Droit international privé

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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Droit international privé Arnaud Nuyts Itsiq Benizri 2012 – 2013 Notes de cours Droit international privé 2012 -­‐ 2013 INTRODUCTION GENERALE C’est sans surprise que l’on introduira le cours par l’exposé des notions de base du droit international public (1) et de ses sources (2). 1. Notions de base du droit international privé Dans cette section, nous définirons le droit international privé et son objet (a). Nous poserons ensuite la question du domaine qu’il recouvre (b) et des conceptions divergentes dont la matière fait l’objet (c). a. Notion de droit international privé Le droit international privé, apparu au 19ème siècle, a été créé comme le pendant du droit international public. Mais, alors que le droit international public entreprend d’organiser les rapports entre Etats, le droit international privé vise à organiser les relations de droit privé par delà les frontières. La période récente a connu une accélération de la vie privée internationale – c’est-­‐à-­‐
dire des rapports de droit privé – et ce, dans tous les domaines. En droit international privé, l’on appelle les points de contact entre au moins deux Etats facteurs de rattachement. Les facteurs de rattachement sont très divers et varient selon les branches de droit considérées1. L’aspect privatiste du droit international privé doit malgré tout être nuancé. On constate en effet une influence croissante de l’Etat dans les relations privées internationales2. Dans la conception traditionnelle, le droit international privé a pour objet d’aboutir à l’harmonie des solutions dans le monde. Il s’agit donc d’éviter qu’une même situation de droit privé soit réglée différemment dans différents Etats3. b. Domaine du droit international privé Le droit international privé comprend deux grands corps de règles : les règles relatives aux conflits de loi, et les règles relatives aux conflits de juridiction. Les règles de conflits de loi sont les règles de droit international privé qui permettent de déterminer quelle est la loi applicable à une situation donnée. Les règles de conflits de juridiction sont les règles relatives au règlement du contentieux privé international devant les juridictions des Etats. Il s’agit donc ici de l’aspect procédural du litige. Cet aspect englobe les questions de la compétence 1
Par exemple : lieu de résidence ou nationalité d’une partie, localisation d’un bien, localisation d’une activité Ainsi, le droit de la concurrence (droit public) peut influencer un contrat (droit privé) 3
Ainsi, une situation non satisfaisante consisterait en ce qu’un couple belgo-­‐canadien soit considéré comme marié en Belgique mais ne le soit pas lorsqu’il se rendrait au Canada, parce qu’ils seraient cousins. 2
Itsiq Benizri 1 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 internationale, de l’effet des jugements étrangers (soit la question de la connaissance et de l’exécution des décisions étrangères), de la signification et de la notification des actes à l’étranger, ainsi que de l’obtention des preuves dans les relations transfrontalières. Voici autant de questions importantes en pratique, mais qui n’en restent pas moins accessoires par rapports aux trois questions essentielles que se pose le juriste, dans l’ordre suivant : quel juge est compétent ? Quelle est la loi applicable ? Et quel est l’effet du jugement rendu et quid de son exécution ? Notons qu’alors que le droit français inclue la matière de la nationalité et la question de la condition des étrangers dans la matière du droit international privé, elles ne seront pas abordées à l’occasion du présent cours car il faut considérer qu’elles ne s’y rattachent pas. Au sujet de la nationalité d’abord, il faut observer en effet que chaque Etat décide souverainement de qui sont ses nationaux et qui ne le sont pas. Il ne peut donc pas y avoir de règles de conflit de loi en cette matière qui est purement unilatérale et relève du droit public. Cela étant, si l’on n’abordera pas la question de l’octroi de la nationalité, on ne manquera pas d’évoquer la nationalité elle-­‐même en tant que facteur de rattachement. Au sujet de la condition des étrangers ensuite, c’est-­‐à-­‐dire de la réglementation des droits individuels accordés aux étrangers dans un pays, il faut là encore constater qu’il s’agit d’une matière relevant du droit public, et non du droit privé. c. Deux conceptions du droit international privé : universaliste et particulariste On oppose deux conceptions du droit international privé : universaliste et particulariste. La conception universaliste est fondée sur l’idée qu’il devrait exister des règles de droit international privé communes à l’échelle mondiale. On pourrait en effet penser que la matière offre un ensemble de règles communes à l’ensemble des Etats du monde. Il est vrai que, idéalement, cela devrait être le cas. Mais, en pratique, l’idéal ne correspond pas à la réalité. En fait, sous d’importantes réserves sur lesquelles nous reviendrons plus loin, dans de nombreux pays du monde, c’est encore l’Etat qui détermine lui-­‐même son corpus. Le droit international privé a donc un nom trompeur, puisqu’il est national4. Sous cet angle, c’est la conception particulariste qui l’emporte concrètement. Le droit international privé est ainsi, si pas national, régional5. Pourtant, cette approche regrettable est antinomique avec l’objet même du droit international privé. La conception universaliste doit toutefois être maintenue comme un idéal à atteindre. Cet idéal tend à se réaliser, du moins partiellement, avec l’européanisation du droit international privé. En tout cas, certains ont plaidé pour une autre qualification de la matière. 4
