L`émulation et son role dans l`education

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L`émulation et son role dans l`education
lllllLIOTIIÈQUE
DE
PH I LOSa PH I E CONTEM paRA lNE
l~'É~/IUJ~}\T 10 N
SON nÔLE DANS L'ÉDUCATION
ETl!DE
DE PSYCHOLOGIE
APPLlQU::E
P.\H
FRÉDÉRIC
!'ro:'GSSl'llr
QlJEYRAT
dû philusophio
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(ul1ègc ¡le :\lauriac.
PAUlS
LIBHAIHIE
108, llflVLI¡VARD
FÉLIX
SAI:-;T-G.m~l.\l:-;,
ALCAN
VIC
L'ÉMULATION
ET
SON RÔLE DANS VtDUCATION
LIBRAIRIE
FÉLIX
ALCAN
DU MÊME AUTECH
BllIUOTH;';QU¡';
DE PHILOsOPHIE
CO.VTE.lfPORAl.VE
L'Imagination et ses variétés chez l'enfant, étuùe de psyr.hologie nppliquée Ù l'éducation intellectuelle.
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appliquée.
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Tous ces ouvrages ont été récompensé,,; par l'Académie
des sciences llloralct! et politiques (Prix AudifTr~d, 1911).
L'ÉMULATION
ET
SON RÔLE DANS L'ÉDUCATION
ÉTUDE DE PSYCHOLOGIE APPLIQUÉE
PAR
Q~EYRAT
FRÉDÉRIC
Professeur
de pbilosophie
collèp:e de 'fauriac
nit
PARI S "
LIBRAIRIE
108,
'l'ous droits
FÉLIX
BOULEVARD
de reproduction;-de
ALCAN
SAINT-GERMAIN,
traduction
108
et d"adaptation
pour tous paJo.
BANCO OF l
8IIlUOT6CA
LÜ'S
"
A REPUBLICA
• ANGEL
ARANGO
rê.en'"
AV ANT-PROPOS
L'impression
de cet ouvrage était achevée
danE. la première quinzaine de juillet 1911,.,
C'est dire qu'il a été composé en un temps où
rièn ne faisait prévoir l'elTroyable guerre qui
vient de se terminer par le triomphe du Droit
puissant sur la Force brutale, de la Justice
immanente sur l'Iniquité superbe, de la Liberté
SUI' le Despotisme,
de la Vérité sur le ~Iensonge, de la Civilisation sur la Barbarie,
On s'en apercevra de reste au ton calme qui
y règne comme à la médiocrité de la plupart
des exemples qu'on y troU\'era proposés, en
comparaison des faits grandioses dont cette
guerl'e nous a donné le merveilleux spectacle.
Si, de la part des brutes allemandes, chefs et
soldats, nous avons assisté, pour la honte éternelle de leur race maudite, à la plus cynique
VI
A V ANT- PROPOS
émulation dans le crime, én revanche quels
admirables. exemples
de l'émulation
la plus
nohle il eùt été possible de relever autour de
nous! A 10l'S que nos hérOïc{UeS soldats rivalisaient d'al'deur et d'espl'it de sacl'ifice pour
pl'otéger
la patrie et remporter
la victoire,
quelle splendide émulation sc manifestait entre
les États-~Iajors
pour organiser
la défense et
pl'épal'cr la bataille; entl'e les établissements
indusll'icls
de tout genre et l'immense masse
des ou \Tiers pour fabriquer.fiévreusement
tout
ce qu'cxigeaient
l'armement
et l'entretien
de
troupes de plus en plus nombreuses;
entre (es
savantg et les inventeurs
pOUl' découvrir
ou
perfectionner
les mécanismes
que nécessitait
une guerre grillS précédent;
entl'c les femmes'
mêmos, si vaillantes, non seulement pour soigner hlessés et malades, mais, il défaut des
hOUlmes aux armées, pçmr accomplil' les tâchos
indispensables
à la vie du pays, dans l'enseignement comme aux champs, dans les chemins
de fel' et dans les tramwàys comme dans les
banq lies et les administrations!
Et quel magnifique élan de générosité partout, chaque département, CIHH[Ueville, chaque école s'efforçant
à qui mieux ni.ieux, par des collectes de toutc
sorto, de contribuer au salut de la patrie!
AVANT-PROPOS
VII
Mais, outre de tels faits, quelle éclatante
confirmation de quelques-unes des idées aHir1I\t':esici la guerre ne nous a-t-elle pas fournie!
qui oscrait encore contester l'utilité des récompenses pour fortifier l'enfant dans l'accomplisseLlent du devoir, à la vue de tous les moyens
Far lesquels on s'est efficacement employé à
stimuleI'le zèle de nos soldats et de nos régiments : citations individuelles
à l'ordre du
jou.r, citations collectives, et création de la croix
:le guerre avec étoiles diyerses ou avec palmes;
Institution des fourragères aux couleurs de la
~¡'ojx de guerre, de la médaille militaire, de la
légion d'honneur? Qui persisterait à nier ['excellence des concours? Exposant l'œuvre d'un
des généraux auxquels notre pays doit le plus
de ¡'econnaissance, un journaliste écrivait naguère: « Une émulation féconde se créait entre
les différentes armes. Chacun prenait davantage conscience de son importance, de sa Yaleul', Des concou¡'s s'ouvraient dans les ¡'égiments, avec des prix qui encourageaient.
Chacun voulait être le premier grenadier,
le premier bombardier,
le premier mitI'nilleur, etc. I )J. Pourquoi l'amouI' du truyuil,
], L'Illustration,
n° du 13 avril 1918 : l'OEuvre de Pét3in,
VIII
A VANT-PHOPOS
l'application à une tAche scolaire parfois assez
pénible, sans grand intérêt souvent et toujours
peu resplendissante,
n'auraient-ils
nullement
besoin d'êtl'e soutenus et excités quand on n'a
pas jugé superflu d'aiguillonner les sentiments
déjà si puissants par eux-mêmes qui poussent
un homme à la lutte pro l!ris et locis, à la défense du sol natal, à la sauvegarde des siens?
~ous avons constaté d'ailleurs, au cours du
présent livre, qu'en cequi concerne les exel'·
cices physiques, on n'a point manqué de provoquer l'émulation et que ces exercices étaient
fort en '"ague dans nos écoles. D'instinct, pOUl'
ainsi dire, notre admirable jeunesse s'y pOl'tait,
comme .si elle eùt pressenti quels prodigieux
efforts la France allait exiger d' elle; aussi,
l'heure venue, a-t-elle de façon sublime répondu
à son appel. )lais, de quelque utilité que soient
les exercices physiques, il faut se garder d'en
usel' avec excès, N'oublions pas que l'abus des
SpOl'tS fait perdre le goùt au travail intellectuel. Or aujourd'hui, devant nos ruines à relever, nos richesses à l'estaurer et à accroitrc,
devant l'œuvre immense qui va s'imposer aux
générations nou velles dans la lutte économique
mondiale, il est clair que les forces de l'esp,'it
ne joueront pas un moindre rôle que les {orees
AVANT-PROPOS
IX
du corps. Il importe donc plus que jamais de
développer harmonieu.sement chez nos enfants
l'énergie physique et l'activité mentale, et de
ne négliger aucun des moyens par lesquels on
arrivera à tendre en eux les ressorts de l'intelligence aussi bien que ceux de l'organisme.
Formés et entrainés de la sorte, ils poursuiHont dans les luttes pacifiques la gloire que
par leur vaillance dans la guerre leurs aînés
ont acquise; ils garderont la vitalitéque ceuxci ont manifestée d'une manière si brillante à
la face du monde, et de cette vitalité ils trouveront l'utile emploi dans la marche vers la
civilisation et le progrès.
Leur devise sera: En avant pour la France
et l'humanité!
1.2 novembre
1.91.8.
PRÉFACE
Si la curiosité pousse l'enfant à s'instruire,
l'émulation est à cet égard un stimulant plus
puissant encore. Aussi nous a-t-il paru utile de
compléter l'étude de l'une par celle de l'autre.
L'émulation a d'ailleurs été, plus encorc peut(~tre que la curiosité, l'objet de jugements contl'adictoires, pal'ce qu'elle est susceptible, elle
au.ssi, de s'égarer ou de se corrompre.
Il n'est donc pas sans intérèt dc rechercher
la vraie nature de l'émulation et de distinguer
cotto inclination des sentiments plus ou moins
répréhensibles
qui, parfois, l'altèrent et avec
lesquels elle a été confondue. Ainsi poUl'ra-ton se rendre compte de la valeur des critiques
ou des éloges quine lui fUI'ent jamais ménagés.
Nous aurons, chemin -faisant, l'occasion de
XII
PRÉFACE
constater l'insuffisance des pratiques pal' lesquelles certains ont prétendu la remplacer. Et,
reconnaissant
alol's la légitimité et l'importance d'une émulation saine et féconde, nous
examinerons les moyens les plus propres à
l'exciter et à l'entretenir.
Tel est le but que nous nous sommes proposé dans ce dernier ouvrage.
L'É.MULATION
ET SON ROLE DANS L'ÉDUCATION
CHAPITRE
PRE~IIER
PSYCHOLOGIE DE L'ÉMULATION
Définition de J'émulation. - En quoi elle diffère de l'imitation. - Ses dcgrés. - Son principc. - Commcnt clic apparuit chcz l'enfant. - Qu'clle >ie renconlr'e chez les animuux. - Elle ne doH pas ètre confondue avec l'envie;
- a vec la jalousie:
opinion dc La U"uyèrc; - excmplcs
divcr.,;- av.cc la rivalité; exemples; - ¡IVec l'amhition.Formes variées de l'émulation.
L'émulation
est gé¡:¡éralcment définie:
le sentiment qui nous porte à imitel', à égaler nos semblables, à nc pas nous laissel' dépasser par eux, et
mème à les sUI'passer,
Dans cc premier degré où clIc nous incite seulcment à imitol', elle ne doiL pas ètre confondue pourtant avec l'instinct
d'imitation
proprement
dit.
Celui-ci n'est qu'une tendance à reproduire machiQt:nll.\1', -
L'l~mulalion,
2
nalement un act.e que nous voyons accomplir pal'
quelque autre;
aussi bien se manifesle-t-il
chez
l'animal comme chez l'homme:
les moutons s'enfuient, et s'al'rètent ensemble. L'émulation est essentiellement un d~sir conscient de se rapprocher de ce
qui 1I0US a charmé~ « Il y a émulation chez l'enfalll,
a-t-on ditl, d('~s lors qu'il se plait à imiter, qu'il
imile avec une certaille ardeur, qu'il fait effortllon
seulement pour imiter, mais pour imiler le mieux
possible. » Qui ne voit exprimé là quelqul' ehose de
plus que l'imitation pure. Imiter, e'esl simplement
Jaire cornille; rivaliser, c'est s'efforc/?rde fail'/? COT/W/I'.
Nous en restons à ce premier degré quand le modèle que nails nous proposons
est tel qu'il nou",
sel'ait impossible de l'égaler; l)ous essayons seulement de nous en rapprocher
dans la mesure de lias
l'orees, comme il arrive en ceUe forme d'émulation
4u'on appelle l'émulation avec les grands hommes,
avec ceux dont les hautes verlus ou les ~rands talents sont loués, révérés, admirés de toutle monde:
nous ne prétendons
pas posséder au même point
ces qualités glorie,!ses ; séduits par leur éclat, nou!"aspiI'ons à les refléler, [lou r mériter quelque peu de
l'honneur et de la considération
dont jouissent ceux
t¡ui en sont ol'llt"·s. C'est bien ici lIne sorte d'imitation, mais clic n'est, comme dans tous les cas de ce
genre, qu'un moyen que l'émulation
met en jeu
1. E. J.u:on.ET,
p.
H27,
in
¡¡icti'ml/I';r,.
d,' péJagogit',
arlo
HI/Hllali'Hl
!'!,iYCIlOLOGIE
DE L'ÉMULATlO:"1
3
arrivc!' Ù scs fins, Cellc-ci, J'ailleurs,
dans son
fond, es! si distincLe de l'imitation
qu'il peut y
avoir Î\mulation sans imitation aucune, par' excmple
quald on fait autrement afin dc fairc mieux.
Lorsqu'elle nous parle, non plus seulcment à imileI' plus ou moins bien, mais il égalcr ou à surpasscr
autl'lli, l'émulation ne peut existe¡' qu'entre
semblables, Alors, elle consiste, en ell'et, dans un besoin de faire allssi bien ou dc faire mieux; qu 'autrui.
Mais, pour cherchcr à acquérir ou à dépasser une
qualité que nous ¡'cmarquons ailleurs, il faul que
nous imaginions
pouvoil' y parvenir, ear on ne désire pas l'impossible.
Aussi
avons-nous
garde
d'éprouver
cetle émulation
à l'égard de ceux qui
.onl. SUi' 1I01\S un si gl'Und avar..lage qu'il nous sel'ail.
impossible d'en approcher, Et, réciproquemcnl,
nous
n'avons point d'émulalion
envers ceux qui sont tellement au-dcssous dc 1I0US que nous ne voyons point
en eux de qualités que nous ne possédions déjà it un
dcg!'é supél'ieur.
D'oÜ naH donc l'émulation?
De l'amour de soi ou
aOlolll'-propre,
au sens étymologique,
de ce sentimenL qui nous fail DOUS préférer à Lous, à !lOUS vouloir du bien, à nous estimc¡', de la satisfaction ou du
méconlentement
de nous-mêmcs,lorsque
cet amou!'proprc se tl'OUVC en conlact et en conflil avec celui
de nos semblables,
Pur le l'aiL quc nous vivons en sociélé, la comparaison de nous aux autres devienL inévitable, Nous
pOUl'
,'
L EMULATIO"
voyons ceux qui nous entourent, au milieu desquels
nous agissons, tendre à un but et, quand ils y atteignent, t~l1'e un objet d'estime ou d'approbation,
Pal' suite de notre penchant à imiter ou parce que
nous senlons l'intérêt qu'il y a à atteindre ce but,
nou~ sommes portés à le pOUl'suivI'c à notre tOUl',Mais
alors l'estime de nous-mêmes, la conscience de notre
valeur réelle ou illusoil'c nous fait souffrir de nous
voir distancés par autrui; nous nous cfforçons d'égalu et même de dépasser les activités antagonistes,
de faire autant sinon plus, afin d'obtenir les avantages atLachés à l'arrivée au but, avantages
matériels, fortune, dignités, ou seulement spirituels,
estime dc nos semblables, approbation,
CeLLe compHition, c'cst l'émulation,
qui cst constituée essentiellement, comme on voit, étant donnée l'idée d'un
but auquel visent no:,> semblables, par le désir que
nous épl'Ouvons d'y atteindre.aussi,
afin de mériter
comme eux ou de pI'éférence à eux les avantages que
doit assurer le suecès.
C'est bien ainsi que Spinoza entendait
l'émulation, quand il l'a définie: le désir d'une chose, désil' qui sc produit en nous par ce fait que nous irnaginonsque les autres ont ce mêmcdésÍl",
Pour vérifier que telle est bien la vI'aie nature de
l'émulation, examinons la façon dont se comportent
des enfants en contact les uns avec les autres, soit
1. Ethique, \iv. Ill, Ihéorème
"""I,
Scholip.
PSYCHOLOGIE
DE L'J~MUJ.ATIO;'>
pOUl' recevoil' line éducation
commune, soit simplement pour jouer.
Les voici, dans le premier cas, soumis :l une rl'gle
et il \lll enseignement,
les mêmes pour Lous, el placés SOilS la dit'ection d'un maîlre chal'gé de fail'c
respecter
la pl'emière et de leur donner lc second.
L'émulation
apparaît vile entre 6UX, provoquée par
un double but que chacun éprouve le désir d'aLteindre: gagnel', d'une part, l'afl'ection el l'estime ÙIl
maître, lesquelles seront accordées il ]a bonne conduil~, i. l'allenLion, au travail, el, d'autre parL. arriyel' il la premiMe
place. afin d'établir an moins sa
sup{,riorité sur les autres, si ce n'est pour obtenir les
I'écompcnses et l'honneur dont elle cstla coudiLion l.
Il lI'en vapas auLI'cment entrc enfants qui joucnt
ensemblc. Quelle ardeur ne déploient-ils pas! C('sl
it qui courra lc plus vite pour parvenir au bul avunt
tout autre, it qui sautera ]e plus loin ou le plus
haul, it qui fcra prellve de plus ùe fOl'ce ou J'habileté pour lancer la balle ou la boule, ou d'ingéniosité pour se cacher. D'oÍ! provient dam; cc sccond
cas l'émulation?
ne ce que, répond Feuillet, « il y
1. Le hesoin seul de l'estime du maitre et de ses C3mllrade~ suffirait il engendl'er !'émulalion."
Il est certain, dit
Th. I\iuot, que le d',si,' de l'approbat1on
et la crainte du
bl:\n:e sont des éléments exL{,rieurs qui comptent dans la
constitution
du sentiment
de complaisllnce
pour nou,.;mèmes : la louan¡:(e lui donne de l'extension,
et la critique
I'clllarne et le mutile; et ceci ne suppose pas beaucoup de
J'étlexion, ni de cultul'e. L'enfant CRt extrèrnement sensihle
:lU j ngern(,llt. de ses pairs. » (l's)'clw/(J!lie
des selllim('nl.~, p. 239.)
6
a là intérêl à une action el inlérèt également senli
par tous. Le plus adreit obtient,
ou le prix de
l'adresse, ou lIn~ considération
it laquelle sont aLLachés certains avantages:
voilà le but des eITorts t.
Partout où vous reLrouH'z les mèmes circonstances,
ajoute cet auteur, vous venez naill'e le nH~me senti.:
ment; et c'est dil't~ que VOllSle ¡'ctrouverez :1 toutes
les. {'poques de la vie réelle, et dans .tous les rangs
de la société! Etla course pour les g¡ileaux, dans
Rousseau, n'est-cc pas encore de l'émulation?
Celui
qui veut courir le plus vite pOUl' les obtenir voudra
de mèllle un jour al'l'iver le plus vite, soit aux richesses, soit à J'estime, aux dignitps, au pouvoir.
Le hut et les moyens aUl'ont changé, le st'ntiment
restera le même 2. »
Celte tendance?
égaler 0\1 à dépassel' les autres
est d'ailleul's si naturelle qu'on la l'encontre jusque
chez les animaux:
les chevaux lancés dans l'hippodrome ne sc laissent pas volontiers dépasser, mais
redoublent
d'eITorts pOUl' êlt'e toujours ell avant;
les oiseaux lullent à qui l'emportera paI' le chant ;1.
1. Cf. notre ouvr3gc SUI' tes .hUI d,'s ""fants,
p. ,;:1 et sui\'.
2. Mt'muire cOllro"né par I'lllstitut
Sill' cet/" 'lllestion
: /'J':'mlllaliull
est-elle 111I han mOYfll ,fMlIcation?
(1801), pp. 44-45.
3, Le pinson, dit :\Iichelet, ne fait entenùre que la ehanson
de son bois natal, mais il la ch3nte " Ù'UIlC:1pre passion,
d'une émulation extraordinaire.
~lis en face d'un riva\, il la
redit huit cents fois de suite: parfoif', il en meurt >l. QU3nt
au rosôignol, il est, « en émulation, égal au pinson. re II se
crèver3it à chanter >l, dit un de ses historiens. " ll.'Oiseau,
p. 246 et 2ii().)
PSYCHOLOGIE
DE L'¡bIULATION
7
El elle apparalt tout à fait légitim, •• car nulle raison
ne nous oblige à ne pas vouloir aller le plus loin que
nous pouvons, et bonne, lonabte, car elle ne prod'de
pas d'une malveillance que nous éprouvons à l'égard
d'au Lrui, mais essentiellemenl
d'un bien que nous
nous désirons; el, comme nous le verrons, elle esl de
la P:lIS haute impol'lance,iI
cause des efTol'ls qu'elle
suscite. Seulement des senliments mauvais peuvent,
cn certains cas, s'y ajouler ella dénatu)'e¡', l'altérer,
la corrompre,
telles la jalou8ie, la riyalité, l'ambition. Examinons
successivement
chacun d'eux el
raplwochons-Ie
de l'émulation,
afin de l'cn bien distingue)' el de pl'éciser de plus en plus la nature de
ce Ilc-ci,
On a .prétendu, mais à tort, que l' émulation pouvail parfois dégénérer
en envie. C'est confonùre
l'envie ella jalousie, deux scntiments
pOUl'tant très
différents. L'envie est, d'après le Dictionnaire
de
l'Académie, « un chagrin qu'on ressent du bonheur
·des autres,
des Il\'nntagcs
d'autrui
>l. C'est,
dit
La Hochefoucauld,
« nne fUI'eur qui ne peut soufrrir
le bicn des autres », de quelque nalure, au resle,
que soit ce bien, santé, fortune,
bcauté, talents,
honneurs;
UII désil' haincux de les voir pl'ivés de ces
jouissances,
lol's mèllle qu'on nc devrait pas en profiter, d'anéantir
ces biens, si l'on ,ne peut les posséder, afin qu'un autre n'en puisse jouir. Cette basse
passion qui rend misél'ables
ceux qu'elle domine,
n'a donc ricn de commun ayec l'émulation.
Alors
L'ÉMULA nON
que cette dernit'Tc esl UIl principe J'acli,'ité
trb
énergique. l'envie se rencontre plulôt chez celui qui
n'agil pas! ; le petil envie le grand sans cherchcr Ú
s'plevcr jusqu'à lui; le pauvre envie le riche sans
tâcher d'arrin'l' lui-mèmc à la fortune, Aussi a-L-Oll
pu dire sails paradoxe (lue l'émulation étouffe l'ellYle,
Il n'enest pas ..le même de lajalollsie
qu'on peut,
à juste titre, I'cgarder comme \Ill excès 0\1 pluLôt
comme un égal'cment. de l'émtrlation,
« On la déCOUHC dalls les enfants,
ainsi que dans les chevaux
el dans les chiens, Voulez-vous q\le vos enfants se
haïssent, caressez l'un plus q\le l'autre;
Il' secret
est infaillible 2. » Elle IJait, en eiTel, de la privation
d'un avantage, d'un bien que nous croyons nous appal'lenil' et qlle nous ne voyons pas sans chagrin
1. C'est ce qu'u très bi"n \'u Il, ilI¿II'ion : « L'humme
_l!.dssant el f'nlrcpl'cnanl,
dit·il, n'cst j:llnais en\'ieux : il n'attend
son :;01'1 que de lui-rnl'me,
~i les ¿llltres pl'()sperenl,
el non
pa;; Ini, il se résign,~,
espérant
Ull joUI' èlre l'lus fflvol'isf'
de la furtunc
: il Ill' se plaint pas et u'aeeuse
personllc
: il S!'
contente
de redouhler
d'('lTol'b,
" :I."ÇUIIS dl' ¡>"-,,chu/nyi,',
p, 10:>,1 Et aill(~lIrs : " Celui-là
qui est animé d'une élllqlation f!é/l~reu>;e,
qui ·e,.;t homme
il ~e faire lui-rn(~nw S:I de,.;linéc il l'oree d'intelligenct'
ct d'éncrgie,
n'Il pli"; de peine il
¡lccepler,
á proel:\llIer
hautcment
1:\ Sllpél'iorilé
d'llutrui,
II
sait il quoi elle lient cl ee qu'clic
COlite, Si elle pro\'ient
de dOll"; éclalant,.;,
cc,.; dons
font honneur
à la naturc
humaine, et. tout homme
doit s'cu réjouir,
~i elle est le fruit
du lr'avlli! et. de j'énel'g-ic, quel homme
digne (Il' ce /l0111 !le
se sentir'a pn\t à la saluer
a\'t~e r'e,.;pecL " (Lern(l" ,le "'(¡/'(lIe,
p, ~l'O,) - Cf. du m'~mc auteur,
La so/idal'it,'
I/IOI'al,',
p, ~l;¡
et suivantes;
- STo 'IILI., L_ !lOI1VCnICTIICnt
l'CI réscfllalif.
ch, III.
2, Vm,,.\IIlE,
nirl. p"ilos(¡[lhiql/I', art. HlIl'il',
PSYCHOLOGIE
liE J.'~::\IUT.ATIQ~
!J
devenir le partage d'un auLI'e; mais elle peut avoil'
sa Sourcc dans le désir mesquin dc jouir d'un bien à
l'exclusion des autres, Ainsi se montre-t-elle
dans
la :ctl1'e que Plutarque
rapporte comme écrite pal'
Alcxandn> il Al'istote: « .Je n'approuve pas que vous
ayez donné au public vos liHes de scicnces acroama~iques, En quoi donc serons-nous supérieurs
aux
autres hommes, si Ics sciences que vous m'avez apprises
dl'viennent
communes
il tout le monde?
.J'aimcr:li,; mieux encore les surpasser par \es connaiSS31H'PS sublimcs que par la puissance l, ))
Ad, CHmiel' s'indigne
d'un tel égoïsme:
« Si
l'émulation
nous a été donnée, ce n'est pas pour
nous fai.'c rcfusel' aux autres les connaissances
et
les din'rs aV:lI1lagcs que nous possédons; c'cst POlll'
nous poussel' à imiter Oll mème :i surpassl'r les bicns
qu'ils possèdent sans les en dépouiller2,
))
.\ussi, relevant ecllc parole d'un auteur: Raphaël
IÚ,urait pas été grand peinlt'e s'il n'avait pas été
jalou.\: de Michel-Ange, Voltaire remarque
que cet
allLelF a pris l'émulation
pOUl' la jalousie,
et il
ajoutc:
« Michel-A nge
pouvait dire à RaphaEl :
Vetre cnvie Ua/nI/sic)
ne vous a porté qu'à travailler
encore mieux que moi; vous ne m'avez point décrié;
vous n'avez point cabalé contre moi auprès du
pape, vons n'avez point tâché de me faire eXCOffi1. Vi,' ,¡'Ale.rnlld,'r,
dr$ .t¡'c¡¡lIé<. t, l, I'P' 167-168.
~, TIf,il,:
10
munier ... ; allez, volre envie esl très louable; vous
êtes un brave envieux, soyons bons amis l. "
La Bruyère a fOl'Lement tracé quelques-uns
des
traits qui dill"érencient la jalousie et l'émulation.
Toules deux, faiL-il observe¡', « s'exercent
sur le
même objel, fllli est le bien (forlune, ou le mérite de",
~lUlres: avec celle difl'érence que celle-ci est un s('nlimenl
volonLaire, courageux,_ sincère, qui rend
l'âme féconde. qui la fail profiLer des grands exemples, et la porle souvent au-dessus de ce qu'elle admire; eL que celle-là, au contraire, esl un mouvemenl violenl eL comme un aveu conlraint du mérile
qui esl hOl'S d'elle; qu'elle va nH\me jusqu'à nier la
verlu dans les sujets (personnes) oil elle exisLe, ou
qui, forcée de la reconnaih'e,lui
refuse les éloges ou
lui envie les récompenses;
une passion stérile qui
laisse l'homme dans I'Nal oil elle le Lrollve, qui le
rempliL de lui-mème, de l'idée de sa réputation, qui
le rend froid el sec sur les actions ou SUI' les avantages d'auLl'IIi, qui fail qu'il s'étonne de voir dans le
monde d'autres
lalents que les siens, ou d'aulres
hommes avec les mêmes talenLs dont il se pique ... »
Et La Bruyèl'e conslate très justement:
« L'émulation ella jalousie ne se rencontrent guère que dans
les personnes de méme art, de mêmes lalents el de
même condition. » Il faul voir là un nouveau carac1ère qui faiL que la jalousie esl bien dislincte de I'en1. l.oc. cil.
PSYCHOI.OGIE
ilE
L'ÉMULATlO:-i
11
vie, « COlllme est ccHe qu'excitent
dam; notre àme
les conditions fort élevées au-dessus Je la nôtre, les
gn:,ndes fortunes, la faveur, les ministères, Il - (I Les
pIllS vils artisans, affirme enfin non sans ironie ce
grand momliste, sont les plus sujets à la jalousie;
ceux qui fonL fn'ofcssion des arts libéraux ou des
belles-leLLres, les peintres,
les musiciens,
les oraleurs, les poèles, tous ceux qui sc mêlent d'écl'irc,
ne devraient être capables que d'émulation I.)~ On
sail que les gens de leUres, les artistes, comme les
acteurs sonl exempts, en efTel, de toute jalousie,
Quoi '1u'il en soit, une noble émulation esl loin
ù'ètre un i"enliment rare, Qu'on se rappelle ces paroles du grand COl'lleillc (Pl"éface de La Suivante):
« Les plus heureux
succès des autres ne produisent
en moi qu'une vertueuse émulation qui me fait re{Ioubler mes etrorts pour en obtenir ùe pareils. »
!\luis il n'y a pas que les Raphaël etles COl'lleille qui
sachent
s'élever
au-dessus
d'une jalousie
mes,quine~, Les enfants en sonl parfaitement
capables.
1. Les (;urae/ères, ch, Xl, De l'homme.
2. Vcut-on d'aull'es exemples (~.'uneémulation génél'eu:;e?
Pa -rhasius et Zeuxi" sc dispulai.enl le prix d••.la I'einture.
Le pl'elllicl' n'avait peint '1Il'un rideau, le sccund présentait
un tauteau de raisins si achevé que les oiseaux velloient les
becqueter. Fiel' J'un sulTroge si peu suspect, il (:ria i1 Parl'h::.sius d'écartel' le ridean pour '1U'OH vit SOll oll\'I'age.
Il ¡'econnul lJienlùt son erreur, mais il témoigna plus J'admi:'ation que de confusion el céda sons peine lo polmc à
son concurrent qu'il en jugea plus digne, puisque lui-mème
n'avail trompé que des oiseoux, au lieu que Parrhasius
avait fait illusion à un maitre de l'art. - CicéronellIorlensius
-12
Lisl~Z cet enlhousiaste
éloge que fail I\Iarmonlel
d'un de ses condisciples au collège de Mauriac: « Je
voyais, raconLe-l-il, dans une classe au-dessus de la
mienne, un p.colier donl la sagesse el la vel'lu se
conservaienl inaltérables, el je me disais à moi-même
que le seul bail exemple à suivre élail le sicn ; mais,
en le regardanl
ayec des yeux d'envie, je n'osais
croire avoir le dmit de me distinguer
c.omme lui.
Amalv)' élait considéré dans le collège à lanl dl'
Litres, el tellement. hOI's de pair, au milieu de nous,
qu'on trouvail nalme! el juste l'intervalle qu'il laissaiL enll'e nOli." et lui. - Dans ce rare jeune homllle,
taules les qualilp.s de l'esprit el de l'¡)me semblaienl
8;'èll'e u(:cOl'dées pour le rcndrl~ accompli, La naLure
l'avail cloué de cel extérieur que l'on croirait. devoir
exerç.aient la mèl1le professiou'; pel·"onn" ne pouvait lellr
dispute!' la palme de l'éloquence.
Allaienl-ils écoul"r les
conseils pel'fides ¡('une honleu;;e jalou!'ie '! :\'on, ils étaient
fnit;; pOUl's'cslime!', el il s'établil entre eux une société de
confiance, de lumii'l'es et de conseils, Ils ne cherchèrent
qu'à se donner un appui muluel, non seulement dnns la carrii'I'e du barreau, nUlis encore dans la recherche des pla~.es
Ics plus importantes de la Hépubli'jue, - Faut-il rappelel'
Vil'gile el Horaee '? Quelles limes eurent. jamnis plus de
c.andeur, pOUl'employer Ilnc expre;;sion de ce demiel' poète?
Vil'gile fit. connai"'e HOI'ace il Mécène sans crainle de se
donnel' un rival, sans redouler que son ami nl' Illi enlevât.
Oll du moins ne pal'tageàl avec lui l'estime el les faveurs
d'un minislre si puissant. - Quelle amitié enfin fllt plu!';
intime el plus féeonde que celle ,le (,(plhe el dI' Schille!'
<¡IIi, séparés d'lIl1ord pal' la di\'er~il(, de" tnlents et des caraclèl'e~, se compril'enl, s'estimèl'l'nl
el "e Iièrenl de telle
sorte 'lue, si le pl'en1iel' reconnaissail
de\'oir ses meilleures
inspiralion", :\ Schillc.', celui-ci l'apportait à l'inl1uence de
Gœlhe ses plu!' helles WU\'I'C".
PSYCHOLOGIE
DE L'É~[ULATlO1'i
13
être l'éservé au mérite. Sa figure était noble et douce,
sa taille haute, son maintien grave, son air sérieux,
mais serein. Je le voyais aniver au collège ayant
toujOUl'S à ses cùtés quelques-uns
de mes condisciples, qui élaient fiers de l'accompagner.
Social avec
eux sans être familier', il ne se dépouillait jamais de
celle dignité que donne l'habitude
de primer entre
se;; semblables. La croix, qui était l'empreinte
de
celle pr'imauté, ne quillait point sa boutonnière;
pas un même n'osait prétendre à la lui enlever . .Je
l'admirais. j'avais du plaisir à le voir; et toutes les
fois que je l'avais vu, je m'cn allais méconlent dl'
moi-ll1ème. Ce n'était pas qu'à force de travail, je ne
fusse, dès la. troisième, assez distingué
dans ma
classe; mais j'avais deux ou trois rivaux: Amalvy
n'en avait aucun. Je n'avais point acquis dans mes
compositions
cette constance
de succi's qui nOlls
étonnait dans les siennes, et j'a vais encore moins cellI'
mémoire facile et SÛI'edont Amalvy était doué. Il était
plus âgé (lue! moi; c'était ma seule consola lion; el
mOil ambition élait de l'égaler lorsque je serais à son
âge. En démèlant, Rulant qu'il m'est possible, ce qui
se passait dans mon âme, je ¡mis dire avec vérité que
dans ce sf.'ntiment d'émulation ne se glissa jamais le
rr.alin voulai.' de l'envie; je ne m'aflligeais pas qu'il y
eÙI au monde un Amalvy, mais j'aurais demandé au
ciel qu'il y en eût deux, et que je fusse le s'~cond '.»
1. Mémoires,
livre
l".
14
Si l'on recherchait comment il se fail que l'émulation Jég-énèl'e parfois en jalousie, il semble qu'un
amOUI' de soi excessif, un besoin Je domination,
Ull
espt'it étroit ou un naturel méchant en sont les
caw;('s les plus ol'dinail'es.
La r¡volité, autre égarement de l'émulation, apparail lorsque le pt'ix à conquérir
se tl'Ollvant unique
(leIs le pomoir, une dignité. une charge, une dlcompense, IltC.) ne peut être ootenu qu'illacondition
d'en
priVt~r les autres. Celte circonslance est susceptible,
au reste, de se rencontrer avec l'émulation, sans en
altérer la nature, quanù les ¡)rncs sont génél'euses.
« Tenùre au même out, fl'anchement,
hardiment, c'est
le fait de deux amis sincères, proclame un personnage
d'Hoffmann I; et le laurier qu'obtient
le vaÏtHlueur
honom aussi le vaincu. Se disputer le même pl'ix
avec ardeUl', mais sans user J'aucune fraude, d'aucune al'1'ière-pensée, n'est-ce pas II' vrai moyen de
resserrel' les liens qui unissent deux cœurs. ail lieu
de les sépal'er? Dans ces cœurs nobles peut-il y avoi l'
de la place pour les petites jalousies, ou pour la
haine dissimulée?
Chez les enfants. nalures justes, cundiJes encore
et le plus souvenl désintéressées,
il est assez l'are de
voit' l'émulation
dégénél'er en rivalité. Nous avons
)1
1. Voy. Le Tonnelier de N/lremberg, ch. \ •. - Frédéric el
Hcgnaull, deux compagnons, se disputeut la main de Hose,
fille de maitre Martin, le tonnelie¡'. - (:r. les déclarations
de Filippo dans le 1./1thia ,f¡- Crémollr, seènes \ et ~l.
PSYCHOLOGIE
DE L'~:MULATION
15
lu le témoignage que se rendait Marmontel. Faisant
appel il sa pl'Opre expÓrience, et invoquant ensemble
celle de tous les hommes à qui le temps de lenrs
étLdes ne rappelle que de chers souvenirs, Feuillet
s'é~rie: « Le désir de nous distinguer dans les concours n'engcndrait
ordinair'cmenl
parmi
nous ni
haine ni envie, quand les forces des concurrents
n'ét~ient. pas disproportionnées.
