L`émulation et son role dans l`education
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L`émulation et son role dans l`education
lllllLIOTIIÈQUE DE PH I LOSa PH I E CONTEM paRA lNE l~'É~/IUJ~}\T 10 N SON nÔLE DANS L'ÉDUCATION ETl!DE DE PSYCHOLOGIE APPLlQU::E P.\H FRÉDÉRIC !'ro:'GSSl'llr QlJEYRAT dû philusophio a:1 (ul1ègc ¡le :\lauriac. PAUlS LIBHAIHIE 108, llflVLI¡VARD FÉLIX SAI:-;T-G.m~l.\l:-;, ALCAN VIC L'ÉMULATION ET SON RÔLE DANS VtDUCATION LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN DU MÊME AUTECH BllIUOTH;';QU¡'; DE PHILOsOPHIE CO.VTE.lfPORAl.VE L'Imagination et ses variétés chez l'enfant, étuùe de psyr.hologie nppliquée Ù l'éducation intellectuelle. ell volume in-I2, 6" édition .. 2 fr. 50 L'Abstraction .et son rôle dans l'éducat.ion intellectuelle, t\tude de psychologie appliquée. Un volume in-12, ;Je édition .....•.•..... 2 fI', 50 La Logique chez l'enfant et sa culture,étude de psychologie appli'Iuée. Un volume in·12, 5e édition. 2 fr. 50 Les Caractères et l'éducation morale, étude ùe psychologie appliquét~. Vn volume in-H, :s" édition. 2 fI'. 50 Les .Jeu~ des enfants, étude sur l'imagination créal1'icc chez I'enfail!. Un yolume in-I'l, 4e "dition, revue. 2 fr. 50 La Curiosité, étuoe de psychologie lume in-12, 2e édition, revue " appliquée. .. Un YO2 fI', 50 Tous ces ouvrages ont été récompensé,,; par l'Académie des sciences llloralct! et politiques (Prix AudifTr~d, 1911). L'ÉMULATION ET SON RÔLE DANS L'ÉDUCATION ÉTUDE DE PSYCHOLOGIE APPLIQUÉE PAR Q~EYRAT FRÉDÉRIC Professeur de pbilosophie collèp:e de 'fauriac nit PARI S " LIBRAIRIE 108, 'l'ous droits FÉLIX BOULEVARD de reproduction;-de ALCAN SAINT-GERMAIN, traduction 108 et d"adaptation pour tous paJo. BANCO OF l 8IIlUOT6CA LÜ'S " A REPUBLICA • ANGEL ARANGO rê.en'" AV ANT-PROPOS L'impression de cet ouvrage était achevée danE. la première quinzaine de juillet 1911,., C'est dire qu'il a été composé en un temps où rièn ne faisait prévoir l'elTroyable guerre qui vient de se terminer par le triomphe du Droit puissant sur la Force brutale, de la Justice immanente sur l'Iniquité superbe, de la Liberté SUI' le Despotisme, de la Vérité sur le ~Iensonge, de la Civilisation sur la Barbarie, On s'en apercevra de reste au ton calme qui y règne comme à la médiocrité de la plupart des exemples qu'on y troU\'era proposés, en comparaison des faits grandioses dont cette guerl'e nous a donné le merveilleux spectacle. Si, de la part des brutes allemandes, chefs et soldats, nous avons assisté, pour la honte éternelle de leur race maudite, à la plus cynique VI A V ANT- PROPOS émulation dans le crime, én revanche quels admirables. exemples de l'émulation la plus nohle il eùt été possible de relever autour de nous! A 10l'S que nos hérOïc{UeS soldats rivalisaient d'al'deur et d'espl'it de sacl'ifice pour pl'otéger la patrie et remporter la victoire, quelle splendide émulation sc manifestait entre les États-~Iajors pour organiser la défense et pl'épal'cr la bataille; entl'e les établissements indusll'icls de tout genre et l'immense masse des ou \Tiers pour fabriquer.fiévreusement tout ce qu'cxigeaient l'armement et l'entretien de troupes de plus en plus nombreuses; entre (es savantg et les inventeurs pOUl' découvrir ou perfectionner les mécanismes que nécessitait une guerre grillS précédent; entl'c les femmes' mêmos, si vaillantes, non seulement pour soigner hlessés et malades, mais, il défaut des hOUlmes aux armées, pçmr accomplil' les tâchos indispensables à la vie du pays, dans l'enseignement comme aux champs, dans les chemins de fel' et dans les tramwàys comme dans les banq lies et les administrations! Et quel magnifique élan de générosité partout, chaque département, CIHH[Ueville, chaque école s'efforçant à qui mieux ni.ieux, par des collectes de toutc sorto, de contribuer au salut de la patrie! AVANT-PROPOS VII Mais, outre de tels faits, quelle éclatante confirmation de quelques-unes des idées aHir1I\t':esici la guerre ne nous a-t-elle pas fournie! qui oscrait encore contester l'utilité des récompenses pour fortifier l'enfant dans l'accomplisseLlent du devoir, à la vue de tous les moyens Far lesquels on s'est efficacement employé à stimuleI'le zèle de nos soldats et de nos régiments : citations individuelles à l'ordre du jou.r, citations collectives, et création de la croix :le guerre avec étoiles diyerses ou avec palmes; Institution des fourragères aux couleurs de la ~¡'ojx de guerre, de la médaille militaire, de la légion d'honneur? Qui persisterait à nier ['excellence des concours? Exposant l'œuvre d'un des généraux auxquels notre pays doit le plus de ¡'econnaissance, un journaliste écrivait naguère: « Une émulation féconde se créait entre les différentes armes. Chacun prenait davantage conscience de son importance, de sa Yaleul', Des concou¡'s s'ouvraient dans les ¡'égiments, avec des prix qui encourageaient. Chacun voulait être le premier grenadier, le premier bombardier, le premier mitI'nilleur, etc. I )J. Pourquoi l'amouI' du truyuil, ], L'Illustration, n° du 13 avril 1918 : l'OEuvre de Pét3in, VIII A VANT-PHOPOS l'application à une tAche scolaire parfois assez pénible, sans grand intérêt souvent et toujours peu resplendissante, n'auraient-ils nullement besoin d'êtl'e soutenus et excités quand on n'a pas jugé superflu d'aiguillonner les sentiments déjà si puissants par eux-mêmes qui poussent un homme à la lutte pro l!ris et locis, à la défense du sol natal, à la sauvegarde des siens? ~ous avons constaté d'ailleurs, au cours du présent livre, qu'en cequi concerne les exel'· cices physiques, on n'a point manqué de provoquer l'émulation et que ces exercices étaient fort en '"ague dans nos écoles. D'instinct, pOUl' ainsi dire, notre admirable jeunesse s'y pOl'tait, comme .si elle eùt pressenti quels prodigieux efforts la France allait exiger d' elle; aussi, l'heure venue, a-t-elle de façon sublime répondu à son appel. )lais, de quelque utilité que soient les exercices physiques, il faut se garder d'en usel' avec excès, N'oublions pas que l'abus des SpOl'tS fait perdre le goùt au travail intellectuel. Or aujourd'hui, devant nos ruines à relever, nos richesses à l'estaurer et à accroitrc, devant l'œuvre immense qui va s'imposer aux générations nou velles dans la lutte économique mondiale, il est clair que les forces de l'esp,'it ne joueront pas un moindre rôle que les {orees AVANT-PROPOS IX du corps. Il importe donc plus que jamais de développer harmonieu.sement chez nos enfants l'énergie physique et l'activité mentale, et de ne négliger aucun des moyens par lesquels on arrivera à tendre en eux les ressorts de l'intelligence aussi bien que ceux de l'organisme. Formés et entrainés de la sorte, ils poursuiHont dans les luttes pacifiques la gloire que par leur vaillance dans la guerre leurs aînés ont acquise; ils garderont la vitalitéque ceuxci ont manifestée d'une manière si brillante à la face du monde, et de cette vitalité ils trouveront l'utile emploi dans la marche vers la civilisation et le progrès. Leur devise sera: En avant pour la France et l'humanité! 1.2 novembre 1.91.8. PRÉFACE Si la curiosité pousse l'enfant à s'instruire, l'émulation est à cet égard un stimulant plus puissant encore. Aussi nous a-t-il paru utile de compléter l'étude de l'une par celle de l'autre. L'émulation a d'ailleurs été, plus encorc peut(~tre que la curiosité, l'objet de jugements contl'adictoires, pal'ce qu'elle est susceptible, elle au.ssi, de s'égarer ou de se corrompre. Il n'est donc pas sans intérèt dc rechercher la vraie nature de l'émulation et de distinguer cotto inclination des sentiments plus ou moins répréhensibles qui, parfois, l'altèrent et avec lesquels elle a été confondue. Ainsi poUl'ra-ton se rendre compte de la valeur des critiques ou des éloges quine lui fUI'ent jamais ménagés. Nous aurons, chemin -faisant, l'occasion de XII PRÉFACE constater l'insuffisance des pratiques pal' lesquelles certains ont prétendu la remplacer. Et, reconnaissant alol's la légitimité et l'importance d'une émulation saine et féconde, nous examinerons les moyens les plus propres à l'exciter et à l'entretenir. Tel est le but que nous nous sommes proposé dans ce dernier ouvrage. L'É.MULATION ET SON ROLE DANS L'ÉDUCATION CHAPITRE PRE~IIER PSYCHOLOGIE DE L'ÉMULATION Définition de J'émulation. - En quoi elle diffère de l'imitation. - Ses dcgrés. - Son principc. - Commcnt clic apparuit chcz l'enfant. - Qu'clle >ie renconlr'e chez les animuux. - Elle ne doH pas ètre confondue avec l'envie; - a vec la jalousie: opinion dc La U"uyèrc; - excmplcs divcr.,;- av.cc la rivalité; exemples; - ¡IVec l'amhition.Formes variées de l'émulation. L'émulation est gé¡:¡éralcment définie: le sentiment qui nous porte à imitel', à égaler nos semblables, à nc pas nous laissel' dépasser par eux, et mème à les sUI'passer, Dans cc premier degré où clIc nous incite seulcment à imitol', elle ne doiL pas ètre confondue pourtant avec l'instinct d'imitation proprement dit. Celui-ci n'est qu'une tendance à reproduire machiQt:nll.\1', - L'l~mulalion, 2 nalement un act.e que nous voyons accomplir pal' quelque autre; aussi bien se manifesle-t-il chez l'animal comme chez l'homme: les moutons s'enfuient, et s'al'rètent ensemble. L'émulation est essentiellement un d~sir conscient de se rapprocher de ce qui 1I0US a charmé~ « Il y a émulation chez l'enfalll, a-t-on ditl, d('~s lors qu'il se plait à imiter, qu'il imile avec une certaille ardeur, qu'il fait effortllon seulement pour imiter, mais pour imiler le mieux possible. » Qui ne voit exprimé là quelqul' ehose de plus que l'imitation pure. Imiter, e'esl simplement Jaire cornille; rivaliser, c'est s'efforc/?rde fail'/? COT/W/I'. Nous en restons à ce premier degré quand le modèle que nails nous proposons est tel qu'il nou", sel'ait impossible de l'égaler; l)ous essayons seulement de nous en rapprocher dans la mesure de lias l'orees, comme il arrive en ceUe forme d'émulation 4u'on appelle l'émulation avec les grands hommes, avec ceux dont les hautes verlus ou les ~rands talents sont loués, révérés, admirés de toutle monde: nous ne prétendons pas posséder au même point ces qualités glorie,!ses ; séduits par leur éclat, nou!"aspiI'ons à les refléler, [lou r mériter quelque peu de l'honneur et de la considération dont jouissent ceux t¡ui en sont ol'llt"·s. C'est bien ici lIne sorte d'imitation, mais clic n'est, comme dans tous les cas de ce genre, qu'un moyen que l'émulation met en jeu 1. E. J.u:on.ET, p. H27, in ¡¡icti'ml/I';r,. d,' péJagogit', arlo HI/Hllali'Hl !'!,iYCIlOLOGIE DE L'ÉMULATlO:"1 3 arrivc!' Ù scs fins, Cellc-ci, J'ailleurs, dans son fond, es! si distincLe de l'imitation qu'il peut y avoir Î\mulation sans imitation aucune, par' excmple quald on fait autrement afin dc fairc mieux. Lorsqu'elle nous parle, non plus seulcment à imileI' plus ou moins bien, mais il égalcr ou à surpasscr autl'lli, l'émulation ne peut existe¡' qu'entre semblables, Alors, elle consiste, en ell'et, dans un besoin de faire allssi bien ou dc faire mieux; qu 'autrui. Mais, pour cherchcr à acquérir ou à dépasser une qualité que nous ¡'cmarquons ailleurs, il faul que nous imaginions pouvoil' y parvenir, ear on ne désire pas l'impossible. Aussi avons-nous garde d'éprouver cetle émulation à l'égard de ceux qui .onl. SUi' 1I01\S un si gl'Und avar..lage qu'il nous sel'ail. impossible d'en approcher, Et, réciproquemcnl, nous n'avons point d'émulalion envers ceux qui sont tellement au-dcssous dc 1I0US que nous ne voyons point en eux de qualités que nous ne possédions déjà it un dcg!'é supél'ieur. D'oÜ naH donc l'émulation? De l'amour de soi ou aOlolll'-propre, au sens étymologique, de ce sentimenL qui nous fail DOUS préférer à Lous, à !lOUS vouloir du bien, à nous estimc¡', de la satisfaction ou du méconlentement de nous-mêmcs,lorsque cet amou!'proprc se tl'OUVC en conlact et en conflil avec celui de nos semblables, Pur le l'aiL quc nous vivons en sociélé, la comparaison de nous aux autres devienL inévitable, Nous pOUl' ,' L EMULATIO" voyons ceux qui nous entourent, au milieu desquels nous agissons, tendre à un but et, quand ils y atteignent, t~l1'e un objet d'estime ou d'approbation, Pal' suite de notre penchant à imiter ou parce que nous senlons l'intérêt qu'il y a à atteindre ce but, nou~ sommes portés à le pOUl'suivI'c à notre tOUl',Mais alors l'estime de nous-mêmes, la conscience de notre valeur réelle ou illusoil'c nous fait souffrir de nous voir distancés par autrui; nous nous cfforçons d'égalu et même de dépasser les activités antagonistes, de faire autant sinon plus, afin d'obtenir les avantages atLachés à l'arrivée au but, avantages matériels, fortune, dignités, ou seulement spirituels, estime dc nos semblables, approbation, CeLLe compHition, c'cst l'émulation, qui cst constituée essentiellement, comme on voit, étant donnée l'idée d'un but auquel visent no:,> semblables, par le désir que nous épl'Ouvons d'y atteindre.aussi, afin de mériter comme eux ou de pI'éférence à eux les avantages que doit assurer le suecès. C'est bien ainsi que Spinoza entendait l'émulation, quand il l'a définie: le désir d'une chose, désil' qui sc produit en nous par ce fait que nous irnaginonsque les autres ont ce mêmcdésÍl", Pour vérifier que telle est bien la vI'aie nature de l'émulation, examinons la façon dont se comportent des enfants en contact les uns avec les autres, soit 1. Ethique, \iv. Ill, Ihéorème """I, Scholip. PSYCHOLOGIE DE L'J~MUJ.ATIO;'> pOUl' recevoil' line éducation commune, soit simplement pour jouer. Les voici, dans le premier cas, soumis :l une rl'gle et il \lll enseignement, les mêmes pour Lous, el placés SOilS la dit'ection d'un maîlre chal'gé de fail'c respecter la pl'emière et de leur donner lc second. L'émulation apparaît vile entre 6UX, provoquée par un double but que chacun éprouve le désir d'aLteindre: gagnel', d'une part, l'afl'ection el l'estime ÙIl maître, lesquelles seront accordées il ]a bonne conduil~, i. l'allenLion, au travail, el, d'autre parL. arriyel' il la premiMe place. afin d'établir an moins sa sup{,riorité sur les autres, si ce n'est pour obtenir les I'écompcnses et l'honneur dont elle cstla coudiLion l. Il lI'en vapas auLI'cment entrc enfants qui joucnt ensemblc. Quelle ardeur ne déploient-ils pas! C('sl it qui courra lc plus vite pour parvenir au bul avunt tout autre, it qui sautera ]e plus loin ou le plus haul, it qui fcra prellve de plus ùe fOl'ce ou J'habileté pour lancer la balle ou la boule, ou d'ingéniosité pour se cacher. D'oÍ! provient dam; cc sccond cas l'émulation? ne ce que, répond Feuillet, « il y 1. Le hesoin seul de l'estime du maitre et de ses C3mllrade~ suffirait il engendl'er !'émulalion." Il est certain, dit Th. I\iuot, que le d',si,' de l'approbat1on et la crainte du bl:\n:e sont des éléments exL{,rieurs qui comptent dans la constitution du sentiment de complaisllnce pour nou,.;mèmes : la louan¡:(e lui donne de l'extension, et la critique I'clllarne et le mutile; et ceci ne suppose pas beaucoup de J'étlexion, ni de cultul'e. L'enfant CRt extrèrnement sensihle :lU j ngern(,llt. de ses pairs. » (l's)'clw/(J!lie des selllim('nl.~, p. 239.) 6 a là intérêl à une action el inlérèt également senli par tous. Le plus adreit obtient, ou le prix de l'adresse, ou lIn~ considération it laquelle sont aLLachés certains avantages: voilà le but des eITorts t. Partout où vous reLrouH'z les mèmes circonstances, ajoute cet auteur, vous venez naill'e le nH~me senti.: ment; et c'est dil't~ que VOllSle ¡'ctrouverez :1 toutes les. {'poques de la vie réelle, et dans .tous les rangs de la société! Etla course pour les g¡ileaux, dans Rousseau, n'est-cc pas encore de l'émulation? Celui qui veut courir le plus vite pOUl' les obtenir voudra de mèllle un jour al'l'iver le plus vite, soit aux richesses, soit à J'estime, aux dignitps, au pouvoir. Le hut et les moyens aUl'ont changé, le st'ntiment restera le même 2. » Celte tendance? égaler 0\1 à dépassel' les autres est d'ailleul's si naturelle qu'on la l'encontre jusque chez les animaux: les chevaux lancés dans l'hippodrome ne sc laissent pas volontiers dépasser, mais redoublent d'eITorts pOUl' êlt'e toujours ell avant; les oiseaux lullent à qui l'emportera paI' le chant ;1. 1. Cf. notre ouvr3gc SUI' tes .hUI d,'s ""fants, p. ,;:1 et sui\'. 2. Mt'muire cOllro"né par I'lllstitut Sill' cet/" 'lllestion : /'J':'mlllaliull est-elle 111I han mOYfll ,fMlIcation? (1801), pp. 44-45. 3, Le pinson, dit :\Iichelet, ne fait entenùre que la ehanson de son bois natal, mais il la ch3nte " Ù'UIlC:1pre passion, d'une émulation extraordinaire. ~lis en face d'un riva\, il la redit huit cents fois de suite: parfoif', il en meurt >l. QU3nt au rosôignol, il est, « en émulation, égal au pinson. re II se crèver3it à chanter >l, dit un de ses historiens. " ll.'Oiseau, p. 246 et 2ii().) PSYCHOLOGIE DE L'¡bIULATION 7 El elle apparalt tout à fait légitim, •• car nulle raison ne nous oblige à ne pas vouloir aller le plus loin que nous pouvons, et bonne, lonabte, car elle ne prod'de pas d'une malveillance que nous éprouvons à l'égard d'au Lrui, mais essentiellemenl d'un bien que nous nous désirons; el, comme nous le verrons, elle esl de la P:lIS haute impol'lance,iI cause des efTol'ls qu'elle suscite. Seulement des senliments mauvais peuvent, cn certains cas, s'y ajouler ella dénatu)'e¡', l'altérer, la corrompre, telles la jalou8ie, la riyalité, l'ambition. Examinons successivement chacun d'eux el raplwochons-Ie de l'émulation, afin de l'cn bien distingue)' el de pl'éciser de plus en plus la nature de ce Ilc-ci, On a .prétendu, mais à tort, que l' émulation pouvail parfois dégénérer en envie. C'est confonùre l'envie ella jalousie, deux scntiments pOUl'tant très différents. L'envie est, d'après le Dictionnaire de l'Académie, « un chagrin qu'on ressent du bonheur ·des autres, des Il\'nntagcs d'autrui >l. C'est, dit La Hochefoucauld, « nne fUI'eur qui ne peut soufrrir le bicn des autres », de quelque nalure, au resle, que soit ce bien, santé, fortune, bcauté, talents, honneurs; UII désil' haincux de les voir pl'ivés de ces jouissances, lol's mèllle qu'on nc devrait pas en profiter, d'anéantir ces biens, si l'on ,ne peut les posséder, afin qu'un autre n'en puisse jouir. Cette basse passion qui rend misél'ables ceux qu'elle domine, n'a donc ricn de commun ayec l'émulation. Alors L'ÉMULA nON que cette dernit'Tc esl UIl principe J'acli,'ité trb énergique. l'envie se rencontre plulôt chez celui qui n'agil pas! ; le petil envie le grand sans cherchcr Ú s'plevcr jusqu'à lui; le pauvre envie le riche sans tâcher d'arrin'l' lui-mèmc à la fortune, Aussi a-L-Oll pu dire sails paradoxe (lue l'émulation étouffe l'ellYle, Il n'enest pas ..le même de lajalollsie qu'on peut, à juste titre, I'cgarder comme \Ill excès 0\1 pluLôt comme un égal'cment. de l'émtrlation, « On la déCOUHC dalls les enfants, ainsi que dans les chevaux el dans les chiens, Voulez-vous q\le vos enfants se haïssent, caressez l'un plus q\le l'autre; Il' secret est infaillible 2. » Elle IJait, en eiTel, de la privation d'un avantage, d'un bien que nous croyons nous appal'lenil' et qlle nous ne voyons pas sans chagrin 1. C'est ce qu'u très bi"n \'u Il, ilI¿II'ion : « L'humme _l!.dssant el f'nlrcpl'cnanl, dit·il, n'cst j:llnais en\'ieux : il n'attend son :;01'1 que de lui-rnl'me, ~i les ¿llltres pl'()sperenl, el non pa;; Ini, il se résign,~, espérant Ull joUI' èlre l'lus fflvol'isf' de la furtunc : il Ill' se plaint pas et u'aeeuse personllc : il S!' contente de redouhler d'('lTol'b, " :I."ÇUIIS dl' ¡>"-,,chu/nyi,', p, 10:>,1 Et aill(~lIrs : " Celui-là qui est animé d'une élllqlation f!é/l~reu>;e, qui ·e,.;t homme il ~e faire lui-rn(~nw S:I de,.;linéc il l'oree d'intelligenct' ct d'éncrgie, n'Il pli"; de peine il ¡lccepler, á proel:\llIer hautcment 1:\ Sllpél'iorilé d'llutrui, II sait il quoi elle lient cl ee qu'clic COlite, Si elle pro\'ient de dOll"; éclalant,.;, cc,.; dons font honneur à la naturc humaine, et. tout homme doit s'cu réjouir, ~i elle est le fruit du lr'avlli! et. de j'énel'g-ic, quel homme digne (Il' ce /l0111 !le se sentir'a pn\t à la saluer a\'t~e r'e,.;pecL " (Lern(l" ,le "'(¡/'(lIe, p, ~l'O,) - Cf. du m'~mc auteur, La so/idal'it,' I/IOI'al,', p, ~l;¡ et suivantes; - STo 'IILI., L_ !lOI1VCnICTIICnt l'CI réscfllalif. ch, III. 2, Vm,,.\IIlE, nirl. p"ilos(¡[lhiql/I', art. HlIl'il', PSYCHOLOGIE liE J.'~::\IUT.ATIQ~ !J devenir le partage d'un auLI'e; mais elle peut avoil' sa Sourcc dans le désir mesquin dc jouir d'un bien à l'exclusion des autres, Ainsi se montre-t-elle dans la :ctl1'e que Plutarque rapporte comme écrite pal' Alcxandn> il Al'istote: « .Je n'approuve pas que vous ayez donné au public vos liHes de scicnces acroama~iques, En quoi donc serons-nous supérieurs aux autres hommes, si Ics sciences que vous m'avez apprises dl'viennent communes il tout le monde? .J'aimcr:li,; mieux encore les surpasser par \es connaiSS31H'PS sublimcs que par la puissance l, )) Ad, CHmiel' s'indigne d'un tel égoïsme: « Si l'émulation nous a été donnée, ce n'est pas pour nous fai.'c rcfusel' aux autres les connaissances et les din'rs aV:lI1lagcs que nous possédons; c'cst POlll' nous poussel' à imiter Oll mème :i surpassl'r les bicns qu'ils possèdent sans les en dépouiller2, )) .\ussi, relevant ecllc parole d'un auteur: Raphaël IÚ,urait pas été grand peinlt'e s'il n'avait pas été jalou.\: de Michel-Ange, Voltaire remarque que cet allLelF a pris l'émulation pOUl' la jalousie, et il ajoutc: « Michel-A nge pouvait dire à RaphaEl : Vetre cnvie Ua/nI/sic) ne vous a porté qu'à travailler encore mieux que moi; vous ne m'avez point décrié; vous n'avez point cabalé contre moi auprès du pape, vons n'avez point tâché de me faire eXCOffi1. Vi,' ,¡'Ale.rnlld,'r, dr$ .t¡'c¡¡lIé<. t, l, I'P' 167-168. ~, TIf,il,: 10 munier ... ; allez, volre envie esl très louable; vous êtes un brave envieux, soyons bons amis l. " La Bruyère a fOl'Lement tracé quelques-uns des traits qui dill"érencient la jalousie et l'émulation. Toules deux, faiL-il observe¡', « s'exercent sur le même objel, fllli est le bien (forlune, ou le mérite de", ~lUlres: avec celle difl'érence que celle-ci est un s('nlimenl volonLaire, courageux,_ sincère, qui rend l'âme féconde. qui la fail profiLer des grands exemples, et la porle souvent au-dessus de ce qu'elle admire; eL que celle-là, au contraire, esl un mouvemenl violenl eL comme un aveu conlraint du mérile qui esl hOl'S d'elle; qu'elle va nH\me jusqu'à nier la verlu dans les sujets (personnes) oil elle exisLe, ou qui, forcée de la reconnaih'e,lui refuse les éloges ou lui envie les récompenses; une passion stérile qui laisse l'homme dans I'Nal oil elle le Lrollve, qui le rempliL de lui-mème, de l'idée de sa réputation, qui le rend froid el sec sur les actions ou SUI' les avantages d'auLl'IIi, qui fail qu'il s'étonne de voir dans le monde d'autres lalents que les siens, ou d'aulres hommes avec les mêmes talenLs dont il se pique ... » Et La Bruyèl'e conslate très justement: « L'émulation ella jalousie ne se rencontrent guère que dans les personnes de méme art, de mêmes lalents el de même condition. » Il faul voir là un nouveau carac1ère qui faiL que la jalousie esl bien dislincte de I'en1. l.oc. cil. PSYCHOI.OGIE ilE L'ÉMULATlO:-i 11 vie, « COlllme est ccHe qu'excitent dam; notre àme les conditions fort élevées au-dessus Je la nôtre, les gn:,ndes fortunes, la faveur, les ministères, Il - (I Les pIllS vils artisans, affirme enfin non sans ironie ce grand momliste, sont les plus sujets à la jalousie; ceux qui fonL fn'ofcssion des arts libéraux ou des belles-leLLres, les peintres, les musiciens, les oraleurs, les poèles, tous ceux qui sc mêlent d'écl'irc, ne devraient être capables que d'émulation I.)~ On sail que les gens de leUres, les artistes, comme les acteurs sonl exempts, en efTel, de toute jalousie, Quoi '1u'il en soit, une noble émulation esl loin ù'ètre un i"enliment rare, Qu'on se rappelle ces paroles du grand COl'lleillc (Pl"éface de La Suivante): « Les plus heureux succès des autres ne produisent en moi qu'une vertueuse émulation qui me fait re{Ioubler mes etrorts pour en obtenir ùe pareils. » !\luis il n'y a pas que les Raphaël etles COl'lleille qui sachent s'élever au-dessus d'une jalousie mes,quine~, Les enfants en sonl parfaitement capables. 1. Les (;urae/ères, ch, Xl, De l'homme. 2. Vcut-on d'aull'es exemples (~.'uneémulation génél'eu:;e? Pa -rhasius et Zeuxi" sc dispulai.enl le prix d••.la I'einture. Le pl'elllicl' n'avait peint '1Il'un rideau, le sccund présentait un tauteau de raisins si achevé que les oiseaux velloient les becqueter. Fiel' J'un sulTroge si peu suspect, il (:ria i1 Parl'h::.sius d'écartel' le ridean pour '1U'OH vit SOll oll\'I'age. Il ¡'econnul lJienlùt son erreur, mais il témoigna plus J'admi:'ation que de confusion el céda sons peine lo polmc à son concurrent qu'il en jugea plus digne, puisque lui-mème n'avail trompé que des oiseoux, au lieu que Parrhasius avait fait illusion à un maitre de l'art. - CicéronellIorlensius -12 Lisl~Z cet enlhousiaste éloge que fail I\Iarmonlel d'un de ses condisciples au collège de Mauriac: « Je voyais, raconLe-l-il, dans une classe au-dessus de la mienne, un p.colier donl la sagesse el la vel'lu se conservaienl inaltérables, el je me disais à moi-même que le seul bail exemple à suivre élail le sicn ; mais, en le regardanl ayec des yeux d'envie, je n'osais croire avoir le dmit de me distinguer c.omme lui. Amalv)' élait considéré dans le collège à lanl dl' Litres, el tellement. hOI's de pair, au milieu de nous, qu'on trouvail nalme! el juste l'intervalle qu'il laissaiL enll'e nOli." et lui. - Dans ce rare jeune homllle, taules les qualilp.s de l'esprit el de l'¡)me semblaienl 8;'èll'e u(:cOl'dées pour le rcndrl~ accompli, La naLure l'avail cloué de cel extérieur que l'on croirait. devoir exerç.aient la mèl1le professiou'; pel·"onn" ne pouvait lellr dispute!' la palme de l'éloquence. Allaienl-ils écoul"r les conseils pel'fides ¡('une honleu;;e jalou!'ie '! :\'on, ils étaient fnit;; pOUl's'cslime!', el il s'établil entre eux une société de confiance, de lumii'l'es et de conseils, Ils ne cherchèrent qu'à se donner un appui muluel, non seulement dnns la carrii'I'e du barreau, nUlis encore dans la recherche des pla~.es Ics plus importantes de la Hépubli'jue, - Faut-il rappelel' Vil'gile el Horaee '? Quelles limes eurent. jamnis plus de c.andeur, pOUl'employer Ilnc expre;;sion de ce demiel' poète? Vil'gile fit. connai"'e HOI'ace il Mécène sans crainle de se donnel' un rival, sans redouler que son ami nl' Illi enlevât. Oll du moins ne pal'tageàl avec lui l'estime el les faveurs d'un minislre si puissant. - Quelle amitié enfin fllt plu!'; intime el plus féeonde que celle ,le (,(plhe el dI' Schille!' <¡IIi, séparés d'lIl1ord pal' la di\'er~il(, de" tnlents et des caraclèl'e~, se compril'enl, s'estimèl'l'nl el "e Iièrenl de telle sorte 'lue, si le pl'en1iel' reconnaissail de\'oir ses meilleures inspiralion", :\ Schillc.', celui-ci l'apportait à l'inl1uence de Gœlhe ses plu!' helles WU\'I'C". PSYCHOLOGIE DE L'É~[ULATlO1'i 13 être l'éservé au mérite. Sa figure était noble et douce, sa taille haute, son maintien grave, son air sérieux, mais serein. Je le voyais aniver au collège ayant toujOUl'S à ses cùtés quelques-uns de mes condisciples, qui élaient fiers de l'accompagner. Social avec eux sans être familier', il ne se dépouillait jamais de celle dignité que donne l'habitude de primer entre se;; semblables. La croix, qui était l'empreinte de celle pr'imauté, ne quillait point sa boutonnière; pas un même n'osait prétendre à la lui enlever . .Je l'admirais. j'avais du plaisir à le voir; et toutes les fois que je l'avais vu, je m'cn allais méconlent dl' moi-ll1ème. Ce n'était pas qu'à force de travail, je ne fusse, dès la. troisième, assez distingué dans ma classe; mais j'avais deux ou trois rivaux: Amalvy n'en avait aucun. Je n'avais point acquis dans mes compositions cette constance de succi's qui nOlls étonnait dans les siennes, et j'a vais encore moins cellI' mémoire facile et SÛI'edont Amalvy était doué. Il était plus âgé (lue! moi; c'était ma seule consola lion; el mOil ambition élait de l'égaler lorsque je serais à son âge. En démèlant, Rulant qu'il m'est possible, ce qui se passait dans mon âme, je ¡mis dire avec vérité que dans ce sf.'ntiment d'émulation ne se glissa jamais le rr.alin voulai.' de l'envie; je ne m'aflligeais pas qu'il y eÙI au monde un Amalvy, mais j'aurais demandé au ciel qu'il y en eût deux, et que je fusse le s'~cond '.» 1. Mémoires, livre l". 