« Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb

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« Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb
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« Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb ! »
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés
Jean Vigreux
Université de Bourgogne
Les deux composantes de la vie politique française se réclamant de l’écologie (Chasse, pêche, nature et
traditions – désormais CPNT – et Les Verts) entretiennent des rapports houleux. A l’heure où ces deux
formations connaissent un certain déclin, induisant un repli identitaire et sectaire, les insultes refleurissent.
Toutefois, elles caractérisent sur un temps relativement moyen, près de vingt ans (1989-2007), les relations
entre les deux partis politiques et leurs alliés. Les attaques verbales fusent, accompagnées parfois par des
gestes, voire des violences physiques. Ces tensions s’insèrent dans un débat où la ruralité est à nouveau un
sujet politique, un sujet d’affrontement. Comme si la France laissée en jachère, où les services publics
ferment l’un après l’autre, redevenait un enjeu du combat et des luttes, réactivant un vieux clivage
« ville/campagne ». C'est ce que suggèrent avec finesse les géographes Michel Bussi et Loïc Ravenel, dans
leur étude sur « écologistes des villes et écologistes des champs »1. Le clivage est connoté, il s’inscrit dans
une vision passéiste des sociétés rurales, marqué de l’empreinte de l’agrarisme politique des années 1930,
voire de Vichy, soulignant la « dichotomie tradition/modernité »2. Or lorsqu’il s’agit de lutter pour
s’approprier un territoire, pour ne pas dire un terroir, le verbe, les mots nourrissent les discours et diatribes
politiques. Après avoir souligné la variété des insultes, relevant de registres divers, il sera utile de souligner
en quoi ces insultes permettent de lire deux modèles d’une ruralité idéalisée par chacun des camps.
Choses lues, choses vues : un large spectre d’insultes
Les charges de CPNT
La presse écrite, parfois les pancartes ou les slogans lors de manifestations témoignent de cette violence
verbale. Philippe Dumas, responsable d’un site hostile à la chasse, en fait les frais :
« Gros con. C’est à cause de fils de putte de ton espèce que la chasse est désservie (sic) en France. Tu m’a l’air
d’être aussi stupide que Voynet qui n’a rien compris à la chasse. En plus cette pétasse, confond le vert et le rouge
[des communistes], je suis sur que tu doit être assez con pour être atteint de la même maladie. Ne t’inquiète pas
la chasse ne disparaîtra pas donc ton site à la con tu peut le foutre à la poubelle il ne sert strictement à rien, à part
à satisfaire quelques pédés comme Noël Mamère. C’est du propre de s’identifier à un tel type de politiques qui
ne connaissent absolument rien à ce qu’ils prônent. Sache que la chasse ce n’est pas un sport qui est pratiqué par
des alcoolique !!!!!!!!!!!!!!!!! »3
Ou encore :
« Ton macareux moine il est moche, COMME TOI. T’es qu’un Gros connard qui sait pas peindre.
OHHHHH !!!!!!!!!!! PHILIPPE !!!!!!!!!!!!!!! on, va venir chez toi !!!!!!!!!!!!!! On sait où t’habites !!!!!!!!! Si j’étais
toi, je déménagerais gros PD d’écolo de mes couilles !!!!!!!!!
1
Michel Bussi et Loïc Ravenel, « Ecologistes des villes et écologistes des champs : analyse spatiale de l’implantation
en France des partis écologistes et ‘Chasse Pêche Nature et Traditions’ », Cybergeo.presse, n° 205, 18 décembre 2001
(www.cybergeo.presse.fr/ectqg12/bussi/bussi.htm)
2
Céline Vivent, Chasse, pêche, nature et traditions entre écologisme et poujadisme ?, Paris, L’Harmattan, 2005.
3
13 décembre 2000. Adresse du site : http://phdumas.club.fr/accueil.htm (les fautes d’orthographe n’ont pas été
corrigées).
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.
Moi je T’ENCULE PHILIPPE. Si tu veux me Répondre, ya pas de problèmes. Tu veux qu'on se rencontre, ya pas de
problèmes. Tu veux que je t’offre un allez simple de mon poing dans ta gueule, ya pas de problèmes.
Ya pas de problèmes à par toi alors écoutes-moi bien : "Quand je vais te revoir, t’as intêret à courir (comme un
lapin !!!!!) parce que moi, je vais pas te manquer ! » 4.