SÛrs àlors qu'une
rigoureuse
équité prononçait
le jugement
d assignait. les rangs, le plus souvent notre voix prévenait
celle de nos juges, et leur;; déeisions recevaient ainsi,
de nos propres sufl'rages, une sanction q ti i nous associait en quelque sorte ;\ la gloire des vainqueurs.
Rien n'oll'cnsait dans ces passagr-rcs distinctions;
J'abord parce qu'elles étaient mél'itées et. que nOllS les
sa vions être jusles ; puis parce qu 'elles Il'cntraînaient.
avec elles ni inégalité de ra:lgs, ni droits exclusifs,
ni soustraction
à la loi commune. La bienveillance,
l'estime était allachée à la possession du prix; mais
elle se répandait aussi sur ceux qui l'avaient ùispelé. Le travail avait obtenu celle première place;
le tl'av;lil était là, qui donnait il chacun les moyens
d'y Pl'étendre de nouveau el de l'occupel' à son tOUl' ;
on retournait
gaiement
au tl'avail. Il y a plus, les
bennes amitiés, ces liaisons franches et sans ('éserve
den t parle Quintilien,
et qui, commencées
si pr(\s
du herceau, ont quelquefois
résisté aux orages el
mèmc aux pl'éjugés de la société, les amitiés dl' ('()///\(/£" ne SI' contractaient
guère qu'enlt'c él/>yes à
i6
peu près de même fOI'ce, habitués à sc disputer la
palme, à l'obtenir tOUl'à tOllr. L'estime récipI'oque gui
résultait de celle vicissitude de "icloire,; et de dé·
faites, amenait un nouveau genre de l'appol'ts plus intimes, plus afl'eclueux, et servait de fondement à des
liaisons durables.Enfin
l'envie, la haine,s'il est vrai que
ces lt'isles passions habitassent
parmi nou"', allaient
probablement
chel'chel'leur
unique domicile dans les
derniers I'angs, à cùté de la paresse et Je l'apathie t. "
Trop souvent, au (~ontraire, chez les adultes, à qui
toutes sortes de causes sociales, conflits d'amoUl'propre, J'inlél'êts, de passions, peuvent faire oublier
les sentiments d'équité el de bienveillance
qui devraient modérer la lutte pOUl'Ia vie, on ne rencontre,
au lieu d'émulation,
qu'une âpre rivalité.
II est facile de noter .les cal'¡.¡clèr,es pal' lesquels
diffèrent ces deux sentiments
L'émulation véritable
ne comporle
aucune
question
Je personnalité;
même quand elle est le Jésil' de surpassel' autrui
elle songe surtout à bien faire, à I'éussil', à mél'iter
l'approbation;
au lieu que le I'ival s'en prend à la
personne dont les intérêts sont en luUe avec les
siens, el cherche moins à s'élever lui-m(~me qu'à la
rabaisser, à brillel' à ses dépens, à jouir de sa défaite. Les émules luttent loyalem/"lnt et à armes courtoises; les ri,'aux se soucient peu des moyens qui
leUl' permettent
de supplanter
leurs aolversail'es,
1. Ouu. cité,
pp. 77-78. - Cf. F-:ssai (/'illst/'llcti<Jfl
1813, p. :lïO el suiv.
Devoirs, 2' édit. Paris,
,,<,¡¡"ale
IHI
t~s
PSYCHOLOGIE
,,
17
DE L EMULATION
L'émulc regarde comme un bonneur d'avoir luUé,
queje que soit l'issue de la lutte; le rival n'envisage
que lé résullat et estime que la défaite est un déshonneu!', L'émule, inslr'uit pal' l'insuccès,
et souvenl
mène encollragé IOI"S(IU'iln'a pas ét~ trop inf{lI'ieur,
recommence la lutte; le rival cher'che it nuire it son
yairqueur
et il dépréciel' lout cc qu'il. l'ail. L'émulation suppose l'estime entl'e concurrent!;;
la rivalité
ne \a pas sans quelque jalousie, Enfin l'amitié peuL
existel' entl"e deux émules, ils peuvent êtl"e généreux l'un pour' l'autre; deux rivaux sont toujours
deux adversaires,
« UasUaL et Proudhon
étaient
d'opinion dill'ér'ente en matièr'e d'économie politique.
Ils étaient en luLle permanente,
mais chacun d'eux
était pCl'suadé de la sincél"ité de son advcl"saire, et
ils avaient tous deuJi l'assul"ance que de Icul's discussions sOl'til"ait la lumière, Le joul'l1al de Bastiat fut
supprimé;
Pl'Oudhon, loin de pl"ofitel' du silence
fOl"cÚde son contradicteur,
lui demanda <le conliIlUel' la lulle, Vous ne pouvez plus, lui dit-il, m'attaqucl' dans voLre journal'? Et bien, vous m'attaquel'cz duns le mien. Et la mème l'cuille imprimait
l'allaquc el la riposl.p. Un rival pn pareille occurI"Pllœ rUt'ail saisi I'ol:easion de triompher sans coup
f(;l"i' pl se /'ÙL('éjoui de voir SOll ennemi réduit à l'impuis..;allce. " (Larrive,)
On accusc quclquefois
l'émulation
d'engendrer
l'(lIl1l,iti(JI/,
Eu réalité, ce sont deux sentiments assez
pl'oehp-., ; taules deux dérivcnt de l'amour de la préQULYI\AT.
-
L'¡::mulalion.
2
18
L " BIIIULA TIO!>
éminence. Mais ln pn:mière consiste il se distinguer
parmi ses égaux: c'est ainsi une ambition qui se
compare à autrui, qui rivalise avec des ambitions
concurrentes,
tandis que l'ambition
pl'Oprement
dite est essentieHcment
un désir d'agrandil'
notre
condition, d'accl'oîLre notre pouvoir, et elle aspire à
remporter
Ic succès plutôl pOUl' en jouir que pour
dépasser
les autl'es, C'est un penchant
naturel
comme I't:mulation, qui se manifeste seulement avec
moins de fOl'ce dans l'enfance, mais qui se rencontre
chez Lout homme, exception faiLe du sage convaincu
de la vanité de toutes choses.
Quelque parenlé qu'il puisse y avoirdu reste entre
elle et l'émulation,
ce ne serait pas une raison pour
pl'Oscrire celle-ci. Contre l'ambition
se sont él~vés
de tout temps les moralistes qui, lui reprochant
les
maux qu'elle a causés, ont tenié par tous les moyens
d'en tal'ir la source ou d'en al'l'êter le COUI'S. Mais il
y a ambition et ambiti·on. On nous représente l'ambilieux unit!ucrnent préoccup~ d.u soin de son élévation, sans souci du mérile el des droits des aulres,
en qui il ne voit que des JIlstrumenLs de ses desseins,
se frayant un ehemin au prix d'iniquités
de toute
sOI'le, renversant sans pitié quiconque se tr01l\'e sur
son passage, ne reculant devant rien pour arriver à ses
fins, jouanl et trahissanl ses amis, flattanl, pour les
dominel' un jour, ceux qui sc trouvent placés plus
hati l, et brisant ensuite, quand il est le plus forL,
ces instruments
maladl'Oits de sa puissance. Voilà
PSYCHOLOGIE
,,
DE L E~IULATIO:"í
19
hien le porU'ait d'un « arriviste"
sans scrupule,
d'un Julien Sorel ou cI'u II Raslignac J. Mais ilne saurail convcnir à tous lcs ambiticux. Du colporleur qui
aspit'e à devenit' boutiquier au parlementaire
qui visc
aux plus hautes ch3l'ges de I'Elal, l'ambilion
est,
en dlel, susceplible d'une infinie variété dans ses
modes; et clic eomportc, quant à sa valcur morale,
une foule de degrés: ainsi, depuis l'ambition
qui,
sous les empereurs J'Orient, rampait ou égorgeait il
Consfantinople
pour s'emparel' de l'autorité souveraine, jusqu'à celle qui, dans Rome libre, n'oblenait
les premières magislratures
qu'à force de services et
nc voyait dans celles-ci que le dl'oil dc se dévouer
avantlous
pour le salut commun, t, on peut remonter
tous les degrés qui séparent les vices les plus coupables des plus hautes vertus, sails sortir en quclque
sorte du même sentiment 2. "
Ne re~arJant
comme digne de cc nom que l'ambition d'un ordre relcvé, Bacon en distinguait
lrois
sortes: « La première, disait-il, c'est de gouvcrner
un pcuple et d'en faire l'instrument
dc scs desseins ;.
la seronJe, c'est J'élever son pays et dc lui assurer
la suprématie sur lous Ics ault'cs; la troisième enfin,
c'esL d'élever l'humanité tout entièrc, en augmentant
le l:ésor des connaissances
humaines 3. » Prévost1. Voy. dans Le p,\re Goriol, de Balzac, les conseils
trin Ú Rnstignac.
2. L. FElfll,f.I;]", Otll'. eit,', p. 122.
3. Essais de /I,orulr el de politique.
de Vau-
20
,.
L EMULATION
PUl'adol va plus loin. Poul'lui, l'ambition n'est aulre
chose que le désirdu commandement
ou de la gloire,
et le plus souvent de ces deux biens ensemble. Employer' ce mot pour désigner tout autre désir, c'est
l'avilir. Aceux qui vculent s'éleverdans le monde pour
amasser des richesses ou des plaisirs, qu'on donne le
nom d'avares ou de voluptueux. Appelons vaniteux
celui qui yeut seulement faire illusion au vulgaire
el qui se console ais;~ment de n'être rien, pourvu
qu'on le cl'oie quelque chose, mais l'éservons le nom
d'ambitieux « pour cellx qui ont aspiré pal' des chemins légitimes à la réalilé du commandement
el à
la réalité de la gloil'e », pour un Thémistocle, un PéricU's" un Scipion. « Ce désit' du commandement
ou
de la gloire vient du fond même Je notre Nre; il
sOl'l de la Illt~me source que tOilS nos autres désirs,
mais il estle jet le plus puis,sanl et le plus élevé de
celte source intar'issable, Dtísirer le commandement
ou la gloire, c'est vouloir s'étendl'e comme lc veut
toute créature, Mais œ besoin de nous étendr'e et de
n01l5 ag-randir, qui est. le principe de lous nos mouvements ici-bas, est d'autant
plus noble, qu'il se
dir'ige \'Cl'S lin ohjrt plus (dl'vé, et c'cst ce qui met
le désir dp, la gloire bien au-dessus de la soif des
richesses ou des plaisir';;. La gloire esl, en en'l'!, line
conquNe que nous faisons dans l'âme d'uull'lJi, une
plaee que nous occupons dans l'imagination
de nos
sem1llahles, ùe leur lilll'e consentement,
parce tju 'ils
jugcntljUe
nous la mél'iLons et paree qu'ils nl~ peu-
PSYCHOLOGIE
m:
1:F:~IULHION
vent se résoudre il nous la l'efuser ... Le désir du
commandement
a quelque chose de moins pur el. de
mo:ns élevé ([ue la gloire, parce qu'il se dil'ige vers
un bien réel et saisissable;
mais il a aussi sa gra nJeur, lorsque le commandement
est recherché pa¡'
Jes voies légitimes.
Désirer la gloire, c'est entreprendl'e SUI' l'imagination
des hommes;
d(~sircr le
commandement,
c'est enLI'eprendre sUl',leur volonté.
On cherche donc aussi il s'étendre pal' le commandement, mais d'une manière bien plus réelle et bien
plus sensible que par la gloire, Faire sienne la v.olonté de ses semblables, el par conséquenlleur
puissance etleur
pal't (l'action SUI' le monde, vouloir en
eux, agir pal' eux el accomplir par leur entremise
des acles si importants
pUl' leur nalure ou par leurs
effets qu'ils ressemblenl
à des manifestations
de la
puissance divine; quelle extension 'visible de notr.e
ètl'e, quelle multiplication
de nos forces, queUe 61éva:ion ou plutôt quelle transfol'mation
de la nature
humaine I ! »
Ainsi entendue, l'ambition
n'est pas le fail d'une
âme médiocl'e. Or, de mème que ce nOI11est expressément réservé ici à la forme élevée d'ambition qui
consiste à I'echercher le commandemenl
et la gloire
par des moyens lég'Ílimes, la plupaTt des éducateurs
s'accol'dent il ne <Iouner le nom d'émulation
qu'à la
poursuite
d'une qualité louable,
qu'à l'amour du
1.
263.
I'nÉYOST-P."IAOOI.,
l~ludes sur les lIloralistesfrançai",
pp. 259-
22
L'ÉMULATION
mieux. « L'émulation,
écrit no~amment H. Marion,
est à part entre toutes les formes que revètl'esprit
de I'ivalité. Le mot ne se prend qu'en bonne parL Il
désigne, à J'encontre de la jalousie et de l'cnvie, le
désir adif et gént\reux, le besoin avoué et même
noble d'égal~r d'abord, de sUl'passer s'il se peul,
loujours pal' de bons moyens, les mérites, les talents,
les succès d'un autre, eu ce qu'ils onl de pl'Ofondément honorable l. » El (J. Compayré : « Quand l'émulation est ce qu'elle doit être, un sentiment noble et
fier, il s'y mêle toujoUl's une aspimtion secrMe vers
le bien lui-même, quelque chose du pur amour de la
perfection, Assurément. l'émule veut avantl.out égaICI'ou sUl'passer son concurrent, mais il poursuit un
idéal2• » Nous pensons plutôt qu'il en cst de l'émulatión comme de l'ambition;
elle peul être bonne
ou mauvaise suivanlle but poursuivi et les moyens
employés. Mais celte distinction n'a de valeur qu'au
point de vue moral; et si le l'Me de l'éducateur,
ainsi que nous le constaterons
plus loin, esl. de diriger l'émulation vers line fin utile ellouable,
pOUl' le
psychologue
J'émulation est un fail bien plus général et, au fond, tOUjOUl'Sde même nature,. savoir le
dési¡' d'égaler ou de dépasser ses semblables dans la
poursuite d'une fin, quelle que soit la valeur mOl'ale
de eelle tin. Aussi bien qu'cntre honnêtes gens, il .
peut y avoil' émulation
enh'e scélérats, comme on
1. I:Éd!lration
dans I'Ulliver,~ité,
2, r:ol/rs d,' péda[/o[/ie, p, 4:\:1.
p. 280,
PSYCIlOLOGlE
DE L'É:o.IULATlO"
23
voil dans Olivier Twist les jeunes élèves du vieux
Juif rivaliser d'adresse au vol il la tire l.
Les principes
d'action
auxquels
obéissent
les
hommes peuvent se réduire d'ailleurs
¡\ un pelit
nombre, Nous vo)'ons les uns s'inspirer surtout de
leur intél'êt; d'autres agi5sant, comme on dil, pour
l'honneur,
rechCl'cher
les dislinctions;
certains
lâc!her plutôt de se faire aimer, de se rendre favol'able leur entourage;
d'autres enCOI'C, guidés par
leur raison, accomplir
leur devoir, faire le bien
parce que c'est le bien; quelques-uns
enfin, au ban
de la sociélé, ne songer qu'à exploitel' leUl's semblables el qu'à mal agir, Aulanl de molifs el de
mobiles capables d'exciler l'émulalion.
Aussi est-ce
avec grand sens que Jacoulet a montré qu'enlre
enfanls, dès l'école Pl'imaire, peul appUl'aill'e une
émulation
pour l'affection,
pOUl' l'honneur,
pour
l'argenl, pour le bien et même pOUl' le mal.
Qui ne sail, dit-il Z, parmi ceux qui ont vécu avec
les enfanls el pour en avoir été mille fois touché,
que leurs premiers essais, leurs premiers ell'orls onl
pour principal mobile le désir de contenter, d'ohtc(I
1. Un vulg[lire r.oquin ne peut-il r.hercher à égaler d'abord,
à surpasser ensuite un coquin plus expert, qu'il reconnaît
supérieur à lui et dont il apprécie le mél'ite, en qui il remal'que une perfection (de coquinerie) (lui lui manque et à
laquelle il se plaità rendre hommage, qui ne mauifeste point
à son égard ulle rivalité jalouse et ne cherche point à le
déprécier,
mais l'exalte comme un modèle admirable à
SlIÍ\ re, etc, Ne se conduit-il
pas alors en véritable émule?
:,l, Loc. cil., pp, 831-832,
L'ÉMCLATION
nit un sourire de leur mère, de recevoir une caresse
de leur maitre ? .. C'est ce qu'on pourrait appelerl'émulation pour l'affection ... Bientôt après; I'école
fera naître une autre sorte d'émulation
qui, lout
au:ssi naturelle au cœur de l'enfant, ne l'abandonnera plus tant qu'il restera écolier, et l'accompagnera pendanl Loule sa vie: c'est l'émulation POlI,..
/' honrtellr
(c' est-à-dil'e
en vue d'obtenir
quelque
récompense,
quelque
distinction).
Moins désintéressé et moins Louchant que le premier, ce sentiment
sera plus persistant, plus énergique et lui aussi d'ime
noble essence. C'est à lui que s'adl'esse le plus volontiers l'instituteur,
car il en attend principalement
les l'l'agrès el les succès de ses élèves. » Quand la
récompense
revêt un caractère
pécuniaire, .....parexemple, quand clle apparall sous la forme de livret
de caisse d'épargne,
c'esl alors l'énm/ation pOlIr
l'argent, « qui devient vite et très souvent une émulation malsaine». Le maitre qui expliquera aux plus
âgés de ses élèves, à ceux qui sonl en état de comprendre, que
s'il est légitime, quand on fait son
devoir, de prétendre
à une I'écompense,
il arrive
souvent que celle récómpense nous échappe, parce
que la justice humaine, même sur les bancs de l'école,
n'est pas infaillible, et qu'on doit par conséquent s'habituer de bonne heure à la rechercher en soi, dans
la satisfaction
intime que donne le sentiment du devoir accompli;
que d'ailleurs
le bien et le deTail'
sont aimables par eux-mêmes, et que nous sommes
(I
PSYCHOLOGIE
DE ¡,'ÉMULA TION
25
obligés de -fail'e le bien, parce que c'esl le bien,
sans qu'il soit besoin de l'appât d'une récompense
pOUl' nous J déterminer»,
ce mallre-Ià éveillera dans
I'flme de ses élèves l'é"mla/ion pour le {lien,Ia plus
éle\'ée el la plus pure de toules. Enfin ne voit-on
pas nallre trop souvent pendant l'fige scolaire et se
développcr
pendant I'adolcscence
une autre sorle
d'émulalion,
détestable
celle-là el susceptible
de
pl'Oduire plus tarcl, si l'on n'y prend garde, les plus
funcstes eO'cls? Comme l'enfant « peut meUl'e de
l'émulation à dépasser ses rivaux dans les bonnes
choscs, il en met aussi à les ¿evancer dans les mauvaises ... Il est encol'c tout poli t, el il veul faire cc
que fonl les grands, el, commc lc mal cst plus facile
à imiter que le bien, si Ics g1'3nds onl de mauvaises
habitudes, illes prend Lien vile el s'applique
fi les
oul1'er; si les g1'3nds font une sottise, il mel son
amour-propre
à en Caire une semblable, el, s'il se
l'cul, une plus lourde encore .. , » C'esl là l'émulation
pOil/' le mal, qui, sollise
chez l'enfant, peul devenir
plus lard un grand danger social.
Mais, de ce que l'émulation est susceplible d'excès.
doil-on pour cela la proscrire?
II n'est pas une seule
de nos inclinations,
même les meilleures, qui ne
puisse devenir dangereuse.
Qu'esl-ce,
entre autres,
que I'Ol'gueil, le fanalisme,
le chauvinisme,
sinon
des exagél'Utions de nos sentiments les plus nobles?
Fa'Jt-il donc chcI'cher à délruire toutes nos inclinations, comme lc voulaienl jadis les stoïciens? Ce
26
,.
L EMULATIOl'(
sel'ait, suivant le 1110tde La Fontaine, « ôter à nos
cœurs le principal ressort ». L'émulation est une
fOl'cedont l'éducation a besoin, comme le mécanieien a besoin de la vapeur, mais qu'il peut et doit
Jiriger.
CHAPITHE
II
LES ADVERSAIRES DE L'ÊMULATION
Objet de l'éducation, d'après Port-Royal.
- Les Petites
E~oles, - L'émulation proscrite pal' les Solitaires, - Opinion de Pascal et de Sainte-Beuve, - L'émulation est-elle
une source de vanité el d'ol'gueil '? - Opinion de Quintilien, de Rollin, etc, - Condamnlltion de l'émulation pal'
Housseau. - Education utopi'¡ue d'Emile, - Arguments
de Rel'l1ardin de Saint-Pierre
contre l'émulation:
1" Elle
est un stimulant factice; 2" elle est la racine de l'ambition;
H' elle pousse à la I'echerche
des distinctions
et des
honneurs;
4" elle fail des hommes à la fois des tyrans et
des esclaves;
:,' elle engendre la jalousie el la haine,
- Critique de ces arguments, - Les Écoles <le la Patrie
substituées
aux collèges, Fausselé
des tableaux, Hetour sur la vraie nalure de l'émulation, - Les néo-criti'lues de l'émulation et leurs arguments.
J::t cependanl, pOUl' des raisons diverses, certains
philosophes
et pédagogues
ont condamné l'émulation.
On sail ùe quelle manière les maUres de PorlRo)'al concevaient
la nature humaine.
POUl' eux,
¡'homme est un êlre déchu; il a été vicié par le
28
péché ol'iginel. Sans doute, le baptêmc lui rend l'innocence, mais celte innocence
est frag-ile; milIe
dangers la menacent; auLoul' de lui le démon l'ôde
et s'ingénie pour ressaisir celte proie qui a été
sienne; el comme les enfants qu'il attaque sont incapables de le combaUre, c'est au manl'e qu'il appal'tient de veiller pour eux. Voilà le but de I'édur.ation,
qui doit consel'vel' l'innocence
baptismale,
«
défendre celle pureté contre la concupiscen\:e,
r,'està-dire r.onlI'c toutes les mauvaises
inclinations
de
leul' nature eOI'l'OlllpUe, contl'c I'envic du démon et
la rage qu'cxcite en lui Ic bonheur des hommes,
contre les ruses qu'il invente et les assauts qu'il'leur
livre l. »
L'objet de J'éducation
ainsi conçu explique pourquoi on écartait à Port-Royal,d'une
part, la vie de
collège, oil le contact d'uu grand norntJre (J'enfants
insuffisamment
surveillés faisait courÏI' à I'inno.oonce
trop de dangers;
d 'autre part, \' éducation privée,
dans la famille, où les enfants sont trop is.olés 'cl où
la faiblesse des parenl.s rend trop souvent impuissanle la bonne volonté du maître. On préfél'ait le
système des chambrées où, à la campagne, dans une
maison parLi~ulièl'e, six enfants seulement étaient
réunis sous la direction d'un même ma Îtn'. C'est là
ce qu'on appelait les Petites Ecoles de Po rL-Royaldes-Champ.s.
1.
<:"1111.',
Les I'éda!l0!lues de Port-Royal,
IRLI'otucli.on, p. 16.
LES
ADVERSAIHES
DE L'É:\IULATION
29
Le salut primanttoul
à leurs yeux, il n'est gui~re
~lonnanl que les éducaleurs de Port-Royal, 50ucieux
de fOI'mer des sainls plutôt que des hommes au sens
vrai ùu mol, aient banni de leurs classes I'émulalion. Poinl de concours, poinl de ces lutles dans lesqt:.eIles on cherche à briller plus que les autres; rien
n 'esL plus propre à ~âler l~s caractères el à délourner l'Ume de sa fin. Mais Pascal nous a fait connaît re
le résultal de celle éducalion. (( Les enfanls de PortRoyal, auxquels on ne donne point cel aiguillon
d'envie el de gloire lombent dansla nonchalance 1. »
Faul-il s'en étonner?
« Quand
il y avail quelque
bien dans quelqu'un de ces enfants, lit-on dans lin
.~. I'c"$l:es, édit.
lIaY~I, art. XX"
(¡G. Sainte-Bcuye
le
reeOlllW It. ,,:\Ialgré
lellr célébrité,
écrit-il,
les I~(;ule;; de
Port-lIoyal
n'ont pas eu de brillant,
et elles n'ont fieuri qu'il
leul' manière
et selon leul' espl'it, c'est-à-dire
à !'ornhl'e.
Racine lui-mème
n'a si fort brillé qu'en
y étant
infidèle .••
(J)orl-Royal,
t. II l, p. 4\19-501).) A Saint-Sulpice,
de Paris,
• (fui l'appelle le mieux Port-Royal
"et où " la premii~re rÏ'gle
de III compagnie
est d'abdiqucr
tout ce qui peut ,.'appcler
talent, ol'iginalittÍ,
pour se plier à la discipline
ù'une communc lIIédioel'ité
)l, le régime
des études,
au témoignage
de
Rcnan, ahoutissait
¡'¡ des résultats
assez semblllhlcs
: « Lc;;
ùil'l~d('U1',; mènent
exactemcnt
la vic des élèves et ~'o('cu¡will d'eux aussi pcu quc possilJ:c. Si l'on vcut travaille!',
Oil
y f'~t ¡ullllil'aiJlcment
placé pour cela. Si l'on n'y a point l'amoul'
ÙU travail,
011
peut
ne rien faire, et il faut avouer qu'un
gl'flntl nombr'e uscnt largcment
de la permission.
Les intcrI'o¡.:ations,
les examcns
sont presllllc
nuls;
l'émulation
n'existe
;'¡ aueun
degré ct sel'ait tcnue pOUl' un ma l. Si l'on
c;IC}~iùèrc j'âge des élhes,
cn moyennc
de dix-hui\ il villgtquatre ans, on pcut trouve}' «u'une tellc réserye est pre,;«ue
exag-él'ée. Ellc nuit. sûrement
<lUX études.
" (SOlil'l'lli,'" ("I'Iljl'"l'(' cf dl'jl'l/lle.'.<e,
IV,)
:.¡o
entrelien lransmis par Fontaine, M. tie Saci me conseillait toujours tic n'en point parler et d'étoulTer
ceci dans le se(:ret: « Si Dieu y a mis quelque bien,
« disait-il, il l'en faut louer et garder le silence, se
« conlentant de lui en I'endre dans le fond du cœur
« sa re~onnaissance.
»' Sainte-Beuve,
l'apportant ces
pawles, remarque: «L'émulation
pour ces Messieurs
(de POl't-Royal) était là: l'action de grâces, c'cst-àtlire la louange secrète au sein de Dietl. .. Aujourd'hui
nous sommes bien loin de là. L'émulation
règne
partout.;
elle OBt devenue
la maxime publique,
avouée: « Ayez de l'ambition, messieUl's, il en faul,
« et nous en avons tous I »; ainsi s'expriment
haulement devant nos écoles les chefs les plus illustres,
donnant à la fois le précepte et l'exemple, « Trahi« mur omnes laudis studio, disait Cicéron, et optifllllS
« qnisqlle ma::cime gloria dllcitlll·2, » Les paroles se
ressemblent:
est-ce à dire que nous soyons r'evenns en elTet à ce même noble culte des anciens ... ,
à cet àg-e héroïque où l'ambition
du moins étàil
celIe des grands cœurs, et où l'idée de la gloire
n'était point sépal'able de celIe de la vertu ~ '? Quoi
1. Pat'oles de Guizot.
2. l' Tous nous sommes enlrainés par J'amour de la gloir'e,
et cet attrait est d'autant plus puissant que l'âme a plus
de nohless~. » (Plaidoyer pour Archias, XL)
3, « IJui méprise la gloire, écrivait Tacite, méprisera bientÔt la vcrlu.
Et Plutarque
flétrissait
les hommes qui
« étaient
de nature assez lâche et assez nonchalante pour
n'èll'c point excités il la vertu par le désir d'honncur. »
l>
LES
ADVEHSAIRES
DE
L'É\lULATIO:,,\
31
qu'il en soit.. la société modcmc, en conviaut lOlls
indistinctcment
à l'éducation la plus recherchée,
et
cn p\'ovoquant da~s le cœur de chacun ce cri irrésistible: POl/l'qlloi pas moi? a complètement retourné
la queslion, au rebours dc ce qu'avail
voulu un
cht'istianisme austère i. »
Sans doute, mais nolre but n'est pas le mêmc ;
nous ne cherchons pas à former .des solitai\'cs. Ce
n'est pas pou\' le CIOîtl'C, c'cst pOUl' la vie que ntlus
élevons nos enfanls, et c'est. à elIc par conséquent
que nous dcvons songer.
L'émulation d'ailleurs est un sentiment si natmel
que, pOUl' J'étoufl'cr à Port-Royal, il a fallu groupel'
cinq ou six enfants senlcmenl; encore étaicnt-ils une
élite. Sans quoi, malgré Ics pl'écautions de lelll's éducateuI's, elJc n'eût pas manqué dc pamilre ¡} un momenl donné. C'cst J'opinion de SainLe-Bcuvc : « Il cst
l1'i~sprobable, dil-il, quc si les Écoles avaient subsisté
eL avaient continué de s'accroître, on n'aumit pas su
constammenlles
garantil' de louLe influence d'émulat.ion litlérail'e et de tout scntiment d'amour-propre.
Du Fossé parlant de ce premicr temps où l'on était
à Paris dans lc cul-de-sac Saint-Dominique:
«( Comme
« notre classe, dil-il, était composée
dc ceux qui
(' étaient les plus avancés dans les étudcs, nous faiu sionsdesdéfisd'émulation
les uns conlre les autrcs.
u C'était
M. Dcschamps, gcnlilhomme
du pays de
1. OIlV. cité,
pp. 497-·199.
Caux, qui excellait particulièrementence
genre de
« combat, a'yant l'esprit vif e.t piquant, et une poésie
« très fine. J) Si les Écoles étaient restées à Paris, dans
une seule maison, en vue des Collèges de l'Université et de eclui des Jésuites, l'esprit d'émulation
aurait probablemcnt
gagné, il aurait pénétré à travers les murailles. La dispersion et la vic de campagne
ralenLirentle
mouvement t. "
L~ grand rcpl'oche que font les éducatelll's de
Port-Royal à l'émulation,
c'cst de détourner de l'humilité chrétienne
et, dans l'ivresse du triomphe sur
ses éga ux, de conduire à la conrupi.~cence d'esprit,
d'être en un mol génératrice
de vanité et d'orgueil.
Aussi s'intcrdisaient-ils,
avons-nous vu, toute louange
il l'égar,l d'un enfant~. « M. de Saint-Cyran
craignait
l'émulalion
sans 1/l.fJralité, comme nous dirions. Il ne
«
1. (Jill'. cité, pp,198-4~!I. Picrre-Thomas
Ùll Fo~~é, élèvc à
Port-Hoyal-dcs·Champs,
éCl'it dans ~es .l/,'",o)rr,: " On
son~ea il nous cnvoyer' à Pariô \ ltHii-17), où nous devions
ètre d'autant mieux pOlir nos études quc l'émulation d'lIll
plus grand nombrc d'écolicr's nous 'cxciterait à éturli(~r avec
plus d'ardeur ..•
:l, « Par ce silence caklllé,
remarqlle (i, Compayré, on ::lC
mcLlail en gm'de cont.rc l'orgueil;
mais, si l'orf"ueil cst à
craindrc, la paresse l'cst-elle moin.;'~ El, lor::lqu'on évite à
dessein d'aigllillonncr l'amour-propre par l'appât dcs récompen5'~s, par lin mot louangeux placé à propos, on risque
fort oIc ne pas surmontcr la mollesse nat.urelle de l'enfant,
de n'obtenil' dc lui aucun errort ;;érieux ... l'al' lit, les jallsénistes SOllt inférieurs aux j,;suites, f(lIi, avcc moins d'':'I'',vation, mais pIllS dc finessc, onl, compris pal' quels moycns,
par 'luels '~III'ourageJllents an~onlés il. l'amour-proprl',
il
fallait cxcitcr el stimuler la nalurc humaine,' .• ¡lli"lo;r •. criti'l"e ,ft,,, doctrines de 1',<,lucatiol! en FranCt', L. /, p. 27 1.)
LES ADVERSAIRES
3:i
DE L'É)IULATIOl'i
pouvait soufTrir, comme dit Lancelot, que dans l'éducation des cnfants on fit le capital des sciences et de
l'étude, en négligeantl'esprit
de piété. Il regardait
cette façon d'agir qui dès lors avait cours dans l'enseignement public, comme une grande faute et en'vers l'Église et envers l'Élat. Une telle conduite,
selon lui, sUI'chargeail
l'£'pouse de .Jésus-Christ de
minislresqu 'ellen'avail pain tappelés, etsul'chargeait
allssi la Hépublique
d'une infinité d'oisif~ qui se
croient au-dessus de tous depuis qn'ils savent un pen
de ¡atia, et qui penseraient être déshonorés
s'ils ne
désCl'laient la profession paternelle:
ce sont ses propres termes t. »
,
La vanité est un besoin d'oecuper nos semblables
de nous el de nos avantages, avantages du corps, de
la naissauce, de la fortune; l'orgueil, exagération du
sentiment· de la dignité personnelle,
consiste dans
une haute opinion de notre propre mél'ite et nous
porte, il mépriser les autres. Or, il est possible que
ces deux vices proviennent
parfois d'un égarement
de l'émulation;
mais ils sont encore plus le fruit de
l'éducation privée. Dans celle-ci, touttermede
comparaison faisant défaut, on est porté à exagérer ses
talents, tant par un efTet de la complaisance
que
chacun a pour soi-même que par une suile naturelle
des louanges que leur accordent ceux qui les ont fait
naitre: on en ignol'e la valeur relative, par cela
1.
SAJ~TE-BE¡;\E,
Ql"EYIIAT.
-
Ouu. cité, pp. 496-497,
L'Émulation.
3
34
même qu'on ignore les relations d'égal it égal. (( II
en est tout autrement dans l'éducation publique, eellequi comporte l'émulation
dam; toute son étendue,
mais en même temps avec tous ses correctifs, Aussi,
est-ce là que les talents sont ordinairement
accompagnés de modestic, parce que c'est là que la crainte
des revers doit à chaque instant inquiéter la gloil'e·
des succès, et que le but à atteindre s'élevant touJOUl'S cn raison de l'augmentation
des forces, on
trouve le plus souvent, dans la conscience même de'
ses efforts, le meilleur J'cmède à l'exagération
de ses
moyens. L'orgueil est, en quelque sorte, pour l'âme·
un état de repos, incompatible avec ceLLe agitation
continuelle, ce désir du mieux qu'y entretient le'besoin de l'estime, l'émulation.
Celle-ci suppose (les.
égaux qui peuvent vaincre comme être vai,ncus, et il
n'ya pas là place pour l'orgueil. 1\'ous imaginons.
qu'on ne confond pas avec ce sentiment, celui qUt
fail qu'on se rend justice, qu'on sent son mél'ite et
son pl'ix, qu'on jouil déjà des avantages et des douceUl'S d'une bonne conscience. Celt.e confiance mo-·
dél'ée, mais en même temps franche et ouverte dans·
ses fo~ces, est peut-être ce qu'il y a de plus imporlant :'t inspirer à un jeune homme destiné à devenir
un jour un citoyen l. ))
Quintilienjugeaildemême.
« L'éducationpubliql1e,.
écrit Rollin qui ne fait ici que le traduire, enhardit.
1.
FEl;IJ.LET,
M¿moirr cilt', pp. 62-('.3.