14 Si l'on recherchait comment il se fail que l'émulation Jég-énèl'e parfois en jalousie, il semble qu'un amOUI' de soi excessif, un besoin Je domination, Ull espt'it étroit ou un naturel méchant en sont les caw;('s les plus ol'dinail'es. La r¡volité, autre égarement de l'émulation, apparail lorsque le pt'ix à conquérir se tl'Ollvant unique (leIs le pomoir, une dignité. une charge, une dlcompense, IltC.) ne peut être ootenu qu'illacondition d'en priVt~r les autres. Celte circonslance est susceptible, au reste, de se rencontrer avec l'émulation, sans en altérer la nature, quanù les ¡)rncs sont génél'euses. « Tenùre au même out, fl'anchement, hardiment, c'est le fait de deux amis sincères, proclame un personnage d'Hoffmann I; et le laurier qu'obtient le vaÏtHlueur honom aussi le vaincu. Se disputer le même pl'ix avec ardeUl', mais sans user J'aucune fraude, d'aucune al'1'ière-pensée, n'est-ce pas II' vrai moyen de resserrel' les liens qui unissent deux cœurs. ail lieu de les sépal'er? Dans ces cœurs nobles peut-il y avoi l' de la place pour les petites jalousies, ou pour la haine dissimulée? Chez les enfants. nalures justes, cundiJes encore et le plus souvenl désintéressées, il est assez l'are de voit' l'émulation dégénél'er en rivalité. Nous avons )1 1. Voy. Le Tonnelier de N/lremberg, ch. \ •. - Frédéric el Hcgnaull, deux compagnons, se disputeut la main de Hose, fille de maitre Martin, le tonnelie¡'. - (:r. les déclarations de Filippo dans le 1./1thia ,f¡- Crémollr, seènes \ et ~l. PSYCHOLOGIE DE L'~:MULATION 15 lu le témoignage que se rendait Marmontel. Faisant appel il sa pl'Opre expÓrience, et invoquant ensemble celle de tous les hommes à qui le temps de lenrs étLdes ne rappelle que de chers souvenirs, Feuillet s'é~rie: « Le désir de nous distinguer dans les concours n'engcndrait ordinair'cmenl parmi nous ni haine ni envie, quand les forces des concurrents n'ét~ient. pas disproportionnées. SÛrs àlors qu'une rigoureuse équité prononçait le jugement d assignait. les rangs, le plus souvent notre voix prévenait celle de nos juges, et leur;; déeisions recevaient ainsi, de nos propres sufl'rages, une sanction q ti i nous associait en quelque sorte ;\ la gloire des vainqueurs. Rien n'oll'cnsait dans ces passagr-rcs distinctions; J'abord parce qu'elles étaient mél'itées et. que nOllS les sa vions être jusles ; puis parce qu 'elles Il'cntraînaient. avec elles ni inégalité de ra:lgs, ni droits exclusifs, ni soustraction à la loi commune. La bienveillance, l'estime était allachée à la possession du prix; mais elle se répandait aussi sur ceux qui l'avaient ùispelé. Le travail avait obtenu celle première place; le tl'av;lil était là, qui donnait il chacun les moyens d'y Pl'étendre de nouveau el de l'occupel' à son tOUl' ; on retournait gaiement au tl'avail. Il y a plus, les bennes amitiés, ces liaisons franches et sans ('éserve den t parle Quintilien, et qui, commencées si pr(\s du herceau, ont quelquefois résisté aux orages el mèmc aux pl'éjugés de la société, les amitiés dl' ('()///\(/£" ne SI' contractaient guère qu'enlt'c él/>yes à i6 peu près de même fOI'ce, habitués à sc disputer la palme, à l'obtenir tOUl'à tOllr. L'estime récipI'oque gui résultait de celle vicissitude de "icloire,; et de dé· faites, amenait un nouveau genre de l'appol'ts plus intimes, plus afl'eclueux, et servait de fondement à des liaisons durables.Enfin l'envie, la haine,s'il est vrai que ces lt'isles passions habitassent parmi nou"', allaient probablement chel'chel'leur unique domicile dans les derniers I'angs, à cùté de la paresse et Je l'apathie t. " Trop souvent, au (~ontraire, chez les adultes, à qui toutes sortes de causes sociales, conflits d'amoUl'propre, J'inlél'êts, de passions, peuvent faire oublier les sentiments d'équité el de bienveillance qui devraient modérer la lutte pOUl'Ia vie, on ne rencontre, au lieu d'émulation, qu'une âpre rivalité. II est facile de noter .les cal'¡.¡clèr,es pal' lesquels diffèrent ces deux sentiments L'émulation véritable ne comporle aucune question Je personnalité; même quand elle est le Jésil' de surpassel' autrui elle songe surtout à bien faire, à I'éussil', à mél'iter l'approbation; au lieu que le I'ival s'en prend à la personne dont les intérêts sont en luUe avec les siens, el cherche moins à s'élever lui-m(~me qu'à la rabaisser, à brillel' à ses dépens, à jouir de sa défaite. Les émules luttent loyalem/"lnt et à armes courtoises; les ri,'aux se soucient peu des moyens qui leUl' permettent de supplanter leurs aolversail'es, 1. Ouu. cité, pp. 77-78. - Cf. F-:ssai (/'illst/'llcti<Jfl 1813, p. :lïO el suiv. Devoirs, 2' édit. Paris, ,,<,¡¡"ale IHI t~s PSYCHOLOGIE ,, 17 DE L EMULATION L'émulc regarde comme un bonneur d'avoir luUé, queje que soit l'issue de la lutte; le rival n'envisage que lé résullat et estime que la défaite est un déshonneu!', L'émule, inslr'uit pal' l'insuccès, et souvenl mène encollragé IOI"S(IU'iln'a pas ét~ trop inf{lI'ieur, recommence la lutte; le rival cher'che it nuire it son yairqueur et il dépréciel' lout cc qu'il. l'ail. L'émulation suppose l'estime entl'e concurrent!;; la rivalité ne \a pas sans quelque jalousie, Enfin l'amitié peuL existel' entl"e deux émules, ils peuvent êtl"e généreux l'un pour' l'autre; deux rivaux sont toujours deux adversaires, « UasUaL et Proudhon étaient d'opinion dill'ér'ente en matièr'e d'économie politique. Ils étaient en luLle permanente, mais chacun d'eux était pCl'suadé de la sincél"ité de son advcl"saire, et ils avaient tous deuJi l'assul"ance que de Icul's discussions sOl'til"ait la lumière, Le joul'l1al de Bastiat fut supprimé; Pl'Oudhon, loin de pl"ofitel' du silence fOl"cÚde son contradicteur, lui demanda <le conliIlUel' la lulle, Vous ne pouvez plus, lui dit-il, m'attaqucl' dans voLre journal'? Et bien, vous m'attaquel'cz duns le mien. Et la mème l'cuille imprimait l'allaquc el la riposl.p. Un rival pn pareille occurI"Pllœ rUt'ail saisi I'ol:easion de triompher sans coup f(;l"i' pl se /'ÙL('éjoui de voir SOll ennemi réduit à l'impuis..;allce. " (Larrive,) On accusc quclquefois l'émulation d'engendrer l'(lIl1l,iti(JI/, Eu réalité, ce sont deux sentiments assez pl'oehp-., ; taules deux dérivcnt de l'amour de la préQULYI\AT. - L'¡::mulalion. 2 18 L " BIIIULA TIO!> éminence. Mais ln pn:mière consiste il se distinguer parmi ses égaux: c'est ainsi une ambition qui se compare à autrui, qui rivalise avec des ambitions concurrentes, tandis que l'ambition pl'Oprement dite est essentieHcment un désir d'agrandil' notre condition, d'accl'oîLre notre pouvoir, et elle aspire à remporter Ic succès plutôl pOUl' en jouir que pour dépasser les autl'es, C'est un penchant naturel comme I't:mulation, qui se manifeste seulement avec moins de fOl'ce dans l'enfance, mais qui se rencontre chez Lout homme, exception faiLe du sage convaincu de la vanité de toutes choses. Quelque parenlé qu'il puisse y avoirdu reste entre elle et l'émulation, ce ne serait pas une raison pour pl'Oscrire celle-ci. Contre l'ambition se sont él~vés de tout temps les moralistes qui, lui reprochant les maux qu'elle a causés, ont tenié par tous les moyens d'en tal'ir la source ou d'en al'l'êter le COUI'S. Mais il y a ambition et ambiti·on. On nous représente l'ambilieux unit!ucrnent préoccup~ d.u soin de son élévation, sans souci du mérile el des droits des aulres, en qui il ne voit que des JIlstrumenLs de ses desseins, se frayant un ehemin au prix d'iniquités de toute sOI'le, renversant sans pitié quiconque se tr01l\'e sur son passage, ne reculant devant rien pour arriver à ses fins, jouanl et trahissanl ses amis, flattanl, pour les dominel' un jour, ceux qui sc trouvent placés plus hati l, et brisant ensuite, quand il est le plus forL, ces instruments maladl'Oits de sa puissance. Voilà PSYCHOLOGIE ,, DE L E~IULATIO:"í 19 hien le porU'ait d'un « arriviste" sans scrupule, d'un Julien Sorel ou cI'u II Raslignac J. Mais ilne saurail convcnir à tous lcs ambiticux. Du colporleur qui aspit'e à devenit' boutiquier au parlementaire qui visc aux plus hautes ch3l'ges de I'Elal, l'ambilion est, en dlel, susceplible d'une infinie variété dans ses modes; et clic eomportc, quant à sa valcur morale, une foule de degrés: ainsi, depuis l'ambition qui, sous les empereurs J'Orient, rampait ou égorgeait il Consfantinople pour s'emparel' de l'autorité souveraine, jusqu'à celle qui, dans Rome libre, n'oblenait les premières magislratures qu'à force de services et nc voyait dans celles-ci que le dl'oil dc se dévouer avantlous pour le salut commun, t, on peut remonter tous les degrés qui séparent les vices les plus coupables des plus hautes vertus, sails sortir en quclque sorte du même sentiment 2. " Ne re~arJant comme digne de cc nom que l'ambition d'un ordre relcvé, Bacon en distinguait lrois sortes: « La première, disait-il, c'est de gouvcrner un pcuple et d'en faire l'instrument dc scs desseins ;. la seronJe, c'est J'élever son pays et dc lui assurer la suprématie sur lous Ics ault'cs; la troisième enfin, c'esL d'élever l'humanité tout entièrc, en augmentant le l:ésor des connaissances humaines 3. » Prévost1. Voy. dans Le p,\re Goriol, de Balzac, les conseils trin Ú Rnstignac. 2. L. FElfll,f.I;]", Otll'. eit,', p. 122. 3. Essais de /I,orulr el de politique. de Vau- 20 ,. L EMULATION PUl'adol va plus loin. Poul'lui, l'ambition n'est aulre chose que le désirdu commandement ou de la gloire, et le plus souvent de ces deux biens ensemble. Employer' ce mot pour désigner tout autre désir, c'est l'avilir. Aceux qui vculent s'éleverdans le monde pour amasser des richesses ou des plaisirs, qu'on donne le nom d'avares ou de voluptueux. Appelons vaniteux celui qui yeut seulement faire illusion au vulgaire el qui se console ais;~ment de n'être rien, pourvu qu'on le cl'oie quelque chose, mais l'éservons le nom d'ambitieux « pour cellx qui ont aspiré pal' des chemins légitimes à la réalilé du commandement el à la réalité de la gloil'e », pour un Thémistocle, un PéricU's" un Scipion. « Ce désit' du commandement ou de la gloire vient du fond même Je notre Nre; il sOl'l de la Illt~me source que tOilS nos autres désirs, mais il estle jet le plus puis,sanl et le plus élevé de celte source intar'issable, Dtísirer le commandement ou la gloire, c'est vouloir s'étendl'e comme lc veut toute créature, Mais œ besoin de nous étendr'e et de n01l5 ag-randir, qui est. le principe de lous nos mouvements ici-bas, est d'autant plus noble, qu'il se dir'ige \'Cl'S lin ohjrt plus (dl'vé, et c'cst ce qui met le désir dp, la gloire bien au-dessus de la soif des richesses ou des plaisir';;. La gloire esl, en en'l'!, line conquNe que nous faisons dans l'âme d'uull'lJi, une plaee que nous occupons dans l'imagination de nos sem1llahles, ùe leur lilll'e consentement, parce tju 'ils jugcntljUe nous la mél'iLons et paree qu'ils nl~ peu- PSYCHOLOGIE m: 1:F:~IULHION vent se résoudre il nous la l'efuser ... Le désir du commandement a quelque chose de moins pur el. de mo:ns élevé ([ue la gloire, parce qu'il se dil'ige vers un bien réel et saisissable; mais il a aussi sa gra nJeur, lorsque le commandement est recherché pa¡' Jes voies légitimes. Désirer la gloire, c'est entreprendl'e SUI' l'imagination des hommes; d(~sircr le commandement, c'est enLI'eprendre sUl',leur volonté. On cherche donc aussi il s'étendre pal' le commandement, mais d'une manière bien plus réelle et bien plus sensible que par la gloire, Faire sienne la v.olonté de ses semblables, el par conséquenlleur puissance etleur pal't (l'action SUI' le monde, vouloir en eux, agir pal' eux el accomplir par leur entremise des acles si importants pUl' leur nalure ou par leurs effets qu'ils ressemblenl à des manifestations de la puissance divine; quelle extension 'visible de notr.e ètl'e, quelle multiplication de nos forces, queUe 61éva:ion ou plutôt quelle transfol'mation de la nature humaine I ! » Ainsi entendue, l'ambition n'est pas le fail d'une âme médiocl'e. Or, de mème que ce nOI11est expressément réservé ici à la forme élevée d'ambition qui consiste à I'echercher le commandemenl et la gloire par des moyens lég'Ílimes, la plupaTt des éducateurs s'accol'dent il ne <Iouner le nom d'émulation qu'à la poursuite d'une qualité louable, qu'à l'amour du 1. 263. I'nÉYOST-P."IAOOI., l~ludes sur les lIloralistesfrançai", pp. 259- 22 L'ÉMULATION mieux. « L'émulation, écrit no~amment H. Marion, est à part entre toutes les formes que revètl'esprit de I'ivalité. Le mot ne se prend qu'en bonne parL Il désigne, à J'encontre de la jalousie et de l'cnvie, le désir adif et gént\reux, le besoin avoué et même noble d'égal~r d'abord, de sUl'passer s'il se peul, loujours pal' de bons moyens, les mérites, les talents, les succès d'un autre, eu ce qu'ils onl de pl'Ofondément honorable l. » El (J. Compayré : « Quand l'émulation est ce qu'elle doit être, un sentiment noble et fier, il s'y mêle toujoUl's une aspimtion secrMe vers le bien lui-même, quelque chose du pur amour de la perfection, Assurément. l'émule veut avantl.out égaICI'ou sUl'passer son concurrent, mais il poursuit un idéal2• » Nous pensons plutôt qu'il en cst de l'émulatión comme de l'ambition; elle peul être bonne ou mauvaise suivanlle but poursuivi et les moyens employés. Mais celte distinction n'a de valeur qu'au point de vue moral; et si le l'Me de l'éducateur, ainsi que nous le constaterons plus loin, esl. de diriger l'émulation vers line fin utile ellouable, pOUl' le psychologue J'émulation est un fail bien plus général et, au fond, tOUjOUl'Sde même nature,. savoir le dési¡' d'égaler ou de dépasser ses semblables dans la poursuite d'une fin, quelle que soit la valeur mOl'ale de eelle tin. Aussi bien qu'cntre honnêtes gens, il . peut y avoil' émulation enh'e scélérats, comme on 1. I:Éd!lration dans I'Ulliver,~ité, 2, r:ol/rs d,' péda[/o[/ie, p, 4:\:1. p. 280, PSYCIlOLOGlE DE L'É:o.IULATlO" 23 voil dans Olivier Twist les jeunes élèves du vieux Juif rivaliser d'adresse au vol il la tire l. Les principes d'action auxquels obéissent les hommes peuvent se réduire d'ailleurs ¡\ un pelit nombre, Nous vo)'ons les uns s'inspirer surtout de leur intél'êt; d'autres agi5sant, comme on dil, pour l'honneur, rechCl'cher les dislinctions; certains lâc!her plutôt de se faire aimer, de se rendre favol'able leur entourage; d'autres enCOI'C, guidés par leur raison, accomplir leur devoir, faire le bien parce que c'est le bien; quelques-uns enfin, au ban de la sociélé, ne songer qu'à exploitel' leUl's semblables el qu'à mal agir, Aulanl de molifs el de mobiles capables d'exciler l'émulalion. Aussi est-ce avec grand sens que Jacoulet a montré qu'enlre enfanls, dès l'école Pl'imaire, peul appUl'aill'e une émulation pour l'affection, pOUl' l'honneur, pour l'argenl, pour le bien et même pOUl' le mal. Qui ne sail, dit-il Z, parmi ceux qui ont vécu avec les enfanls el pour en avoir été mille fois touché, que leurs premiers essais, leurs premiers ell'orls onl pour principal mobile le désir de contenter, d'ohtc(I 1. Un vulg[lire r.oquin ne peut-il r.hercher à égaler d'abord, à surpasser ensuite un coquin plus expert, qu'il reconnaît supérieur à lui et dont il apprécie le mél'ite, en qui il remal'que une perfection (de coquinerie) (lui lui manque et à laquelle il se plaità rendre hommage, qui ne mauifeste point à son égard ulle rivalité jalouse et ne cherche point à le déprécier, mais l'exalte comme un modèle admirable à SlIÍ\ re, etc, Ne se conduit-il pas alors en véritable émule? :,l, Loc. cil., pp, 831-832, L'ÉMCLATION nit un sourire de leur mère, de recevoir une caresse de leur maitre ? .. C'est ce qu'on pourrait appelerl'émulation pour l'affection ... Bientôt après; I'école fera naître une autre sorte d'émulation qui, lout au:ssi naturelle au cœur de l'enfant, ne l'abandonnera plus tant qu'il restera écolier, et l'accompagnera pendanl Loule sa vie: c'est l'émulation POlI,.. /' honrtellr (c' est-à-dil'e en vue d'obtenir quelque récompense, quelque distinction). Moins désintéressé et moins Louchant que le premier, ce sentiment sera plus persistant, plus énergique et lui aussi d'ime noble essence. C'est à lui que s'adl'esse le plus volontiers l'instituteur, car il en attend principalement les l'l'agrès el les succès de ses élèves. » Quand la récompense revêt un caractère pécuniaire, .....parexemple, quand clle apparall sous la forme de livret de caisse d'épargne, c'esl alors l'énm/ation pOlIr l'argent, « qui devient vite et très souvent une émulation malsaine». Le maitre qui expliquera aux plus âgés de ses élèves, à ceux qui sonl en état de comprendre, que s'il est légitime, quand on fait son devoir, de prétendre à une I'écompense, il arrive souvent que celle récómpense nous échappe, parce que la justice humaine, même sur les bancs de l'école, n'est pas infaillible, et qu'on doit par conséquent s'habituer de bonne heure à la rechercher en soi, dans la satisfaction intime que donne le sentiment du devoir accompli; que d'ailleurs le bien et le deTail' sont aimables par eux-mêmes, et que nous sommes (I PSYCHOLOGIE DE ¡,'ÉMULA TION 25 obligés de -fail'e le bien, parce que c'esl le bien, sans qu'il soit besoin de l'appât d'une récompense pOUl' nous J déterminer», ce mallre-Ià éveillera dans I'flme de ses élèves l'é"mla/ion pour le {lien,Ia plus éle\'ée el la plus pure de toules. Enfin ne voit-on pas nallre trop souvent pendant l'fige scolaire et se développcr pendant I'adolcscence une autre sorle d'émulalion, détestable celle-là el susceptible de pl'Oduire plus tarcl, si l'on n'y prend garde, les plus funcstes eO'cls? Comme l'enfant « peut meUl'e de l'émulation à dépasser ses rivaux dans les bonnes choscs, il en met aussi à les ¿evancer dans les mauvaises ... Il est encol'c tout poli t, el il veul faire cc que fonl les grands, el, commc lc mal cst plus facile à imiter que le bien, si Ics g1'3nds onl de mauvaises habitudes, illes prend Lien vile el s'applique fi les oul1'er; si les g1'3nds font une sottise, il mel son amour-propre à en Caire une semblable, el, s'il se l'cul, une plus lourde encore .. , » C'esl là l'émulation pOil/' le mal, qui, sollise chez l'enfant, peul devenir plus lard un grand danger social. Mais, de ce que l'émulation est susceplible d'excès. doil-on pour cela la proscrire? II n'est pas une seule de nos inclinations, même les meilleures, qui ne puisse devenir dangereuse. Qu'esl-ce, entre autres, que I'Ol'gueil, le fanalisme, le chauvinisme, sinon des exagél'Utions de nos sentiments les plus nobles? Fa'Jt-il donc chcI'cher à délruire toutes nos inclinations, comme lc voulaienl jadis les stoïciens? Ce 26 ,. L EMULATIOl'( sel'ait, suivant le 1110tde La Fontaine, « ôter à nos cœurs le principal ressort ». L'émulation est une fOl'cedont l'éducation a besoin, comme le mécanieien a besoin de la vapeur, mais qu'il peut et doit Jiriger. CHAPITHE II LES ADVERSAIRES DE L'ÊMULATION Objet de l'éducation, d'après Port-Royal. - Les Petites E~oles, - L'émulation proscrite pal' les Solitaires, - Opinion de Pascal et de Sainte-Beuve, - L'émulation est-elle une source de vanité el d'ol'gueil '? - Opinion de Quintilien, de Rollin, etc, - Condamnlltion de l'émulation pal' Housseau. - Education utopi'¡ue d'Emile, - Arguments de Rel'l1ardin de Saint-Pierre contre l'émulation: 1" Elle est un stimulant factice; 2" elle est la racine de l'ambition; H' elle pousse à la I'echerche des distinctions et des honneurs; 4" elle fail des hommes à la fois des tyrans et des esclaves; :,' elle engendre la jalousie el la haine, - Critique de ces arguments, - Les Écoles <le la Patrie substituées aux collèges, Fausselé des tableaux, Hetour sur la vraie nalure de l'émulation, - Les néo-criti'lues de l'émulation et leurs arguments. J::t cependanl, pOUl' des raisons diverses, certains philosophes et pédagogues ont condamné l'émulation. On sail ùe quelle manière les maUres de PorlRo)'al concevaient la nature humaine. POUl' eux, ¡'homme est un êlre déchu; il a été vicié par le 28 péché ol'iginel. Sans doute, le baptêmc lui rend l'innocence, mais celte innocence est frag-ile; milIe dangers la menacent; auLoul' de lui le démon l'ôde et s'ingénie pour ressaisir celte proie qui a été sienne; el comme les enfants qu'il attaque sont incapables de le combaUre, c'est au manl'e qu'il appal'tient de veiller pour eux. Voilà le but de I'édur.ation, qui doit consel'vel' l'innocence baptismale, « défendre celle pureté contre la concupiscen\:e, r,'està-dire r.onlI'c toutes les mauvaises inclinations de leul' nature eOI'l'OlllpUe, contl'c I'envic du démon et la rage qu'cxcite en lui Ic bonheur des hommes, contre les ruses qu'il invente et les assauts qu'il'leur livre l. » L'objet de J'éducation ainsi conçu explique pourquoi on écartait à Port-Royal,d'une part, la vie de collège, oil le contact d'uu grand norntJre (J'enfants insuffisamment surveillés faisait courÏI' à I'inno.oonce trop de dangers; d 'autre part, \' éducation privée, dans la famille, où les enfants sont trop is.olés 'cl où la faiblesse des parenl.s rend trop souvent impuissanle la bonne volonté du maître. On préfél'ait le système des chambrées où, à la campagne, dans une maison parLi~ulièl'e, six enfants seulement étaient réunis sous la direction d'un même ma Îtn'. C'est là ce qu'on appelait les Petites Ecoles de Po rL-Royaldes-Champ.s. 1. <:"1111.', Les I'éda!l0!lues de Port-Royal, IRLI'otucli.on, p. 16. LES ADVERSAIHES DE L'É:\IULATION 29 Le salut primanttoul à leurs yeux, il n'est gui~re ~lonnanl que les éducaleurs de Port-Royal, 50ucieux de fOI'mer des sainls plutôt que des hommes au sens vrai ùu mol, aient banni de leurs classes I'émulalion. Poinl de concours, poinl de ces lutles dans lesqt:.eIles on cherche à briller plus que les autres; rien n 'esL plus propre à ~âler l~s caractères el à délourner l'Ume de sa fin. Mais Pascal nous a fait connaît re le résultal de celle éducalion. (( Les enfanls de PortRoyal, auxquels on ne donne point cel aiguillon d'envie el de gloire lombent dansla nonchalance 1. » Faul-il s'en étonner? « Quand il y avail quelque bien dans quelqu'un de ces enfants, lit-on dans lin .~. I'c"$l:es, édit. lIaY~I, art. XX" (¡G. Sainte-Bcuye le reeOlllW It. ,,:\Ialgré lellr célébrité, écrit-il, les I~(;ule;; de Port-lIoyal n'ont pas eu de brillant, et elles n'ont fieuri qu'il leul' manière et selon leul' espl'it, c'est-à-dire à !'ornhl'e. Racine lui-mème n'a si fort brillé qu'en y étant infidèle .•• (J)orl-Royal, t. II l, p. 4\19-501).) A Saint-Sulpice, de Paris, • (fui l'appelle le mieux Port-Royal "et où " la premii~re rÏ'gle de III compagnie est d'abdiqucr tout ce qui peut ,.'appcler talent, ol'iginalittÍ, pour se plier à la discipline ù'une communc lIIédioel'ité )l, le régime des études, au témoignage de Rcnan, ahoutissait ¡'¡ des résultats assez semblllhlcs : « Lc;; ùil'l~d('U1',; mènent exactemcnt la vic des élèves et ~'o('cu¡will d'eux aussi pcu quc possilJ:c. Si l'on vcut travaille!', Oil y f'~t ¡ullllil'aiJlcment placé pour cela. Si l'on n'y a point l'amoul' ÙU travail, 011 peut ne rien faire, et il faut avouer qu'un gl'flntl nombr'e uscnt largcment de la permission. Les intcrI'o¡.:ations, les examcns sont presllllc nuls; l'émulation n'existe ;'¡ aueun degré ct sel'ait tcnue pOUl' un ma l. Si l'on c;IC}~iùèrc j'âge des élhes, cn moyennc de dix-hui\ il villgtquatre ans, on pcut trouve}' «u'une tellc réserye est pre,;«ue exag-él'ée. Ellc nuit. sûrement <lUX études. " (SOlil'l'lli,'" ("I'Iljl'"l'(' cf dl'jl'l/lle.'.<e, IV,) :.¡o entrelien lransmis par Fontaine, M. tie Saci me conseillait toujours tic n'en point parler et d'étoulTer ceci dans le se(:ret: « Si Dieu y a mis quelque bien, « disait-il, il l'en faut louer et garder le silence, se « conlentant de lui en I'endre dans le fond du cœur « sa re~onnaissance. »' Sainte-Beuve, l'apportant ces pawles, remarque: «L'émulation pour ces Messieurs (de POl't-Royal) était là: l'action de grâces, c'cst-àtlire la louange secrète au sein de Dietl. .. Aujourd'hui nous sommes bien loin de là. L'émulation règne partout.; elle OBt devenue la maxime publique, avouée: « Ayez de l'ambition, messieUl's, il en faul, « et nous en avons tous I »; ainsi s'expriment haulement devant nos écoles les chefs les plus illustres, donnant à la fois le précepte et l'exemple, « Trahi« mur omnes laudis studio, disait Cicéron, et optifllllS « qnisqlle ma::cime gloria dllcitlll·2, » Les paroles se ressemblent: est-ce à dire que nous soyons r'evenns en elTet à ce même noble culte des anciens ... , à cet àg-e héroïque où l'ambition du moins étàil celIe des grands cœurs, et où l'idée de la gloire n'était point sépal'able de celIe de la vertu ~ '? Quoi 1. Pat'oles de Guizot. 2. l' Tous nous sommes enlrainés par J'amour de la gloir'e, et cet attrait est d'autant plus puissant que l'âme a plus de nohless~. » (Plaidoyer pour Archias, XL) 3, « IJui méprise la gloire, écrivait Tacite, méprisera bientÔt la vcrlu. Et Plutarque flétrissait les hommes qui « étaient de nature assez lâche et assez nonchalante pour n'èll'c point excités il la vertu par le désir d'honncur. » l> LES ADVEHSAIRES DE L'É\lULATIO:,,\ 31 qu'il en soit.. la société modcmc, en conviaut lOlls indistinctcment à l'éducation la plus recherchée, et cn p\'ovoquant da~s le cœur de chacun ce cri irrésistible: POl/l'qlloi pas moi? a complètement retourné la queslion, au rebours dc ce qu'avail voulu un cht'istianisme austère i. » Sans doute, mais nolre but n'est pas le mêmc ; nous ne cherchons pas à former .des solitai\'cs. Ce n'est pas pou\' le CIOîtl'C, c'cst pOUl' la vie que ntlus élevons nos enfanls, et c'est. à elIc par conséquent que nous dcvons songer. L'émulation d'ailleurs est un sentiment si natmel que, pOUl' J'étoufl'cr à Port-Royal, il a fallu groupel' cinq ou six enfants senlcmenl; encore étaicnt-ils une élite. Sans quoi, malgré Ics pl'écautions de lelll's éducateuI's, elJc n'eût pas manqué dc pamilre ¡} un momenl donné. C'cst J'opinion de SainLe-Bcuvc : « Il cst l1'i~sprobable, dil-il, quc si les Écoles avaient subsisté eL avaient continué de s'accroître, on n'aumit pas su constammenlles garantil' de louLe influence d'émulat.ion litlérail'e et de tout scntiment d'amour-propre. Du Fossé parlant de ce premicr temps où l'on était à Paris dans lc cul-de-sac Saint-Dominique: «( Comme « notre classe, dil-il, était composée dc ceux qui (' étaient les plus avancés dans les étudcs, nous faiu sionsdesdéfisd'émulation les uns conlre les autrcs. u C'était M. Dcschamps, gcnlilhomme du pays de 1. OIlV. cité, pp. 497-·199. Caux, qui excellait particulièrementence genre de « combat, a'yant l'esprit vif e.t piquant, et une poésie « très fine. J) Si les Écoles étaient restées à Paris, dans une seule maison, en vue des Collèges de l'Université et de eclui des Jésuites, l'esprit d'émulation aurait probablemcnt gagné, il aurait pénétré à travers les murailles. La dispersion et la vic de campagne ralenLirentle mouvement t. " L~ grand rcpl'oche que font les éducatelll's de Port-Royal à l'émulation, c'cst de détourner de l'humilité chrétienne et, dans l'ivresse du triomphe sur ses éga ux, de conduire à la conrupi.~cence d'esprit, d'être en un mol génératrice de vanité et d'orgueil. Aussi s'intcrdisaient-ils, avons-nous vu, toute louange il l'égar,l d'un enfant~. « M. de Saint-Cyran craignait l'émulalion sans 1/l.fJralité, comme nous dirions. Il ne « 1. (Jill'. cité, pp,198-4~!I. Picrre-Thomas Ùll Fo~~é, élèvc à Port-Hoyal-dcs·Champs, éCl'it dans ~es .l/,'",o)rr,: " On son~ea il nous cnvoyer' à Pariô \ ltHii-17), où nous devions ètre d'autant mieux pOlir nos études quc l'émulation d'lIll plus grand nombrc d'écolicr's nous 'cxciterait à éturli(~r avec plus d'ardeur ..• :l, « Par ce silence caklllé, remarqlle (i, Compayré, on ::lC mcLlail en gm'de cont.rc l'orgueil; mais, si l'orf"ueil cst à craindrc, la paresse l'cst-elle moin.;'~ El, lor::lqu'on évite à dessein d'aigllillonncr l'amour-propre par l'appât dcs récompen5'~s, par lin mot louangeux placé à propos, on risque fort oIc ne pas surmontcr la mollesse nat.urelle de l'enfant, de n'obtenil' dc lui aucun errort ;;érieux ... l'al' lit, les jallsénistes SOllt inférieurs aux j,;suites, f(lIi, avcc moins d'':'I'',vation, mais pIllS dc finessc, onl, compris pal' quels moycns, par 'luels '~III'ourageJllents an~onlés il. l'amour-proprl', il fallait cxcitcr el stimuler la nalurc humaine,' .• ¡lli"lo;r •. criti'l"e ,ft,,, doctrines de 1',<,lucatiol! en FranCt', L. /, p. 27 1.) LES ADVERSAIRES 3:i DE L'É)IULATIOl'i pouvait soufTrir, comme dit Lancelot, que dans l'éducation des cnfants on fit le capital des sciences et de l'étude, en négligeantl'esprit de piété. Il regardait cette façon d'agir qui dès lors avait cours dans l'enseignement public, comme une grande faute et en'vers l'Église et envers l'Élat. Une telle conduite, selon lui, sUI'chargeail l'£'pouse de .Jésus-Christ de minislresqu 'ellen'avail pain tappelés, etsul'chargeait allssi la Hépublique d'une infinité d'oisif~ qui se croient au-dessus de tous depuis qn'ils savent un pen de ¡atia, et qui penseraient être déshonorés s'ils ne désCl'laient la profession paternelle: ce sont ses propres termes t. » , La vanité est un besoin d'oecuper nos semblables de nous el de nos avantages, avantages du corps, de la naissauce, de la fortune; l'orgueil, exagération du sentiment· de la dignité personnelle, consiste dans une haute opinion de notre propre mél'ite et nous porte, il mépriser les autres. Or, il est possible que ces deux vices proviennent parfois d'un égarement de l'émulation; mais ils sont encore plus le fruit de l'éducation privée. Dans celle-ci, touttermede comparaison faisant défaut, on est porté à exagérer ses talents, tant par un efTet de la complaisance que chacun a pour soi-même que par une suile naturelle des louanges que leur accordent ceux qui les ont fait naitre: on en ignol'e la valeur relative, par cela 1. SAJ~TE-BE¡;\E, Ql"EYIIAT. - Ouu. cité, pp. 496-497, L'Émulation. 3 34 même qu'on ignore les relations d'égal it égal. (( II en est tout autrement dans l'éducation publique, eellequi comporte l'émulation dam; toute son étendue, mais en même temps avec tous ses correctifs, Aussi, est-ce là que les talents sont ordinairement accompagnés de modestic, parce que c'est là que la crainte des revers doit à chaque instant inquiéter la gloil'e· des succès, et que le but à atteindre s'élevant touJOUl'S cn raison de l'augmentation des forces, on trouve le plus souvent, dans la conscience même de' ses efforts, le meilleur J'cmède à l'exagération de ses moyens. L'orgueil est, en quelque sorte, pour l'âme· un état de repos, incompatible avec ceLLe agitation continuelle, ce désir du mieux qu'y entretient le'besoin de l'estime, l'émulation. Celle-ci suppose (les. égaux qui peuvent vaincre comme être vai,ncus, et il n'ya pas là place pour l'orgueil. 