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Ceci explique qu’il existe un droit international privé comparé. Ainsi, le droit international privé européen. Itsiq Benizri 2 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Il est vrai que, dans les pays de common law, on retient le terme de conflicts of laws plutôt qu’international private law. Sont ainsi englobés tant les conflits de lois que les conflits de juridiction. Mais cette terminologie n’est pas davantage irréprochable, car elle suggère que les lois entrent en conflit, ce qui n’est que très rarement le cas6. Enfin, il faut reconnaître que le terme de droit international privé, quoique malheureux sous certains aspects, garde néanmoins certains mérites : il indique l’objectif à atteindre (soit l’harmonisation internationale de la matière) et désigne un droit international régissant les rapports privés qui existe bel et bien en certaines matières7. 2. Sources du droit international privé Le droit international privé s’appuie sur des sources tant internationales (a) qu’européennes (b) et nationales (c). a. Les sources internationales Il s’agit des traités internationaux et des conventions internationales conclus par les Etats. On distingue les conventions bilatérales (1) des conventions multilatérales (2). Quant à la coutume (3), nous verrons qu’elle ne joue qu’un rôle marginal en droit international privé. 1) Les conventions bilatérales Les conventions bilatérales sont en général assez anciennes et ont un objet limité8. Bien qu’elles existent encore, elles ont souvent perdu leur intérêt, puisque remplacées par des règles européennes. Toutefois, elles restent d’application lorsque les règles européennes sont inapplicables. 2) Les conventions multilatérales On distingue deux types de conventions multilatérales : -­‐ Les conventions de droit matériel qui déterminent le droit applicable9 ; -­‐ Les conventions de droit international privé au sens strict qui unifient les règles de détermination du droit applicable. Il s’agit essentiellement des conventions de La Haye conclues dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé, organisation gouvernementale qui tend à unifier le droit international privé dans le monde avec plus ou moins de succès10. 6
Par exemple lorsque le droit antitrust américain valide une convention entre parties, alors que le droit européen de la concurrence l’invalide. 7
Ainsi, la vente internationale de marchandises. 8
Essentiellement l’effet des jugements. 9
Ainsi, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente. Ces conventions ne seront pas étudiées dans le cadre de ce cours. 10
Ainsi, la Convention de La Haye de 1965 sur la transmission des actes judiciaires et non judiciaires est particulièrement importante en pratique. L’ensemble des Conventions adoptées dans le cadre de la Convention de la Haye peut être consulté sur le site www.hcch.net. Itsiq Benizri 3 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 3) Le droit coutumier Le droit coutumier n’occupe pas, en droit international privé, la place de premier plan qui est la sienne en droit international public. En réalité, il est marginal. Il pose toutefois la question de savoir si le droit international public limite la possibilité des Etats d’étendre leur compétence législative et judiciaire à l’égard de situations étrangères. A ce stade, il n’existe qu’une seule décision de justice en la matière, et l’on regrette son ancienneté. Dans son arrêt LOTUS de 1927, la Cour permanente internationale a jugé que, en principe, le droit international public n’emporte aucune restriction à l’égard du droit des Etats d’étendre la compétence de leurs tribunaux et de leurs lois à l’égard des situations étrangères, sauf règles restrictives particulières. La Cour a cité l’une de ces règles restrictives particulières : un Etat ne peut pas exercer le pouvoir de contrainte sur le territoire d’un autre Etat11. Selon certains, la jurisprudence irait en ce sens que les Etats ne pourraient aller jusqu’à abuser de leur droit de légiférer ou de juger des situations étrangères. En ce sens, il est fait appel à la notion d’abus de droit. Notons à cet égard que, en droit pénal positif, la compétence universelle n’existe plus réellement, un critère de rattachement étant désormais exigé. Enfin, selon les partisans de la lex mercatoria, il existerait des règles de droit qui ne relèveraient pas de législations nationales mais qui seraient tout de même respectées. Il faut toutefois bien constater qu’il n’existe pas de droit mondial des marchands. Il n’existe que des usages, qui sont respectés comme tels, étant perçus comme obligatoires12. b. Les sources européennes En Europe, le droit international privé fait l’objet d’un certain nombre d’instruments qui unifient les règles étatiques. Ce processus d’uniformisation s’est réalisé en quatre étapes et au moyen de quatre Traités successifs : le Traité de Rome (1), le Traité de Maastricht (2), le Traité d’Amsterdam (3) et le Traité de Lisbonne (4). Toutefois, tous les Etats membres ne sont pas liés par les conventions de l’UE en matière de droit international privé (5). Dans tous les cas, il faudra poser la question des relations de l’espace européen avec les Etats tiers (6) et des critères de rattachement des principaux règlements européens (7). 11
Ainsi, un juge belge ne peut pas ordonner à un huissier d’exercer son ministère à Paris. Ainsi, les incoterms ou encore les principes unidroit. 12
Itsiq Benizri 4 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 1) Le Traité de Rome L’article 220 du Traité de Rome encourageait les Etats membres à négocier, entre eux l’adoption, de règles destinées à faciliter la reconnaissance et l’exécution des jugements. Dès le départ en effet, à côté de la libre circulation des personnes, services et capitaux, le Traité de Rome aspirait à la libre circulation des jugements. Ceci constitue d’ailleurs toujours l’objectif fondamental de l’action européenne en matière de droit international privé. Ont ainsi été adoptés, sur cette base : -­‐ La Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence et l’effet des jugements : Comme l’unification des règles de reconnaissance des jugements se passe difficilement de l’unification des règles de compétence, les Etats membres furent naturellement amener à conclure une Convention sur la compétence des juges. -­‐ La Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable : Les questions de l’effet des jugements et de la compétence ayant été résolues par le Traité de Rome et la Convention de Bruxelles, la Convention de Rome conclut en réglant la question de la loi applicable. 