, ,
LES
ADVERSAIRES
DE L'É~IULATION
3~
Ull jeune homme, lui donne du courage,
l'accoutume'
de bonne heure à ne point craindre le grand jour, eL
le guérit J'une certaine pusillanimité
qu'inspire naturellement une vie sombre et retirée:
au lieu que
daus le secret et en particulier if languit pour l'ordinaire, il s'abat, il se l'Ouille, pour ainsi dj¡'e; ou bien
il tombe dans une exLrémité opposée, qui est de s'enfler d'un sot orgueil et de se mettre au-dessus des·
autres, parce qu'il n'a personne avec qui il puisse se
mesurer l. ))
1\..1orsque, pour les solitai,'es de Port-Royal,
l'enfant nail enclin au mal, corrompu, suivant Hous-
1. Voy.
de l'orakur,
liv. l, ch. Il.
liv. '"l (Du gou\'ernement intérieul' de.; classes). - Cf. Mme Neckel' de Saussul'e (L'éduel/ti<J1I Im}!Jres.,ive,
liv. IV, ch. 'llI); • 11 est de fait qu'il seforllle souvent dans l'éducation domesliqne une vanité plus
il'ri~llblc, plus aveugle et plusdéplacée que dans l'éducation
publique la mieux combinée pour l'exciter .• Et Dupanloup·
(I)e I'éducatioll,
l. Il, liv. V, ch. I) ; " Sans doute, l'émulation·
pl'ut devenir un mauvais amour-propl"e; mais la bonne édul:ation pllbliqup.y J'emédie facilement. L'amour-propre étroit,.
lIlisérable, croit au contraire et se développe excessivement
et ~;ms remède dans l'éducation privée ... ~Ie permellra-t-on,.
ajoute-t-il, de citer cc que :\1. de Talleyrulld écrivait autrefois, SUI' ce point Irés délicat, il lin de ;;es (:onlelllporains:
" Lol vie pl'îvée pl'oúuit, en général,
sur le caractère des
• hornllles ee què l'éducation particulière produit Bur celui
" des ellfllnt8; les intérieurs sont comme toutes le,; petites.
" pièccd, où toutes les odeurs, J'encens surtout, pOl'tent à la.
•• tète. ,,-Dulis un admirable discours ¡;UI' l'éducation publique, O. Gréard, rappelant ce mot de Talleyrand. ajoute ;.
• Ali grand air de ¡'éducation commWle, ces vapeurs se dissipent, et les chose,; repr'enllent leur mesure. Les écoliers.
ne s'étonnent pas qu'il y ait dans une classe des premier,;.
et dc.; derniers ... "
-
HOLl.n,
Qt:nTILlt;'i,
Trailé
De
d,os études,
l'inslitutioT!
,.
L E:\lULATION
seau, au contraire, l'homme est nalurellement bon;
c'estla société qui le dépt'ave. « Tout est bien sortant des mains de l'AuteUl' dQ.Schoses; t.out dégénère
enh'e les mains de l'homme. » L'éducation, avec ses
mauvaises méthodes, est l'instrument de cette perversité, parce qu'elle substitue nos pt'éjugés el nos
vices acquis à la reclilude originelle de la nature.
C'est elIe qu'il faut transformer d'abOl'd, si l'on veut
former des hommes selon que la nature les fcrait
elle-même. « POUl' élevcr les enfants, s'écrie Rous!'leau, ~n a imaginé l'émulation, la plus dangereuse
de tou les les passions, Voilà commenl, parti d'un
point tout opposé, ce philosophe sc rencontre avec
POI,t-Royal pour condamner un penchant si natlll'el.
({Jamais, dit~il, de comparaison avec d'autres enfants, point de rivaux, point de concUl'rents, même
il. la COUI'se,aussitôt qu'Émile commence à raisonner; j'aime cent fois mi~ux qu'il n'apprenne point
ce qu'il n'apprendrait que par jalousie ou par vanité l.
Housseau, à la vérité, s'est déjà demandé: « Mais
où placerons-nous cet enfant pour l'éle\'er ainsi
comme un être insensible, comme un automate? Le
tiendrons-nous dans le globe de la lune, dans une ne
déserte? L'écarterons-nous de' tous les humains?
N'aura-t-il pas continuellement dans le monde le
spectacle et l'exemple des passions d'autrui? Ne
l)
l)
J. Emile, liv. III.
· LES
ADVEHSAIRES
DE L'É)IULATION
37
ve;:l'a-t-iljamais
d'autres enfants de son âge? - Celte
objection esl forte et solide, Mais vous ai-je dit que
ce fût une entreprise
aisée qu'une éducation natul'elle? .Je sens ces difficultés, j'en conviens; peut-être
sont-elles insurmontables;
mais toujours est-il sûr
qu'en s'appliquant
à les prévenir on les pl'évienljusqu'à un certain point. Je montre le Lut qu'il faul
qu'on se propose; je ne dis pas qu'on puisse yarrivel'; mais je dis que celui qui en approchera
davantage y ama réussi l. ) Pour ce faire, Rousseau confie
son élève modèle, Émile, enfant riche, noble et orphelin, à un précepleur
qui s'attache
à lui depuis sa
naissance jusqu'à son mal'iage. Émile est élevé à la
campagne,
sans livres, sans camarades, dans une
situation,
comme on voil, toul arlifkielle,
Ainsi
Ii vré il lui-même,
il doil reCaire en quelque sOl'le
l'œuvre des siècles el inventer successivement
les
sciences, les arts, la l'eligion et la mOI'ale. Un lei isolemen! esl une chimère, et la siluation anormale où
Rcusseau est obligé de placcl' son élève pour le pl'éservel' des vices inhérents à la sociélé et nolammenl
de l'émulation, suffit à.montrer combien il sMail vain
de vouloir étouffer ce senliment, qui apparailnécessail'emenl dès que les enCants sont élevés en commun, Quand vient d'ailleurs le moment pour f~mile
d'apprendre
à eonnallre le monde, il faut bien que le
jeune homme se mêle alol's il la société; el aussitôt,
1. Emile,
Ii v. I I.
38
Rousseau est obligé d'en convenir, l'émulation s'empare de lui. « Mon Émile, n'ayant jusqu'à présent
regardé que lui-même, le premiel' regard qu'il jeUe
sur .ses semblables le porte à se comparer aveG eux;
et le premier sentiment qu'excite en lui CI'Ue comparaison, est de désirer la première place. Voilà le
poin t où l' amOllI' de soi se change en amour-propre l,
et où commencent
à naUre toutes les passions qui
tiennent à celle-là ... l'émulation,
les rivalités, la jalousie 2, » - ( Quoi que nous puissions faire, ajoutet-il ailleurs, ces passions natlront malgré nous dans
le cœur du jeune homme 3. ))
Rousseau lI'interdisait
pas cependant à son Émile
1. Au sens usuel du mot, c'est,..à-dire l'opinion avantageuse,
¡'amour exagéré de !';oi-lIléme,pilI' opposition a l'intérêt légitime que chacun prend Ù soi.
2. Emile, ¡iv, IV,
:~,Dans ::;es COllsidératioll"
,<1/1'le
Gouuerll"l1l<'lIt
de J'ologllc,
Housseau, prennnt plusconscience de la réalité, a consacrê
.à I'ÉduffilioN des citoyens de belles pages QÙ, sans crainte
(!e se dl-mentir. il a sagement écrit: " L'éducation natiollale
n'3pp3rlient qu'aux hommes libres; il n'y a qu'eux qui aient
une exi,¡lence <,omnWIlC, et qui soient vraiment lié!'; par la
3oi. ..
" On ne doit point permettre que les enfants jouent séparément à leur fantaisie, mais tous ensemble, de manière
(}u'ils aient 1/11 but COl11/1l1ll2 aI/qI/el tous a.<pirent, et qui excite
la concurrence et t'émulation.
Les parents qui préféreront l'éducaHon domestique) doivent cepcndant envoyer leurs enf~nts lJ ces exercÍ£es; car il ne s'agit pas seulement de les
occuper ... mais de les accoutumer de bonne heUl'e à la
1'6gk, à f¿glZlité, il It! frotenlilé, au;r; concurrences, et à désirer
l'approbation publique. Pour cela, il faut que les prix et les
récompenses
des minqueurs
soient déeernés par acclamation et au
jugement des spectateurs ... Ces idées monlrent de loin des
I_ES ADVERSAIRES
m; L'É~IULATION
:-\9
'loute espèce d'émulation; mais il l'invitail, nous le
'VelTons plusloin, à rivalisel' avec lui-même, à se
-su!'passer. Un úe ses disciples et admimteurs, Bernardi n de Saint-Pierre, esprit non moi ns romanesque
-el sentimental, se montre plus radical encore el ban[lit des écoles même cette auto-émulation que pl'é-colisaitle mallre. Jamais, du resle, plus violenl réquisitoire n'a été dressé contre l'émulation, el comme
leE adversaires qu'elle a rencontrt'ls de nos jours n'ont
souvcnt fait que reprendre-les arguments exposés
.Jans les £ïudes de la nature et dans les Vœllx d'nn
solitaire, il importe de dégager des déclamations
.assez confuses où ils se trouvent emmêlés les griefs
-de l'auteur contre l'émulalion et d'en montrerle peu
...jesolidité,
AlÍn de justifier l'émulation, les éúucateurs font
valoir qu'elle est un stimulant. C'est précisément
pour cela qu'ils devraient la réprouve!', déclare
d'abord Bernardin de Saint-Pierre. « Laissez, s'écrie1-:1, les épices aux hommes dont le goût esl afTaibli;
ne présentez aux enfants de la patrie que des mets
doux et simples comme eux ... Ai-je eu besoin dan..,
l'E'llfance de surpasser mes camarades à boire, à
mange!', à promener, pour y trouver du plaisir? .. ,
L(ls fonctions de l'âme ne sont-elles pas aussi natuI'outes inconnues aux modernes, pár lesquelles les anciens
m~naienlles
hommes à cette vigueur d'àme, à ce zèle patriotique, à celte estime pour les qualités personnelles qui
.sont sans exemple parmi nous ... "
40
,.
L EMULATIOi'<
relies et aussi agréables que celles du corps? Si elles
attristent nos enfants, c'estla faute de nos méthodes
et non celle de la science; ce n'est pas faute d'appétit d(' leur parL. Voulez-vous donc aLLacher vos enfants à vos exercices? faites comme la nature pour
les siens; altachez-y du plaisir; ils y courront d'euxmêmes, »)- Ce sont là idées exprimées déjà par
Rousseau, et de la valeur desquelles nous -nolls rendrons compte quand nous examinerons ce qu'il faut
penser de l'éducation
atLl'ayante.
l'lIais l'émulation
n'a pas seulementle
tort d'être
un excitant factice: « elle estla racine de I'amúition,
cal' l'émulation produitle
désir d'être le premier, et
le désil' d'être le premier n'est autre chose que l'ambition \. n 01', « l'ambition
est interdite
à tous les
hommes par la nature et par la religion, et il là plupart des sujets par' le gouvel'llcmenl.
Dans nos collèges, on élève à l'empire un écoliel' qui scra destiné
toute sa vic à vendre du poivre 2 n. Au-moins, chez
les anciens, ({ la plupart de leurs exercices avaicnt
pour b.ut l'utilité de la patrie. S'il y avait, chez les
GI'ees, des prix pour la luLle, le pugilat, le disque,
la course à pied et en chariot, c'est que ces exercices
1. Vœux d'un soli/ai,'" : Vœux puur U/le éducalion /lationale (1789).
2. mudes d" la /la/ure, étude Vile. Ceséludes ont paru, poOl'
la première fois, en 1784, Bernardin de Saint-Pierre reprend
ailleurs: " :'0105 régents français inspirent l'ambition aux
enfants, sans en prévoir les conséquences pour les citoyen ••,
Ils établissent parmi eux de petits empires dont ils distribuent les dignités et les COI\1'OIllICS u (¡'œux ,fun solilair,,).
LES
ADVERSAIRES
DE L'É~lULA TION
41
élaienl nécessai¡'es à la guerre, S'ils en avaient établi pour l'éloquence,
c'est qu'elle servait à défendre.
les inlé¡'êls de la patrie, de ville en ville, ou dans les
assûmbl¿'es générales de la Grèce i, » Pareillement,
(( si l'émulalion a élevé de grands hommes dans quelques républiques,
c'est parce que les citoyens pouvaient y parvenir à tout. Mais chez nous où le mérile seul ne mène plus à rien, où on ne peut s'élever
aux petites places sans argent, aux grandes sans
naissance et à aucune sans intrigue, la foule des
ambitieux
ne s'occupe
qu'à abattre
loul cc qui
s't,lève )), Admirez, au conlraire, (( l'édifice inébranlab:e des lois de la Chine, le plus ancien empire de
l'ur:ive¡'s. Les enfants ni les jeunes gens ne sont
point élevés à la Chine à se surpassel' les uns les autI'es, Ils ne connaissent ni nos thèses ni nos dispules
d'écoles 2, l)
Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles la
Chine es! restée jusqu'à nos jours le type même de
la lorpeur. El cc! exemple que choisil Bernardin de
Saint-Picrre,
dans le but de montrer quels beaux résulLats on obtient sans émulation, suffh'ait à ¡'éfule¡' la
thèse de cet écrivain, Si d'ailleurs elle pouvail avoir
sous l'ancien rég-ime quelque apparence de vé¡'ité 3,
1. E/udes de la nB/ure, étude XIV,
2. Vœux (L'un solitaire.
3. l\Io~TESQ\:lEli (Esprit des luis, liv. IV, ch.
III) déclare
que,
dans les f:lals despotiques,
" le savoir sera dangereux,
l'émulation funeste
:'lIais il la I'egarde comme nécessaire
aux républiques.
lI,
,.
L ~:J\WLATlQ:,(
·eUe tombe d'eHc-même,dans notre société démocratique, où lout citoyen peut aspirei' aux plus hautes
·charges. C'cst ce que cdnsLataiL déjà Feuillet sous la
première République. (( Dans l'État purement IDO.
Ilsrchique, écrivait-il t, la faveur du prince donne les
places, elles places seules donnent la considémlion;
<nonquc ceux qui les occupent la méritenlloujours,
mais pal'ce qu'ils la commandent. Commc on ne peut
.y Hrc quelque chose, que lorsqu'on possède un privilège, ou qu'on est revêtu d'une dignité, l'émulation n'est là que la pire espèce des ambilions ... Il
·doit en arriver autrement dans une république. Là,
il Y a aussi des premières places, et il importe
·qu'elles soient l'emplies par de grands talcnts, parce
-que, dans un pareil ÉtaL, de grandslalents
ne peuvent être que de grandes verLus. Mais c'est I'estime
publique qui confère c~s places. On senL assez que le .
but principal de l'éducation est de former celte
immense majorité de bons, sages et utiles ciLoyens,
-qui se réunissent pour former ce qu'on nomme l'ÉtaL.
L'émulation s'étend, en quelque sorte, pour embras'Scr tous lcs rangs, pour y atteindre tous les indivi.
-dus. » Récemment, un ministre de notre troisième
République exprimait la même idée d'une façon
plus I~loquente eL plus précise: « Une société aristocralique, s'écriait-il, trouyc SOD élile loujours forméc par droit de naissallce; une démocratie crée la
1. Mémoire cité, pp. 64-67.
LES
ADVEHSAIH.ES
DE L'É:\lULATlON
43
"ienne pal' ùroit de mél'ite. Elle ne peulla créer que
par un reco~rs énergique
à resprit d'émulation,
si
·elle ne craint pas de dire au meilleur:
« Tu es le
meilleur.» Sans quoi ellç prépare la r~gle du moindre
eITort et du moindre devoir. Non pas seulemenl
pour le bien des fonctions publiques, continuaitle
minislre, mais pour recruter les ingénieurs, les co:lon5, les. aviateurs, les explorateurs,
les hommes de
ol1ègoce et d'industrie,
elle n'a qu'un moyen:
la sélection cntre les jeunes
hommes selon leur mérite l. )\
Áull'e tort qu'aurait l'émulation:
clIc pousserait à
rechercher les distinctions el les honneurs. « Elle nous
'l"cnd vains, dil J'auteur des Vœux d'nnsolilaire, '" elle
engendre
ramour de la louange, des prérogatives
personnelles,
des dignités et des emplois. » En adme~tant que le reproche fût :nérité, il faudrail voir
oar:s un lei faille l'ésullal d'une émulalion mal dirigée. Le meilleur correctif que pourrait alors utiliser
le maîlre serait de faire eomprp,ndré à ses élèves que
la valeur d'un enfant ne dépend pas seulement des
places obtenues dans les compositions,
mais qu'il y
a bien d'autres qualitésdu cœlll', du caractère, même
oe l'esprit qui entrent en ligne de comple dans
l'appréciation
de son mérite et qui plus tard, dans la
vic, renverseront
peut-être les rangs du tout au !.out.
l. GUIST'n.,v,
Discours prononcé
prix du lycée LOllis-Ie-Grand.
ell
1912 " la distribution
drs
44
La vanité, d'ail~eurs, avec son corollaÏt'c, le goùt des
distinctions honol'ifi(IUes, n'a pas besoin dc l'émulation pour naître et provient plutôl d'un sot amour-_
propre, d'un manque de jugement.
M. Jourdain, le
bourgeois gelltilhomme, était-il donc une victime de
l'émulation?
L'n nouveau reproche (lui est fait à celle-ci, mais
qu'clic nc mérite assurémcnt
pas, à moins qu'on
nc la confonde avec la plus basse ambition,
esl
qu'elle ferait des hommes à la fois des tyrans et des
esclalJes: des tyrans, en exaltant leur amour de la
domÏ11ation; dcs esclaves, pal'cc qu'en suscitant la
passion dcs gmndeurs,
elle porterait
à acccptcr
toutes les platitudes qui peuvenl y conduire. « Comme
elle inspire avec ses croix, ses médailles, ses livres,
ses prix, ses concours à chacun d'eux d'être le premier, elle les remplit d'insubordination
pour leurs
supérieurs ct de mépris pour IcUl's infél'ieul's. :\1ais,
comme les exlrêmcs se touchent,
celte éducation
ambiticusc est en même temps très servile. Comme
elle ne les mène que par l'amour de la louange ou
par la crainte du blâme, elle les met pour loute leur
vie à la discl'étion des flatteurs, Les suffragcs d'autrui, qu'ils veulenttoujours
captiver, les captivent à
leUI' tour d'une telle fOI'ce, qu'illeur suffit d'Hre entourés de détracLeUl's de la vérité la plus évidente,
pou r qu 'ils ne I'admellent jamais; ou de prôncurs de
l'opinion la plus a bsurde pour qu'ils sc la persuadent
à la long-ue. Lem' propre jug-enlent plo)'unt sous le
LES
ADVERSAIRES
45
DE L'ÉMULATION
faix de celle tyrannie dont Oil leur a fai t su hir le
joug dès l'enfance, leur conscience ne se forme plus
qne ùe l'opinion versatile d'autrui, qui devient pour
eux lu seule règle du bien et du mal i. »
Enfin l'émulation
serait « la source des vices les
plus dangereux, de la jalousie, de la haine
elle ferait nail1'e (t les médisances, les calomnies, les querelles ». Bemardin
de Saint-Pierre
insiste sur ce
grief. « La jalousie et la haine accompagnent
parloutl'émulation.
» En l'inspirant
aux enfants, « vous
dor.nez à chacun ù'eux autant d'ennemis qu'il a de
compagnons;
vous les rendez mnlheul'eux les uns
par les nutl'es; ceux qui ne peuvent s'élevel' par les
talents cherchent à réussir auprès de leurs mnîlres
pal' leurs flatteries, et à faire tomhel' leurs égaux par
leurs médisances.
Si ces moyens ne leur réussissent
pas, ils prennent en haine les objets de leul' émulation .. , ) Voyez dans le monde un de ces enfants dressés au collège à surpasser leurs camarades:
« S'il ne
s'y propose d'autre but que son avancement, ne serat-il pas afnigé de la supériorité
d'autrui?
Ne s'y
remplira-t-il
pas de haine, de jalousie, et de désirs
qui [e dépl'Îmeront au physique et au moral 2? »
)l
;
1. Corollaire de la thèse précédl.'nte, aussi peu fondé du
reste: par là même qu'elle ••les rend changeants au moindre
IJIlllne ou au plus petit éloge d'un inconnu " (Etude XIV),
l'émulation est •• la première cause de l'inclJnstance des
hommes I> (Vœux d'un soli/aire.)
2. Voy. les Vœux d'lll! solitaire (Vœu pour une éducation
nationale) et les Étw/es tic la nature (Étude XIV, De I·Éducation).
46
Aussi, pour remédier 'ff ces maux, l'auteur des
Étude,~ de III Nature imaginait-il
la ,créalion d'Écoles
de la patrie, dans lesquelles (. il n'y aurait ni récompenses, ni punitions, ni émulation, et, parfanl, point
d'envie >l. Quel changement
alors! (( Concevez, au
liell de ces jeunes gens de collège, pâles, m¿~itatifs,
ja)ollx, tremblant sur les sllccès de leurs infortunées
compositions,
des jeunes gens gais, contents, attirés
par le plaisir dans de vastes salles circulait'es, oÙ
s'élèvent çà et lri les statucs des hm/! mes illustres de
['alltir/Ililé el de Ir¡ patrie •. voyez-les lous attentifs
il
)a ramIe du maître, s'aidant Jes nns les aut.res it la
concevoir, à la J'etenir, et à répondre à' ses questions
imprévues ... Voyez naitre parmi eux, au lieu" d'une
vaine émulation, l'union, la bienveillance,
l'amitié,
ponr une réponse suggér{~e il propos, pour une excuse
donnée en faveur d'un camarade absent par des camarades voisins, et pour d'autres sel'vices renùus.
Le souvenir de ces liaisons du premier âge les rapPl'ocherait encore dans le monde, malgré les préjugt;S de leur condition. ,l
•
Le tablcau est certes channant et, sinon utopique,
combien différent ùe celui qu'offraient,
au dire de
llotl'C auteur, les collèg-es ((olt (',haque écolicr cherche
à supplanter
son .••..
oisin )l. - « Je me souvicns, raconte-l-il, qu'un jour de composition, je me lrouvai.
fort bouleversé, pour a\'oir oublié un auteur Jalin.
dont il faUail traduire une page; un de me~ voisins·
m'offrit obligeamment
Je me diclcr la version qu'il
LES
ADVERSAIRES
DE I:lbIULATION
4;
en avait .faiLe. J'acceptai
son scrvice, cn le reme\'ciant beaucoup . .J c copiai donc sa version à quelques
chung-ements dc mols pl'ès, pour ne pas fail'c voir au
régent ([u'elle était la m~me que celle de mon voisin; mais celle qu'il m'avait donnée n'étail qu'une
fausse eopie de la sienne, et remplie de contre-sens
si extravagants,
que le régent s'en étonna, et se douta
d'abord qu'elle n'était pas mall ouvrage;
car j'étais
assez bon écolier. Je n'ai pas perdu le souvenir de
celle perfidie, quoique, en vél'ité, j'en aie oublié de
plus cruelles depuis ce temps-là;
mais le premier
âg-e de la vie humaine est l'âge des ressentiment,;; et
des reconnaissances
inelraçablcs. ))
Peut-être ne faut-il YOil' dans le fait que rappporle·
Bernardin de Saint-Pierre,
el en le prenant tel quel,
qu'une mauvaise plaisanterie
de la parl d'un eamal'ade. Ilserait en tout cas peu raisonnable de juger de·
tOllS les écolicrs d'après celui-là l. L'aphorisllIeab
uno
1. Commc contrc-partie,
nous ne résistons pas au plaisir
dc t~anscril'c un incidcntquc
rappclait de sa vic de lycéen
1\1.Guisl'hau en son (¡¡scours dc Louis-le-Grand.
« C'était,
disait-il, dnns lin lycée de l'lIe Bourbon, à la veille des compositions de prix, ct de la plus importante de toutcs qui,
en CC5 temps lointain,,", él:lit tnCOl'C celle du discours Jatin.
Un de nos camarades tomha malade, el il sc désolnit à ln
pcnsée du prix qu'il allait perdre. Les dcux ou tl'ois conCUITen!.s tinrent conseil, el demundèrcnt
au pl'Oviseur de
reta~del'la composition, Notre canwrade guéri vint et corn"
posa. Il y <lvait alors en rhétoriquc !t'ois prix de lutin: prix
de discolll"s, dc vers ct de version. II ."emporta le premier
p1'Ïx dc discours
latin, celui (IUC nous lui avions donné.
!'lIais dans les deux autres matières, version latine, vel'>;
!:ltins, il n'cut pas mêmc un 3ceessít;
à notre
insu, H.
48
disee omnes serait plus que jamais sophistique. Quoi
qu'on fasse, de méchantes natures se rencontreront
partou 1 el toujoul's. Mais a-l-il pu exister' des collèges où les élèves, pleins de haine et de jalousie à
\'(~g-arJ les lins des aulres, n'aienl eu r('cours pour
réussir qu'à la bassesse envers les maitres et à la
tmhison envers les condisciples?
De telles mœurs
sont-elles el ont-elles jamais été compatibles avec]e
naturel toul généreux eltout spontané de l'enfant?
L'cxpérience
répond quc non. Nous avons réfuté
J'avance une telle assertion en relatant les témoi~
g-nag-es qu'ont portés sur leurs camarades de classe
Mannonlcl et Feuilletl, tous deux contemporains
de
Bernardin de Saint-Pierre.
Il n'est pas un éducateur
qui nc puisse produire]e sien à l'appui. « Quiconquc,
écrit excellemment Jacoulet, a hien obsel'vé des enfants d'un caractère dl'oil el d'un natUl'cI non vicieux
reconnaîtra qne le premier mobile d'émulation chez
l'enfant, - le seol même ta!lt que récole ou le collège le laisse à ses propres impulsions et ne surexcite
pas cel'taines ambitions factices, - ce n'est pas ]e
plaisir d'humilier un concurrent,
de passeli' au-dessus des autres, de briller à leurs dépens, de jouir de
leur défaile et de son propre triomphe, c'est ]e besoin d'avoir bien fait, d'avoir réussi, d'avoir mérité,
n'avait pas composé, il- avait remis des copies blanches,
Nous lui avions fait une joie; l'accept.ant de bon cœur, il
nous la rendait au double. »
1. Voy. ci-dessus, pp. 12 et 15.
LES
ADVERSAIRES
49
DE L'É;\IULATlON
¿'Nre louable el d'èlrc loué, d'être aimable et d'Nl'c
aimé. :\Ime Guizot a lrès finement et tresfermement
nol~ cc caractère de la saille émulation, de celle qui
s'établit par exemple dans ulle maison d'éducation
pulJlique bien organisée:
,( Le but qu'on propose à
{{l'c.mbition des élèves, dit-elle, n'est point de vaincre
« tcl ou icI camarade,
en luttant corps à corps, mais
« d 'atteindre à des ¡'écompenses,à des honneurs oll'crt ~
« également
à tous, vel's lesquels ils tendenttous
pal'
" une même route el qui excite assez vivement leurs
:( désits pour absorber leur attcntion et l'empêcher de
{(se fixer SUI' les obstacles que la supériorité des plus
« forts oppose au succès des moins avancés.
» Voilà
la ·•.él'ité. La luUe contre les camarades, c'est. le
mO?ell, cc n'est pas le bul, ni dans la pensée ni dans
le cœur de l·enfan'~. La l'i"alilé, soit vis-à-vis de td
con~lFrent
en particulier,
soit il l'égard de tous
indistinctement,
sc rédujl à un sentiment passag<'¡'
et nullement haineux qu'on n'éprouve que pendant
le fCll de la lutte ou plutôt donl on n'a même pas
conscience alors, ne songeant aux concurrents par
fI ui l'on se sent pre5sé que pO·.lr s' encourager secretemcnt soi-méme Ù faire plus, plus vite et mieux, Si,
à cc moment même, l'enfant pouvait s'analyser les
sentiments
qu'il ressent, bien loin d'y trouyer un
principe de jalousie et de malveillance
envers ses
camarades,
il sc sentirait bien aise de l'effort qu'ils
l'objgenL à faire, et, coml)lC il se sait gré it lui-même
.de cette tension d'esprit el de \olonlé, illeur en auQVE1IIIUT.
-
L'I~mulatiol1.
4
50
J:Ün:LATlON
rail presque de la reconnaissance
l. ~lais,
grâce à
Dieu, l'enfanl ne se scrute pas ainsi lui-même; bien
dirigé, illI'availle comme il joue, naturellemenl,
volontairement,
gaiement, parce que le travail et le jeu
ne sont que deux moùes égalemenl naturels d'une
aclivité également normalc. Seulementl'un
esl plus
pénible que l'aull'e, amène pl~s vile la faligue; aussi
pOut' se soulenir exige-t-il plus d'efforts que l'autre
et plus de secours du dehors. C'esl un de ces appuis
externes que foumit l'émulation,
engendrée par le
milieu même oÜ l'on a placé les enfant~ pour facilileI' le développemenl
de leur intelligence
et de leur
caractère;
ce qu'on ùemande il l'émulation, c'esLlout
simplement une incitation, un surcroil d'énergie qui
résulte pour chacun de l'exemple de tous : elle
échauffe les esprits sans les irriter, elle aiguise les
volontés sans les toul'l1er il la haine, elle maintient il
hauteur convenable
le niveau de la classe sans déprimer personne '¡. »
Au fond, toutes les accusalions,
et la liste en esl
longue, que nous avons relevées jusqu'ici
contre
l'émulation pourraient
être Ù bon droit tenues pOUl'
suspectes, venant de leurs auteurs.
Un jour q'!e
ses collègues de l'Académie, occupés au Dictionnaire, discutaielllle
mol appartenir et donnaient cel
exemple: Il appartient au pèl'C dc châtier ses ent. Cf. plu'..;loin. p. 82, ligne 29 et
2. Die/.
de pédagO<Jie,
art. cité.
SUIV.
LES
ADVEHSAIHES
51
DE L'ÉMULATlOii
fants: « Je récuse votre témoignage,
leur dit Bernardin de Saint-Pierre,
parce que vous êtes tous
célibataires.
» ~ous pourrions, reprenant
celle parole, en faire l'application à tOllS les précédents détradeurs
de l'émulation.
Célibataires,
les pédagogues
de Port-Royal;
pèl'e
de famille, il est Hai, J.-J, Rousseau, mais qui délaissa ses enfants;
« inutile
célibataire » aussi, suivant sa propre
expression,
Hernm'din de SaintPielTe I ; ct, comme tels, ils n 'ont jamais bien connu
les e::1fants. « Mais, voici que leurs critiques
de
l'émulation
ont été reprises èe nos jours par les
éJucateurs
les plus sérieux quí se sont efforcés de
les mettl'e en pratique. De là celle campagne qui a
été conduite, - nous savons avec quelle aI'deur, contr;l tout notre système de récompenses et de punitior..s, contre nos distributions de prix et de récompenses scolaires, campagne dont les résullats connus de tous permettent
aujourd'hui
d'apprécier la
valeu·' 2. »
Cc que les néo-critiques
de l'émulation
lui reprochent tout particulièrement
et ave~ insistance,
c'est de détourner
l'attention
des enfants de la
pensée du devoir pour la porter sur les récompenses, (I de leur présenter comme le but ce qui Il'est
1. Il se maria, en lÎ92, à I'¡\ge de cinquante-cinq ans, avec
:\lIIe Didot. Les deux enfants, nés de cette union, porti'l'ent
les noms de Paul et de Virginie.
2. F. TUO)IAS, l'Éducation des sentiments, p. 207.
BANCO DE LA REPUB~¡CA
118UOT6CA LUIS-ANGEl
ARANGO
qu'un surcrolt, et leur devo.ir comme une affaire
t Il.
Quand il en arrive ainsi, c'est la faute du maitre
qui a laissé l'émulation dévier de sa véritable fin, la
lulte avec des camarades pour del'enir plus intelligent, plus adr'o.it ou plus fûrt, vers la préoccupation
de la récompense à obten.ir, Encore n'est-il pas tûujours répréhensible, afin de stimulcr plus vivement
les volontés, d'attirer de ce côté l'aUention. Nous
:aurons plus loin il revenir sur ce sujet; il n'y a do.nc
pas lieu d'y insister ici.
Nous nous co.ntenterons également de signaler le
dernier tort qu'aurait l'émulatio.n, d'habituer les enfants à honorer no.n le mérite, mais le succès, no.n
l'élève qui a fait le plus d'efforts, mais celui qui a
été le plus favorisé par une certainc habilet..é DU par
la chance ~ car, si cet inconvénient se produit, c'est.
que le système d'émulation est organisé d'ulle fa<¿o.n
gro.ssière • el enregistre machinalemenlles
résultats bruts du travail des élèves, au lieu de lcs'apprécier po.ur chacun pal' rappo.rt à ses moyens, à ses
facultés, à SOD degré de culture, à ses error'ls »
(Jaco.ulct). Or «( le premier devo.ir d'un pro.fesseur
est de so.utenir et d'encourager to.ut le monde, de
:ne désespérer ni sacrifierpersonne
2 ".
En réalité, la meilleure réponse que l'on puisse
faire à to.utes les critiques formulées co.ntre J'émulal. H. M.HUON, l'Éductltion d4AS l' Uni~C1'sité, p. 278.
2. Rapport
sur la discipliae
MilS
l'en¡eigu.ement
(Il .• Mario., rapporteur, juillet 1890). p. CClIl••
seeondaire
LES
ADVERSAIRES
DE L'ÉMULATlO~
53
tion consislel'a à meUre en relief les innombrabl es
services qu'elle est susceptible de rendre à l'éducation. Mais auparavant il nous parait utile de passeren revile les moyens par lesquels on a Pl'étendu la
rem?laCel' el u'en apprécier la valeur.
CHAPITRE
III
INSUFFISANCE DES MOYENS PROPOSÉS POUR
REMPLACER L'ÉMULATION
- Ses partisans. - Sa valeur et son insuffisance. - Autres prétendus succédanés de l'émulation:
l' Le plaisir; - ce qu'il faut penserde l'éducation attrayante;
- opinion ùe ;\'Ime 'de Staël; - 2' l'intérêt; - efficacité
douteuRc de ce mohile ; - 3' les sentiment.~ désintéressés;
- critique; - 4' l'appel à la raison; - opinion rie H. Marion; - désaccord de celte doctrine avec la psychologie: faible aetion ùës idées. - Exagérations nouvelles.
- Ctilité des distdhutions de prix: arguments divers .
I.'auto-énllllation.
. Il est line sorte d'émulation
qui n'a guère rencontré d'adversaires,
savoir le perfectionnement
propre
et continu qu'on appelle l'auto-émulation,
c'est-àdire l'émulation avec soi-mêmc, « émulation
éminemment moralc; qui nail du progrès mêmc qu'on a
fait dans la voic qu'on s'cst tracéc, du dési¡' soigneuscment
entretenu
de se rappl'Oche¡' chaque
jour davantage de l'idéal qu'on s'est formé i ».
1.
CARRÉ,
les Pédagogues de Port-Royal,
Introduction,
p.
XVIII.
5i
Port-Royal
même la mettait à ·un très haut prix
et cherchait à la développer chez les enfants. « Quand
ils fonl bien, recommande
un maitre des Petites·
Écoles, il faut les exhorter à faire encore mieux.
parce qlle c'est retourner
en arri¡"rc que de n'avancer pas conl~nllcllement
dans le chemin de la vel'lu~
et il faut se souvenir il ce sujet de cc proverbe que,
« quelque bon que soit un cheval, il a toujours besoin d'~perons t )lo.
Rousseau la jugeait aussi très r~mme.
f~mile ne
concourra point avec d'aull'es enfants, dit-il, « seulemeut je marquerai
tous les ans les progrès qu'il
aul'tl faiks ; je les comparerai à ceux qu'il fera l'année suivante ~ je lui dirai ~ It Vous. êtes grandi de
tant (te lignes, To.it~ le fossé que vous sautiez, le
fardeau que vous pbrtiez ; voilà la distauce où vous
}~nciez un caillou, la carnèreque
vous parcouncz
d'une haleine; voyons maintenant cc que vous ferez.
J e l'excite ainsi sans le rendre jaloux de personne.
Il voudra se sW"passel\ ille doil: je ne vois nul inconvénient qu'il soit émule de lui-même. ))
De nos lours, ceLle opinion de Housseau a trouvé
de l'écho. u La seule émulation qui soit bonne sans
réserve, affirme H. ~Iarion, c'est l'émulation avec
soi~même, le désir de faire bien, et, en attendant, de
fail'l~ mieux qu'hier2•
»
Vue seûle voix discordanle
s'élait'fait cntendl·e.
1.
CO¡;STF.L,
Règles de l'éducation des enfants, ch.
partie, D. Des f'icewtpetUes.
!. Rappqr' ciM, !,
11\',
§ 9.
MOYENS
P.OUR
REllPLACER
L'É)luLATlON
51
celle de Bernardin
de Saint-Piet're,
d'après
qui
l'enfant modèle scmit l'enfant élevé dans la maison
paternelle « sans envie de surpasser personne, et encor'c moins de se surpasser lui-même, suivant notre
gl'l.mÙe phrasc à la mode, vide de sellS, comme tant
J'autrcs I n,
Moins sévl~res, quelques
éduèateurs
contemporains ont approuvé l'auto-émulation,
mai8 n'ont pas
admis qu'cHe pût être substituée ti l'émulation proprement
dite.