1\'ous imaginons. qu'on ne confond pas avec ce sentiment, celui qUt fail qu'on se rend justice, qu'on sent son mél'ite et son pl'ix, qu'on jouil déjà des avantages et des douceUl'S d'une bonne conscience. Celt.e confiance mo-· dél'ée, mais en même temps franche et ouverte dans· ses fo~ces, est peut-être ce qu'il y a de plus imporlant :'t inspirer à un jeune homme destiné à devenir un jour un citoyen l. )) Quintilienjugeaildemême. « L'éducationpubliql1e,. écrit Rollin qui ne fait ici que le traduire, enhardit. 1. FEl;IJ.LET, M¿moirr cilt', pp. 62-('.3. , , LES ADVERSAIRES DE L'É~IULATION 3~ Ull jeune homme, lui donne du courage, l'accoutume' de bonne heure à ne point craindre le grand jour, eL le guérit J'une certaine pusillanimité qu'inspire naturellement une vie sombre et retirée: au lieu que daus le secret et en particulier if languit pour l'ordinaire, il s'abat, il se l'Ouille, pour ainsi dj¡'e; ou bien il tombe dans une exLrémité opposée, qui est de s'enfler d'un sot orgueil et de se mettre au-dessus des· autres, parce qu'il n'a personne avec qui il puisse se mesurer l. )) 1\..1orsque, pour les solitai,'es de Port-Royal, l'enfant nail enclin au mal, corrompu, suivant Hous- 1. Voy. de l'orakur, liv. l, ch. Il. liv. '"l (Du gou\'ernement intérieul' de.; classes). - Cf. Mme Neckel' de Saussul'e (L'éduel/ti<J1I Im}!Jres.,ive, liv. IV, ch. 'llI); • 11 est de fait qu'il seforllle souvent dans l'éducation domesliqne une vanité plus il'ri~llblc, plus aveugle et plusdéplacée que dans l'éducation publique la mieux combinée pour l'exciter .• Et Dupanloup· (I)e I'éducatioll, l. Il, liv. V, ch. I) ; " Sans doute, l'émulation· pl'ut devenir un mauvais amour-propl"e; mais la bonne édul:ation pllbliqup.y J'emédie facilement. L'amour-propre étroit,. lIlisérable, croit au contraire et se développe excessivement et ~;ms remède dans l'éducation privée ... ~Ie permellra-t-on,. ajoute-t-il, de citer cc que :\1. de Talleyrulld écrivait autrefois, SUI' ce point Irés délicat, il lin de ;;es (:onlelllporains: " Lol vie pl'îvée pl'oúuit, en général, sur le caractère des • hornllles ee què l'éducation particulière produit Bur celui " des ellfllnt8; les intérieurs sont comme toutes le,; petites. " pièccd, où toutes les odeurs, J'encens surtout, pOl'tent à la. •• tète. ,,-Dulis un admirable discours ¡;UI' l'éducation publique, O. Gréard, rappelant ce mot de Talleyrand. ajoute ;. • Ali grand air de ¡'éducation commWle, ces vapeurs se dissipent, et les chose,; repr'enllent leur mesure. Les écoliers. ne s'étonnent pas qu'il y ait dans une classe des premier,;. et dc.; derniers ... " - HOLl.n, Qt:nTILlt;'i, Trailé De d,os études, l'inslitutioT! ,. L E:\lULATION seau, au contraire, l'homme est nalurellement bon; c'estla société qui le dépt'ave. « Tout est bien sortant des mains de l'AuteUl' dQ.Schoses; t.out dégénère enh'e les mains de l'homme. » L'éducation, avec ses mauvaises méthodes, est l'instrument de cette perversité, parce qu'elle substitue nos pt'éjugés el nos vices acquis à la reclilude originelle de la nature. C'est elIe qu'il faut transformer d'abOl'd, si l'on veut former des hommes selon que la nature les fcrait elle-même. « POUl' élevcr les enfants, s'écrie Rous!'leau, ~n a imaginé l'émulation, la plus dangereuse de tou les les passions, Voilà commenl, parti d'un point tout opposé, ce philosophe sc rencontre avec POI,t-Royal pour condamner un penchant si natlll'el. ({Jamais, dit~il, de comparaison avec d'autres enfants, point de rivaux, point de concUl'rents, même il. la COUI'se,aussitôt qu'Émile commence à raisonner; j'aime cent fois mi~ux qu'il n'apprenne point ce qu'il n'apprendrait que par jalousie ou par vanité l. Housseau, à la vérité, s'est déjà demandé: « Mais où placerons-nous cet enfant pour l'éle\'er ainsi comme un être insensible, comme un automate? Le tiendrons-nous dans le globe de la lune, dans une ne déserte? L'écarterons-nous de' tous les humains? N'aura-t-il pas continuellement dans le monde le spectacle et l'exemple des passions d'autrui? Ne l) l) J. Emile, liv. III. · LES ADVEHSAIRES DE L'É)IULATION 37 ve;:l'a-t-iljamais d'autres enfants de son âge? - Celte objection esl forte et solide, Mais vous ai-je dit que ce fût une entreprise aisée qu'une éducation natul'elle? .Je sens ces difficultés, j'en conviens; peut-être sont-elles insurmontables; mais toujours est-il sûr qu'en s'appliquant à les prévenir on les pl'évienljusqu'à un certain point. Je montre le Lut qu'il faul qu'on se propose; je ne dis pas qu'on puisse yarrivel'; mais je dis que celui qui en approchera davantage y ama réussi l. ) Pour ce faire, Rousseau confie son élève modèle, Émile, enfant riche, noble et orphelin, à un précepleur qui s'attache à lui depuis sa naissance jusqu'à son mal'iage. Émile est élevé à la campagne, sans livres, sans camarades, dans une situation, comme on voil, toul arlifkielle, Ainsi Ii vré il lui-même, il doil reCaire en quelque sOl'le l'œuvre des siècles el inventer successivement les sciences, les arts, la l'eligion et la mOI'ale. Un lei isolemen! esl une chimère, et la siluation anormale où Rcusseau est obligé de placcl' son élève pour le pl'éservel' des vices inhérents à la sociélé et nolammenl de l'émulation, suffit à.montrer combien il sMail vain de vouloir étouffer ce senliment, qui apparailnécessail'emenl dès que les enCants sont élevés en commun, Quand vient d'ailleurs le moment pour f~mile d'apprendre à eonnallre le monde, il faut bien que le jeune homme se mêle alol's il la société; el aussitôt, 1. Emile, Ii v. I I. 38 Rousseau est obligé d'en convenir, l'émulation s'empare de lui. « Mon Émile, n'ayant jusqu'à présent regardé que lui-même, le premiel' regard qu'il jeUe sur .ses semblables le porte à se comparer aveG eux; et le premier sentiment qu'excite en lui CI'Ue comparaison, est de désirer la première place. Voilà le poin t où l' amOllI' de soi se change en amour-propre l, et où commencent à naUre toutes les passions qui tiennent à celle-là ... l'émulation, les rivalités, la jalousie 2, » - ( Quoi que nous puissions faire, ajoutet-il ailleurs, ces passions natlront malgré nous dans le cœur du jeune homme 3. )) Rousseau lI'interdisait pas cependant à son Émile 1. Au sens usuel du mot, c'est,..à-dire l'opinion avantageuse, ¡'amour exagéré de !';oi-lIléme,pilI' opposition a l'intérêt légitime que chacun prend Ù soi. 2. Emile, ¡iv, IV, :~,Dans ::;es COllsidératioll" ,<1/1'le Gouuerll"l1l<'lIt de J'ologllc, Housseau, prennnt plusconscience de la réalité, a consacrê .à I'ÉduffilioN des citoyens de belles pages QÙ, sans crainte (!e se dl-mentir. il a sagement écrit: " L'éducation natiollale n'3pp3rlient qu'aux hommes libres; il n'y a qu'eux qui aient une exi,¡lence <,omnWIlC, et qui soient vraiment lié!'; par la 3oi. .. " On ne doit point permettre que les enfants jouent séparément à leur fantaisie, mais tous ensemble, de manière (}u'ils aient 1/11 but COl11/1l1ll2 aI/qI/el tous a.<pirent, et qui excite la concurrence et t'émulation. Les parents qui préféreront l'éducaHon domestique) doivent cepcndant envoyer leurs enf~nts lJ ces exercÍ£es; car il ne s'agit pas seulement de les occuper ... mais de les accoutumer de bonne heUl'e à la 1'6gk, à f¿glZlité, il It! frotenlilé, au;r; concurrences, et à désirer l'approbation publique. Pour cela, il faut que les prix et les récompenses des minqueurs soient déeernés par acclamation et au jugement des spectateurs ... Ces idées monlrent de loin des I_ES ADVERSAIRES m; L'É~IULATION :-\9 'loute espèce d'émulation; mais il l'invitail, nous le 'VelTons plusloin, à rivalisel' avec lui-même, à se -su!'passer. Un úe ses disciples et admimteurs, Bernardi n de Saint-Pierre, esprit non moi ns romanesque -el sentimental, se montre plus radical encore el ban[lit des écoles même cette auto-émulation que pl'é-colisaitle mallre. Jamais, du resle, plus violenl réquisitoire n'a été dressé contre l'émulation, el comme leE adversaires qu'elle a rencontrt'ls de nos jours n'ont souvcnt fait que reprendre-les arguments exposés .Jans les £ïudes de la nature et dans les Vœllx d'nn solitaire, il importe de dégager des déclamations .assez confuses où ils se trouvent emmêlés les griefs -de l'auteur contre l'émulalion et d'en montrerle peu ...jesolidité, AlÍn de justifier l'émulation, les éúucateurs font valoir qu'elle est un stimulant. C'est précisément pour cela qu'ils devraient la réprouve!', déclare d'abord Bernardin de Saint-Pierre. « Laissez, s'écrie1-:1, les épices aux hommes dont le goût esl afTaibli; ne présentez aux enfants de la patrie que des mets doux et simples comme eux ... Ai-je eu besoin dan.., l'E'llfance de surpasser mes camarades à boire, à mange!', à promener, pour y trouver du plaisir? .. , L(ls fonctions de l'âme ne sont-elles pas aussi natuI'outes inconnues aux modernes, pár lesquelles les anciens m~naienlles hommes à cette vigueur d'àme, à ce zèle patriotique, à celte estime pour les qualités personnelles qui .sont sans exemple parmi nous ... " 40 ,. L EMULATIOi'< relies et aussi agréables que celles du corps? Si elles attristent nos enfants, c'estla faute de nos méthodes et non celle de la science; ce n'est pas faute d'appétit d(' leur parL. Voulez-vous donc aLLacher vos enfants à vos exercices? faites comme la nature pour les siens; altachez-y du plaisir; ils y courront d'euxmêmes, »)- Ce sont là idées exprimées déjà par Rousseau, et de la valeur desquelles nous -nolls rendrons compte quand nous examinerons ce qu'il faut penser de l'éducation atLl'ayante. l'lIais l'émulation n'a pas seulementle tort d'être un excitant factice: « elle estla racine de I'amúition, cal' l'émulation produitle désir d'être le premier, et le désil' d'être le premier n'est autre chose que l'ambition \. n 01', « l'ambition est interdite à tous les hommes par la nature et par la religion, et il là plupart des sujets par' le gouvel'llcmenl. Dans nos collèges, on élève à l'empire un écoliel' qui scra destiné toute sa vic à vendre du poivre 2 n. Au-moins, chez les anciens, ({ la plupart de leurs exercices avaicnt pour b.ut l'utilité de la patrie. S'il y avait, chez les GI'ees, des prix pour la luLle, le pugilat, le disque, la course à pied et en chariot, c'est que ces exercices 1. Vœux d'un soli/ai,'" : Vœux puur U/le éducalion /lationale (1789). 2. mudes d" la /la/ure, étude Vile. Ceséludes ont paru, poOl' la première fois, en 1784, Bernardin de Saint-Pierre reprend ailleurs: " :'0105 régents français inspirent l'ambition aux enfants, sans en prévoir les conséquences pour les citoyen ••, Ils établissent parmi eux de petits empires dont ils distribuent les dignités et les COI\1'OIllICS u (¡'œux ,fun solilair,,). LES ADVERSAIRES DE L'É~lULA TION 41 élaienl nécessai¡'es à la guerre, S'ils en avaient établi pour l'éloquence, c'est qu'elle servait à défendre. les inlé¡'êls de la patrie, de ville en ville, ou dans les assûmbl¿'es générales de la Grèce i, » Pareillement, (( si l'émulalion a élevé de grands hommes dans quelques républiques, c'est parce que les citoyens pouvaient y parvenir à tout. Mais chez nous où le mérile seul ne mène plus à rien, où on ne peut s'élever aux petites places sans argent, aux grandes sans naissance et à aucune sans intrigue, la foule des ambitieux ne s'occupe qu'à abattre loul cc qui s't,lève )), Admirez, au conlraire, (( l'édifice inébranlab:e des lois de la Chine, le plus ancien empire de l'ur:ive¡'s. Les enfants ni les jeunes gens ne sont point élevés à la Chine à se surpassel' les uns les autI'es, Ils ne connaissent ni nos thèses ni nos dispules d'écoles 2, l) Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles la Chine es! restée jusqu'à nos jours le type même de la lorpeur. El cc! exemple que choisil Bernardin de Saint-Picrre, dans le but de montrer quels beaux résulLats on obtient sans émulation, suffh'ait à ¡'éfule¡' la thèse de cet écrivain, Si d'ailleurs elle pouvail avoir sous l'ancien rég-ime quelque apparence de vé¡'ité 3, 1. E/udes de la nB/ure, étude XIV, 2. Vœux (L'un solitaire. 3. l\Io~TESQ\:lEli (Esprit des luis, liv. IV, ch. III) déclare que, dans les f:lals despotiques, " le savoir sera dangereux, l'émulation funeste :'lIais il la I'egarde comme nécessaire aux républiques. lI, ,. L ~:J\WLATlQ:,( ·eUe tombe d'eHc-même,dans notre société démocratique, où lout citoyen peut aspirei' aux plus hautes ·charges. C'cst ce que cdnsLataiL déjà Feuillet sous la première République. (( Dans l'État purement IDO. Ilsrchique, écrivait-il t, la faveur du prince donne les places, elles places seules donnent la considémlion; <nonquc ceux qui les occupent la méritenlloujours, mais pal'ce qu'ils la commandent. Commc on ne peut .y Hrc quelque chose, que lorsqu'on possède un privilège, ou qu'on est revêtu d'une dignité, l'émulation n'est là que la pire espèce des ambilions ... Il ·doit en arriver autrement dans une république. Là, il Y a aussi des premières places, et il importe ·qu'elles soient l'emplies par de grands talcnts, parce -que, dans un pareil ÉtaL, de grandslalents ne peuvent être que de grandes verLus. Mais c'est I'estime publique qui confère c~s places. On senL assez que le . but principal de l'éducation est de former celte immense majorité de bons, sages et utiles ciLoyens, -qui se réunissent pour former ce qu'on nomme l'ÉtaL. L'émulation s'étend, en quelque sorte, pour embras'Scr tous lcs rangs, pour y atteindre tous les indivi. -dus. » Récemment, un ministre de notre troisième République exprimait la même idée d'une façon plus I~loquente eL plus précise: « Une société aristocralique, s'écriait-il, trouyc SOD élile loujours forméc par droit de naissallce; une démocratie crée la 1. Mémoire cité, pp. 64-67. LES ADVEHSAIH.ES DE L'É:\lULATlON 43 "ienne pal' ùroit de mél'ite. Elle ne peulla créer que par un reco~rs énergique à resprit d'émulation, si ·elle ne craint pas de dire au meilleur: « Tu es le meilleur.» Sans quoi ellç prépare la r~gle du moindre eITort et du moindre devoir. Non pas seulemenl pour le bien des fonctions publiques, continuaitle minislre, mais pour recruter les ingénieurs, les co:lon5, les. aviateurs, les explorateurs, les hommes de ol1ègoce et d'industrie, elle n'a qu'un moyen: la sélection cntre les jeunes hommes selon leur mérite l. )\ Áull'e tort qu'aurait l'émulation: clIc pousserait à rechercher les distinctions el les honneurs. « Elle nous 'l"cnd vains, dil J'auteur des Vœux d'nnsolilaire, '" elle engendre ramour de la louange, des prérogatives personnelles, des dignités et des emplois. » En adme~tant que le reproche fût :nérité, il faudrail voir oar:s un lei faille l'ésullal d'une émulalion mal dirigée. Le meilleur correctif que pourrait alors utiliser le maîlre serait de faire eomprp,ndré à ses élèves que la valeur d'un enfant ne dépend pas seulement des places obtenues dans les compositions, mais qu'il y a bien d'autres qualitésdu cœlll', du caractère, même oe l'esprit qui entrent en ligne de comple dans l'appréciation de son mérite et qui plus tard, dans la vic, renverseront peut-être les rangs du tout au !.out. l. GUIST'n.,v, Discours prononcé prix du lycée LOllis-Ie-Grand. ell 1912 " la distribution drs 44 La vanité, d'ail~eurs, avec son corollaÏt'c, le goùt des distinctions honol'ifi(IUes, n'a pas besoin dc l'émulation pour naître et provient plutôl d'un sot amour-_ propre, d'un manque de jugement. M. Jourdain, le bourgeois gelltilhomme, était-il donc une victime de l'émulation? L'n nouveau reproche (lui est fait à celle-ci, mais qu'clic nc mérite assurémcnt pas, à moins qu'on nc la confonde avec la plus basse ambition, esl qu'elle ferait des hommes à la fois des tyrans et des esclalJes: des tyrans, en exaltant leur amour de la domÏ11ation; dcs esclaves, pal'cc qu'en suscitant la passion dcs gmndeurs, elle porterait à acccptcr toutes les platitudes qui peuvenl y conduire. « Comme elle inspire avec ses croix, ses médailles, ses livres, ses prix, ses concours à chacun d'eux d'être le premier, elle les remplit d'insubordination pour leurs supérieurs ct de mépris pour IcUl's infél'ieul's. :\1ais, comme les exlrêmcs se touchent, celte éducation ambiticusc est en même temps très servile. Comme elle ne les mène que par l'amour de la louange ou par la crainte du blâme, elle les met pour loute leur vie à la discl'étion des flatteurs, Les suffragcs d'autrui, qu'ils veulenttoujours captiver, les captivent à leUI' tour d'une telle fOI'ce, qu'illeur suffit d'Hre entourés de détracLeUl's de la vérité la plus évidente, pou r qu 'ils ne I'admellent jamais; ou de prôncurs de l'opinion la plus a bsurde pour qu'ils sc la persuadent à la long-ue. Lem' propre jug-enlent plo)'unt sous le LES ADVERSAIRES 45 DE L'ÉMULATION faix de celle tyrannie dont Oil leur a fai t su hir le joug dès l'enfance, leur conscience ne se forme plus qne ùe l'opinion versatile d'autrui, qui devient pour eux lu seule règle du bien et du mal i. » Enfin l'émulation serait « la source des vices les plus dangereux, de la jalousie, de la haine elle ferait nail1'e (t les médisances, les calomnies, les querelles ». Bemardin de Saint-Pierre insiste sur ce grief. « La jalousie et la haine accompagnent parloutl'émulation. » En l'inspirant aux enfants, « vous dor.nez à chacun ù'eux autant d'ennemis qu'il a de compagnons; vous les rendez mnlheul'eux les uns par les nutl'es; ceux qui ne peuvent s'élevel' par les talents cherchent à réussir auprès de leurs mnîlres pal' leurs flatteries, et à faire tomhel' leurs égaux par leurs médisances. Si ces moyens ne leur réussissent pas, ils prennent en haine les objets de leul' émulation .. , ) Voyez dans le monde un de ces enfants dressés au collège à surpasser leurs camarades: « S'il ne s'y propose d'autre but que son avancement, ne serat-il pas afnigé de la supériorité d'autrui? Ne s'y remplira-t-il pas de haine, de jalousie, et de désirs qui [e dépl'Îmeront au physique et au moral 2? » )l ; 1. Corollaire de la thèse précédl.'nte, aussi peu fondé du reste: par là même qu'elle ••les rend changeants au moindre IJIlllne ou au plus petit éloge d'un inconnu " (Etude XIV), l'émulation est •• la première cause de l'inclJnstance des hommes I> (Vœux d'un soli/aire.) 2. Voy. les Vœux d'lll! solitaire (Vœu pour une éducation nationale) et les Étw/es tic la nature (Étude XIV, De I·Éducation). 46 Aussi, pour remédier 'ff ces maux, l'auteur des Étude,~ de III Nature imaginait-il la ,créalion d'Écoles de la patrie, dans lesquelles (. il n'y aurait ni récompenses, ni punitions, ni émulation, et, parfanl, point d'envie >l. Quel changement alors! (( Concevez, au liell de ces jeunes gens de collège, pâles, m¿~itatifs, ja)ollx, tremblant sur les sllccès de leurs infortunées compositions, des jeunes gens gais, contents, attirés par le plaisir dans de vastes salles circulait'es, oÙ s'élèvent çà et lri les statucs des hm/! mes illustres de ['alltir/Ililé el de Ir¡ patrie •. voyez-les lous attentifs il )a ramIe du maître, s'aidant Jes nns les aut.res it la concevoir, à la J'etenir, et à répondre à' ses questions imprévues ... Voyez naitre parmi eux, au lieu" d'une vaine émulation, l'union, la bienveillance, l'amitié, ponr une réponse suggér{~e il propos, pour une excuse donnée en faveur d'un camarade absent par des camarades voisins, et pour d'autres sel'vices renùus. Le souvenir de ces liaisons du premier âge les rapPl'ocherait encore dans le monde, malgré les préjugt;S de leur condition. ,l • Le tablcau est certes channant et, sinon utopique, combien différent ùe celui qu'offraient, au dire de llotl'C auteur, les collèg-es ((olt (',haque écolicr cherche à supplanter son .••.. oisin )l. - « Je me souvicns, raconte-l-il, qu'un jour de composition, je me lrouvai. fort bouleversé, pour a\'oir oublié un auteur Jalin. dont il faUail traduire une page; un de me~ voisins· m'offrit obligeamment Je me diclcr la version qu'il LES ADVERSAIRES DE I:lbIULATION 4; en avait .faiLe. J'acceptai son scrvice, cn le reme\'ciant beaucoup . .J c copiai donc sa version à quelques chung-ements dc mols pl'ès, pour ne pas fail'c voir au régent ([u'elle était la m~me que celle de mon voisin; mais celle qu'il m'avait donnée n'étail qu'une fausse eopie de la sienne, et remplie de contre-sens si extravagants, que le régent s'en étonna, et se douta d'abord qu'elle n'était pas mall ouvrage; car j'étais assez bon écolier. Je n'ai pas perdu le souvenir de celle perfidie, quoique, en vél'ité, j'en aie oublié de plus cruelles depuis ce temps-là; mais le premier âg-e de la vie humaine est l'âge des ressentiment,;; et des reconnaissances inelraçablcs. )) Peut-être ne faut-il YOil' dans le fait que rappporle· Bernardin de Saint-Pierre, el en le prenant tel quel, qu'une mauvaise plaisanterie de la parl d'un eamal'ade. Ilserait en tout cas peu raisonnable de juger de· tOllS les écolicrs d'après celui-là l. L'aphorisllIeab uno 1. Commc contrc-partie, nous ne résistons pas au plaisir dc t~anscril'c un incidcntquc rappclait de sa vic de lycéen 1\1.Guisl'hau en son (¡¡scours dc Louis-le-Grand. « C'était, disait-il, dnns lin lycée de l'lIe Bourbon, à la veille des compositions de prix, ct de la plus importante de toutcs qui, en CC5 temps lointain,,", él:lit tnCOl'C celle du discours Jatin. Un de nos camarades tomha malade, el il sc désolnit à ln pcnsée du prix qu'il allait perdre. Les dcux ou tl'ois conCUITen!.s tinrent conseil, el demundèrcnt au pl'Oviseur de reta~del'la composition, Notre canwrade guéri vint et corn" posa. Il y <lvait alors en rhétoriquc !t'ois prix de lutin: prix de discolll"s, dc vers ct de version. II ."emporta le premier p1'Ïx dc discours latin, celui (IUC nous lui avions donné. !'lIais dans les deux autres matières, version latine, vel'>; !:ltins, il n'cut pas mêmc un 3ceessít; à notre insu, H. 48 disee omnes serait plus que jamais sophistique. Quoi qu'on fasse, de méchantes natures se rencontreront partou 1 el toujoul's. Mais a-l-il pu exister' des collèges où les élèves, pleins de haine et de jalousie à \'(~g-arJ les lins des aulres, n'aienl eu r('cours pour réussir qu'à la bassesse envers les maitres et à la tmhison envers les condisciples? De telles mœurs sont-elles el ont-elles jamais été compatibles avec]e naturel toul généreux eltout spontané de l'enfant? L'cxpérience répond quc non. Nous avons réfuté J'avance une telle assertion en relatant les témoi~ g-nag-es qu'ont portés sur leurs camarades de classe Mannonlcl et Feuilletl, tous deux contemporains de Bernardin de Saint-Pierre. Il n'est pas un éducateur qui nc puisse produire]e sien à l'appui. « Quiconquc, écrit excellemment Jacoulet, a hien obsel'vé des enfants d'un caractère dl'oil el d'un natUl'cI non vicieux reconnaîtra qne le premier mobile d'émulation chez l'enfant, - le seol même ta!lt que récole ou le collège le laisse à ses propres impulsions et ne surexcite pas cel'taines ambitions factices, - ce n'est pas ]e plaisir d'humilier un concurrent, de passeli' au-dessus des autres, de briller à leurs dépens, de jouir de leur défaile et de son propre triomphe, c'est ]e besoin d'avoir bien fait, d'avoir réussi, d'avoir mérité, n'avait pas composé, il- avait remis des copies blanches, Nous lui avions fait une joie; l'accept.ant de bon cœur, il nous la rendait au double. » 1. Voy. ci-dessus, pp. 12 et 15. LES ADVERSAIRES 49 DE L'É;\IULATlON ¿'Nre louable el d'èlrc loué, d'être aimable et d'Nl'c aimé. :\Ime Guizot a lrès finement et tresfermement nol~ cc caractère de la saille émulation, de celle qui s'établit par exemple dans ulle maison d'éducation pulJlique bien organisée: ,( Le but qu'on propose à {{l'c.mbition des élèves, dit-elle, n'est point de vaincre « tcl ou icI camarade, en luttant corps à corps, mais « d 'atteindre à des ¡'écompenses,à des honneurs oll'crt ~ « également à tous, vel's lesquels ils tendenttous pal' " une même route el qui excite assez vivement leurs :( désits pour absorber leur attcntion et l'empêcher de {(se fixer SUI' les obstacles que la supériorité des plus « forts oppose au succès des moins avancés. » Voilà la ·•.él'ité. La luUe contre les camarades, c'est. le mO?ell, cc n'est pas le bul, ni dans la pensée ni dans le cœur de l·enfan'~. La l'i"alilé, soit vis-à-vis de td con~lFrent en particulier, soit il l'égard de tous indistinctement, sc rédujl à un sentiment passag<'¡' et nullement haineux qu'on n'éprouve que pendant le fCll de la lutte ou plutôt donl on n'a même pas conscience alors, ne songeant aux concurrents par fI ui l'on se sent pre5sé que pO·.lr s' encourager secretemcnt soi-méme Ù faire plus, plus vite et mieux, Si, à cc moment même, l'enfant pouvait s'analyser les sentiments qu'il ressent, bien loin d'y trouyer un principe de jalousie et de malveillance envers ses camarades, il sc sentirait bien aise de l'effort qu'ils l'objgenL à faire, et, coml)lC il se sait gré it lui-même .de cette tension d'esprit el de \olonlé, illeur en auQVE1IIIUT. - L'I~mulatiol1. 4 50 J:Ün:LATlON rail presque de la reconnaissance l. ~lais, grâce à Dieu, l'enfanl ne se scrute pas ainsi lui-même; bien dirigé, illI'availle comme il joue, naturellemenl, volontairement, gaiement, parce que le travail et le jeu ne sont que deux moùes égalemenl naturels d'une aclivité également normalc. Seulementl'un esl plus pénible que l'aull'e, amène pl~s vile la faligue; aussi pOut' se soulenir exige-t-il plus d'efforts que l'autre et plus de secours du dehors. C'esl un de ces appuis externes que foumit l'émulation, engendrée par le milieu même oÜ l'on a placé les enfant~ pour facilileI' le développemenl de leur intelligence et de leur caractère; ce qu'on ùemande il l'émulation, c'esLlout simplement une incitation, un surcroil d'énergie qui résulte pour chacun de l'exemple de tous : elle échauffe les esprits sans les irriter, elle aiguise les volontés sans les toul'l1er il la haine, elle maintient il hauteur convenable le niveau de la classe sans déprimer personne '¡. » Au fond, toutes les accusalions, et la liste en esl longue, que nous avons relevées jusqu'ici contre l'émulation pourraient être Ù bon droit tenues pOUl' suspectes, venant de leurs auteurs. Un jour q'!e ses collègues de l'Académie, occupés au Dictionnaire, discutaielllle mol appartenir et donnaient cel exemple: Il appartient au pèl'C dc châtier ses ent. Cf. plu'..;loin. p. 82, ligne 29 et 2. Die/. de pédagO<Jie, art. cité. SUIV. LES ADVEHSAIHES 51 DE L'ÉMULATlOii fants: « Je récuse votre témoignage, leur dit Bernardin de Saint-Pierre, parce que vous êtes tous célibataires. » ~ous pourrions, reprenant celle parole, en faire l'application à tOllS les précédents détradeurs de l'émulation. Célibataires, les pédagogues de Port-Royal; pèl'e de famille, il est Hai, J.-J, Rousseau, mais qui délaissa ses enfants; « inutile célibataire » aussi, suivant sa propre expression, Hernm'din de SaintPielTe I ; ct, comme tels, ils n 'ont jamais bien connu les e::1fants. « Mais, voici que leurs critiques de l'émulation ont été reprises èe nos jours par les éJucateurs les plus sérieux quí se sont efforcés de les mettl'e en pratique. De là celle campagne qui a été conduite, - nous savons avec quelle aI'deur, contr;l tout notre système de récompenses et de punitior..s, contre nos distributions de prix et de récompenses scolaires, campagne dont les résullats connus de tous permettent aujourd'hui d'apprécier la valeu·' 2. » Cc que les néo-critiques de l'émulation lui reprochent tout particulièrement et ave~ insistance, c'est de détourner l'attention des enfants de la pensée du devoir pour la porter sur les récompenses, (I de leur présenter comme le but ce qui Il'est 1. Il se maria, en lÎ92, à I'¡\ge de cinquante-cinq ans, avec :\lIIe Didot. Les deux enfants, nés de cette union, porti'l'ent les noms de Paul et de Virginie. 2. F. TUO)IAS, l'Éducation des sentiments, p. 207. BANCO DE LA REPUB~¡CA 118UOT6CA LUIS-ANGEl ARANGO qu'un surcrolt, et leur devo.ir comme une affaire t Il. Quand il en arrive ainsi, c'est la faute du maitre qui a laissé l'émulation dévier de sa véritable fin, la lulte avec des camarades pour del'enir plus intelligent, plus adr'o.it ou plus fûrt, vers la préoccupation de la récompense à obten.ir, Encore n'est-il pas tûujours répréhensible, afin de stimulcr plus vivement les volontés, d'attirer de ce côté l'aUention. Nous :aurons plus loin il revenir sur ce sujet; il n'y a do.nc pas lieu d'y insister ici. Nous nous co.ntenterons également de signaler le dernier tort qu'aurait l'émulatio.n, d'habituer les enfants à honorer no.n le mérite, mais le succès, no.n l'élève qui a fait le plus d'efforts, mais celui qui a été le plus favorisé par une certainc habilet..é DU par la chance ~ car, si cet inconvénient se produit, c'est. que le système d'émulation est organisé d'ulle fa<¿o.n gro.ssière • el enregistre machinalemenlles résultats bruts du travail des élèves, au lieu de lcs'apprécier po.ur chacun pal' rappo.rt à ses moyens, à ses facultés, à SOD degré de culture, à ses error'ls » (Jaco.ulct). Or «( le premier devo.ir d'un pro.fesseur est de so.utenir et d'encourager to.ut le monde, de :ne désespérer ni sacrifierpersonne 2 ". En réalité, la meilleure réponse que l'on puisse faire à to.utes les critiques formulées co.ntre J'émulal. H. M.HUON, l'Éductltion d4AS l' Uni~C1'sité, p. 278. 2. Rapport sur la discipliae MilS l'en¡eigu.ement (Il .