Un tel chapelet d’insultes, fondé sur un registre sexuel et animalier, tend à exprimer la haine de certains
chasseurs envers les écologistes dits dans ce cas précis « des villes » ; il s’agit là de leur dénier le droit
d’avoir un regard sur les affaires du monde rural.
Dans une enquête récente du Parisien Aujourd’hui en France, un article est consacré aux caisses noires de
CPNT ; un chasseur mis en examen déclare au journaliste : « J’en connais quelques-uns dans le secteur qui
sont prêts à flinguer. Si Voynet se pointe, elle repart dans une boîte à conserve » ou d’ajouter « Si on
m’emmerde, je vendrai tout et je partirai au Paraguay. Là-bas, il y a des canards et pas de loi »5. Dans le
même dossier, un des fondateurs de CPNT, Hubert Balédent, dénonce les dérives du mouvement. Il a
retrouvé sur sa porte des corbeaux cloués ; ce qui signifie qu’on lui jette un sort mortel.
Ainsi les chasseurs ont-ils construit un discours spécifique où les registres variés de l’insulte
participent à la constitution du groupe et de son identité. Pourtant, les Verts et leurs alliés ont su
répondre avec un répertoire parfois très proche. La concurrence et la proximité, la certitude partagée
d’être les vigies de la nature et du monde rural, invitent à se situer dans les mêmes champs de
l’insulte.
Les Verts et leurs alliés ne sont pas en reste…
L’insulte mêlée de moquerie revêt alors un caractère particulier. Plusieurs dessins, repris à maintes reprises
dans la presse écologiste, résument assez bien cette ambiance :
Caricature de Jef, visible sur le site
http://tierrechte.net, rubrique "cartoons"
4
5
Ibid., 27 novembre 2000.
Le Parisien Aujourd’hui en France daté du 13 juin 2006
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.
L’image du « beauf », popularisée par les dessins de Cabu ou encore par la chanson d’Henri Tachan
participent à cette vision particulière du chasseur :
« Sur une boîte de conserve, sur un pigeon d’argile, vains dieux, c’est pas pareil :
Pour les chasseurs, les vrais, il faut de la chair tiède avec du sangVermeil,
Pour les chasseurs, les vrais, il faut que ça palpit’e de plumes et de Ramage,
Il faut que ça ait peur, il faut que ça se sauve, bref, que ce soit "Sauvage"...
La Chasse,
C'est le défoul’ment national, c’est la soupape des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix !
Chaque mois de septembre, le plumet au chapeau, ils part’ent comme en Quarante,
Ranimer la flaflamme du Chasseur Inconnu qu'avait du poil au ventre,
En cart’e comme les putes, ils dragu’ent à Rambouillet, ils tapin’ent en Sologne,
Mais quand ils tir’ent leur coup, le client de passag’e se réveille Charogne...
La Chasse,
C'est le défoul’ment national, c’est le coït des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix ! 6
Regardez-les marcher, l’arrogance au visage, le cœur sur la gachette,
Ces spadassins rentrés, ces héros d’Epinal, ces tueurs de fauvettes,
Regardez les marcher, ces Zaroff de banlieue, ces Hemingway d’Neuilly,
Vers le trou à lapin, vers la mare à canards, y fair’e leur safari...
La Chasse,
C'est le défoul’ment national, c’est la Villette des frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix !
Les soldats ça s’enraye, les soldats ça se rouille, c’est comm’e les Carabines,
Le servic’e militair’e ça s’continue plus tard à coups de chevrotines :
Pour le chasseur français y avait le perdreau boche ou le lièvre fellouze,
Pour le chasseur franquiste l'anarchiste rouge-gorge et la chienne Andalouse...
La Chasse,
C'est le défoul’ment national, c’est le p’tit Vietnam des Frustrés,
La Chasse,
C'est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix,
De paix ?! ».