2) Le Traité de Maastricht Le Traité de Maastricht, créateur du système des trois piliers sur lequel reposait l’UE, permettait à la Commission de faire des propositions de conventions en matière de coopération judiciaire ce qui, en droit européen, renvoie à la notion de droit international privé. La terminologie a été maintenue depuis. Divers instruments ont été adoptés sur base de l’article K1 du Traité de Maastricht, dont la Convention de Bruxelles II sur la compétence et l’effet des jugements en matière de relations matrimoniales. 3) Le Traité d’Amsterdam (1999) Le Traité d’Amsterdam de 1999 a opéré le transfert de la matière de la coopération judiciaire du troisième pilier vers le premier, de sorte que les institutions européennes sont devenues compétentes pour adopter des règlements et directives en la matière, alors qu’elles étaient auparavant cantonnées à la seule possibilité d’émettre des propositions de conventions. 4) Le Traité de Lisbonne (2009) Le Traité de Lisbonne n’a pas fondamentalement modifié le cadre institutionnel. Son apport majeur a consisté à lever une incertitude présente dans le traité d’Amsterdam. Dans ce dernier en effet, il était disposé que « Les institutions communautaires [pouvaient] adopter des règles en matière de coopération judiciaire lorsque [ c’était] nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». Itsiq Benizri 5 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le Traité de Lisbonne a ajouté à cette disposition le mot « notamment », de sorte que les institutions de l’UE peuvent désormais, et sans discussion, légiférer en matière de coopération judiciaire, notamment lorsque c’est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, et donc pas nécessairement (81 TFUE). Autrement dit, désormais, l’UE peut produire des normes de droit international privé en toutes matières. 5) Les Etats non liés par les conventions européennes de droit international privé Certains Etats ne sont pas liés par les conventions précitées. On les regroupe par paquets (les groupes de Bruxelles et de Rome) afin de mieux les identifier : -­‐ Le groupe de Bruxelles englobe l’ensemble des Etats membres qui ne sont pas parties à la Convention de Bruxelles, laquelle est devenue le règlement de Bruxelles I, puis le règlement de Bruxelles II après que l’on y ait inclus la matière du divorce, et enfin le règlement de Bruxelles IIbis, après que l’on y ait ajouté la matière de la responsabilité parentale. -­‐ Le groupe de Rome englobe l’ensemble des Etats membres qui ne sont pas parties à la Convention de Rome, laquelle est devenue la Convention de Rome I après que l’on y ait ajouté la matière de la responsabilité contractuelle, la convention de Rome II, après que l’on y ait ajouté la responsabilité non-­‐contractuelle, la convention de Rome III, après que l’on y ait ajouté la responsabilité parentale, et enfin la convention de Rome IV après que l’on y ait ajouté les successions internationales. La Commission européenne travaille actuellement sur les Conventions de Rome V et VI afin d’y intégrer la matière des régimes matrimoniaux. Il existe encore des règlements européens sur les obligations alimentaires et sur les procédures d’insolvabilité qui instituent des procédures simplifiées destinés à faciliter l’exécution des décisions transfrontières. Il faut y ajouter les instruments sectoriels de droit européen qui comportent des règles de droit international privé13. Il faut donc aussi se pencher sur ces sources, et ne pas se limiter aux sources de droit international privé en tant que telles. 6) Les relations entre l’espace européen et les Etats tiers La Cour de Justice a fixé les relations de l’espace européen avec les Etats tiers dans son avis LUGANO (2006). La Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (1988) liait des Etats membres et non membres de l’UE (Suisse, Islande, Norvège). La Suisse a voulu la remplacer par une nouvelle Convention. La Commission est intervenue dans les débats, considérant que la matière de la compétence judiciaire et de l’effet des jugements était réglementée à l’intérieur de l’UE depuis le règlement de Bruxelles I et que, par conséquent, les Etats membres ne 13
Ainsi, la directive européenne en matière de time sharing qui n’est pas une directive de droit international privé, mais qui comporte des règles relatives à la matière. Itsiq Benizri 6 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 pouvaient plus négocier avec les Etats tiers. Certains Etats considéraient malgré tout que la compétence de l’UE n’était pas exclusive. La Cour de Justice est parvenue à la conclusion que la matière de la coopération judiciaire civile est une compétence exclusive de l’UE, ce qui implique que, dès que l’UE adopte un instrument en la matière, elle devient exclusivement compétente pour légiférer en matière de droit international privé avec des Etats non membres de l’UE. 7) Critères de rattachement des principaux règlements Le Règlement Bruxelles I exige un certain rattachement avec l’UE : les règles de compétence ne s’appliquent que lorsque le défendeur est domicilié dans l’UE, et les règles relatives à l’effet des jugements ne s’appliquent que si le jugement a été rendu dans l’UE. En revanche, les Règlements Rome I et Rome II sont applicables indépendamment de tout lien de rattachement avec l’UE. En ce sens, ils sont d’application universelle. c. Les sources nationales Les sources nationales ne sont pertinentes que pour autant qu’il n’y ait ni droit international, ni européen en la matière. Aujourd’hui, c’est encore et essentiellement le cas en matière de droit familial14, même si le droit européen s’immisce également dans le statut personnel. En Belgique, historiquement, on ne retrouvait que quelques règles de droit international privé sur la compétence et l’effet des jugements dans le Code judiciaire. Quant à la question de la loi applicable, elle ne trouvait de réponse que dans l’article 3 du Code civil. La situation a changé avec l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2004, du Code de droit international privé15. Ce Code est le fruit des travaux de professeurs de droit international privé de toutes les universités de Belgique. Il s’inspire d’autres codifications émanant de pays voisins. Il se structure en deux parties, et le cours suivra cette structure : la première partie du Code comporte les règles générales de compétence et de conflits de loi ; la deuxième partie aborde les règles spéciales, matière par matière. Le Code a également introduit des règles particulières pour des matières particulières16. 14