• Mario., rapporteur, juillet 1890). p. CClIl•• seeondaire LES ADVERSAIRES DE L'ÉMULATlO~ 53 tion consislel'a à meUre en relief les innombrabl es services qu'elle est susceptible de rendre à l'éducation. Mais auparavant il nous parait utile de passeren revile les moyens par lesquels on a Pl'étendu la rem?laCel' el u'en apprécier la valeur. CHAPITRE III INSUFFISANCE DES MOYENS PROPOSÉS POUR REMPLACER L'ÉMULATION - Ses partisans. - Sa valeur et son insuffisance. - Autres prétendus succédanés de l'émulation: l' Le plaisir; - ce qu'il faut penserde l'éducation attrayante; - opinion ùe ;\'Ime 'de Staël; - 2' l'intérêt; - efficacité douteuRc de ce mohile ; - 3' les sentiment.~ désintéressés; - critique; - 4' l'appel à la raison; - opinion rie H. Marion; - désaccord de celte doctrine avec la psychologie: faible aetion ùës idées. - Exagérations nouvelles. - Ctilité des distdhutions de prix: arguments divers . I.'auto-énllllation. . Il est line sorte d'émulation qui n'a guère rencontré d'adversaires, savoir le perfectionnement propre et continu qu'on appelle l'auto-émulation, c'est-àdire l'émulation avec soi-mêmc, « émulation éminemment moralc; qui nail du progrès mêmc qu'on a fait dans la voic qu'on s'cst tracéc, du dési¡' soigneuscment entretenu de se rappl'Oche¡' chaque jour davantage de l'idéal qu'on s'est formé i ». 1. CARRÉ, les Pédagogues de Port-Royal, Introduction, p. XVIII. 5i Port-Royal même la mettait à ·un très haut prix et cherchait à la développer chez les enfants. « Quand ils fonl bien, recommande un maitre des Petites· Écoles, il faut les exhorter à faire encore mieux. parce qlle c'est retourner en arri¡"rc que de n'avancer pas conl~nllcllement dans le chemin de la vel'lu~ et il faut se souvenir il ce sujet de cc proverbe que, « quelque bon que soit un cheval, il a toujours besoin d'~perons t )lo. Rousseau la jugeait aussi très r~mme. f~mile ne concourra point avec d'aull'es enfants, dit-il, « seulemeut je marquerai tous les ans les progrès qu'il aul'tl faiks ; je les comparerai à ceux qu'il fera l'année suivante ~ je lui dirai ~ It Vous. êtes grandi de tant (te lignes, To.it~ le fossé que vous sautiez, le fardeau que vous pbrtiez ; voilà la distauce où vous }~nciez un caillou, la carnèreque vous parcouncz d'une haleine; voyons maintenant cc que vous ferez. J e l'excite ainsi sans le rendre jaloux de personne. Il voudra se sW"passel\ ille doil: je ne vois nul inconvénient qu'il soit émule de lui-même. )) De nos lours, ceLle opinion de Housseau a trouvé de l'écho. u La seule émulation qui soit bonne sans réserve, affirme H. ~Iarion, c'est l'émulation avec soi~même, le désir de faire bien, et, en attendant, de fail'l~ mieux qu'hier2• » Vue seûle voix discordanle s'élait'fait cntendl·e. 1. CO¡;STF.L, Règles de l'éducation des enfants, ch. partie, D. Des f'icewtpetUes. !. Rappqr' ciM, !, 11\', § 9. MOYENS P.OUR REllPLACER L'É)luLATlON 51 celle de Bernardin de Saint-Piet're, d'après qui l'enfant modèle scmit l'enfant élevé dans la maison paternelle « sans envie de surpasser personne, et encor'c moins de se surpasser lui-même, suivant notre gl'l.mÙe phrasc à la mode, vide de sellS, comme tant J'autrcs I n, Moins sévl~res, quelques éduèateurs contemporains ont approuvé l'auto-émulation, mai8 n'ont pas admis qu'cHe pût être substituée ti l'émulation proprement dite. Le seul œoyen séricux, déclare Eug, Maillct, d'apprécier les pl'ogrès et de mesurer les efforts, c'cst de les soumettre à la loi de la concurrencc, la seule qui permette aux forccs intellectuelles et morales de l'homme, aussi bien qu'à ses forces phystques, de donner leur maximum d'intensité, L'individu ne peul trouvel' en lui-même la vraie mesure de la puissance humaine, parce que ceUf: mesure eS't lInc moyenne, el qu'une moyenne nl" peut s'cxtraire que d'Gne pluralité. :\'ous ne sommes pas des ètres abslraits, nous sommes li{~sà une espèce; c'est par une continuelle comparaison avec notre espèce que nous nou~ rendons compte du degré où nos forces peuvent atteindre, lorsqu'elles dèpassent leur mesure ordinaire. C'est seulement en voyant tout ce que pcuvent faire les autrcs que nOUi· arri,'ons à bien comprendre lout ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Si cela esl vrai de (e l. i'tw/es de la na1ure, élude XIV. 58 l'homme, à plus forle raison est-il vrai aussi de l'enfant. Livré à son expérience seule, l'enfnnL ne pourra pas savoir pour lui-même, eL son précepleur ne le saura pas davanlage en son lieu el place, quelle esl l'extrême limite où ses forces peuvent atteindre sans s'épuiser. L'enfant ne peut pas indéfiniment sauler des ruisseaux de plus en plus ¡arges; porter des fardeaux de plus en plus lomds; il Y a un moment où la possibilité du IH'ogrès s'aITête, parce que la nature ne le comporle plus. Si on ne compare pas l'enfant avec ses camal'ades, on ne pourra connaiLre ce moment; el alors, quand l'heure sera venue oil le progrès doit nécessairemenl s'arrêler, l'enfant s'épuisera en elTorts inutiles ou se découragera sans raison de ne pins pouvoir fail'e mieux, « La méthode de Rousseau, transposée des exercices physiques aux choses de l'ordre intellectuel ou de 1'00'dre moral, serait incapable de remédier à un affaissement collectif des espl'¡ ts ou des caractères, Ù une détente qui sc ferait, sans concert préalable, dans toutes les âmes à la fois, C'esl que le ressort de l'action est la vue même de l'aetion; le spectacle de l'efforl appelle eL suscile l'effort. Jamais un coureur, seul dans la carrière, ne lrouvera en lui-même la puissance d'excilation que lui communique la lulte avec d'autres coureurs, alors qu'illes senL sur ses talons, prêts à le dépassel'. « D'ailleurs, la concnrrence est la loi universelle 1I1OYENS POUR HE:\II'LACEH L'É:\IULATlON :í9 de la natUl'e et de la société; partout nous trouvons, dans l'une et dan~ J'autre, la lntte ¡JOUI' la vie etla iuUe pOlLr I'Hmpire. Que celte loi nous étonne, nous scandalise même, peu importe. Il faut bien, puisqu'elle existe, que nous en tenions compte pour préparer l'enfant à sa destinée individuelle et à sa d~stinée sociale l. » M, F, Thomas écrit, lui aussi, qu'on a beaucoup exagéré la valel1\' éducative de l'auto-émulation, et il donne de son avis cette autre raison: « Si ce sentiment rend les plus gl'ands services à l'homme fait, aL savant, à l'artiste, uniquement épris de beauLé et de science, si, nous-mêmes, nous lui devons parfois des corrections heureuses apportées à nos travaux, et les elrol'ls soutenus qui, pcu à peu, nous améliorent, nous doutons qu'il agisse ainsi efficacement sur nos enfants, surtout sur ceux de l'âge d'Émile, moins aples à s'analyser et à juger leurs œuvres. N'oublions pas ce que ~ont nos élèves et de quoi ils sont capables; les trailcr en personnes tout à fait raisonnables, serait s'cxposer à n'être pas compl'is et à manquer le but que nous pOUl'suivons. )) Cependant, à la condition de ne voir dans l'autoémulation qu'une auxiliaire de l'émulation véritable, on ne saurait nier qu'elle ne puisse avoir une réelle efficacité. « L'expérience ne nous pl'Ouve-t-elle pas chaquc jour quc, même chcz nos enfants,"le désir de 1. PsycllOlogic <le l'homme et <le l'enfant, pp, 10\1-110. L " EMULATION (( se surpasser !loi-même », c'esl-à-dire de devenir meilleurs, plus intelligenls et plus sages, peut avoir les plus heUl'eux etTels '? --.xotre petit écolier a, dans sa didée, pal"cxemple, commis.lrois fautes énormes~ et. nous lui faisons honLe de son ignorance. S'il a de l'amour-proJwe, il s'appliquera désormais avec uue attention plus grande à ses nouveaux devoirs, el combicn grande sera sa joie s'il réussil pleinement. " Papa, j'ai zéro ·faule! l) Avoir zél'O Caulc, c'esl son idéal à lui, el ¡'emat'quous bien qu'ici n'intervient nulle rivalité avec ses camarades. De même si, après avoir encouru plusieurs punitions, il pat'vient à n'oblenit' pendant une semaine que des éloges. il e~t loul fiel' de ce succès, et ce succès l'encourage à. sUl'veiller davanl..age encore sa conduite pour se montrer de plus en plus digne de l'estime qu'on lui témoigne t. )) Il serait donc déraisonnable de proseril'c purement et simplementl'émulalion avec soi-même comme un moyen d'éducation inutile el puéril2; mais il ne faut pas davantage y VOil' un ressort capable à lui L F, TIlU',",', l'krw:aliora d"s unlimenls, pp, 207-208, :l, On connailla puissance de la suggestion, Or, il semble bien qu'au fond cetteéruulation avec soi-mêmene soitqu'une forme de CIl qu'on appelle faulo-,mggestion, " L'homme est ainsi fail., a dit Pascal, qu'à force de lui dire qu'il esl un sot. il le croit; et à force de se le dil'e à soi-mème, on!;e le fait croire, " Guyau fait remarquer :\ ce propos que J'6ducateur doit Loujours suivre celle règle: pel'suadel' à l'enfanL CJ,u'ilpourra cumprendre eL qu'il pourra faire, - Voy. GUYAV, Educati(J11 el ¡¡érédité, ch, I; - cf. F, rule dans l'éducation, I" par~e, ch. TIlOlI.\S, 11. la Suggestion eL Ile partie, ch. et I; SOlI eL ~IOYENS POUR REMPLACER L'ÚIULATlO!'i 6~ seul ùe pousser les enfants à la peine et à l'effort Divers autres mobiles onl été proposés pour rem· P laccr l'émulation, el tau I d 'aborù le plaisir. Par réaction contre les pratiques suivies de SO] ttmps à l'école, véritable CI gcDle l) où les cnfants ni trouvaient aucune joie, parce que leur nalure y étai v.olemment comprimée et parce qu'aussi les exercice auxquels on les contraignait les fatiguaient à l'excè ou les dégoûtaient, Montaigne voulait que l'éduca .lion fût attrayante,que l'école devînt un lieu où l'cr .fant se plairait, qu'on y fit (( pourLl'aire la Joi{ l'Allégresse, el Flora, et les Grâces i )l. Partis Sl: -cette voie, des réformaleurs comme Fourier et Yi( tOI' Considéranl onl imaginé qu'il fallait suppriml toute discipline, loule contrainte, laisser enliè] liberté aux inslincts de l'enfant. Salis tomber dar -cette exagération, Rousseau et Bernal'din de Sain Piene pensaient qu'il devait y avoir dans le se :allrail de l'élude un excellent moyen de l'cmplac, l'émulalion et d'obtenir lous les services qu'on pl' .,end demander à celle-ci. (; Si vous voulez prompt .)uS>5i nolre ouvrage EUI' les (;arac/t.,.cs ci I'édoration "1',1"(( pp, 11)0 et suiv, 1. Essais, liv. I. ch, xxv, De l'inslitution des enfants. L'abbé Fleury (Trailé du choix et de (.a méthode dc,; <'!lules, ch.' demandait aussi que, pOUl' capliver I'attenlion. de r. fant, on ne lui présentât 'lue des objets sensihles, " ( peintures el ùes images»; qu'on lui donnlit des liv! neufs el bien reliés; <¡u'autant que possible on ¡'instl'U1 dans un heau jardin; 'lue lout, autour de lui, fûl souri; el gracieux; que le précepteur lui-mème eût beau vis~ge L " E~ULA TION (il! ment appremlre it lire aux enfants, Jisait l'auteur des ¡¿'tudes de la nature, meHez une dragée sous chacune de leurs leltres l. ») Plus récemment, H. Spencer a proclamé que « le plaisir est le stimulant le plus t\nel'gique elle plus efficace de l'activité ", en même Lemps qu'il est la marque d'une aplilude qui s'évp-ille. « Aussilôt qu'un espril monlre du goÙl pour leI ou leI genre de connaissances, c'est signe qu'il esl devenu aple à s'assimiler ces connaissances et qu' elles sonl Jevenues nécessaires à Sfln progl'ès . ... L' enfant. se toul'lle de lui-même vel's ces nouvelles éludes 2, Il Volontiel's nous reconnaissons que, loin de surnWller les enfants ou de les rebuter pal' des exercices ll'OP long-s, ou trop au-dessus de leul's forces, ou trop contraires à leUl's inclinations, il faul les amenel' Ù s 'intél'esser à leurs travaux; alors seulelllell t ils s'y liYl'eront avec profil. Nous :lccol'dons encore qu'il dépend du maitre, pal' sa bonne humeur et sa douceur jusque dans la sévél'ité, de faire aimer la classe. On évitel'U donc, au moins dans les commencements, pOUl' ne pas obligel' à une contention d'esprit excessive, les difficultés lrop grandes, comme aussi un enseignement trop abstrait, el, aulant que possible, on introduira de la val'iété dans les exercices; le maîlre, en même temps, gardera, nu milieu 1. " Tout ce qu'on :Ipprendl'a, en vers et en nrusique. Il 2. J)t! /'éducatirm in/dlce/udl", a-t-il écrit enCOl'e, sera mis moral" t!t physiquc, ~h. II. ~IOYE~S paull llE:\lPLACEH L'Éi\IULATION 63 de la fermeté Je la Jiscipline, quelque chose d'affectueux, de quasi patemeJ. Mais tout cela admis, et ce sont d'ailleurs recommandations superflues, nous dot.lons que le plaisir, le goût pOUl' les études suffise à remplacel' J'émulation. En clret, outre qu'il y a des penchants contre lesquels l'éducateUl' doiL réagil', il est des éLudes tl'ÓS abstraites et pourtant indispensables, qui ne sauraienL pal' leur seul aUraiL solliciter l'attention de l'enfant. Puis, de parti pris, n'employer celui-~i qu'à des Lravaux faciles all auxquels le parLeraient ses goûts, seraiL-ce le pI'éparer il la vie? Là iltrouvera des difficultés, des obstacles qui exigeront, de sa part,' de l'a volonté,de l'énergie, Le pût-on vraiment, qu'on se gardc donc de n'offrir jamais à l'enfant qu'un l!'avail agréable: « Nous avons banni de nos classes l'ennui, écrivait GI'éard, prenons garde d'en avoir l'ail sorLir l'elforl l, » Seull'efl'orl est fécond, comme l'af'fil'lnait Joulfroy dans cette parole bien connue: « Ce n'est pas le succès qui importe, c'esL l'effort. » 1. Raeontunt comment il reçut son éducation " dans lin petit collège d'excellent;; prètre;; ", Renan nous dit: " II;; lu'¡:pprirent le latin à l'ancienne modc (c'était la bonne), c'e>;t-à-dire avec des livres élémentaires détestables, sans méthode, pt'esquc sans grammairc, comme runt appris, au ,,,' et au x\"!, siècles, El'asme et le;; humanistes qui. derlUis ¡'antiquité, l'ont le mieux su, Ces dignes ecclésiastiques étaient le,,; hommes les plu;; respectables du monde. Sans rien de ce qu'on appelle maintenant pédagogie, ils pratiquaient la premièrc règle de l'éducation, qui est de ne pas ll'op facilitCl' des exercices dont le but est la difficllllé vaincue, " (Out', cité, III, 1.) l\lais de cet elfortl'bomme serailloule sa vie incapable, si on renow;ait à l'y habituer dès l'enfance t, Aidons nos élèves à prendre celte habitude, rendonsleur l'effort moins pénible au début, voilà ce qu'il faut retenir du système d'éduca1ion basé sur le plaisir. Au l'este, nul n'a mieux que Mme de Stad estimé à sa juste valeur la doctrine du travail aUrayant. ( On s'est imaginé, dit-elle, qu'il fallait, autant .qu'on le pouvait, épargner de la peine aux enfants, ~hanger en délassement tontes leurs études, leur 1. A propos de " la façon un peu molle dont nous prenons aujourd'hui la jeunesse on lil dans le Temps (numéro du 4 octobre 1911): " Nous captons son aUention. plutót que nous n'en appelons à son énergie. On n'en est pas encore au point d'enseigner plaisamment les dIoses sérieuses; mai;; les leçons de choses, le roncret, le réel, l'image, la mimique ml'IllC, tout un enseignement direct s'impatronise, qui tend à remplacer la I'éflexion pal' la sensation. Et foin de \'abstrarlion qui fatigue les cervelles: Il semble que nou;; soyons illl'apables de nous maintenir entre les théories extJ'èIllC~, L'n exr.ès chasse l'autre, Présentement, c'estle maitre qui mâche tout, laissant bien juste à l'élève le soin de digél'cr, Et pal' une iné,'ilable conséquence, les helll'es ùe dasses yont croi"sant, et les séaoces d'études ùiminuant. « A la vérité, nous voyons encore qu'il n'est ricn de si ~entil que les petils enfants en France, Mais on dirait que DQUS craignon!l d'en faire des hommes. - Même l'effort de la mémoire, on le leur mesure avec parcimonie ... Quel appui préte à l'int.elligence cette auxiliaire, on n'en tient plus vraiment assez compte, On ne considère pas sullisamment qu'une mémoire fidèle el présente constitue pour l'homme de gouvernement, d'action, de science, de loi ou d'affaires, \lne force inestimahle. L'exercice de cette faculté, pour pénible qu'il soit d'abord à quelques enfants, porte vite et Sûrement tous ses fruits, lO. M lO ~IOYE~S rovlt 65 ItE:\fPU.C Ell J:~:mJJ.A TIO:'i .Junncl' df' bonne hcur'e des collecl.ions d'histoi,'c natl/I'clle pOUl' jouet.s, dcs expériences de physique pOUl' spectacles l. Il mc semble que cela estlln système eIToné. S'il était possible qu'un enfantapprit bien quelqll~ chose cn s'amusanl, je "cg-l'cLlel'Uis encore pour lui le développement d'lInc faeulLé, I'altenlion, facuILé qui est beallcollp plus essentielle qu'une connai5sance de plus .. , L'éducation t'aite en s'amusant disperse la pensée; la peine en tout genre est un des grands secrets de la naturc : l'esprit de l'enfant doil s'accoutumer aux ell'orts dc l'étude, commc notre âme à la soun'mnce, Le perfectionnement du premier fige tient au travail, comme le perfectionnement du second à la douleur: il est i\.,souhaiter sans doute que les pal'enls èt la destinée n'abusent pas trop de ce double secret; mais il n'y a d'important il toutes les époqucs de la vic, que ce qui agit Sill' le centl'c mèrne de l'existence, et l'on considhe tJ'Op souvent l'ètt'e moral en détail. Vous enseignerez avec des tableaux, avec des carles, une quantilé de choses à votre enfant; mais YOUSne lui apprcndl'cz pas it l'apprf'ndre; et l'habitude de s'amuser que vous dirigez sur les sciences, suivra bienlôt un autre cou:s, quand l'enfant ne ser¡: plus dans votre dépendance 2, » 1. Voy. Ilotr~ ouvrage SUI'le.~JI".I.£ des enfants, pp. lill/-HI. l'· partie, ch. H/I. - Mme Necker de Sau,,;sure, pOUl' prémllnir l'éuucateur contre l'illusion qui le port~rait à croire que les enfants goùtent comme lui les· 2. DI' I'Allemayne, QL£YHH. - f.'(:mulalion, 5 (;oIlclllons donc que mieux vaudrait, à supposerqu'ils cxistent, courir les dang-ers de I'émulat.ion, qu'e Je pl'épurer, par une éducation trop « ouatée ». des caractères mous, l:îches, désarmé~, Cn autre mobile auqucl, a-t-on dit. l'éducateur peut s'adresser comme stimulant au travail, c'esl l'intérêt. Housseau encore et surtout l'a préconis~ avec insistance, voulant mème ql1'f~mile n'apprit que ce qui lui serait directemenlulile, à l'exclusion dl' tous les al'ts d'agn'menl, dc tout ce qui c;;t luxI' ou fantaisie. Que faut-il pOUl' qu'un enfant apprenne? lluïl ail inlén1t à apprendre. « L'intérêt présent, d,it Rousseau, voilà le grand mobile, Ic s\~ul qui mène slÎre'joic~ de l'étude, écrit aVl'C j ustc raison:" Il nc faut. pas espél'er «ue le" charmes (le l'étude frapperont J'imagination de l'cnfance autant que les joies bruyantes ct les jeux turhull'nts, dans le~r¡uels toules le:' forces prenncnt il la fois I'es>:;or, Cc sont des consolations douces et toujours scntics, une foi" que le sae:I'ilke des amusements plus vif" e~t fait... Quand le cours du développement moral e"t biclI dirigé, le goM dcs plai"irs intellectuels s'accl'Oft ave" le nomhre des années, et l'on en vient m.\me à ne plus faire cas de,; autres que IOrSI(u'ils peuvent s'allier a,'ec cc qu'il y a en nou!::' de plus pur, ~Iais e:es douces impressions doivent ètrc soigneusement ménagées, et dès lors il serait imprudent de les trop vanter aux enfants; c'est presque les trompel' que leur annoncer ces jouissances qu'ils Ile sont pas 101ljoUJ'" en élat de prévoir ou de goùter, L'espoir rie e:es plnisi)';; est insuffisant, je l'avoue, pOlir les excÏll'r à "~tlldiel', Il faut done: songer à mellre en jeu d'autres mobiles ... " Et « If' grand moyen u C\lme de Saussure le reconnait, bien <¡u'eUf' ne laisse pas d'en redouter quelque peu l'emploi), c'est « l'excitation de l'amour-propre u ou" )'{,mulat.iol1 u, (L'HdlL(/Qtion progressiue, Iiv. IV, ch. 'IlL) ;\IOYEX", ['0(;1\ IIE;\Il'LAO;H I.'~;;\IULATIOi'i 67 menl el loin. Rien de meilleur, par exemple, pOUt' eng'aget' un enfant ¡\ appl'endrc à lire, que de lui fairc éprou\'e¡' par lui-mèll1e eombien il est utile de savoir lire. « Émile reçoit quelquefois df) son pè¡'e, de sa mi~:'e, Je ses pal'ents, de ses amis, des billels d'invitalian pOlit' un diner, pour une pl'Omenllde, pour une partie SUI' l'eau, pour voir quelque fête publiquc_ Ces billets sont courls, clairs, nels, bien éc¡'ils. II fauL trouver quelqu'un qui les ¡IIi lise: ce quelqu'un ne se tl'ouve pas ... On lui lit enfin la leUre, mais il n'esL plus Lemps. Ah ~si l'on eÙt su lire soi-même l. Il Sitôt que nons sommes parvenns, dit pIlls loin Rousseau, ù donner à notre élève une iJée du maL utile, nous avons une grande prise de plus pOUl' le gou\'cl'ller ... A qlloi re/r¡ est-il bon? Voilà désormais le mot sacré, le moL déterminant dans toutes les actions de la vie 2. II n'est pas doutcnx que I'jnt(~r(H ne sollicite ,'ivcment à s'instrui¡'c. Mais il faut, au moins chez les enfants, que cet intérêt soit présent, immédiat, cn quelque sorle senti, pour èt¡'c susceptible de déte¡'miner unc acLion présente, immédiatc. L'encouragement alt travail Ile naîlm de la récompense mêmc du travail que si celte récompense suit aussi tôt, ou pl'esque. Ce n 'esl pas le cas lors(IU'il s'agit de longues éludes, dOllt le but échappe à nos enfants, et don t ») l) l) 1. Emile, Ii\'. II. 2. Ibirl., liv. Ill. ti8 ,. L DIULATIO:" l'utilité, le fmit n'apparaîtra que beaucoup plus tal'd. Ainsi, comme le l'eman!uc FeuilIet, reprenant l'exemple choisi pal' Rousseau. « un enfant a besoin de savaiI' lire, pOUl' lire un billet d'invitation: nous vOlljons bien que cela suffise pour le déterminer à apprendl'e. Mais c'est une chose assez difficile, él toujourE longue, que d'apprendre à lire. Èl('s-vous bien sûr que, rebuté d'un tl'3vail souvent ingrat et loujours ennuyeux, il ne sel'a pas plus d'une fois tenté de faire le simple calcul, qu'ayant chez lui de quoi se nounir, il vaut mieux ne pas se rendre à l'invitation, et ne pas apprendre à lire'! Avec combien d'avantage ne pouI'l'ions-nous pas étendre celle supposilion il tant d'autres cas, oÙ la néc('ssité est moins évidenle el moins prochaine pour les enfanls? Peul-èlre qne la queslion qu'il est le plus important de prévenil' de leur parl, lorsqu'on doilleUl" imposer, si peu que ce soit, la fatiguc de J'allention, c'esl celle-ci: A quoi me s"rl'ira de faire cela? Car, quoi qlle valls puissiez dire alors, attendez-vous à leuI' I'éponse: .faime autant ne pas le faire l. On a cru trouver encore un succédnné de I'émulntion dans les sentiments altruisles el désintél'essés. Le sentiment joue bien un rôle capital lors de l'éducalion . premièl'e. Dans le tout jeune àge, le besoin d'affection, le désj¡· de plaire aux parenls, ln confiance en eux sont autant de callses capables )J L Mémoire cUé, pp. 28-2!l. MOYEi'iS POLit HE)IPLACEH L'ÉMULATIO:'\ 6H t1'agi!' SUI' l'enfanl et suffisantes pour le po!'ter à s'ac<¡uitter d'une tàche, à suivre line règle dc condlli:e ùèlerminée. Il fe!'a tout pour t~tre agréable à ceux dont il a reçu Ics soins a:l'ectueux et obtenir en I'elour les témoignages de tenùl'esse qni sont sa plus ùOLce I'écompense. Mais quand il passe!'a de leurs mains à celle" d'un maître, qnand il sc trouvera au milieu de camarades, dont certains plus àgés, el que naltl'll peu à peu en lui le désir de l'inclépentlance, il ne lal'ùel'a guère à suoir l'influence de son entouI'age, et les scntiments nouveaux qui s'éveilleront en lui ne seront pins alors un guide suffisant ni même stir, C'est pourquoi Rousseau, qui réprouve ù'ailleurs, dans l'éducation de l'enfance, l'heureuse et douce intluence des afTeclions de famille et ne veut pas <¡u'on fasse appel au cœur de l'enfant avant I'¡\ge de I;) nns, prescl'it, ce moment venu, de I'ecommander à l'élèvc les acles qu'on lui p!'opose, comlIle nooles el géné¡'eux. Locke voulait pareillement gu'on s'adressât aux sentiments les plus élevés pour obtenir l'obéissance. L'enfant devrait être, suivant lui, (( instruit à aimer l'honneur et la véritable louange, la réputation, Il Bemardin ùe Saint-Piene ne craint pas d'en appelel' au sentiment de l'amoUl'. « Je voudrr.is. éc1'Ït-il ingénument, que nos jennes gens puissent cultivel' le sentiment de l'amour au milieu de leu!'s tl'avaux. » Il parait prendre, il est vl'ai, le mnl duns un sens t!'ès large puisqu'il ajollte: 70 :\"iOlporLe il quel âge, dès 'lu'on esL capable de ~eIlLir, on est capable d'aime.'. :\Ials Condorcet, pal'lisan des écoles mixtes, faisait de ceUe passion le véritable excitant au t!'avail. Loin de redouter des écueils dans la vic commune des deuK sexes, il écrivait dans un rappmt présenté à l'Assemblée législative (avrilli!12): « La .'éunion des deux sexes dans les mêmes écoles est favorable à l'émulation el en fait naître une qui a pour principe des senliments de bienveilJanee.,. Quelques personnes poufl'aienl craindre que l'instruction ne fM écoutée avec tl'Op de dislraction par ùes êtres occupés dÏntérHs plus vifs el plus touchants, mais celle crainte esl peu fondée. Si ces distractions sont un mal, ce mal sem plus que compensé par l'émulation qu'inspirera le désir de mériter l'estime de la pel'sonne aimée. » Assurément les inclinations sympathiques sont pour la volonté des stimulants préeieux, de puissants auxiliaires; mais, livrées à clics-mêmes, elles ne saliraient tHre instituées comme mobiles d'éducation, Ne deviennent-elles pas souvent une cause de distraclion et de trouble, plulôt que d'application t ~ El, d'un aulre poinl de vue, si nous obéissons à certaines d'enlre elles comme bonnes el généreuses, n'esl-ce pas en réalilé la raison que nous prenons alors pour guide? Aussi les plus récenls adversaires de l'émulation « ¡) 1. Cf, B.'D, Science de l'éducation, pp, 52-53, .'lOYENS POUll lIEMl'LACEII L'É)lULA'fION if ont-ils prétendu que l'obéissance à la misolL doit être le seul principe dirccteur des cnfants : c'cst par raison, par devoir, parce que c'est bien, que nos élèYes s'adonneront à leUl's études, Celte thèse est la plus en vogue aujourd'hui; on nous pel'mettra donc ù'yinsister tout particulièremCi1L Un maUre émincnt, psychologue délicat et moraliste sévèœ, H. Marion, tout en déclarant qu'il « fait grand cas Il ùe l'émulation, s'est montt'é fOl·t défiant .à son sujet. Comme ps)'chologue, il n'en conteste pas la valeur: « C'est, dit-il, un sentiment très vif, qui suppose de l'énergie, mais qui excite au plus haut point celle que 1'011 a et en augmente beaucollP l'eITet. Un bon cheval ne soufl're pas d'êlre dépassé à la course et donne, pour ne pas l'être, son maximum de vites5e. L'indifférence à cet égard est, au contraire, le sig~'le d'une grande pauvreté de sang. De même pour les enfants: res mieux doués sont au travail, ~ comme au jeu, pleins d'une émulation joyeuse, qui seule leur fait donner toute leur mesure; manquer tout à fait de ce sentiment n'est certes pas un signe de supériorité ni une promesse de brillant développement. On comprend donc à merveille qu'une tendance à la fois si génémle et si honorable ait été utilisée dans l'éducation 1. Il 1. L'Educatioll dalls [' Ullil)<'/'sité, p. 280. !\laifl comme momliste, H. Marion redoute les périls flue l'émulation peut faire courir au caractère, A son avis, elle ne se développe naturellement que trop chez les enfants sans qu'il soit besoin de l'aiguillonner. « N'aspirM-on, dit-il. qu'à fortifier les enfanls pOUl' )¡~s combats de la vie, le meilleul' moyen n 'est pas de les y jeter pr(;maturémenL. C'e~t une lourde faute que de prendre f"excitation pO\lr la fon:e, que de subslituer une llI'dcur factice qui fait délwllsel' il Ull rnomenltoute l'énergie qu'on Il, à la chalelll' qui seule féeonde, ¡J l'amOLli' désintéressé de l'élude. 'IÙme au point de "ue des SUCC(\;; fulul's, œ qui impol'lc, c'est de faire Lien, c'est dl' faire mieux aujourd'hui qu'hiel', cc n'esl pas de faire moins mal qu'un autrc. Sans doute, en cher'chant à surpassel' les autres, on arrive à sc surpasser soi-mème; mais ce n'est pas du loutla m('me chose, ni )lour la qualité du I.ra,·ail, ni surtout pOUl' le pli qu 'ell prend le carael.brc, de ehercher à faire bien absolument,et toujours de son mieux,advipnue flue pOUITa, ou ¡Je mellre toute son ambition il I'emPOrlCl' sur SOli rival. Car, mèrnp honÚête et scrupulel1se, celle ambition toute relalive n'est jamais la plus fil're, et elle se satisfait souvent il trop bon marché l. » Et ¡¡illeurs: « Mettre ainsi les élèves aux prises, c'est donneril ceux mÔmes qu'on excite ajpsi une ardeul' fihTeuse qu'il ne faut pas confondre 1. 0//1'. cil,', pp. 2F;2·:¿í':1. )IOYE~S I'on\ IIEMPLACEII J:~~MULATlON ï;{ avec la chaleur bicnfaisantc dc l'étude aimée pOUl' clic-même .. , ,"ous savons bien que, dans celle lulte', on cherche il. donner sa meSUI'e. ;\lais il s'agit de savoi~ si le même el1'orl. ne pourrait pas êf.