Le seul œoyen séricux, déclare
Eug, Maillct, d'apprécier les pl'ogrès et de mesurer
les efforts, c'cst de les soumettre à la loi de la concurrencc, la seule qui permette aux forccs intellectuelles et morales de l'homme, aussi bien qu'à ses
forces phystques, de donner leur maximum d'intensité, L'individu
ne peul trouvel' en lui-même la
vraie mesure de la puissance humaine, parce que
ceUf: mesure eS't lInc moyenne, el qu'une moyenne
nl" peut s'cxtraire
que d'Gne pluralité.
:\'ous ne
sommes pas des ètres abslraits,
nous sommes li{~sà
une espèce; c'est par une continuelle comparaison
avec notre espèce que nous nou~ rendons compte du
degré où nos forces peuvent atteindre, lorsqu'elles
dèpassent leur mesure ordinaire. C'est seulement en
voyant tout ce que pcuvent faire les autrcs que nOUi·
arri,'ons
à bien comprendre
lout ce que nous
pouvons
faire nous-mêmes.
Si cela esl vrai de
(e
l. i'tw/es
de la na1ure, élude
XIV.
58
l'homme, à plus forle raison est-il vrai aussi de
l'enfant. Livré à son expérience
seule, l'enfnnL ne
pourra pas savoir pour lui-même, eL son précepleur
ne le saura pas davanlage
en son lieu el place,
quelle esl l'extrême limite où ses forces peuvent
atteindre sans s'épuiser.
L'enfant ne peut pas indéfiniment sauler des ruisseaux de plus en plus ¡arges;
porter des fardeaux de plus en plus lomds; il Y a
un moment où la possibilité du IH'ogrès s'aITête,
parce que la nature ne le comporle plus. Si on ne
compare pas l'enfant avec ses camal'ades, on ne
pourra
connaiLre
ce moment;
el alors, quand
l'heure sera venue oil le progrès doit nécessairemenl s'arrêler, l'enfant s'épuisera en elTorts inutiles
ou se découragera
sans raison de ne pins pouvoir
fail'e mieux,
« La méthode
de Rousseau, transposée des exercices physiques aux choses de l'ordre intellectuel
ou de 1'00'dre moral, serait incapable de remédier à
un affaissement
collectif des espl'¡ ts ou des caractères, Ù une détente qui sc ferait, sans concert
préalable, dans toutes les âmes à la fois, C'esl que le
ressort de l'action est la vue même de l'aetion; le
spectacle de l'efforl appelle eL suscile l'effort. Jamais
un coureur,
seul dans la carrière, ne lrouvera en
lui-même la puissance d'excilation
que lui communique la lulte avec d'autres coureurs, alors qu'illes
senL sur ses talons, prêts à le dépassel'.
« D'ailleurs,
la concnrrence est la loi universelle
1I1OYENS POUR
HE:\II'LACEH
L'É:\IULATlON
:í9
de la natUl'e et de la société; partout nous trouvons,
dans l'une et dan~ J'autre, la lntte ¡JOUI' la vie etla
iuUe pOlLr I'Hmpire. Que celte loi nous étonne, nous
scandalise
même, peu importe. Il faut bien, puisqu'elle existe, que nous en tenions compte pour préparer l'enfant à sa destinée individuelle et à sa d~stinée sociale l. »
M, F, Thomas écrit, lui aussi, qu'on a beaucoup
exagéré la valel1\' éducative de l'auto-émulation,
et
il donne de son avis cette autre raison: « Si ce sentiment rend les plus gl'ands services à l'homme fait,
aL savant, à l'artiste, uniquement épris de beauLé et
de science, si, nous-mêmes, nous lui devons parfois
des corrections
heureuses apportées à nos travaux,
et les elrol'ls soutenus qui, pcu à peu, nous améliorent, nous doutons qu'il agisse ainsi efficacement
sur nos enfants, surtout sur ceux de l'âge d'Émile,
moins aples à s'analyser et à juger leurs œuvres.
N'oublions pas ce que ~ont nos élèves et de quoi ils
sont capables;
les trailcr en personnes tout à fait
raisonnables,
serait s'cxposer à n'être pas compl'is
et à manquer le but que nous pOUl'suivons. ))
Cependant, à la condition de ne voir dans l'autoémulation qu'une auxiliaire de l'émulation véritable,
on ne saurait nier qu'elle ne puisse avoir une réelle
efficacité. « L'expérience ne nous pl'Ouve-t-elle pas
chaquc jour quc, même chcz nos enfants,"le désir de
1. PsycllOlogic
<le l'homme
et <le l'enfant,
pp, 10\1-110.
L " EMULATION
(( se surpasser !loi-même », c'esl-à-dire de devenir
meilleurs, plus intelligenls et plus sages, peut avoir
les plus heUl'eux etTels '? --.xotre petit écolier a, dans
sa didée, pal"cxemple, commis.lrois fautes énormes~
et. nous lui faisons honLe de son ignorance. S'il a de
l'amour-proJwe, il s'appliquera
désormais avec uue
attention plus grande à ses nouveaux devoirs, el
combicn grande sera sa joie s'il réussil pleinement.
" Papa, j'ai zéro ·faule! l) Avoir zél'O Caulc, c'esl son
idéal à lui, el ¡'emat'quous bien qu'ici n'intervient
nulle rivalité avec ses camarades. De même si, après
avoir encouru plusieurs punitions,
il pat'vient à
n'oblenit' pendant une semaine que des éloges. il e~t
loul fiel' de ce succès, et ce succès l'encourage à.
sUl'veiller davanl..age encore sa conduite pour se
montrer de plus en plus digne de l'estime qu'on lui
témoigne t. ))
Il serait donc déraisonnable de proseril'c purement
et simplementl'émulalion
avec soi-même comme un
moyen d'éducation inutile el puéril2;
mais il ne
faut pas davantage y VOil' un ressort capable à lui
L F, TIlU',",', l'krw:aliora d"s unlimenls, pp, 207-208,
:l, On connailla puissance de la suggestion, Or, il semble
bien qu'au fond cetteéruulation avec soi-mêmene soitqu'une
forme de CIl qu'on appelle faulo-,mggestion,
" L'homme est
ainsi fail., a dit Pascal, qu'à force de lui dire qu'il esl un sot.
il le croit; et à force de se le dil'e à soi-mème, on!;e le fait
croire, " Guyau fait remarquer :\ ce propos que J'6ducateur doit Loujours suivre celle règle: pel'suadel' à l'enfanL
CJ,u'ilpourra cumprendre eL qu'il pourra faire, - Voy. GUYAV,
Educati(J11 el ¡¡érédité, ch, I; - cf. F,
rule dans l'éducation, I" par~e, ch.
TIlOlI.\S,
11.
la Suggestion
eL Ile partie, ch.
et
I;
SOlI
eL
~IOYENS
POUR
REMPLACER
L'ÚIULATlO!'i
6~
seul ùe pousser les enfants à la peine et à l'effort
Divers autres mobiles onl été proposés pour rem·
P laccr l'émulation, el tau I d 'aborù le plaisir.
Par réaction contre les pratiques suivies de SO]
ttmps à l'école, véritable CI gcDle l) où les cnfants ni
trouvaient aucune joie, parce que leur nalure y étai
v.olemment comprimée et parce qu'aussi les exercice
auxquels on les contraignait
les fatiguaient à l'excè
ou les dégoûtaient,
Montaigne voulait que l'éduca
.lion fût attrayante,que
l'école devînt un lieu où l'cr
.fant se plairait, qu'on y fit (( pourLl'aire la Joi{
l'Allégresse,
el Flora, et les Grâces i )l. Partis Sl:
-cette voie, des réformaleurs
comme Fourier et Yi(
tOI' Considéranl
onl imaginé qu'il fallait suppriml
toute discipline,
loule contrainte,
laisser enliè]
liberté aux inslincts de l'enfant. Salis tomber dar
-cette exagération,
Rousseau et Bernal'din de Sain
Piene
pensaient
qu'il devait y avoir dans le se
:allrail de l'élude un excellent moyen de l'cmplac,
l'émulalion et d'obtenir lous les services qu'on pl'
.,end demander à celle-ci. (; Si vous voulez prompt
.)uS>5i nolre ouvrage EUI' les (;arac/t.,.cs ci I'édoration "1',1"((
pp, 11)0 et suiv,
1. Essais, liv. I. ch, xxv, De l'inslitution
des enfants.
L'abbé Fleury (Trailé du choix et de (.a méthode dc,; <'!lules, ch.'
demandait
aussi que, pOUl' capliver I'attenlion. de r.
fant, on ne lui présentât
'lue des objets sensihles, " (
peintures
el ùes images»;
qu'on lui donnlit des liv!
neufs el bien reliés; <¡u'autant que possible on ¡'instl'U1
dans un heau jardin; 'lue lout, autour de lui, fûl souri;
el gracieux; que le précepteur lui-mème eût beau vis~ge
L " E~ULA TION
(il!
ment appremlre it lire aux enfants, Jisait l'auteur
des ¡¿'tudes de la nature, meHez une dragée sous chacune de leurs leltres l. ») Plus récemment, H. Spencer
a proclamé que « le plaisir est le stimulant le plus
t\nel'gique elle plus efficace de l'activité ", en même
Lemps qu'il est la marque d'une
aplilude
qui
s'évp-ille. « Aussilôt qu'un espril monlre du goÙl
pour leI ou leI genre de connaissances,
c'est signe
qu'il esl devenu aple à s'assimiler ces connaissances
et qu' elles sonl Jevenues nécessaires à Sfln progl'ès .
... L' enfant. se toul'lle de lui-même vel's ces nouvelles
éludes 2, Il
Volontiel's nous reconnaissons
que, loin de surnWller les enfants ou de les rebuter pal' des exercices
ll'OP long-s, ou trop au-dessus
de leul's forces, ou
trop contraires à leUl's inclinations,
il faul les amenel' Ù s 'intél'esser à leurs travaux; alors seulelllell t
ils s'y liYl'eront avec profil. Nous :lccol'dons encore
qu'il dépend du maitre, pal' sa bonne humeur et sa
douceur jusque dans la sévél'ité, de faire aimer la
classe. On évitel'U donc, au moins dans les commencements, pOUl' ne pas obligel' à une contention d'esprit excessive, les difficultés lrop grandes, comme
aussi un enseignement
trop abstrait, el, aulant que
possible, on introduira de la val'iété dans les exercices; le maîlre, en même temps, gardera, nu milieu
1. " Tout ce qu'on :Ipprendl'a,
en vers et en nrusique. Il
2.
J)t!
/'éducatirm
in/dlce/udl",
a-t-il écrit enCOl'e, sera mis
moral" t!t physiquc,
~h. II.
~IOYE~S
paull
llE:\lPLACEH
L'Éi\IULATION
63
de la fermeté Je la Jiscipline, quelque chose d'affectueux, de quasi patemeJ. Mais tout cela admis, et
ce sont d'ailleurs recommandations
superflues, nous
dot.lons que le plaisir, le goût pOUl' les études suffise
à remplacel' J'émulation.
En clret, outre qu'il y a des penchants
contre
lesquels l'éducateUl'
doiL réagil', il est des éLudes
tl'ÓS abstraites
et pourtant indispensables,
qui ne
sauraienL pal' leur seul aUraiL solliciter l'attention
de l'enfant. Puis, de parti pris, n'employer celui-~i
qu'à des Lravaux faciles all auxquels le parLeraient
ses goûts, seraiL-ce le pI'éparer il la vie? Là iltrouvera
des difficultés, des obstacles qui exigeront, de sa part,'
de l'a volonté,de l'énergie, Le pût-on vraiment, qu'on
se gardc donc de n'offrir jamais à l'enfant qu'un
l!'avail agréable:
« Nous avons banni de nos classes
l'ennui, écrivait GI'éard, prenons garde d'en avoir
l'ail sorLir l'elforl l, » Seull'efl'orl est fécond, comme
l'af'fil'lnait Joulfroy dans cette parole bien connue:
« Ce n'est pas le succès qui importe, c'esL l'effort. »
1. Raeontunt comment il reçut son éducation " dans lin
petit collège d'excellent;; prètre;; ", Renan nous dit: " II;;
lu'¡:pprirent le latin à l'ancienne modc (c'était la bonne),
c'e>;t-à-dire avec des livres élémentaires
détestables,
sans
méthode, pt'esquc sans grammairc, comme runt appris, au
,,,' et au x\"!, siècles, El'asme et le;; humanistes
qui.
derlUis ¡'antiquité, l'ont le mieux su, Ces dignes ecclésiastiques étaient le,,; hommes les plu;; respectables
du monde.
Sans rien de ce qu'on appelle maintenant pédagogie, ils pratiquaient la premièrc règle de l'éducation, qui est de ne pas
ll'op facilitCl' des exercices dont le but est la difficllllé
vaincue, " (Out', cité, III, 1.)
l\lais de cet elfortl'bomme serailloule sa vie incapable, si on renow;ait à l'y habituer dès l'enfance t,
Aidons nos élèves à prendre celte habitude, rendonsleur l'effort moins pénible au début, voilà ce qu'il
faut retenir du système d'éduca1ion basé sur le plaisir.
Au l'este, nul n'a mieux que Mme de Stad estimé
à sa juste valeur la doctrine du travail aUrayant.
( On s'est imaginé, dit-elle, qu'il fallait, autant
.qu'on le pouvait, épargner de la peine aux enfants,
~hanger en délassement tontes leurs études, leur
1. A propos de " la façon un peu molle dont nous prenons
aujourd'hui la jeunesse
on lil dans le Temps (numéro du
4 octobre 1911): " Nous captons son aUention. plutót que
nous n'en appelons à son énergie. On n'en est pas encore
au point d'enseigner plaisamment les dIoses sérieuses;
mai;; les leçons de choses, le roncret, le réel, l'image, la
mimique ml'IllC, tout un enseignement direct s'impatronise,
qui tend à remplacer la I'éflexion pal' la sensation. Et foin
de \'abstrarlion
qui fatigue les cervelles:
Il semble que
nou;; soyons illl'apables de nous maintenir entre les théories
extJ'èIllC~, L'n exr.ès chasse l'autre, Présentement,
c'estle
maitre qui mâche tout, laissant bien juste à l'élève le soin
de digél'cr, Et pal' une iné,'ilable conséquence, les helll'es ùe
dasses yont croi"sant, et les séaoces d'études ùiminuant. « A
la vérité, nous voyons encore qu'il n'est ricn de si ~entil que
les petils enfants en France,
Mais on dirait que DQUS
craignon!l d'en faire des hommes. - Même l'effort de la
mémoire, on le leur mesure avec parcimonie ... Quel appui
préte à l'int.elligence cette auxiliaire, on n'en tient plus
vraiment assez compte, On ne considère pas sullisamment
qu'une mémoire fidèle el présente constitue pour l'homme
de gouvernement, d'action, de science, de loi ou d'affaires,
\lne force inestimahle. L'exercice de cette faculté, pour
pénible qu'il soit d'abord à quelques enfants, porte vite et
Sûrement tous ses fruits,
lO.
M
lO
~IOYE~S
rovlt
65
ItE:\fPU.C Ell J:~:mJJ.A TIO:'i
.Junncl' df' bonne hcur'e des collecl.ions d'histoi,'c
natl/I'clle pOUl' jouet.s, dcs expériences de physique
pOUl' spectacles l. Il mc semble que cela estlln
système eIToné. S'il était possible qu'un enfantapprit bien
quelqll~ chose cn s'amusanl, je "cg-l'cLlel'Uis encore
pour lui le développement
d'lInc faeulLé, I'altenlion,
facuILé qui est beallcollp plus essentielle qu'une connai5sance de plus .. , L'éducation
t'aite en s'amusant
disperse la pensée; la peine en tout genre est un des
grands secrets de la naturc : l'esprit de l'enfant doil
s'accoutumer
aux ell'orts dc l'étude, commc notre
âme à la soun'mnce, Le perfectionnement
du premier fige tient au travail, comme le perfectionnement
du second à la douleur: il est i\.,souhaiter sans doute
que les pal'enls èt la destinée n'abusent pas trop de
ce double secret; mais il n'y a d'important
il toutes
les époqucs de la vic, que ce qui agit Sill' le centl'c
mèrne de l'existence, et l'on considhe
tJ'Op souvent
l'ètt'e moral en détail. Vous enseignerez
avec des
tableaux, avec des carles, une quantilé de choses à
votre enfant;
mais YOUSne lui apprcndl'cz
pas it
l'apprf'ndre;
et l'habitude
de s'amuser
que vous
dirigez sur les sciences, suivra bienlôt un autre
cou:s, quand l'enfant ne ser¡: plus dans votre dépendance 2, »
1. Voy. Ilotr~ ouvrage SUI'le.~JI".I.£ des enfants, pp. lill/-HI.
l'· partie, ch. H/I. - Mme Necker de
Sau,,;sure, pOUl' prémllnir l'éuucateur contre l'illusion qui le
port~rait à croire que les enfants goùtent comme lui les·
2. DI' I'Allemayne,
QL£YHH.
-
f.'(:mulalion,
5
(;oIlclllons donc que mieux vaudrait, à supposerqu'ils cxistent, courir les dang-ers de I'émulat.ion,
qu'e Je pl'épurer, par une éducation trop « ouatée ».
des caractères mous, l:îches, désarmé~,
Cn autre mobile auqucl, a-t-on dit. l'éducateur
peut s'adresser
comme stimulant au travail, c'esl
l'intérêt. Housseau encore et surtout
l'a préconis~
avec insistance,
voulant mème ql1'f~mile n'apprit
que ce qui lui serait directemenlulile,
à l'exclusion
dl' tous les al'ts d'agn'menl,
dc tout ce qui c;;t luxI'
ou fantaisie.
Que faut-il pOUl' qu'un enfant apprenne?
lluïl ail
inlén1t à apprendre. « L'intérêt présent, d,it Rousseau, voilà le grand mobile, Ic s\~ul qui mène slÎre'joic~ de l'étude, écrit aVl'C j ustc raison:"
Il nc faut. pas
espél'er «ue le" charmes (le l'étude frapperont J'imagination
de l'cnfance autant que les joies bruyantes ct les jeux turhull'nts, dans le~r¡uels toules le:' forces prenncnt il la fois
I'es>:;or, Cc sont des consolations douces et toujours scntics,
une foi" que le sae:I'ilke des amusements plus vif" e~t fait...
Quand le cours du développement
moral e"t biclI dirigé, le
goM dcs plai"irs intellectuels s'accl'Oft ave" le nomhre des
années, et l'on en vient m.\me à ne plus faire cas de,; autres
que IOrSI(u'ils peuvent s'allier a,'ec cc qu'il y a en nou!::' de
plus pur, ~Iais e:es douces impressions
doivent ètrc soigneusement
ménagées, et dès lors il serait imprudent de
les trop vanter aux enfants; c'est presque les trompel' que
leur annoncer ces jouissances
qu'ils Ile sont pas 101ljoUJ'"
en élat de prévoir ou de goùter, L'espoir rie e:es plnisi)';; est
insuffisant, je l'avoue, pOlir les excÏll'r à "~tlldiel', Il faut
done: songer à mellre en jeu d'autres mobiles ... " Et « If'
grand moyen u C\lme de Saussure le reconnait, bien <¡u'eUf'
ne laisse pas d'en redouter
quelque peu l'emploi), c'est
« l'excitation de l'amour-propre
u ou"
)'{,mulat.iol1 u, (L'HdlL(/Qtion progressiue,
Iiv. IV, ch. 'IlL)
;\IOYEX", ['0(;1\
IIE;\Il'LAO;H
I.'~;;\IULATIOi'i
67
menl el loin.
Rien de meilleur, par exemple, pOUt'
eng'aget' un enfant ¡\ appl'endrc à lire, que de lui fairc
éprou\'e¡' par lui-mèll1e eombien il est utile de savoir
lire. « Émile reçoit quelquefois
df) son pè¡'e, de sa
mi~:'e, Je ses pal'ents, de ses amis, des billels d'invitalian pOlit' un diner, pour une pl'Omenllde, pour
une partie SUI' l'eau, pour voir quelque fête publiquc_
Ces billets sont courls, clairs, nels, bien éc¡'ils. II
fauL trouver quelqu'un qui les ¡IIi lise: ce quelqu'un
ne se tl'ouve pas ... On lui lit enfin la leUre, mais il
n'esL plus Lemps. Ah ~si l'on eÙt su lire soi-même l.
Il Sitôt
que nons sommes parvenns, dit pIlls loin
Rousseau, ù donner à notre élève une iJée du maL
utile, nous avons une grande prise de plus pOUl' le
gou\'cl'ller ... A qlloi re/r¡ est-il bon? Voilà désormais
le mot sacré, le moL déterminant
dans toutes les
actions de la vie 2.
II n'est pas doutcnx que I'jnt(~r(H ne sollicite ,'ivcment à s'instrui¡'c. Mais il faut, au moins chez les
enfants, que cet intérêt soit présent, immédiat, cn
quelque sorle senti, pour èt¡'c susceptible de déte¡'miner unc acLion présente, immédiatc. L'encouragement alt travail Ile naîlm de la récompense mêmc
du travail que si celte récompense suit aussi tôt, ou
pl'esque. Ce n 'esl pas le cas lors(IU'il s'agit de longues
éludes, dOllt le but échappe à nos enfants, et don t
»)
l)
l)
1. Emile, Ii\'. II.
2. Ibirl., liv. Ill.
ti8
,.
L DIULATIO:"
l'utilité,
le fmit n'apparaîtra
que beaucoup
plus
tal'd. Ainsi, comme le l'eman!uc FeuilIet, reprenant
l'exemple choisi pal' Rousseau. « un enfant a besoin
de savaiI' lire, pOUl' lire un billet d'invitation:
nous
vOlljons bien que cela suffise pour le déterminer
à
apprendl'e.
Mais c'est une chose assez difficile, él
toujourE longue, que d'apprendre
à lire. Èl('s-vous
bien sûr que, rebuté d'un tl'3vail souvent ingrat et
loujours ennuyeux, il ne sel'a pas plus d'une fois
tenté de faire le simple calcul, qu'ayant chez lui de
quoi se nounir,
il vaut mieux ne pas se rendre à
l'invitation, et ne pas apprendre
à lire'! Avec combien d'avantage ne pouI'l'ions-nous pas étendre celle
supposilion
il tant d'autres cas, oÙ la néc('ssité est
moins évidenle el moins prochaine pour les enfanls?
Peul-èlre qne la queslion qu'il est le plus important
de prévenil' de leur parl, lorsqu'on doilleUl" imposer,
si peu que ce soit, la fatiguc de J'allention,
c'esl
celle-ci: A quoi me s"rl'ira de faire cela? Car, quoi qlle
valls puissiez dire alors, attendez-vous à leuI' I'éponse:
.faime autant ne pas le faire l.
On a cru trouver encore un succédnné de I'émulntion dans les sentiments altruisles el désintél'essés.
Le sentiment joue bien un rôle capital lors de
l'éducalion . premièl'e. Dans le tout jeune àge, le
besoin d'affection, le désj¡· de plaire aux parenls, ln
confiance en eux sont autant de callses capables
)J
L Mémoire
cUé, pp. 28-2!l.
MOYEi'iS
POLit
HE)IPLACEH
L'ÉMULATIO:'\
6H
t1'agi!' SUI' l'enfanl et suffisantes
pour le po!'ter à
s'ac<¡uitter d'une tàche, à suivre line règle dc condlli:e ùèlerminée. Il fe!'a tout pour t~tre agréable à
ceux dont il a reçu Ics soins a:l'ectueux et obtenir en
I'elour les témoignages
de tenùl'esse qni sont sa plus
ùOLce I'écompense. Mais quand il passe!'a de leurs
mains à celle" d'un maître, qnand il sc trouvera au
milieu de camarades,
dont certains
plus àgés, el
que naltl'll peu à peu en lui le désir de l'inclépentlance,
il ne lal'ùel'a guère à suoir l'influence de son entouI'age, et les scntiments nouveaux qui s'éveilleront en
lui ne seront pins alors un guide suffisant ni même
stir,
C'est pourquoi Rousseau, qui réprouve ù'ailleurs,
dans l'éducation
de l'enfance, l'heureuse
et douce
intluence des afTeclions de famille et ne veut pas
<¡u'on fasse appel au cœur de l'enfant avant I'¡\ge de
I;) nns, prescl'it, ce moment venu, de I'ecommander à
l'élèvc les acles qu'on lui p!'opose, comlIle nooles
el géné¡'eux.
Locke voulait
pareillement
gu'on
s'adressât aux sentiments
les plus élevés pour obtenir l'obéissance.
L'enfant devrait être, suivant lui,
(( instruit à aimer l'honneur et la véritable louange,
la réputation,
Il Bemardin
ùe Saint-Piene
ne craint
pas d'en appelel' au sentiment de l'amoUl'. « Je voudrr.is. éc1'Ït-il ingénument,
que nos jennes gens
puissent cultivel' le sentiment de l'amour au milieu
de leu!'s tl'avaux. » Il parait prendre, il est vl'ai, le
mnl duns un sens t!'ès large puisqu'il
ajollte:
70
:\"iOlporLe il quel âge, dès 'lu'on esL capable de ~eIlLir, on est capable d'aime.'.
:\Ials Condorcet, pal'lisan des écoles mixtes, faisait de ceUe passion le
véritable excitant au t!'avail. Loin de redouter des
écueils dans la vic commune des deuK sexes, il
écrivait dans un rappmt présenté
à l'Assemblée
législative (avrilli!12):
« La .'éunion des deux sexes
dans les mêmes écoles est favorable à l'émulation el
en fait naître une qui a pour principe des senliments
de bienveilJanee.,.
Quelques personnes poufl'aienl
craindre que l'instruction
ne fM écoutée avec tl'Op
de dislraction
par ùes êtres occupés dÏntérHs plus
vifs el plus touchants, mais celle crainte esl peu
fondée. Si ces distractions sont un mal, ce mal sem
plus que compensé par l'émulation
qu'inspirera
le
désir de mériter l'estime de la pel'sonne aimée. »
Assurément
les inclinations
sympathiques
sont
pour la volonté des stimulants préeieux, de puissants
auxiliaires;
mais, livrées à clics-mêmes, elles ne saliraient tHre instituées comme mobiles d'éducation,
Ne deviennent-elles
pas souvent une cause de distraclion et de trouble, plulôt que d'application t ~ El, d'un
aulre poinl de vue, si nous obéissons à certaines
d'enlre elles comme bonnes el généreuses, n'esl-ce
pas en réalilé la raison que nous prenons alors pour
guide?
Aussi les plus récenls adversaires de l'émulation
«
¡)
1. Cf, B.'D, Science de l'éducation,
pp, 52-53,
.'lOYENS
POUll
lIEMl'LACEII
L'É)lULA'fION
if
ont-ils prétendu que l'obéissance
à la misolL doit
être le seul principe dirccteur
des cnfants : c'cst
par raison, par devoir, parce que c'est bien, que nos
élèYes s'adonneront
à leUl's études,
Celte thèse est la plus en vogue aujourd'hui;
on
nous pel'mettra donc ù'yinsister
tout particulièremCi1L
Un maUre émincnt, psychologue délicat et moraliste sévèœ, H. Marion, tout en déclarant qu'il « fait
grand cas Il ùe l'émulation,
s'est montt'é fOl·t défiant
.à son sujet.
Comme ps)'chologue, il n'en conteste pas la valeur: « C'est, dit-il, un sentiment très vif, qui suppose de l'énergie, mais qui excite au plus haut point
celle que 1'011 a et en augmente beaucollP l'eITet. Un
bon cheval ne soufl're pas d'êlre dépassé à la course
et donne, pour ne pas l'être, son maximum de vites5e. L'indifférence à cet égard est, au contraire, le
sig~'le d'une grande pauvreté de sang. De même
pour les enfants: res mieux doués sont au travail,
~
comme au jeu, pleins d'une émulation joyeuse, qui
seule leur fait donner toute leur mesure; manquer
tout à fait de ce sentiment n'est certes pas un signe
de supériorité ni une promesse de brillant développement. On comprend donc à merveille qu'une tendance à la fois si génémle et si honorable ait été
utilisée dans l'éducation 1. Il
1. L'Educatioll
dalls [' Ullil)<'/'sité,
p. 280.
!\laifl comme momliste,
H. Marion redoute les
périls flue l'émulation peut faire courir au caractère,
A son avis, elle ne se développe naturellement
que
trop chez les enfants sans qu'il soit besoin de l'aiguillonner. « N'aspirM-on,
dit-il. qu'à fortifier les
enfanls pOUl' )¡~s combats de la vie, le meilleul'
moyen n 'est pas de les y jeter pr(;maturémenL. C'e~t
une lourde faute que de prendre f"excitation pO\lr
la fon:e, que de subslituer
une llI'dcur factice qui
fait délwllsel' il Ull rnomenltoute
l'énergie qu'on Il,
à la chalelll' qui seule féeonde, ¡J l'amOLli' désintéressé de l'élude. 'IÙme au point de "ue des SUCC(\;;
fulul's, œ qui impol'lc, c'est de faire Lien, c'est dl'
faire mieux aujourd'hui
qu'hiel', cc n'esl pas de
faire moins mal qu'un autrc. Sans doute, en cher'chant à surpassel' les autres, on arrive à sc surpasser soi-mème; mais ce n'est pas du loutla m('me
chose, ni )lour la qualité du I.ra,·ail, ni surtout pOUl'
le pli qu 'ell prend le carael.brc, de ehercher à faire
bien absolument,et
toujours de son mieux,advipnue
flue pOUITa, ou ¡Je mellre toute son ambition il I'emPOrlCl' sur SOli rival. Car, mèrnp honÚête et scrupulel1se, celle ambition toute relalive n'est jamais la
plus fil're, et elle se satisfait souvent il trop bon
marché l. » Et ¡¡illeurs: « Mettre ainsi les élèves aux
prises, c'est donneril ceux mÔmes qu'on excite ajpsi
une ardeul' fihTeuse qu'il ne faut pas confondre
1.
0//1'.
cil,', pp. 2F;2·:¿í':1.
)IOYE~S
I'on\
IIEMPLACEII J:~~MULATlON
ï;{
avec la chaleur bicnfaisantc dc l'étude aimée pOUl'
clic-même .. , ,"ous savons bien que, dans celle lulte',
on cherche il. donner sa meSUI'e. ;\lais il s'agit de savoi~ si le même el1'orl. ne pourrait pas êf.¡'e obtcnu, el
plus sain, plus Vl'aiment fécond pOUl' l'esprit luim(\mc, meilleur en I.ous cas moralement, sans celle
excitation de la lulle. Les grands théoriciens
de
l'éùucation libérale sont unanimes à le penser ¡', )l
Faut-il Jonc su pprimer' les places et les prix? « Ce
sont, l'épand H. ;\lar'ion, des récompenses naturelles
et fOl't bonnes 2, » Mais les élèves « s'aviseronL assez
tôt du profiL qu'on a à bien faire: pourquoi ne pas
nOlls donner' le luxe dc tâcher de leur fair'e aimcr' le
mieux pour lui-même, Qui leur tiendra un langage
élevé sinon leurs malLres, et'4uUlH1 apprPlldroni-il",
si (~C n'esL à l'école, ir mellr'e quelque chose au-dessus des calculs de l'intér'êt? S'il doiL y avoir' une
~dllcation morale au sens fod du mot, c'est en cela
~
I.
pp, CCIl-CCIII.
lIcrnardin dc Saint-Piene
avail déjà préconi~é cet appel á la raison
de l'enfant: ,< On dl'~"":;('r1J, (lit-il, lcs enfants à nc jamais
pel'dre le sentiment de Jeul' conscicnce;
ainsi, au lieu
dc lem' apprendre à sc préférer ¡¡UX aulres par une émulation qui csl pour les autres et pour eux unc source perpétuetc de tr'oubles,· on les lai,;,;era se contenter
d'abord
,l'eux-lIIèllles, afin que, pcndant les ol'agcs d'une société
discol'danle, ils trouvent au moins dans Icur cœur le repos
ct la paix. » Et K-"T (Dnclrinc de la vel'/u, trad, 8arni, p, 2,11);
le Que l'enfant
apprcnne à sub;;titucl'la crainte de sa propre
conscience
à celle des hommes et des chtitilIlents divins,
l'estimc de lui-mèmll et la dignité intérieurc
à l'opinion
d'autrui, l'intelligence au sentiment. »
:1, lIapporl,
cIe" p, CCIl,
(1'¡¡'llX
lIapport, ctc ..
,("""
solill/ire)
74
L'ÉMULATION
pd~cisémenl qu'clle consisle ... L'éll-ve qui se conduil bien, qui ll'ayaille de même, doil êt.re heureux
ipsuJaclo '. »
Enfin, II. \hu'ion ajoule d'autre pal'\": « Le succès
esl à lui-ml~me sa récompense.
QuanJ un élève a
bien fail un de\'oil" une composilion, sa I'é('ompense
esl de savoir qu'il a réussi ... Se senlir en progrès
esl la récompense des etrorls. Mme de Maintenon,
Ù cel égard, avail un mol qui lui fail bien honneur;
elle ne voulail pas qu'on abusâl de l'éloge:
«( Je
(( suis ravie de ce que YOUs me mandez sur le LI'a« vail des demoiselles;
mais je n'approuve
pas les
«( empressements
que vous avez toules pour les
« louer el pour que je les loue; c'esl par celle con« dllile qu'on les a gâlées, el qu'elles croient qu'on
" leur en doil de resle. Quand elles fonlleur de« voir, diles-leur
donc simplemenl
que l'ou\Tage
« va bien elrien de plus. I) L'Cniversité,
alljoul'd'hUl,
ne saurail rendre au pays un plus grand sel'Yice
qu'en s'ell'orçanl de former des hommes
donI le
soin, dans leur fonction privée ou publique, soit de
faire que l'ouvrage aille bien, sans souci du salaire
qui doilleur en revenir 2. Il
Dan::; ses Leçons de Morale, H. l\Iarion avait déjà
el plus explicilemenl
encore exprimé les mêmes
idées. « Presque jamais, dil~il, nous ne demandons
1. L' Education dans /' Université,
2. Rapport, etc., pp. G"CIX-GC.
pp. 278-279.
:\lOYEl'iS
POUR
HEMPLACEH
L'É:\lüLATION
75
simplement à l'enfant de faire ce yuïl faut parce
qu'ille faut el parce quc cela est dans l'ordrc; DOUS
i nv,)(!uons ccnl motifs plus ou moins bons. parmi
lcsq uels nous plaçons cn premilTe lignc les maiDS
bons, ceux qui précisément
s'adresscnl
il ses pen~hants
égoïstes,
Ne supplions-uous
pas l'enfant
léger ou paresseux d'entendre mieux ses intérêts, et
ne sommes-nous
pas contenls dès qu'illes entend à
noL~e gré? Si par peur du ch¡Jliment ou par désir
ù' être récompensé, il fail quelque elforl heureux, cet
elfert intéressé
nous satisfait touL autant que s'il
élait dû à la plus pure bonne volonté eL au sClll
désir de bien faire (pp, S6-5¡), On devrait mettre en
œu,re tous les moyens possibles pour amener l'enfant. à faire quelque chose, d'abord peu, puis davantage, par devoir pUl', pOUl' le seul plaisil' de faire
bien; on devrait l'amener it goûler d'abord de petits
sacl'itices et à y trouver ses ;neilleures joies, pour
qu'il fûl ensuile capable d'en fait'e de gruods ; on
devl'3it enfin lui faire aimer la règle et 1'01'(1re,
parce que c'est la règle et l'ordl'e, et non pas l'habituel' autant qu'on le fail à calculer ce qui lui reviendra de sa conduite bonne ou mauvaise, à suppuler
d 'a'lance le prix de ses fautes ou de ses efforls )
(p. fi?).
