais pour obtenir des produits de qualités définies : « la fonte est blanche quand elle n’est composée que de fer et d’oxygène et dans cet état elle est particulièrement propre à être transformée en fer forgé ;elle peut en outre contenir du charbon et alors elles est plus ou moins grise »27.Les réels progrès commenceront dès le siècle suivant avec de meilleurs alliages et découleront sur de nombreuses applications. Et Jusqu’à la fin du XIXème siècle la plus grand empirisme régit la pratique des traitements thermiques. 25 L. Denoix ; J.N Muracciole ;Mémorial de l’artillerie française 4ème période, XVIIIème siècle et début XIXème siècle l’artillerie de fer, 1964, 2ème fascicule, tome 38, Paris 26 Gaspard Monge ;l’Art de fabriquer les canons, An 2 de la République (1793), Paris, 231 pages 27 id 20 La fabrication peut se détailler en trois étapes principales : le fondage, le moulage, et l’alésage. Une dernière étape vient compléter le processus en réponse aux attentes du Service de l’Artillerie :le frettage. a) Le fondage La provenance des minerais est soigneusement examinée. Celui-ci fait l’objet de nombreux essais avant d’être adopté dans la fabrication. En 1837, une épreuve à outrance sur un canon de 8 long est prévue pour tester le minerai. Cette pièce d’essai est coulée en première fusion si l’épreuve vise à couler immédiatement des bouches à feu, ou, en deuxième fusion s’il s’agit de gueuses destinées à être converties en artillerie. Les minerais de différentes provenances ne sont jamais mélangés ni pendant le transport ni sur le parterre de l’établissement. Chaque espèce de minerai est placée séparément avec un écriteau portant le nom de l’établissement dont elle provient. Plus loin, un espace est réservé où les minerais sont mélangés selon les proportions qu’il convient. Une fois le mélange charbon, minerai, castine, composé, il est placé près du gueulard en quantité suffisante pour alimenter le haut fourneau pendant vingt quatre heures au moins et le service de nuit. La quantité de charbon est identique pour toutes les charges et elle est déterminée dès le commencement du fondage. De grandes précautions sont prises lors de la fonte. Le moindre changement dans l’allure du fourneau condamne la fonte produite à ce moment là à ne pas être utilisée pour l’artillerie. La marche des hauts fourneaux est continue. Des équipes se relèvent jour et nuit pour en assurer et le bon fonctionnement. Grâce à Wilkinson et son travail à Indret, les méthodes de fondage connaissent des améliorations. En 1777, la fonderie utilise tout comme les autres le principe de la coulée directe mais aussi en parallèle les fontes de deuxième coulée. Cette fonte en deuxième coulée se fait grâce à des gueuses et des fers d’origines choisies. Les résultats peuvent alors être contrôlés, les fontes plus homogènes et donc susceptibles d’être améliorées. Au début on mélange 180/1000 de vieille fonte à 780/1000 de fonte de Nevers, de Champagne, du Nivernais ou du Berry et 40/1000 de fonte noire d’Angleterre. Les fours à réverbères s’établissent progressivement dans toutes les autres forges. L’Ordonnance de 1786 prévoit de n’employer dans ces fours que des fontes de bonne qualité. C’est pourquoi les vieux canons doivent être reconnus comme tel avant d’être cassés et refondu. Les proportions sont alors de 2/5ème de fonte neuve pour 2/5ème de vieux canons et de 1/5ème de masselottes, chenaux ou coulées. S’il n’est pas fournit de vieux canon, on pratique comme suit :1/4 de masselottes pour ¾ de fonte neuve. 21 Ce nouveau procédé n’est pourtant pas appliqué avec soin puisque, à Ruelle, près de quarante ans après l’ordonnance le prescrivant et trente cinq ans après l’installation des fours à réverbères sur son site, et St Gervais encore après, continuent de pratiquer de façon classique les coulées mixtes (hauts fourneaux et fours à réverbères). En 1792, la Marine se décide à essayer les pièces coulées en deuxième fusion. L’année suivante, elle commande à St Gervais d’essayer les coulées directes sans succès. Et jusqu’à 1800, les fontes des canons pour la Marine seront faites exclusivement avec des hauts fourneaux utilisant le charbon de bois, et ce malgré les deux hauts fourneaux à coke mis en place au Creusot dès 1785. A la restauration, on condamna même tous ces canons provenant des hauts fourneaux à coke qu’ils soient à première ou deuxième fusion. Un registre tenu par le conducteur des travaux sous la surveillance de l’adjudant donne le compte rendu de la situation des minerais de chaque espèce. Ce journal de fondage retrace le jour et l’heure de chaque coulée, le nombre et la composition des charges faites, la quantité de castine, minerai et charbon employée, les produits obtenus, le numéro des bouches à feu ou gueuses coulées, le jugement porté sur la température et la qualité de la fonte, les accidents survenus sur le personnel, sur les fourneaux ou encore sur les machines soufflantes. Ce journal est tenu indifféremment pour les hauts fourneaux et les fours à réverbère. b) le moulage La fonte présente la propriété de remplir exactement les cavités et les récipients dans lesquels elle est versée et, une fois solidifiée, de reproduire fidèlement leur surface interne et leur forme. Cette propriété constitue l’aptitude au moulage, elle est à la base de la fonderie. Pour mouler une pièce, on en reproduit, grâce à un modèle, la forme en creux dans une matière réfractaire infusible. Un moule ainsi obtenu est rempli de fonte liquide. La fabrication d’une pièce par moulage comporte donc trois partie essentielles :confection du modèle, confection du moule, coulée de la fonte. Ces trois opérations ne sont d’ailleurs pas indépendantes, et le mode de coulée choisie détermine certains détails de l’exécution du moule. Selon que le moule est exécuté en sable ou en métal, on distingue la coulée en sable et la coulée en coquille. Après avoir été dépouillée de son moule, chaque pièce est grattée et burinée pour enlever le sable qui peut y adhérer, ainsi que les bavures, loupes et tout autres excédents de matière qui peut altérer les formes extérieurs. Dès 1786, le moulage en sable est rendu réglementaire. Auparavant, les opérations étaient effectuées grâce à un moulage en terre dont les résultats étaient irréguliers, les pièces fabriquées avec cette méthode ne sont pas pour autant rebutées mais 22 classées en trois grandes catégories :les amoindries, les légitimes et les renforcées et ce suivant leur poids et le diamètre de la plate bande de culasse. L’apparition du nouveau mode de moulage en sable ne fait néanmoins pas disparaître totalement celui en terre, puisqu’en 1841 quelques ouvriers de Ruelle savent encore le pratiquer. Le moulage en sable est connu en France depuis 1778 grâce à l’ingénieur anglais Wilkinson, chargé d’établir la fonderie d’Indret. Le modèle qui sert à fabriquer le moule n’est plus détruit et il est confié à des ateliers spécialisés comme par exemple la fonderie à Chaillot des frères Poirier. Le travail est plus rapide et les garanties d’avoir des pièces uniformes sont meilleures. Le modèle en fer ou plus souvent en cuivre est divisé en plusieurs tronçons de 4 à 7 suivant le calibre de la pièce et mis dans des châssis. Chaque tronçon est creux avec des parties saillantes tenues par des vis, les tourillons par exemple. Pour la coulée, on descendait en ordre les tronçons dans la fosse et on liait les châssis par les boulons de clavettes. La coulée était faite sans qu’il y est besoin de tasser la terre dans la fosse autour du moule. Il s’en suivait un gain de temps et un démoulage facilité. Seul le placement des tronçons demandait un soin particulier. Après le démontage, les éléments étaient placés dans l’étuve de séchage. La meilleure qualité du modèle se manifestant surtout par des surfaces régulières. A ce moment là, une étape importante pouvait être évitée, celle de tourner extérieurement la pièce avant le forage. En 1864, les canons sont désormais coulés creux dans un moule à noyau, au lieu d’être coulés pleins et forés comme cela était l’usage. La coulée peut être le facteur de toutes sortes défauts par le manque d’homogénéité du métal. Ces défauts reçoivent des désignations différentes selon les établissements , ce qui n’est pas sans inconvénients. L’un des plus important est l’arcure qui se produit lorsque les différents tronçons composant le modèle ne sont pas réunis de manière à formé un axe parfaitement droit. La bouche prend alors une inflexion désignée sous le nom d’arcure. Les soufflures ou chambres sont des vides intérieurs formés par les gaz qui ne peuvent se dégager avant que la peau du moulage ne se soit solidifiée. Le soufre en rendant les fontes pâteuses provoque leur formation. Les piqûres sont de petites soufflures répandues dans toute la masse du métal. Les gouttes froides sont des particules de métal solidifiées au contact du moule et prises ensuite dans la masse. Ces chambres doivent être découvertes et vidées si elles se trouvent plaines (sable, corps étranger..). Ces cavités peuvent se trouver à la fois dans l’épaisseur du métal ou à sa surface. Le taconnage est le défaut produit par une dégradation dans le sable du moule ou par une gerçure dans l’enduit de dépouillement. Dans ce dernier cas, les bords de cet enduit se relèvent, de sorte que la fonte étant passée en dessous, ne reste adhérentes à la pièce que par un côté. Le burin permet de récupérer la pièce et la profondeur du vide dont résulte cette opération s’appelle le taconnage. Les loupes sont des petites portions de métal qui excèdent en surface. Les loupes sont le produit de cavités dans la sable du moule dans lesquelles la fonte vient se loger. 