Le droit international privé économique étant en grande partie européen. Historiquement, deux courants s’opposent dans le domaine du droit international privé familial. Certains estiment que tout ce qui touche aux questions familiales et personnelles doit être soumis à la loi nationale de l’individu en cause, alors que d’autres considèrent plutôt qu’il faut appliquer la loi du lieu de sa résidence habituelle. 15
En France, en revanche, la situation est restée inchangée et, à ce jour, il n’y existe toujours pas de codification de sorte que l’article 3 du Code civil, qui y est le même que celui qui existait en Belgique, est toujours la seule source légale d’application en matière de conflits de lois. Ceci explique que, au contraire du droit international privé belge, le droit international privé français est essentiellement jurisprudentiel. 16
Ainsi, il existe des règles de DIP sur le mariage entre personnes de même sexe, la cohabitation légale, l’absence, etc. Itsiq Benizri 7 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Au niveau des critères de rattachement retenus, on notera que la Belgique est restée, fidèle à sa tradition, essentiellement portée sur le critère de la nationalité, alors que les pays de common law considèrent plutôt le lieu de résidence. Toutefois, cette approche fondamentale connaît de nombreuses exceptions dans un nombre de matières non négligeables. 8 Itsiq Benizri Droit international privé 2012 -­‐ 2013 PARTIE I REGLES GENERALES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE LES CONFLITS DE JURIDICTION Après avoir introduit les concepts fondamentaux (1), nous examinerons le concept clé de la compétence internationale (2). Outre la question de la compétence, il faut évidemment soulever celle de l’effet des jugements d’une juridiction dans un Etat tiers (3). L’Union européenne a d’ailleurs légiféré à cet égard, afin d’adopter des procédures simplifiées (4). Enfin, l’on ne peut parler de compétence ou d’effet des jugements sans soulever la question de l’accès à la justice (5). 1. Introduction Le premier concept de base est celui de la compétence internationale. Avant de développer la notion, il convient toutefois de rappeler la distinction traditionnellement opérée entre la compétence et la juridiction, ou le pouvoir de juridiction. Le pouvoir de juridiction s’entend du pouvoir général de statuer qui est conféré par un Etat à ses tribunaux17. Il entraîne donc un déclin de juridiction et non de compétence. La compétence quant à elle a pour effet de dire qu’un juge donné peut connaître d’une affaire. La compétence interne, qui s’oppose à la compétence internationale, comprend elle-­‐même deux niveaux : la compétence d’attribution qui résout la question de la compétence du juge selon la matière en cause, et la compétence territoriale qui répond à la question selon le rattachement de l’affaire au regard du ressort du tribunal. 2. La compétence internationale La compétence internationale pose la question de savoir si, eu égard au rattachement d’une affaire avec un Etat, ses tribunaux sont compétents pour en connaître. En général, les règles de compétence internationale ont un caractère alternatif, en ce sens que plusieurs tribunaux sont compétents pour connaître de la même affaire. La compétence exclusive est l’exception. Ceci se justifie parce que cela permet de faciliter l’accès à la justice. Pour autant, si plusieurs juridictions peuvent être compétentes, il va de soi que, dans tous les cas, il n’y a jamais qu’une seule loi qui puisse être applicable. Comme les règles de compétence internationale ont, en général, un caractère alternatif, il existe une certaine concurrence entre tribunaux18. De cette concurrence 17
La question de savoir si un juge peut connaître d’un litige alors qu’il concerne un contrat dans lequel il y a une clause d’arbitrage soulève la question du pouvoir de juridiction et non de la compétence. Il s’agit en effet de savoir si le pouvoir judiciaire dans son ensemble peut connaître de cette affaire, et non un tribunal en particulier. Itsiq Benizri 9 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 naît le risque de forum shopping : chacun porte une affaire devant un Etat plutôt qu’un autre selon que la décision du juge sera susceptible d’être plus ou moins favorable à sa cause. Cela étant, en pratique, ce qui détermine le plus le choix du tribunal, c’est sa proximité par rapport au demandeur, ainsi que le fait qu’il s’agisse d’une juridiction et d’une procédure que l’on connaît mieux19. 3. L’effet des jugements Reconnaître un jugement, c’est lui donner autorité de chose jugée dans l’ordre juridique interne. Ceci se distingue de l’exécution du jugement qui fait appel à la contrainte et qui nécessite, pour être obtenue, de respecter une procédure spécifique. Définir la reconnaissance plutôt que l’exécution permet d’éviter le renouvellement de l’instance. L’exequatur consiste à donner effet à une décision étrangère. Dans la majorité des cas, il faut encore y recourir pour donner effet à un jugement étranger. Le Règlement Bruxelles I a toutefois été modifié par le Règlement Bruxelles I bis qui sera applicable à partir du 12/01/2015. Comme cette modification supprime l’exequatur, on pourra procéder, à partir de son entrée en vigueur, à l’exécution immédiate, dans un Etat membre, d’un jugement rendu par un juge étranger dans un autre Etat membre de l’Union. Ceci dit, on peut déjà se servir du jugement étranger comme force probante. Pour le surplus, la production d’un jugement étranger prouve qu’un jugement a déjà été rendu sur le litige. 4. Les procédures européennes simplifiées Pendant longtemps, les règles de droit international privé étaient des règles exorbitantes dans différents pays. Ainsi, la France s’estimait compétente dès qu’un individu en cause était de nationalité française, l’Allemagne, dès que cet individu possédait le moindre actif sur son territoire, et le système de common law, dès qu’il était physiquement présent sur le territoire national. Comme on ne voulait plus de ces règles, il fallut définir un nouveau régime de compétence. Ceci a conduit à l’adoption d’une convention double, c’est-­‐à-­‐dire qui règle tant l’effet des jugements que la compétence des juges. C’est la Convention de Bruxelles, aujourd’hui remplacée, pour l’essentiel, par le règlement de Bruxelles I. 18