En somme, se régler SUI' la raison, faire, comme
dit Kant t, son devoir par devoir, eL non poussé « par
J, Encore
ce
philosophe.
qui voulait
que l'on obéit au
76
I'intérèt, par l'appât de quelque gain palpable ou de
quelque grosse satisfaction
d'amollr-p¡'op¡'e
», et
lrouvcr sa récompense dans l'approbation de sa conscience, dans la satisfaction du devoir accompli, voilà
le ressorl ctla sanction légitimcs de l'éducation,
Quelque bellc et <fuelque élevéc que soit unc telle
doctrine, il faut bicn ¡'c(:onnaÎtre qne,' prisc en nn
sens absolti, elle est conlrai¡'c à la vét'ité psychologique, L'idée pure du dcvoir ne saurait à elle senle
entraîncr la volonté, dc l'enfant surtout, en admetlanl que cela soit possihle chez l'homme. « Suppose¡',
dit M, Ribot, qu 'unc idéc toute nue, toule sèchc,
qu'une conception abslraite sans accompagnemcnt
affectif, semblable à une notion géométriflue,
ait la
moindre influence SUI' la conduite humaine est une
absurdité
psychologique ... Noùs pouvons afri,'mer
sans témérIté quc, dès qn'clle devient un motif d'action, d'aulres l'léments s'y ajoutent;
ce qui arrivc
chcz CI'UX « qui se dévouent pour unc idée». Cc sont
les sentimcnts sents qui mènent l'hommc l. "
devoir pal're:;pect pour le devoir, demandait-il que la vel'lu
fùtrécompensée sinon dans ce monde, au moins dan,; l'autre.
1. .Ilaladies de la volonté, p. ]2; pour des exemple,;, \'oy.
Ibid., p. as et suiv, - Cf. du même auteur La pSYc/l(Jl()!li~ des
se/ltimcl/ts,
p. 19: « C'est une ,;ource inépuisable d'illusion,;
et d'el'1'eurs, dans la pratique,. que la foi aveugle dans la
" puissance des id.ée5 )l. Vnc idée, qui n'est qu'une idée,
un simple fail de connai,;sance, ne p"oduil rien, ne peut
ricn: elle n'agil que ql.l.1nd elle e::;t sel/lie, s'il y a un état
aITedif qui raccompagne,
si elle éveille des tendances,
c'est-il-dirc des éléments moteur,;. On I'0UITait avoir étudié
à fond la I/aisu/l PI' lli,!t1e de Kant, en avoil' pénétré toutes
f
MO),¡';;'i~
POU Il IIE~IPLACEII
L 'ÉMULA'fIOi'l
77
;\1. Payot rcmarque, dc SOli colé, que « Fouillée a
défendu line théorie gén(~l'Ulement fausse en parlant
des idées-forces,
Il n'a poinl vu que ce que J'idée a
dc forec cxécut.ivc lui vienL Pt'csque loujoul's de son
alliance avec les vI'aies puissances qui sont les étals
affectifs, A chaquc inslanL, l'expérience
nous vicnL
convaincre du faible pouvoir de l'idée ... Par exemple,
on vienL de pa,,;sel' plusicll1's jou1'llées dans une demiparesse, on lit., mais le line à faire estlà, l'ptTorL l'ehule, malgré les excellentes raisons qu'on se donne
il soi-m(~me : bl'usqucmenL la posLe appOl'le les nouvelles du succès d'un camarade et nous voilà piqués
d'émulaLion, eL ce que les plus hnuLes et les plus solides considéralions
n'avaienl pu produil'e, une onde
émolive, ù'ordre inférieur, le fail incontinenl."
]\on,
J'idée par elle-même n'esL pas une force, Elle sel'ail
une force si elle élail seule en la conscience.
Mais
comme ellc s'y trouve en conflit avec des étals affectif,,;, elle esl ohligéc d'cmprunter
à des senliments
la ?oree qui lui manque pOlll' luUel'!. »
Voilà une loi psychologique
que n'jgnorail
pas
H, Madon. Aussi, lout en maintenant
haut l'idéal
a\ll¡uel doiL lendrc l'éducaleur,
ne proscrivait-il
pas
l'émulalion el ne voulail-il,
en fait, la suppression
ni des compositions,
ni des pl'ix. « La composition,
les profondeul'S, l'avoir couverte de gloses el de commentaires lumineux, sans avoil' ajoulé pour cela un iota à sa
moralité pratique. »
1. L'Éducalion de /a t'%lllé, pp. 36-42,
is
dit-il, a sa raison d'ètre de loin en loin comme exercice à fait'e dans un temps donné et dans des conditions identiques pour tous, le but élant pour chacun
non de faire moins mal qu'un rival, mais de faire le
mieux possible, d'éprouver ses ressources,
son acquis, sa présence d'esprit, d'apprendre
à se· connaître
et il donner sa, mesure it heure dite l. » Il demandait
seulement que le nombre ùes compositions fûl diminué, et. rien de plus raisonnable, qu'on attirâtl'all.ention ùes parcnls et des élèves non sur la place, mais
sur la note mème, Quant aux pr'ix, il les dédanlÍl
« en eux-mêmes
une t'éeompense excellentt' », il la
condition que la distribul.ion qu'on en fait flit pour
tous une sandion
exaele. « II est excellent, a-t-il
écrit, que les résulLats du travail de l'année soient,
proclamés ainsi publiqnement
pOUt' chaque classe et
pour chaqUe ord.'c d'exercices, l\lais c'est il condition
que ce/.le sode de compte-l'endu
soit d'une justice
délicate, d'une pal'faite vérité, el porle la lumière où
il faut2, »
Malheureusement
il esl arrivé comme loujours que
les disciples ontrenchéri
sur les idées du maill'e, el
de ce qui n'élait qu'une réforme dans le I'égime des
compositions et des prix, ils en sonl venus une douzaine J'années après, sous prétexle qu'il ne faut pas
dans les classes une tète, objet de tous lcs soins, el
1. Rapport, elc,. p. n:1\'.
2, Rapport, etc., p. <:C:V[.
lIlOYENS
POUR
HDlPLACER
L'É~ruLATlO:'l
79
une queue plus ou moins dédaig-née, qu'on ne doit
pas non plus exalte!" les uns pam humilier les autres,
à obtenir la supprl.'ssion till concours général, crnsémer". (:onlI'ait,c à l'esprit égalitaire, à demander la
suppression
du baccalauréat
et, plus récemment,
cl'lIe des distrihutions
de prix, ce qui aurait entrainé
sans doute la disparit.ion tics compositions, et tout cela
pendant qu'on \¡oulpversait et slll'chargcait les anciens programmes
d'étuclcs, en s'imaginant
que I'intéri~t seul des matières enseignées ou l'intime conviction d'Un devoir à accomplir
devait être ponr les
élèves le meillelll' des stimulants 1.
ecst un fait cependant qtIP, depuis la même ép 0que, on se plaint partout J'un fléchissement dans les
éludes2, Faut-il voir là UIW simple coïncidence,
ou
1. Le régime di!;ciplinaire a été cOIlsidét'ablernent ;ldouci',
riende mieux: il n'est pas bon de mener les enfants par la
cl'ainte, Les punitions ont pOUl' but de réprimel' la pares;;e
et l'indiscipline. Mois la secollde, peut-on dire, est fille de
la première:
l'écolier laborieux ne songe pas à se mal ('onduire. Cest ulle r,1ison de plus pour maintenir les Illoyens
d'entraînement
au travail, pOUl' ganler les récompenses
et
l'émulation.
2, On parle depuis des années (rune criHe du franç,lÍs ;
mai;;les professeurs de lettres ne sont pas seulsà se plaindre,
" Quand j'ai commencé
d'enseigner,
en 1887, constate
;\1. lIfaI'cel Bernés (Programmes détaillés d'un cours de philo811l'hie, préface, p, YI), l'enseignement
philosophique
était en
pleine prospérité.
Nos classes
recevaient
alors, comme
maintenant, des élèves fort inégaux: en intelligence, ell bonne
volonté, en capacité de travail; mais ils étaient en ~énéral
Lien entraînés aux exercices
de réflexion par Ulle longue
pratique ùu thème et de la version, des prohlèmes de ~èoml'~lrie ou d'arithmétique,
Le cal'actèt'e de généralité des
80
ll'Y aurait-il
pas plutôt eOrl'élation '? C'est un fait aussi
dont tout profcsscUl' peut témoignel' quc certains
élèves ne travaillent qu'au moment de préparer une
composition.
C'est encorc un fait non moins ccrtain
que beaucoup ne s"appliquent sérieusement que VCI'S
la classc de seconde ou même de premihe quand ils
scntcnt approchcr l'hcmc du baccalaUl'éal. Faut-il
donc nOlls priver dc ccs derniers cxcitants '!
Nous aurons l'occasion de revenil' plus loin sur
l'utilité, il cc point de vue, des examens et des concours, Insistons seulement ici SUI' celle des dislt'ibulions de lwix.
On n'a sans doute pas oublié comment,
pOUl'
satisfaire
en quelque
mesure aux doléances
des
villes d'caux el des plages, le minislt'e de l'instrucidées philosophiques
était pOUl' eux san;; doute liRe nouveauté; et il leUI' fallait deux ou trois moi" pour s'adapter
à ee nouveau travail; mais. presque sans exeept.ion, tou>; se
sentaient aWl'ès par la valeur humaine, pal' l'':'tendue d'application de (:es idée;; générales, par le con"tant appel qu'on
fait en philosophie à lïnitiative de la pensée; pl'csque tous
étaient intéressés et presque tous dès lors trouvaient dans
leul' année de philosophie,
pour peu que le pl'ofcsseur le
voulllt, un sérieux profil. On pouvait attendre bealleoup de
ces classes, quel qu'cn fùt l'effectif ... Depuis dix an<;j'ai vu
les résultats faiblir; les notes n'étaient plus aussi bicn prises
par tous; certains résumés devenaient informes ou sc réduisaient à de simples sommaircs;
les réd:lctions surtout
étaient mal faites ... A partir de 11l05,la baisse lente et partielle est devenue brusquement rapide et générale, et depuis
elle n'a pas cessé d'alle¡' s'accélérant;
même che7, les
meilleurs la réflexion Qst moins facile, moins équilibrée;
elle est enfantine dans la moyenne, nulle chez les faibles; et
les faibles deviennent de plus en plus nombreux- "
;\IOYENS
POUR
HE~IPLAC¡';1l
L'~;;\IULATIO~
81
tion publique donna, en 1905, J'autorisation
aux familles de l'elil'er Icurs enfants dulycée ou du collège
à partir du 1:) juillet. Cette tolérance amena bientôt,
dans chaque établissement,
la désel'tion de la distribulion des prix, laquelle restail fixée aux dernicrs
jou"s du mois. Aussi.1es adversaircs dc l'émulation
pro~itl:rent-ils
dc ce qu'on ne venait plus guère à
celle ~érémonie pour cn demander la suppression
pure el simple. La presse, l'opinion publique s'émurent. Hésllllat : non seulementles
distributions
de
pl'ix fLcent maintcnues;
mais il a été décidé, en 1\-.11:3,
que, pour en conscrvel', loute la solennité, elJes se,raicnt reportées au derniel' JOUI' de J'année scolaire,
fixé dorénavan,t du l:{ au 15 juillet. Entre temps,
-comme s'ils sc fussent <tonné le mot, les présidents
des distributions
de prix profi:aienl de leul' fondion
mOI::lCntanéc pour s'élever contre J'abandoll ou la
suppression dont elJes Naicnt menacées l.
Il nails a pal'U intéressant de transcril'e ici des extraits de <¡ uelques ·uns de ces discours. En mème
temps qt:'lIlIC eOllfirlllulion éloquente de certaines
idée:, qlle nous avons ci-de:,sus (~xposées, on y trou ..
Ycm une' justification
eomplètc de l'utilité des rècompenses seoluires,
l, (ln nails dit qlle notrc pays est un des J'arcs oÙ IÏnslilulio!l des Iwix t~xj,.;te avec cette importance ùémesurée
qu'clic 11 Clll'l. !lOllS, .\imerait·oll
mieux sulhtituel'
il unc
l'ed\(~l'dll', en ;;omme pur'ellle!ll. honol'iflr¡ue, Ic besoin ù'une
sali;;¡:Icl iOIl plus matérielle,
la cOUl'se aux dollal's par
exem l/e '!
l,lunnAT. -
L'\é:mnlalioll.
,
82
,
I. DlUI.ATlO:X
El, d'ahord,
le mini,;lre de l'inslrudion
publique,
ardentdéfcnseur
de la cau,;e de l'émulalion, présidant, en juilletlÇ}12, la di¡;lribulion solennellc dcs prix du lycée Louis-le-Grand,
s'écriait;
« On nc pcut rien dil'C contre le princip!'
des distributions solennelles de" prix qui nc porte également
contre le principe m,'me de I'émulalion, el rien contl'p
l"~mlllation qui ne porte contre l'idée même de
louang'c el de récompense.
Il y a, pn effel. (OIl(P une
t'cole qui assimile l'émulation
il la riv¡¡lilt'~ etla rivalit.é il la jalousie, .Je dis que c'est. unc école chagrine.
timide, misantl1ropique.
Je dis qu'elle ne vous fait
pas assez crédit, illi'OUS les pelils Françai", à \'0115 les
enfants de chez nous, .. l'íous sommes le pays, nous
l'oublions trop. qui a inventé la chevalerie elles tOUl'nois, les ('onJlictlls !laI/ici, comme on les appelait il
l'élranger,
le pays de Bayard et de la Tour ct'Au\'ergne ... On ne l'i"l/ue jamais, en excitant dans vos
cœurs l'émulalion,
d'y déchaîner l'envie, cal' vous
êlcs d'une racc où l'csprit de luUe podé il son paI'Oxysme ne s'appelle pas l'envie, mais bien l'esprit
chevaleresque,
Si volre rival a vaincu en combat
loyal, ce n'esl pas pOUl' vous un effort cruel de l'applaudir, c'esl une joie généreuse",
l'lIais il y a, objectcra-t-on, la supériorité
non mériloil'e des dons de
l'intelligence. Tel qui eslle plus laborieux n'est POUl'tant jamais nommé, et c'est Iii, conl.1'c lcs distributions solennelles des prix, la vraie, la redoutable objection. On oublie que les premiers d'uue classe en
:\1. Guisfhau,
lIIOYE:'íS
POr;H
RElIlPLACEIl
L'ÉMULATION
83
sont la fOl'ce cie traction, et que le vingt-troisième
est redevable d'un bienfait continu aux vingt-deux
qui le précèdent, -comme ccux qui le suiventlui
sont
redevables, à leur tour, à lui le vingt-troisième
l,»
Aulycée Henri-IV, en juillet 1913, ]\1. CoviJJe, inspecteur génél'al de l'instruction
publiquc, traitait,
dans son discours, « De l'utilité des récompenses
et
pal'li~ulièl'ement
des prix scolaires >l, Parlant de ces
(( péc:agogues éminents qui, au nom de la mOl'ale ct
1. Ce " vingt-troisième"
est une allusion au Iils de Bouvard, condi!'1ciple supposé,
'lue Illet en scène un de nos
plus lins humoristes, Maurice l)Ofl/wy, dans sc,.: spiriluelles
lI"flexi()ll~ sur /cs récolllpcn.'''s scolaires: " l'vIon lils n'est pas lin
aigle, dil Douvard ;l son interlocuteur
qui les l'encontre I'evcnant tous deux de la distribution des I}l'ix oÙ le jeune
g¡ll'!:on n'" mèllle pas été nommé, mais ce n'est pa,.: non
plus un cancre; ils étaient cinquante dans sa division. el,
d'apr!,s le classemenl général, il estle vin~t-tl·oisièllle. Vaisje le lui l'cpr'ochCI' .. _ .le vous parlais d'elHluètes tout il
I'heUl'e; précisément,
ccs jours-ci. un grand joul'l1al en
ouvre une SUI'les récompenses seolaires : convient-il .le les
supprimer' ou de les maintenir?
Un s'est adrcssé aux plus
notoircs éCl'ivains el la diversité de leur's réponses démontre.
une fois de plus, combien, SUI' n-importe
quel sujet, les
meilleurs esprits, dans notre pays. sont divisés, éparpillés,
L'un cstimc qllc l'émulation loyale est pour le8jeunes intelligences un entrHinementautravail,
surtout en France oÙ l'on
aimè loujoUl's nlOnneuI' el la gloire. Un autre ne croit pas.
d'une façon générale, que l'émulation soit un bon Pl'o.:édé
d'éducation. Celui-ci con;:;tate que ses condisciples d')ntlei
noms revenaientle
plus souvent dans les palmarès continuent aujourd'hui
il oeeuper
une plaee considérable
dans
l'élite du pays. Cel.ui-liI aftlrme, ail contraire, quejes succès
de collège ne prou vent rien et n'indiquent jamais le succès
futur. Ah I qu'il est malaisé de se faire une certitude et
même un doute, Tout compte fait, J apparait bien que les
plus r.otoires écrivains !'1e partager;t en dellx camps: les
de la· psychologie,
se· sont él!evés contre les recompense'S scolaires », qu'ils considèrent comnre « HO
f>roduit malsa-i'n l!Ie la va,n>ilé françajse",
fiai voudraient que te.,; écoliocrs a.pP·nmnent « sans antre satisfaclKHl que ecHe de la- ç;onseÏ.cllœ, sans autre bill
"lue le progrès ", qui, demalld@)lIl: « Faire de lIOnnes
études pOUf obéir à l'impératif calégol'ique, quoi de
plus aigne, de plus édifiant, de plus pur? )),:\1. {:oville
proclamail:
« VoIre emlwessemenl
à venir à celte
traJilionnali~le;;,
«ui demandenl le maintien de;; distrihutiol]:'; de prix, el le~ « hommes dc pl'Of:?I'¡~s
" qui en demandent 1:1 suppre;;"ion,
Mais personnc n'a songé il eon;;ult.er
)es inléressés
el, ,I:lns un [¡eau referendum, il f¡lire voter
les jeunes élè,'cs, ,l'ajoute qu'il sel'ait piquant de connaître
leur opinion sur le \'I1aintien 0U la suppressiou de~ palmes,
croix, I'uharrs, tit"'e~ doni ;;e parent ,'olontiel',; les grandes
pl'I';.;onnes, notamment le,:; « hommes de pl'og}';'" " <,orllme
il convient. Cpux-ci ont vl'aiment trop J'air de dire aux enfallt;; : « L'émul¡\lion el lu vunilé, ce u'e;;t ¡Jus pour VOll;;",
de même I(lI'on Il'ul' dit: " You,; pOtinez filmer' et vous I'nil'c
du mal, lor"I(ue vous "erez grands, "ljuant Ù moi. j':lurai"
donnt\ Illon ¡lvis sur cette '1ue"lion It, mieux du monde,
mai" on Ile me l'a demandé d'all~un~ mallière, - ~nturl'llt'ment, concluais-je, vous "0l1S sericz déclaré pour la suppre""ion 'I - POUl' le maintien, f))'ot(';;tu Boumrd, pour le
mainlÎpn, .Je ne ;;ni" l'as un " homme de progr¡'s)l, IIi un
révolutionn:ure,
cnc.ore moin" UII envieux, et j'ai du sens
commun, .l'exige 'lue le ll'avnil el l'intelligence soienl récompen"é:" et :,olennellemelll.
On n'ima~ine pa" UII ¡'I¡'vl'
filii viendrait cherclwr SOli prix à un g-uichel. •.•)lI1me \ln
pauvre U¡W ration de pain ou '1uel,(UC n'lement. :\c ''I'¡'ons
pas le lauréal honteux, .Je suis pOlir le,; dislrihlllioll:' ¡,.'la·
tante" des prix, et j'ai mené mon 11Is it celle dt' noire l'lIer
el vieux lycée, hien 'lue je fu,;sc cerlain d'avance 'Iu'il
n'aurait pa" mèmc lin d'~l'lIi"r arces,;it.
,le voudrais que
cette cérémonie eût développé en lui le seils ,Il' l'iné[wlité;
car I'inégalilé est une de,; conditions mèrne dt~ la vie, et
:\lOYI';:'I'~ POUn
IIE:\IPLAGlm
L'É:\IULATlON
85
cér{monic, parents et élèves, est unc réponsft pleine
de franche r{~alité il une doctrine fort belle en_soi,
mai., ù'un iùéalisl1'le excessif ou du moins prématurél,
Et puis comment ne pas constater que cette réforme
radicale de l'amour-propre
scolaire, ce nivellement
plein de délicatesse à l'égard des 'élèves médiocres,
ne trouvcnt guère d'encouragemcnt
dans les mœurs
et dans les goûts de 1I0tre démocratie.
Jamais
l'amour ùes titres, des pré~éanccs, des décorations et
elle la rend possible et peut-ètre belle en la rendant inllniment vur'iée; on la (:onstnte en tout et partout, dans la lia·
turc entiè¡'e, el parmi les pien'es mème, et l'homme doil
l'accepter, sous peine de ne jamais être heureux, puisrlue,
pour resler dans le domaine physique el moral, il y aUl'a
loujours des forls el des faiIJles, des grands el des pelits,
des hons et des méchants, des intelligenls et des simples.
NOli, !lon, j e ne demande pas ·la suppression
des récompenses ni pour les enfanls ni pOUl les grandes (Jer~onnes ...
Mon i,léal n'est pas l'lUi; un prolétarial
de 8urhommes
qu'u oe oligarchie de primaires ... »
1. Cr. J, (;11\0", pl'ofesseur de philosophie au lycée Uluisc
Pasenl : " ... Qunnt il ces puritains qui voudraient enseigner aux enfant;;, pal' la pratique, la verlu entièremenl
désinléressée, je crains fort qu'ils ne se soient f¡¡il de la
nature humnine une conception t.r'op ahslrnile, trop Hroite
et pHI' là même fausse el dangereuse. Nous ne sommes
point de pures intelligences el encore moins des volontés
pures; el, si, ·connaissnnl le meilleur, nOlls y somlnes nalurellement. portés, nous avous, d'nutre parl, bien des lenJanees, innées ou acquises, qui nous en délournent. Pour
l'ourmonter ces obstacles à l'¡¡ccomplissement
du devoir:
l'aUrait du plaisir, la crainle de ln douleur, la considération
de l' Jtilité plus ou moius bien entendue, il faul des auxiliaires, el ce sont, avec l'espoir a-ssuré de la satisfaction
intime, la perspeclive de l'estime et de la sympathie d'autrui ·~t même de quel(pe.; avanlages proba(¡les ou possibles.
Ces mobiles secondaires de la bonne conduite onl toujours
86
"
L Ei\ft:L ..\TION
des g-alons ne fut aussi l'épandu, aussi impérieux,
aussi jaloux. Quoi de plus instruclif à ct:t ég3l'd
'lu'une cérémonie officielle? Il Y a quel<{ues années
une grave commission
composée des hommes les
plus éminents, travaillait avec un zèle convaincu à
refaire le décrel de Messidor SUI' les préséances. La
République
tl'Ouvail l'<cune de Bonaparte insuffisanle; el bientôL paraissait Ull nouveau décret, œuvre
complexe, délicatp, qui, il chaque fois <{u'on l'applique, fail en mème temps bien des helll'eux et
bien des victimes. Ainsi ces places, ce classement,
ceLte hiérarchie de prix qu'il faudrait exlil'pel' d'ici
comme des herbes malfaisantes, les hommes fails ne
peu ven I s 'en passer dans la vie l. )
joué un rÙle important dans les aclions des pC'rsonnes
adultes; et I'Oll voudrail qu'ils ne ru,;sent pOUl' rien dans
les acte>; de>; enfanb ! Ouelle chilllèr'e! Et combien mieux
vaut cette le'~on pratíq~e de I'atlribution des ré.:ompen>;es
selon les règles de la jusl.iee! Bien comprise. eolllllle nous
l'espél'Ons, elle ne peut qu'aider I'~nfant il voil' plus (:Iail'
dans sa pl'Opre consl:.ience, et à ne COIl>iíùércr comme
dignes d'estime que les sUCl:ès mérilé,. vraiment par un
elTorl hOIlll(~teel bien pel',;onnel. La distrihution solennelle
des prix ne fail que r.~sumer iJ .'et égard, avec plus d'éclat,
et dès lors avec plus de I'or'tée, l'éducation donné!' lH'ndant
toulle cours de l'année ... " ;niscours pruno/let' Ii la dislrilmlion
des prix des écoles de Jilles de Uer/l!onl-Ferrafld,
le ~6 juilleI1912.)
\. " Une pratique, éCl'il Rémy de Gourmonl, qui veul rétablir l'émulation entre les enfants, entre les jeunes ~ens,
n'est pas en désaceurù uvee la psychologie. La plupllrt de"
hommes so nI ineapables ¡('agir' en vue de l'al'lion loule
pure; il faut pour le;; exciter' III pl'omesse d'une r'é(~()H1pense. C'eslle morceau de sucre qui les nu\ne. A mesure
qu'on augmentait le noml>re de ee;; morceaux ¡(e sucre
pou,' les hommes, décorations, médaille,;, diplômes, félici-
~10YE~S
POUR
RE~fPI~ACF:H
L'É:\IULATIOr-;
87
Engageant
les élèves de Janson-de-Sailly
(petit
lycée, juillet 191:~)à assister I'égulièrement
aux distributions de prix, 1\1. Haoul Rompal'd, consciller à
la caul" d'appel, leur disai[ : « Nous n'entendons par11'1' :et avec queUe chaleur
I) ,.UC d'éliminatoircs,
de
finales, ùe championnats,
de challenges ... De grâce,
ayc'l la mêmc considéI'ation pOUl' les compositions
malches de leUres ou de sciences, et pour cetlejinale
qu'oll nomme la distribution
des récompenses.
Applaudissons l'arrivée de ceux qui ú.;ticlITl.cnt le ,.ewrd
de la version ou du problème. La VLW de le\lr lI'iomphe
vous inspil'cra sans doute le désir de les égaler ou de
les surpasser, et ce sera tant mieux pour vos études,
L'é~IlUlalion est l'uiguilIon de la vertu, a dit Fénetalions, on le diminuait pour les enfunts, sous un prétexte
d'austère moralité, qu'ils sc hâtaient d'ouhlier au cours de
la vic. Leurs pèrcs pouvaient concourir pOUl'ùes couronnes,
ju,;r¡u':'l un âge av[¡ncé, mais, eux, ils dlwaient se rési!{ner il
fai¡'c' sévè¡·crnenl. Icurs dcvoirs, sans autre espérance que
la s:Jlisfaelion intérieure
ou des applaudissements
qui ne
dé¡¡:Jssuient pas les Illlll'S du collège et méme ceux de la
('la~se. Pourquoi, en UIl tcmps oÙ les hommes ont, plus
'lue jallluis, la vanité de la récompens,~, en ¡¡l'ivel' les enfunIs, qui y sont plus que d'autres sensibles '! J.~me souviens des distribution,;
solennelles
des prix qui terminaient de mon temps l'année scolaire. Les plus indifférents
par nature y trouvaient
uIle certaine émotion, Lt~S chose;;
onllu v[¡leur qu'on leur ullrihue. Pour tout cc petitmonde,
les volumes dorés SUI' tranche et les couronncs de papi.>r
peint en avaient une très grande. C'éluit une fète véritable
il laquelle toute la petite ville ussistail
et les enfants en
!{ardaient IÏmpression
que leurs années d'études uvuient
une grande importance,
ce qui est pres(lue toujours vrai. "
(I'rix el couronnes,
al't. de la Dépêche de Toulouse, 23 juin
1912.)
88
Ion. Lais,:c7. agir eet aiguillon. 1I n'est jamais inutill'"
à la vel'tu d'être affermie, surtout qnand eUe a di~
ans, "
Enfin, un écrivain socialisl.e~ Eugène Fournière~
constatant qu'il y a des communes oil il n'cst point
distribué de prix aux élèves des écoles primaires, et
que ce sonl celles qu'administrent
les socialistes,
s'est élevé hautement conlt'c cette pratique:
(( Mes
amis me permettront
de n'être pas de leur avis. A
vouloir implanter aussi rudcmentle
gens de J'égalité
au cœur des enfants, Ile risque-I-on fl3s d'y briser un
ressort? Je crains qu'on ne s'égare dans J'aspiration
à l'égalité sociale, qui est le fond même dll socialisme.
\I ne faudrait pas confondre la noble émulation (lui
pousse l'individu à mieux faire avec la meurtrière
concurrence
qui l'excite à spolier ou exploiter son
semblable.
La luUe scolaire pour les prix ne ressemble en rien à la lutte pour la vie. Les compositions ont lieu entre enfants du même' âge, qui ont
reçu les mêmes leçons ... Ces concours entre égaux
qui doivent désigner le prim w: intrr fI(lre.~ !lont, pour
les enfants, une leçon de justice dont, au sorl.ir d~
l'f:cole, ils ne trouvel'ont pas l'équivalent
dans les
luLtes qui les attendenl.
Dira-t-on qu'il y,a humiliation et chagrin pOUl' ceux qui, ayant concouru pOllr
les prix, n'en ont pu obtenir? Je pense, avec 1\1.GuisL'hau, que les enfants n'ont point, en général, d'aussi
mauvais senLiments. Pourquoi donc les leur supposerions-nous. les aurions-nous pour eux, lel'lleurincul-
:\[OYE~S
POUH RE~IPL.\CE:H
L'É~IULATION
89
quel'ions-nous?
Le socialisme est justice, et £1011envie ... Pour le réaliser, £le nous faudra-t-il pasplacel'
aux tâches supérieures
de la production
et de la
distribution
les hommes les plus qualifiés, Jr.s plus
aptes? Ceux-ci, (lui est-ce donc qui les désignera
entI'e leurs pair!'!, sinon précisément
ces roncom's,
ces compositions,
ces examens, par lesquels nous
exigeons de plus en plus que passent, en démocratie. ceux qui veulent servir' l'État, c'est-à-dire
la
colI('ctivité ?... Bien loin donc de supprimer aux ellfants leur's compositions
et kurs prix, c'est aux
ho;:nmes, e'('st au monde du tl'3vail qu'il faut étendl'c
l'application
du s)'st(~me, le seul qui donne ce résultat d'oblig-er les premiers il produire plus que les
demie!'s ou Ü se disqualifier I •..
Ainsi, l'entraînement
des faibles pal' les forts, le
rigorisme excessif et le désaccord de la docLr'ine en
question avec la psychologie, la l'echerche des récompenses par les adull('s mêmes, l'institution
pour
les jeux et exercices physi(lues de concours l'épétps
et de prix contr'e lesquels nu I Ile songe Ü pI'otester,
l'erreur égalitaire,
voilà les principaux
al'gumenls
justement
objectés Ù la thèse du recours, pour l'encourngement
au travail, à la seule conscience des
enfants.
Concluons donc que ni la raison, ni le cœur, ni
l'intérêt, ni le plaisi,r £le constituent
des stimulants
)l
1. JeuTles
élèves.
art. de la
Dépêche,
31 juillet
1912.
90
suffisamment efficaces. Assul'ément, il sera toujours
bon dc faire appel à tous les moLifs propres à agir
sur la volonLé de l'enfant. Mais, si les uns et les alltres peuvent (~tre d'excellcnls auxiliail'cs dc J'émulalion ou conlribuer à la maintenir PUI'C et gén(~reuse,
ilsnesauraientla
remplacer, ètre sust:epLihles l:ornme
elle de provoquer ct de soutenir les efforts. Cela ressorl des diw','sps considérations
qui p.'écl'denL, Pl
c'psL, camIlle nOllS allons le \'oi." rc .-IU·Olll. ,'p('onnll,
depuis J'anIÎquilè. la plul'arl des ("dlll'alcul''''
CHAPITRE
IV
RÔLE DE L'ÉMULATION
(( L'émulalion,
mÜre ()e~ grandes
choses, • (E. ABOUT, la (j,'ea contemporaine, ch. Jll, § 5. \
Les deux espèces de I'ivalités, d'apl'i~s Hésiode. - L'émula,ion chez les Grecs, - Influenee de l'émulation SUI' la civilisation ; - exemples. - tics elTets dans l'agriculture.
¡'industrie, le commerce;
- dans les leUres, les ,;ciences
etles arts; - dans un ~lat: utilité desdislinctions
lJonorifi'lues, - Les panég'Y"istes de l'émulation:
Plalon, Arislote, Plutarque,
Cicéron, Quintilien,
Hahelais, Rossuel,
Fénelon, Hollin, Condilla.:, Diderol, ~lahly, etc. - Le:;:
.Jésuite,; et l'émulation, - Tahleau d'une d:lsse avec ou
sans émulation. - Que l'émulation fait la grande supéI'iol'ití~ de l'éducation publiq\ll~ sur l'éducation privée; opinion de Quintilien, - de Dupanloup, - de Mme Necker
de S,lussUI'e, etc, - Impurtance de l'émulatiun : l° pour
l'éducation physit¡ue; - exemples: - 2" pour le pel'fectionnement moral; - exemples, -D'où vientla puissance
de l'émulation.
Comparant la rivalité jalouse ella rivalit.é de bon
aloi qu'cst l'émulation,
Hés:ode Óerivait au commencement. du poème des T/,{wQlt,r et des JOllrs : « Il n'y
a pas qu'une seule rivalilé, on en voit Jeux sur la
terre: l'uDe digne des éloges ùu sage, l'autre qui
9:2
L'Ém':LATIO:"I
méritc son mépl'is : toules dcux animées d\m esprit
différcnt. car' la seconde cxcite la guerre désastreuse
et la discorde ... , c'eslla nuit obscure qui l'cnfanta.
Quanl à la premièr<" le grand f!ls de Satume, habilanl au sommet dl's cieux, la pla~a SUI' les fondemenb mt~mes de la tcrre, pOlir qu'elle \'t"cÙl parmi les
humains el. lcur de\'inl propice. Elle pousse au Il'avail
le mortelle plus indolent. L'homme oisif qui jell!' les
yeux slll'le l'iche s'cmpresse il son tour de labourer, de
planlel', de bien gouverner sa maison ;',lc voisin lutle
d'ardeur
avec son \'oisin qui 1:1che dc s'enrichil',
Celle rivalité est utile aux mOI'lels. Le poticr rivalise
avec le pol icI', l'artisan a vee l'urltsan, le mendiant
avec le mendiant, le challteUl' avec le chanteur.
»
Cette seconde espèce de rivalité, l'émulation légilime, a élÚ en honneu r de toute antiquité. « Chez les
Grecs, toul él..'lit objet de concours:
les eXCl~i0Cs
physiqul's, les arts, la poésie. Les vainquellrs
des
jeme olympiques étaient chantés pal' un Pind:~re, el
leurs noms étaient gravés Cil leUres d'or sur des
tables de madlre. C'est à l'ambilÚ:m o'obtenirJe
p,'emiel' prix, que le monde doit les œuvres immortelles
d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide l. A Sparte,
l'émulation,
poussf\c jusqu'au
fallatisme,
produisil
une race d'une énergie inouïe: lile'élait à qui serait
le plus conrageux, le plus sobre, le plus insensible à
la douleur.
)l
1.
[\OUTROUJ.,
Quesli(}Tls ,le moral,- ettf'éducal.ion,
p, 77.
RÔLE
DE L'ÉMULATION
Au re~le, d'ulle manière gímél'ale, il Il'est que
jllSlt: de le reconnaître,
c'est gràce à l'émulalion que
les peullles se sont élevés à la civilisation I, que se
sont fonnées des sociélés lIombreuses, actives, induslrieuses
el riches, Peul-il y avoir, en effel, un
inslrumenl
de progrès comparable
il cet aiguillon,
qui, piquanl l'amour-propre,
fail qu'on ne saul'11il
supporter
l'idée d'être distancé par ses semblables
all dc reslel' au-dessous ù'e'Jx ? Quelles rcssources
ir.épuisaules n'otrre-t-il pas pour tous les genres de
perfeclionnement,
aussi vien pour le pcrfeel.ionneIT.eEl physique
que pour le perfectionnement
spiriluel '?
L'hùlc du LiOf! ¡l'Or, re¡wochant il sail fils lIer1. POllr f¡¡il'C ~cntir la valeur
tic l'ambilion
el de l'amour
de la gluire,
un hommc
dc hien, qui relll/l0l'l(l
au dixIl.litii'llle
sièclc
de nUlllbrf~uses
couronnes
:wadémiques
A, Thomas,
éCI'ivait,
"Olcz-Ies
dc tIcs"u<; la tene;
tout
changc;
lc l'eg.1I'd dc l'hommc
n'<lnimc plus l'honllne;
il
C3t seul sur 1<1t.erI'e; le püssé r.'est rien; Ic I'n',sent SC resserre, l'avenir
disparait..