23 Elle doivent impérativement être ôtées avant le forage grâce à un burin. Si au moment de la coulée, la fonte n’est pas assez liquide, il peut se produire sur les arrêtes principalement des manques de matière. Les retirures se produisent aux angles vifs en raisons du retrait quand la fonte est coulée trop chaude. Les dartres ou rugosités, dues au sable arraché au moule, nuisent surtout à l’aspect de la pièce mais sont sans gravité. Les bosses ou les affaissements du métal sont des renflements qui se produisent aux endroits où le sable, insuffisamment tassé, fléchit sous la pression du métal ;l’usinage permet de les faire disparaître. Il peut arriver que la fonte bouillonne lors de la coulée, la pièce est alors rebutée si cette perturbation a au lieu ailleurs que dans la masselotte. Après le démoulage et les opérations de centrage a lieu une première épreuve visuelle reconnaissant que les défauts éventuels n’excèdent pas les tolérances admises. A l’issue de cette visite, la pièce est prête à être forée. c) Le forage et l’alésage Jusqu’à 1755, les canons sont coulés creux au diamètre du boulet. L’alésage consiste à passer un mandrin chargé de porter l’âme au calibre désiré par enlèvement d’une épaisseur de métal. Cette épaisseur correspond au vent soit approximativement 1/20ème du calibre. Cette opération s’effectue en abaissant le canon suspendu verticalement sur le mandrin. Trois inconvénients majeurs résultent de ce mode d’usinage : le placage délicat du noyau au moment du moulage entraîne parfois un défaut du centrage, l’épaisseur enlevée doit être ni trop faible ni trop importante et enfin une descente mal assurée du canon sur mandrin n’est pas sans laisser des irrégularités et des défauts sur les parois. Maritz, un ingénieur d’origine suisse, propose comme réponse une coulée pleine du canon et un forage à l’horizontal. Il s’agît en fait de faire tourner le canon sur lui même alors qu’un foret est avancé à l’endroit adéquat. Une pièce réservée sur le bouton permet d’en assurer la rotation. Le foret est une barre en métal assez forte pour résister à la torsion et à la flexion. A son extrémité est portée une langue de carpe composée en fait de deux lames d’acier placées perpendiculairement dans des mortaises sur la tige. La première lame augmente de moitié le diamètre du trou, la deuxième lame laisse deux lignes à enlever à l’alésoir. Le foret avance d’environ cinq tours par minute pour une pièce de 36 et de sept tours par minute pour une pièce de 4. La pièce est ensuite alésée. L’outil utilisé est demi-cylindrique et comprend une lame en acier. Le tranchant réglable de la lame opère parallèlement à l’axe du canon et donne à l’âme le calibre exact. Pour donner à la chambre sa forme et ses dimensions, on remplaçait la lame par la « pièce de fond » dont les angles étaient arrondis. Puis l’on perçait la lumière. Quel que soit le calibre de la pièce , le 24 diamètre de la lumière reste de deux lignes et doit aboutir très exactement à l’arrondi du fond de l’âme qui a pour rayon un quart du diamètre de l’âme. Une fois le diamètre de l’âme vérifié, la pièce réservée de forme carrée sur le bouton est supprimée. Le principe de la coulée pleine est un véritable progrès dans le domaine de la fabrication des canons. En effet, la suppression du noyau à lui seul simplifie de beaucoup le processus ne serait-ce que pour le délicat problème de sa pose, mais pas seulement. Ce noyau gêne aussi au retrait du métal et favorise les défauts à l’intérieure de l’âme (chambres et soufflures). De même, l’usage de la masselotte facilite la remontée des impuretés en surface, les défauts se produisant surtout dans la partie centrale sont de toutes façons enlevés par le forage. Les premiers essais ont lieu en 1752, un an après la Marine commande six machines et en 1755 tous les canons sont coulés pleins. Toute la régularité de la fabrication repose sur l’utilisation de minerai dont l’origine est connue, de gueuses provenant de forges bien déterminées utilisant des minerais choisis. L’équivalent du journal de fondage est prescrit pour les opérations de forage et d’alésage. Les défauts inhérents au forage sont la plupart du temps dus au foret. L’excentricité est le nom donné à la divergence entre l’axe de l’âme et celui de la bouche. Il provient ordinairement d’un mauvais centrage et se mesure au fond de l’âme. La courbure est l’inflexion de l’âme, dont l’axe cesse alors d’être en ligne droite. Elle a lieu lorsque le foret est dévié pendant l’opération de forage et ne peut avoir lieu sans que la barre prenne un mouvement particulier de « manivelle ». De même un coup de foret peut entamer la paroi de l’âme. L’agrandissement du calibre arrive lorsque l’alésoir a été avancé de façon malhabile pendant que la pièce tourne. Cet agrandissement occupe généralement une assez grande étendue dans l’âme. Le tranchant de la lame de l’alésoir peut marquer l’intérieure de la pièce de façon plus ou moins légère lorsque ce dernier est retiré à la fin de son opération. Cette marque est généralement en ligne droite et peut être produite par l’introduction accidentelle d’un autre corps dur entre la paroi et le bloc de l’alésoir. Ce défaut est à l’ordinaire peu important. Comme il l’a été mentionné plus haut, les canons sont de nouveau coulés creux à partir de 1864. Même si l’âme est déjà présente grâce au noyau, il faut toutefois lui donner un diamètre légèrement inférieur. L’alésage lui donne sa dimension définitive. d) Le rayage L’idée de rayer les bouches à feu n’est pas une découverte du XIXème siècle. Des réalisations de ce type sont connues depuis de XVIème et elles furent même, 25 plus tard, adaptées sur certaines armes portatives. Le musée de Moscou possède dans ses collection une pièce de 7 cm de calibre, datée de 1615, dont l’âme est rayée. A cette date, les armuriers avaient l’espoir de loger dans les rayures les grasses engendrées par les poudres. Certains écrits sembler démontrer qu’ils espéraient aussi améliorer les portées et la précision des tir. En France, les études commencent vers 1825 et sont menées par Delville. A partir de 1842, ses réalisations équipent déjà des armes de petits calibres. Mais, le mérite revient probablement à Napoléon III qui commande au président du Comité d’Artillerie de mettre au point un matériel rayé. Les expériences commencent à Gâvre en 1845 et aboutissent, en 1854, à la mise au point d’un canon de 16 cm. Ce canon est très résistant et ses projectiles sont tirés avec une grande vitesse initiale tout comme le canon obusier de 30 dont il dérive. La pièce est rayée grâce à un porte-outils cylindrique ou une barre de rayage. Sur ces instruments sont disposés autant de couteaux que de nombre de rayures à pratiquer. e) Le frettage L’apparition du procédé de frettage arrive lorsque les limites des résistances sont atteintes malgré les progrès réalisés dans les fonderies sur la qualités des fontes. La fonte est le métal parfait pour le coulage et le fondage et l’acier aura beaucoup de mal à la remplacer. Les premiers essais ont lieu à Liège, en 1835, par le colonel Fredericks. En 1843, le lieutenant-colonel Thierry essaie à Ruelle un canon en fonte recouvert de larges frettes de fer. En 1859, la Marine teste un brevet anglais ( Blakeley). Le principe est de recouvrir une bouche à feu en fonte par des frettes en acier puddlé. Ces anneaux sont placés à chaud sur le corps du canon et maintenus à froid. La pièce devient plus résistante aux ruptures transversales. Pour fretter une pièce, il faut rendre les renforts parfaitement cylindriques et le diamètre légèrement supérieur à celui des frettes. Pour poser les anneaux, il est obligatoire de les chauffer pour les dilater. Une fois posés, ils doivent être parfaitement jointifs et permettre le retrait escompté du métal qui scellera les frettes à la pièce. Jusqu’en 1864, le frettage s’arrête aux tourillons. L’augmentation des charges oblige à accroître la surface recouverte par l’acier et à dépasser le renfort. Les pièces sont alors coulées sans tourillons. Auparavant, les épaisseurs des bouches à feu étaient déterminées par la pratique et les ruptures subvenaient indifféremment dans tous les sens. Grâce aux frettes, les pièces résistent donc beaucoup mieux aux ruptures transversales et un peu mieux aux ruptures longitudinales. Toutefois, ces canons ont une tendance sensiblement accrue au déculassement. Il est néanmoins possible de prévoir un tel événement. Les deux signes facilement observables que sont la disjonction des frettes et la fuite de gaz entre les joints permettent aux canonniers d’agir en conséquence. Les canons frettés perdent en grande partie l’inconvénient principal d’éclater sans 26 marque préalable autre que l’agrandissement du canal de la lumière. Les hommes avaient l’habitude de bien observer ce signal indicatif de la proche fin d’une pièce. La même année, le 3 novembre, la Marine rend obligatoire le frettage en acier puddlé et son application immédiate à tous les canons existants. Toutefois, l’opération sera suivie sans régularité dans les premiers temps et ne se perfectionnera qu’à partir du moment où elle sera pratiquée dans les fonderies. A Gâvre, des expériences systématiques continuent d’être réalisées en 1865 sur les canons de 16, 19, 24 et 27 fabriqués à Ruelle et ces épreuves concluent à la grande résistance des bouches à feu du modèle 1864. Les pièces en fonte d’acier frettées d’acier parviennent à tirer jusqu’à deux mille et deux mille cinq cent coups contre en moyenne 600 avec une pièce « classique ». La durée de vie des pièces est considérablement accrue par le frettage. Parallèlement, leur résistance doit toujours être meilleure et le frettage double est mis au point. Il s’agit d’accroître l’épaisseur de la pièce par deux rangées de frettes superposées qui donnent un serrage beaucoup plus énergique. IV Les épreuves Chaque canon bénéficie d’un soin particulier à tous moments de sa fabrication. Des officiers de contrôlent doivent être présents lors des coulées, des démoulages et des épreuves. Avant même de procéder aux épreuves sur le champ de tir, chacune des pièce sortie de la fonderie doit passer par une série de contrôles. Les premiers tests sont d’ordre purement visuel et pratiqués avec des instruments simples afin de s’assurer que la pièce ne présente pas de lésions externes. Viennent ensuite les épreuves sur le champ de tir qui sont régies par des normes précises de charge de poudre et de nombre de coups tirés. Enfin, si le canon a satisfait aux exigences il est peint et reçoit ses marques, s’il n’est pas considéré comme fiable il peut être parfois refondu ou si c’est la qualité de la fonte qui est incriminée la pièce sort alors complètement des circuits de la fonderie. En 1819, Roche, professeur d’artillerie à Toulon écrit ceci dans les Annales maritimes coloniales à propos des canons et caronades fondus à première fusion: « une pièce de canon doit avoir de la dureté pour ne pas être déformée par le battement du boulet ;elle doit avoir en même temps de la ténacité pour ne pas être sujette à crever sous l’effet de la poudre, ce qui indique que la fonte du canon ne doit être ni trop carburée ni trop affinée. Les premières présentent une cassure brune diamantée à larges facettes ;les secondes peuvent présenter une cassure grenue analogue à celle de l’acier ou une cassure fibreuse semblable à celle du fer doux. La cassure de la fonte qui a des qualités requises pour faire un bon canon doit être d’un gris clair, sans être ni blanche ni truitée comme celle des fontes qui contiennent trop ou trop peu de carbone – ou du carbone inégalement combiné – et présenter plutôt des aspérités