¡'e obtcnu, el plus sain, plus Vl'aiment fécond pOUl' l'esprit luim(\mc, meilleur en I.ous cas moralement, sans celle excitation de la lulle. Les grands théoriciens de l'éùucation libérale sont unanimes à le penser ¡', )l Faut-il Jonc su pprimer' les places et les prix? « Ce sont, l'épand H. ;\lar'ion, des récompenses naturelles et fOl't bonnes 2, » Mais les élèves « s'aviseronL assez tôt du profiL qu'on a à bien faire: pourquoi ne pas nOlls donner' le luxe dc tâcher de leur fair'e aimcr' le mieux pour lui-même, Qui leur tiendra un langage élevé sinon leurs malLres, et'4uUlH1 apprPlldroni-il", si (~C n'esL à l'école, ir mellr'e quelque chose au-dessus des calculs de l'intér'êt? S'il doiL y avoir' une ~dllcation morale au sens fod du mot, c'est en cela ~ I. pp, CCIl-CCIII. lIcrnardin dc Saint-Piene avail déjà préconi~é cet appel á la raison de l'enfant: ,< On dl'~"":;('r1J, (lit-il, lcs enfants à nc jamais pel'dre le sentiment de Jeul' conscicnce; ainsi, au lieu dc lem' apprendre à sc préférer ¡¡UX aulres par une émulation qui csl pour les autres et pour eux unc source perpétuetc de tr'oubles,· on les lai,;,;era se contenter d'abord ,l'eux-lIIèllles, afin que, pcndant les ol'agcs d'une société discol'danle, ils trouvent au moins dans Icur cœur le repos ct la paix. » Et K-"T (Dnclrinc de la vel'/u, trad, 8arni, p, 2,11); le Que l'enfant apprcnne à sub;;titucl'la crainte de sa propre conscience à celle des hommes et des chtitilIlents divins, l'estimc de lui-mèmll et la dignité intérieurc à l'opinion d'autrui, l'intelligence au sentiment. » :1, lIapporl, cIe" p, CCIl, (1'¡¡'llX lIapport, ctc .. ,(""" solill/ire) 74 L'ÉMULATION pd~cisémenl qu'clle consisle ... L'éll-ve qui se conduil bien, qui ll'ayaille de même, doil êt.re heureux ipsuJaclo '. » Enfin, II. \hu'ion ajoule d'autre pal'\": « Le succès esl à lui-ml~me sa récompense. QuanJ un élève a bien fail un de\'oil" une composilion, sa I'é('ompense esl de savoir qu'il a réussi ... Se senlir en progrès esl la récompense des etrorls. Mme de Maintenon, Ù cel égard, avail un mol qui lui fail bien honneur; elle ne voulail pas qu'on abusâl de l'éloge: «( Je (( suis ravie de ce que YOUs me mandez sur le LI'a« vail des demoiselles; mais je n'approuve pas les «( empressements que vous avez toules pour les « louer el pour que je les loue; c'esl par celle con« dllile qu'on les a gâlées, el qu'elles croient qu'on " leur en doil de resle. Quand elles fonlleur de« voir, diles-leur donc simplemenl que l'ou\Tage « va bien elrien de plus. I) L'Cniversité, alljoul'd'hUl, ne saurail rendre au pays un plus grand sel'Yice qu'en s'ell'orçanl de former des hommes donI le soin, dans leur fonction privée ou publique, soit de faire que l'ouvrage aille bien, sans souci du salaire qui doilleur en revenir 2. Il Dan::; ses Leçons de Morale, H. l\Iarion avait déjà el plus explicilemenl encore exprimé les mêmes idées. « Presque jamais, dil~il, nous ne demandons 1. L' Education dans /' Université, 2. Rapport, etc., pp. G"CIX-GC. pp. 278-279. :\lOYEl'iS POUR HEMPLACEH L'É:\lüLATION 75 simplement à l'enfant de faire ce yuïl faut parce qu'ille faut el parce quc cela est dans l'ordrc; DOUS i nv,)(!uons ccnl motifs plus ou moins bons. parmi lcsq uels nous plaçons cn premilTe lignc les maiDS bons, ceux qui précisément s'adresscnl il ses pen~hants égoïstes, Ne supplions-uous pas l'enfant léger ou paresseux d'entendre mieux ses intérêts, et ne sommes-nous pas contenls dès qu'illes entend à noL~e gré? Si par peur du ch¡Jliment ou par désir ù' être récompensé, il fail quelque elforl heureux, cet elfert intéressé nous satisfait touL autant que s'il élait dû à la plus pure bonne volonté eL au sClll désir de bien faire (pp, S6-5¡), On devrait mettre en œu,re tous les moyens possibles pour amener l'enfant. à faire quelque chose, d'abord peu, puis davantage, par devoir pUl', pOUl' le seul plaisil' de faire bien; on devrait l'amener it goûler d'abord de petits sacl'itices et à y trouver ses ;neilleures joies, pour qu'il fûl ensuile capable d'en fait'e de gruods ; on devl'3it enfin lui faire aimer la règle et 1'01'(1re, parce que c'est la règle et l'ordl'e, et non pas l'habituel' autant qu'on le fail à calculer ce qui lui reviendra de sa conduite bonne ou mauvaise, à suppuler d 'a'lance le prix de ses fautes ou de ses efforls ) (p. fi?). En somme, se régler SUI' la raison, faire, comme dit Kant t, son devoir par devoir, eL non poussé « par J, Encore ce philosophe. qui voulait que l'on obéit au 76 I'intérèt, par l'appât de quelque gain palpable ou de quelque grosse satisfaction d'amollr-p¡'op¡'e », et lrouvcr sa récompense dans l'approbation de sa conscience, dans la satisfaction du devoir accompli, voilà le ressorl ctla sanction légitimcs de l'éducation, Quelque bellc et <fuelque élevéc que soit unc telle doctrine, il faut bicn ¡'c(:onnaÎtre qne,' prisc en nn sens absolti, elle est conlrai¡'c à la vét'ité psychologique, L'idée pure du dcvoir ne saurait à elle senle entraîncr la volonté, dc l'enfant surtout, en admetlanl que cela soit possihle chez l'homme. « Suppose¡', dit M, Ribot, qu 'unc idéc toute nue, toule sèchc, qu'une conception abslraite sans accompagnemcnt affectif, semblable à une notion géométriflue, ait la moindre influence SUI' la conduite humaine est une absurdité psychologique ... Noùs pouvons afri,'mer sans témérIté quc, dès qn'clle devient un motif d'action, d'aulres l'léments s'y ajoutent; ce qui arrivc chcz CI'UX « qui se dévouent pour unc idée». Cc sont les sentimcnts sents qui mènent l'hommc l. " devoir pal're:;pect pour le devoir, demandait-il que la vel'lu fùtrécompensée sinon dans ce monde, au moins dan,; l'autre. 1. .Ilaladies de la volonté, p. ]2; pour des exemple,;, \'oy. Ibid., p. as et suiv, - Cf. du même auteur La pSYc/l(Jl()!li~ des se/ltimcl/ts, p. 19: « C'est une ,;ource inépuisable d'illusion,; et d'el'1'eurs, dans la pratique,. que la foi aveugle dans la " puissance des id.ée5 )l. Vnc idée, qui n'est qu'une idée, un simple fail de connai,;sance, ne p"oduil rien, ne peut ricn: elle n'agil que ql.l.1nd elle e::;t sel/lie, s'il y a un état aITedif qui raccompagne, si elle éveille des tendances, c'est-il-dirc des éléments moteur,;. On I'0UITait avoir étudié à fond la I/aisu/l PI' lli,!t1e de Kant, en avoil' pénétré toutes f MO),¡';;'i~ POU Il IIE~IPLACEII L 'ÉMULA'fIOi'l 77 ;\1. Payot rcmarque, dc SOli colé, que « Fouillée a défendu line théorie gén(~l'Ulement fausse en parlant des idées-forces, Il n'a poinl vu que ce que J'idée a dc forec cxécut.ivc lui vienL Pt'csque loujoul's de son alliance avec les vI'aies puissances qui sont les étals affectifs, A chaquc inslanL, l'expérience nous vicnL convaincre du faible pouvoir de l'idée ... Par exemple, on vienL de pa,,;sel' plusicll1's jou1'llées dans une demiparesse, on lit., mais le line à faire estlà, l'ptTorL l'ehule, malgré les excellentes raisons qu'on se donne il soi-m(~me : bl'usqucmenL la posLe appOl'le les nouvelles du succès d'un camarade et nous voilà piqués d'émulaLion, eL ce que les plus hnuLes et les plus solides considéralions n'avaienl pu produil'e, une onde émolive, ù'ordre inférieur, le fail incontinenl." ]\on, J'idée par elle-même n'esL pas une force, Elle sel'ail une force si elle élail seule en la conscience. Mais comme ellc s'y trouve en conflit avec des étals affectif,,;, elle esl ohligéc d'cmprunter à des senliments la ?oree qui lui manque pOlll' luUel'!. » Voilà une loi psychologique que n'jgnorail pas H, Madon. Aussi, lout en maintenant haut l'idéal a\ll¡uel doiL lendrc l'éducaleur, ne proscrivait-il pas l'émulalion el ne voulail-il, en fait, la suppression ni des compositions, ni des pl'ix. « La composition, les profondeul'S, l'avoir couverte de gloses el de commentaires lumineux, sans avoil' ajoulé pour cela un iota à sa moralité pratique. » 1. L'Éducalion de /a t'%lllé, pp. 36-42, is dit-il, a sa raison d'ètre de loin en loin comme exercice à fait'e dans un temps donné et dans des conditions identiques pour tous, le but élant pour chacun non de faire moins mal qu'un rival, mais de faire le mieux possible, d'éprouver ses ressources, son acquis, sa présence d'esprit, d'apprendre à se· connaître et il donner sa, mesure it heure dite l. » Il demandait seulement que le nombre ùes compositions fûl diminué, et. rien de plus raisonnable, qu'on attirâtl'all.ention ùes parcnls et des élèves non sur la place, mais sur la note mème, Quant aux pr'ix, il les dédanlÍl « en eux-mêmes une t'éeompense excellentt' », il la condition que la distribul.ion qu'on en fait flit pour tous une sandion exaele. « II est excellent, a-t-il écrit, que les résulLats du travail de l'année soient, proclamés ainsi publiqnement pOUt' chaque classe et pour chaqUe ord.'c d'exercices, l\lais c'est il condition que ce/.le sode de compte-l'endu soit d'une justice délicate, d'une pal'faite vérité, el porle la lumière où il faut2, » Malheureusement il esl arrivé comme loujours que les disciples ontrenchéri sur les idées du maill'e, el de ce qui n'élait qu'une réforme dans le I'égime des compositions et des prix, ils en sonl venus une douzaine J'années après, sous prétexle qu'il ne faut pas dans les classes une tète, objet de tous lcs soins, el 1. Rapport, elc,. p. n:1\'. 2, Rapport, etc., p. <:C:V[. lIlOYENS POUR HDlPLACER L'É~ruLATlO:'l 79 une queue plus ou moins dédaig-née, qu'on ne doit pas non plus exalte!" les uns pam humilier les autres, à obtenir la supprl.'ssion till concours général, crnsémer". (:onlI'ait,c à l'esprit égalitaire, à demander la suppression du baccalauréat et, plus récemment, cl'lIe des distrihutions de prix, ce qui aurait entrainé sans doute la disparit.ion tics compositions, et tout cela pendant qu'on \¡oulpversait et slll'chargcait les anciens programmes d'étuclcs, en s'imaginant que I'intéri~t seul des matières enseignées ou l'intime conviction d'Un devoir à accomplir devait être ponr les élèves le meillelll' des stimulants 1. ecst un fait cependant qtIP, depuis la même ép 0que, on se plaint partout J'un fléchissement dans les éludes2, Faut-il voir là UIW simple coïncidence, ou 1. Le régime di!;ciplinaire a été cOIlsidét'ablernent ;ldouci', riende mieux: il n'est pas bon de mener les enfants par la cl'ainte, Les punitions ont pOUl' but de réprimel' la pares;;e et l'indiscipline. Mois la secollde, peut-on dire, est fille de la première: l'écolier laborieux ne songe pas à se mal ('onduire. Cest ulle r,1ison de plus pour maintenir les Illoyens d'entraînement au travail, pOUl' ganler les récompenses et l'émulation. 2, On parle depuis des années (rune criHe du franç,lÍs ; mai;;les professeurs de lettres ne sont pas seulsà se plaindre, " Quand j'ai commencé d'enseigner, en 1887, constate ;\1. lIfaI'cel Bernés (Programmes détaillés d'un cours de philo811l'hie, préface, p, YI), l'enseignement philosophique était en pleine prospérité. Nos classes recevaient alors, comme maintenant, des élèves fort inégaux: en intelligence, ell bonne volonté, en capacité de travail; mais ils étaient en ~énéral Lien entraînés aux exercices de réflexion par Ulle longue pratique ùu thème et de la version, des prohlèmes de ~èoml'~lrie ou d'arithmétique, Le cal'actèt'e de généralité des 80 ll'Y aurait-il pas plutôt eOrl'élation '? C'est un fait aussi dont tout profcsscUl' peut témoignel' quc certains élèves ne travaillent qu'au moment de préparer une composition. C'est encorc un fait non moins ccrtain que beaucoup ne s"appliquent sérieusement que VCI'S la classc de seconde ou même de premihe quand ils scntcnt approchcr l'hcmc du baccalaUl'éal. Faut-il donc nOlls priver dc ccs derniers cxcitants '! Nous aurons l'occasion de revenil' plus loin sur l'utilité, il cc point de vue, des examens et des concours, Insistons seulement ici SUI' celle des dislt'ibulions de lwix. On n'a sans doute pas oublié comment, pOUl' satisfaire en quelque mesure aux doléances des villes d'caux el des plages, le minislt'e de l'instrucidées philosophiques était pOUl' eux san;; doute liRe nouveauté; et il leUI' fallait deux ou trois moi" pour s'adapter à ee nouveau travail; mais. presque sans exeept.ion, tou>; se sentaient aWl'ès par la valeur humaine, pal' l'':'tendue d'application de (:es idée;; générales, par le con"tant appel qu'on fait en philosophie à lïnitiative de la pensée; pl'csque tous étaient intéressés et presque tous dès lors trouvaient dans leul' année de philosophie, pour peu que le pl'ofcsseur le voulllt, un sérieux profil. On pouvait attendre bealleoup de ces classes, quel qu'cn fùt l'effectif ... Depuis dix an<;j'ai vu les résultats faiblir; les notes n'étaient plus aussi bicn prises par tous; certains résumés devenaient informes ou sc réduisaient à de simples sommaircs; les réd:lctions surtout étaient mal faites ... A partir de 11l05,la baisse lente et partielle est devenue brusquement rapide et générale, et depuis elle n'a pas cessé d'alle¡' s'accélérant; même che7, les meilleurs la réflexion Qst moins facile, moins équilibrée; elle est enfantine dans la moyenne, nulle chez les faibles; et les faibles deviennent de plus en plus nombreux- " ;\IOYENS POUR HE~IPLAC¡';1l L'~;;\IULATIO~ 81 tion publique donna, en 1905, J'autorisation aux familles de l'elil'er Icurs enfants dulycée ou du collège à partir du 1:) juillet. Cette tolérance amena bientôt, dans chaque établissement, la désel'tion de la distribulion des prix, laquelle restail fixée aux dernicrs jou"s du mois. Aussi.1es adversaircs dc l'émulation pro~itl:rent-ils dc ce qu'on ne venait plus guère à celle ~érémonie pour cn demander la suppression pure el simple. La presse, l'opinion publique s'émurent. Hésllllat : non seulementles distributions de pl'ix fLcent maintcnues; mais il a été décidé, en 1\-.11:3, que, pour en conscrvel', loute la solennité, elJes se,raicnt reportées au derniel' JOUI' de J'année scolaire, fixé dorénavan,t du l:{ au 15 juillet. Entre temps, -comme s'ils sc fussent <tonné le mot, les présidents des distributions de prix profi:aienl de leul' fondion mOI::lCntanéc pour s'élever contre J'abandoll ou la suppression dont elJes Naicnt menacées l. Il nails a pal'U intéressant de transcril'e ici des extraits de <¡ uelques ·uns de ces discours. En mème temps qt:'lIlIC eOllfirlllulion éloquente de certaines idée:, qlle nous avons ci-de:,sus (~xposées, on y trou .. Ycm une' justification eomplètc de l'utilité des rècompenses seoluires, l, (ln nails dit qlle notrc pays est un des J'arcs oÙ IÏnslilulio!l des Iwix t~xj,.;te avec cette importance ùémesurée qu'clic 11 Clll'l. !lOllS, .\imerait·oll mieux sulhtituel' il unc l'ed\(~l'dll', en ;;omme pur'ellle!ll. honol'iflr¡ue, Ic besoin ù'une sali;;¡:Icl iOIl plus matérielle, la cOUl'se aux dollal's par exem l/e '! l,lunnAT. - L'\é:mnlalioll. , 82 , I. DlUI.ATlO:X El, d'ahord, le mini,;lre de l'inslrudion publique, ardentdéfcnseur de la cau,;e de l'émulalion, présidant, en juilletlÇ}12, la di¡;lribulion solennellc dcs prix du lycée Louis-le-Grand, s'écriait; « On nc pcut rien dil'C contre le princip!' des distributions solennelles de" prix qui nc porte également contre le principe m,'me de I'émulalion, el rien contl'p l"~mlllation qui ne porte contre l'idée même de louang'c el de récompense. Il y a, pn effel. (OIl(P une t'cole qui assimile l'émulation il la riv¡¡lilt'~ etla rivalit.é il la jalousie, .Je dis que c'est. unc école chagrine. timide, misantl1ropique. Je dis qu'elle ne vous fait pas assez crédit, illi'OUS les pelils Françai", à \'0115 les enfants de chez nous, .. l'íous sommes le pays, nous l'oublions trop. qui a inventé la chevalerie elles tOUl'nois, les ('onJlictlls !laI/ici, comme on les appelait il l'élranger, le pays de Bayard et de la Tour ct'Au\'ergne ... On ne l'i"l/ue jamais, en excitant dans vos cœurs l'émulalion, d'y déchaîner l'envie, cal' vous êlcs d'une racc où l'csprit de luUe podé il son paI'Oxysme ne s'appelle pas l'envie, mais bien l'esprit chevaleresque, Si volre rival a vaincu en combat loyal, ce n'esl pas pOUl' vous un effort cruel de l'applaudir, c'esl une joie généreuse", l'lIais il y a, objectcra-t-on, la supériorité non mériloil'e des dons de l'intelligence. Tel qui eslle plus laborieux n'est POUl'tant jamais nommé, et c'est Iii, conl.1'c lcs distributions solennelles des prix, la vraie, la redoutable objection. On oublie que les premiers d'uue classe en :\1. Guisfhau, lIIOYE:'íS POr;H RElIlPLACEIl L'ÉMULATION 83 sont la fOl'ce cie traction, et que le vingt-troisième est redevable d'un bienfait continu aux vingt-deux qui le précèdent, -comme ccux qui le suiventlui sont redevables, à leur tour, à lui le vingt-troisième l,» Aulycée Henri-IV, en juillet 1913, ]\1. CoviJJe, inspecteur génél'al de l'instruction publiquc, traitait, dans son discours, « De l'utilité des récompenses et pal'li~ulièl'ement des prix scolaires >l, Parlant de ces (( péc:agogues éminents qui, au nom de la mOl'ale ct 1. Ce " vingt-troisième" est une allusion au Iils de Bouvard, condi!'1ciple supposé, 'lue Illet en scène un de nos plus lins humoristes, Maurice l)Ofl/wy, dans sc,.: spiriluelles lI"flexi()ll~ sur /cs récolllpcn.'''s scolaires: " l'vIon lils n'est pas lin aigle, dil Douvard ;l son interlocuteur qui les l'encontre I'evcnant tous deux de la distribution des I}l'ix oÙ le jeune g¡ll'!:on n'" mèllle pas été nommé, mais ce n'est pa,.: non plus un cancre; ils étaient cinquante dans sa division. el, d'apr!,s le classemenl général, il estle vin~t-tl·oisièllle. Vaisje le lui l'cpr'ochCI' .. _ .le vous parlais d'elHluètes tout il I'heUl'e; précisément, ccs jours-ci. un grand joul'l1al en ouvre une SUI'les récompenses seolaires : convient-il .le les supprimer' ou de les maintenir? Un s'est adrcssé aux plus notoircs éCl'ivains el la diversité de leur's réponses démontre. une fois de plus, combien, SUI' n-importe quel sujet, les meilleurs esprits, dans notre pays. sont divisés, éparpillés, L'un cstimc qllc l'émulation loyale est pour le8jeunes intelligences un entrHinementautravail, surtout en France oÙ l'on aimè loujoUl's nlOnneuI' el la gloire. Un autre ne croit pas. d'une façon générale, que l'émulation soit un bon Pl'o.:édé d'éducation. Celui-ci con;:;tate que ses condisciples d')ntlei noms revenaientle plus souvent dans les palmarès continuent aujourd'hui il oeeuper une plaee considérable dans l'élite du pays. Cel.ui-liI aftlrme, ail contraire, quejes succès de collège ne prou vent rien et n'indiquent jamais le succès futur. Ah I qu'il est malaisé de se faire une certitude et même un doute, Tout compte fait, J apparait bien que les plus r.otoires écrivains !'1e partager;t en dellx camps: les de la· psychologie, se· sont él!evés contre les recompense'S scolaires », qu'ils considèrent comnre « HO f>roduit malsa-i'n l!Ie la va,n>ilé françajse", fiai voudraient que te.,; écoliocrs a.pP·nmnent « sans antre satisfaclKHl que ecHe de la- ç;onseÏ.cllœ, sans autre bill "lue le progrès ", qui, demalld@)lIl: « Faire de lIOnnes études pOUf obéir à l'impératif calégol'ique, quoi de plus aigne, de plus édifiant, de plus pur? )),:\1. {:oville proclamail: « VoIre emlwessemenl à venir à celte traJilionnali~le;;, «ui demandenl le maintien de;; distrihutiol]:'; de prix, el le~ « hommes dc pl'Of:?I'¡~s " qui en demandent 1:1 suppre;;"ion, Mais personnc n'a songé il eon;;ult.er )es inléressés el, ,I:lns un [¡eau referendum, il f¡lire voter les jeunes élè,'cs, ,l'ajoute qu'il sel'ait piquant de connaître leur opinion sur le \'I1aintien 0U la suppressiou de~ palmes, croix, I'uharrs, tit"'e~ doni ;;e parent ,'olontiel',; les grandes pl'I';.;onnes, notamment le,:; « hommes de pl'og}';'" " <,orllme il convient. Cpux-ci ont vl'aiment trop J'air de dire aux enfallt;; : « L'émul¡\lion el lu vunilé, ce u'e;;t ¡Jus pour VOll;;", de même I(lI'on Il'ul' dit: " You,; pOtinez filmer' et vous I'nil'c du mal, lor"I(ue vous "erez grands, "ljuant Ù moi. j':lurai" donnt\ Illon ¡lvis sur cette '1ue"lion It, mieux du monde, mai" on Ile me l'a demandé d'all~un~ mallière, - ~nturl'llt'ment, concluais-je, vous "0l1S sericz déclaré pour la suppre""ion 'I - POUl' le maintien, f))'ot(';;tu Boumrd, pour le mainlÎpn, .Je ne ;;ni" l'as un " homme de progr¡'s)l, IIi un révolutionn:ure, cnc.ore moin" UII envieux, et j'ai du sens commun, .l'exige 'lue le ll'avnil el l'intelligence soienl récompen"é:" et :,olennellemelll. On n'ima~ine pa" UII ¡'I¡'vl' filii viendrait cherclwr SOli prix à un g-uichel. •.•)lI1me \ln pauvre U¡W ration de pain ou '1uel,(UC n'lement. :\c ''I'¡'ons pas le lauréal honteux, .Je suis pOlir le,; dislrihlllioll:' ¡,.'la· tante" des prix, et j'ai mené mon 11Is it celle dt' noire l'lIer el vieux lycée, hien 'lue je fu,;sc cerlain d'avance 'Iu'il n'aurait pa" mèmc lin d'~l'lIi"r arces,;it. ,le voudrais que cette cérémonie eût développé en lui le seils ,Il' l'iné[wlité; car I'inégalilé est une de,; conditions mèrne dt~ la vie, et :\lOYI';:'I'~ POUn IIE:\IPLAGlm L'É:\IULATlON 85 cér{monic, parents et élèves, est unc réponsft pleine de franche r{~alité il une doctrine fort belle en_soi, mai., ù'un iùéalisl1'le excessif ou du moins prématurél, Et puis comment ne pas constater que cette réforme radicale de l'amour-propre scolaire, ce nivellement plein de délicatesse à l'égard des 'élèves médiocres, ne trouvcnt guère d'encouragemcnt dans les mœurs et dans les goûts de 1I0tre démocratie. Jamais l'amour ùes titres, des pré~éanccs, des décorations et elle la rend possible et peut-ètre belle en la rendant inllniment vur'iée; on la (:onstnte en tout et partout, dans la lia· turc entiè¡'e, el parmi les pien'es mème, et l'homme doil l'accepter, sous peine de ne jamais être heureux, puisrlue, pour resler dans le domaine physique el moral, il y aUl'a loujours des forls el des faiIJles, des grands el des pelits, des hons et des méchants, des intelligenls et des simples. NOli, !lon, j e ne demande pas ·la suppression des récompenses ni pour les enfanls ni pOUl les grandes (Jer~onnes ... Mon i,léal n'est pas l'lUi; un prolétarial de 8urhommes qu'u oe oligarchie de primaires ... » 1. Cr. J, (;11\0", pl'ofesseur de philosophie au lycée Uluisc Pasenl : " ... Qunnt il ces puritains qui voudraient enseigner aux enfant;;, pal' la pratique, la verlu entièremenl désinléressée, je crains fort qu'ils ne se soient f¡¡il de la nature humnine une conception t.r'op ahslrnile, trop Hroite et pHI' là même fausse el dangereuse. Nous ne sommes point de pures intelligences el encore moins des volontés pures; el, si, ·connaissnnl le meilleur, nOlls y somlnes nalurellement. portés, nous avous, d'nutre parl, bien des lenJanees, innées ou acquises, qui nous en délournent. Pour l'ourmonter ces obstacles à l'¡¡ccomplissement du devoir: l'aUrait du plaisir, la crainle de ln douleur, la considération de l' Jtilité plus ou moius bien entendue, il faul des auxiliaires, el ce sont, avec l'espoir a-ssuré de la satisfaction intime, la perspeclive de l'estime et de la sympathie d'autrui ·~t même de quel(pe.; avanlages proba(¡les ou possibles. Ces mobiles secondaires de la bonne conduite onl toujours 86 " L Ei\ft:L ..\TION des g-alons ne fut aussi l'épandu, aussi impérieux, aussi jaloux. Quoi de plus instruclif à ct:t ég3l'd 'lu'une cérémonie officielle? Il Y a quel<{ues années une grave commission composée des hommes les plus éminents, travaillait avec un zèle convaincu à refaire le décrel de Messidor SUI' les préséances. La République tl'Ouvail l'<cune de Bonaparte insuffisanle; el bientôL paraissait Ull nouveau décret, œuvre complexe, délicatp, qui, il chaque fois <{u'on l'applique, fail en mème temps bien des helll'eux et bien des victimes. Ainsi ces places, ce classement, ceLte hiérarchie de prix qu'il faudrait exlil'pel' d'ici comme des herbes malfaisantes, les hommes fails ne peu ven I s 'en passer dans la vie l. ) joué un rÙle important dans les aclions des pC'rsonnes adultes; et I'Oll voudrail qu'ils ne ru,;sent pOUl' rien dans les acte>; de>; enfanb ! Ouelle chilllèr'e! Et combien mieux vaut cette le'~on pratíq~e de I'atlribution des ré.:ompen>;es selon les règles de la jusl.iee! Bien comprise. eolllllle nous l'espél'Ons, elle ne peut qu'aider I'~nfant il voil' plus (:Iail' dans sa pl'Opre consl:.ience, et à ne COIl>iíùércr comme dignes d'estime que les sUCl:ès mérilé,. vraiment par un elTorl hOIlll(~teel bien pel',;onnel. La distrihution solennelle des prix ne fail que r.~sumer iJ .'et égard, avec plus d'éclat, et dès lors avec plus de I'or'tée, l'éducation donné!' lH'ndant toulle cours de l'année ... " ;niscours pruno/let' Ii la dislrilmlion des prix des écoles de Jilles de Uer/l!onl-Ferrafld, le ~6 juilleI1912.) \. " Une pratique, éCl'il Rémy de Gourmonl, qui veul rétablir l'émulation entre les enfants, entre les jeunes ~ens, n'est pas en désaceurù uvee la psychologie. La plupllrt de" hommes so nI ineapables ¡('agir' en vue de l'al'lion loule pure; il faut pour le;; exciter' III pl'omesse d'une r'é(~()H1pense. C'eslle morceau de sucre qui les nu\ne. A mesure qu'on augmentait le noml>re de ee;; morceaux ¡(e sucre pou,' les hommes, décorations, médaille,;, diplômes, félici- ~10YE~S POUR RE~fPI~ACF:H L'É:\IULATIOr-; 87 Engageant les élèves de Janson-de-Sailly (petit lycée, juillet 191:~)à assister I'égulièrement aux distributions de prix, 1\1. Haoul Rompal'd, consciller à la caul" d'appel, leur disai[ : « Nous n'entendons par11'1' :et avec queUe chaleur I) ,.UC d'éliminatoircs, de finales, ùe championnats, de challenges ... De grâce, ayc'l la mêmc considéI'ation pOUl' les compositions malches de leUres ou de sciences, et pour cetlejinale qu'oll nomme la distribution des récompenses. Applaudissons l'arrivée de ceux qui ú.;ticlITl.cnt le ,.ewrd de la version ou du problème. La VLW de le\lr lI'iomphe vous inspil'cra sans doute le désir de les égaler ou de les surpasser, et ce sera tant mieux pour vos études, L'é~IlUlalion est l'uiguilIon de la vertu, a dit Fénetalions, on le diminuait pour les enfunts, sous un prétexte d'austère moralité, qu'ils sc hâtaient d'ouhlier au cours de la vic. Leurs pèrcs pouvaient concourir pOUl'ùes couronnes, ju,;r¡u':'l un âge av[¡ncé, mais, eux, ils dlwaient se rési!{ner il fai¡'c' sévè¡·crnenl. Icurs dcvoirs, sans autre espérance que la s:Jlisfaelion intérieure ou des applaudissements qui ne dé¡¡:Jssuient pas les Illlll'S du collège et méme ceux de la ('la~se. Pourquoi, en UIl tcmps oÙ les hommes ont, plus 'lue jallluis, la vanité de la récompens,~, en ¡¡l'ivel' les enfunIs, qui y sont plus que d'autres sensibles '! J.~me souviens des distribution,; solennelles des prix qui terminaient de mon temps l'année scolaire. Les plus indifférents par nature y trouvaient uIle certaine émotion, Lt~S chose;; onllu v[¡leur qu'on leur ullrihue. Pour tout cc petitmonde, les volumes dorés SUI' tranche et les couronncs de papi.>r peint en avaient une très grande. C'éluit une fète véritable il laquelle toute la petite ville ussistail et les enfants en !{ardaient IÏmpression que leurs années d'études uvuient une grande importance, ce qui est pres(lue toujours vrai. " (I'rix el couronnes, al't. de la Dépêche de Toulouse, 23 juin 1912.) 88 Ion. Lais,:c7. agir eet aiguillon. 1I n'est jamais inutill'" à la vel'tu d'être affermie, surtout qnand eUe a di~ ans, " Enfin, un écrivain socialisl.e~ Eugène Fournière~ constatant qu'il y a des communes oil il n'cst point distribué de prix aux élèves des écoles primaires, et que ce sonl celles qu'administrent les socialistes, s'est élevé hautement conlt'c cette pratique: (( Mes amis me permettront de n'être pas de leur avis. A vouloir implanter aussi rudcmentle gens de J'égalité au cœur des enfants, Ile risque-I-on fl3s d'y briser un ressort? Je crains qu'on ne s'égare dans J'aspiration à l'égalité sociale, qui est le fond même dll socialisme. \I ne faudrait pas confondre la noble émulation (lui pousse l'individu à mieux faire avec la meurtrière concurrence qui l'excite à spolier ou exploiter son semblable. La luUe scolaire pour les prix ne ressemble en rien à la lutte pour la vie. Les compositions ont lieu entre enfants du même' âge, qui ont reçu les mêmes leçons ... Ces concours entre égaux qui doivent désigner le prim w: intrr fI(lre.~ !lont, pour les enfants, une leçon de justice dont, au sorl.ir d~ l'f:cole, ils ne trouvel'ont pas l'équivalent dans les luLtes qui les attendenl. Dira-t-on qu'il y,a humiliation et chagrin pOUl' ceux qui, ayant concouru pOllr les prix, n'en ont pu obtenir? Je pense, avec 1\1.GuisL'hau, que les enfants n'ont point, en général, d'aussi mauvais senLiments. Pourquoi donc les leur supposerions-nous. les aurions-nous pour eux, lel'lleurincul- :\[OYE~S POUH RE~IPL.\CE:H L'É~IULATION 89 quel'ions-nous? Le socialisme est justice, et £1011envie ... Pour le réaliser, £le nous faudra-t-il pasplacel' aux tâches supérieures de la production et de la distribution les hommes les plus qualifiés, Jr.s plus aptes? Ceux-ci, (lui est-ce donc qui les désignera entI'e leurs pair!'!, sinon précisément ces roncom's, ces compositions, ces examens, par lesquels nous exigeons de plus en plus que passent, en démocratie. ceux qui veulent servir' l'État, c'est-à-dire la colI('ctivité ?... Bien loin donc de supprimer aux ellfants leur's compositions et kurs prix, c'est aux ho;:nmes, e'('st au monde du tl'3vail qu'il faut étendl'c l'application du s)'st(~me, le seul qui donne ce résultat d'oblig-er les premiers il produire plus que les demie!'s ou Ü se disqualifier I •.. Ainsi, l'entraînement des faibles pal' les forts, le rigorisme excessif et le désaccord de la docLr'ine en question avec la psychologie, la l'echerche des récompenses par les adull('s mêmes, l'institution pour les jeux et exercices physi(lues de concours l'épétps et de prix contr'e lesquels nu I Ile songe Ü pI'otester, l'erreur égalitaire, voilà les principaux al'gumenls justement objectés Ù la thèse du recours, pour l'encourngement au travail, à la seule conscience des enfants. Concluons donc que ni la raison, ni le cœur, ni l'intérêt, ni le plaisi,r £le constituent des stimulants )l 1. JeuTles élèves. art. de la Dépêche, 31 juillet 1912. 90 suffisamment efficaces. Assul'ément, il sera toujours bon dc faire appel à tous les moLifs propres à agir sur la volonLé de l'enfant. Mais, si les uns et les alltres peuvent (~tre d'excellcnls auxiliail'cs dc J'émulalion ou conlribuer à la maintenir PUI'C et gén(~reuse, ilsnesauraientla remplacer, ètre sust:epLihles l:ornme elle de provoquer ct de soutenir les efforts. Cela ressorl des diw','sps considérations qui p.'écl'denL, Pl c'psL, camIlle nOllS allons le \'oi." rc .-IU·Olll. ,'p('onnll, depuis J'anIÎquilè. la plul'arl des ("dlll'alcul'''' CHAPITRE IV RÔLE DE L'ÉMULATION (( L'émulalion, mÜre ()e~ grandes choses, • (E. ABOUT, la (j,'ea contemporaine, ch. Jll, § 5. \ Les deux espèces de I'ivalités, d'apl'i~s Hésiode. - L'émula,ion chez les Grecs, - Influenee de l'émulation SUI' la civilisation ; - exemples. - tics elTets dans l'agriculture. ¡'industrie, le commerce; - dans les leUres, les ,;ciences etles arts; - dans un ~lat: utilité desdislinctions lJonorifi'lues, - Les panég'Y"istes de l'émulation: Plalon, Arislote, Plutarque, Cicéron, Quintilien, Hahelais, Rossuel, Fénelon, Hollin, Condilla.:, Diderol, ~lahly, etc. - Le:;: .Jésuite,; et l'émulation, - Tahleau d'une d:lsse avec ou sans émulation. - Que l'émulation fait la grande supéI'iol'ití~ de l'éducation publiq\ll~ sur l'éducation privée; opinion de Quintilien, - de Dupanloup, - de Mme Necker de S,lussUI'e, etc, - Impurtance de l'émulatiun : l° pour l'éducation physit¡ue; - exemples: - 2" pour le pel'fectionnement moral; - exemples, -D'où vientla puissance de l'émulation. Comparant la rivalité jalouse ella rivalit.é de bon aloi qu'cst l'émulation, Hés:ode Óerivait au commencement. du poème des T/,{wQlt,r et des JOllrs : « Il n'y a pas qu'une seule rivalilé, on en voit Jeux sur la terre: l'uDe digne des éloges ùu sage, l'autre qui 9:2 L'Ém':LATIO:"I méritc son mépl'is : toules dcux animées d\m esprit différcnt. car' la seconde cxcite la guerre désastreuse et la discorde ... , c'eslla nuit obscure qui l'cnfanta. Quanl à la premièr<" le grand f!ls de Satume, habilanl au sommet dl's cieux, la pla~a SUI' les fondemenb mt~mes de la tcrre, pOlir qu'elle \'t"cÙl parmi les humains el. lcur de\'inl propice. Elle pousse au Il'avail le mortelle plus indolent. L'homme oisif qui jell!' les yeux slll'le l'iche s'cmpresse il son tour de labourer, de planlel', de bien gouverner sa maison ;',lc voisin lutle d'ardeur avec son \'oisin qui 1:1che dc s'enrichil', Celle rivalité est utile aux mOI'lels. Le poticr rivalise avec le pol icI', l'artisan a vee l'urltsan, le mendiant avec le mendiant, le challteUl' avec le chanteur. » Cette seconde espèce de rivalité, l'émulation légilime, a élÚ en honneu r de toute antiquité. « Chez les Grecs, toul él..'lit objet de concours: les eXCl~i0Cs physiqul's, les arts, la poésie. Les vainquellrs des jeme olympiques étaient chantés pal' un Pind:~re, el leurs noms étaient gravés Cil leUres d'or sur des tables de madlre. C'est à l'ambilÚ:m o'obtenirJe p,'emiel' prix, que le monde doit les œuvres immortelles d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide l. A Sparte, l'émulation, poussf\c jusqu'au fallatisme, produisil une race d'une énergie inouïe: lile'élait à qui serait le plus conrageux, le plus sobre, le plus insensible à la douleur. )l 1. [\OUTROUJ., Quesli(}Tls ,le moral,- ettf'éducal.ion, p, 77. RÔLE DE L'ÉMULATION Au re~le, d'ulle manière gímél'ale, il Il'est que jllSlt: de le reconnaître, c'est gràce à l'émulalion que les peullles se sont élevés à la civilisation I, que se sont fonnées des sociélés lIombreuses, actives, induslrieuses el riches, Peul-il y avoir, en effel, un inslrumenl de progrès comparable il cet aiguillon, qui, piquanl l'amour-propre, fail qu'on ne saul'11il supporter l'idée d'être distancé par ses semblables all dc reslel' au-dessous ù'e'Jx ? Quelles rcssources ir.épuisaules n'otrre-t-il pas pour tous les genres de perfeclionnement, aussi vien pour le pcrfeel.ionneIT.eEl physique que pour le perfectionnement spiriluel '? L'hùlc du LiOf! ¡l'Or, re¡wochant il sail fils lIer1. POllr f¡¡il'C ~cntir la valeur tic l'ambilion el de l'amour de la gluire, un hommc dc hien, qui relll/l0l'l(l au dixIl.litii'llle sièclc de nUlllbrf~uses couronnes :wadémiques A, Thomas, éCI'ivait, "Olcz-Ies dc tIcs"u<; la tene; tout changc; lc l'eg.1I'd dc l'hommc n'<lnimc plus l'honllne; il C3t seul sur 1<1t.erI'e; le püssé r.'est rien; Ic I'n',sent SC resserre, l'avenir disparait.. ., Spenccl'lI1onlrc, au I'ehoul's, l'action puis";(lnte sur lc développcment de l'humanilé des >;enLimcnts qui nai,.;sent dc I'élllul<ltion ou qui y contluisent. " L'alllouI' de la !{loil'c, dit-il, ¡I {,té un stimulant [lr{,ciellx pOlll' le pel,rcctionnemcnt milil:lire et pal' consé'lu('nl I'uur la conservalion nationalc. Le dé"it, de l'approhation, en ¡¡dollci,;sant le cont1il. <If';; individu;;, a tendu fortcment il faciliter la I'ool"'t'ation. La crainlc dc;; l'l'l'l'oches, d'une part, en r~[lrilllanL la l:ichelé dans les cOllluab, d'untre ['art, en restreignant les agi:;~emcnts funcsteg Ù la vic :;ocialc, a contrihué à scrvir l'avantagc des p"rliclllim's et cellli des Etats. Ce n'est. que quand J'individu pOLll':;uiL si pa--sionnément Ic:; applaudissements des autres, qu'il egt r.mené il sacrifier Son salut immédiat. " (l'S)'CIIO{ogie, 1. Il, p,61il,j !!4 .:ÉMUL.\. TIOJli mann de ne pas cherchel' it lui faire honneur, it se distinguer parmi ses concitoyens comme lanl d'aulres jeunes gens, dil, plein de courroux: « Ta mère, dès les premiers ans, m'a leurré de vaines espérances, Im'sque je me plaig-nais qu'à l'école tu restais tOUjOUl'S en al'l'ière de les camarades pour la lecture, pOllr 1'(~critul'C, pour l'exercice de la mémoire, eL de ce que tu occupais loujours la dernière place. Voil'" ce qui arrive quand l'ambition ne vit pas délns le cœUl' d'un jeune homme, quand il n'a aucun désir de s'élever plus haut .. , ,le ne puis guère espérer que mon vœu le plus aI'denl s'accomplisse: il savoir que mon fils, non conlent de m'égaler, soit meilleUl' que moi. Cal' que semil une maison, line ville, si chacun, d'après l'exemple des temps passés et des autres pays, ne se faisait pas line élude agréable et continue de I'entretenil' et de l'améliorer? Un homme ne doit pas ressembler ail champignon, qui, presque au sorLir de la terre, pourl'it à la place où il est né, et ne laisse aucun vestige de force et de vic .. , QuicolH{ue a vu des villes p1"Opl'es el vasles, n'a pas de repos qu'il n'ait embelli celle où il est né, quelque petite qu'elle soit. J'ai six fois, dans noll'e conseil, eu la place d'inspecteur des b:llimenls; je puis dil'e qu'en poul'suivant avec ardeur mes en~ Lreprises, en achevant des travaux commencés par des hommes probes, et restés imparfaits, j'ai obtenu. mérité l'approbation et les remerciements sensibles des bons citoyens. Chaque membre du conseil prit nÔI.E DE L'É:\IULATIO:'i 9,;)" enlin dt, l'émulation, se fit un plaisir de ces soins; il prtÓsent tous s'évcrtuent, et ¿éjÙ la nouvcllc chaus"éc qui nous unit Ú la grande route est finie, et l'ouvrnge est solide l ... » Dans son Siècle rie LOllis XIV (chap. xxv), Voltaire écrit au sujet J'lIel1l'idte-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans: Quand pal'Ut Henriette Ú la cour, (( le got1t de la sociét.Ó n'avait pas encore reçu toule sa perfection. La reine mère Anne d'Autriche COIIImençait à aimer la retraite; la reine régnante savait il peine le français. La belle-sœur du roi apporta il la cour lcs agréments d'unc conversalion dOllce et animée, soutenue bientôt par la lecture des bons 011vrages et par un goÙt SÙI' et délicat; elle se perfcctionna dans la connaissance de la langlle qu'elle écrivait mal encore au Lemps de son mariage; clle inspira une émulation d'esprit nouvelle et introduisil it la caul' une politesse et des gràces dontÚ peine le reste de l'Europe avait l'idée. » Qui ne connaît la vie cie saint Vincent de Paul, laquelle n'est qu'un tissu de bonnes œUYl'es, et qui ne se souvient que la fondation à Paris de l'hospice des enfants trouvés fut le résultat cI'un simple sermon de charilé prononcé par lui dans cette ville? « Or sus, mesdames, la compassion ella charité, s'écria admirablement le pieux ol'ateur, vous ont fait adopter ces petites eréatuI'cs pOUl' vos enfants. Vous avez été ~. GOETlIE, Iler'nWlill et Dorothée, ch:mt. II I. ,' 9í¡ L EMULA TIO./i leUl's mères selon la gl'âce, depuis (lue leurs mères selon la nature les ont abandonnées. Voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonne.' pour toujours. Cessez dès à présent d'être leUl'S mères pour •.Ievenir Icurs juges. LeUl' vie etleu!' morl SOlIt entre vos mains . .Je m'en vais prendre les voix et lp.s suffrag-es. Il est temps ue prononcer leur arrèt, et ue savoir si vous ne voulez plus avoi.' de miséI'icorde pour eux. Les voilà devanl vous, Ils vivront si vous continuez d'en prendre un soin charitable, etje vous le dédare devant Dieu, ils seront low; morts demain si vous les délaissez. )) Tel ful l'effet Je ces Lell(~s paroles qu'à l'instant même, sans sorlir de l'église, par suite de la plus louable émulalion enlt'e les dames préscntes, J'hospice des cnfants trouvés dai t fondé et dolé de 40.000 li\TCS de l'ente. Ainsi « la pitié du bon monsieur Vincent qui. sauva, all ùix-sl'ptièrne sii'de, ut's cenlaint's d'cnfants abandonnés, el qu'on l'amassait" comnlf' ues chiens pCl'JUS a donné l'élan aux ~'\rnes charilables de son temps et aux Lonncs volontés dl's siècles suivants. Son dévouement a des consÓquenecs immortelles f. )) l'lais laissons les exemplcs parliculiers. C()mmenl prog-ressent l'agriculture, l'indusll'ie, le commerce, sillon par la concurrence, celle rni~l'ede l'émulation? :\'rsL-ce pas à qui fera chaqnr jouI' de nouveaux elTo/'ls pOUl' pcrfectioll/ler ses moyens Je production )l, 1. G. CIlATliL, Lt'Ctu"c,~ morales, p. 52. RÔLE 97 DE L'É~IULATIO:'i el bur assurer un avantage sur ceux de Lous ses conl:UI'l'Cnts? Quel est le but des expositions univeeselles et eégionales, des concours et. des comices agricoll~s, eommc des eécompenses divel'ses qui y sOlll décCl'I1écs, sinon d'amener par l'émulation ainsi cxcitée dans le monde entier, les individus et les nations il réaliser sans cesse des œuvres moins impaefaites eL plus utiles it l'humanité '1 N'est-ee pas pour stimulel' l'ardeur à traitee des queslions pl'Oposées, et contribuer par 1;\ au progrès des lettres et des sciences, que les académies, g-randes el petites, mettent des prix au concoues? Et en cc qui concerne les beaux-aets, les concours de peintUI'C, de sculpture, d'architecture,les peix el médailles du salon ne fendent-ils pas au m(~me hut? N'est·ce pas eneore, parce qu'ils trouvent, dans la rivnlité ainsi engendrée, le meillem mOJcn d'exciter le zèle de leurs fonctionnaires, de leurs soldats ou des simples citoyens, que les gouvernements Ollt reCaUl's soit Ù l'avancement au choix, soit aux distinc- . lions ou décorations? fhs cspri ts rigoristes ont blâmé l'insti tulion de ces del'llières et voulu ramcnel' la société au niveau d'une égalité parfaite. Ceetes, el cela a été assez répété, « le bien devrait être fait pour le seul amour du bien. Tout citoyen devrait être utile à chacun de ses concitoyens, se dévoucr, se sacrifier mt:rne pour sa patrie, sans réclamer d'autre récompense que celle qui nail du sentimenl d'av?ir rempli un devoir diffiQLHIIAT. - L'F:rnulallon. ï cile. Mais en est-i I ain ••i? Peul-il même en êlre ainsi? Il existe des âmes all'ermies dans la pratique de la vertu et capables de celte force qui peut seule produire des elTets semhlables; un assez grand nomhre se sont révélées, surtout dans ce moment de gloire et de dangers oil la patrie menacée dans sa propre existence, au temps de sa régénél'ation en 1789, ¡¡yait besoin d(~s elTorts, de la forlune, du sang même de ses enfants; mais les lois de l'humanité veulent que ce ne soient que des exceptions: elles n'ont pas per~is q\le l'abnégation de soi-mèml~ flit la ••.edll de tous. Quoi IIu'il en sail, il faul il l'homme un véhicule qui le détermine à chacune de ses actions. Panni tous ecux q\le la sociélé peul emplo)'l'r il son avantage, le pire estl'intérèt d'argenl. qui n 'engendl'e que l'égoïsme. Le meilleul' estl'émulalioll, ou, si l'on veul, l'l/mour-propre; il ne vaut pas la peine de disputer SUI' les mob, Cependant, nous ne savons Irop si le sentiment qui pOl'le un citoyen il désirer fJu'une bel1e adion, qui souventlui a coûté de grands sacrifices, ne reste pas ignol'éc de ses concitoyens, et qu'un signe dislincLif quelconque fasse connailre en lui, ce qu'il a fait et ce I[u'on peut raisonnablemenl en altendre encore; nous ne sayan", disons-no,us, si ce sentiment peul être simplement qualifié d'amollrpro/wc, Dans Lous les cas, il tourne toujours à l'ayantage de la soeiélé; car une rÚcompensc oslensihle accOl'dée à des serviee,; distingués impo!'oc à celui qui l'a bl'iguée el obtenue I'obligalion de ne pas se HÔLE DE L'É~rCLATIO:-; 99' démcntir dans le restant de sa carrière; et ICI l'amour-propre lui-même concourt à ce que cette obligation soit. remplie. Ajoutolls-y qu'unf' récomprnse ostensible est un puissant moyen d'émnlation et ù'cncouragement pour bfèn des hom~es qui rcculel'uient devant les sacrifices dont le dédommagement devrait resler, pour ainsi dire, rcnfermé dans le secret. de leur conscience. Cc sont ccs considérations qui avaient engagé l'Assemblée constituante. ap.'ès avoir aboli les distinctions féodales, à décréter qu'i: cn serait créé une nationalc: ce qui a l>lé fait par l'institution de la Légion ù'honne-tll' I n, à laquelle on a depuis ajouté celle des Méùailles d'honneur, des Palmes :lcadémiques, du l\Iéritc agricole. Ces décorations divcrses n'o/Trcnt-ellrs pas aux gouvernements un moyen sÎlr eL peu coÙteux d'animcr ct de récompenser le comage qui porte les citoyens à dc gmndes actions, utiles à leur patrie ou avantugeuses à leurs concitoyens, de reconnaître également la valeur d'une longue suite de services honorables. ~Iais encore ne faut.-il point les prodigue.', car ce qui dist.ingue tout le monde ne dis1. l]élléral de V.\I[)'''COLl\T, llr!. f)éc(Jralioll, du ¡Jicl. de I<.. On sait '1lIcl fut l'elIet de cette institut ion, créée (mai lHU2) pOUl' honorer le mérite civil et militaire : " La Fmnl:e, a tCI'il Stendhal, mal'chait par I'extrèlllf~ émulatiOIl que ;\apoléon avait inspirée à tous les rangs de la société. La ¡(oit·c était la vraie légi,;lation des Français, Le muindre gal'rll!l pharmacien, tr:lvaillant, dans l'arrière-lJouti'lue de son maitre, élait agité de l"idée 'Ille, s'il faislIit une grande décoJverle, il aurait 1:1 croix et serait fait eorule .• (;on"u.<a/ioll. 100 J,'ÉIIlULATlON tinguc pIlls personne, et ne doivent-elles aller qu'au mérite, SOilS peine de tomber dans le discrédit et même de s'avilir. Qui ne sait malheureusement l'abus qu'en ont fait des politiciens employant à payer des serviccs électoraux les décorat.ions que devrait seul obtenil' le dévouement ail bien public? Puisque l'émulation est pOUl' les adultes un stimulant si énergique, on comprend quc ce mobile ne doit pas être négligé dans l'éducation des enfants. Aussi de tout temps les philosophes et les éducateurs en ont-ils généralement vanté J'cxcellence', « A chaque instant de J'éducation, dit Platon, le jeune homme doit apprendre que le mét'ite et les talents peuvent seuls donner une supériorité réelle. » Aristote veut que ce sentiment se rencontre partout, jusque dans les jeux ell'S enfants, qui, suivant lui, doivent être aussi une imitation dllS travaux dont ils s'occuperont par ]a suite, El Plntat'lIue écrit: « Il faut que les parents fassent le gnet il cet âge, en les priant, prêchant, t'emontl'ant; surlou.t mellant devant leurs yeux les exemples d'autres en bien et en mal; car ce sont les deux fondements et éléments de la vertu, I'espoi.' de prix et la crainte de honte. - Éloignez, dit-il encore, les enfants des méchants, parce que J'imitation est une suite de J'émulation. )) - « C'est J'honneur, écrivait Cicéron, qui nourrit les at'ts, et tout homme s'enflamme d'amour pour une étude qui promet la gloire, » Quintilien aussi, comme 1I0US verrons bienlôt, se déclarait neHemen't el élolluem- RÔLE DE L'ÉMULATIO::'i 1UI quemmenl en faveur de l'émulation. Et'l'on lrouve la cantil'malion de leur opinion dans les ouvrnges de penseurs appartenant nux écoles les plus difTérentes. Rabelais nous montre son préeepleur-mooèle inlrodui,.;:\nt Garganlua en compngnie de gens savants, « Ù. iémulation desquels lui vinl l'esprit elle désir de se faire valoir ll. POUl' luUer contre la paresse du dauphin, Bossuet le faisait concourir av·ec des enfants OP son fige l, Locke, qui ne yeu I pas de I' éducalion publiqup pour son genli:homme, recommande néanmoins l'émulation: « Tout esl fail, oil-iI, si vous pouvez la faire nailre; vous n'avez plus besoin d'l1l11. " Préoccupé de remédier aux défauts d'une éducation solitaire et voulant éveiller l'amour-propre un peu languissant Il II dauphin, Bossuet lui amenait des eufants de son i\ge 'llli wncouraient avec lui, La J'cine et line nombreuse assistance honoraient parfois de leur présence ces joutes enfantines. Bossuet était donc en opposition avec ceux qui, comme Rousseau, se défient de l'amour-propre et con· damnent l'émulation. Dès 1666, or: avait admis il étudier avec le dauphin quatre écoliers, qu'on appela enfants d'honneur. Plus ta1'(l, deux pages d'honneur, qui a(:eompagnaicnt toujours Monseigneur, faisaieut soU\'ent assaut avec lui il qui ¡'ediraille mieux des sentences latines, Plus tard encore, les deux princes de Conti devinrent les compagnons d'ét¡¡des du prince. (Compayré, llistoire critique des doctrines, etc., t. l, pp. :lOo-30l;,) - L'éducation de Charles XII nou& préscnte lin fait analogue: " Quoique doux dans son enfance, raconte Vollaire, il avait ,me opiniÙtl'elé iusurmontable; le seul moyen de le plier était de le pi'luer d'honneu¡'; avec le moL de gloire on obtenait tout de lui. Il avait de l'aversion pour le latin; mais, dès 'Iu'on lui eût dit que le roi ne Pologne et le J'ai ùe Duuelllark l'entendaient, ill'apprit bien vite, et en l'clint assez pour le parler le reste. de sa ,ie, On s'y pl'it de la rnème manière pour I'engager"!t entendre le fl'ançais. " (!listoire de Char/es XlI, liv. J.) >l BANCO DE l_A RE.PUBUCP, IIIlUOl¡;(.~ lUIS- ANGEl AJlANGO 102 ,. L !o;}lULATION tres moyens, » Ainsi pensaient eneol'e Fénelon, Hol4in, tous deux d'un si grand poids en celle questioll, l'un par sa pl'Ofonde connaissance du cœur humain, l'autre par sa longue expérience d'éducaLeur. Con(JiIlac l'approuve ell'utilise. Helvétius la fait entrel', eomme une donnée nécessaire, dans son système moral el politique. Didcrot reconnaît qu'elle esL « la source des plus belles choses dans la société. La supériorité, diL-il, est un goût général. Le plaisir le plus actif est celui de la gloire. L'affaire.esLde lui présenter des objcts estimables; et l'amour-propre sera toujours la plus grande ressouree dans un Üat policé, » C'cst également l'opinion de Mably, qui, montrant comment la prudence du législateur doit s'y prendre pour chasser les vices d'une société ot'! ils se sont naturalisés, écrit: (, Y trouve-t-elle encore une étincelle de l'amour de la gloire, ce sera pour elle le feu sacré de Vesta. PI'cnez garde <IU'il ne s'éleigne, <.Iira-I-elle aux réforma teUl'S ; ménagcz-le 3vec soin. Examinez la vertu dontles csprits ou !es cœurs sonL le moins éloignés; tâchez de la rendre encore plus aimable el plus chère, cnlui accordant des distinctions; mais ne les pI'odigucz pas, de peur qu'elles ne perdent de leut' prix, Que vos récompenses ne soient donc propres qu;à donner une nouvelle activité à l'amour de la gloil'e l, )} L " Pour la vertu, dit Fénelon, elle sera assez excitée, à servir l'Elat, pourvu que vous donniez des couronnes et des statues aux !Jelles actions. » (Télémaque, liv, X.) op aura assez d'('mpressement HÔLE nE 1!~:~ruLATIO:'i 103 On sait que les Jésuites faisaient grand cas de ce sentiment p,ll'ont toujours considéré comme un des reS,,01'ts essentiels de J'm't d'élever les enfants, « Il faut, est-il ùil dans leur Règlemenl des éludes, le Ratio stud¡o/"llm, il faul exciter une honnêle (Imulation, laquelle esl un grand stimulant pour l'élude, H Plus récemment, un éducateur que Renan déclare « sans rival H, Dupanloup. traitant de J'émulation (' donl on s'accorde tellement à reconnallre la nécessité et les avantages dans l'éducation H, éCI'ivait : (, Il esl à remal'quer, en fail, quejamais les plus religi:Jux instilulelll's de la jeunesse n'onl redouté l'émulation. L'T~glise catholique elle-même a toujours cher~hé à faire naitre dans le cœur de ses disciples, les nobles sentiments et loules les al'ùeul's d'une émulation généreuse, - La première dans le monde, l'f~glíse a institué les grades, les honneurs liUérail'es, les distinclions scientifiques, les conCOUI'S, les prix de travail. Elle redil volonliers avec saint Augustin il chacun de ses enfanls: POUl'quoi ne poul'rais-lu pas cc qu 'ont pu ceux-ci el ceux-là'? Cur 1l01l poleris quod ¡sli el ¡sl;"e?Seulementl'~:glise nous avertil de ne pas chercher à l'emportel' sur un rival pOUl' SUl'passel' l'homme, mais pour surpasser, s'il est possible, le bien qui esl dans cel homme, et aLLeindre par là un bien plus grand: ce qui est l'amour non de la vaine gloire, mais du bien le plus élevé-et de la gloire la plus noble et la plus pUl'e, - C'est le puritanisme philosophiquequi a essayé de bannir de l'éducation ,. L EMUJ_A. TlOi'l les justes louanges, l'émulation généreuse. Le pédantisme qu'il affect,e et qu'il inspire est véritablement curieux à examiner de près. Rien de pius sec. de plus l'aide, de plus compassé: tout y est d'une fade sensibilité ou d'une sécheresse désespérante, »Loin donc de songer à proscrire l'émulation, vouIons-nous savoir ce qu'eIle peut? Considérons les classes d'où elle est absente et celles oil en revanche elle anime les esprits, Dans les premières, les mieux doués eux-mêmes s'endorment au scin de l'indifférencc ct dc la torpeur; lous sc montrent sans aucun goùt pOlir le travail, sans aucun élan; ni vic, ni entl'ain; chacun s'acquitle comme it l'egreL d'une lâche monotone. Parfois même, hélas ~ un tel éLaL de choses n'est-il que l'etret d'une émulalion à rebours: un paresseux, qui jouit, pour une raison ou pOUl' une aulre, de quelqlle presLige, règle alol's la mal'che; el des enfants, donL l'émulation bien dirigéc aUl'3it fail d'excellents élèves, vont rivalise¡' avec lui d'indolence, quand ce n'est pas d'indiscipline. En ces classes un bon entraineur a fail défaut. Dans les autres, quel tabIea u dill'ércnl! Les camarades suivent avec ardeu¡' la ¡'oute à parcourir; chacun s'estime assez pOlir vouloirmarcher aussi vite; il ne fauL pas perdre sa place et rester en ar¡'ière; un coup d'œil SUI' le voisin qui vous dépasse, un aulre SUI' le maitre qui vous encourage, el un vigoul'CUX efrort fait raUmper le temps perdu. « La volonLé, chancelanle quand elle est isolée, prend une vigueur nouvelle au contact d'autres · HULE ,. DE L E1\lULATIO:i 105 énerg-ies, et l'enfant le plus indolent sc met à l'œuvre, excité par l'exemple qu'il a devantles yeux. ¡l Ce qui d'ailleurs constitue la principale supériorité de l'éoucalion publique sur l'éoucalion privée, c'est précisément que dans la premi(~re règne normaleme:ll une émulation qui assure le progt'ès des études. Anciens el modernes pédagogues n'onl pas manqué de signaler cet avantage. Dan., l'éducation publique l, observait tri~s justemenl Quinlilien, « l'enfant vetTa tous les jours son maitre approuvcr une chose, corriger l'autre; blâmer' la paresse oe celui-ci, louer la diligence de celui-là. Tout lui servira: l'amour de la gloire excitera son courage; il aura honte oe céder à ses égaux; il vouora même surpasser les plus avancés. Voilà ce qui donn? de l'ardeur à de jeunes esprits 2 !... Il faut aussi remarquer que ceux qui commencent se mesurent plus volontiers avec leurs carnat'ades qu'avec leut' maître. I. On s¡;it que Pintan, Xénophon, Aristote, trois grand" noms qui résument la pédugugie grecque, voulaient, d'accord avec les tendances générales de l'antiquité, que lcs enfants fussent soumis à une éducation identique et pal' conséquent publique. 2. Quintilien, Rollin, Dupanloup font valoir que du méme coup une clnsse nombreuse anime naturellementle maitre lui-.llèrne. " Un professeur qui va faire sa classe, s'écrie le dernier, ... mais il va trouver là de jeunes esprits, nombreux, animés, pleins d'émulation, qui l'altl'ndent. L'cfTort qu'il fuit pour les saisir, les élever jusqu'à lui, les dominer, lui donne de nouvelles forces ... Dans le llomb¡'e sans doute, il se trouve des ignorants, des paresseux, mais les enfants studieux, intelligents, généreux, l'aident à éclairer l'¡gnnrall::e, à cntra/ner la paresse des autres. " 106 J:ÉMULATlON En effel, qu'un enfant qui n'en est encore qu'aux pr~miers élémenls ait tout à coup l'audace d'aspiloer à l'éloquence d'un homme qu'il regarde comme infiniment au-dessus des autres, il n'y a pas d'appal'cnce; il s'attachera bien plutÔt à ce qu'il trouve à sa po\'lée, comme uncjeunc vigne, à la faveur d'une autre qui lui sel't J'appui, s'élève de branche en branche et monte jusqu'au faile ... II esl donc avantageux d'avoir quelqu'un que l'on puisse imiter, jusqu'à ce qu'on soit en éLat Je le surpasse.'; c'est £;al' ~es degrés que l'on peul espé\'el' de monter et de s'élever fOl'l haul Jans la suite!,» Élablissant un pal'allèle cnl\'e les deux éducalions, Dupanloup cile une lellre d'un des précepleUl's les plus capables qu'il ait, dit-il, jamais connus: " Dans ·l'éducation particulière, y lisons-nous, Lous les 1. Ve l'illstitlltio/l de /'omleU/o, Ii\'. I, ch. II. - Voy. les mèmcs idées re!woùuilcs par H"LlI~, Traité des études, Ii\'. \'111. Rollin n'aimait pa~ "internat et reconnaissait, ù'antre part, l'inCériorité (il faudr'aiL ajouter aujourdllUi l'insuffis¡lnce) de l'éducation privée. L'idéal "erait, pour lui, ce que nou" appelons l'externat, par.ce quc ce rég-ime combine les avantagc;; de la vie ùe Camille et ùe l'instruction reçue en commun: " JI y Il, dit-il, une troisième manière qui tienl le milicu : c'est d'cnvoycr les enCants au collè!!c pour y profHcr de l'émulation des classes, en les retenant le reste du tcmps dans la maison paternelle. n - Quelle 'luC flit sa haine ('.ontre les internals, Montaigne était cependant Corcé lui-lIlème d'avouer les avantages de la vie communc des co\lèoge" et de l'éduGation publique. " Ce nous cst une grande "implesse d'aban,lonner les enCants au gouvcrnement et fi la chargc de leurs f.I(\rcs. Qui ne voit qu'en un estllt tout dépend de J'éducation et nourriture de" cnfants ?" (ESSlIi$, liv, II, XUI.) RÔLE DE L'É"lULATlOX 107 moyens qu'on peut employer pour exciter I'émulation, ne remplissent que très impal'faitement le but. Dans l'éducation publique, les élèves onl un auditoire, les succès une digne I'écompense, les fautes, la par'esse, une juste el grande publicité. - Dans l'éducation particulière, un enfant que l'on fait lutter avec un COllsin ou avec quelques camaratles, fait quelques efl'orts de plus que s'il était seul. ~lais il est là tout .au plus, comme un avocat dans une petite conférel:.C(~, comme un acteur à la répélition solitaire: dnm; l'éducation publique, c'est un acteur sur la scène, un avocat devant le tribunal, un omteur il la tribune. - Pour un élève seul, les études n'ont point un bnt imrnéJiat; voilà pourquoi elles sont pl'esque toujours accompagnées de fatigue, d'ennui, de dégoÙt; dans l'éducation pubEque, le but immédiat, c'est un noble et légitime succès convenablement et solennellement constaté, Voilà.pourquoi aussi il est bien rul'(~ qu~un enfant qui a fait ses études dans sa famille ait cette al'deill' généreuse qui prépare de loill les grands hommes et les grandes choses, Celui qu:, dès son enfance, a été a~coutumé aux luttes et aux triomphes du collège, conservera cette noble passion toute sa vie; elle s'ennoblim, se sanctifiera Ja'ls son <lme, etl'aidera à aecomplir les œuvres Ju courage et de la vertu, » Et Dupanloup ajoute: « Il suffit de voir ces pauvres enfants élevés solitairement, quand ils se trouvent en présence d'autres enfants élevés au grand ail' 108 de l'éducation publique. Comme ils craignent les concours, les compositions, les comparaisons! Comme un revers, line infériorité les abat, les humilie ou les irrite, au lieu de les animer, de leur inspirer les nobles repI'ésailles d'une vaillante émulation! Esprits timides, ombrageux, gourmés, ils ne sontle plus souvent que des soldats Je parade! El du côlé ou camctère, comme ils cI'aigncnt le contad et le froltement des autres enfanls! Quelle sensibililé sur la- plus légàe plaisanterie! Quelle défiance, quelle susceplibilité! Comment un homme se fOI'mcra-t-il de ce petit être tremblant et sauvage! » Le brillant éducateUl' continue par celte observation très juste et très importante: « Dans l'éducation particulière, qui peut dire à un enfant: voici la me· sUI'e exacle ùe votre travail, de vos e£rorts, de vos succès; en Jeç:à vous n'aurez pas rempli votre devoil'? .. Dans I'~ducation publiquc, celte mesure c'est le tra\"ail des autres. Il faul de loute nécessité que l'enfant s'entende et compte avec les exigences hígitimes de son amour-propre; il faut qu'il se classe tlarmi ceux (lui ont de l'esprit, du talent, du !I'avail, de l'honneur, ou parmi ceux qui n'en ont pas. De là celle constance, ces efforts continuels pour vaincre sa pal'esse et se distinguer convenablement! » Pour conclul'C, Dupanloup s'écrie: « l'ion, non! je ne suis pas de ceux qui redou lent dans l,(~ducation le condisciple et la noble rivalité qu'il excite. Le condisciple! mais c'est la société qui commence, n<ÎLE DE L'É~IULA TION 109 ln vie sociale, ses devoirs et ses droils; l'ardente émulation, la puissance de l'exemple, le parlage des joies el des douleul's, des lravaux et des succès, la naïve amitié, l'appui, le secours mutuel, la fraternité m(\me; cal' le condisciple c'est lin frère quand la maison d'éducation est une famille. Avec le condisciple se rencon!.rent aussi les f\"Oissements, le supporl, la pul.ience, l'ég-alité, le respect d'autrui, choses si préci3uses! Non :je le répèle, i: n'y a pas, ou du moins il y a bien peu d'éducalion sans condisciple. « Au petit séminaire de Paris l, j'ai \'u le condjsciple et l'émulalion préparer et accomplir des mimcles de zèle el de !.ravail, et faire !1eurir, parmi cette nombl'euse jeunesse, !.outes les branches des plus fOl'les éludes, en même temps que les plus solides el les plus aimables vertus. J'ai vu là des enfants s'écrier: Je n'ai point d'ennemis, j'ai des l'il'aux que j'aime 2 1 « C'é!.ail la devise de leul's combats d'émulation. ,J'ai vu là des émules s'aia:er lendrement, se combattre, se vaincre el se féliciter toU\' à loUl' ; je les ai vus s'admirer, se chérir, se louer, s'applaudir mutuelle men!. a vec bonheur, ne pouvoir se passer les uns d~s autres: c'est qu'il y avait, chez cette génél'euse jeunesse, la noble el pU\'e émulation du bien, non la 1. SUl' le pctit séminairc Saint-:'\icolas du Clwr<ionnet, au temps (lc Dupanloup, voy. RF.H:<, Souveni/'s d'enfance el dv jeunesse, I II, 2. 