Une action en justice peut être portée devant le tribunal du domicile du défendeur. C’est une règle universellement admise. Or, comme il y a au moiins deux parties, cela peut aboutir à agir dans un Etat ou un autre. 19
On fait ici allusion à la langue de la procédure, aux avocats, aux communications, aux règles de procédure, à l’exécution des jugements, etc. Itsiq Benizri 10 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Si nous avons dit que la Convention de Bruxelles n’avait été remplacée par le règlement de Bruxelles I que pour l’essentiel, c’est parce que, en vertu du Traité d’Amsterdam, trois Etats membres n’étaient pas liés par ce règlement : le Royaume-­‐Uni, l’Irlande et le Danemark. Les Traités d’Amsterdam et de Lisbonne prévoyaient la possibilité, pour ces Etats, de faire un opt-­‐in20. Le Royaume-­‐Uni et l’Irlande ont usé de ce mécanisme, mais le Danemark a recouru à un opt-­‐out. Dès lors, seul le Danemark n’était pas lié par le règlement de Bruxelles I en tant que tel. Comme cette solution ne satisfaisait pas, les 26 Etats membres ont conclu un accord avec le Danemark pour que le règlement soit applicable. Le règlement s’applique donc, mais de façon indirecte. Quant aux Etats non membres de l’UE (Islande, Norvège, Suisse), ils sont liés par la nouvelle Convention Lugano de 2008, entrée en vigueur en 2011. Celle-­‐ci est en grande partie identique au règlement de Bruxelles I, mais pas totalement, et il convient donc d’être particulièrement vigilent à cet égard. La proximité de ces instruments explique que l’on parle souvent du régime de Bruxelles-­‐Lugano. Pour interpréter le règlement de Bruxelles I, on peut se rapporter aux interprétations des jugements antérieurs (considérant 19 du règlement). Les objectifs premiers de ce règlement sont de faciliter l’accès à la justice et de limiter le nombre de juges compétents (CJ, DE BLOOS) afin de préserver la sécurité juridique. 5. Le régime du règlement Bruxelles I Le régime du Règlement Bruxelles I doit être abordé sous l’angle de son champ d’application ratione materiae (1), ratione loci (2) et en matière d’effet des décisions (3). Nous aborderons également la question des perspectives d’avenir du Règlement (4). 1) Le champ d’application du règlement ratione materiae Le règlement de Bruxelles I s’applique en matière civile et commerciale. Sont visées toutes les matières de droit privé par opposition au droit public. Cette interprétation est confirmée par le fait que le texte exclue les matières fiscale, douanière et administrative. La notion de droit civil et commercial doit être entendue au sens européen, et non national du terme. La Cour de justice a rendu plusieurs arrêts sur la question. Dans son arrêt EUROCONTROL21 (1976) la Cour a fixé le premier critère permettant de déterminer si l’on se trouvait ou non en matière civile et commerciale, jugeant que ne relève pas de la notion de droit civil et commercial le litige qui implique une autorité publique lorsqu’elle agit dans le cadre de l’exercice de la puissance publique. 20
L’opt-­‐in est un mécanisme qui permet aux Etats membres non liés par certains instruments de le devenir, sur une base individuelle. 21
Une agence gouvernementale (Eurocontrol) agissait alors en action de recouvrement de redevance contre une compagnie aérienne. La Convention de Bruxelles n’y était pas applicable, au motif qu’Eurocontrol agissait comme puissance publique. Ceci parce que son action était unilatérale, et non négociée. Itsiq Benizri 11 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Dans son arrêt RUFFER22 (1998), la Cour a précisé que ne relève pas davantage de la notion de droit civil et commercial le litige qui implique une entité privée qui exerce une prérogative de la puissance publique. Dans son arrêt LECHOURITOU (2007), la Cour a encore jugé que les dommages causés par des opérations menées par des forces armées relèvent également de la puissance publique. La Cour de Justice a exprimé l’existence d’un deuxième critère : le fondement juridique de l’action. Ainsi, dans son arrêt STEEBERGEN (2002), la Cour a jugé que, lorsque le fondement de l’action est de droit privé, l’action relève de la matière civile23. C’est la juridiction étatique qui doit apprécier la nature du fondement de l’action. La Cour a confirmé ce deuxième critère dans son arrêt PRESERVATRICE FONCIERE TIARD (2003). Cela étant, il ne suffit pas que le litige relève d’une matière civile ou commerciale pour que le règlement Bruxelles I s’applique : encore faut-­‐il qu’il ne relève pas de l’une des quatre matières exclues du règlement ! Ces matières sont au nombre de quatre et sont les suivantes : -­‐
Droit de la famille – Aspects matrimoniaux : l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et successions sont exclus du règlement Bruxelles I. Celui-­‐ci vaut donc essentiellement pour l’aspect patrimonial du droit de la famille. Dans son arrêt DE CAVEL I (1979), la Cour a jugé que l’adage « accessorium sequitur principale » (« l’accessoire suit le principal ») doit s’appliquer, de sorte qu’une matière relevant, en elle-­‐même, du règlement Bruxelles I, échappe aux règles du règlement lorsqu’elle est étroitement liée à une matière exclue. La Cour a toutefois jugé, dans son arrêt DE CAVEL II (1980) qu’une action alimentaire24 formée dans le cadre d’une action en divorce entre bien dans le champ d’application du Règlement Bruxelles I, au motif que la première, qui n’est pas exclue du champ d’application du Règlement, est une matière séparable de la seconde qui, elle, en est expressément exclue, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’appliquer à ce cas l’adage accessorium sequitur principale. 22