que du grain ;elle doit surtout être homogène et laisser voir partout une couleur uniforme ». a) L’épreuve visuelle et instruments nécessaires 27 Entre le démoulage de la pièce est les opérations de centrage, de forage et de tournage a lieu une première visite dont il a été fait mention dans le paragraphe consacré au moulage. Avant d’aller sur le champ de tir, les bouches à feu sont soumises à une épreuve de visite générale ayant pour but de constater tous les défauts de dimensions ou autres que les pièces peuvent avoir. Pour cela, il existe un grand nombre d’instruments ayant chacun sa spécificité dans la recherche des éventuels imperfections. Le miroir28, généralement rond, est incliné de façon à refléter la lumière du soleil dans l’âme et à mettre en évidence tous les accidents de type coups de foret, ondes et chambres…etc. Une éventuelle courbure de l’âme est également détectable par ce moyen. Lorsqu’il n’y a pas de soleil et en cas d’urgence, une bougie ou une petite lampe est introduit jusqu’au fond de la bouche. Le pied de chat, composé de plusieurs branches en faisceau au bout d’une hampe, permet de vérifier le diamètre de l’âme. Toutes les extrémités des branches forment autant de points d’une circonférence, d’un diamètre supérieur à celui de la pièce à visiter. Un mouvement de va et vient est imprimé au pied de chat une fois introduit de sorte que les pointes touchent tous les points de la surface de l’âme. Lorsque l’une d’entre elle s’arrête dans une chambre ou tout autre défaut, une marque est inscrite à son emplacement à l’extérieur de la pièce. Cette marque permet de retrouver facilement le défaut en question et de le mesurer à l’aide du crochet. Cet instrument n’est pas d’une très grande précision pour les chambres obliques par exemple. Il est composé d’une hampe et d’une pointe fixée perpendiculairement à la longueur. La pointe est garnie de cire puis est enfoncée dans le défaut constaté. Le moulage de la cavité en donne sa profondeur. Le refouloir est l’instrument qui permet de vérifier si le canal de la lumière est correctement percé. Garni de terre glaise et de cendre, il est enfoncé fortement jusqu’au fond de l’âme. Un dégorgeoir de trois points de moins que le diamètre de la lumière est enfoncé dans celle-ci et va piquer la terre recouvrant le refouloir. Ce dernier est alors retiré et la distance du centre de la lumière vis à vis du fond de l’âme est alors mesurée. La lumière est contrôlée grâce à trois sondes de différents diamètres :le premier d’un diamètre égal, le second de quatre points plus fort et le troisième de trois points plus faible. Dans aucun cas, la sonde la plus forte ne doit pouvoir rentrer dans la lumière. Si la sonde de diamètre égal ne rentre pas, la plus petite doit impérativement arriver jusqu’à l’âme. Ainsi, lors de la visite l’ordre de présentation des sondes est toujours dans l’ordre décroissant des diamètres. Il existe une règle en fer carrée de sept à huit lignes munies de pointes en acier trempé à chaque extrémité. Sur cette face se trouvent les longueurs internes requises de chaque type de bouche à feu avec trois lignes de plus et trois lignes de moins. Sur l’autre face sont indiquées les longueurs extérieures de la même manière. 28 Bulletin Officiel de la Marine, année 1860 n°39, P501-521, imprimerie nationale, Paris, 1861. 28 Une douille est fixée perpendiculairement à la règle permettant de mesurer la longueur extérieure et intérieure. Pour vérifier la rectitude de l’âme ou au contraire dans quel sens part la courbure, l’usage de la règle plombée est indispensable. Cette règle est enfoncée de manière à ce qu’elle touche le fond. Si elle touche bien l’âme sur toute sa longueur cela signifie la rectitude des parois. Si la règle s’en écarte, il faut faire tourner la pièce sur ellemême afin de déterminer la plus grande valeur de la courbure. Les arcures et les excentricités sont, comme il l’a été mentionné plus haut, deux défauts. Pour les mesurer il existe deux instruments :une règle et un compas. La règle doit être légèrement plus grande que la plus longue des pièces à visiter. Placée contre l’arête de la plate-bande de culasse et au centre de la pièce est permet de mesurer la distance qui la sépare de la fin du renfort. Après plusieurs mesures, l’arcure peut être quantifiée. Le compas est quant à lui composé de deux branches parallèles formées par deux règles en bois réunies au moyen de deux traverses. La distance entre les règles en bois doit excéder le plus grand rayon de la pièce29. La pièce doit être placée horizontalement. Le compas est introduit de façon à ce que les deux palans soit en position verticale. Une série de quatre mesures, en dessous, au dessus, à droite et à gauche du compas, est prise. Si elles sont toutes les quatre identiques, l’âme et la surface extérieure sont concentriques, dans le cas inverse l’âme est excentrique. (voir Annexe Document 6 ) Il existe une table des défauts tolérés. b) Les épreuves sur le champ de tir Une fois sur le champ de tir, il existe deux voire trois grands types d’épreuves selon les cas :l’épreuve dite ordinaire, l’épreuve extraordinaire et enfin celle dite à outrance. Toutes les épreuves, visites…ont lieu en présence d’une commission composée du directeur de la fonderie, de l’adjudant, des autres officiers d’artillerie détachés à l’établissement et du conducteur des travaux. L’agent comptable peut lui aussi faire partie de la commission toutes les fois où il le jugera nécessaire. L’Ordonnance du 24 avril 1837 abrogent les règlements et ordonnances précédants notamment celle de 1786 concernant le déroulement des épreuves (nombre de coups tirés, charge de poudre…). Pour l’épreuve ordinaire, les pièces sont placées sur les affûts traîneaux en usage et pointées sous l’angle le plus rapproché possible de trois degrés, mais toujours de manière à frapper la butte. Un coup de canon d’avertissement est tiré avant chaque début d’épreuve et pendant toute la durée un pavillon rouge est placé sur le point le plus haut afin d’être aperçu des lieux environnants. Le feu est mis aux pièces avec une amorce lente pour permettre aux canonniers de se mettre à l’abri de tout danger en cas de rupture. Les poudres, gargousses, boulets et valets sont également soumis à des conditions de sécurité commandées par la flotte. Les poudres sont 29 Il faut donc un compas par calibre. 29 pesées et mises en gargousses en présence de la commission, qui demande aussi le calibrage des boulets et valets en sa présence. L’épreuve ordinaire consiste, pour toute espèce de bouche à feu autre que les mortiers, à tirer deux coups consécutifs. Pour les canons, la quantité de poudre est égale à la moitié du poids du boulet, un valet sur la gargousse, refoulé de quatre coups ; deux boulets et un second valet encore refoulé de quatre coups. Pour les canons obusiers, les caronades et pour toutes les autres bouches à chambre, la gargousse contient la poudre nécessaire pour remplir la chambre, elle est refoulée de deux coups, le tir est effectué avec deux boulets et un valet refoulé de quatre coups. En cas de rupture, le directeur doit en rendre compte au Ministre et l’usage du mélange de minerai ou l’alliage de fontes avec lequel les bouches ont été fabriquées est suspendu. Si la pièce a correctement fonctionné, elle est soumise à l’épreuve de l’eau. Pour cela, la volée de la bouche est levée et la lumière bouchée grâce à une cheville en bois enduite de suif. L’âme est alors remplie d’eau, à l’aide d’un écouvillon ou d’un refouloir garni la tête de tresse en filin l’eau est fortement pressée dans le tube. Toute échappée du liquide met la pièce au rebut. Dans le cas contraire, la bouche est nettoyée et inspectée à l’aide de divers instruments (miroir, étoile mobile, pied de chat, crochet…) afin de s’assurer qu’aucun effet n’est apparu lors des épreuves. La bouche est éprouvée de nouveau si de nouvelles chambres sont détectées. Cette nouvelle épreuve consiste en un coup unique pour déterminer si les chambres n’ont pas tendance à l’agrandir au delà du seuil de tolérance sous l’effet du tir. Une fois les épreuves passées avec succès, les pièces sont allégées de leur carré, leur bouton est buriné et enfin soumises à la pesée. Selon l’Ordonnance en vigueur, les marques sont pratiquées aux endroits requis. Les épreuves extraordinaires et à outrance sont pratiquées lorsqu’une bouche a éclaté pendant l’épreuve ordinaire ou lorsqu’un nouveau modèle de bouche est introduite dans la marine. Ces épreuves ne peuvent avoir lieu sans ordre du ministre. L’épreuve à outrance peut aussi avoir lieu lorsqu’un nouveau mélange est employé lors de la fonte ou encore lorsque le directeur émet des doutes sur la qualités des fontes. En 1837, les charges de poudre de l’épreuve extraordinaire sont composées comme suit: Canon Obusier30 Caronade 10 coups 1 boulet :1/3 du poids du boulet 1/7 1/8 10 2 boulets :1/3 1/7 1/8 10 3 :½ 1/5 1/6 30 Charges données pour les canons obusiers autres que le 80. Pour ce dernier l’épreuve consiste en 5 coups tirés comme suit : - le premier à la charge de 6 kg de poudre et un boulet cylindrique de 53 kg - le deuxième avec la même charge de poudre et deux boulets identiques au précédent - les trois derniers avec la même charge de poudre et trois boulets identiques aux précédents a chaque coup on emploie deux valets, et dans aucun cas les bouches soumises à cette épreuve extraordinaire ne pourront être admises dans le service. 