S’inspirant de ce registre « guerrier », Maurice Rajsfus dénonce le « Gros con s’en va t’en guerre... ». 7 En
voici quelques extraits :
« Soyons plus vulgaires. Parmi ces chasseurs qui s’avancent en rangs serrés pour participer à la création d’un
ordre nouveau où chaque citoyen serait armé pour tuer tout ce qui bouge — y compris les opposants à leur projet
de société — il est possible de décliner à l’infini ce mot en trois lettres. Il y a le con qui s’ignore, celui qui
persiste, le con triste et le joyeux con. Nous trouvons également le con hébété, le con effaré, le con militant, le
con obstiné. Si le con naïf se rencontre fréquemment, il côtoie souvent le con vindicatif, le con distingué et le
con vulgaire, le vieux con et le jeune con (le plus dangereux car il a l’avenir devant lui). Sans oublier le con
divergent, le méchant con, le mauvais con et le sale con, le grand con et le roi des cons. Comme il convient,
malgré tout, d’être charitable, cette classification ne doit pas oublier en chemin : le con banal et le con ordinaire,
le con méritant et con halluciné.
Chacun d’entre nous peut compléter à loisir cette liste interminable d’individus ayant droit à ce qualificatif, tout
en prenant bien garde de ne pas oublier que ceux que nous combattons, en première ligne, sont loin d’être aussi
cons qu’ils ne peuvent en avoir l’air ».
6
7
Henri Tachan, La Chasse.
Maurice Rajsfus, Gros con s’en va t’en guerre, No Pasaran ! mensuel antifasciste (juin, juillet, août 2000).
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.
Tout est dit dans ce réquisitoire, qui non seulement ridiculise les chasseurs, mais aussi qui leur
dénie le droit d’être citoyens pensants, les réduisant à un état primaire, voire « primate ».
Ainsi tout un champ lexical de l’insulte livre-t-il un portrait peu flatteur du chasseur, considéré comme un
être sanguinaire et limité intellectuellement. Or de tels propos suscitent aussi des réactions qui peuvent
conduire à d’autres violences…
De l’agression verbale à l’agression physique
Une telle charge participe également à cette guerre des mots où l’assaut verbal entre chasseurs et écologistes
peut évoluer en assaut physique ; de la provocation, de l’insulte aux gestes, il n’y a qu’un pas. Lors du
meeting de CPNT à Hesdin (Nord) le 10 avril 2002, Yves Butel, député européen, après s’être moqué de
Dominique Voynet et de Guy Hascoët, en appelle à « chasser deux nouvelles espèces : Le Mamère à
moustache et le Cochet frisé. » 8 On comprend ainsi la déclaration de Jean-Claude Lefeuvre, professeur,
ornithologue du Muséum national d'histoire naturelle, auteur d’un rapport pour le gouvernement Jospin : « le
gros problème, avec certains chasseurs, c'est que lorsque des données scientifiques ne leur plaisent pas, leur
riposte, c'est l'insulte 9 ».
Les rassemblements organisés par Allain Bougrain-Dubourg et la ligue protectrice des oiseaux (LPO) dans le
Médoc à l’occasion de l’ouverture de la chasse à la tourterelle suscitent souvent des affrontements autour du
1er mai 10. Les cris, les insultes et les coups pleuvent. Ainsi le 1er mai 2004 : « Va donc te pacser avec
Mamère » crie un chasseur au dirigeant de la LPO. Puis les œufs atteignent Allain Bougrain-Dubourg au
visage ; de retour dans sa voiture, il s’adresse à l’ex-secrétaire général du comité tourterelle :
« Dis bien à ces connards qu’aujourd’hui, à l’heure où vingt-cinq pays sont dans l’Europe, la chasse à la
tourterelle, c’est fini, foutu définitivement […] » 11.