En l’espèce, un gestionnaire de fleuves avait retiré une épave de la circulation et entendait récupérer le prix que lui avait coûté l’opération. 23
En l’espèce, le litige portait sur une action en recouvrement d’aliments. 24
La matière alimentaire recouvre toute décision ou demande visant à assurer l’entretien d’une personne en vue de lui permettre de maintenir un certain niveau de vie (CJ, VAN DEN BOOGARRD, 1997). Itsiq Benizri 12 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 -­‐
Les procédures collectives d’insolvabilité : la faillite, le concordat et les procédures analogues sont également exclues du règlement Bruxelles I. Dans son arrêt GOURDAIN (1979), la Cour a jugé que l’action en comblement de passif sort du champ d’application de Bruxelles I au motif qu’elle est intimement liée au droit de la faillite. Notez que la promulgation du règlement sur l’insolvabilité pose la question de savoir si l’on se trouve dans Bruxelles I ou dans ce règlement, et non plus si l’on est ou pas dans Bruxelles I. -­‐
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Sécurité sociale : la matière est exclue du règlement Bruxelles I. Dans son arrêt STEENBERGEN (2002), la Cour a jugé qu’un litige ne relève pas de la sécurité sociale si le fondement de la demande relève du droit commun de la responsabilité. Arbitrage : L’exclusion de cette matière donne lieu à de nombreuses discussions et controverses, récemment ravivées par une décision de la Cour de Justice. Dans on arrêt MARCH RICH (1991), la Cour a jugé que l’action en justice portant sur la désignation d’un arbitre ne relève pas du règlement Bruxelles I au motif qu’elle relève de l’arbitrage, et que tout ce qui touche à cette matière échappe à l’application du règlement Bruxelles I. Dans on arrêt TURNER (2005), la Cour a jugé que les actions anti-­‐suit25 en matière d’arbitrage ne sont pas admissibles en vertu du principe de confiance mutuelle qui doit prévaloir entre les juges européens. Lorsque la compétence d’un juge est en cause, c’est à lui-­‐même, et seulement à lui-­‐même de l’apprécier. En l’espèce, Turner, anglais détaché en Espagne, était revenu en Angleterre et avait introduit une action devant les juridictions anglaises. Il y fit condamner son employeur. L’employeur voulut alors le faire condamner devant les juridictions espagnoles pour avoir abandonné son travail. Turner obtint du juge anglais une injonction anti-­‐suit pour contrer l’action de son employeur en Espagne. C’est alors que la Cour de Justice fut interrogée sur la validité de ces injonctions. Dans son arrêt WEST TANKERS (2009), la Cour de Justice a jugé que le recours à une injonction anti-­‐suit est également interdit lorsqu’elle est rattachée à l’arbitrage, alors que cette matière est exclue du champ d’application du règlement Bruxelles I. Etait en cause en l’espèce un litige entre un anglais et un italien. Dans le contrat conclu entre les parties, une clause d’arbitrage prévoyait la compétence d’arbitres devant siéger à Londres et devant appliquer la loi anglaise. La partie italienne porta toutefois son action devant les tribunaux italiens. 25
L’anti-­‐suit injonction est l’injonction par laquelle un juge interdit à un plaideur étranger de poursuivre une action à l’étranger. Il n’ya donc pas d’ingérence, puisque l’ordre est donné à la partie, et non au juge. Le non-­‐
respect de cette injonction est sanctionné par le contempt of court : en ne respectant pas l’injonction, on manque de respect au tribunal, et donc au Roi. Dès lors, on n’a plus le droit de paraître devant le juge, et l’on peut faire l’objet de peines d’emprisonnement. Itsiq Benizri 13 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Ceux-­‐ci auraient dû décliner leur juridiction. Mais, avant même qu’ils ne statuent, la partie anglaise agit devant les tribunaux anglais en intentant une anti-­‐suit injonction. En réalité, la Cour motiva sa position en considérant que l’action portée devant le juge était une action sur le fond, et non en arbitrage. Cette décision a été si critiquée qu’à l’occasion de la réforme du Règlement Bruxelles I, l’on a envisagé de corriger le problème, par exemple, selon la Commission, en intégrant l’arbitrage pour des règles particulières dans le champ d’application du règlement. D’autres ont proposé le maintien de l’exclusion de l’arbitrage du champ d’application du règlement, mais en précisant que l’anti-­‐suit était autorisé. A l’heure actuelle, on ignore encore l’issue des débats sur la question. 2) Le champ d’application du Règlement ratione loci Le Règlement Bruxelles I ne détermine évidemment que la compétence des Etats membres. Il n’attribue jamais de compétence à un Etat tiers. Il appartient donc à chaque Etat de décider quand ses juridictions sont compétentes. Mais il ne suffit pas que l’action soit portée devant le juge d’un Etat membre pour que le règlement s’applique. Il faut encore que l’un de ces trois critères de rattachement puisse être invoqué : -­‐ Le défendeur est domicilié dans l’UE. En principe, et sous réserve des deux autres critères de rattachement, lorsque le défendeur est situé hors UE, le règlement ne s’applique pas. Donc l’application du règlement dépend de la question de savoir qui est le demandeur et qui est le défendeur à l’action26 ! Il s’agit d’une règle d’applicabilité et non de compétence. Si le défendeur n’est pas domicilié dans l’UE, il faut recourir aux règles de compétences du Code de droit international public. De plus, l’article 4 du règlement dispose que, lorsque le défendeur est domicilié dans un Etat tiers, le demandeur domicilié dans un Etat membre peut se prévaloir des règles exorbitantes du droit national du défendeur27. Il y a donc extension des règles exorbitantes dans ce cas particulier. La même disposition ajoute que, lorsque le défendeur est domicilié hors UE, la compétence est, dans chaque Etat membre, réglée par la loi de cet Etat membre, de sorte que ce sont alors les règles nationales de compétence qui s’appliquent. En ce sens, le Règlement ne s’applique que pour renvoyer au droit national. -­‐ La volonté des parties : Le contrat conclu entre les parties comporte une clause attributive de juridiction/clause d’élection de for qui désigne les tribunaux d’un Etat pour connaître du litige éventuel qui naîtrait à l’occasion de l’exécution du contrat. Dans ce cas là, le Règlement s’applique si la clause désigne les juridictions d’un Etat membre et que l’une des parties au moins est domiciliée dans l’UE. 26