2. VOLTAII\E, Discou/'s su/' ¡'cnvil'. HO basse el odieuse envie ... Enlre tous, c'élait lout 11 la fois une émulation de travail, de vertu et d'amitiél• )) II est assez piquant de voir l'opinion si calégo-. riqne de Dupanloup, pal'togée au fond. quoique plus sohl'ement exprimée, par H. Marion, que l'on ne saurait accuser cependant de tendrcsse exagél'ée pOUl' l'émulation: « lIne infériorité nolable des éducalions privées. reconnait-il. c'cst que J'{~mulation y fail défaut, eL l'on craiL souvent, avec raison, devoil' y l'cmédier en donnanL par exemplc aux jeunes gens des compagnons d'études. ALI conlraire, parmi les avanlages de lí\ducal.ion en commun, et principalement des écoles publiqnes, on compte à bon droit celui de placer l'cnfant dans les conditions mèmes de la vie sociale eL de le préparer à ses lulles, L'esprit de ¡uLLe jouant dans nos sociétés un rôle immcn;;e, cc serait déjà un progl'ès moralement que d'y faire prédominer l'émulation de hon aloi SUl' les rivalités mauvaises¿, II l. Ii,. 1'l;,(Wt/t;,,", t. II, pp. 1i!;.j·linO. 2. 1/J.;tlt/cal;ull d'lIls l'U/livers;té, pp. 280-281. (La Vie ,le c"ltèye) : " Le coll~ge apprend:\ - Cf. PAl" J.'~ET l'enfant bien des choses utiles: la règle, car dans la famille la règle la plus stricte est encol'e complaisante et inégale; le travail, car le travail dans les familles est trop facilement I'el:khé, suspendu, interrompu; la justice, car dans la famille la justice la plus éll'oite est facilement mèlée de faveur; l'émulatif!ll, ear au colll\ge tout est {~mulation. el celui qui n'est point le premier en thème veut ètrc au moins le premier à la balle ou il la course; la sineérité et la loyauté, car il n'y a rien dont les enfants ont tant h(,)l'l'eur que de l'hypocri~ie et de la délation; la patience, cal' les enfants sont méchants. RÔLE DE L'É~fULATImi 1'11 Faut-ilnommer aussi Helvt\tius I, l'abbé de SaintPit'lTe, "Ime Necker de Saus¡;ure 2, Feuillet \ Jacouletl, . Tous sont d'acconl pour proclamer avec :\lmc Campan que « l'émulation fait la force ùe l'éducation publique:' », Stimulant précieux pOlir l'éducation intellectuelle l'émulation n'est pas d'un moindre secoUl's à 1 éducatioll physique et à I' éducation morale, et i>e tOUl'mentcnt les uns les uutres;' lc courage, car, au collègc, il faut se défendre soi-même, et UII poillt d'honnem étl'Oit intel'dit d'en appelet' ¡¡U secou!'s du mail1'c; l'amitié, Clll' c'cst au collège que se nouentles plus fortes ¡¡milit,s; enfin il lui apprend la vie, cal' là, comlllc dans la vie, on n'ouliel)t '1ue la place que l'on acquiert; ¡)I,I'SOllnc, ne vient au-devant de vous: l'enfant, eomlllC l'homme pllH; tard, est livré it lui-même en f:lI;e d'une règle innexiblf', sans null''' protection quc !;on mérite, sa pro!we volonl", ses bonlles intentions, Voith le collège duns sa vraie idée, » - Yoy, encore, dans iYouvcllesf'/ ""''''''I¡irs,le Discours pruu"/lcé ti /" dis/ri/Juliorl des prix du Iycé" l.'lwl'l"rnagne, le ;; aotit 1883, pal' Ed, Abont: ", .. L'émlllnlion est au collège toujours en • éYl'il, mais une émulation honnête et (lui ne sort jamais du droil ehemin ... ], De /'hornrn,' et de ses facu/tés i¡¡[ellec/aelles, sect. X, ch, XI. 2, Voy, 1.'F:daeatioll peuyressive. t. Il, iiI', \'II. ch, III, :~, ,uémoir'e cité; pp, :-Ji, as, !iIi, 140. 4. « Jamais enfant n'a longtemps ni vil'ecllcnt joui, seul il un jl'1I 'l"i demande deux 01.1 plu~iellrR jouelll'''; de nll'rnl', jarl~is enl'¡¡nt no tl'availlera seul dans sa chambre d'études avec la "varilé, le coul'age, I'cntrain, la facilité '1u'il mellt'ait ail nH\llle tl'avail dans UII collège. 1\ lui fallt des ohjels d.~ cOlnpal'aison, il lui faut des exemples qui le stimulenL, des poinls ùc repère qui lui marque nI où il en est duns sa foule; el c'cst là le rùle des camal'aùes '11Ii l'enlourent el 6U~' les'luels il règle sa marche, se propos:lllt tour Ù LOllI' dc lcs atteindre, puis de le,:: dépasscr, puis, s'il a perdu son u"ance, ùe les rejoindre, ,,(J)i.·/, <le péda!lu!li", art. cilé.) ë. Happelons, ù'un aulre poinl ùe vue; '1u'un des al'gll- 112 ,. L EI\(UL.\ TION Quels puissants effol'ls n'excilaienl pas dans la Grèce ancienne les simples couronnes de verdure el les prix décernés dans les difTérents jeux gymniques I Qui n'a présents à J'espril celle ardente course nauli'lue, ces combats du cesle et de J'arc que d(\peint Virgile au cinq~ième chant de l'Enéide? la Iulte ou la course des chariots dont Télémaque sod vainqueur dans l'île de Crète? El de nos jouni avec quelle énergie et (Iuel acharnement sont disputés les coupes et les prix dans les coul'ses d'automobiles! avee (lucile passion sont bouclés les circuits div~rs ~ C'esl à qui atteindra les plus folles vilesses. Que dire de la locomotion aérienne'? Par crainte d'êlre dislancés, nos ingénieurs, nos piloles, nos ofliciers cherchent sans relllche le moyen de faire mieux; nos aviateurs, aspirant à réaliser les plus helles pl'ouesses, S'errOI'cent, au péril de leur vic, de tenil' le record de la vitesse, ou de la haut.eul', ou de la durée du vol. :\Iais :lUssi quels meneilleux el rapides pl'Ogrès! El tOilS eos concours de gymnastique, ces matches de foolball, quelle actiori n'exercenl-ils pas sur le développemcnt de la force, de l'adresse ou de l'agililé chez no,> adolescents, Peut-être y a-tment;; invoqués contre le monopole de l'enseignement consiste à soutenir 'lue les écoles libres, en concurrence ave!: !:elles de I'Étllt, exciteront l'émulation de l'Université et l'ohligeront il plus d'ar'deur: raison aeœptahle, pourvu toutefois que la concurrence ne fa5se pas appel à des moyens étl'angers /lU savoir, aux méthodes et au zi'le des maitres. i] dans ]a fréqucnce ct la muIliplicité de ces exer· cices quelque abus, ellct de trop ¡j'cllg-oucment; mais qui songerail à niel' ici ]e rôlc admil'Ublc de l'émulalioll '? Housseau Iui-même, nous l'avons vu, recommandail pOUl' celle raison les jcux en commun. K cela monlrc de quel usage l'émulation peuL êlrc pOIL' le perfectionnement moral et la pratique de la vertu, « ;\ous voyons bien SOL\'t~lIl, lil-on dans Plutarque, les chanlt'es CllllUsiciens ès-théMI'es, et toule aulre telle manièrc de gcus qui sen'ent il faire des jeux, Lous languissans, nonchallans, el non point délibérc's, ni faisans Lous le\ll's cl1'ol'ls de monlrer ce qu'ils ::;ça\'cnl quand ils jouent il pur eulx; mais quand i] ya émulation el contcnlion il l'ell\'i contl'c d 'u ul rt~S, il qui fel'<: ]e mieulx, alors non seulenwnt ils sc pI'éparent eulx-mt~mes plus allentivemcnl, mais aussi leurs inslruments. tastans les cordes plus diligemment. Ics accol'duns el cntonnans leurs flustl's. Celuy do:!e qui sçail qu'il u son enncmi pour émulateul' de sa vie, eoncurrcnt d'honneur el de gloire, prcnd de plus près g-arde à say, considère circonspee.cmenl taules choses el ordonne mieux ses IlHeUl'Set sa vie ... Scipion ;\asica, comme qllelquesuns dissent ct cstimassent y,uc les affaires ùes Homains étaient désormais en loule seureté, estant les Carthaginois qui leuI' soulaient fairc teste du tout ruinés, ellcs Achéiens suujug'Jés j mais au contraire, dit-.I, c'est à cesle heur'e cluC nou¡¡ sommes en plus gl'Und danger, apnt tanl raieL que nous avons os té QI.L\I\.n, - L"::mu!ation, 8 U4 , . L EJ\lULATlO:-; Lous ceulx quc nous devions révérel', el Lous ceulx que nous pouvions craindre l. » Quand elIe se manifeste entre les enfants, celte émulalion pour le bien est éminemment propre à faire éclore ou à développer chez eux les senliments d'humanité el de piti<\, eL à leur élever le cœuI'. Voici de celle nature un fail que l'apporte:\1. F. Thomas et qu'il tient d'un inspecLeUl' de I'(Jniversill~ : tt J'ai dans mon département; lui écrivait celui-ci, plusieurs éLablissements où ce genre d'émulation produil d'excellcnts résuILaLs. Bien souvent lc,mallrcs trouvent près de leul' bureau soit un paquel de YieÜx habils encore uLilisables, soit des chaussuI'l~s, soit même des aliments qu'un bienfaiteur anonyme, - un éli~ve nalurellement, - y a discrètement déposés avant la classe, Ce bien, fait sans o~tenlation, soulage plus d'une misère imméritée, el, à tout prendre, provoqu;1l-il même, chez son auteur quelque mcnue satisfaction d'amour-propre, qu'il n'en mériterail pas moins d'être encouragé 2. » Si l'on demande d'où vient que, dans ces différents . domaines, l'émulation est un principe si énergique d'aclivilt\, nous l'épandrons: De ce qu 'elIe met cn œuvre toutes nos facuILés : ia sensibilité, par l'entraînement de l'exemple, par ceLte ardeur contagieu.'ie qui gagne naturellement des êlres parcoul'anl la 1. (J"WI'I'S morales. Comment on pourra ses ennemis. traù. Amyot, 2. Ouu. cité, pp. 211-212 (note). rece\'oir ntilité ù" 115 m,'mc carrière, par l'allrait de la lutle, pal' le désir d'(~tre remarqué, ù'obtenir l'approbation etl'esLime, par la joie du slIecès; - l'intelligence, par la conscienct~ plus claire qu 'clle nous donne ùe nous-mèmes, aiusi que pal' la vision neUe du but it atteindre; la volonté, par la nécessité de surpasser ceux qui y tendent comme nous, et aussi par la cOllviction que fournit du pouvoil' ùe cette facuIté la vue des succès d'::utrui. De la sortefait-elle, suivant l'expression de VcItaire, meUre à l'esprit « toutes voiles dchors », et s'exaILer l'umour-pI'OPI'e daus ce qu'il a de meilleur et de plus fécond. =1 est vl'ai que, pour arriver il ce résultat, pOlll' err:p(\chel' l'émulation de dégénél'er, on ne doit pas exciter l'amour-proprc de toutes manières; mais .Y avail' recours avec sagacité, avec mesure, et s'appliquer à le diriger. C'est des moyens qui peuvent èl1'e employés dans ce but, des précautions à prendre et des ressources à utiliser, que nous allùns trailer maintenant. CHAPITRE PÉDAGOGIE V DE L'ÉMULATION Des préeaution,:; i. pl'endr'e dans l'emploi de l'émulation, -Pr:ncipaux procédés pour l'exciter ou l'entretenir; ]. Reeoursau:cdeompcnse$: -leur légitimité; - dangers il óvitcr : - des diverses sorles de récompenses: l'approbation et l'éloge; - les bons points; - les nol('s; - le tableau d'houueul' ; - les prix; in1uenee de ces demie!'>; ; exemples; - 2' Utilité des rO/l1f!o<ition$" - des coneours;le ConcoUl';; général: inconvénients de sa suppression: son rétablissemcnt projeté; - opinions diverses; - des e:wmens: -leur nécessité: - le lltlccalallréat : comment on a pl'élendu le remplacer; - sa valeur: - 3' I'émullltion av/'e les !/raflds hOlllllles : son importance; - 4' 1'¡llTlu/lltior. auee les !céros du jou,. .. - utilité d'un Journal des écoles; ,~" Cauto-émula/ion, - Conclusion, On a cit de l'émulation qu'elle entre parmi Ic~ >,timlllants de l'éducation, Gommr. ccl'lains poisons dans plusieurs remèdes, C'est, en l'econnai:-sant la puissance d'tll1 lei mobile, affil'mel' la n?cessi té ùe lIC s'cn sCl'vil' qu'avec pr:.Idence cI ùisccl'l1cmcnl. Rien n'est plus juste, Si nous nous sommes allaehé il déterminel' la vraie natul'e de l'émulation, à la dis- 118 linguer eXI)I'essément des défautR ou des vices avec lesquels elle a parfois été confondue, à cf¡ établir aussi la valeur, il n'cst pas douteux néanmoins qu'emploYl~e à tort et à traven~ elle pourrait devenil' nuisible et mériler les reproches que cel'tains lui adressent. II ya donc lieu de tenir compte des circonstances et du naturel des enfants, d de la discipliner, c'est-il-dire qu'il faut. suivant les cas, la réprimer, la modérel', ou bicnl'exciter. Une précaution s'impose tout d'abord: sc g:lI'der de recourir à l'émulation dans l'éducation uomestique. Là, au lieu des avantages qu'on en attend, elle ne peut avoir que de funestes cffets. « Cnc précicuse émulation, fait obscrver l'lIme Campan, rÙgnc dans les écoles ct n~ peut être iqtroduite dans l'éducation privée sans risquCl' d'y changel' de natul'e. Eu classe, elle est toujours accompagnée d'un sentiment génél'eux; dans la famille, elle ne produit que des rivalités, de la jalousie, et quelquefois des haincs ... Les louanges, lcs reproches et les gromleries d'une mère qui élève plusieurs enfants, excitent dans les moins éclairés une secrète inquiétude Stlr celle tendmsse maternelle d'où dépend leul' aveuÍr, Les enfants voient ral'ementla cause de leurs fautes et cherchenttoujours celle de leurs disgl'ùces dans d'injustes prévcntions. Parmi un grand nombre de jannes filles que réunit déjà le degré de leUI' instruction, il s'en trouve plusieurs du même <1ge. Dégagées de toute fâcheuse rivalité, elles se mc- LA PÉDAGOGIE DE J.'Ém;LATIOX 119 surcnt, et sont uniquement occupées du désiI' cIc par\,(~llir les premières au but indiqué, Dans line famille, les âges diffèrcnt, les moyens inégaux ne donnent point aux enfants les mêmes motifs d'{'mulalion, ne fou1'llissent pas aux parents des points de comparaison aussi exacls l. ) 1\lme 1\'eckel' de Saussure écrit de mi:me: « Il y a quelque chose de si odieux. dans la rivalité entre frllres, que des enfants élerés dans la maison pate1'l1elle doivent en être présenrs avec plus de soins encore. La difficulté alors sera sans doute d'exciter le zèle; mnis plus l'éducation momIe se perfeCtionnera, pIllS elle s'unira intimement à J'éducation intellectuelle, et plus on verra cette difficulté s'atténuer 2. )) II importe, d'aul1'e part, quand on utilise J'émulation, de s'attacher à la conscrvcr pure et généreusc, Lc moyen? Guizot I'indiquc : c'est d'inspirer cn général aux enfants le désir d'ètrc estim(~s. cónsidé¡'és, loués, en évitant de mcltI'e aux prises leur amour-pl'Oprc. L'émulation d'un à plusieurs, dit-il, est à ce point dc vue relativement saine; J'émulntion d'un à un est toujours dangereuse, « Lorsqu'uue rivalité s'établit enll'e deux enfants, on a à traitel' avec deux amours-pro'pres, un amour-propre mécontent et un amour-prop¡'e satisfait: de l'amourprcpre satisfait peuvent uaître l'orgueil, l'al'l'ogallce, 1. De I'Etlucatloll, liv. V, ch. :1. Dc 1'}O;ducalioll progressive, II. liv. IV, ch. nil. L " E!\It:L.\TIO;\! 120 la dureté, toutes Jes passions hautaines; l'amourpropre mécontent conduit au découragement, à l'indifférence, à la jalousie, à l'aigreur, aux passions basses et faibles!, » Gardons-nous, en un mot, d'enorgueillir et d'humilier ou d'irriter. - Un éducateUl' de Port-Royal fait semblable recommandation: « En tâchant de donner aux enfants de l'émulation, il faut bien prendre garde d~ ne pas faire nallre de J'envie pOUl' les bOlllH's qualités qu'ils remarquent dans leurs compag-nons et qui lcul' manquent 2, » \fme Guizot ,·ouclrait qu'abstraction faite des individus, i.l n'y ail d'émulalion qu'à propo~ de qualités ou de VCI'lus à acquérir : « Beaucoup de gens, remarque I-elle, se sont élevés conlre J'usage de l'émulalion; ils y ont vu précisément le danger d'accoulumer les enfants ti. s'enorgueillir d'une comparaison désavantageuse illcurs cl1rnl1rades, et à chercher leuI' plaisir el leuI' sa,·oil' dans l'abaissement des autres, Ce danger sera réel el grand toules les fois.q ue vous PI'oposerez à J'enfanl, pour objd d'émulation, non un(' verlu, une qualité, un talent, mais une pel'sonne ',» Et :\lme Campan est du mème avis: « Dans la maison paternelle, a-l-elle écrit, il n'esl poinl de jeunes filles qui n'éP'l'ouvent ces premiers sentiments de jalousie doni leuI' sexe est susL (:ons('il...; ~. ,rf/Il /'1'/'1' U/'r/tl'''' COrS1'EL, Sill' dj' Ct:¡(unlli'JIt. rédllcalir¡ll 111. dt':~ ell/unis, ~ 6. 3, LeU"es SII/' l'ódllcalioll, lettre XI\'. liv. Ill, ch. lY, L.\ PEDA.GOGIE DE L'É~[¡;LATIO~ 121 ceptible. Lorsqu'on leur cite une jeune p(~rsonn~ trè~ instruite ettl'¡\S aimablc, si cc modi'le de perfection dont elles sont sans cesse imporlunées oŒre le moindre sujet de cl'itiquc, il cst saisi avec emprcss(~ment, ella plus fÙchcu~e disposition de l'âme Pl'enella place d'un sentiment noble et généreux l. Il ~'lais si l'émulation n'a besoin d'onlinail'e qlle ¡j'èlre ainsi contenue ou dirigéc, il est des cas plus I'ur~s oÙ elle doit, an contraire, ètrc excitée: savoir, lorsqu'un enfant, au licu de pécher pal' CXel'S d'amour-propre, manquerait de confiance en lui-mème, scraittrop disposé, pal' humilité all par timidité, il s'c'Tacel' dcvant d'autres qui ne le valent pns, Alol's il est. ul'genl, loin de compl'imer l'amour-propre, de le stilIlulcr. « Tàchez, prescrit Fénelon, de découvrir au travers des gl'Ùccs dc l'enfance, si Ic naturel qu ~ \'ous a vez Ù gouverner manque de curiosité, cI s'il est peu sCllsiblc il une honnête émulation ... Il fad rcmucr pl'omplemcntlons les ressorts de I'Ùllle de I'cnfanl pour le tirer de cet assoupissement ... Puisqu':! Lombe dans !,px[¡'émilé contraire b. la pl'l:somplion, ne cl'aignez point de lui montt'cr ayec discrétion de <¡uoi il csL capahle ; contentez-vons de pcu; faites-lui rcmul'qucl' ses noindres succès; repl'éselltez-Iui combien mal à propos il a craint de ne pOllvoir réussir dans des cho~es qu'il fait bien; meLtez en Œuvre l'émulation2• » I. /Je Udf/rll/ion, Ii\'. y, eh. 2. Hiluw/ion des jUl,'s, eh. \. II. 1~2 L " DJULA TION Les procédés par lesquels les éducateurs onl tenlé d'ell'ecluer celle mise en œuvre ne laissen! pas d'ètre nombreux. \ous allons passer en revue lés pl'incipaux el les plus répandus, en examinantla, valeur de chacun d'eux. Pn premier moyen d'émulation, et le plus génémlement employé, e!'\t le l'ecours aux récompensps. Mais, aussi Lien que celle du principe msme de J'émulation, la question de l'utilité et des inconvénients qu'elles présentent pal'tage les esprits. Cel'tains qui veulent, nous connaissons d6jà la thi'se, que le devoir soit pmtiqué pOUl"11Ii-ml~me, sans allh'e considémtion, les voient d'un mauvais œil, quand ils ne les condamnent pas absolumenL. Donner une récompense à l'enfant qui a bien agi, dispnt-ils, ou lui en faire espérer une pour le d(qpl'miner ùjbicl1 agir, n'est-ce pas rhabituer à n'ohéir qu'à l'intél'l't, à ne s'inspirer que de l'égoïsme; sans compler que les récompenses rendent J'enfanl présomplueux. et font nailre desjalousies el des haines. II n'en faut plus: l'enfant ne doit êlre porté au bien que par l'amour du bien lui-mÔme. - Admil'able doctrine, leur I'l;plique-l-on; il ne lui manque que o'(\ll'e applicable. Vous raisonnez Sill' les enfants comme s'ils étaient plcins de sagesse, et vous leur supposez des vertus qu'ils n'onl pas et qu'on aurait !'\ouvenl pp,ine à rencontrer même chez les hommes les meilleurs. Cal', en somme, le devoir pur, pour ces moralistes infiniment respectables, mais, semble- L\ PÉDAGOGIE DE L'ÓIULATIO:,\ 1'23 t-il, trop austères, même s'ils sc mOlltrentloujours détachés dc'S biens et des honneurs ue ce monde, consisterait essentiellement dans le renoncement, l'ahnégat!on, I{' sacrificc. Alors, « égoïste, s'écrie il'Oniquemenl M. F. Thomns, - et, probablcmcnt, LIÙmable aux yeux de ces mOl'nlistes, - estl'enfant qui lravaille non pas par respect du devoir, mais pour méritel' l'affection des siens, pour réussir dans ses étudcs et en recevoit' la ¡'écompense; - égoïstc Pl sa:¡s mérite est l'ouvrier, quelle <¡ue soit. sa P¡'Ofcssion, dont. I'ardcur est soutenue par la promcssc d'un salain~ et l'espoir d'un avancement ou d'une distinction con voilée; - égoïste est le savant qui sc réjouit d'avance des découvertes <¡u'il presscnt ct Je la gloire qui, peut-être, s'attachcra à sonnom; égoïste, enfin, el platement égoïste, l'homme qui sc dévoue à sa famille, à son pays, à l'humanité, avec l'arrièrc-pensée que son sacrifiee lui sera compté un . Jour .... » Ce n'est pas, quelque exagéré qu'il soit, qu'un tel enseignement ne puisse produirc des résultats heureux. « Toute parole, loute doctrine propre à éveiller cn nous des scntiments génércux et à modérer nos tendances égoïstes, cn fait, est salutaire. Il est bon :.le rappcler aux enfants et, quelqucfois, aux hommes, quc ceux-là seuls sont grands qui sont capa')les, à un moment donné, de se dévouer, c'estÙ-dir~ dc penser moins à eux qu'aux autres, moins à la vic elle-même qu'aux raisons qui la rendcnt digne ) i24 d't~tre vécue; mais, pal' exc.ès de zèle, n'cst-ce £la,S leur donne¡' de la vertu et du úevoir une idée bien ét¡'ange que de les opposer sans cesse à l'intérêt, en idcnt.ifiant la morall~ avec le désintéressement absolu l.» AccorúOllS, en conséquence, qu'il faut amenc¡' peu il peu I'pnfanl à comprendl'e que la ¡'écompense la plus élevée se trouve dans l'approbation intime de la conseience; seulement, ne nous p¡'ivons pas, pour I'entrainel' il faire des efl'orls, du secours pl'écieux. sinon indispensable, que peuvent appoder les récompenses, C'est en travaillant ¡JOIII' les obtcni,', que l'enfant contl'Udera l'habitude el Je goiH du devoir. ]\"incitons pas, si l'on veut, l'enfant il fail'e son devoil' pOUl' en être payé: mais récompensons-Je qlland il fait son devoir, Ce lui sel'a toujours un cncoumgement Ù I'accol)lplir 2, 1. .lfor"l" t'I ,'dl/,·"liOI/, pp. 11:;·117. 2. " VlI\¡;II.E, dans le neuvième livre de ~()n H"<'id,,, repr'ésenti' deux guel'riers troyens, Nisus et Euryale, prèt5 à ~i' dévoucr pour le salut de Lous. Enée est absent, Aléthés le reIllJlla,·!' comme do.ven d'âge (aTlllis ural/is ('/ maIl/l'ils;. " Quelle récompense, lellr dit-il, "ous pai!'ra dignenll'nl de tant d'hél'Oï,;me '? L:I première et la plus helle ;p,¡{c/¡errima primurn' VOllS viendra des dieux et de voIre conscience ([Ji /IIorcsqll" cia/milt 1'I',,/r¡'. Pour le reste. le pieux Enée et le jelll!" A~cagne auronl Ù ,~œur de s'en acquitter envers VOII~ (Tllmrelera reclclenl atllllllm pius /F;{/{·as alql/e integer aai Asrl/llill,'). " - Ainsi, en première ligne, - au-dessus de toul et comme hors de p~ir, - I'iù"e morale, le resped religieux de la conscience, le sentiment du deyoir; en seconde ligne, et comme réconfort utile à des héros (à plus forte raison fi dlls enfants). de;; présenls palpables, el pour tout dire, de!'; récom- LA PÉDAUOGlE DE L'ÉMULATlO;-¡ 1'25 II est, au reste, des précautions à prendre dans la <Iistribution des récompenses. D'abord, il va sans dire que, sous peine de perdre toute efficaL:ité, elles doivent être accordées avec discel'llcmcnl, c'esl-i\-di¡'e être en ¡'apport avec le mérile de chacun; varier d'imporlance suivant la valeur de 'l'acle accompli et s\:ivant les etforts; dill1inu(~r en nombrc avec l'fige croissant des élèves, l'cnfant plus jeune ayant plus besoin d'êt¡'c stimulé, et futililé de son travail apparaissant ùavanlagc à l'éliwe au fur el il mesu:'e qu'il approche des exa mens qui doivenlle sanctionne¡'; n'être en aucun cas nulLipliées oulre mesure. \lai~ ce qui importt~ par-dessus lout, c'est que les réeoa¡ penses soient habilement choisies: « Une règle cerlt:ine sllr ce point, remarque Hollinl, il laquelle on ne fail pas ordinairement assez d'allention, c'est (\u'on ne doit propose¡', saLIs celte idée, ni des parures el un bel habit, ni des friandises et ùe bons mo¡'ceaux, ni d'autres choses de cc genre, La raison en csl claire, C'estr¡u'en leUl' promettant ces choses en fOl'me de récompenses, on les fait passer dans 1 eu'!' esprit pour des choses bonnes en elles-mêmes pell~e;;, tel est le programme ùu ~age Alélhè!;. ~OUi' le cro~'ou8 hon, ni chimérique, ni yulgail'll, ¡¡pproprié à la f¡¡iblc nalurc humaine, pm' conséquent pratique, pal' l:onHélJuent digne d'être PI'oposé 3UX Jl13ill'es de l'enf3nce. " (!I. !)l:n"n, in Diet, .I,' pér/ayugie, art. ¡¡écol/lpenses.) 1. Truité·des études, livre VIII. - Cf. LOCl',E, l'e/l~Üs su,. Ur/,,,'utio" d,·s e/lfants, 2· partie, ch. III, ~ I. 126 ,. L E~IULATIO~ et désil'ables, et ainsi on leur inspire de l'estime pour ce qu'ils <.loivent mépriser. J'en <.lirais autant de l'argent, dont le désir est d'autant plus dangereux qu'il est plus généml, et qu'il ne fait que crOÎtI'e avec l'âge. » Évitons Jonc que les récompenses aient un caractère t\'Op matériel, et recourons à celles qui, d'un ordrc plus relevé, meUent en jeu dl~s sentiments plus délicats, comme est, par exemple, le sentiment de l'honneur. De ce nombre sont les sentiments ù'estime et d'affection, l'approbation et l'éloge. « Les enfants sont fort sensibles à la louange, et peut-être plus tùt que nous ne croyons. Ils trouvent du plaisir à ('tre loués et estimés, surtout par leurs parents el par ceu x dont ils ùépendent. Si donc un père caresse ses enfanls et leur donne des louanges lorsqu'ils fonl bien, et qu'il les l'egarde froidcment el avec mépl'is 1000squ'ils font mal; el si Icul"mèr'c et toutes les pel'sonnes qui sont aulonr d'eux les l1'uitent de la même manière, ils deviendront en peu de temps sensibles à ee diffél'ent traitement.; et, si l'on sc faÎt une loi <.l'en user toujours <.lemême avec eux, je suis assuré que cela seul fera plus ù'imprcssion sur leur esprit que des menaces ou des chàtiments l. " 1. LUCKE, ibid. - « On obtiendra plus de bons résultats, lit-Oil dans le Ratin studio,.~rll 011 le Règlement des étude" chez les Jésuites, par l'espoil' de I'honneul' et des récompenses et pal' la crainte du déshonneur, que par les coups. » 1..\ PEDAGOGIE DE I.'ÉMULATION 127 L'appl'obation cI l't:log-e dcmandcnt, au sUl'plu;;, h èL'c maniÓs arce tact et mesurf~, d'auol'd afin ùe nc pas éveillcl' chez un enfanl l'orgueil ou la vanilé : La IOlJt1ng-e,dit Fénclon, doil. J'animel', sans l'excilcl' I»; puis, comme le conslale Bain, « cCl'tains genres ùe mél'ilc sont asscz palpaules pOlir êlrc (t - cr., d<lIlS :llmc de ~Iailltellon, en{rc/ié"s el proverbes saliù.I sur {'émlllatiun sar t'édllcation, ¡·:.rlraj/s de .<cs {cllrcs, al·j<, par O, (jtu:.\lt(), In (;ont',"'· (pp. 200-203): " Fall~lille. - J'ai Vll d.,s enr¡l'lts (IU'Ollpou;;snit il tout ce qu'on voulait pal' la moindrc louangc, ou cn Icur ma'r(IUunt ([lI'on ét.ait content d'eux. ~Ia\'(:dle. - ;\Iais c'côll'Ol'gucil 'lui fait aimcr Ic:; louang-e~. - Faustine. - L 'orgucil veut (te;; louanges sans les méritcr, et I1lOnnl'Ur ycut méritel' dc;; IOLlange~, - Sophie. - On ne peut ricn fai¡'c de hon de ceux 'lui ne ,;c soucicnt poinl de contente¡' lc:> pcrsonncs '1ni le,; (:onduiscnt, et ccllc indilTércncc c;;t de mauyais :lLIgllre pour l'avenÍl· ... Jc pcrsi:;tc il croi¡'c 'lue la jcunes:;c u" peuL èlre trop :;cnsible aux louange,; des honl\(\tcs gcns, à l'honneur de la répul:llion : et qu'il n'y a 'lue les courages élevés qui "uienl capahle:; J., tout fai¡'c pOlir y parvenir, - I¡'ènc, - Avez-\'ouS des exemples <.leCI) I{UC YOII;; dites? - Sophie. - On cn voil PUUI' peu que 1'011 ycuillc éludier le natu¡'el dca jeuue,; gen;;; j'cn ai n)unu qui aUl'aient soulTert le martyrc pOlir con·· tentcr les pCI'sonne;; avec qui ils vivaient; j'en ai vu, el en t1·op gl'anù nombrc, qu'un ne menail 'lue par la crainte, ~Ial'l:cllc. - Et vous cl'oyez que ceux-là sont Illoin" bons .! - Sophie. - Ils ont le cœur bas, el comment aUI'aient-ils le courage de se eontraiudl'e pal'la réputation quand ils seronl d¡ll1~ lc monde'! lJ,; n'ont pa;; cclui de faire leur po:;~ihl(' pOUl' plnire il ccux dont (lépcnd leuI' bonheul' per:;onnel. :'ole mc parlez point,des gen;; incapables d'émulation; il n'y a rien de bon à en espérer. » 1. « Quoiqu'il soit fOl't bon d'augmenter ¡'ardcur '1uc les enfant>; unt pour l'étude par les justes louanges qu'on ICIll' donne, if le faut n"~anmoins faire sobrement, de peul' dc lcur Jonner de la vanité et de le;; remplir d'une sec¡'è!e el dangercuse opinion tic lcur prétendue suffisance.» (CULSTI':L) lI~y¡"s ,II' {'¿JUCU/iOII de" CIIJall/s, liy, Ill. ch. n, ~ IL) 128 ,. L E~IULA TIO::'i représentés par des chill'!'es. Dirc qu'une chose cst bien o,u mal, en tout ou en pal,tic, esl un jugcmenl {~galement clair; c'est donc une approbation suffisanle que dc déclarer qu'une l'éponse est bonne, qu'un passage a été bicn expliqué. Ce sonl là des éloges que l'envic ne peut aUaquc!'. Bien exprimer IInc louange esl unc afl'aire délicatc; il faul beaucoup de tact pOlir la .'cndre à la fois exacte cl juste. Ellc doiL loujoul's s'appu)'e¡' sur des faits appréciables. :\Iais un mérÎle supérieur n'a pas toujours besoin d'éloges bl'uyants: l'apPl'obation exp.'esse doit être motivéc par des faits qui ilnposenL l'admiration, mème aux plus jaloux, Le véritablc l'égulateur est la présence de toute la classe réunie; le malLre ne parlc pas en son P¡'OPI'C nom, il ne faiL quc diriger le jugement d'une mullitude avec laquelle il ne doit jamais se trouvel' en désaccord; son opinion parliculière doit toujOlll'S Nre exprimée en particulier, Le prinoipe du jury d'élèves proposé par Bentham, (luoiqu'il ne soil pas formellement reconnu dans les méthodes J'éducation model'11es, est toujours appliqué tacitemcnt. L'opinion d'une classe, lorsqu'clic a toute sa valeur, est l'accol'J du jugement de la tèle avec celui des membrcs, du maitrc et des élèves l.» Les autres récompenses par lesquelles on stimule les élèves ne ,;ont en réalité que lcs signes extérieurs l, 1.11Scie",'c de l'édflcation, p, 83, LA PÉDAGOGIE ilE 11." J.'