., Spenccl'lI1onlrc,
au I'ehoul's,
l'action puis";(lnte sur lc développcment
de l'humanilé
des >;enLimcnts qui nai,.;sent
dc I'élllul<ltion
ou qui y contluisent.
" L'alllouI' de la !{loil'c, dit-il, ¡I {,té un stimulant
[lr{,ciellx
pOlll' le pel,rcctionnemcnt
milil:lire
et pal' consé'lu('nl
I'uur
la conservalion
nationalc.
Le dé"it, de l'approhation,
en
¡¡dollci,;sant
le cont1il. <If';; individu;;,
a tendu
fortcment
il
faciliter
la I'ool"'t'ation.
La crainlc
dc;; l'l'l'l'oches,
d'une
part, en r~[lrilllanL
la l:ichelé
dans
les cOllluab,
d'untre
['art,
en restreignant
les agi:;~emcnts
funcsteg
Ù la vic
:;ocialc,
a contrihué
à scrvir l'avantagc
des p"rliclllim's
et
cellli des Etats. Ce n'est. que quand J'individu
pOLll':;uiL si
pa--sionnément
Ic:; applaudissements
des autres,
qu'il egt
r.mené il sacrifier
Son salut
immédiat.
" (l'S)'CIIO{ogie, 1. Il,
p,61il,j
!!4
.:ÉMUL.\. TIOJli
mann de ne pas cherchel' it lui faire honneur, it se
distinguer
parmi ses concitoyens comme lanl d'aulres jeunes gens, dil, plein de courroux: « Ta mère,
dès les premiers ans, m'a leurré de vaines espérances, Im'sque je me plaig-nais qu'à l'école tu restais tOUjOUl'S en al'l'ière de les camarades
pour la
lecture, pOllr 1'(~critul'C, pour l'exercice de la mémoire, eL de ce que tu occupais loujours la dernière
place. Voil'" ce qui arrive quand l'ambition
ne vit
pas délns le cœUl' d'un jeune homme, quand il n'a
aucun désir de s'élever plus haut .. , ,le ne puis guère
espérer que mon vœu le plus aI'denl s'accomplisse:
il savoir que mon fils, non conlent de m'égaler, soit
meilleUl' que moi. Cal' que semil une maison, line
ville, si chacun, d'après l'exemple des temps passés
et des autres pays, ne se faisait pas line élude
agréable et continue de I'entretenil' et de l'améliorer? Un homme ne doit pas ressembler ail champignon, qui, presque au sorLir de la terre, pourl'it à la
place où il est né, et ne laisse aucun vestige de force
et de vic .. , QuicolH{ue a vu des villes p1"Opl'es el
vasles, n'a pas de repos qu'il n'ait embelli celle où il
est né, quelque petite qu'elle soit. J'ai six fois, dans
noll'e conseil, eu la place d'inspecteur
des b:llimenls;
je puis dil'e qu'en poul'suivant avec ardeur mes en~
Lreprises, en achevant des travaux commencés par
des hommes probes, et restés imparfaits, j'ai obtenu.
mérité l'approbation
et les remerciements
sensibles
des bons citoyens. Chaque membre du conseil prit
nÔI.E
DE L'É:\IULATIO:'i
9,;)"
enlin dt, l'émulation, se fit un plaisir de ces soins; il
prtÓsent tous s'évcrtuent,
et ¿éjÙ la nouvcllc chaus"éc qui nous unit Ú la grande route est finie, et l'ouvrnge est solide l ... »
Dans son Siècle rie LOllis XIV (chap. xxv), Voltaire
écrit au sujet J'lIel1l'idte-Anne
d'Angleterre,
duchesse d'Orléans:
Quand pal'Ut Henriette Ú la cour,
(( le got1t de la sociét.Ó n'avait pas encore reçu toule
sa perfection. La reine mère Anne d'Autriche COIIImençait à aimer la retraite; la reine régnante savait
il peine le français.
La belle-sœur
du roi apporta il
la cour lcs agréments
d'unc conversalion
dOllce et
animée, soutenue bientôt par la lecture des bons 011vrages et par un goÙt SÙI' et délicat; elle se perfcctionna dans la connaissance
de la langlle qu'elle
écrivait mal encore au Lemps de son mariage; clle
inspira une émulation d'esprit nouvelle et introduisil it la caul' une politesse et des gràces dontÚ peine
le reste de l'Europe avait l'idée. »
Qui ne connaît la vie cie saint Vincent de Paul, laquelle n'est qu'un tissu de bonnes œUYl'es, et qui ne
se souvient que la fondation à Paris de l'hospice des
enfants trouvés fut le résultat cI'un simple sermon de
charilé prononcé par lui dans cette ville? « Or sus,
mesdames, la compassion ella charité, s'écria admirablement le pieux ol'ateur, vous ont fait adopter
ces petites eréatuI'cs pOUl' vos enfants. Vous avez été
~. GOETlIE,
Iler'nWlill
et Dorothée,
ch:mt. II I.
,'
9í¡
L EMULA TIO./i
leUl's mères selon la gl'âce, depuis (lue leurs mères
selon la nature les ont abandonnées. Voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonne.' pour toujours. Cessez dès à présent d'être leUl'S mères pour
•.Ievenir Icurs juges. LeUl' vie etleu!' morl SOlIt entre
vos mains . .Je m'en vais prendre les voix et lp.s suffrag-es. Il est temps ue prononcer leur arrèt, et ue
savoir si vous ne voulez plus avoi.' de miséI'icorde
pour eux. Les voilà devanl vous, Ils vivront si vous
continuez d'en prendre un soin charitable, etje vous
le dédare devant Dieu, ils seront low; morts demain
si vous les délaissez. )) Tel ful l'effet Je ces Lell(~s
paroles qu'à l'instant même, sans sorlir de l'église,
par suite de la plus louable émulalion enlt'e les dames
préscntes, J'hospice des cnfants trouvés dai t fondé
et dolé de 40.000 li\TCS de l'ente. Ainsi « la pitié du
bon monsieur Vincent qui. sauva, all ùix-sl'ptièrne
sii'de, ut's cenlaint's d'cnfants abandonnés, el qu'on
l'amassait"
comnlf' ues chiens pCl'JUS
a donné
l'élan aux ~'\rnes charilables
de son temps et aux
Lonncs volontés dl's siècles suivants. Son dévouement a des consÓquenecs immortelles f. ))
l'lais laissons les exemplcs parliculiers.
C()mmenl
prog-ressent l'agriculture,
l'indusll'ie, le commerce,
sillon par la concurrence, celle rni~l'ede l'émulation?
:\'rsL-ce pas à qui fera chaqnr jouI' de nouveaux
elTo/'ls pOUl' pcrfectioll/ler ses moyens Je production
)l,
1. G.
CIlATliL,
Lt'Ctu"c,~ morales, p. 52.
RÔLE
97
DE L'É~IULATIO:'i
el bur assurer un avantage sur ceux de Lous ses
conl:UI'l'Cnts? Quel est le but des expositions
univeeselles et eégionales, des concours et. des comices
agricoll~s, eommc des eécompenses
divel'ses qui y
sOlll décCl'I1écs, sinon d'amener par l'émulation ainsi
cxcitée dans le monde entier, les individus et les nations il réaliser sans cesse des œuvres moins impaefaites eL plus utiles it l'humanité '1
N'est-ee pas pour stimulel' l'ardeur à traitee des
queslions pl'Oposées, et contribuer
par 1;\ au progrès
des lettres et des sciences, que les académies, g-randes
el petites, mettent des prix au concoues? Et en cc
qui concerne les beaux-aets, les concours de peintUI'C, de sculpture,
d'architecture,les
peix el médailles du salon ne fendent-ils pas au m(~me hut?
N'est·ce pas eneore, parce qu'ils trouvent, dans la
rivnlité ainsi engendrée, le meillem mOJcn d'exciter
le zèle de leurs fonctionnaires,
de leurs soldats ou
des simples citoyens, que les gouvernements
Ollt reCaUl's soit Ù l'avancement
au choix, soit aux distinc- .
lions ou décorations?
fhs cspri ts rigoristes ont blâmé l'insti tulion de ces
del'llières et voulu ramcnel' la société au niveau
d'une égalité parfaite. Ceetes, el cela a été assez répété, « le bien devrait être fait pour le seul amour du
bien. Tout citoyen devrait être utile à chacun de ses
concitoyens, se dévoucr, se sacrifier mt:rne pour sa
patrie, sans réclamer d'autre récompense
que celle
qui nail du sentimenl d'av?ir rempli un devoir diffiQLHIIAT.
-
L'F:rnulallon.
ï
cile. Mais en est-i I ain ••i? Peul-il même en êlre ainsi?
Il existe des âmes all'ermies dans la pratique de la
vertu et capables de celte force qui peut seule produire des elTets semhlables;
un assez grand nomhre
se sont révélées, surtout dans ce moment de gloire
et de dangers oil la patrie menacée dans sa propre
existence, au temps de sa régénél'ation en 1789, ¡¡yait
besoin d(~s elTorts, de la forlune, du sang même de
ses enfants; mais les lois de l'humanité veulent que
ce ne soient que des exceptions: elles n'ont pas per~is q\le l'abnégation
de soi-mèml~ flit la ••.edll de
tous. Quoi IIu'il en sail, il faul il l'homme un véhicule qui le détermine
à chacune de ses actions.
Panni tous ecux q\le la sociélé peul emplo)'l'r il son
avantage, le pire estl'intérèt d'argenl. qui n 'engendl'e
que l'égoïsme. Le meilleul' estl'émulalioll,
ou, si l'on
veul, l'l/mour-propre;
il ne vaut pas la peine de disputer SUI' les mob, Cependant,
nous ne savons Irop
si le sentiment qui pOl'le un citoyen il désirer fJu'une
bel1e adion, qui souventlui a coûté de grands sacrifices, ne reste pas ignol'éc de ses concitoyens,
et
qu'un signe dislincLif quelconque fasse connailre en
lui, ce qu'il a fait et ce I[u'on peut raisonnablemenl
en altendre encore; nous ne sayan", disons-no,us, si
ce sentiment peul être simplement qualifié d'amollrpro/wc, Dans Lous les cas, il tourne toujours à l'ayantage de la soeiélé; car une rÚcompensc oslensihle
accOl'dée à des serviee,; distingués impo!'oc à celui
qui l'a bl'iguée el obtenue I'obligalion
de ne pas se
HÔLE
DE L'É~rCLATIO:-;
99'
démcntir
dans le restant de sa carrière;
et ICI
l'amour-propre
lui-même concourt à ce que cette
obligation
soit. remplie. Ajoutolls-y qu'unf' récomprnse ostensible est un puissant moyen d'émnlation
et ù'cncouragement
pour bfèn des hom~es qui rcculel'uient devant les sacrifices dont le dédommagement devrait resler, pour ainsi dire, rcnfermé dans
le secret. de leur conscience. Cc sont ccs considérations qui avaient engagé l'Assemblée constituante.
ap.'ès avoir aboli les distinctions féodales, à décréter
qu'i: cn serait créé une nationalc:
ce qui a l>lé fait
par l'institution
de la Légion ù'honne-tll' I n, à laquelle on a depuis ajouté celle des Méùailles d'honneur, des Palmes :lcadémiques,
du l\Iéritc agricole.
Ces décorations
divcrses n'o/Trcnt-ellrs
pas aux
gouvernements
un moyen sÎlr eL peu coÙteux d'animcr ct de récompenser
le comage qui porte les citoyens à dc gmndes actions, utiles à leur patrie ou
avantugeuses
à leurs concitoyens,
de reconnaître
également la valeur d'une longue suite de services
honorables. ~Iais encore ne faut.-il point les prodigue.', car ce qui dist.ingue tout le monde ne dis1. l]élléral de V.\I[)'''COLl\T,
llr!. f)éc(Jralioll, du ¡Jicl. de I<..
On sait '1lIcl fut l'elIet de cette institut ion, créée
(mai lHU2) pOUl' honorer le mérite civil et militaire : " La
Fmnl:e, a tCI'il Stendhal, mal'chait par I'extrèlllf~ émulatiOIl
que ;\apoléon avait inspirée à tous les rangs de la société.
La ¡(oit·c était la vraie légi,;lation des Français, Le muindre
gal'rll!l pharmacien,
tr:lvaillant, dans l'arrière-lJouti'lue
de
son maitre, élait agité de l"idée 'Ille, s'il faislIit une grande
décoJverle,
il aurait 1:1 croix et serait fait eorule .•
(;on"u.<a/ioll.
100
J,'ÉIIlULATlON
tinguc pIlls personne, et ne doivent-elles
aller qu'au
mérite, SOilS peine de tomber dans le discrédit et
même de s'avilir. Qui ne sait malheureusement
l'abus
qu'en ont fait des politiciens employant à payer des
serviccs électoraux les décorat.ions que devrait seul
obtenil' le dévouement ail bien public?
Puisque l'émulation est pOUl' les adultes un stimulant si énergique,
on comprend
quc ce mobile ne
doit pas être négligé dans l'éducation
des enfants.
Aussi de tout temps les philosophes et les éducateurs
en ont-ils généralement vanté J'cxcellence', « A chaque
instant de J'éducation, dit Platon, le jeune homme
doit apprendre
que le mét'ite et les talents peuvent
seuls donner une supériorité réelle. » Aristote veut
que ce sentiment se rencontre
partout, jusque dans
les jeux ell'S enfants, qui, suivant lui, doivent être
aussi une imitation dllS travaux dont ils s'occuperont
par ]a suite, El Plntat'lIue écrit: « Il faut que les parents fassent le gnet il cet âge, en les priant, prêchant, t'emontl'ant;
surlou.t mellant
devant leurs
yeux les exemples d'autres en bien et en mal; car ce
sont les deux fondements
et éléments de la vertu,
I'espoi.' de prix et la crainte de honte. - Éloignez,
dit-il encore, les enfants des méchants, parce que
J'imitation est une suite de J'émulation.
)) - « C'est
J'honneur, écrivait Cicéron, qui nourrit les at'ts, et
tout homme s'enflamme d'amour pour une étude qui
promet la gloire, » Quintilien aussi, comme 1I0US
verrons bienlôt, se déclarait neHemen't el élolluem-
RÔLE
DE L'ÉMULATIO::'i
1UI
quemmenl en faveur de l'émulation.
Et'l'on lrouve
la cantil'malion de leur opinion dans les ouvrnges de
penseurs appartenant
nux écoles les plus difTérentes.
Rabelais nous montre son préeepleur-mooèle
inlrodui,.;:\nt Garganlua
en compngnie de gens savants,
« Ù. iémulation
desquels lui vinl l'esprit elle désir
de se faire valoir ll. POUl' luUer contre la paresse du
dauphin, Bossuet le faisait concourir av·ec des enfants OP son fige l, Locke, qui ne yeu I pas de I' éducalion publiqup pour son genli:homme,
recommande
néanmoins l'émulation:
« Tout esl fail, oil-iI, si vous
pouvez la faire nailre; vous n'avez plus besoin d'l1l11. " Préoccupé de remédier aux défauts d'une éducation
solitaire et voulant éveiller l'amour-propre un peu languissant Il II dauphin, Bossuet lui amenait des eufants de son
i\ge 'llli wncouraient avec lui, La J'cine et line nombreuse
assistance honoraient parfois de leur présence ces joutes
enfantines. Bossuet était donc en opposition avec ceux
qui, comme Rousseau, se défient de l'amour-propre et con·
damnent l'émulation. Dès 1666, or: avait admis il étudier
avec le dauphin quatre écoliers, qu'on appela enfants d'honneur. Plus ta1'(l, deux pages d'honneur, qui a(:eompagnaicnt
toujours Monseigneur, faisaieut soU\'ent assaut avec lui il
qui ¡'ediraille mieux des sentences latines, Plus tard encore,
les deux princes de Conti devinrent les compagnons
d'ét¡¡des du prince.
(Compayré, llistoire critique des doctrines, etc., t. l, pp. :lOo-30l;,) - L'éducation de Charles XII
nou& préscnte lin fait analogue: " Quoique doux dans son
enfance, raconte Vollaire, il avait ,me opiniÙtl'elé iusurmontable; le seul moyen de le plier était de le pi'luer d'honneu¡';
avec le moL de gloire on obtenait tout de lui. Il avait de
l'aversion pour le latin; mais, dès 'Iu'on lui eût dit que le
roi ne Pologne et le J'ai ùe Duuelllark l'entendaient, ill'apprit bien vite, et en l'clint assez pour le parler le reste. de
sa ,ie, On s'y pl'it de la rnème manière pour I'engager"!t
entendre le fl'ançais. " (!listoire de Char/es XlI, liv. J.)
>l
BANCO DE l_A RE.PUBUCP,
IIIlUOl¡;(.~
lUIS- ANGEl AJlANGO
102
,.
L !o;}lULATION
tres moyens, » Ainsi pensaient eneol'e Fénelon, Hol4in, tous deux d'un si grand poids en celle questioll,
l'un par sa pl'Ofonde connaissance
du cœur humain,
l'autre par sa longue expérience d'éducaLeur. Con(JiIlac l'approuve ell'utilise.
Helvétius la fait entrel',
eomme une donnée nécessaire,
dans son système
moral el politique. Didcrot reconnaît qu'elle esL « la
source des plus belles choses dans la société. La supériorité, diL-il, est un goût général. Le plaisir le plus
actif est celui de la gloire. L'affaire.esLde lui présenter des objcts estimables;
et l'amour-propre
sera
toujours la plus grande ressouree dans un Üat policé, » C'cst également l'opinion de Mably, qui, montrant comment la prudence du législateur doit s'y
prendre pour chasser les vices d'une société ot'! ils
se sont naturalisés,
écrit: (, Y trouve-t-elle
encore
une étincelle de l'amour de la gloire, ce sera pour
elle le feu sacré de Vesta. PI'cnez garde <IU'il ne
s'éleigne,
<.Iira-I-elle aux réforma teUl'S ; ménagcz-le
3vec soin. Examinez la vertu dontles csprits ou !es
cœurs sonL le moins éloignés; tâchez de la rendre
encore plus aimable el plus chère, cnlui accordant
des distinctions;
mais ne les pI'odigucz pas, de peur
qu'elles ne perdent de leut' prix, Que vos récompenses ne soient donc propres qu;à donner une nouvelle activité à l'amour de la gloil'e l, )}
L " Pour la vertu, dit Fénelon, elle sera assez excitée,
à servir l'Elat, pourvu que
vous donniez des couronnes et des statues aux !Jelles
actions. » (Télémaque, liv, X.)
op aura assez d'('mpressement
HÔLE nE 1!~:~ruLATIO:'i
103
On sait que les Jésuites faisaient grand cas de ce
sentiment p,ll'ont toujours considéré comme un des
reS,,01'ts essentiels de J'm't d'élever les enfants, « Il
faut, est-il ùil dans leur Règlemenl
des éludes, le
Ratio stud¡o/"llm, il faul exciter une honnêle (Imulation, laquelle esl un grand stimulant pour l'élude, H
Plus récemment,
un éducateur
que Renan déclare
« sans rival H, Dupanloup.
traitant de J'émulation
(' donl on s'accorde tellement à reconnallre la nécessité et les avantages dans l'éducation
H, éCI'ivait :
(, Il esl à remal'quer, en fail, quejamais
les plus religi:Jux instilulelll's
de la jeunesse
n'onl redouté
l'émulation. L'T~glise catholique elle-même a toujours
cher~hé à faire naitre dans le cœur de ses disciples,
les nobles sentiments
et loules les al'ùeul's d'une
émulation généreuse, - La première dans le monde,
l'f~glíse a institué les grades, les honneurs liUérail'es,
les distinclions
scientifiques,
les conCOUI'S, les prix
de travail. Elle redil volonliers avec saint Augustin
il chacun de ses enfanls:
POUl'quoi ne poul'rais-lu
pas cc qu 'ont pu ceux-ci el ceux-là'? Cur 1l01l poleris
quod ¡sli el ¡sl;"e?Seulementl'~:glise
nous avertil de
ne pas chercher à l'emportel' sur un rival pOUl' SUl'passel' l'homme, mais pour surpasser,
s'il est possible, le bien qui esl dans cel homme, et aLLeindre par
là un bien plus grand: ce qui est l'amour non de la
vaine gloire, mais du bien le plus élevé-et de la gloire
la plus noble et la plus pUl'e, - C'est le puritanisme
philosophiquequi
a essayé de bannir de l'éducation
,.
L EMUJ_A. TlOi'l
les justes louanges, l'émulation généreuse. Le pédantisme qu'il affect,e et qu'il inspire est véritablement
curieux à examiner de près. Rien de pius sec. de
plus l'aide, de plus compassé:
tout y est d'une fade
sensibilité ou d'une sécheresse désespérante,
»Loin donc de songer à proscrire l'émulation,
vouIons-nous savoir ce qu'eIle peut? Considérons
les
classes d'où elle est absente et celles oil en revanche
elle anime les esprits, Dans les premières, les mieux
doués eux-mêmes s'endorment
au scin de l'indifférencc ct dc la torpeur; lous sc montrent sans aucun
goùt pOlir le travail, sans aucun élan; ni vic, ni entl'ain; chacun s'acquitle comme it l'egreL d'une lâche
monotone.
Parfois même, hélas ~ un tel éLaL de
choses n'est-il que l'etret d'une émulalion à rebours:
un paresseux, qui jouit, pour une raison ou pOUl' une
aulre, de quelqlle presLige, règle alol's la mal'che; el
des enfants, donL l'émulation
bien dirigéc aUl'3it
fail d'excellents élèves, vont rivalise¡' avec lui d'indolence, quand ce n'est pas d'indiscipline. En ces classes
un bon entraineur a fail défaut. Dans les autres, quel
tabIea u dill'ércnl! Les camarades suivent avec ardeu¡'
la ¡'oute à parcourir; chacun s'estime assez pOlir vouloirmarcher
aussi vite; il ne fauL pas perdre sa place
et rester en ar¡'ière; un coup d'œil SUI' le voisin qui
vous dépasse, un aulre SUI' le maitre qui vous encourage, el un vigoul'CUX efrort fait raUmper le temps
perdu. « La volonLé, chancelanle quand elle est isolée, prend une vigueur nouvelle au contact d'autres
·
HULE
,.
DE L E1\lULATIO:i
105
énerg-ies, et l'enfant le plus indolent sc met à l'œuvre,
excité par l'exemple qu'il a devantles yeux. ¡l
Ce qui d'ailleurs constitue la principale supériorité
de l'éoucalion publique sur l'éoucalion privée, c'est
précisément
que dans la premi(~re règne normaleme:ll une émulation qui assure le progt'ès des études.
Anciens el modernes pédagogues
n'onl pas manqué de signaler cet avantage.
Dan., l'éducation
publique l, observait tri~s justemenl Quinlilien, « l'enfant vetTa tous les jours son
maitre approuvcr une chose, corriger l'autre; blâmer'
la paresse oe celui-ci, louer la diligence de celui-là.
Tout lui servira:
l'amour de la gloire excitera son
courage; il aura honte oe céder à ses égaux; il vouora
même surpasser les plus avancés. Voilà ce qui donn?
de l'ardeur à de jeunes esprits 2 !... Il faut aussi remarquer que ceux qui commencent se mesurent plus
volontiers avec leurs carnat'ades qu'avec leut' maître.
I. On s¡;it que Pintan, Xénophon, Aristote, trois grand"
noms qui résument la pédugugie grecque, voulaient, d'accord avec les tendances
générales de l'antiquité, que lcs
enfants fussent soumis à une éducation identique et pal'
conséquent publique.
2. Quintilien, Rollin, Dupanloup font valoir que du méme
coup une clnsse nombreuse anime naturellementle
maitre
lui-.llèrne. " Un professeur qui va faire sa classe, s'écrie le
dernier, ... mais il va trouver là de jeunes esprits, nombreux, animés, pleins d'émulation, qui l'altl'ndent.
L'cfTort
qu'il fuit pour les saisir, les élever jusqu'à lui, les dominer,
lui donne de nouvelles forces ... Dans le llomb¡'e sans doute,
il se trouve des ignorants, des paresseux, mais les enfants
studieux, intelligents, généreux, l'aident à éclairer l'¡gnnrall::e, à cntra/ner la paresse des autres. "
106
J:ÉMULATlON
En effel, qu'un enfant qui n'en est encore qu'aux pr~miers élémenls ait tout à coup l'audace d'aspiloer à
l'éloquence d'un homme qu'il regarde comme infiniment au-dessus des autres, il n'y a pas d'appal'cnce;
il s'attachera
bien plutÔt à ce qu'il trouve à sa po\'lée, comme uncjeunc vigne, à la faveur d'une autre
qui lui sel't J'appui, s'élève de branche en branche
et monte jusqu'au
faile ... II esl donc avantageux
d'avoir quelqu'un que l'on puisse imiter, jusqu'à ce
qu'on soit en éLat Je le surpasse.';
c'est £;al' ~es degrés que l'on peul espé\'el' de monter et de s'élever
fOl'l haul Jans la suite!,»
Élablissant un pal'allèle cnl\'e les deux éducalions,
Dupanloup cile une lellre d'un des précepleUl's les
plus capables qu'il ait, dit-il, jamais connus: " Dans
·l'éducation
particulière,
y lisons-nous,
Lous les
1. Ve l'illstitlltio/l
de /'omleU/o, Ii\'. I, ch. II. - Voy. les mèmcs
idées re!woùuilcs par H"LlI~, Traité des études, Ii\'. \'111. Rollin n'aimait pa~ "internat et reconnaissait, ù'antre part,
l'inCériorité (il faudr'aiL ajouter aujourdllUi l'insuffis¡lnce)
de l'éducation privée. L'idéal "erait, pour lui, ce que nou"
appelons l'externat, par.ce quc ce rég-ime combine les avantagc;; de la vie ùe Camille et ùe l'instruction
reçue en
commun: " JI y Il, dit-il, une troisième manière qui tienl
le milicu : c'est d'cnvoycr les enCants au collè!!c pour y
profHcr de l'émulation des classes, en les retenant le reste
du tcmps dans la maison paternelle. n - Quelle 'luC flit sa
haine ('.ontre les internals, Montaigne était cependant Corcé
lui-lIlème d'avouer les avantages de la vie communc des
co\lèoge" et de l'éduGation publique. " Ce nous cst une
grande "implesse d'aban,lonner les enCants au gouvcrnement et fi la chargc de leurs f.I(\rcs. Qui ne voit qu'en un
estllt tout dépend de J'éducation et nourriture de" cnfants ?"
(ESSlIi$,
liv, II,
XUI.)
RÔLE DE L'É"lULATlOX
107
moyens qu'on peut employer pour exciter I'émulation,
ne remplissent que très impal'faitement
le but. Dans
l'éducation publique, les élèves onl un auditoire, les
succès une digne I'écompense, les fautes, la par'esse,
une juste el grande publicité. - Dans l'éducation
particulière,
un enfant que l'on fait lutter avec un
COllsin ou avec quelques camaratles,
fait quelques
efl'orts de plus que s'il était seul. ~lais il est là tout
.au plus, comme un avocat dans une petite conférel:.C(~, comme un acteur à la répélition
solitaire:
dnm; l'éducation
publique,
c'est un acteur sur la
scène, un avocat devant le tribunal, un omteur il la
tribune. - Pour un élève seul, les études n'ont point
un bnt imrnéJiat; voilà pourquoi elles sont pl'esque
toujours accompagnées
de fatigue, d'ennui, de dégoÙt; dans l'éducation
pubEque,
le but immédiat,
c'est un noble et légitime succès convenablement
et
solennellement
constaté, Voilà.pourquoi
aussi il est
bien rul'(~ qu~un enfant qui a fait ses études dans sa
famille ait cette al'deill' généreuse
qui prépare de
loill les grands hommes et les grandes choses, Celui
qu:, dès son enfance, a été a~coutumé aux luttes et
aux triomphes du collège, conservera
cette noble
passion toute sa vie; elle s'ennoblim, se sanctifiera
Ja'ls son <lme, etl'aidera
à aecomplir les œuvres Ju
courage et de la vertu, »
Et Dupanloup ajoute: « Il suffit de voir ces pauvres enfants élevés solitairement,
quand ils se trouvent en présence d'autres enfants élevés au grand ail'
108
de l'éducation
publique.
Comme ils craignent
les
concours,
les compositions,
les comparaisons!
Comme un revers, line infériorité les abat, les humilie ou les irrite, au lieu de les animer, de leur inspirer les nobles repI'ésailles d'une vaillante émulation!
Esprits timides, ombrageux, gourmés, ils ne sontle
plus souvent que des soldats Je parade! El du côlé
ou camctère,
comme ils cI'aigncnt le contad et le
froltement des autres enfanls! Quelle sensibililé sur
la- plus légàe plaisanterie!
Quelle défiance, quelle
susceplibilité!
Comment un homme se fOI'mcra-t-il
de ce petit être tremblant et sauvage!
»
Le brillant éducateUl' continue par celte observation très juste et très importante:
« Dans l'éducation
particulière,
qui peut dire à un enfant: voici la me·
sUI'e exacle ùe votre travail, de vos e£rorts, de vos
succès; en Jeç:à vous n'aurez pas rempli votre devoil'? .. Dans I'~ducation
publiquc,
celte mesure
c'est le tra\"ail des autres. Il faul de loute nécessité
que l'enfant s'entende et compte avec les exigences
hígitimes de son amour-propre;
il faut qu'il se classe
tlarmi ceux (lui ont de l'esprit, du talent, du !I'avail,
de l'honneur, ou parmi ceux qui n'en ont pas. De là
celle constance, ces efforts continuels pour vaincre
sa pal'esse et se distinguer convenablement!
»
Pour conclul'C, Dupanloup
s'écrie:
« l'ion, non!
je ne suis pas de ceux qui redou lent dans l,(~ducation le condisciple et la noble rivalité qu'il excite.
Le condisciple!
mais c'est la société qui commence,
n<ÎLE
DE L'É~IULA TION
109
ln vie sociale, ses devoirs et ses droils; l'ardente
émulation, la puissance de l'exemple, le parlage des
joies el des douleul's, des lravaux et des succès, la
naïve amitié, l'appui, le secours mutuel, la fraternité
m(\me; cal' le condisciple c'est lin frère quand la maison d'éducation est une famille. Avec le condisciple
se rencon!.rent aussi les f\"Oissements, le supporl, la
pul.ience, l'ég-alité, le respect d'autrui, choses si préci3uses! Non :je le répèle, i: n'y a pas, ou du moins
il y a bien peu d'éducalion
sans condisciple.
« Au petit séminaire
de Paris l, j'ai \'u le condjsciple et l'émulalion préparer et accomplir des mimcles
de zèle el de !.ravail, et faire !1eurir, parmi cette nombl'euse jeunesse, !.outes les branches des plus fOl'les
éludes, en même temps que les plus solides el les
plus aimables vertus. J'ai vu là des enfants s'écrier:
Je n'ai point d'ennemis,
j'ai des l'il'aux
que j'aime 2 1
« C'é!.ail la devise de leul's combats
d'émulation.
,J'ai vu là des émules s'aia:er lendrement,
se combattre, se vaincre el se féliciter toU\' à loUl' ; je les ai
vus s'admirer, se chérir, se louer, s'applaudir mutuelle men!. a vec bonheur, ne pouvoir se passer les uns
d~s autres: c'est qu'il y avait, chez cette génél'euse
jeunesse, la noble el pU\'e émulation du bien, non la
1. SUl' le pctit séminairc
Saint-:'\icolas
du Clwr<ionnet,
au temps (lc Dupanloup,
voy. RF.H:<, Souveni/'s d'enfance el
dv jeunesse, I II, 2.
2.
VOLTAII\E,
Discou/'s su/' ¡'cnvil'.
HO
basse el odieuse envie ... Enlre tous, c'élait lout 11 la
fois une émulation de travail, de vertu et d'amitiél• ))
II est assez piquant de voir l'opinion si calégo-.
riqne de Dupanloup, pal'togée au fond. quoique plus
sohl'ement exprimée, par H. Marion, que l'on ne
saurait accuser cependant
de tendrcsse
exagél'ée
pOUl' l'émulation:
« lIne infériorité nolable des éducalions privées. reconnait-il. c'cst que J'{~mulation y
fail défaut, eL l'on craiL souvent, avec raison, devoil'
y l'cmédier en donnanL par exemplc aux jeunes gens
des compagnons
d'études. ALI conlraire,
parmi les
avanlages de lí\ducal.ion en commun, et principalement des écoles publiqnes,
on compte à bon droit
celui de placer l'cnfant dans les conditions mèmes
de la vie sociale eL de le préparer à ses lulles, L'esprit de ¡uLLe jouant dans nos sociétés un rôle immcn;;e, cc serait déjà un progl'ès moralement que d'y
faire prédominer l'émulation de hon aloi SUl' les rivalités mauvaises¿, II
l. Ii,. 1'l;,(Wt/t;,,",
t. II, pp. 1i!;.j·linO.
2. 1/J.;tlt/cal;ull d'lIls l'U/livers;té,
pp. 280-281.
(La Vie ,le c"ltèye)
: " Le coll~ge apprend:\
- Cf. PAl" J.'~ET
l'enfant bien des
choses utiles: la règle, car dans la famille la règle la plus
stricte est encol'e complaisante
et inégale;
le travail, car
le travail dans les familles est trop facilement I'el:khé, suspendu, interrompu;
la justice, car dans la famille la justice
la plus éll'oite est facilement mèlée de faveur; l'émulatif!ll,
ear au colll\ge tout est {~mulation. el celui qui n'est point
le premier en thème veut ètrc au moins le premier à la
balle ou il la course; la sineérité et la loyauté, car il n'y a
rien dont les enfants ont tant h(,)l'l'eur que de l'hypocri~ie
et de la délation; la patience, cal' les enfants sont méchants.
RÔLE
DE L'É~fULATImi
1'11
Faut-ilnommer
aussi Helvt\tius I, l'abbé de SaintPit'lTe, "Ime Necker de Saus¡;ure 2, Feuillet \ Jacouletl, . Tous sont d'acconl
pour proclamer
avec
:\lmc Campan que « l'émulation
fait la force ùe
l'éducation publique:' »,
Stimulant précieux pOlir l'éducation intellectuelle
l'émulation n'est pas d'un moindre secoUl's à 1 éducatioll physique et à I' éducation morale,
et i>e tOUl'mentcnt
les uns les uutres;'
lc courage,
car, au
collègc,
il faut se défendre
soi-même,
et UII poillt d'honnem étl'Oit intel'dit
d'en appelet'
¡¡U secou!'s
du mail1'c;
l'amitié,
Clll' c'cst au collège
que se nouentles
plus fortes
¡¡milit,s;
enfin il lui apprend
la vie, cal' là, comlllc dans la
vie, on n'ouliel)t
'1ue la place que l'on acquiert;
¡)I,I'SOllnc,
ne vient au-devant
de vous:
l'enfant,
eomlllC l'homme
pllH;
tard, est livré it lui-même
en f:lI;e d'une
règle innexiblf',
sans null'''
protection
quc !;on mérite,
sa pro!we volonl",
ses bonlles intentions,
Voith le collège duns sa vraie idée, »
- Yoy, encore,
dans iYouvcllesf'/ ""''''''I¡irs,le
Discours pruu"/lcé
ti /" dis/ri/Juliorl des prix du Iycé" l.'lwl'l"rnagne,
le ;; aotit 1883,
pal' Ed, Abont:
", .. L'émlllnlion
est au collège
toujours
en
• éYl'il, mais une émulation
honnête
et (lui ne sort jamais
du
droil ehemin ...
], De /'hornrn,' et de ses facu/tés
i¡¡[ellec/aelles,
sect. X, ch, XI.
2, Voy, 1.'F:daeatioll peuyressive.
t. Il, iiI', \'II. ch, III,
:~, ,uémoir'e cité; pp, :-Ji, as, !iIi, 140.
4. « Jamais
enfant n'a longtemps
ni vil'ecllcnt
joui, seul
il un jl'1I 'l"i demande
deux 01.1 plu~iellrR jouelll''';
de nll'rnl',
jarl~is enl'¡¡nt no tl'availlera
seul dans sa chambre
d'études
avec la "varilé,
le coul'age,
I'cntrain,
la facilité '1u'il mellt'ait
ail nH\llle tl'avail dans UII collège.
1\ lui fallt des ohjels
d.~
cOlnpal'aison,
il lui faut des exemples
qui le stimulenL,
des
poinls
ùc repère
qui lui marque nI où il en est duns sa
foule;
el c'cst là le rùle des camal'aùes
'11Ii l'enlourent
el
6U~' les'luels
il règle sa marche,
se propos:lllt
tour Ù LOllI'
dc lcs atteindre,
puis de le,:: dépasscr,
puis, s'il a perdu son
u"ance,
ùe les rejoindre,
,,(J)i.·/, <le péda!lu!li", art. cilé.)
ë. Happelons,
ù'un aulre
poinl ùe vue; '1u'un des al'gll-
112
,.
L EI\(UL.\ TION
Quels puissants
effol'ls n'excilaienl
pas dans la
Grèce ancienne les simples couronnes de verdure
el les prix décernés dans les difTérents jeux gymniques I Qui n'a présents à J'espril celle ardente
course nauli'lue, ces combats du cesle et de J'arc
que d(\peint Virgile au cinq~ième chant de l'Enéide?
la Iulte ou la course des chariots dont Télémaque
sod vainqueur dans l'île de Crète? El de nos jouni
avec quelle énergie et (Iuel acharnement
sont disputés les coupes et les prix dans les coul'ses d'automobiles! avee (lucile passion sont bouclés les circuits
div~rs ~ C'esl à qui atteindra les plus folles vilesses.
Que dire de la locomotion aérienne'?
Par crainte
d'êlre dislancés, nos ingénieurs, nos piloles, nos ofliciers cherchent
sans relllche le moyen de faire
mieux; nos aviateurs,
aspirant
à réaliser les plus
helles pl'ouesses, S'errOI'cent, au péril de leur vic, de
tenil' le record de la vitesse, ou de la haut.eul', ou de
la durée du vol. :\Iais :lUssi quels meneilleux
el rapides pl'Ogrès! El tOilS eos concours de gymnastique,
ces matches de foolball, quelle actiori n'exercenl-ils
pas sur le développemcnt
de la force, de l'adresse
ou de l'agililé chez no,> adolescents,
Peut-être y a-tment;; invoqués contre le monopole de l'enseignement consiste à soutenir 'lue les écoles libres, en concurrence ave!:
!:elles de I'Étllt, exciteront l'émulation de l'Université et
l'ohligeront il plus d'ar'deur:
raison aeœptahle, pourvu
toutefois que la concurrence
ne fa5se pas appel à des
moyens étl'angers /lU savoir, aux méthodes et au zi'le des
maitres.
i] dans ]a fréqucnce ct la muIliplicité de ces exer·
cices quelque
abus, ellct de trop ¡j'cllg-oucment;
mais qui songerail
à niel' ici ]e rôlc admil'Ublc de
l'émulalioll '? Housseau Iui-même, nous l'avons vu, recommandail
pOUl' celle raison les jcux en commun.
K cela monlrc de quel usage l'émulation peuL êlrc
pOIL' le perfectionnement
moral et la pratique de la
vertu, « ;\ous voyons bien SOL\'t~lIl, lil-on dans Plutarque, les chanlt'es CllllUsiciens ès-théMI'es, et toule
aulre telle manièrc de gcus qui sen'ent il faire des
jeux, Lous languissans,
nonchallans,
el non point
délibérc's, ni faisans Lous le\ll's cl1'ol'ls de monlrer ce
qu'ils ::;ça\'cnl quand ils jouent il pur eulx; mais
quand i] ya émulation el contcnlion il l'ell\'i contl'c
d 'u ul rt~S, il qui fel'<: ]e mieulx, alors non seulenwnt
ils sc pI'éparent eulx-mt~mes plus allentivemcnl,
mais
aussi leurs inslruments.
tastans les cordes plus diligemment.
Ics accol'duns el cntonnans leurs flustl's.
Celuy do:!e qui sçail qu'il u son enncmi pour émulateul' de sa vie, eoncurrcnt
d'honneur
el de gloire,
prcnd de plus près g-arde à say, considère circonspee.cmenl
taules choses el ordonne mieux ses
IlHeUl'Set sa vie ... Scipion ;\asica, comme qllelquesuns dissent ct cstimassent
y,uc les affaires ùes Homains étaient désormais en loule seureté, estant les
Carthaginois
qui leuI' soulaient fairc teste du tout
ruinés, ellcs Achéiens suujug'Jés j mais au contraire,
dit-.I, c'est à cesle heur'e cluC nou¡¡ sommes en plus
gl'Und danger, apnt tanl raieL que nous avons os té
QI.L\I\.n,
-
L"::mu!ation,
8
U4
,
.
L EJ\lULATlO:-;
Lous ceulx quc nous devions révérel', el Lous ceulx
que nous pouvions craindre l. »
Quand elIe se manifeste entre les enfants, celte
émulalion
pour le bien est éminemment
propre à
faire éclore ou à développer chez eux les senliments
d'humanité
el de piti<\, eL à leur élever le cœuI'.
Voici de celle nature un fail que l'apporte:\1. F. Thomas et qu'il tient d'un inspecLeUl' de I'(Jniversill~ :
tt J'ai dans mon département;
lui écrivait celui-ci,
plusieurs
éLablissements
où ce genre d'émulation
produil
d'excellcnts
résuILaLs. Bien souvent lc,mallrcs trouvent près de leul' bureau soit un paquel
de YieÜx habils encore uLilisables, soit des chaussuI'l~s, soit même des aliments
qu'un bienfaiteur
anonyme, - un éli~ve nalurellement,
- y a discrètement déposés avant la classe, Ce bien, fait sans o~tenlation, soulage plus d'une misère imméritée, el,
à tout prendre, provoqu;1l-il même, chez son auteur
quelque mcnue satisfaction
d'amour-propre,
qu'il
n'en mériterail pas moins d'être encouragé 2. »
Si l'on demande d'où vient que, dans ces différents
. domaines,
l'émulation
est un principe si énergique
d'aclivilt\, nous l'épandrons:
De ce qu 'elIe met cn
œuvre toutes nos facuILés : ia sensibilité, par l'entraînement de l'exemple, par ceLte ardeur contagieu.'ie
qui gagne naturellement
des êlres parcoul'anl
la
1. (J"WI'I'S morales. Comment
on pourra
ses ennemis. traù. Amyot,
2. Ouu. cité, pp. 211-212 (note).
rece\'oir ntilité ù"
115
m,'mc carrière, par l'allrait de la lutle, pal' le désir
d'(~tre remarqué, ù'obtenir l'approbation
etl'esLime,
par la joie du slIecès; - l'intelligence,
par la conscienct~ plus claire qu 'clle nous donne ùe nous-mèmes,
aiusi que pal' la vision neUe du but it atteindre;
la volonté, par la nécessité de surpasser ceux qui y
tendent comme nous, et aussi par la cOllviction que
fournit du pouvoil' ùe cette facuIté la vue des succès
d'::utrui. De la sortefait-elle,
suivant l'expression de
VcItaire, meUre à l'esprit « toutes voiles dchors »,
et s'exaILer l'umour-pI'OPI'e daus ce qu'il a de meilleur
et de plus fécond.
=1 est vl'ai que, pour arriver il ce résultat, pOlll'
err:p(\chel' l'émulation
de dégénél'er, on ne doit pas
exciter l'amour-proprc
de toutes manières; mais .Y
avail' recours avec sagacité, avec mesure, et s'appliquer à le diriger. C'est des moyens qui peuvent èl1'e
employés dans ce but, des précautions à prendre et
des ressources
à utiliser,
que nous allùns trailer
maintenant.
CHAPITRE
PÉDAGOGIE
V
DE L'ÉMULATION
Des préeaution,:; i. pl'endr'e dans l'emploi de l'émulation, -Pr:ncipaux procédés pour l'exciter ou l'entretenir;
]. Reeoursau:cdeompcnse$:
-leur
légitimité; - dangers il óvitcr :
- des diverses sorles de récompenses:
l'approbation et
l'éloge; - les bons points; - les nol('s; - le tableau
d'houueul' ; - les prix; in1uenee de ces demie!'>; ; exemples; - 2' Utilité des rO/l1f!o<ition$" - des coneours;le ConcoUl';; général:
inconvénients de sa suppression:
son rétablissemcnt
projeté; - opinions diverses;
- des
e:wmens: -leur
nécessité:
- le lltlccalallréat : comment
on a pl'élendu le remplacer; - sa valeur: - 3' I'émullltion
av/'e les !/raflds hOlllllles : son importance;
- 4' 1'¡llTlu/lltior.
auee les !céros du jou,. .. - utilité d'un Journal des écoles; ,~" Cauto-émula/ion,
- Conclusion,
On a cit de l'émulation
qu'elle entre parmi Ic~
>,timlllants de l'éducation, Gommr. ccl'lains poisons
dans plusieurs remèdes, C'est, en l'econnai:-sant
la
puissance d'tll1 lei mobile, affil'mel' la n?cessi té ùe
lIC s'cn sCl'vil' qu'avec pr:.Idence cI ùisccl'l1cmcnl.
Rien n'est plus juste, Si nous nous sommes allaehé
il déterminel' la vraie natul'e de l'émulation,
à la dis-
118
linguer eXI)I'essément des défautR ou des vices avec
lesquels elle a parfois été confondue, à cf¡ établir
aussi la valeur, il n'cst pas douteux néanmoins
qu'emploYl~e à tort et à traven~ elle pourrait devenil'
nuisible et mériler les reproches que cel'tains lui
adressent. II ya donc lieu de tenir compte des circonstances et du naturel des enfants, d de la discipliner, c'est-il-dire qu'il faut. suivant les cas, la réprimer, la modérel', ou bicnl'exciter.
Une précaution
s'impose tout d'abord: sc g:lI'der
de recourir à l'émulation
dans l'éducation
uomestique. Là, au lieu des avantages
qu'on en attend,
elle ne peut avoir que de funestes cffets. « Cnc précicuse émulation, fait obscrver l'lIme Campan, rÙgnc
dans les écoles ct n~ peut être iqtroduite dans l'éducation privée sans risquCl' d'y changel' de natul'e. Eu
classe, elle est toujours
accompagnée
d'un sentiment génél'eux; dans la famille, elle ne produit que
des rivalités,
de la jalousie,
et quelquefois
des
haincs ... Les louanges, lcs reproches et les gromleries d'une mère qui élève plusieurs enfants, excitent
dans les moins éclairés une secrète inquiétude Stlr
celle tendmsse maternelle d'où dépend leul' aveuÍr,
Les enfants voient ral'ementla
cause de leurs fautes
et cherchenttoujours
celle de leurs disgl'ùces dans
d'injustes
prévcntions.
Parmi un grand nombre de
jannes filles que réunit déjà le degré de leUI' instruction, il s'en trouve plusieurs
du même <1ge.
Dégagées de toute fâcheuse rivalité, elles se mc-
LA PÉDAGOGIE
DE J.'Ém;LATIOX
119
surcnt, et sont uniquement
occupées
du désiI' cIc
par\,(~llir les premières au but indiqué, Dans line
famille, les âges diffèrcnt, les moyens inégaux ne
donnent point aux enfants les mêmes motifs d'{'mulalion, ne fou1'llissent pas aux parents des points de
comparaison
aussi exacls l. ) 1\lme 1\'eckel' de Saussure écrit de mi:me: « Il y a quelque chose de si
odieux. dans la rivalité entre frllres, que des enfants
élerés dans la maison pate1'l1elle doivent en être présenrs avec plus de soins encore. La difficulté alors
sera sans doute d'exciter le zèle; mnis plus l'éducation momIe se perfeCtionnera,
pIllS elle s'unira intimement à J'éducation intellectuelle,
et plus on verra
cette difficulté s'atténuer 2. ))
II importe, d'aul1'e part, quand on utilise J'émulation, de s'attacher à la conscrvcr pure et généreusc,
Lc moyen? Guizot I'indiquc : c'est d'inspirer
cn
général aux enfants le désir d'ètrc estim(~s. cónsidé¡'és, loués, en évitant de mcltI'e aux prises leur
amour-pl'Oprc. L'émulation
d'un à plusieurs, dit-il,
est à ce point dc vue relativement
saine; J'émulntion d'un à un est toujours dangereuse,
« Lorsqu'uue rivalité s'établit enll'e deux enfants, on a à
traitel' avec deux amours-pro'pres,
un amour-propre
mécontent et un amour-prop¡'e satisfait: de l'amourprcpre satisfait peuvent uaître l'orgueil, l'al'l'ogallce,
1. De I'Etlucatloll,
liv. V, ch.
:1. Dc 1'}O;ducalioll progressive,
II.
liv. IV, ch.
nil.
L " E!\It:L.\TIO;\!
120
la dureté, toutes Jes passions hautaines;
l'amourpropre
mécontent
conduit au découragement,
à
l'indifférence, à la jalousie, à l'aigreur, aux passions
basses et faibles!, » Gardons-nous, en un mot, d'enorgueillir et d'humilier ou d'irriter. - Un éducateUl'
de Port-Royal fait semblable recommandation:
« En
tâchant de donner aux enfants de l'émulation, il
faut bien prendre garde d~ ne pas faire nallre de
J'envie pOUl' les bOlllH's qualités qu'ils remarquent
dans leurs compag-nons et qui lcul' manquent 2, »
\fme Guizot ,·ouclrait qu'abstraction
faite des individus, i.l n'y ail d'émulalion
qu'à propo~ de qualités
ou de VCI'lus à acquérir : « Beaucoup
de gens,
remarque I-elle, se sont élevés conlre J'usage de
l'émulalion;
ils y ont vu précisément le danger d'accoulumer les enfants ti. s'enorgueillir
d'une comparaison désavantageuse
illcurs cl1rnl1rades, et à chercher leuI' plaisir el leuI' sa,·oil' dans l'abaissement
des autres, Ce danger sera réel el grand toules les
fois.q ue vous PI'oposerez à J'enfanl, pour objd d'émulation, non un(' verlu, une qualité, un talent, mais
une pel'sonne ',» Et :\lme Campan est du mème
avis: « Dans la maison paternelle,
a-l-elle écrit, il
n'esl poinl de jeunes filles qui n'éP'l'ouvent ces premiers sentiments de jalousie doni leuI' sexe est susL (:ons('il...;
~.
,rf/Il
/'1'/'1'
U/'r/tl''''
COrS1'EL,
Sill'
dj'
Ct:¡(unlli'JIt.
rédllcalir¡ll
111.
dt':~ ell/unis,
~ 6.
3, LeU"es
SII/'
l'ódllcalioll,
lettre XI\'.
liv. Ill, ch.
lY,
L.\
PEDA.GOGIE
DE L'É~[¡;LATIO~
121
ceptible.
Lorsqu'on leur cite une jeune p(~rsonn~
trè~ instruite ettl'¡\S aimablc, si cc modi'le de perfection dont elles sont sans cesse imporlunées oŒre
le moindre sujet de cl'itiquc, il cst saisi avec emprcss(~ment, ella plus fÙchcu~e disposition de l'âme
Pl'enella place d'un sentiment noble et généreux l. Il
~'lais si l'émulation
n'a besoin d'onlinail'e
qlle
¡j'èlre ainsi contenue ou dirigéc, il est des cas plus
I'ur~s oÙ elle doit, an contraire, ètrc excitée: savoir,
lorsqu'un enfant, au licu de pécher pal' CXel'S d'amour-propre,
manquerait de confiance en lui-mème,
scraittrop
disposé, pal' humilité all par timidité, il
s'c'Tacel' dcvant d'autres qui ne le valent pns, Alol's
il est. ul'genl, loin de compl'imer l'amour-propre,
de
le stilIlulcr. « Tàchez, prescrit Fénelon, de découvrir au travers des gl'Ùccs dc l'enfance, si Ic naturel
qu ~ \'ous a vez Ù gouverner
manque de curiosité, cI
s'il est peu sCllsiblc il une honnête émulation ... Il
fad rcmucr pl'omplemcntlons
les ressorts de I'Ùllle
de I'cnfanl pour le tirer de cet assoupissement ...
Puisqu':! Lombe dans !,px[¡'émilé contraire b. la pl'l:somplion,
ne cl'aignez point de lui montt'cr ayec
discrétion de <¡uoi il csL capahle ; contentez-vons
de
pcu; faites-lui rcmul'qucl' ses noindres succès; repl'éselltez-Iui combien mal à propos il a craint de ne
pOllvoir réussir dans des cho~es qu'il fait bien; meLtez en Œuvre l'émulation2•
»
I. /Je Udf/rll/ion,
Ii\'. y, eh.
2. Hiluw/ion des jUl,'s, eh. \.
II.
1~2
L " DJULA TION
Les procédés
par lesquels
les éducateurs
onl
tenlé d'ell'ecluer celle mise en œuvre ne laissen!
pas d'ètre nombreux.
\ous
allons passer en revue
lés pl'incipaux el les plus répandus, en examinantla,
valeur de chacun d'eux.
Pn premier moyen d'émulation,
et le plus génémlement employé, e!'\t le l'ecours aux récompensps.
Mais, aussi Lien que celle du principe msme de
J'émulation, la question de l'utilité et des inconvénients qu'elles présentent
pal'tage les esprits. Cel'tains qui veulent, nous connaissons
d6jà la thi'se,
que le devoir soit pmtiqué pOUl"11Ii-ml~me, sans allh'e
considémtion,
les voient d'un mauvais œil, quand
ils ne les condamnent
pas absolumenL. Donner une
récompense à l'enfant qui a bien agi, dispnt-ils, ou
lui en faire espérer une pour le d(qpl'miner ùjbicl1
agir, n'est-ce pas rhabituer
à n'ohéir qu'à l'intél'l't,
à ne s'inspirer que de l'égoïsme; sans compler que
les récompenses
rendent J'enfanl présomplueux.
et
font nailre desjalousies
el des haines. II n'en faut
plus: l'enfant ne doit êlre porté au bien que par
l'amour du bien lui-mÔme. - Admil'able
doctrine,
leur I'l;plique-l-on;
il ne lui manque que o'(\ll'e
applicable.
Vous raisonnez Sill' les enfants comme
s'ils étaient plcins de sagesse, et vous leur supposez des vertus qu'ils n'onl pas et qu'on aurait !'\ouvenl pp,ine à rencontrer
même chez les hommes les
meilleurs. Cal', en somme, le devoir pur, pour ces
moralistes
infiniment respectables,
mais, semble-
L\
PÉDAGOGIE
DE L'ÓIULATIO:,\
1'23
t-il, trop austères, même s'ils sc mOlltrentloujours
détachés dc'S biens et des honneurs ue ce monde,
consisterait
essentiellement
dans le renoncement,
l'ahnégat!on,
I{' sacrificc. Alors, « égoïste, s'écrie
il'Oniquemenl M. F. Thomns, - et, probablcmcnt,
LIÙmable aux yeux de ces mOl'nlistes, - estl'enfant
qui lravaille non pas par respect du devoir, mais
pour méritel' l'affection des siens, pour réussir dans
ses étudcs et en recevoit' la ¡'écompense; - égoïstc
Pl sa:¡s mérite est l'ouvrier, quelle <¡ue soit. sa P¡'Ofcssion, dont. I'ardcur est soutenue par la promcssc
d'un salain~ et l'espoir d'un avancement
ou d'une
distinction con voilée; - égoïste est le savant qui sc
réjouit d'avance des découvertes
<¡u'il presscnt ct
Je la gloire qui, peut-être, s'attachcra à sonnom; égoïste, enfin, el platement égoïste, l'homme qui sc
dévoue à sa famille, à son pays, à l'humanité,
avec
l'arrièrc-pensée
que son sacrifiee lui sera compté un
.
Jour .... »
Ce n'est pas, quelque exagéré qu'il soit, qu'un tel
enseignement
ne puisse produirc des résultats heureux. « Toute parole, loute doctrine propre à éveiller cn nous des scntiments
génércux et à modérer
nos tendances égoïstes, cn fait, est salutaire. Il est
bon :.le rappcler aux enfants et, quelqucfois, aux
hommes, quc ceux-là seuls sont grands qui sont
capa')les, à un moment donné, de se dévouer, c'estÙ-dir~ dc penser moins à eux qu'aux autres, moins à
la vic elle-même qu'aux raisons qui la rendcnt digne
)
i24
d't~tre vécue; mais, pal' exc.ès de zèle, n'cst-ce £la,S
leur donne¡' de la vertu et du úevoir une idée bien
ét¡'ange que de les opposer sans cesse à l'intérêt, en
idcnt.ifiant la morall~ avec le désintéressement
absolu l.»
AccorúOllS, en conséquence, qu'il faut amenc¡' peu
il peu I'pnfanl à comprendl'e
que la ¡'écompense la
plus élevée se trouve dans l'approbation
intime de
la conseience; seulement, ne nous p¡'ivons pas, pour
I'entrainel' il faire des efl'orls, du secours pl'écieux.
sinon indispensable,
que peuvent appoder les récompenses, C'est en travaillant
¡JOIII' les obtcni,',
que
l'enfant contl'Udera l'habitude el Je goiH du devoir.
]\"incitons
pas, si l'on veut, l'enfant il fail'e son
devoil' pOUl' en être payé: mais récompensons-Je
qlland il fait son devoir, Ce lui sel'a toujours un
cncoumgement
Ù I'accol)lplir
2,
1. .lfor"l" t'I ,'dl/,·"liOI/,
pp. 11:;·117.
2. " VlI\¡;II.E, dans le neuvième livre de ~()n H"<'id,,, repr'ésenti' deux guel'riers troyens, Nisus et Euryale, prèt5 à ~i'
dévoucr pour le salut de Lous. Enée est absent, Aléthés le
reIllJlla,·!' comme do.ven d'âge (aTlllis ural/is ('/ maIl/l'ils;. " Quelle
récompense,
lellr dit-il, "ous pai!'ra dignenll'nl
de tant
d'hél'Oï,;me '? L:I première et la plus helle ;p,¡{c/¡errima primurn'
VOllS viendra des dieux et de voIre conscience ([Ji /IIorcsqll"
cia/milt 1'I',,/r¡'. Pour le reste.
le pieux Enée et le jelll!" A~cagne auronl Ù ,~œur de s'en acquitter envers VOII~ (Tllmrelera
reclclenl
atllllllm
pius
/F;{/{·as
alql/e
integer
aai
Asrl/llill,').
"
-
Ainsi, en première ligne, - au-dessus de toul et comme
hors de p~ir, - I'iù"e morale, le resped religieux de la conscience, le sentiment du deyoir; en seconde ligne, et comme
réconfort utile à des héros (à plus forte raison fi dlls enfants). de;; présenls palpables, el pour tout dire, de!'; récom-
LA PÉDAUOGlE
DE L'ÉMULATlO;-¡
1'25
II est, au reste, des précautions à prendre dans la
<Iistribution des récompenses.
D'abord, il va sans dire que, sous peine de perdre
toute efficaL:ité, elles doivent être accordées avec
discel'llcmcnl,
c'esl-i\-di¡'e être en ¡'apport avec le
mérile de chacun; varier d'imporlance
suivant la
valeur de 'l'acle accompli et s\:ivant les etforts; dill1inu(~r en nombrc avec l'fige croissant des élèves,
l'cnfant plus jeune ayant plus besoin d'êt¡'c stimulé, et futililé de son travail apparaissant
ùavanlagc à l'éliwe au fur el il mesu:'e qu'il approche des
exa mens qui doivenlle sanctionne¡';
n'être en aucun
cas nulLipliées oulre mesure.
\lai~ ce qui importt~ par-dessus lout, c'est que les
réeoa¡ penses soient habilement choisies: « Une règle
cerlt:ine sllr ce point, remarque Hollinl, il laquelle on
ne fail pas ordinairement
assez d'allention,
c'est
(\u'on ne doit propose¡', saLIs celte idée, ni des parures el un bel habit, ni des friandises et ùe bons
mo¡'ceaux, ni d'autres choses de cc genre, La raison
en csl claire, C'estr¡u'en leUl' promettant ces choses
en fOl'me de récompenses, on les fait passer dans
1 eu'!' esprit pour des choses bonnes en elles-mêmes
pell~e;;, tel est le programme ùu ~age Alélhè!;. ~OUi' le
cro~'ou8 hon, ni chimérique, ni yulgail'll, ¡¡pproprié à la
f¡¡iblc nalurc humaine, pm' conséquent pratique, pal' l:onHélJuent digne d'être PI'oposé 3UX Jl13ill'es de l'enf3nce. "
(!I. !)l:n"n, in Diet, .I,' pér/ayugie, art. ¡¡écol/lpenses.)
1. Truité·des études, livre VIII. - Cf. LOCl',E, l'e/l~Üs su,. Ur/,,,'utio" d,·s e/lfants, 2· partie, ch. III, ~ I.
126
,.
L E~IULATIO~
et désil'ables, et ainsi on leur inspire de l'estime
pour ce qu'ils <.loivent mépriser. J'en <.lirais autant
de l'argent, dont le désir est d'autant plus dangereux
qu'il est plus généml, et qu'il ne fait que crOÎtI'e avec
l'âge. »
Évitons Jonc que les récompenses aient un caractère t\'Op matériel, et recourons à celles qui, d'un
ordrc plus relevé, meUent en jeu dl~s sentiments
plus délicats, comme est, par exemple, le sentiment
de l'honneur.
De ce nombre sont les sentiments
ù'estime
et d'affection,
l'approbation
et l'éloge.
« Les enfants sont fort sensibles
à la louange, et
peut-être plus tùt que nous ne croyons. Ils trouvent
du plaisir à ('tre loués et estimés, surtout par leurs
parents el par ceu x dont ils ùépendent.
Si donc un
père caresse ses enfanls et leur donne des louanges
lorsqu'ils fonl bien, et qu'il les l'egarde froidcment
el avec mépl'is 1000squ'ils font mal; el si Icul"mèr'c
et toutes les pel'sonnes
qui sont aulonr d'eux les
l1'uitent de la même manière, ils deviendront
en peu
de temps sensibles à ee diffél'ent traitement.;
et, si
l'on sc faÎt une loi <.l'en user toujours <.lemême avec
eux, je suis assuré que cela seul fera plus ù'imprcssion sur leur esprit que des menaces ou des chàtiments l. "
1. LUCKE, ibid. - « On obtiendra plus de bons résultats,
lit-Oil dans le Ratin studio,.~rll 011 le Règlement des étude"
chez les Jésuites, par l'espoil' de I'honneul' et des récompenses et pal' la crainte du déshonneur, que par les coups. »
1..\ PEDAGOGIE
DE I.'ÉMULATION
127
L'appl'obation
cI l't:log-e dcmandcnt,
au sUl'plu;;,
h èL'c maniÓs arce tact et mesurf~, d'auol'd afin ùe
nc pas éveillcl' chez un enfanl l'orgueil ou la vanilé :
La IOlJt1ng-e,dit Fénclon, doil. J'animel', sans l'excilcl' I»; puis, comme le conslale Bain, « cCl'tains
genres ùe mél'ilc sont asscz palpaules pOlir êlrc
(t
- cr., d<lIlS :llmc de ~Iailltellon,
en{rc/ié"s
el proverbes
saliù.I sur {'émlllatiun
sar t'édllcation,
¡·:.rlraj/s
de .<cs {cllrcs,
al·j<,
par O, (jtu:.\lt(), In (;ont',"'·
(pp. 200-203): " Fall~lille. - J'ai Vll d.,s
enr¡l'lts (IU'Ollpou;;snit il tout ce qu'on voulait pal' la moindrc
louangc, ou cn Icur ma'r(IUunt ([lI'on ét.ait content d'eux. ~Ia\'(:dle. - ;\Iais c'côll'Ol'gucil 'lui fait aimcr Ic:; louang-e~.
- Faustine. - L 'orgucil veut (te;; louanges sans les méritcr,
et I1lOnnl'Ur ycut méritel' dc;; IOLlange~, - Sophie. - On ne
peut ricn fai¡'c de hon de ceux 'lui ne ,;c soucicnt poinl de
contente¡' lc:> pcrsonncs '1ni le,; (:onduiscnt, et ccllc indilTércncc c;;t de mauyais :lLIgllre pour l'avenÍl· ... Jc pcrsi:;tc il
croi¡'c 'lue la jcunes:;c u" peuL èlre trop :;cnsible aux
louange,; des honl\(\tcs gcns, à l'honneur de la répul:llion :
et qu'il n'y a 'lue les courages élevés qui "uienl capahle:; J.,
tout fai¡'c pOlir y parvenir, - I¡'ènc, - Avez-\'ouS des
exemples <.leCI) I{UC YOII;; dites? - Sophie. - On cn voil
PUUI' peu que 1'011 ycuillc éludier le natu¡'el dca jeuue,;
gen;;; j'cn ai n)unu qui aUl'aient soulTert le martyrc pOlir con··
tentcr les pCI'sonne;; avec qui ils vivaient; j'en ai vu, el en
t1·op gl'anù nombrc, qu'un ne menail 'lue par la crainte, ~Ial'l:cllc. - Et vous cl'oyez que ceux-là sont Illoin" bons .!
- Sophie. - Ils ont le cœur bas, el comment aUI'aient-ils le
courage de se eontraiudl'e pal'la réputation quand ils seronl
d¡ll1~ lc monde'! lJ,; n'ont pa;; cclui de faire leur po:;~ihl('
pOUl' plnire il ccux dont (lépcnd leuI' bonheul' per:;onnel.
:'ole mc parlez point,des
gen;; incapables
d'émulation;
il
n'y a rien de bon à en espérer. »
1. « Quoiqu'il soit fOl't bon d'augmenter
¡'ardcur '1uc les
enfant>; unt pour l'étude par les justes louanges qu'on ICIll'
donne, if le faut n"~anmoins faire sobrement, de peul' dc
lcur Jonner de la vanité et de le;; remplir d'une sec¡'è!e el
dangercuse opinion tic lcur prétendue suffisance.» (CULSTI':L)
lI~y¡"s ,II' {'¿JUCU/iOII
de" CIIJall/s, liy, Ill. ch. n, ~ IL)
128
,.
L E~IULA TIO::'i
représentés
par des chill'!'es. Dirc qu'une chose cst
bien o,u mal, en tout ou en pal,tic, esl un jugcmenl
{~galement clair; c'est donc une approbation
suffisanle que dc déclarer
qu'une l'éponse est bonne,
qu'un passage a été bicn expliqué. Ce sonl là des
éloges que l'envic ne peut aUaquc!'. Bien exprimer
IInc louange esl unc afl'aire délicatc; il faul beaucoup
de tact pOlir la .'cndre à la fois exacte cl juste. Ellc
doiL loujoul's s'appu)'e¡' sur des faits appréciables.
:\Iais un mérÎle supérieur
n'a pas toujours besoin
d'éloges bl'uyants: l'apPl'obation
exp.'esse doit être
motivéc par des faits qui ilnposenL l'admiration,
mème aux plus jaloux, Le véritablc l'égulateur est
la présence de toute la classe réunie; le malLre ne
parlc pas en son P¡'OPI'C nom, il ne faiL quc diriger
le jugement d'une mullitude avec laquelle il ne doit
jamais se trouvel' en désaccord; son opinion parliculière doit toujOlll'S Nre exprimée en particulier,
Le prinoipe du jury d'élèves proposé par Bentham,
(luoiqu'il ne soil pas formellement
reconnu dans les
méthodes J'éducation
model'11es, est toujours appliqué tacitemcnt.
L'opinion d'une classe, lorsqu'clic
a toute sa valeur, est l'accol'J du jugement
de la
tèle avec celui des membrcs,
du maitrc et des
élèves l.»
Les autres récompenses
par lesquelles on stimule
les élèves ne ,;ont en réalité que lcs signes extérieurs
l, 1.11Scie",'c
de l'édflcation,
p, 83,
LA
PÉDAGOGIE
ilE
11."
J.'É)lUL:\TIO;';
h)
d 'U 11examcn, et. ne pou vantl'(;ussil' dans cct cxamcn
qu'a la condition de s'être appliqué à sa bcsogne
jOllJ'l1ulièl'e, il mclll'ait plus dc zide il l'aceomplir.
Au lieu ùe cela, quc voyons-nous?
Qu'il s'applique
OU!lC s'applique
pas, l'élève sait également
qu'oll
lui pcrmellm de suivrc jusqu'au bout ]a filière 5COlair~; chaquc nouv('au mois d'oelobrc, lc fail avanccr ù'unl' dasse, comme ille fait vieillir d'un an. "
Et il ne pcut pas en l'tre autrement. Demandl'z done
it un cltef d'établissement
« de décourager
UIICfamiLc, de lui imposer dc retircr un enfant, de refuser
it UI1élève incapablc l'admission dansla classe supéricure, dc s'CXPOSCI' enfin à vail' la liste dc ses
internes en déficit, à la rentr(~e, d'une quinz¡¡ine de
noms', " et cc]a, uniquement au profit d'un établissement rival qui se montl'erail,
lui, moins exigea nt.
Quant il la seconde thèsc, qui préconisc l'établissement d'un cxamen spécial àl'cntl'ée ùc chaquc cal'rière, clIc II'est pas plus défendable. Ou cet cxamen,
en ctrel, sera analogue au baccalauréat,
ou il constitucra une surcharge
des examens d'entrée déjà
existants. 01', « ces éprcuvcs nouvelles, si elles ont
un :::araclère spécial, découragcront,
parmi les élèvcs
dc nos établissements
secondaires, tout eITort VCI'S
]a CUllUI'Cg-énéralc; de plus, elles s('!'onl un emmagasinage l~norrnc j les spécialistes
trouvcront
qu'oll
1. Ch.
BIGOT,
QCEYlUT. -
Olll'.
cité, pp. 212.213, 207.
L'(:ll1u)alioll.
10
f4ü
nc sait jamais asscz de ce qui concerne leuI' Ol(~licI,I. Si Ics éprcuves, au contraire, ont un caracU'l'e général, clles ne pourront être qu 'U1W résurrection du baccalauréat,
subi pal' les candidals
dans Je,; condilions
bien pires que celIes J'aujourd'hui~.
»
Concluons donc avcc (juyau : « II faut simplement
combiner le baccalauréat
avec des examens de passage )l, cn tâchant, cela va san;; dirc de rendre ces
derniers le plus séricux possible; mais conservons-le,
malgré toul, car il est, au moins dans les classe,;
SUpél'icul'es, un de nos plus puissanls moycns d'excitalion au t!'avail.
UlW nouvelle forme d'émulalion,
à laquclie on Ile
saurait repl'OChel', comme au sentiment qui 1I0llS
porte il disputer à des conCUlTents les distinctions el
Ips placl~";, d'êtrc une SOUl'ce de jalousie, de haine ou
d'ol'g"ueil, c'c,;tl'émulation
a\'ec les grands hommes.
« L'hisloire
univet'selle, dit admirablement
Cadyle,
l'histoire de ce quc l'homme a accompli dans le
monde, e'cs!. ail fond l'histoire des gmnds hommes
(lui onl lravaillé iei-bas. Ils ont été les conducle\ll's
1. "Celle
solulion, remar<luait aussi Guyau, Ile ferait
<Iu'ac<~élérer la ruine des études classiques. Les é,'olicl'" nI'
s'inlér'esseraienl
plus qu'aux connaissances
parliculii~r'es
'lui sonl exigées à l'entrée des diverses ('arril~res, L'unité
des études secondaires serait rompue, le collège sertlit lran~fórmé en un groupement
confus d'écoles p"'~p:ll'atoires,
donlle savoir primaire formerait le seullien. » (EducaU"" ,,'
ll,:rédité, pp. 1!l4-185,;
2. A,
FOUII.LÉE,
Olll!.
cité, p. ISi,.
ut's hOllllllCf;, Ct'S granJs
hommes; I(~s modeleurs,
les ;¡ulrons, et, ('n lIU large sens, le.:; créaleUl'S dt'
tOlll cc que la masse générale des hommes a pli s'~frorc~r Je faire all d'atteindre;
toutes les choses que
naIlS voyons accomplies dans le monoe son!. proprement le résultat
matériel extérieur', la réalisalion
pratique el l'incal'l1ation des p~nsées (jui habitère/ll
dan" les grands hommes envoyés dans le monde;
l'¡)rn:~ J(~l'hisloire du monde l~nlier, on pellt justementl'adrneLlre,
cc serail lelJ/' histoire l. »
D'oÙ vienl ceUe puissance
des grands hommes?