Les agitations plus musclées ont également ces dernières années caractérisé certaines pratiques comme celle
de la baie de Somme où Vincent Peillon, alors député socialiste, a été « sauvé » le 22 avril 2000 par les
gendarmes (voir, sur le site « Insulte », la page consacrée à ces événements) Des chasseurs lui reprochaient
d’avoir trahi leur cause ; il fut contraint de quitter les lieux en hélicoptère sous les insultes et les projectiles.12
Lors de la campagne récente des élections présidentielles, Dominique Voynet, invitée comme d’autres
candidats à s’exprimer devant la Fédération nationale des chasseurs à la Maison de la chimie n’a pas hésité à
provoquer les chasseurs. Son, discours se trouve encore en ligne sur son blog 13. En voici quelques extraits :
« Je ne suis pas venue faire la danse du ventre devant vous » ; « lorsque j’ai retiré l’ortolan on m’a dit que je
tuais une deuxième fois François Mitterrand ». Continuant sur sa lancée, comme le signale la journaliste de
Marianne Anna Borrel, Dominique Voynet « a rappelé que certains avaient trouvé drôle d’amener des
poupées gonflables à son effigie dans des manifestations et de lui envoyer des menaces de mort quand elle
avait retiré l’ortolan de la liste des espèces ouvertes à la chasse » 14. Ensuite, elle ironise sur les
manifestations violentes de chasseurs qui ont « nourri les hauts faits de CPNT » et déplore le fait qu’ils
« fassent si peu pour la conservation dans la nature ». Accélérant son débit oral, la candidate écologiste
s’attaque à la « mythologie de CPNT » selon laquelle les chasseurs seraient « les premiers écolos de
France », mettant en doute leur capacité « à contribuer à la régulation des espèces » d’autant qu’ils
s’emploient à « la mise à mort d'animaux qui appartiennent au patrimoine commun. [Tumulte, brouhaha
inaudible et cris] » 15. Puis elle ironise sur leurs statuts qui rappellent le vote censitaire ; enfin, elle menace :
« méfiez-vous lorsque je reviendrai au pouvoir ». Ici, les registres de l’insulte ne sont pas toujours explicites,
mais le lieu, l’auditoire, le moment, les attaques permanentes font insulte et même violence. Cela se mesure
8
« CPNT fait de la ruralité une chasse gardée », La Voix du Nord, 12 Avril 2002
Libération, 3 novembre 1999.
10
« Chasse à la tourterelle : l’apaisement, c’est pour plus tard… », Journal du Médoc, 6 mai 2004.
11
Ibid.
12
S’agit-il d’une violence traditionnelle, « atavique » ? Voir Nathalie Duclos, Les violences paysannes en France, Paris,
Economica, 1998.
13
http://blog.voynet2007.fr/sons/voynet-chasseurs.mp3
14
Anna Borrel, « Voynet canarde les chasseurs », Marianne, 20 février 2007.
15
Anna Borrel, loc. cit.
9
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.
par les réactions de l’auditoire : « Huées dans la salle, agitation, « Dehors ! » crie le public »16. Les chasseurs
se sentent agressés sur leur propre terrain…
Deux modèles de la ruralité
« CPNT est porteur d’une écologie de terrain, en opposition avec l’écologie citadine. Pas mal de gens se
retrouvent dans nos discours sur valeurs de ruralité, comme l’aménagement du territoire équilibré et l’analyse
des services publics en milieu rural. Nous sommes les vigies du monde rural » 17.
Ce judicieux constat montre en fait quel est l’espace occupé par CPNT. Il s’agit de canaliser tout un courant
régionaliste, traditionaliste. Mais derrière la mise en scène et la folklorisation, la quête d’un « âge d’or » met
en avant la crise du monde rural qui semble abandonné, voire sacrifié, sur l’autel des politiques exigées par
les politiques européennes et de celles que mettent en œuvre les gouvernements de gauche comme de
droite.18
Dès lors, pour CPNT, il est utile de dénoncer les lointains fonctionnaires européens et l’écologie des villes,
afin de se présenter comme véritable défenseur de la nature, des traditions. Il s’agit aussi de riposter contre
les associations de défense des animaux, en particulier des oiseaux migrateurs. C’est sur cette pierre
d’achoppement qui se joue souvent dans un cadre juridique que CPNT défend la chasse.
De fait, les campagnes françaises connaissent un malaise grandissant, lié à une politique d’abandon des
services publics de proximité au nom de la rentabilité ; après les fermetures des écoles, ce sont les fermetures
des bureaux de postes qui frappent le monde rural. Ainsi le tissu de solidarité est déconstruit et CPNT peut
exploiter le mal-être d’un monde rural qui doit en même temps faire face aux crises répétées de la production
agricole : les mesures liées à la réforme de la Politique agricole commune conduisent à l’extension des
jachères tandis que sévissent les crises de la « vache folle » ou du mouton, liées aux dérives du système
productiviste. CPNT redonne alors confiance et fierté aux « délaissés du système ».
Le discours tend aussi à diaboliser les Verts, alors que CPNT se présente comme un mouvement
écologiste autrement, appuyant son argumentaire sur une étude du CSA :
« 76 % de l’électorat CPNT tient à la valeur ‘nature’ défendue par le mouvement contre 49 % à peine pour la
valeur ‘chasse’, qui reste derrière la valeur ‘pêche’ (55 %) et la valeur ‘traditions’ (50 %) » 19.