30 10 - 4 - :3/5 - 1/3 1/4 Devront être soumises à l’épreuve extraordinaire, la pièce précédente et celle suivante, dans l’ordre de fonte de celle qui a éclaté à l’épreuve ordinaire coulée à première fusion. Si ces deux bouches éclatent, toutes les pièces issues de la même matière ou du même procédé seront rebutées. Si les deux pièces résistent, alors toutes celles fondues dans les conditions similaires seront reçues. Si une sur les deux éclatent, il faut alors agir sur l’ordre du Ministre par le biais d’un procès verbal contenant l’origine des matières et les circonstances de fabrication. Devra être soumise à l’épreuve extraordinaire, une pièce prise parmi celles qui aura été éprouvé en même temps que celle, coulée à deuxième fusion, qui a explosé lors de l’épreuve ordinaire. Il faut que la bouche testée ait été coulée dans les mêmes conditions (même fourneau, même matériaux…) Le Ministre sera alors mis au courant des résultats de l’épreuve extraordinaire. L’épreuve à outrance est pratiquée sur le canon de 8 long dont les défauts sont dans la limite de la tolérance accordée. En 1837, les charges de poudre de l’épreuve à outrance sont composées comme suit: 20 coups à 1/3 du poids du boulet, 1 valet, 1 boulet, 1 valet 20 coups à ½ du poids du boulet, 1 valet, 2 boulets, 1 valet 10 coups à ½ du poids du boulet, 1 valets, 3 boulets, 1 valet 5 coups à 1 du poids du boulet, 1 valet, 6 boulets, 1 valet jusqu’à ce que la pièce éclate, 2 fois le poids du boulet, 1 valet, 13 boulets, 1 valet. Tous les canons qui résistent jusqu’au 56ème coups sont déclarés reçus à l’épreuve à outrance. A l’issue de ces épreuves (ordinaire, extraordinaire et à outrance )un procès verbal est envoyé au Ministre. Il comprend les bouches qui ont été éprouvées et reçues mais également celles qui ont été rebutées et celles qui ne se pas encore classées31. Un extrait de ces procès verbaux parvient aussi aux préfets maritimes des ports dans lesquels les bouches à feu sont envoyées. Pour les procès verbaux des pièces éprouvées de façon extraordinaire ou à outrance, les mentions y figurant ne sont pas les mêmes si la coulée a eu lieu en première ou deuxième fusion. Dans le premier cas, il devra indiquer l’origine et la quantité de chaque espèce de minerai employée, la quantité de castine et de charbon, la durée de la fusion, la pression du vent et toutes les circonstances pouvant influer sur la qualité. Dans la cas d’une coulée en deuxième fusion, le procès verbal mentionnera le poids, l’origine et la nuance de chaque espèce de fonte, la durée de la fusion et les circonstances importantes de la coulée. Il indiquera aussi le résultat de la visite du canon, la facilité plus ou moins grande à forer et le temps employé à l’opération, la durée de 31 En effet, certaines bouches à feu en dehors des tolérances peuvent être mise en souffrance en attendant une décision du ministre qui peut quand même les introduire dans le service après des perfectionnements. En attendant, elles figurent au procès verbal pour ne pas créer des manques dans la numérotation des pièces fondues. 31 l’épreuve, le nombre auquel il aura résisté, le nombre de morceaux produits par l’explosion, enfin la nuance de la fonte à la cassure de la masselotte et dans les morceaux de renfort. Le titre du procès verbal indiquera le but de l’épreuve ou la circonstance qui y aura donné lieu et les faits établis. c) Les marques et les pièces rebutées L’Ordonnance de 1786 change les dispositions prises par la l’Ordonnance précédente datée du 1er janvier 1767. Cette dernière prévoyait pour la première fois de connaître la provenance du canon avec exactitude grâce à la mise en place d’inscriptions directement sur la pièce telle que l’année de coulée, le numéro de fondage, le poids du canon, une lettre ou un caractère désignant la forge et la ou les premières lettres du nom du maître des forges. En 1786, la plate bande de culasse reçoit à gauche de la lumière l’année de fonte et à droite les deux lettres initiales du nom du maître des forges. Sur le tourillon droit figure la lettre ou le caractère désignant la forge et un numéro de fonte commençant à zéro chaque année et finissant à trois cents, puis le décompte repartait à zéro sans distinction de calibre. Un numéro de coulée est donc attribué à chaque nouvelle pièce quelle soit reconnue apte au service ou non. Ces numéros sont spécifiques à chaque fonderie et chaque espèce de bouche à feu. Le tourillon gauche porte le poids du canon. Certains d’entre eux sont marqués de la lettre T signifiant un léger défaut (calibre, dimensions extérieures…)mais sans toutefois être rejetés par nécessité de service. En ce qui concerne la peinture, l’Ordonnance de 1786 prévoit que les pièces seront peintes après réception, leur couleur sera noire et elles bénéficieront d’une ou deux couches. Le mélange sera composé pour une livre de d’huile de lin d’une once de litharge, d’une demi-once de couperose, de 10 onces d’ocre jaune et une once de fumée. L’huile est bouillie pendant une heure jusqu’à obtenir la consistance d’un sirop avec la litharge et la couperose enfermées dans un linge. L’ocre et le noir sont broyés d’abord, puis la litharge est ajoutée et enfin la couperose dans l’huile. Le tout est mélangé en ajoutant l’huile nécessaire pour obtenir la consistance liquide souhaitée. Le 1er octobre 1834, une instruction sur le classement des bouches à feu met au rebut toutes les pièces coulées en premières fusion. Après avoir observé que les canons en fonte éclataient plus l’hiver que l’été, on conclut que le responsable de ces éclatements est la différence de température entre l’intérieur de la pièce chauffée par les tirs et l’air ambiant. De plus, intervient le fait que la qualité d’une fonte diminue avec le nombre de tirs effectués surtout quand cette fonte est de qualité inférieure, l’effet du froid accentuant de procédé. Ce qui explique pourquoi, certaines pièces ont résister plusieurs fois à de fortes charges avant d’éclater avec la même proportion de poudre et que ces accidents ne se sont produits qu’avec les pièces anciennes. Les canons coulés à Ruelle entre 1822 et 1826 en première fusion 32 furent classés hors service de même que les caronades coulées à la même période et avec le même procédé. L’instruction classa les bouches à feu en trois catégories :celles de bon service ; celles mises en souffrance mais toutefois conservées provisoirement (marquées d’un S) ;celles qui ne devaient en aucun cas être mises en service et immédiatement mutilées. La deuxième catégorie concerna par exemple des caronades coulées à Ruelle en première fusion de 1822 à 1826, mais également les bouches à feu d’origine douteuse, notamment celles coulées dans les fonderies particulières depuis 1792, celles fondues à Nevers lorsque l’établissement était à l’entreprise et enfin certains canons ayant des défectuosités bien spécifiques. Dans la troisième catégorie ne trouvèrent des bouches à feu provenant du Creusot et des canons coulés à Ruelle en première fusion de 1822 à 1826 et certains canons aux défauts définis. Avant même les visites ou épreuves, le bouillonnement de la fonte lors de coulée est un motif de mise au rebut de la pièce s’il n’a pas été cantonné à la masselotte. Outre le fait que la pièce n’a pas passé avec succès les épreuves sur la champ de tir, l’un des motifs de mise au rebut des pièces est l’agrandissement de la lumière. En effet, lorsque celle ci dépassait dix points soit 1,88mm la pièce devait être rebutée, ne pouvant être remise en service seulement si les pièces réglementaires faisaient défaut. Le phénomène d’arasement de la lumière était un indice empirique de l’approche de la rupture d’une pièce. Il eut même plusieurs séries d’épreuves pour savoir si cette règle était fondée, en particulier en 1846. Auparavant, on estimait qu’une pièce devenait dangereuse entre 367 et 392 coups tirés une fois que la lumière avait atteint son seuil critique d’arasement. Une partie de la fonte des bouches à feu rebutées repartent, au début de la période, dans le processus de fabrication. Ainsi, à Ruelle en 1808, un quart de la fonte grise provient des ces pièces décrétées inaptes au service. Les canons et obusiers rebutés se voient immédiatement amputés d’un des tourillons, c’est en effet le meilleur moyen de les mettre hors service, les caronades quant à elles se voient prélevée d’un grand éclat de métal. Pour cela, il faut frapper avec une masse ou un fort marteau sur l’arête toujours dans le même sens. Il existe un autre moyen, mais qui peut s’avérer plus dangereux, celui de tirer un coup de canon à bout portant contre la volée de la pièce à mutiler. Pour cela, il est nécessaire de prendre quelques précaution entre autre celle de communiquer le feu par une mèche lente qui donne au canonnier le temps de se mettre à l’abri. Enfin, il est possible de faire éclater un obus bien éclissé dans un mortier ou un obusier pour le mettre hors service. A défaut de ces moyens, les pièces peuvent être enclouées. L’opération consiste à enfoncer profondément une vis en acier trempé que l’on casse au ras de la pièce. La vis peut être également remplacée par un clou carrée en acier aux arêtes entaillées et dont les coches sont tournées vers la tête de ce dernier. La clou est alors introduit dans la lumière et l’excédent est cassé. Le fond de la pièce est garni de terre glaise et il arrive qu’un bouchon de bois dur soit encore ajouté. Dans tous les cas, un boulet enveloppé de feutre ou de plomb est 33 fiché dans l’âme et doit rentrer avec beaucoup d’efforts. Cette dernière opération peut être pratiquée seule si le temps vient à manquer. Il est possible de devoir désenclouer une pièce, il faut alors retirer tous les obstacles qui ont été introduit dans l’âme et mettre le feu à une charge du tiers ou de la moitié du poids du boulet pour faire sauter le clou. Dans le meilleur des cas, un simple burin permet de fendre la tige et de l’extraire de la lumière. Lorsque ces moyens ont échoué, il faut alors gratter un peu le métal autour du clou et faire couler de l’acide nitrique ou sulfurique. Il arrive que par capillarité l’acide s’insinue entre le clou et la pièce et le ronge assez pour l’extraire facilement avec une charge de poudre assez faible. En dernier recours, une nouvelle lumière est percée à côté de la première et permet d’évacuer les obstacles introduits dans l’âme. Ces opérations sont pratiquées à terre, mais le changement d’un canon peut avoir lieu en pleine mer sans qu’il soit possible de débarquer. Le canon est alors jeté par dessus bord. Cette pratique loin d’être courante est réservé aux bâtiments anciens que l’artillerie fatigue beaucoup ou encore lorsque le temps est mauvais. La culasse du canon est levée autant que possible, les sus-bandes sont ôtées ne laissant à la pièce que quelques tours de rubans. Une pince est passée sous chaque tourillon, puis deux anspects un peu en arrière. En choisissant le moment favorable du roulis, les hommes forcent sur les leviers et en ouvrant le mantelet et débarquent le canon. 