De cc qu'ils sonl, suivant j'expression
d'Emerson,
« représentatif,
des c.hoses (l'a{J(m),
et I.'JWÚtl' de.o;
idées n. - Ils so'nl r'cpr'ésenlatifs
des choses, car
c'est pal' eux quc la nature nou::; est I'Ó\'\~lée,que ses
lois sonl découvertes el ses forces mises ilnotre service: - r'epréscntalifs
d'idées, purce que les pensp.es, lcs aspimtions qui, en chacun de nous, restenl
impl'écises el incxprimées
11'111' doivenl
Je dcvenir'
conscientes et de se formulel'; l'idéal, par nous confusémenl entrevu, brille, gr;1ce à eux, lelle qu'une
doilc guidant l'humanité
dhns sa mal'che. Aussi
eonscl'venl-ils
SlIl' 1I011S une
inésislible
illnuenct',
eoulne cela est manifeste el dê.ns la vie publique el
dans la vie p,'ivée. « Efl'eelivl'l1lent all idéalement,
nOli;'
1I0US aiTangeons
pOlll' vine avec tics supé,'icurs, :\ous appelons de lcur~ noms, nos enfants
I. l.•..
, /fé/'o."
p. ;1(tl·ad. Il.oulct~.
H8
el nos lerres,
les rues de nos cités el nos maIsons d'éducation;
- leurs noms sont transfol'més
en verbes du-langage,
leurs œuvres el leUI's effigies sont dans nos maisons,
el chaque circonstance de la jOIlI'llée rappelle une anecdote il leur
sujet. La recherche
du grand ilOmme e,.;t le
rè\'e de la jeunesse,
el la plus sérieuse occupation de la virililé, - Lll. race, pour nous, marche
par leur crédit. Le fait de savoir qu'il y a dans
IlOS y¡lles un homme qui a invcnté
les chemins
de fer, élilve le cœur de tous les citoyens. - :\'otre
religion e~t d'aimel'et chérir ces patrons l, »
Nul doule «ue celte tendancc
q~li nous porte il
admirel' les grands hommes lle soil ail pillS haut
poin t salutaire. Leur vie oO'l'e un idéal, un modèle
qui nous aUire et dont nOlls cherchons, sciemment
ou nOll, à nous rapprocher 2, « Le choix que nous
1. E\ll<l\su~, h',·¡".••.<enluli,·,· men, It'aduit par ¡zoulet sous ce
titrc : Les SU/'hulIlain.<, qu'il faut cntendre au seils de : l.es
grands
2,
/)'[>I'S
d,· /ïllllllnnilé.
L'émulation est sans cesse échauffée
Par le nom d'un héros et 1:'8Ilpecl d'un trophrc.
( I.",;O\:"É,)
Combien de tahleaux des hommes le,; plu:" couragl'llX,
déclal'l¡it Cicéron, le" écrivains ~I'ec,;: el romains nous ont
lai"sé~ pOUl'èlre ¡'ohjet de noIre imitation: .Je lcs avais t.oujour,; devant Ic;; ycux dan,; ¡'admini"tration
de I'ttat, et la
sculc pens",c ,le 1o:~1I1' vcrlu fortifiait mOil e,pur, " (l'laid'l,ver
pOlir
Ardtia.<, \'1.) - '¡ichcl de lïlópital
nOllS dit aus,;i que
toulc sa "it' il chercha 3 imiter lcs ¡:p'and,; homllles de
Plutarque. - " Quand on a, I'cmarquc Aristot.e, de" aneé«
L,\ P~:DAGOGIE
ilE L'I~~IUL.\T101\
'1'.9
ayons l'ai t ti 'une canit'·1'l', le bien {Iont la soc¡¡;té nous
les petites vicLoires flue nails avons
reI1lpo1'lél's slIl'la paresseou surlevice,cequicollslitue, en lin mol, le meilleur de nous-mè01es, vienl
sOllvcnl de J'exemple qui nou,; a été proposé l. Combien d'exploralell1's
doivenlleul'
vocation n la leclure des voyages accomplis, avanl eux, par de \'t'ritall!es héros ~ La gloire de \'apol60n a fait ~ermer
des légions Je bmvcs, comme celle de Corneille d('s·
légions de poètes" « C'est (lue nOllS avons l'émula« lion de fail'e lout ce qu'un homme peul fail'e; c'est
« qU'll\"{~Cles grands,
nos p('nsées el nos manières
« spontanément
deviennenl
grande!';. )) - Par cela
même qll'il provoque notre enthousiasme
('\ place
haul nos :~(èurs Pl nos volontés, le culte des grands
hommes nous prémunit conlt'e la défaillance el nous
donne le courage
de' marC'lCI' SUl' leurs traces."
C'estlÙ cc <¡u'onl bien compris tous les fondateurs
de religions qui, pour exciler el soutenir l'ardcur el
le zèle de leurs fidèles, onl pel'sonnifié
dans les
sn;nts les verlus donlla pI'atique lcur paraissait
le
es!. l'eJenlble,
trl'S, tics parcnts,
tics connaissauccs
,illllstre>" lin IH1Y~, unr
citÚ tlout. on Cf't. fier, ou resscnt
'¡ lcur é~artl
lIllC ~Illlllalion
pa~siounéc;
car CC sont là autant
dc choscs
'1llC UOIIS faison~ lIùlrcs, et dont nOlls voulous
rcstel' digncs. " (II/¡¿/ur¡f/uc,liv.
Il, (~h. ,1.)
1. ,\ un point dc vue tout parLÎculic¡·,
AI.PII, DAlUE'!' (8"1/ue¡;¡rs d'ull fUJI/<lllc <le lcUres,
p, 1:1) fail cellc ,~onstalatiou
:
« Hcneoulrcr
de;; hUlllmes cé¡'~bl'es,
échangcl'
avee eux Pill'
ha~ard t¡uclqucs
IllOt", ¡lu'cn t'aut. pas plus pour cnn;¡llllllt~I'
l'amhiliou.
" Et moi aussi j'al'l'ivcrai
! " sc dil-on avec COIIf1anc,-', ))
150
plus ulile; r'est là ee (pÙl\'ait bien compris August"
Comte, 10l'squ'il demandait que l'on dressc1lle calendl'icr des bienfaiteurs
de l'humanité,
afin que,
chaque jour, ln vie de l'un d'{tux fût proposée Ù nos
m(~ditntions l.
C'{~st 1:'1ce qu'avait bien compris
encorfO un de nos plus magnifiques g-Ónics, Pa-,;teur,
qui, estinwnl que l'amoul' dl's gt'andes choses et le
culLe des grands hom mes doi vent èlt'e sans cesse
-l'aliment du cOlII'age indi\'idnel
et de la volonté sociale, qui. croyant forlement
II l'effieacitÓ souveraine de l'exemple, r\~slJmait un jour, aprl's n\'oir lu
ia biographie
de .Jenne)', son impression
par ees
mots qll'rm a 1'f'!l'Ouvés sur une page écrite de sa
main: ,( /),~ la vic des gt'ands hommes qui onl mal'({ué leur passage d'un tl'ait de lumièt'e durabl",
recueillons pieusement,
pour l'enseig-IH~lI1ent de la
posl\;ril{~, jusqu'aux moindres pamles, aux moindl'cs
aeLe!! pl'Opres il faire connaîll'l~ les aiguillolls de leur
gn\l1de Ùme. II Cn livre anglais, SeU-l/dp,
lui
m'ni!, rappelait-il,
proeul'é pnl' l'allure
simple et
vaillallte du récit un utilll l'éconfort. C'était une sÓrie
de biographies « représentatives
de ee que p(,uvent
l'intelligence,
le courage, ledévoucmcnt
ll. L'auteur
s'y d(;clal'aiL « heureux tl'exposer une ùérollv~rte,
de d{'CI'il'c IIIl ehef-d'œuvre,
de raconLer les gTands
services, de ri\sumer les nobles entreprises,
d~ montrer, mÔme à travers des actes dont les cons(~)l
I. F.
TlIU,L\S,
I'H,Jllcalion
des sI>n/illlen/s,
pp. 217-218.
L,\
PÉDAGOGIE
DE L'É.\IUL.\TIO:'i
'151
qllcn(:cs politiques étaicnt dis::utables, lcs prodiges
qllÏ1iipire l'éncrgie i »,
PareI' <¡Ile l'cufant, manquant dc personnalité
cI
de for(:t~ de l'aractt'~re, ne se suffit pas à lui-mÔmc,
el [:ar suite est suggestiblc
au prcmier chef, il est
encore plus porté q\le l'homme à imitcr, et il sc
mOllie volonticrs ;:\11' l'cxemple qui l\li cst donné!,
Prr.posolls-Illi doue pùur modèlcs les person\lages
illll...;Lresquc et\lèbl'c l'histoirc 3, Pal' d(~s rt'~eils. par
, l, Cr. (" Fi" .¡" Pusi<'lIr, par HE":; V.\LÉII,-R\I)()T, - nans le
dls(our,; (IU'il prononça à Dôle, en IRs3,IoI's de la po:;e
u'ur,e plaq\le commémorative
SUI' sa m:1Ï:;on natale, Pasteur éV()([uallt le sOUl'enir de son père, ,;'éniaíl ; " Et toi,
1Il01l chel' pi're, non seulement
lu avai;:. les qualité;:. persévérante,; 'lui font le:; vies utiles, mais tu avais uussi l'admiration des ~rand,; hommes et des gn\ndes (:hoscs, Hegarcler
en haut, apprendl'c
au delil, eherdlcl' il :;'t~levl'r toujours,
vuill. re que tu III'US ellsei¡;n':, "
2, Pour cette r:li:;on, dans lu [!l;lIille el ;;urtout il l'é(:ole,
il faut :;c préoccuper des cumarades
(lue le,; ellfant:; se
cho,sissenl.
;1, 1.(' prograllune
d'enseignement
des écoles primairl':;,
présent.: l,al' Lalwnal el dcvcnu la loi clu :n brumairc
an Ill. portait: ", .. On fel'a apprendrc le rCLUeil des actions héroïrflles ct les (:hants de triomphc, " - Faut-il
rap'Jcler
quc Caton le Ccnscul' s'était. alladlé
particulii'I'cmcnt, j.'l.IUI'l'éducation
clc ~on fils, it cOlllpo~er des
mOl'ceaux d'hisloire
propres
Ù lui fail'C connaitre
les
hOIlIlIlC;,;illuslrcs de son pays, et it lui foumir des moùèles
de I'robit" et de vertu?"
Sans doutc, dil ~\¡"\ET (l'ir! ri,'
Fmll/din),
il ne st'ra )las facile, il ecux qui connailront
lc
mieux Fl'anldin, de l'égaler, Le g(,nie nc s'inlite pas; il faut
avoir reçu de la nature les plus beaux clons (I,C¡'esprit et
les plus l'orles C¡lJalítés du cal'actèrc pOUl' diriger ses f;emhlables, cl inllucr aussi considérablcment
sur les destinées
de SOli pays, 'lais, si FI'¡¡nklín a été un hommc cie génie, il
a été aussi \1n llomlllc de bon sens; s'il a élé un homme
I:!ANCC) r jF-
I 11 Ur-n,
, •....••~_
,,
J. E:\IULA.TION
des tableaux familiarisons-les
.avec les actes et le~
vel'llls des hommes qui ont le plus approché Je la
perfection l, « Pour la g-randelJI' de la vie, Jil un éducateur anglais, ricn n'esl important
comme IlIW
imagination remplie d'h(:\'Oïql~es ,;otlvenil's. II n'ya
pas de pillS sÙrp méthl)de pOlir de"t~nil' bon. peutèt"e allssi pOll!' devenir gmnd, CI"C de ViVI'cde honne
hellre d:ms 1(' commcl'ce des hommes grands et
bons, Il n'y il pas de sermons qui ,'aille l'exemple
d'un gt'and homme. TOlll'llez-von,;, jellncs imngilla.lions, VCI'Sccs nobles galcl'ies des grands homilies,
vcrs ce \Valhalla des drnes hél'Oïqlles de tous les
temps et de lous les lieux, Vous vous senti,'('z excilés ail bien el vous l'Oug'il't'z de eommelll'e une bassesse salis les ¡'egards de cette armée de grands
l(\rnoins 2. "
Allssi bicn celte fOl'me de l'émulation
a-l-elle été
I'cconnuc excPllenle et légilime pal' les adversaires
les plus achal'n<'~s de ce sentimenl.
Ault'emenl,
VCl'tuCUX, il a été aussi
un homme
honnèle;
s'il a èlt~ uo
homme (j'f:tal glorietlX, il a été Ilus<;i un ciloyen
dévoll(o. Honorolls
les hummes
supérieurs
el proposons-Ics
cn imitatiou ; cal' c'cst en lll't'~l'arer de semhlahles,
el jamais
le
monde n'en a (~U 1111!J(,soin plus grand, "
I. " line
faul, dit Fénelon
pal' la bOliche de \It'ntor,
t'1llployel' les st',ulpteurs
et les peintres,
«(ue pour conserve.'
la mémoire
des gl'llnds
hommes
et des ~randes
aclions.
C'est tlHtli.; les hàtiments
publics,
ou dans les lOlllbeaux.
(IU'OIl doil eonse!'\'cr
des représenlalions
de tOllt cc 'lui a
été fait av'~,~ une vel'Lu e,xlraordinail'e
pOUl' le service
de la
palrie, " Jél"IIIIl'Jll<',
liv. X,)
2. BI..\Ch.lE. ['Hill/culi'Hl
cie slJi-lIlf;m(',
p. ~JI.
LA I'ÉDAGOGŒ
DE l:ÉMlóLATlO:'I
15:1
poul'quoi HOllsseau aurail-il fail des Vies de Plll/ro'lflll'
le livrc d'insll'uetion
de son élève? El po\ll'quoi
13ernarùin de Sainl-Pierre
voulail-il que les salles de
c1a~se;¡ fussent ornées des stalues
des hommes
illustres de l'anliquité et de l.1 pall'ie ~ La puissance
de l'cxemple qui nous pOl'le fi nous efTorcel' de marcher SUI' les tl'aces d'un personnage
glol'ieux, l'stelle au [rc chose en l'll'el (lue de l'émula! ion? ne de\'ienlclIc même pas, chez certaines
âmes plus ambitieLses, Lill désir d'égalel', sinon de sUl'passe¡' ces
grands hommes'/
i\!'est-ce
pas Ull lei senliment
qu'é¡)J'olèvait Thémistocle
et qu'il exprimail
av('c
tant d'énel'gie'? On sail que, « clans sa jeunesse,
enbnJanl
paclout vanter les exploits de :\lilLiaJe, il
rcs.ail souvenl pensif el rèvellr, passait les nuils
sans sommeil et ne fréquentait
plus les festins Pllbiies. Lorsque ses amis, surp1'Ïs de cc changement
cie vie, lui en ùemahdaientlá
raison, illeUl' répondail qlie les ll'ophées de :\Iilliaùe l'empèd13ienl
de
dormil'.))
C'esl bien celle ,;mulation que 1'(~SSènlail aussi Céstll'. « Pentlun,
son séjour en Espagnc, eommc il lisait, UIl joUI' de loisil', l'histoi¡'c
d'Alcxandre,
il se mit il penscI' cl il versel' d{·s
lar n e,:; ; scs amis étonnés lui en demandrnl
la
cm.se : N'esl-cc pas pOUl' moi, leur dit-il, \ln ju>,le
suj3l de doulcur, c¡u'Alexand"cJ,
ti l'âge oÙ jC •.,';¡lis.
eûl déjà conquis tanl de l'0Y~lUmes, el que jc ¡Ú1ÎC
1. Alexandre s'étaitlui-mème
proposé Achille pour modi-Ie.
1M
encOl'C rien fail de mémomble l. )) l\Iême senliment
chez Charles XII, quand, à son Laur, il fut séduiL
par J'exemple du roi de :\lacédoine : « Dès qu'il cul
(juelque connaissance
ue la langueJatin~,
r¿lconLe
Vollaire, on lui tH tmduil'e Quint.e-Curce;
il prit
pour ce livre un g-oùt quP le sujet lui inspirait beaucoup plus encore que le style. Cellli qui lui expliquail cetauteul'lui
ayanL uemandé ce qu'il pensail
d'Alexandre:
« .Je pense, dit le prince,
que je VOll« dl'ais lui I'cssembler.
- I( Mais, lui dit-on, il n'a
« vécu que trenLe-deux
ans. - Ah! repl'it-il, n'esL« ce pas assez quand on a conquis des royaumes2
il»
On objeeLera, il esL vrai, '1u'en vOI,I1anl rindiser
avec Alexand,'(', le J'oi de Sui~de futun fou qui fiL le
malheur ue ses sujets. A quoi nous répondrons que
mème l'émlllaLion avecceux qu'on appelle Ips gl'ands
hommes ti besoin d'ètre dirigée; all plulM ¡Ille faul
paf; confondl'e les avenlul'iers etles granues ¡lmes des
meilleurs sièeles, ce\les qui onl utilemenL sl'rvi la
v<"rité eL la jusLice, auxquelles l'humaniLé esL rede,'able de ses progr(·~s. Elles seules méril.cnL Ilolre
admil'alion. Les biographies
de ces héros, dl' ces
sainLs laïques, voilà cc qu'il fauumit
r~un¡r en
quelques livres, donI. les récits seraient proporlionnés aux différents âges el oi.! la jeunesse puiserait
1. Happorté par PLl'TAHQIE, Vic df Thémistucle et Vie d,' (;i.<ar.
liv. I. - Voltaire ajoute plus loin
(!iv.II) : " Plein dc l'idée d'Alcxandre ct dc César, il sc proposa d'imiter' toul de cc::; deux COII'luér'ant.s, hors IcUl's
2. /listoi,." de Chw'les XII,
vic:es .. )
1..\ I'ED.\GOGIE
1;;5
DE L'hlUL.\TIO~
les pIllS bellI's le~:ons d'énel'gie,
de noblesse, d'enthollsiUSIl1f'. « Les Vies de Pllllal'que, dit très bien
M. F¿'(i" Thomas, ont, pendanl longtemps,
servi
de:JI'Ó"iail'c aux plus g¡'ands espI'its; peut-êLre les
umns-nolls
trop néglig(~es ;\ notl'e époque:
aussi
youdl'iolls-nous
que Illlelqlle Plutarque
franl;ais,
pui,;ant dans noire histoire
si I'iche en gl'ancls
honlll1es ele taules sorll)s, fit revi\Te enfin, pOllr l'édification de nos enfants, les gloires les pIllS incontestées donl la Fmnce a le dl'Oit d'Nre fière l. ))
II ne sUIIl'ait èt.re. semble-toil, de pillS SÙI' moyen
d'é,lllcal.ion morale. De tels exemples, pl'Oposés il
l'éllllllat.ion des enfanls et sllrlout des adolescents,
en d(~lolll'llant ceux-ci des œuvres fades el malsaines
am((IUell(~s ils sc complaisent.
cont.ribueraient. plus à
l'alllf>liol'ation des masses que les pillS {:'loq\lenles
prédications
el les exhort:Üions
les plus p¡'essades\:.
El poul'tant il y a quelque chose qui vaudrait
encore mieux peut-Nre que de chel'cherdes
modèles
dans le passé, cc serail de les prendre parmi les
honnètcs el vaillantes gens qui nous entourent.
l.cs cxemplcs
\"aguè¡'e,
vivants sont d'un autrc
M. Lucien
Descaves
1. ¡;¡"/uwUou d,'s sentiments, p. 220. de III vo/,,"lé, liv. V. ch. II.
pouvoir.
émettait
Cf.
P.OUT,
le vœu
(lOducù-
/ioll
2. Commcnt, par excmple, plus cfllcaccment. cntl'etenir,
chez les générations
nouvellcs, la flamme du patrioli,,;me,
'luc <le Icul' proposcr pour modèles ccux cn ([ui clic bl'illa
,
.
L E~It;L.\
1:;6
nu"
qu'on affichÙt aux mms de nos écoles la lisle Jes
hél'os ObSCUI'S,Illal'in~ il bOI'(1 Je la TOI/mi Ile, qui,
Jans la .inumée l1'ag"ique ail le Voltnrno hrÙlait et
sombrait t, se risquèrent dans la tempête, ail péril de
ICUI'vit~, pOlir saUVCl' leur.; semblabll~s, « Il y cIlL,
dit :\1, Desca\'(>s, l'ntl'C ecs braves gens IIlW émulation supedJc, Vel's le bÙchel' qui llambail Sill' l'eau,
tout le monde s'cmpressa,
lieutenants,
maitl't~S
du pluo; vif éclat ou dl' cél"~J¡rer les gl'and-s événements qui
l'ont l'ail nailre ou ranimé~'? En glorifi:wt sc;; héros, une
nalion ¡Jl'<)voque dan,; le,; :lme,; le dÓsil' de rivali~er avec
cux de valeur ou d'abné~atil)n,
Telle est bicn 1'Í<J{,e'lui
dirigeait le,.; ¡JroIl1C)t.eul'''·d'une fétc nationale de .Jeannc
d'Arc ou de la commémorat.ion
solennelle, il ya quelqucs
mois, du ,.;cplièmc ccnlenaire de la bataillc de Bouvine,.;,
N'esl·ce pa,; elle qui inspira cette héroïque strophe de /(1
,l/<l/'sl'i liaise :
!'tous eIJll'('l'OIlS lIaos la carl'ièl'e
Quanti nos nini·s n'y seront
pIlls;
.Yolt.~ !I lrOI(/'e¡'Od8
leuI' pOllssière
Et /a lï~ICt! de lelf,'s ¡'{TtuS.'
nil'n ¡al)¡H~jalOHY ri.? l¡'/o' sH}"l)iu¡oe
\!lIC de parlagel'
Icur cercueil,
~Yous (IUI'ons le subli"Le m'Utleil
ne les "'cnger
ou rie ,es s"itTe "
el 'lu'e'(allc
lIu~o
le
l'ei'I'ain de
(; loire il noire
Gloire il ceux
Aux nwrl)'l's!
mourront
1. Le 10 octobre
191:1. t.1,.;tl'ophe, voy. l'/Uustl'<lli'JIl,
sublime
de
Viclol'
Francc
élernelle
~
qui sont lllorls pour elle ~
Aux vaillanb
! Aux fort:; ~
A ('I'/t:C '/lf'eil/la'¡l/t'LC
Q¡d /'elf.lel¿.t
I'lact!
El qui
I'J/'vlIlne
lelO' exemple,
dans le temple,
comllle
ils sont
morls ~
Pour un récit délaillé de la canuméro du IS octourc suivanl.
d'¡~:(llipag-e, limoniers, chaulIeurs,
matelots el jusqU':lll dernier dcs soutiers ~ CUI', c'est cela l'élite:
\Ill échanlillon
d'humanité
su¡lél'ieure,
formé pa\'
l'assemblage
d'élémenls diyel's, "
Et l'II. J)escayes ajoutait: (( Lorsqn'il semble bon,
éJiliunl, sulutuire, de proposer il l'admiration
IlIJive \'selle uri [lele de courage, de dé\"ouement, d'héroÏ:;me signalé par la pres~e en passant, poul'quoi
ne femil-on pas à celte action d'éclal le3 honneurs
de l'affiehagc
ou de la leclll1'e dans toules les
écoles 1 '? Les recueils de mc:!'('eanx choisis ne cont icnnent rien de mieux ; le~ manuels de morale non
plus, Leul's IlIenus, si bien composés qu'ils soient,
u'cxcitent guère l'appétit des élèycs; l'extl'a, l'entre
mels du joli!' le stimulerail davant[lge, »
Et cclte idée ayant tron\"(' quelque écho dalls la
presse (i\IM, Ed, Haraucollrl2
et Paul :\Iarguel'ille,
1. • Le;; t¡'aib ùe coura~e ou de honté exceptionnel-,
11
él:J'it Il. l\lal'ion, excitent l'émulu1ion; d'oÙ I'utililé qu'il ya
;l I",.; di\'ulguel' et à les l0UCl', " [La Solidllrilé morale, p, 1'10,)
2, « Quand un de no,; con<:itoyens, dil celui-¡'i dans un
article cité plus b,15, " accompli, ilU I'i:s<¡ue de :ses jOll'6,
un acte d'héroïsmc qui honore l;¡ I'aec et dontla vulg,lI'j,;¡¡lion sel'uit de nature à morali,;er la jeunesse,
votom,-en
¡'Mn •.litige aux milI'>; de la classc, On il fnndé récemment
Ut,,: Snciété ¡Je " }'Al't il It:cole, » C'cst bicn d'cnseigner
l'e¡;théti,\ue, eerte,,; ce "el'aitmicux
enCOI'e, cl plus Ilrgent
pellt- ¡'Ire, d'enseigllel·I'f1llrui;;m·~ aux !-(t~nération..;qui montenl: lion pal' des lhf:orie..;, ¡Jc;; l'l'èche:;, de;; livrcs moraux, ¡Jes imagcs, des cours Oil des di,.;(~ollrs, auxqllels la
je unesse moderne nc prend l'lus garde, mais pal' des f¿¡its,
ql i, seuls, l'intéressent
désormais, par des r{'alité", pal' Jcs
<l adualités
" dont clic est f¡'¡untie, »
t!lS
,.
L EMUL.-\TIO:'i
cntrc autres, y souscrivirent
avet.: empressement),
fut complétée ainsi par celui qui en avail dé le promoteul' : « Cil O/'galle pOllrrait être créé, ret.:ucillant,
£lOllI'les ft'ansmctll'c de tous côtés, les renscignements foumis par la prcsse, les socidés'dc
sametag(:, d'encou"agt'ment
au bien, la fondation Camégie, I'Acadt'~mje Française, clc, I )l.
Vn tel pl'Ojct dcvrait bien ètrc réalisé, A l'affichagc du cl'ime. à la publicité
des forfails guotidiem;2, il cst ul'gcnt d'opposcl' celle des actions
bellcs el gÓnél',~uses, de l'réel' un journal;'
exaltant,
aupl'¡~s des enrants des écoles, les actes de dévollement el d'héroïsme accomplis pal' les bl'a\'cs gens el
1. Vo~·. dans Ie !Jéléyué cuntonal(numéro
du I" févricrl!Illi Uti
arUdc dc Ll.cn;\ DEseA'Es, intitulé PorlL'urs de I,olllles n"'II·,·/I,".
2. Cf. notl'c ouvrllge SUI' la (:uriosité, pp, 4iH~.
3. ~1. Haraucourt propose de I'ólppeler .Jourllal d.,,< ¿c"I,'s, ct,
pour le rcndre prus intércssant
ct éviter l:1 monotonic, il
voudl'ail que, donnant sati;;faelion à cette « rC(JlIl\t{' dcs
lycéen" qui réclallwicut,
l'an deruicl', le droit dc sc tcui,'
au courant dcs faits contcmporllins
ct dc rccevoir dc,.;
journaux ", ce .Tollrnal des écoles, " intermittent, affiché, totaIcment dénué de politique ct de littérature, suns profcssion
d'aucun dogmc ct sfl'ictcment véridique ", flit " une manièrc ùe Journtll offlcicl;\ I'usagc d/\ la jcnncssc, où sernicnt
relatés les gl'ands faits 'lui plus tard constitucront
l'histoire ùc nos jours, et Ics actions nohles. " On s'llpplique"ait avec gl'and soin à n'y jamais prêchcr, à ne plaider
aucunc thèse en faveur de la vertu; on rclatcrait seulcmcnt.
Et, conclut cet écrivain, j'en suis bien convaineu, il suftirait dc monlr'el' Ù I'impl'cssionnable
jeunesse qu'on trouve
encorc des gen;;" qui marchent"
; ellc se chargerait
dc
1I0US prouve.'
qu'clic en c"t, stlns lc savoir, et quoi qu'elle
en dise." (Ed, 1I",.H·coLR-r, Jourllal des Ecoles, art. de la Dé¡,,'che, numérodu
20 octobre 19tH.)
I(
LA P~:DAGOGlE
nolamment
DE ];¡:;i\lULATlON
pal' Jes cnfantsjcunes
l:i~1
cI faiLles comm('
t~UX l,
Happclon,;, pOUl' terminer, un dernier moyen:auqucl il faul avoir recour,; comlllc il un précicux sti··
lllulant, ct qu'on doit uliliscr, conCUITCIllmenl avec
Luus les IH'éc~Jclll.s,
l'auLo-éll1ulati()ll, cellc qui
consisle, nOllS lc savons, il fairc mieux qu'on ne l'ail.
à se surpasser, il se comparcr en un 1Il01 à soi-mènu',
non plus élllX aull'CS, Il s'agil'a, en cn cas, J'inciter
dJa~U;l
;\ t~Xamiller les prog-rès pal' lui réalisés
en
sa\'oil' t~t t'n vcrlu, soit dans le cOUl'ant de la scmaine
Oil du moi" écoulés, soit J'une année il l'autrc,
Pat' l'cmploi des uns ou des autres de ccs divcl';
proeédé,;, d cn prenant lcs précautions
indiquées,
les lll;¡iLrc,; al'l'i,'pront il cxciter ou il enlrelenil' dan,;
leurs dass(~s la sainc èmulation, (lui esl bien, ce!le(:i, le désir du mieux cI qui elltrainc pnrsuitc le perfecliulltH'll1cnl iIlJividueI.·De
la sorte, en guiJant el
pressant. lcs dmes vel's cel idl'al, non seulcmcnt
I'émulalion jouc un l'ùle éminemmcnt
mOl'alisateur,
mais clic IcUl' donne, du même eoup, l'impulsion eL les
f~lIlpèehc Je crollpil' Jans une fÙcheuse inJi/l'(~renet',
I _ Le [)'Jre tI'o,- tle.~ classes prilllr!Ïre." où sont transcrites
toutes les belles actions ùes anciens élèvcs, l'épand ùéjb,
mais en pal'lie seulp.menl, à cet excellent hut.
FI:"
TABLE
DES MATIÈRES
.\YA~r-J>nopos
eN
\I'ITIIE
PIIDUEn.
-
Psychologie
de l'émulaliull.
-
D('(lnl-
liulI de l'émulation. - En quoi elle <litIère de l'imitalion. - Ses degl'és. - Son prineipe, - Comment
elI,~ npparait chez l'enfant. - Qu'elle se rencontre
.-hl'Z lp.s animnux, - Elle ne doit pas être confondue
~'HC l'envie;
- avec la jalousie:
opinion de La
Bruyi're; -- exemples divers; - avec la rivnlité ;,'xemples ; - n\'p.c l'ambition, - Formes val'Îées de
l'émulation
Il. - LeSfldv •.nai •.r.< .le Unllllalion,
- Ohjet de
l'éducation, d'aprè,; Porl-Hoyal. - Les Petites Ecoles,
- L'émulation pros~rite pal'les Solitaires, -Opinion
de Pü'~cal eLde Sainte-Beu\'e, - L'émulation est-elle
ulle sourcc de \'anilé et d'ol'gu('il '1- Opinion de
Ouintilien, d(' Rollin, et~, - Condnmnation de l'élllll\àlion pal' Rousseau, - l::ducation IItopit¡ue d'F:IIli/,',
- !\I'g¡.lIlent;; de Hemal'din de Sainl-Piene
contre
I'ému'lation ; 1" Elle est un stimulant
factice;2° elle e~t la racine de l'ambition; - 3' clIe pousse :\
1;\ rechel'che des distinetions
et des honneur;;; ,1' elle fait des hommes à la fois des tyrans el des
es.-laves; - ;'0 elle engendrc la j~lousie el la haine,
- Critique de •.es arguments,
- Les Ecoles de la
Pat~'ie suhsliluées llÚX collège:>, -- Fausseté des la-
CIHi'ITlIE
Qt.'HI"T, -
L'Émulation,
11
I-
L E:\fUI.ATIO="
hleaux. - Retour SUI' la vl'aie nature ùe l'émulation,
- Les néo-critiques de I'émul(ltion et leurs (lrguments ..............•...
111. - lnsll/fisallce des moyclls proposés pOlll' relll'
plact!/' l'él/lItlalioll. - L'auto·émulation.
- Ses partisans,
Cn.HITIIE
Sil valeur et son insuffisance.
- Antres prétendus
suceédaMs de l'émulation:
l° le plaisir;
- ce ((lI'iI
faut penser de l'éducation a\trapnte:
- opinion
de Mme de Staël; - 2° l'inlér<'t ; - efficacil<'~ doutense de ce mobile; -¡¡oies senliment,~ désintére,,;,.;é,; :
- critique;
- 4° l'appel à la rais(JIl; - opinion de
II. Marion; - désaccord de cette doctrine avec la
lH;ycholo~ie ; faible action d,es idées. - EX:lgéralion,,;
nouvelles. - Vtilité des distrihutions
de prix: (lrguments divers
.
-
IV. - Rôle £le l'émulatioll. - Les deux espé.;e,;
de rivalités, d'après lIésiode. - I.'émulation ehn es
Grecs. - Inlluence de I'émul(llion SUl' la civilisation
- exemples. - Ses effets dans l'agriculture, l'indu,;trie, le commerce;
- dans les lettreS; les scielH'es
et les al'ls; - dans un État: utilité des distinction,;
honorifiques. - Les panégyristes
de l'i,mulation :
Platon, AI'i,.;tote, Plutarque, Cicéron, Quintilien, Ranelai.;, Bossuet, Fénelon, Hollin, Condillac, Diderol,
Mab]y, cIe. - Les Jésuites el l'émulation.
- TaI.Jleau d'une classe avec ou sans émulation. - Ouc
l'émulation fait la grande supériorité de l'éducation
publique sur l'édueation privée; opinion de (luintilien, - de Dupanloup, - de :\[me :'Iiecker de Saussure, etc. - [mpOI'lance de l'émulation:
la pour
l'éducation physique; - exemples; - 2' pOUl' le perfectionnement mOI'al ; - exemples. - D'oÙ vient]a
puissance de l'émulation
,
.
Cn.ll'ITIIE
V. - La pédagogie de l'énllllutio/l. - Des Pl'écautions il pI'endre dans l'emploi de l'émulation. Principaux procédés pour l'excitel' ou I'enlretenir:
l° RecOl/rs al/x récompenses; - leur légitimité;
- dangers il éviter ; - des diverses sortes de récolllpenses: l'approbation etl'éloge ; - le,; bons poinls;
- les notes; - le tableau dllonnem : - les prix;
influence de ces derniers; - exemples;
- 2°¡;¡ililé
CIIAI'ITlŒ
163
TABLE DES MATIERES
.tes compositions;
-
des cOlwours;
-
le Concours
géné-
,¡éral : inconvénients de sa suppression;
- son
l'établissement projeté; - opinions diverses; - des
,'xamens; -leur nécessité; - :e baccalauréat:
comrnent on a pl'étendu le remplacer; - sa valeur; ao l'émulation (!L'CC l/·s !1ran<i.~ "01/11/1".<; - son importance;
- 4° l'émulatioll
a~ec ll!s héros
<ill jouI';
ulililé d'un
JOllrnal des écoles; - ,io l'uulo-élllulution.
- CO~CI.L,'0:>/ .
147
ÉOITIO:;S
DE LA LlIllIAIl\IE
CITf;.;s
FÉLIX
ALCA:"l
DAl<S LE COURS DE CE 'l'OLUME.
La Science de l'éducation. 1 vol. in-So,
BAI:;. -
6 fr.
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éd.
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éd.
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1>0
7
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Psychologie. 2 v~l. in-Sn• :;}O
»
12" éd ....
G¡;UL,
Éducation et .hérédité. 1 vol. in-S
n,
-
l'2e éd ..
'~IAl\IOl'\
(II). De la Solidarité morale. in-8",
L'Éducation de la volonté. in-S",
l'HOT. -
(je
Ile
Les Maladies de la volonté. 1 \'01. in--16°,
RIBOT. -
2ie éd ...
- La Psychologie des SJlntiments. -1 yol. in-So,
8e éd
.
SP¡;;:;CElI
(HEHDEHl).
-
- L'Éducation intellectuelle,
sique: t'le M. -1 yol. in-S" ..
THO~I\S
I
P.-F.;. -
1 yol. in-S",
-
,'je
·morale et phy·
»
:í:;.6.
»
L'Éducation des sentiments.
Pd ..
Morale et éducation.
I
\'01.
in-16", 3 M.
e
La Suggestion, son rôle dans l'éducation.
t vol. in·W'" 5' éd.
3~29. -
1)
TOllrs,
imprimerie
E. ARIlAl:LT el C".
2
00
2
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