C’est ce qui fait la complexité et la variété de CPNT. Comme le rappelle Henri Sabarot, maire de CarcansMaubuisson et conseiller régional CPNT, président de la puissante Fédération des chasseurs de la Gironde :
« L’électorat CPNT est avant tout rural. C’est celui des petites communes, de la campagne. Il y a une dizaine
d’années, la majeure partie de notre électorat était celui d’une contestation au niveau de la chasse. Il a pas mal
évolué au fil des élections. Actuellement, il se compose d’un tiers à peine de chasseurs. Le reste est un vote de
sympathie, mais surtout de plus en plus de ruraux qui votent pour des valeurs de défense de l’environnement.
CPNT est porteur d’une écologie de terrain, en opposition avec l’écologie citadine. Pas mal de gens se retrouvent
dans nos discours sur valeurs de ruralité, comme l’aménagement du territoire équilibré et l’analyse des services
publics en milieu rural. Nous sommes les vigies du monde rural. »20
Ainsi, en 2007, le candidat de CPNT se présente comme le seul défenseur du monde rural, ayant pour projet
« la ruralité d’abord », afin de souligner « qu’il n’y a pas de français de seconde zone et que tout le monde a
droit à sa part de progrès et de développement » 21. Il poursuit en indiquant que la ruralité représente 15
millions de français. Le candidat de CPNT n’a pas signé le pacte écologique de Nicolas Hulot « car il utilise
les vieilles recettes qui ne fonctionnent pas, il faut donc passer à une écologie incitative qui poussera les
Français à adopter une attitude beaucoup plus écologique ». Enfin, Dominique Voynet n’est pas « la
16
Ibid.
La déclaration figure sur le site de CPNT.
18
Voir entre autres, Pascal Perrineau, Colette Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus. Les élections présidentielles et
législatives de 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
19
Sondage cité par Christophe Traïni, « Les braconniers de la politique. Les ressorts de la conversion à CPNT »,
Cahiers n°28 du CEVIPOF, juin 2000.
20
Entretien publié sur le site de CPNT en 2000 (non archivé).
21
Propos de Frédéric Nihous, candidat CPNT aux élections présidentielles de 2007. http://www.nihous2007.fr/
17
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.
candidate officielle de l’écologie et il rejette son écologie punitive qui ne fonctionne qu’à coup de taxes »22.
A contrario, les Verts se proposent de défendre une ruralité loin des systèmes productivistes, ils s’emploient
à sauvegarder la nature – une nature parfois idéalisée, où l’homme respecte les équilibres. Il s’agit
d’entretenir, mais aussi de développer avec équilibre dans le cadre de chartes de l’environnement le monde
rural. Cette concurrence entre les deux formations est bien perçue par le Vert Noël Mamère : « l’émergence
de CPNT comme force politique dans le milieu rural doit être prise au sérieux et analysée comme une
recherche de dignité humaine face à la domination d'un monde urbain sans convivialité et niant les valeurs de
la nature 23 ». Deux écologies irréconciliables ?
Conclusion
Il est certain que les propos insultants, qui ne brillent pas par leur finesse, permettent de (re)souder chacun
des camps ; la mise en scène de l’adversaire, la désignation de l’ennemi créent la culture propre du groupe,
son identité. Les insultes participent alors au processus de définition du « bien » et du « mal », des valeurs de
chaque formation. A ne vouloir étudier les rapports CPNT-Verts que sous cet angle, on peut néanmoins
passer à côté d'une réalité plus complexe, celle de la défense de la ruralité. S’agit-il d’une « révolte des
terroirs », selon les mots mêmes des dirigeants de CPNT ou de la défense de l’écosystème remis en cause par
le système productiviste selon le champ lexical des écologistes ? Ce qu’il s’agit ici de prendre en compte,
c’est donc à la fois l'écologie des villes et l'écologie de campagnes…
Voir aussi
Sur le site insulte, les violences de la baie de Somme.
22
23
Ibid.
http://www.les-verts.org/primaire/noma.html. [Lien visité en mai 2007, désactivé depuis].
Pour citer cet article : Jean Vigreux, « “Pour la Saint-Valentin, vous aimez un écolo, offrez lui du plomb !”
CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions) et Verts, assauts croisés », site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605,
mis en ligne en février 2008, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique.