La petite maison dans la prairie, l`offre et la demande

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La petite maison dans la prairie, l`offre et la demande
La petite maison dans la prairie, l’offre et la demande. Traditionnellement, les architectes relèvent d’une pratique destinée aux professionnels de la construction tel que promoteurs privés et opérateurs de marchés publics. Enn revanche, elle s’avère peu adaptée aux clients particuliers. Les architectes doivent se réapproprier le marché de la maison individuelle, y compris celle inférieure à 170m². Rapide retour sur l’histoire Dans les années 70, il n’y a pas de seuil obligatoire pour le recours à un architecte pour la construction d’une maison, jusqu’à la dérogation de la loi d’intérêt général de 77. Or, dans les années 70, il y avait beaucoup moins d’architectes qu’aujourd’hui et du travail à foison pour tout le monde. C’était encore les trente glorieuses, l’époque où les bailleurs sociaux choisissaient les architectes dans l’annuaire, lesquels ont donc abandonné sans état d’âme le marché des particuliers. Cinquante ans plus tard, il y a désormais 30 000 architectes en France (dont un tiers en Ile‐de‐France) qui, dans une économie de restriction drastique budgétaire, n’ont plus assez de projets publics tandis que la promotion privée a pris la haute main sur l’exécution des travaux. Pour le coup, il est peut‐être temps de lever les malentendus, dont le premier est que les architectes, faute de formation commerciale en ce sens, n’ont pas appris à communiquer auprès des particuliers, à l’inverse des constructeurs de maisons individuelles dont les commerciaux occupent le terrain à plein temps. Pourtant, les architectes ont souvent une image positive aux yeux du grand public. En effet, qui ne veut pas d’une maison d’architecte ? Les gens croient que l’architecture est par nature réservée aux marchés publics, aux équipements ou encore villas exceptionnelles. Or, le client privé qui vise souvent dans la construction de sa maison une ambition qui lui est propre, cherche en tout premier lieu un professionnel, fut‐il architecte, qui va le rassurer et lui garantir la réussite de son opération. Dit autrement, la demande existe mais l’offre par les architectes fait défaut. Trop de professionnels dans l’annuaire, le client particulier s’y perd. D’autre part, le discours qui tend parfois à se généraliser, c’est penser qu’une maison sur mesure revient trop chère au lieu de penser qu’une architecture maîtrisée est facteur d’économie et de qualité. A l’inverse, la proposition clé en main des constructeurs rassure par l’offre catalogue, et ce malgré les inepties vendues à la décharge du client, tant sur le plan fonctionnel que contextuel. Deuxième gros malentendu, l’architecte serait plus cher. Cette assertion défie pourtant toute logique. Même si l’architecte prend de 12 à 15% sur le montant des travaux, ces honoraires demeurent moins onéreux pour une prestation bien plus qualitative, comparé aux 30% de marge du pavillonneur. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le prix à la revente de la maison d’architecte. Qui plus est, quand un architecte construit des maisons, il connaît les prix des matériaux et de la main‐d’œuvre et, à qualité égale, grâce à son concours, les artisans locaux sont souvent mieux rétribués que les sous‐
traitants polonais des constructeurs. Bref, la maison d’architecte de monsieur tout le monde devrait être une solution gagnante tant pour le maître d’œuvre que pour le maître d’ouvrage puisque ce n’est même pas une question de prix. Le plus ironique dans l’affaire est que, suite à différents abus, le contrat de maison individuelle, apparu dans les années 80 à fin de protection des consommateurs, n’a eu de cesse de se renforcer mais en améliorant les assurances a posteriori des clients, lesquelles se révèlent de toute façon peu protectrices des risques de malfaçons invisibles pour un non‐sachant. Or un architecte est obligatoirement assuré et n’a aucun frein à révéler les malfaçons éventuelles et à les faire réparer bien avant qu’elles ne deviennent problématiques. Pourtant, et malheureusement, les constructeurs de maisons individuelles, sous prétexte d’ouvrage de moins de 170m², contrôlent toujours l’écrasante majorité des affaires. Qu’est‐ce qui ne colle pas ? La densité des architectes français représente la moitié de celle des architectes européens et donc, en théorie, nous pourrions en doubler le nombre. Non que ce soit nécessairement souhaitable mais cette statistique invite cependant à la réflexion. Doubler le nombre d’architectes alors que ceux qui sortent de l’école ont déjà bien du mal ? Une hérésie ? Pas sûr. Considérant que 30% peu ou prou de tout ce qui se construit par an dans le pays est constitué de maisons individuelles, il y a donc pour les architectes un vaste marché à se réapproprier. En toute logique, si les constructeurs se retrouvaient soudain face à une armada d’architectes déterminés, qualifiés et spécialisés, le rapport de force pourrait changer et les hommes de l’art contribueraient alors de façon bien plus conséquente à la qualité contemporaine de notre environnement construit. De fait, à l’heure où tant d’agences d’architecture en sont à pleurer misère, pourquoi les architectes resteraient‐ils absents à ce point de ce marché pendant que d’autres se goinfrent allégrement sur le dos du client ? Il est injuste que tout cet argent investi par des particuliers de bonne foi soit dépensé dans des produits de catalogue de piètre qualité. N’est‐ce pas d’utilité publique et du devoir des architectes de reconquérir ce terrain‐là, constructible d’évidence ? Régis Cognée . 2016 

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