Si une société belge intente une action contre une société californienne, le règlement ne s’applique pas. Dans le sens inverse, il s’applique. 27
Par exemple, si un Belge est domicilié en France, et qu’il a un litige avec un américain domicilié à New York, il peut se prévaloir des règles exorbitantes du droit international privé français, alors même que, en principe, ces règles ne peuvent être invoquées que par des Français. Itsiq Benizri 14 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 -­‐ La compétence en cause est exclusive : Le Règlement s’applique, même si aucune des parties n’est domiciliée dans l’UE28. 3) Le champ d’application du Règlement en matière d’effet des décisions Le Règlement Bruxelles I s’applique pour autant que le jugement soit rendu par le tribunal d’un Etat membre et que sa reconnaissance ou son exécution soit demandée dans un autre Etat membre29. 4) Perspectives d’avenir et règles uniformes du règlement Outre l’entrée en vigueur prochaine de la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d’élection de for qui s’appliquera, en la matière, à la place du règlement Bruxelles I, il faut souligner une que la Commission envisage sérieusement de supprimer la distinction entre défendeur situé dans et hors UE. Il y aurait ainsi des règles de compétence uniformes, indépendamment de la question du domicile du défendeur. 6. Le système de compétences du règlement Bruxelles I On fait souvent l’erreur de croire qu’il faut percevoir les règles établies par le règlement dans l’ordre dans lequel il les énonce. En réalité, il existe une hiérarchie entre les différentes règles de compétence, et il s’agit de la respecter scrupuleusement. Cette hiérarchie à 5 niveaux peut être représentée de la manière suivante, considérant que, lorsque le premier niveau est satisfait, l’on ne descend pas plus bas : Art. 22 15 compétences exclusives Art. 24 comparuoon volontaire du défendeur Règles protectrices Consommateurs (art. 15 et s.) Assurés (art. 8 et s.) Travailleurs (art. 18 et s.) Art. 23 Clause d'élecoon de for Art. 2 Art. 5 Art. 6 28
Ainsi, si un litige en matière immobilière porte sur un immeuble en Belgique, peu importe qu’il oppose une personne domiciliée aux Etats-­‐Unis et une autre en Chine, la règlement s’appliquera. 29
Ainsi, le jugement rendu par un juge américain n’entre pas dans le champ d’application du règlement. Ce sera par contre le cas d’un jugement rendu par un juge allemand et dont l’on demanderait l’exécution en France. Itsiq Benizri Droit international privé 2012 -­‐ 2013 1) Premier niveau : compétence exclusive (22) Les litiges relevant de matières qui font l’objet d’une compétence exclusive ne peuvent être portés à la connaissance que d’un seul juge. Par conséquent, le juge saisi à tort doit directement se dessaisir. Par ailleurs, la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt DUIJNSTEE (1983) que le déclinatoire de compétence peut être soulevé à tout moment. Ces règles sont donc d’ordre public. Force est toutefois de constater que le règlement comporte une lacune, car l’article 22 n’est d’application que lorsque la compétence exclusive est attribuée au juge d’un Etat membre. La question s’est dès lors posée de savoir quelle règle devait s’appliquer lorsqu’une règle de compétence exclusive désigne un Etat tiers à l’UE. Selon les uns, le juge d’un Etat membre ne peut jamais décliner sa compétence lorsqu’une compétence exclusive existe au profit d’un Etat non membre ; selon les autres, en pareil cas, il faudrait appliquer le droit national. La solution qui a été finalement retenue est celle de l’effet réflexe/miroir : on applique l’article 22 du règlement Bruxelles I de manière réflexe dans les relations avec les Etats tiers. Toutefois, quoique cette solution ait été préconisée par certaines juridictions nationales, la Cour de Justice ne s’est pas encore prononcée sur la question. Les matières faisant l’objet d’une compétence exclusive sont au nombre de 5, établies à l’article 22 du Règlement. Il s’agit des litiges en matière immobilière (§1), de sociétés et de personnes morales (§2), de registres publics (§3), de droits intellectuels (§4), et d’exécution des décisions (§5). a. Litiges en matière immobilière (22 §1) Ceci couvre les litiges relatifs aux droits réels immobiliers ainsi qu’aux baux d’immeubles. Au sujet des droits réels immobiliers, la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt REICHERT I (1990) que la notion de litiges en matières de droits réels immobiliers au sens du règlement Bruxelles I englobe toutes les actions concernant des droits réels immobiliers qui entrent dans le champ d’application du règlement et qui consistent à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées au titre sur l’immeuble. En l’espèce, était en cause une action paulienne visant à faire annuler un acte translatif de propriété et à protéger une créance. L’article 22 du règlement ne s’y appliquait donc pas, puisqu’était en cause un droit de créance et non un droit réel. Sont donc seules visées les actions réelles qui se rattachent à l’immeuble, et non les actions personnelles. Ainsi, dans son arrêt GAILLARD (2001), la Cour a jugé que l’action en résolution d’un contrat de vente et d’obtention de dommages et intérêts est personnelle et ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 22 du règlement. Itsiq Benizri 16 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Dans son arrêt CEZ (2006), la Cour a encore jugé que l’action en cessation de nuisance d’une centrale nucléaire sur un domaine agricole n’est pas visée par l’article 22 du règlement. Enfin, dans son arrêt WEBB (1994), la Cour a jugé que l’action visant à faire établir qu’une personne détient un immeuble en qualité de trustee n’est pas une action réelle au sens du règlement. Les juristes anglais n’ont pas manqué de critiquer