34 DEUXIEME PARTIE :L’UTILISATION DES BOUCHES A FEU I. poudre et projectiles a) la poudre La poudre à canon est composée de charbon, de souffre et de salpêtre. Les proportions sont les suivantes sur la période :1/4 de charbon, 1/4de souffre et 2/4 de salpêtre. Elle reste pendant près de trois siècles sous une forme remarquablement stable dans sa composition, sa préparation et ses conditions de recette. La poudre noire, dite également « poudre à canon ordinaire » lorsque d’autres poudres apparaîtront, solutionne trois problèmes pyrotechniques :le lancement d’un projectile, l’éclatement des bombes et obus et la confection d’artifice. Le charbon de bois est obtenu par le procédé classique de pulvérisation. De nombreuses essences sont utilisées, la plus courante étant le bois de bourdaine32, mais l’on utilise également le bouleau, le saule, le cornouiller, le laurier, le roseau. Le souffre, bien que raffiné en France, est importé en grande partie de Sicile et arrive à l’état brut. La distillation et la condensation se fait dans des ateliers français. Le souffre est alors réduit en poudre soit par le procédé de sublimation, soit en le broyant et pilant. Le salpêtre est obtenu par lessivage de démolitions de vieux bâtiments, mais il peut également être récupéré à l’état brut par le brossage des mûrs des caves, étables, écuries…Après l’avoir réduit en poudre et mélangé à de la cendre de bois, l’amalgame associé à l’eau passe par une série de cuves afin d’augmenter la concentration du salpêtre. L’eau est alors purifiée puis bouillie pour provoquée la cristallisation du salpêtre. Vient alors le raffinage. Le charbon, le souffre et la salpêtre mélangés doivent ensuite être battus. Pour cela, des moulins actionnant des pilons dans des mortiers se chargent de donner au mélange l’allure de « pains » par addition d’eau. La pâte obtenue est composée de grains ronds ou concassés qui est par la suite criblée. Dans la Marine, la poudre contient 330 grains au gramme. La poudre ainsi préparée possède qualités et inconvénients. C’est un produit relativement stable mais hygroscopique qui nécessite des précautions dans le transport. Son inflammabilité est satisfaisante et son coût de production nettement plus faible que le fulmicoton qui aura, d’ailleurs, du mal à s’imposer à la fin de la période. Elle a contre elle un potentiel énergétique modeste qui s’accentue d’autant avec l’augmentation des calibres. De plus l’importance des résidus de combustion 32 Le bois de bourdaine (famille des rhamnacées) provient d’un arbuste appelé aussi aulne noir que l’on trouve dans les sous bois humides. 35 engendre une fumée épaisse dans les batteries et des dépôts conséquents dans l’âme même des pièces. L’épreuve de la poudre consiste en la projection d’un globe de trente kg, sous un angle de quarante cinq degré avec une charge de quatre vingt douze grammes. Pour cela, on utilise un petit mortier à plaque appelé « éprouvette »33. Le globe est en bronze et possède une poignée amovible pour sa mise en place. Une fois la poignée ôtée, un bouchon comble son emplacement. La poudre est reçue lorsque plusieurs échantillons ont projeté le globe à une portée au moins égale à 195 m. Il existe des tables de tir qui prennent en compte les portées d’épreuves (de 195 à 243 m). Les poudres ayant réussies les épreuves sont conservées dans des barils datés et où figure la portée de la poudre, l’âge de celle-ci et éventuellement l’indication de retour (c’est à dire leur retour de campagne si elles sont déjà pris la mer). Ces barils de chêne sont cerclés de châtaigniers et leur contenance varie entre vingt-cinq, cinquante et cent livres de poudre. Lors des campagnes, les officiers peuvent contrôler la qualité des poudres grâce à des éprouvettes portatives. Un jeu de ressort et de crans permet grâce à l’explosion de connaître la portée de la dite poudre. Il faut néanmoins signaler que les maîtres canonniers peuvent contrôler à l’œil la qualité d’une poudre en la brûlant soit sur une feuille soit sur le dos de leur main. Une bonne poudre ne devant laisser ni déchet ni brûlure. Après la Restauration ces barils sont remplacés par des caisses en cuivre pour une meilleure conservation. De plus, l’étanchéité de ces caisses permet une simplification notable des manipulations. Dorénavant, les gargousses sont embarquées pleines à bord ce qui permet d’éviter cette opération de remplissage une fois en mer avec tous les dangers qu’elle comprend. C’est donc à partir de 1834 que les gargousses ne sont plus préparées à bord des bâtiments, ces derniers les reçoivent directement des magasins conformément au règlement. L’embarquement des poudres se fait à grand renfort de précautions. Les barils ou les caisses sont amenés à bord juste avant l’appareillage lorsque le navire est en rade. Aucun feu n’est autorisé à bord excepté le fanal du puits. Des toiles sont placées sur le parcours et les hommes sont nu-pieds. Les barils rejoignent alors la soute aux poudres34. Cette soute est située sous la ligne de flottaison et séparée de la cale par une cloison étanche. L’approvisionnement en poudre est calculé en fonction du nombre théorique de coups tirés par canon embarqué et la charge nécessaire (1/3 du poids du boulet). Avant l’utilisation des caisses en cuivres, les barils contiennent 2/3 de poudre, l’apprêté au combat, ou l’excédant, est placé dans les gargousses. Ces gargousses pleines sont placées dans la soute aux poudres et dans des coffres à fond de cale à l’avant. Avec les caisses en cuivre l’apprêté représente la totalité des poudres. La Marine a dans un premier temps employé des gargousses de parchemin en peau de mouton35. Comme il est dit plus haut, les gargousses pleines sont stockées à la 33 Le Musée de la Marine possède deux mortiers éprouvette. MAR DD2 877, F9 58-60, F9*1146, F9*1147, F9*1148, F9*1150, F9*1272, F9 42 35 l’Armée de Terre employait, quant à elle, des gargousses en serge de laine. 34 36 fois dans la soute aux poudres et dans la cale à l’avant dans des coffres. La Sainte Barbe, entre les baux, reçoit les gargousses vides en paquet et maintenues par des liteaux. Après la Restauration, la Marine abandonne le parchemin pour la serge ou le papier parchemin qui laissent beaucoup moins de déchets dans l’âme des pièces. Pour un canon la quantité de poudre utilisée pour les épreuves est de la moitié du poids du boulet et d’un douzième pour la salut en mer. Pour les caronades la proportion est d’un neuvième du poids du boulet pour le combat et également d’un douzième pour le salut. Lorsque la pièce a déjà tiré plusieurs fois de suite l’échauffement produit donne lieu à certaines précautions comme celle de saigner les gargousses c’est à dire les vider quelque peu. La portée n’en est pas modifiée, on préserve la pièce de l’éclatement et la muraille et les affûts d’une certaine fatigue. Peu après les transformations connues par les bouches à feu avec le rayage et l’ouverture de la culasse, la Marine cherche aussi à améliorer ses poudres. Celles-ci doivent être alors à même d’envoyer des projectiles plus lourds mais avec une quantité moindre. Il s’agit d’avoir des poudres à grosseur variable selon le calibre employé. La finalité étant d’augmenter la vitesse initiale des projectiles sans accroître la pression à l’intérieur de l’âme. En 1864, des essais ont lieu sur les poudres belges de Watteren. Un projectile propulsé avec cette poudre lancé d’un canon de 24cm modèle 1865 sort du tube à la vitesse de 380 m/s. b) les projectiles Est appelé « projectiles » tous corps lancés dans l’espace, mais plus particulièrement ceux lancés par explosion de la poudre. Sur la période qui nous concerne les boulets sont principalement en fer, leurs homologues en pierre ayant disparus depuis de longues d’années. Il existe une gamme variée de projectiles ayant bien entendu chacun des effets différents. Ainsi, selon les dommages que l’on veut faire subir à l’ennemi, certains boulets seront plus préconisés que d’autres. Ces projectiles, nécessaires au service de la Marine, n’étaient pas, comme les bouches à feu, fabriqués exclusivement dans les fonderies de l’état. Toutefois entre 1860 et 1880, Nevers joue le rôle d ’ « usine pilote » à cet égard. Notons également que Ruelle fabrique ses propres boulets uniquement pour son usage propre lors des épreuves et expériences. A partir de 1858, un règlement obligent toutes les fonderies à fabriquer elles mêmes leurs propres boulets d’épreuve. Les fontes employées à leur fabrication étaient en général des fonte de coke et non des fonte au bois comme pour les bouches à feu. Il existait quatre numéros de fonte :n°1, la fonte noire ;n°2, la fonte grise ;n°3, la fonte truitée ;n°4, la fonte blanche. 37 Les boulets étaient obtenus par le procédé de moulage en sable. La préparation du sable se faisait exclusivement à la main et aux pieds. En 1864 des progrès notables sont réalisés dans ce domaine avec l’introduction de machines comme les broyeurs, les mélangeurs, les tamis rotatifs ou à secousses…qui rendent le travail plus facile et plus économique. Dans le procédé même du moulage la production individuelle est augmentée grâce aux machines à mouler avec des plaques modèles, des démouleuses, des machines à démotter, des fouloirs pneumatiques, des machines à dénoyauter… Néanmoins tous ces perfectionnements ne seront pas introduits dans les fonderies de la Marine avant 188036. En 1819, tous les canons lancent des projectiles sphériques avec comme charge ordinaire un quart ou un tiers du poids du boulet. La vitesse initiale du boulet est de 450 à 500 m/s puis de 550 m/s avec l’adoption du boulet creux. Paixhans affirme, en 1822, qu’il est préférable d’augmenter le calibre des bouches à feu plutôt que la vitesse des boulets. Il propose alors des canons capables de tirer des projectiles de quatre-vingt et cent cinquante livres. A cette époque, il est admis qu’une pièce doit faire deux cent fois le poids du projectile, ce qui voudrait dire un canon de huit ou quinze tonnes. Les affûts en bois ne peuvent supporter un tel poids. Les pièces devraient alors subir une charge de poudre de vingt-cinq kg, ce qui n’est pas encore envisageable. La solution vient avec le lancement du boulet creux. Sa vitesse est d’alors de 340 à 380 m/s. Ces boulets sont suffisant puissants pour percer une muraille en bois en ayant à la fois l’effet d’explosion et celui de balistique. Les boulets de fer sont de deux espèces, les uns en fer fondus et les autres en fer forgé. Ces derniers donnant des résultats supérieurs. Leur fabrication se fait dans des moules en sable ou en coquille. Après la coulée, ils étaient mis à « rougir » puis subissaient le battage sur une enclume concave du quart de leur diamètre par un marteau concave de même profondeur. Ce procédé avait l’avantage d’arrondir parfaitement les sphères, de polir leur surface et d’effacer leurs aspérités. Les boulets ronds sont en fer fondus et ne présentent ni cavité ni aspérité, ils sont surtout utilisées pour percer la muraille et abattre les mâts. La plupart des boulets ronds sont renfermés dans le puits à boulets en avant de l’archipompe du grand mât. Ce puits est divisé en compartiments correspondant à chaque calibre. Les abords de chaque pièce sont scrupuleusement étudiés et organisés comme il en sera également fait mention dans le chapitre concernant l’amarrage des affûts. A gauche de chaque pièce se trouve un petit sac généralement en forme de triangle contenant dix boulets ronds. Au dessus, contre le bord et à toucher les boulets ronds sont accrochés quatre boulets ramés et quatre paquets de mitraille. A l’extérieur, dans les batteries découvertes, les boulets ramés et la mitraille sont placés dans des caisses. Pour chaque batterie, il y a deux parcs à boulets de cent projectiles chacun placé au 36 Les productions en mouleries en fonte ne couvraient qu’un faible pourcentage des besoins en artillerie. 38 milieu du bâtiment. Pour la première batterie le premier parc se trouve entre le grand mât et l’écoutille arrière et le deuxième entre les bittes et l’écoutille d’avant. Pour la deuxième batterie, le premier parc est entre le cabestan et l’écoutille arrière et le deuxième en arrière du mât de misaine. Les boulets ramés sont eux aussi soit de fer fondu soit de fer forgé. Ils sont surtout utilisés sur la muraille des gros bâtiments, contre la mâture et le gréement à une distance ne dépassant pas 600 m, lorsque l’objectif est de limiter les déplacements adverses, et contre le personnel à une distance 300 m maximum. Ils sont composés de deux têtes de forme lenticulaire (en fonte grise et serrée), toutes deux réunies par une tige de fer forgé (dit nerveux), rivée à chaque bout et dont la longueur correspond à deux diamètres du boulet. Leur portée est équivalente à celle des boulets ronds. En 1834, cinq boulets ramés sont alloués par pièce et sont accrochés régulièrement le long de la muraille37. Les boulets ramés sont condamnés dès 1851 par la circulaire du 12 octobre 1850. Les boulets de ce type encore existant devront être détruits dans les meilleurs délais. Les boulets enchaînés (dit à l’ange) et boulets brisés sont quant à eux rarement utilisés. Les paquets de mitraille sont contenus dans des boîtes en fer blanc dont la base a le diamètre du boulet. La longueur des boîtes est déterminée par un tarif. Les paquets de mitraille sont efficaces contre les embarcations et les hommes à découvert. Leur action est moindre que les grappes de raisin et passée une distance de deux encablures le tir est trop incertain pour en faire usage(1834). Chaque canon en possède cinq paquets. Ces paquets sont réalisés avec un sac de toile forte où sont organisés en triangle entre neuf et douze balles de fer. Le sac est percé par une tige de fer rivée sur un plateau de fer également du diamètre d’un boulet et d’une épaisseur de quinze millimètres environ. La base du sac repose sur cette espèce de culot et la tige passe dans le vide laissé par les balles, donc dans l’axe. Un menu cordage entrelace le dispositif autour de la tête de la tige en formant une ganse. Les grappes de raisin sont un assemblage de balles de fonte assujetties autour d’une tige de fer qui tient à une plaque ronde de même métal. Celle-ci sert de base au projectile, est du diamètre du boulet. Les balles sont retenues par une « coiffe » en grosse toile peinte, liée en plusieurs sens. Il en résulte une grappe à peu près cylindrique dont le poids et la longueur sont réglés par un tarif. La portée de la grappe de raisin est d’environ deux tiers de celles des boulets ramés. Leurs balles appelées aussi « biscaïens » rompent leur enveloppe au sortir de la pièce puis elles divergent. Utilisées de près elles coupent les manœuvres et blessent les hommes aux sabords, ponts et tous ceux faiblement abrités. En 1834, une pièce possède cinq projectiles de cette espèce à son service. 37 Lettre du Ministre secrétaire d’Etat de la Marine et des colonies à MM les préfets maritimes et Amiraux commandants des Forces navales de Sa Majesté. Comte de Rigny, 1834. 39 Il arrive qu’un canon soit chargé avec plusieurs projectiles sur ordres des officiers supérieurs mais il est bien spécifié que ces cas doivent rester rares et peu répétés. Une telle pratique est réservée au combat vergue à vergue lorsque la précision ne joue plus et qu’il s’agit d’envoyer le maximum de projectiles contre le personnel. Les canonniers peuvent choisir de mettre plusieurs boulets ou un boulet et un paquet de mitraille. Les risques encourus sont l’éclatement du canon, des portées diminuées et inégales et une fatigue excessive de la brague pour un résultat hypothétique. Avec la nouvelle artillerie apparaissent de nouveaux projectiles beaucoup plus puissants. Les obus oblongs reçoivent une charge de poudre intérieure et un mécanisme qui produit l’inflammation de cette charge au moment du choc contre un obstacle résistant. Les boulets creux sont percés par deux orifices. Le premier permet l’introduction de la charge et le deuxième recevait primitivement la mèche qui s’enflammait au départ du coup, plus tard ce fut la place d’une fusée en bois, et enfin grâce au capitaine de corvette Billette, ce second orifice reçut un mécanisme percutant. L’idée de lancer des projectiles explosifs n’est cependant pas nouvelle. Déjà Vauban utilisa huit gros canons de 64 à cet effet lors de la mise en défense de Brest. En 1765, Bigot de Morogues propose l’emploi de boulets creux, enfin, Gribeauval en 1770 et 1778 soumet des obus incendiaires et explosifs au Service de l’Artillerie. Des essais ont lieu à Meudon dix ans plus tard avec des pièces de 36 et 24. Les résultats sont positifs et les obus admis à bord. Admis certes, mais pour une courte durée, puisqu’une nouvelle décision ministérielle décide l’abandon des projectiles de cette espèce à bord des bâtiments de la flotte. Napoléon réintroduit les obus explosifs dès 1813 pour les canons de côte. Malgré les bons résultats obtenus, l’artillerie de mer ne se sert de ces projectiles que pour les mortiers. Il faut attendre les propositions du Général Paixhans en 1824 sur « une nouvelle arme » pour la Marine française pour voir réapparaître les boulets explosifs. L’obus explosif de Paixhans est toujours sphérique mais contient une charge amorcée par une mèche qui doit se trouver dans l’axe du canon. Trois ans plus tard et non sans quelques réticences que la flotte adopte la canon obusier et signe sans le savoir la fin de la Marine à voile. En 1834, les boulets à percussion sont adoptés et mis en fabrication aux forges des Ardennes. Cette date marque le triomphe du canon obusier à projectiles explosifs dans l’artillerie navale. Une ère de progrès s’amorce dans le domaine du projectile explosif aboutit en quelques étapes à l’abandon des boulets pleins. Pourtant, malgré les effets manifestes de ces obus, les canonniers ne les apprécient pas et les trouvent dangereux pour eux même. C’est la raison pour laquelle les boulets pleins perdurent encore sur les bâtiments. Ces boulets massifs, 40 en acier, sont destinés à agir contre les bâtiments cuirassées et ils sont de deux types :cylindriques pour les petites distances et ovigo-cylindriques pour celles plus considérables. Ces projectiles sont munis de deux couronnes de tenons (zinc, cuivre ou plomb) s’engageant dans les rayures. Le projectile cylindro-ogival avec ses tenons pèse deux fois plus qu’un boulet de même calibre et sa charge de poudre est égale au dixième du poids de l’obus. Sa vitesse initiale n’est que de trois cent mètres par seconde. Avec les bouches à feu de modèle 1864, le poids de la charge est réduit à 1/6ème de celui du projectile qui atteint trois fois le poids du boulet théorique. En 1854 sont introduits des obus à balles de 12 cm. Ils sont remplis de soixante quatre balles de gendarmerie et de quatre vingt dix grammes de poudre. Ils sont destinés à prolonger les effets du tir à mitraille au delà des distances desquelles l’action de ces dernières cessent d’être efficace. A cette date, il n’existe pas encore de tables de tir pour ces projectiles. d) le vent La différence de diamètre entre l’âme de la pièce et celui du boulet s’appelle le vent. Il présente comme inconvénient de laisser s’échapper le gaz de la poudre non employé à la propulsion du boulet. Il est toutefois nécessaire à l’introduction de ce dernier. De plus, les projectiles sont susceptibles d’augmenter de volume par l’oxydation et d’autres causes encore (peinture, chaleur…) et l’âme voit son diamètre se réduire de part les résidus de combustion s’amassant à chaque coup tiré. Il n’est peut être pas inintéressant de préciser que les vents des pièces de la Marine sont plus grands que ceux de l’armée de Terre et plus faible dans la Marine française que dans la Marine anglaise. D’autre part, le vent des boulets pleins est plus considérable que celui des boulets creux, dans les canons que dans les caronades et dans les obusiers. Le vent d’un canon de 30 est compris entre 5,1 et 4mm, celui de la caronade de 30 entre 3,4 et 2,3mm et celui de l’obusier de 22cm de 2,2mm (valeur pour les boulets creux exclusivement). Le vent d’un boulet de 36 est de deux lignes six points, celui d’un boulet de 30 à 24 est de deux lignes et trois points, les vents suivants sont diminués d’une ligne six points par calibre. Pour chaque calibre, un vent spécifique est déterminé avec précision pour ne pas qu’il dépasse les limites aux delà desquelles le boulet perdrait son efficacité. En effet, plus un boulet à du vent et moins la poudre est efficace, plus la portée sera réduite et la justesse de tir approximative. Le diamètre prescrit est « calibré » par deux lunettes en métal dont l’une à trois points de plus et l’autre six de moins que le boulet réglementaire. Lorsqu’un boulet ne répond pas ces conditions il est rejeté. Avec l’avènement de l’artillerie rayée, le vent tend à disparaître et les effets nuisibles avec :pertes de gaz, résidus de combustion, battement du projectile dans l’âme et 41 donc déformation de celle-ci à terme. En revanche, le rayage des pièces obligent les obus à être parfaitement sphérique. II. les affûts et leur amarrage Aucune des quarante deux bouches à feu étudiées ne repose encore sur son affût. Ces derniers n’ont pas été joint au don de 1873 qui fit rentrer les pièces d’artillerie navale au musée. Il semble néanmoins primordial d’en faire mention puisque le service des canons n’est pas possible sans leur présence. Et que l’amarrage des pièces à bord s’opère par leur intermédiaire. a) les affûts Il existe un affût spécifique pour chaque catégorie de bouche à feu. Ainsi, les canons reposent, dans un premier temps, sur un affût à roulette dit aussi affût ordinaire. Les caronades ont des affûts à châssis et semelle. Les obusiers sont servis par des affûts à échantignolles. Les affûts sont confectionnées, pour la plupart, par la direction des ports mais il en est fabriqué également à la fonderie de Ruelle. La taille d’un affût doit prendre en compte la hauteur des sabords et le service des canonniers pour qui le travail serait très pénible si l’affût était trop haut ou trop bas (voir Annexe Document 2 ). Le premier tracé d’affût à châssis apparaît en 1842. Son principe est le suivant : le châssis est axé sur un pivot reposant sur des roues et se manœuvre par des palans ou des anspects. Il supporte l’affût proprement dit, frotte énergiquement pendant le recul et peut être reporté en avant grâce à des galets. Le canon repose par ses tourillons sur le corps de l’affût. Les organes de pointage vertical, lié à l’affût, consistent soit en un dispositif à vis placé sous la culasse, soit en chaînes galle supportant le canon à l’arrière du renfort. Les déplacements du châssis, en vue du pointage sont obtenus soit par l’usage du levier directeur, introduit en 1859, soit par une manœuvre par manivelle, une vis sans fin et une roue hélicoïdale, actionnant une roue dentée engrenant avec une circulaire fixée à la plate-forme. Pour limiter le recul, le frottement final était employé, sur les affûts antérieurs à 1872, concurremment avec la brague38.L’adaptation des freins à mâchoires se fera plus tard. Jusqu’à la date du 7 septembre 1848, seuls les affûts ordinaires à quatre roulettes en bois sont réglementaires39sur les navires de l’état. A cette date, le fer est substitué au bois dans les affûts. Cette substitution se fait en partie grâce aux observations faites 38 L’utilisation de la brague se trouve explicitée un peu plus loin dans le paragraphe consacré à l’amarrage des affûts. 39 Sauf pour les obusiers à très vif recul pour lesquels les roulettes arrières sont remplacées par des échantignolles tempérant la force du tir par le frottement sur le pont 42 dans les colonies où les affûts en bois s’abîment relativement vite à cause de la chaleur, des fortes pluies et des insectes. Les nouveaux affûts sont composés comme suit : - deux flasques de forme cylindrique réunies par une entretoise de devant cylindrique, une entretoise de crosse de forme parallélépipédique et un essieu - l’entretoise traversée dans sa hauteur par deux boulons à tête plate à œillet servant d’écrou à vis de pointage et maintenant le coussinet de la crosse qui embrasse la directrice du châssis - un grand châssis composé de deux côtes, une directrice, trois entretoises en bois, une traverse-lisoir pour la cheville ouvrière, deux chapes avec roulettes et une bande d’écartement de chape avec son tenon de manœuvre, servant à embrasser les leviers, pour faire mouvoir le système de direction - le petit châssis composé d’une sellette en fonte, d’une cheville ouvrière et de deux forts madriers assemblés en croix pour maintenir la sellette. Les premières caronades en fer de 36 et 24 modèle an XIII sont d’abord utilisées sur des affûts adoptés en 1787 pour les obusiers (Voir Annexe Document 3 ). Ces premiers affûts de caronades sont à brague courante, celle-ci est très vite remplacée par une brague fixe adoptée en 1811, réduisant considérablement le recul (voir Annexe Document 4 ). L’affût à brague fixe reste en usage, à quelques détails près, jusqu’à l’abandon de ce types de bouches à feu. Les premières caronades sont montées sur des affûts à coulisse beaucoup trop encombrant pour rester longtemps en usage. Les suivants gardèrent néanmoins le principe de glissière. Le gréement des caronade est simplifié. Il était employé deux palans de côté surtout utilisé pour l’amarrage puisque la mise en batterie pouvait être réalisé à bras d’hommes à la différence du canon. Les palans sont abandonnés et les amarrages sont pratiqués en raidissant les bragues par des aiguillettes passées dans les pitons de derrière du châssis et les boucles fixées à leur côtés sur le pont. Avec l’arrivée des canons obusiers, des recherches commencent afin de trouver un modèle d’affût adéquat. Ils sont dans un premier temps monté sur un affût marin ordinaire. Finalement, la Direction de l’Artillerie de Cherbourg propose le plan d’un affût marin modifié en 1838. Le recul très vif de ces canons oblige à changer l’affût classique pour en réduire l’effet. Cette adaptation se concrétisa par l’abandon des roulettes arrière contre des échantignoles plus à même de s’opposer au recul par leur frottement sur le pont. Ce type d’affût peut porter aussi le nom d’affût à double crosses ( voir Annexe document 5 ). L’essieu arrière est remplacé par une large pièce de bois ou entretoise, affleurant l’extrémité des flasques et une lunette à fourche en fer fixée au milieu, sert à recevoir le bec du levier directeur qui porte les roulettes. Une fois le bec engagé dans la lunette et le levier abaissé, l’affût porte sur les deux roulettes avant et sur les roulettes du levier, la manœuvre est alors possible. 43 Les différences entre un affût de canon obusier n°1 et n°2 sont essentiellement la longueur et la hauteur, le reste garde les mêmes dispositions. En ce qui concerne l’affût de l’obusier de 16, le levier directeur à roulettes ne s’impose pas étant donné le poids moins important la pièce par rapport aux modèles de tailles supérieures. De façon globale, les affûts restent longtemps conforme à l’ancienne artillerie avec de faibles modifications. Les réels bouleversements n’apparaîtront qu’à partir de 1880, mais l’on dépasse déjà les limites de l’étude proposée. Une fois embarqués, pièces et affûts restent à poste, leur déplacement reste exceptionnel excepté pour le chargement et le recul, deux mouvements imposés par la nature même des pièces. b) les différents amarrages Il est difficile de décrire une disposition uniforme des pièces pour tous les temps et tous les bâtiments mais un grand principe est néanmoins adopté. L’idée est de placer instruments nécessaires à proximité immédiate des pièces au lieu de les laisser dans les soutes. De cette nouvelle organisation apparaît nettement une simplification et un gain de temps dans les manipulations. Un numéro de pièce est accordé à chaque bouche à feu par batterie. La numérotation commence par l’avant, les numéros pairs étant à tribord et impairs à bâbord. Chaque instrument au service d’une pièce porte le même numéro. L’accessoire essentiel est la brague. Elle est fabriquée à partir de forts cordages torsadés ou lanières en cuir. Elle a pour but de limiter le recul de la pièce pendant le tir, fonction très fatiguante ce qui nécessite de la remplacer fréquemment. Elle est d’attachée à la muraille d’une part et l’affût de la pièce d’autre part. La longueur d’une brague pour un canon varie entre 7,75 et 10,5 mètres et comme grosseur entre 16 et 20 cm. Pour une caronade, la longueur est comprise entre 5,75 et 4,25 m et la grosseur entre 20 et 24 cm. La brague d’un canon est appelée « brague fixe » et celle d’une caronade « brague courante » jusqu’en 1811. L’amarrage à brague fixe des caronades s’opère en roidissant les bragues et en contenant leurs affûts par des aiguillettes passées dans les pitons de derrière du châssis et des boucles fixée sur le pont. Deux palans de côtés servent à la manœuvre de la pièce et contenir le roulis. Le palan de retraite permet à la fois de retenir le canon lors du recul après le tir, de le mettre hors des batteries et à la serre. Ce palan est accroché grâce à la croupière. Lorsque le canon est à la serre, l’estope de culasse permet d’accrocher le palan de retraite, le raban de volée assujettit alors la volée au fronteau de volée et enfin, l’aiguillette bride la brague avec les palans de côté. L’itague, la palanquin et deux rabans ouvrent et ferment le mantelet de sabord. 44 Installer un canon au sabord ou en batterie signifie que les flasques ou le croissant de l’affût touchent la muraille, la volée sort alors au dehors de tout ce qui excède l’épaisseur de la dite muraille. Par beau temps, l’affût est tenu par les palans de côté dont le courant est fixé par un simple tour au collet du bouton de culasse, le canon est dit amarré à « garants simples ». Dans les batteries hautes et par mauvais temps, les canons sont amarrés à garants doubles. La poulie double des palans s’accroche à la boucle de la brague, la poulie simple au piton contre le côté de l’affût. Il est aussi possible de pratiquer deux tours de bouton de culasse aux crocs avec un garant, et trois tours de bridure sur la culasse. Dans les batteries basses et par mauvais temps, la culasse se pose sur la sole de l’affût, le tiers de la bouche environ est appuyé contre la serre au-dessus du sabord, les poulies doubles des palans de côté s’accrochent aux boucles des bragues contre le bord, la poulie simple aux pitons sur l’ardent des flasques. Cet amarrage est appelé « à la serre ». Lorsque les canons possèdent un anneau de brague sur la culasse, il est parfois préférable de les amarrer par la queue des flasques plutôt qu’à la serre. Pour gagner le plus de place possible à bord ou encore pour adoucir le roulis, les canons sont placés le long du bord dans le sens du bâtiment. Cet amarrage est dit en « vache ». Amarrage à garant simple Amarrage à garants double Amarrage en « vache » Amarrage à la serre Illustration tirée du Supplément Neptunia n°93, 1er trimestre 1969, dessin de J. Boudriot 45 Il arrive parfois qu’un canon « démarre » soit en cassant ses gréement soit en obéissant au roulis. Dans ce cas, il est préconisé de ne pas casser les roues de l’affût mais de jeter des sacs de valets sur son passage. Comme il l’a été dit plus haut les instruments sont placés à proximité de la bouche à feu qu’ils desservent. Un certain nombre d’entre eux sont communs à plusieurs pièces40. L’emplacement qui leur est attribué est établi avec une grande rigueur ainsi les boîtes à capsules sont au milieu et au dessous des sabords, le gargoussier à gauche près du sabord, la braille de combat et son flaubert sont accrochés à l’ouverture contre la muraille à demi distance des deux sabords, l’écouvillon et le refouloir sont allongés de chaque côté du barrot placé entre les pièces, les coussins et coins de mire sont entre les flasques et sous la culasse, …il en va de même pour la position des projectiles. Les boulets et valets sont répartis entre la cale, les ponts ou encore près des pièces dans les batteries. Ainsi certains boulets ronds sont disposés à gauche de la bouche à feu dans un cercle de gros cordage, autres sont autour des hiloires et des panneaux. Les caisses de mitraille sont quant à elles stockées en cale et ne sont montées qu’au moment du combat. Les valets sont de huit à douze par pièce. Ils sont liés ensemble de façon à former un plateau rond. Ils se retrouvent parfois dans la braille, contre le bord ou encore en chapelet autour de la volée41. III. la mise de feu et quelques notions principales de tir au canon a) les instruments pour la mise de feu Nous ne reviendrons pas sur les gargousses explicitées plus haut. Néanmoins rappelons qu’il s’agit d’un sac de parchemin, de serge ou de papier parchemin selon les époques, que ce sac est rempli de poudre placé au fond de l’âme de la pièce en liaison directe avec le trou de la lumière. Une fois la gargousse positionnée vient le valet. Le valet est fabriqué à l’aide de vieux cordages liés avec du bitord, il peut être aussi rempli de crin ou d’étoupe. Son diamètre est presque égal à celui de la pièce et d’une hauteur de quelques lignes de plus. Son usage et sa forme vont subir plusieurs changements au cours de la période. D’abord cylindrique, il prend tout à tour après la Restauration une forme sphérique, puis ovoïdale et finalement en couronne, dit aussi valet erseau il fait son apparition en 1836. Ce valet est composé de fil de caret et replié en faisceau. L’avantage de ce type de valet est la simplification des gestes. Il suffit alors d’un seul coup de refouloir pour charger l’ensemble projectile-gargousse. Les valets 40 Par exemple le tire-bourre, cuillère, écouvillon et refouloir sont partagés entre quatre pièces sur certains bâtiments. 41 Notons également que les armes d’abordage destinées aux chefs de pièces sont disposées avec symétrie près des pièces ou aux alentours. 46 cylindriques restent en usage dans les fonderies où ils servent pour les épreuves. Ils sont d’ailleurs fabriqués de manière strictement identique par tous les établissements (même poids, même calibre). Dans l’âme se succèdent ainsi la gargousse, le premier valet, le boulet et le second valet. Le rôle des valets étant spécifique :le premier favorise l’action de la gargousse et le deuxième évite le déplacement du projectile et pallie en partie aux inconvénients dû au vent. Toutefois l’usage du premier valet va se perdre sous la Restauration. Coupe longitudinale d’un canon chargé42 1 gargousse 2 premier valet 3 boulet 4 deuxième valet Une fois le dispositif de charge en place, il existe diverses manière d’opérer pour la mise de feu. La gargousse est d’abord percée au moyen du dégorgeoir pour permettre la communication du feu. Pour mettre la feu, l’usage du boute feu ou miche a été longtemps de mise, tenu constamment enflammé il embrasait la poudre qui remplissait la lumière. Le coussin et deux coins sont placés sur la sole de l’affût pour élever le canon au pointage. L’anspect ou levier permet au servant de gauche de pointer, la pince, elle permet la même opération au servant de droite. Le tire-bourre et la cuillère déchargent la pièce. 42 Illustration tirée du Supplément Neptunia n°93, 1er trimestre 1969 Dessin J. Boudriot 47 La platine ou batterie est le ressort qui met le feu à la charge. Au début du XIXème siècle, la platine fit son apparition. Elle était fixée invariablement par deux vis à écrou et à tête contre une plate-bande faisant corps avec le canon. Elle comportait un bassinet rempli de poudre et un chien garni d’une pierre de silex. Tout le mécanisme était recouvert par un emboîtement en cuivre et mis en mouvement par une gâchette extérieure à laquelle était attachée une ficelle, dont la longueur permettait au chef de pièce, placé hors de portée du recul, de faire partir le coup, par un effort sec de traction, dès le pointage réalisé. En 1833, à l’initiative du colonel Jure, la mise de feu connaît quelques changements. La platine est remplacée par un simple marteau à percuteur. L’amélioration est notable puisqu’il n’y a plus qu’un coup raté sur vingt contre un coup sur quinze avec la platine. La boîte à capsules est un petit tuyau fait d’une légère feuille de cuivre contenant de la poudre fulminante pour mettre le feu à la poudre au moyen de platines à pistons ou à percussion. La corne d’amorce est l’étui qui contient la poudre d’amorce pour les platines à pierre ou pour le cas où l’on n’a plus de platine. Le dégorgeoir sert à dégorger la lumière et crever la gargousse. L’épinglette sert à diriger la poudre dans la lumière. La boîte à étoupille est un tuyau en plume plein d’artifice et met aussi le feu à la poudre. Le doigtier fait de forte peau que le chef de pièce met à son doigt pour pouvoir boucher la lumière quand la pièce est très chaude. Le couvre-lumière et ses rabans couvrent la pièce quand elle est au repos. La lumière est en outre fermée par un bouchon d’étoupe, garni de suif nommé « étoupillon ». La tape ferme la bouche de la pièce. Le gargoussier est la boîte dans laquelle on apporte de la soute, la gargousse ou le sac contenant la poudre. Le boutefeu avec sa tresse permet, lorsque l’on amorce avec de la poudre, de mettre le feu à la charge. L’écouvillon permet de nettoyer la pièce après le tir43. Le refouloir sert à enfoncer la charge. La braille contient l’eau pour mouiller la poudre qui peut tomber sur le pont et sert à rafraîchir la pièce. Le faubert est au service de la braille. Le dessin de tous ces instruments figure en annexe Document 1. Sur les grands bâtiments, deux canonniers disposent d’un grand sac contenant un vilebrequin, quatre vrilles, un tournevis, quatre platines, des étoupilles s’il y a lieu, de la ligne pour platine et du vieux linge, pour obvier aux accidents. Sur les bricks et les bâtiments en dessous il n’y a qu’un seul grand sac. 43 pour la pièce de 12, l’écouvillon, le refouloir, la cuillère et le tire-bourre sont sur la même hampe. 48 b) le pointage et les portées Le pointage est régi par deux grands principes : la ligne de mire et la ligne de tir. De l’association de deux résulte la trajectoire effective du projectile. La ligne de mire correspond à l’axe prolongé indéfiniment reliant le point le plus élevé de la plate-bande de culasse et du bourrelet. Il s’agit en fait de la direction que doit prendre la pièce pour atteindre son but. La ligne de tir correspond à l’axe même de la pièce c’est à dire le milieu de l’âme prolongé lui aussi au delà de la bouche. C’est la direction que prendrait le boulet s’il se déplaçait en ligne droite. Le prolongement de ces deux lignes se coupe à une certaine distance de la bouche. Au delà de ce point la ligne de mire passe sous la ligne de tir et leur écartement s’accroît d’autant avec la distance parcourue. L’angle formé est nommé « angle de mire » dont ouverture dépend de la différence entre le diamètre de la culasse et la volée du canon ainsi que de sa longueur. En conséquent, le boulet qui était dans un premier temps au dessous de la ligne de mire est bientôt au dessus. Par l’effet de la pesanteur, le boulet retombe et coupe une seconde fois l’axe. Ces deux points sont appelés le « but en blanc ». Le premier est peu utile pour le tir au canon , le deuxième est appelé « but en blanc naturel » quand la ligne de mire est horizontale et « but en blanc » dans les autres cas. C’est donc naturellement que l’action de viser directement par la ligne mire un point donner s’appelle « pointer de but en blanc ». Cette distance résulte de deux facteurs :l’angle de mire (plus il est grand et plus le boulet s'élève au dessus de la ligne de mire) et de la force de la poudre de par sa qualité et sa quantité qui conditionne la vitesse du projectile. Croquis ligne de mire, tir et but en blanc (Illustration reproduite de la Lettre du Ministre de la Marine et des Colonies du 25 mars 1834) Le pointage d’un canon se fait en dirigeant son axe de dix-huit à vingt degrés à droite ou à gauche de la ligne de travers. Sans coussin ni coin de mire, cet axe peut s’élever d’environ quatorze degrés au dessus de l’horizon. avec un coussin et/ou des coins de mire il s’abaisse entre six et sept degrés. 49 Pour les caronades, le pointage est d’environ vingt-huit degrés à droite et à gauche de la ligne de travers. Les caronades peuvent être munies ou non de vis de pointage afin de les élever ou de les abaisser. De plus, le levier en fer tient la semelle par une goupille pour lui donner la direction convenable. Ce levier peut être suppléé au besoin par des anspects et des pinces. De la même façon sans coussin et coin de mire l’axe peut s’élever à treize degrés au dessus de l’horizon et de seize degrés sans la vis. Avec la vis l’axe s’abaisse en dessous de cinq degrés et de quatorze degrés avec un coin de mire. Dans la Marine, le pointeur doit savoir corriger les conditions inhérentes à la navigation. Ainsi, le tangage, le roulis ou encore la très grande marche du bâtiment sont autant d’effets auxquels il faut palier. Le tangage change sans arrêt les points les plus élevés de la culasse et de la volée. Le tir s’effectue alors pendant la pause. Le roulis modifie l’angle que fait la pièce avec l’horizon, le canonnier doit alors donner à l’avance une hauteur convenable pour anticiper le mouvement. La marche du bâtiment peut être compensée en visant un peu en avant du point à frapper. Cet effet est assez peu sensible est rarement pris en considération puisque souvent la marche du bâtiment adverse allant dans la même direction corrige l’inconvénient. Les pointeurs doivent dans tous les cas faire preuve d’habileté et d’intelligence pour atteindre leur but. Il reste néanmoins très difficile de parer à tous les effets et un tir mal ajusté peut toutefois porté ses fruits. Un boulet qui arrive trop haut a des chances d’endommager les mâts et trop bas, avec l’effet de ricochets, peut frapper la coque. Avant l’adoption de la hausse, le chef de pièce opère surtout grâce à son coup d’œil et les distances de tirs sont annoncées dans les batteries. De plus, la fumée et le désordre sont autant d’éléments qui compliquent la tâche. Il existe néanmoins des tables de tir mais celles-ci sont alors difficiles à utiliser faute de hausse. Sous la Restauration, des échelles de pointage sont établies, elles sont confiées aux officiers. Ces échelles déterminent ce qu’on appelle les « hauteurs fictives » qui sont l’élévation des mâtures de divers bâtiments et l’indication suivant la distance de la partie du gréement à viser pour atteindre la flottaison, les gaillards,…etc. Par exemple, pour toucher les gaillards d’un vaisseau de premier rang situé à 1100 m, il faut viser au niveau de la hune du grand mât avec un canon de 36. Il s’agit là d’un réel progrès mais les véritables perfectionnements en matière de pointage arriveront avec la hausse en 1835. La hausse va transformer le travail du chef de pièce pour le pointage. Cet instrument est placé sur la pièce pratiquement à la hauteur des tourillons. C’est un fronton de mire portant un guidon sur sa partie supérieure. Une tige mobile coulisse dans une boîte adaptée à la culasse. La tige est surmontée d’un chapeau portant un cran de mire. La valeur dont la tige doit être élever s’appelle la hausse et se calcule en fonction de tables spécifiques. Ces tables correspondent au tir effectué :à un seul projectile, à deux boulets, à la mitraille ou encore à un boulet et 50