É)lUL:\TIO;'; h) d 'U 11examcn, et. ne pou vantl'(;ussil' dans cct cxamcn qu'a la condition de s'être appliqué à sa bcsogne jOllJ'l1ulièl'e, il mclll'ait plus dc zide il l'aceomplir. Au lieu ùe cela, quc voyons-nous? Qu'il s'applique OU!lC s'applique pas, l'élève sait également qu'oll lui pcrmellm de suivrc jusqu'au bout ]a filière 5COlair~; chaquc nouv('au mois d'oelobrc, lc fail avanccr ù'unl' dasse, comme ille fait vieillir d'un an. " Et il ne pcut pas en l'tre autrement. Demandl'z done it un cltef d'établissement « de décourager UIICfamiLc, de lui imposer dc retircr un enfant, de refuser it UI1élève incapablc l'admission dansla classe supéricure, dc s'CXPOSCI' enfin à vail' la liste dc ses internes en déficit, à la rentr(~e, d'une quinz¡¡ine de noms', " et cc]a, uniquement au profit d'un établissement rival qui se montl'erail, lui, moins exigea nt. Quant il la seconde thèsc, qui préconisc l'établissement d'un cxamen spécial àl'cntl'ée ùc chaquc cal'rière, clIc II'est pas plus défendable. Ou cet cxamen, en ctrel, sera analogue au baccalauréat, ou il constitucra une surcharge des examens d'entrée déjà existants. 01', « ces éprcuvcs nouvelles, si elles ont un :::araclère spécial, découragcront, parmi les élèvcs dc nos établissements secondaires, tout eITort VCI'S ]a CUllUI'Cg-énéralc; de plus, elles s('!'onl un emmagasinage l~norrnc j les spécialistes trouvcront qu'oll 1. Ch. BIGOT, QCEYlUT. - Olll'. cité, pp. 212.213, 207. L'(:ll1u)alioll. 10 f4ü nc sait jamais asscz de ce qui concerne leuI' Ol(~licI,I. Si Ics éprcuves, au contraire, ont un caracU'l'e général, clles ne pourront être qu 'U1W résurrection du baccalauréat, subi pal' les candidals dans Je,; condilions bien pires que celIes J'aujourd'hui~. » Concluons donc avcc (juyau : « II faut simplement combiner le baccalauréat avec des examens de passage )l, cn tâchant, cela va san;; dirc de rendre ces derniers le plus séricux possible; mais conservons-le, malgré toul, car il est, au moins dans les classe,; SUpél'icul'es, un de nos plus puissanls moycns d'excitalion au t!'avail. UlW nouvelle forme d'émulalion, à laquclie on Ile saurait repl'OChel', comme au sentiment qui 1I0llS porte il disputer à des conCUlTents les distinctions el Ips placl~";, d'êtrc une SOUl'ce de jalousie, de haine ou d'ol'g"ueil, c'c,;tl'émulation a\'ec les grands hommes. « L'hisloire univet'selle, dit admirablement Cadyle, l'histoire de ce quc l'homme a accompli dans le monde, e'cs!. ail fond l'histoire des gmnds hommes (lui onl lravaillé iei-bas. Ils ont été les conducle\ll's 1. "Celle solulion, remar<luait aussi Guyau, Ile ferait <Iu'ac<~élérer la ruine des études classiques. Les é,'olicl'" nI' s'inlér'esseraienl plus qu'aux connaissances parliculii~r'es 'lui sonl exigées à l'entrée des diverses ('arril~res, L'unité des études secondaires serait rompue, le collège sertlit lran~fórmé en un groupement confus d'écoles p"'~p:ll'atoires, donlle savoir primaire formerait le seullien. » (EducaU"" ,,' ll,:rédité, pp. 1!l4-185,; 2. A, FOUII.LÉE, Olll!. cité, p. ISi,. ut's hOllllllCf;, Ct'S granJs hommes; I(~s modeleurs, les ;¡ulrons, et, ('n lIU large sens, le.:; créaleUl'S dt' tOlll cc que la masse générale des hommes a pli s'~frorc~r Je faire all d'atteindre; toutes les choses que naIlS voyons accomplies dans le monoe son!. proprement le résultat matériel extérieur', la réalisalion pratique el l'incal'l1ation des p~nsées (jui habitère/ll dan" les grands hommes envoyés dans le monde; l'¡)rn:~ J(~l'hisloire du monde l~nlier, on pellt justementl'adrneLlre, cc serail lelJ/' histoire l. » D'oÙ vienl ceUe puissance des grands hommes? De cc qu'ils sonl, suivant j'expression d'Emerson, « représentatif, des c.hoses (l'a{J(m), et I.'JWÚtl' de.o; idées n. - Ils so'nl r'cpr'ésenlatifs des choses, car c'est pal' eux quc la nature nou::; est I'Ó\'\~lée,que ses lois sonl découvertes el ses forces mises ilnotre service: - r'epréscntalifs d'idées, purce que les pensp.es, lcs aspimtions qui, en chacun de nous, restenl impl'écises el incxprimées 11'111' doivenl Je dcvenir' conscientes et de se formulel'; l'idéal, par nous confusémenl entrevu, brille, gr;1ce à eux, lelle qu'une doilc guidant l'humanité dhns sa mal'che. Aussi eonscl'venl-ils SlIl' 1I011S une inésislible illnuenct', eoulne cela est manifeste el dê.ns la vie publique el dans la vie p,'ivée. « Efl'eelivl'l1lent all idéalement, nOli;' 1I0US aiTangeons pOlll' vine avec tics supé,'icurs, :\ous appelons de lcur~ noms, nos enfants I. l.•.. , /fé/'o." p. ;1(tl·ad. Il.oulct~. H8 el nos lerres, les rues de nos cités el nos maIsons d'éducation; - leurs noms sont transfol'més en verbes du-langage, leurs œuvres el leUI's effigies sont dans nos maisons, el chaque circonstance de la jOIlI'llée rappelle une anecdote il leur sujet. La recherche du grand ilOmme e,.;t le rè\'e de la jeunesse, el la plus sérieuse occupation de la virililé, - Lll. race, pour nous, marche par leur crédit. Le fait de savoir qu'il y a dans IlOS y¡lles un homme qui a invcnté les chemins de fer, élilve le cœur de tous les citoyens. - :\'otre religion e~t d'aimel'et chérir ces patrons l, » Nul doule «ue celte tendancc q~li nous porte il admirel' les grands hommes lle soil ail pillS haut poin t salutaire. Leur vie oO'l'e un idéal, un modèle qui nous aUire et dont nOlls cherchons, sciemment ou nOll, à nous rapprocher 2, « Le choix que nous 1. E\ll<l\su~, h',·¡".••.<enluli,·,· men, It'aduit par ¡zoulet sous ce titrc : Les SU/'hulIlain.<, qu'il faut cntendre au seils de : l.es grands 2, /)'[>I'S d,· /ïllllllnnilé. L'émulation est sans cesse échauffée Par le nom d'un héros et 1:'8Ilpecl d'un trophrc. ( I.",;O\:"É,) Combien de tahleaux des hommes le,; plu:" couragl'llX, déclal'l¡it Cicéron, le" écrivains ~I'ec,;: el romains nous ont lai"sé~ pOUl'èlre ¡'ohjet de noIre imitation: .Je lcs avais t.oujour,; devant Ic;; ycux dan,; ¡'admini"tration de I'ttat, et la sculc pens",c ,le 1o:~1I1' vcrlu fortifiait mOil e,pur, " (l'laid'l,ver pOlir Ardtia.<, \'1.) - '¡ichcl de lïlópital nOllS dit aus,;i que toulc sa "it' il chercha 3 imiter lcs ¡:p'and,; homllles de Plutarque. - " Quand on a, I'cmarquc Aristot.e, de" aneé« L,\ P~:DAGOGIE ilE L'I~~IUL.\T101\ '1'.9 ayons l'ai t ti 'une canit'·1'l', le bien {Iont la soc¡¡;té nous les petites vicLoires flue nails avons reI1lpo1'lél's slIl'la paresseou surlevice,cequicollslitue, en lin mol, le meilleur de nous-mè01es, vienl sOllvcnl de J'exemple qui nou,; a été proposé l. Combien d'exploralell1's doivenlleul' vocation n la leclure des voyages accomplis, avanl eux, par de \'t'ritall!es héros ~ La gloire de \'apol60n a fait ~ermer des légions Je bmvcs, comme celle de Corneille d('s· légions de poètes" « C'est (lue nOllS avons l'émula« lion de fail'e lout ce qu'un homme peul fail'e; c'est « qU'll\"{~Cles grands, nos p('nsées el nos manières « spontanément deviennenl grande!';. )) - Par cela même qll'il provoque notre enthousiasme ('\ place haul nos :~(èurs Pl nos volontés, le culte des grands hommes nous prémunit conlt'e la défaillance el nous donne le courage de' marC'lCI' SUl' leurs traces." C'estlÙ cc <¡u'onl bien compris tous les fondateurs de religions qui, pour exciler el soutenir l'ardcur el le zèle de leurs fidèles, onl pel'sonnifié dans les sn;nts les verlus donlla pI'atique lcur paraissait le es!. l'eJenlble, trl'S, tics parcnts, tics connaissauccs ,illllstre>" lin IH1Y~, unr citÚ tlout. on Cf't. fier, ou resscnt '¡ lcur é~artl lIllC ~Illlllalion pa~siounéc; car CC sont là autant dc choscs '1llC UOIIS faison~ lIùlrcs, et dont nOlls voulous rcstel' digncs. " (II/¡¿/ur¡f/uc,liv. Il, (~h. ,1.) 1. ,\ un point dc vue tout parLÎculic¡·, AI.PII, DAlUE'!' (8"1/ue¡;¡rs d'ull fUJI/<lllc <le lcUres, p, 1:1) fail cellc ,~onstalatiou : « Hcneoulrcr de;; hUlllmes cé¡'~bl'es, échangcl' avee eux Pill' ha~ard t¡uclqucs IllOt", ¡lu'cn t'aut. pas plus pour cnn;¡llllllt~I' l'amhiliou. " Et moi aussi j'al'l'ivcrai ! " sc dil-on avec COIIf1anc,-', )) 150 plus ulile; r'est là ee (pÙl\'ait bien compris August" Comte, 10l'squ'il demandait que l'on dressc1lle calendl'icr des bienfaiteurs de l'humanité, afin que, chaque jour, ln vie de l'un d'{tux fût proposée Ù nos m(~ditntions l. C'{~st 1:'1ce qu'avait bien compris encorfO un de nos plus magnifiques g-Ónics, Pa-,;teur, qui, estinwnl que l'amoul' dl's gt'andes choses et le culLe des grands hom mes doi vent èlt'e sans cesse -l'aliment du cOlII'age indi\'idnel et de la volonté sociale, qui. croyant forlement II l'effieacitÓ souveraine de l'exemple, r\~slJmait un jour, aprl's n\'oir lu ia biographie de .Jenne)', son impression par ees mots qll'rm a 1'f'!l'Ouvés sur une page écrite de sa main: ,( /),~ la vic des gt'ands hommes qui onl mal'({ué leur passage d'un tl'ait de lumièt'e durabl", recueillons pieusement, pour l'enseig-IH~lI1ent de la posl\;ril{~, jusqu'aux moindres pamles, aux moindl'cs aeLe!! pl'Opres il faire connaîll'l~ les aiguillolls de leur gn\l1de Ùme. II Cn livre anglais, SeU-l/dp, lui m'ni!, rappelait-il, proeul'é pnl' l'allure simple et vaillallte du récit un utilll l'éconfort. C'était une sÓrie de biographies « représentatives de ee que p(,uvent l'intelligence, le courage, ledévoucmcnt ll. L'auteur s'y d(;clal'aiL « heureux tl'exposer une ùérollv~rte, de d{'CI'il'c IIIl ehef-d'œuvre, de raconLer les gTands services, de ri\sumer les nobles entreprises, d~ montrer, mÔme à travers des actes dont les cons(~)l I. F. TlIU,L\S, I'H,Jllcalion des sI>n/illlen/s, pp. 217-218. L,\ PÉDAGOGIE DE L'É.\IUL.\TIO:'i '151 qllcn(:cs politiques étaicnt dis::utables, lcs prodiges qllÏ1iipire l'éncrgie i », PareI' <¡Ile l'cufant, manquant dc personnalité cI de for(:t~ de l'aractt'~re, ne se suffit pas à lui-mÔmc, el [:ar suite est suggestiblc au prcmier chef, il est encore plus porté q\le l'homme à imitcr, et il sc mOllie volonticrs ;:\11' l'cxemple qui l\li cst donné!, Prr.posolls-Illi doue pùur modèlcs les person\lages illll...;Lresquc et\lèbl'c l'histoirc 3, Pal' d(~s rt'~eils. par , l, Cr. (" Fi" .¡" Pusi<'lIr, par HE":; V.\LÉII,-R\I)()T, - nans le dls(our,; (IU'il prononça à Dôle, en IRs3,IoI's de la po:;e u'ur,e plaq\le commémorative SUI' sa m:1Ï:;on natale, Pasteur éV()([uallt le sOUl'enir de son père, ,;'éniaíl ; " Et toi, 1Il01l chel' pi're, non seulement lu avai;:. les qualité;:. persévérante,; 'lui font le:; vies utiles, mais tu avais uussi l'admiration des ~rand,; hommes et des gn\ndes (:hoscs, Hegarcler en haut, apprendl'c au delil, eherdlcl' il :;'t~levl'r toujours, vuill. re que tu III'US ellsei¡;n':, " 2, Pour cette r:li:;on, dans lu [!l;lIille el ;;urtout il l'é(:ole, il faut :;c préoccuper des cumarades (lue le,; ellfant:; se cho,sissenl. ;1, 1.(' prograllune d'enseignement des écoles primairl':;, présent.: l,al' Lalwnal el dcvcnu la loi clu :n brumairc an Ill. portait: ", .. On fel'a apprendrc le rCLUeil des actions héroïrflles ct les (:hants de triomphc, " - Faut-il rap'Jcler quc Caton le Ccnscul' s'était. alladlé particulii'I'cmcnt, j.'l.IUI'l'éducation clc ~on fils, it cOlllpo~er des mOl'ceaux d'hisloire propres Ù lui fail'C connaitre les hOIlIlIlC;,;illuslrcs de son pays, et it lui foumir des moùèles de I'robit" et de vertu?" Sans doutc, dil ~\¡"\ET (l'ir! ri,' Fmll/din), il ne st'ra )las facile, il ecux qui connailront lc mieux Fl'anldin, de l'égaler, Le g(,nie nc s'inlite pas; il faut avoir reçu de la nature les plus beaux clons (I,C¡'esprit et les plus l'orles C¡lJalítés du cal'actèrc pOUl' diriger ses f;emhlables, cl inllucr aussi considérablcment sur les destinées de SOli pays, 'lais, si FI'¡¡nklín a été un hommc cie génie, il a été aussi \1n llomlllc de bon sens; s'il a élé un homme I:!ANCC) r jF- I 11 Ur-n, , •....••~_ ,, J. E:\IULA.TION des tableaux familiarisons-les .avec les actes et le~ vel'llls des hommes qui ont le plus approché Je la perfection l, « Pour la g-randelJI' de la vie, Jil un éducateur anglais, ricn n'esl important comme IlIW imagination remplie d'h(:\'Oïql~es ,;otlvenil's. II n'ya pas de pillS sÙrp méthl)de pOlir de"t~nil' bon. peutèt"e allssi pOll!' devenir gmnd, CI"C de ViVI'cde honne hellre d:ms 1(' commcl'ce des hommes grands et bons, Il n'y il pas de sermons qui ,'aille l'exemple d'un gt'and homme. TOlll'llez-von,;, jellncs imngilla.lions, VCI'Sccs nobles galcl'ies des grands homilies, vcrs ce \Valhalla des drnes hél'Oïqlles de tous les temps et de lous les lieux, Vous vous senti,'('z excilés ail bien el vous l'Oug'il't'z de eommelll'e une bassesse salis les ¡'egards de cette armée de grands l(\rnoins 2. " Allssi bicn celte fOl'me de l'émulation a-l-elle été I'cconnuc excPllenle et légilime pal' les adversaires les plus achal'n<'~s de ce sentimenl. Ault'emenl, VCl'tuCUX, il a été aussi un homme honnèle; s'il a èlt~ uo homme (j'f:tal glorietlX, il a été Ilus<;i un ciloyen dévoll(o. Honorolls les hummes supérieurs el proposons-Ics cn imitatiou ; cal' c'cst en lll't'~l'arer de semhlahles, el jamais le monde n'en a (~U 1111!J(,soin plus grand, " I. " line faul, dit Fénelon pal' la bOliche de \It'ntor, t'1llployel' les st',ulpteurs et les peintres, «(ue pour conserve.' la mémoire des gl'llnds hommes et des ~randes aclions. C'est tlHtli.; les hàtiments publics, ou dans les lOlllbeaux. (IU'OIl doil eonse!'\'cr des représenlalions de tOllt cc 'lui a été fait av'~,~ une vel'Lu e,xlraordinail'e pOUl' le service de la palrie, " Jél"IIIIl'Jll<', liv. X,) 2. BI..\Ch.lE. ['Hill/culi'Hl cie slJi-lIlf;m(', p. ~JI. LA I'ÉDAGOGŒ DE l:ÉMlóLATlO:'I 15:1 poul'quoi HOllsseau aurail-il fail des Vies de Plll/ro'lflll' le livrc d'insll'uetion de son élève? El po\ll'quoi 13ernarùin de Sainl-Pierre voulail-il que les salles de c1a~se;¡ fussent ornées des stalues des hommes illustres de l'anliquité et de l.1 pall'ie ~ La puissance de l'cxemple qui nous pOl'le fi nous efTorcel' de marcher SUI' les tl'aces d'un personnage glol'ieux, l'stelle au [rc chose en l'll'el (lue de l'émula! ion? ne de\'ienlclIc même pas, chez certaines âmes plus ambitieLses, Lill désir d'égalel', sinon de sUl'passe¡' ces grands hommes'/ i\!'est-ce pas Ull lei senliment qu'é¡)J'olèvait Thémistocle et qu'il exprimail av('c tant d'énel'gie'? On sail que, « clans sa jeunesse, enbnJanl paclout vanter les exploits de :\lilLiaJe, il rcs.ail souvenl pensif el rèvellr, passait les nuils sans sommeil et ne fréquentait plus les festins Pllbiies. Lorsque ses amis, surp1'Ïs de cc changement cie vie, lui en ùemahdaientlá raison, illeUl' répondail qlie les ll'ophées de :\Iilliaùe l'empèd13ienl de dormil'.)) C'esl bien celle ,;mulation que 1'(~SSènlail aussi Céstll'. « Pentlun, son séjour en Espagnc, eommc il lisait, UIl joUI' de loisil', l'histoi¡'c d'Alcxandre, il se mit il penscI' cl il versel' d{·s lar n e,:; ; scs amis étonnés lui en demandrnl la cm.se : N'esl-cc pas pOUl' moi, leur dit-il, \ln ju>,le suj3l de doulcur, c¡u'Alexand"cJ, ti l'âge oÙ jC •.,';¡lis. eûl déjà conquis tanl de l'0Y~lUmes, el que jc ¡Ú1ÎC 1. Alexandre s'étaitlui-mème proposé Achille pour modi-Ie. 1M encOl'C rien fail de mémomble l. )) l\Iême senliment chez Charles XII, quand, à son Laur, il fut séduiL par J'exemple du roi de :\lacédoine : « Dès qu'il cul (juelque connaissance ue la langueJatin~, r¿lconLe Vollaire, on lui tH tmduil'e Quint.e-Curce; il prit pour ce livre un g-oùt quP le sujet lui inspirait beaucoup plus encore que le style. Cellli qui lui expliquail cetauteul'lui ayanL uemandé ce qu'il pensail d'Alexandre: « .Je pense, dit le prince, que je VOll« dl'ais lui I'cssembler. - I( Mais, lui dit-on, il n'a « vécu que trenLe-deux ans. - Ah! repl'it-il, n'esL« ce pas assez quand on a conquis des royaumes2 il» On objeeLera, il esL vrai, '1u'en vOI,I1anl rindiser avec Alexand,'(', le J'oi de Sui~de futun fou qui fiL le malheur ue ses sujets. A quoi nous répondrons que mème l'émlllaLion avecceux qu'on appelle Ips gl'ands hommes ti besoin d'ètre dirigée; all plulM ¡Ille faul paf; confondl'e les avenlul'iers etles granues ¡lmes des meilleurs sièeles, ce\les qui onl utilemenL sl'rvi la v<"rité eL la jusLice, auxquelles l'humaniLé esL rede,'able de ses progr(·~s. Elles seules méril.cnL Ilolre admil'alion. Les biographies de ces héros, dl' ces sainLs laïques, voilà cc qu'il fauumit r~un¡r en quelques livres, donI. les récits seraient proporlionnés aux différents âges el oi.! la jeunesse puiserait 1. Happorté par PLl'TAHQIE, Vic df Thémistucle et Vie d,' (;i.<ar. liv. I. - Voltaire ajoute plus loin (!iv.II) : " Plein dc l'idée d'Alcxandre ct dc César, il sc proposa d'imiter' toul de cc::; deux COII'luér'ant.s, hors IcUl's 2. /listoi,." de Chw'les XII, vic:es .. ) 1..\ I'ED.\GOGIE 1;;5 DE L'hlUL.\TIO~ les pIllS bellI's le~:ons d'énel'gie, de noblesse, d'enthollsiUSIl1f'. « Les Vies de Pllllal'que, dit très bien M. F¿'(i" Thomas, ont, pendanl longtemps, servi de:JI'Ó"iail'c aux plus g¡'ands espI'its; peut-êLre les umns-nolls trop néglig(~es ;\ notl'e époque: aussi youdl'iolls-nous que Illlelqlle Plutarque franl;ais, pui,;ant dans noire histoire si I'iche en gl'ancls honlll1es ele taules sorll)s, fit revi\Te enfin, pOllr l'édification de nos enfants, les gloires les pIllS incontestées donl la Fmnce a le dl'Oit d'Nre fière l. )) II ne sUIIl'ait èt.re. semble-toil, de pillS SÙI' moyen d'é,lllcal.ion morale. De tels exemples, pl'Oposés il l'éllllllat.ion des enfanls et sllrlout des adolescents, en d(~lolll'llant ceux-ci des œuvres fades el malsaines am((IUell(~s ils sc complaisent. cont.ribueraient. plus à l'alllf>liol'ation des masses que les pillS {:'loq\lenles prédications el les exhort:Üions les plus p¡'essades\:. El poul'tant il y a quelque chose qui vaudrait encore mieux peut-Nre que de chel'cherdes modèles dans le passé, cc serail de les prendre parmi les honnètcs el vaillantes gens qui nous entourent. l.cs cxemplcs \"aguè¡'e, vivants sont d'un autrc M. Lucien Descaves 1. ¡;¡"/uwUou d,'s sentiments, p. 220. de III vo/,,"lé, liv. V. ch. II. pouvoir. émettait Cf. P.OUT, le vœu (lOducù- /ioll 2. Commcnt, par excmple, plus cfllcaccment. cntl'etenir, chez les générations nouvellcs, la flamme du patrioli,,;me, 'luc <le Icul' proposcr pour modèles ccux cn ([ui clic bl'illa , . L E~It;L.\ 1:;6 nu" qu'on affichÙt aux mms de nos écoles la lisle Jes hél'os ObSCUI'S,Illal'in~ il bOI'(1 Je la TOI/mi Ile, qui, Jans la .inumée l1'ag"ique ail le Voltnrno hrÙlait et sombrait t, se risquèrent dans la tempête, ail péril de ICUI'vit~, pOlir saUVCl' leur.; semblabll~s, « Il y cIlL, dit :\1, Desca\'(>s, l'ntl'C ecs braves gens IIlW émulation supedJc, Vel's le bÙchel' qui llambail Sill' l'eau, tout le monde s'cmpressa, lieutenants, maitl't~S du pluo; vif éclat ou dl' cél"~J¡rer les gl'and-s événements qui l'ont l'ail nailre ou ranimé~'? En glorifi:wt sc;; héros, une nalion ¡Jl'<)voque dan,; le,; :lme,; le dÓsil' de rivali~er avec cux de valeur ou d'abné~atil)n, Telle est bicn 1'Í<J{,e'lui dirigeait le,.; ¡JroIl1C)t.eul'''·d'une fétc nationale de .Jeannc d'Arc ou de la commémorat.ion solennelle, il ya quelqucs mois, du ,.;cplièmc ccnlenaire de la bataillc de Bouvine,.;, N'esl·ce pa,; elle qui inspira cette héroïque strophe de /(1 ,l/<l/'sl'i liaise : !'tous eIJll'('l'OIlS lIaos la carl'ièl'e Quanti nos nini·s n'y seront pIlls; .Yolt.~ !I lrOI(/'e¡'Od8 leuI' pOllssière Et /a lï~ICt! de lelf,'s ¡'{TtuS.' nil'n ¡al)¡H~jalOHY ri.? l¡'/o' sH}"l)iu¡oe \!lIC de parlagel' Icur cercueil, ~Yous (IUI'ons le subli"Le m'Utleil ne les "'cnger ou rie ,es s"itTe " el 'lu'e'(allc lIu~o le l'ei'I'ain de (; loire il noire Gloire il ceux Aux nwrl)'l's! mourront 1. Le 10 octobre 191:1. t.1,.;tl'ophe, voy. l'/Uustl'<lli'JIl, sublime de Viclol' Francc élernelle ~ qui sont lllorls pour elle ~ Aux vaillanb ! Aux fort:; ~ A ('I'/t:C '/lf'eil/la'¡l/t'LC Q¡d /'elf.lel¿.t I'lact! El qui I'J/'vlIlne lelO' exemple, dans le temple, comllle ils sont morls ~ Pour un récit délaillé de la canuméro du IS octourc suivanl. d'¡~:(llipag-e, limoniers, chaulIeurs, matelots el jusqU':lll dernier dcs soutiers ~ CUI', c'est cela l'élite: \Ill échanlillon d'humanité su¡lél'ieure, formé pa\' l'assemblage d'élémenls diyel's, " Et l'II. J)escayes ajoutait: (( Lorsqn'il semble bon, éJiliunl, sulutuire, de proposer il l'admiration IlIJive \'selle uri [lele de courage, de dé\"ouement, d'héroÏ:;me signalé par la pres~e en passant, poul'quoi ne femil-on pas à celte action d'éclal le3 honneurs de l'affiehagc ou de la leclll1'e dans toules les écoles 1 '? Les recueils de mc:!'('eanx choisis ne cont icnnent rien de mieux ; le~ manuels de morale non plus, Leul's IlIenus, si bien composés qu'ils soient, u'cxcitent guère l'appétit des élèycs; l'extl'a, l'entre mels du joli!' le stimulerail davant[lge, » Et cclte idée ayant tron\"(' quelque écho dalls la presse (i\IM, Ed, Haraucollrl2 et Paul :\Iarguel'ille, 1. • Le;; t¡'aib ùe coura~e ou de honté exceptionnel-, 11 él:J'it Il. l\lal'ion, excitent l'émulu1ion; d'oÙ I'utililé qu'il ya ;l I",.; di\'ulguel' et à les l0UCl', " [La Solidllrilé morale, p, 1'10,) 2, « Quand un de no,; con<:itoyens, dil celui-¡'i dans un article cité plus b,15, " accompli, ilU I'i:s<¡ue de :ses jOll'6, un acte d'héroïsmc qui honore l;¡ I'aec et dontla vulg,lI'j,;¡¡lion sel'uit de nature à morali,;er la jeunesse, votom,-en ¡'Mn •.litige aux milI'>; de la classc, On il fnndé récemment Ut,,: Snciété ¡Je " }'Al't il It:cole, » C'cst bicn d'cnseigner l'e¡;théti,\ue, eerte,,; ce "el'aitmicux enCOI'e, cl plus Ilrgent pellt- ¡'Ire, d'enseigllel·I'f1llrui;;m·~ aux !-(t~nération..;qui montenl: lion pal' des lhf:orie..;, ¡Jc;; l'l'èche:;, de;; livrcs moraux, ¡Jes imagcs, des cours Oil des di,.;(~ollrs, auxqllels la je unesse moderne nc prend l'lus garde, mais pal' des f¿¡its, ql i, seuls, l'intéressent désormais, par des r{'alité", pal' Jcs <l adualités " dont clic est f¡'¡untie, » t!lS ,. L EMUL.-\TIO:'i cntrc autres, y souscrivirent avet.: empressement), fut complétée ainsi par celui qui en avail dé le promoteul' : « Cil O/'galle pOllrrait être créé, ret.:ucillant, £lOllI'les ft'ansmctll'c de tous côtés, les renscignements foumis par la prcsse, les socidés'dc sametag(:, d'encou"agt'ment au bien, la fondation Camégie, I'Acadt'~mje Française, clc, I )l. Vn tel pl'Ojct dcvrait bien ètrc réalisé, A l'affichagc du cl'ime. à la publicité des forfails guotidiem;2, il cst ul'gcnt d'opposcl' celle des actions bellcs el gÓnél',~uses, de l'réel' un journal;' exaltant, aupl'¡~s des enrants des écoles, les actes de dévollement el d'héroïsme accomplis pal' les bl'a\'cs gens el 1. Vo~·. dans Ie !Jéléyué cuntonal(numéro du I" févricrl!Illi Uti arUdc dc Ll.cn;\ DEseA'Es, intitulé PorlL'urs de I,olllles n"'II·,·/I,". 2. Cf. notl'c ouvrllge SUI' la (:uriosité, pp, 4iH~. 3. ~1. Haraucourt propose de I'ólppeler .Jourllal d.,,< ¿c"I,'s, ct, pour le rcndre prus intércssant ct éviter l:1 monotonic, il voudl'ail que, donnant sati;;faelion à cette « rC(JlIl\t{' dcs lycéen" qui réclallwicut, l'an deruicl', le droit dc sc tcui,' au courant dcs faits contcmporllins ct dc rccevoir dc,.; journaux ", ce .Tollrnal des écoles, " intermittent, affiché, totaIcment dénué de politique ct de littérature, suns profcssion d'aucun dogmc ct sfl'ictcment véridique ", flit " une manièrc ùe Journtll offlcicl;\ I'usagc d/\ la jcnncssc, où sernicnt relatés les gl'ands faits 'lui plus tard constitucront l'histoire ùc nos jours, et Ics actions nohles. " On s'llpplique"ait avec gl'and soin à n'y jamais prêchcr, à ne plaider aucunc thèse en faveur de la vertu; on rclatcrait seulcmcnt. Et, conclut cet écrivain, j'en suis bien convaineu, il suftirait dc monlr'el' Ù I'impl'cssionnable jeunesse qu'on trouve encorc des gen;;" qui marchent" ; ellc se chargerait dc 1I0US prouve.' qu'clic en c"t, stlns lc savoir, et quoi qu'elle en dise." (Ed, 1I",.H·coLR-r, Jourllal des Ecoles, art. de la Dé¡,,'che, numérodu 20 octobre 19tH.) I( LA P~:DAGOGlE nolamment DE ];¡:;i\lULATlON pal' Jes cnfantsjcunes l:i~1 cI faiLles comm(' t~UX l, Happclon,;, pOUl' terminer, un dernier moyen:auqucl il faul avoir recour,; comlllc il un précicux sti·· lllulant, ct qu'on doit uliliscr, conCUITCIllmenl avec Luus les IH'éc~Jclll.s, l'auLo-éll1ulati()ll, cellc qui consisle, nOllS lc savons, il fairc mieux qu'on ne l'ail. à se surpasser, il se comparcr en un 1Il01 à soi-mènu', non plus élllX aull'CS, Il s'agil'a, en cn cas, J'inciter dJa~U;l ;\ t~Xamiller les prog-rès pal' lui réalisés en sa\'oil' t~t t'n vcrlu, soit dans le cOUl'ant de la scmaine Oil du moi" écoulés, soit J'une année il l'autrc, Pat' l'cmploi des uns ou des autres de ccs divcl'; proeédé,;, d cn prenant lcs précautions indiquées, les lll;¡iLrc,; al'l'i,'pront il cxciter ou il enlrelenil' dan,; leurs dass(~s la sainc èmulation, (lui esl bien, ce!le(:i, le désir du mieux cI qui elltrainc pnrsuitc le perfecliulltH'll1cnl iIlJividueI.·De la sorte, en guiJant el pressant. lcs dmes vel's cel idl'al, non seulcmcnt I'émulalion jouc un l'ùle éminemmcnt mOl'alisateur, mais clic IcUl' donne, du même eoup, l'impulsion eL les f~lIlpèehc Je crollpil' Jans une fÙcheuse inJi/l'(~renet', I _ Le [)'Jre tI'o,- tle.~ classes prilllr!Ïre." où sont transcrites toutes les belles actions ùes anciens élèvcs, l'épand ùéjb, mais en pal'lie seulp.menl, à cet excellent hut. FI:" TABLE DES MATIÈRES .\YA~r-J>nopos eN \I'ITIIE PIIDUEn. - Psychologie de l'émulaliull. - D('(lnl- liulI de l'émulation. - En quoi elle <litIère de l'imitalion. - Ses degl'és. - Son prineipe, - Comment elI,~ npparait chez l'enfant. - Qu'elle se rencontre .-hl'Z lp.s animnux, - Elle ne doit pas être confondue ~'HC l'envie; - avec la jalousie: opinion de La Bruyi're; -- exemples divers; - avec la rivnlité ;,'xemples ; - n\'p.c l'ambition, - Formes val'Îées de l'émulation Il. - LeSfldv •.nai •.r.< .le Unllllalion, - Ohjet de l'éducation, d'aprè,; Porl-Hoyal. - Les Petites Ecoles, - L'émulation pros~rite pal'les Solitaires, -Opinion de Pü'~cal eLde Sainte-Beu\'e, - L'émulation est-elle ulle sourcc de \'anilé et d'ol'gu('il '1- Opinion de Ouintilien, d(' Rollin, et~, - Condnmnation de l'élllll\àlion pal' Rousseau, - l::ducation IItopit¡ue d'F:IIli/,', - !\I'g¡.lIlent;; de Hemal'din de Sainl-Piene contre I'ému'lation ; 1" Elle est un stimulant factice;2° elle e~t la racine de l'ambition; - 3' clIe pousse :\ 1;\ rechel'che des distinetions et des honneur;;; ,1' elle fait des hommes à la fois des tyrans el des es.-laves; - ;'0 elle engendrc la j~lousie el la haine, - Critique de •.es arguments, - Les Ecoles de la Pat~'ie suhsliluées llÚX collège:>, -- Fausseté des la- CIHi'ITlIE Qt.'HI"T, - L'Émulation, 11 I- L E:\fUI.ATIO=" hleaux. - Retour SUI' la vl'aie nature ùe l'émulation, - Les néo-critiques de I'émul(ltion et leurs (lrguments ..............•... 111. - lnsll/fisallce des moyclls proposés pOlll' relll' plact!/' l'él/lItlalioll. - L'auto·émulation. - Ses partisans, Cn.HITIIE Sil valeur et son insuffisance. - Antres prétendus suceédaMs de l'émulation: l° le plaisir; - ce ((lI'iI faut penser de l'éducation a\trapnte: - opinion de Mme de Staël; - 2° l'inlér<'t ; - efficacil<'~ doutense de ce mobile; -¡¡oies senliment,~ désintére,,;,.;é,; : - critique; - 4° l'appel à la rais(JIl; - opinion de II. Marion; - désaccord de cette doctrine avec la lH;ycholo~ie ; faible action d,es idées. - EX:lgéralion,,; nouvelles. - Vtilité des distrihutions de prix: (lrguments divers . - IV. - Rôle £le l'émulatioll. - Les deux espé.;e,; de rivalités, d'après lIésiode. - I.'émulation ehn es Grecs. - Inlluence de I'émul(llion SUl' la civilisation - exemples. - Ses effets dans l'agriculture, l'indu,;trie, le commerce; - dans les lettreS; les scielH'es et les al'ls; - dans un État: utilité des distinction,; honorifiques. - Les panégyristes de l'i,mulation : Platon, AI'i,.;tote, Plutarque, Cicéron, Quintilien, Ranelai.;, Bossuet, Fénelon, Hollin, Condillac, Diderol, Mab]y, cIe. - Les Jésuites el l'émulation. - TaI.Jleau d'une classe avec ou sans émulation. - Ouc l'émulation fait la grande supériorité de l'éducation publique sur l'édueation privée; opinion de (luintilien, - de Dupanloup, - de :\[me :'Iiecker de Saussure, etc. - [mpOI'lance de l'émulation: la pour l'éducation physique; - exemples; - 2' pOUl' le perfectionnement mOI'al ; - exemples. - D'oÙ vient]a puissance de l'émulation , . Cn.ll'ITIIE V. - La pédagogie de l'énllllutio/l. - Des Pl'écautions il pI'endre dans l'emploi de l'émulation. Principaux procédés pour l'excitel' ou I'enlretenir: l° RecOl/rs al/x récompenses; - leur légitimité; - dangers il éviter ; - des diverses sortes de récolllpenses: l'approbation etl'éloge ; - le,; bons poinls; - les notes; - le tableau dllonnem : - les prix; influence de ces derniers; - exemples; - 2°¡;¡ililé CIIAI'ITlŒ 163 TABLE DES MATIERES .tes compositions; - des cOlwours; - le Concours géné- ,¡éral : inconvénients de sa suppression; - son l'établissement projeté; - opinions diverses; - des ,'xamens; -leur nécessité; - :e baccalauréat: comrnent on a pl'étendu le remplacer; - sa valeur; ao l'émulation (!L'CC l/·s !1ran<i.~ "01/11/1".<; - son importance; - 4° l'émulatioll a~ec ll!s héros <ill jouI'; ulililé d'un JOllrnal des écoles; - ,io l'uulo-élllulution. - CO~CI.L,'0:>/ . 147 ÉOITIO:;S DE LA LlIllIAIl\IE CITf;.;s FÉLIX ALCA:"l DAl<S LE COURS DE CE 'l'OLUME. La Science de l'éducation. 1 vol. in-So, BAI:;. - 6 fr. » 1> " éd. 1> » éd. !) » :! 1>0 7 :;0 Psychologie. 2 v~l. in-Sn• :;}O » 12" éd .... G¡;UL, Éducation et .hérédité. 1 vol. in-S n, - l'2e éd .. '~IAl\IOl'\ (II). De la Solidarité morale. in-8", L'Éducation de la volonté. in-S", l'HOT. - (je Ile Les Maladies de la volonté. 1 \'01. in--16°, RIBOT. - 2ie éd ... - La Psychologie des SJlntiments. -1 yol. in-So, 8e éd . SP¡;;:;CElI (HEHDEHl). - - L'Éducation intellectuelle, sique: t'le M. -1 yol. in-S" .. THO~I\S I P.-F.;. - 1 yol. in-S", - ,'je ·morale et phy· » :í:;.6. » L'Éducation des sentiments. Pd .. Morale et éducation. I \'01. in-16", 3 M. e La Suggestion, son rôle dans l'éducation. t vol. in·W'" 5' éd. 3~29. - 1) TOllrs, imprimerie E. ARIlAl:LT el C". 2 00 2 ;>0