cette décision, car le démembrement de propriété qui résulte d’un trust implique bien un droit réel. On voit donc que la notion de droit réel mobilier est conçue de manière très restrictive. Le règlement s’applique également aux baux d’immeubles, alors qu’ils créent bien un droit personnel, et non réel. En cette matière, la Cour a défini la notion de façon plus large. Ainsi a-­‐t-­‐elle jugé, dans son arrêt DANSOMMER (2000), que l’action en paiement de loyer ou en indemnisation pour mauvais entretien des lieux et endommagement du logement constitue bien un litige en matière de baux d’immeubles au sens du règlement. Toutefois, dans son arrêt KLEIN (2005), la Cour a jugé que les litiges relatifs à un contrat de time-­‐sharing n’entrent pas dans la catégorie des baux d’immeubles. La Cour a encore jugé, dans son arrêt SANDERS (1977), que le bail de fonds de commerce n’est pas un bail d’immeuble au sens du règlement. Les contrats mixtes30 ne le sont pas davantage (HACKER – 1992) En revanche, dans son arrêt ROSSLER (1995), la Cour a jugé que les locations de courte durée comme il en existe en matière de locations de vacances constituent bien un bail d’immeuble. Cette solution, quoique commandée par le texte, n’en était pas moins absurde en pratique, ainsi que le démontrait le cas d’espèce : alors que les deux parties étaient des Allemands domiciliés en Allemagne, elles étaient tenus, du fait de la décision de la Cour, de saisir un juge italien, le logement loué se situant en Italie. Le législateur est donc intervenu, à l’occasion de la modification de la Convention de Bruxelles I en règlement de Bruxelles I, afin d’ajouter une compétence additionnelle (et donc non exclusive) au profit du tribunal du domicile du défendeur qui est compétent dès lors que la location a été conclue pour moins de six mois, que le locataire est une personne physique, et que le bailleur et le locataire sont domiciliés dans le même Etat membre31. 30
On désigne par là les formules de type all-­‐in, complétant l’organisation d’activités par une offre de logement. On voit bien là comme le cas d’espèce de l’arrêt a influencé le législateur, puisqu’il a reproduit les mêmes conditions que celles qui étaient réunies dans ce cas. 31
Itsiq Benizri 17 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b. Litiges en matière de sociétés et personnes morales (22 §2) En cette matière, les tribunaux de l’Etat dans lequel se trouve le siège de la société ou de la personne morale bénéficient d’une compétence exclusive. Cette disposition vise donc tant les sociétés, qu’elles disposent ou non de la personnalité juridique, que les personnes morales qui ne sont pas des sociétés. Toutefois, dans son arrêt HASSET (2008), la Cour a jugé que seuls les litiges relatifs à la constitution, la dissolution et les décisions prises par les organes de la société ou de la personne morale. Ainsi, l’action visant à obtenir l’indemnisation d’un dommage résultant d’une décision contraire aux statuts de la société et non l’annulation de cette décision n’entre pas dans le champ des litiges en matière de sociétés et personnes morales. De plus, dans son arrêt JP MORGAN, la Cour a jugé que la règle de la compétence exclusive ne jour pas en cas d’invocation incidente32. Nous ferons le parallèle entre cette décision et celle que la Cour a prise en matière de droits intellectuels. Enfin, la notion de siège est définie par le droit national. c. Litiges en matière de registres publics (22 §3) Seuls les tribunaux du lieu de tenue du registre sont compétents. 18 d. Litiges en matière de droits intellectuels (22 §4) Seul le tribunal du lieu d’enregistrement ou de dépôt du droit intellectuel est compétent. Cette compétence vise donc uniquement les droits intellectuels qui donnent lieu à l’une de ces formalités. Uniquement pour certains droits intellectuels : uniquement ceux qui donnent lieu à enregistrement ou dépôt. Par ailleurs, sont seuls visés les litiges qui portent sur la validité ou l’enregistrement du brevet. Dans son arrêt DUIJNSTEE (1983), la Cour a jugé que la notion de litige en matière d’inscription ou de validité des brevets ne recouvre pas un différend entre employé, auteur d’une invention pour laquelle un brevet a été demandé ou obtenu, et son employeur lorsque le litige porte sur leurs droits respectifs sur ce brevet découlant de leur relation de travail. Dans son arrêt GAT (2006), la Cour a jugé que l’art. 22 § 4 du règlement Bruxelles I s’applique dès que la validité d’un brevet est mise en cause, quand bien même cette question ne serait soulevée que de manière incidente. Cette décision a été critiquée, car elle expose le titulaire d’un brevet intentant une action pour violation de son brevet en dehors de l’Etat dans lequel il a été enregistré à ce 32
En l’espèce, une société basait sa défense sur la validité des pouvoirs de la personne qui avait signé le contrat litigieux en son nom. Itsiq Benizri Droit international privé 2012 -­‐ 2013 que le défendeur plaide la nullité du brevet afin de dessaisir le juge au profit de celui de l’Etat dans lequel il a été enregistré. Ceci a amené certains à aller jusqu’à dire que la Cour avait délibérément consacré une solution absurde pour provoquer une réforme du brevet européen33. Le lieu d’enregistrement est censé être celui de l’Etat visé. e. Litiges en matière d’exécution des décisions (22 §5) Seuls les tribunaux du lieux d’exécution sont compétents. Dans son arrêt REICHERT II (1992), la Cour a jugé que les litiges en matière d’exécution proprement dite ne visaient que les actions nécessitant un recours à la force, la contrainte ou la dépossession, et non les procédures préalables34. La question s’est également posée de savoir si les mesures de saisie constituaient des mesures d’exécution au sens de l’art. 22 §5 du règlement. La Cour de Justice ne s’est pas encore prononcée sur la question. Dans son arrêt ERAM (2003), la House of Lords a jugé qu’une mesure de saisie conservatoire est une mesure d’exécution en tant que telle, et qu’un juge ne peut donc pas la prononcer sur un compte en banque dans une succursale étrangère d’une banque anglaise. Toutefois, la jurisprudence belge et française ne suit pas cette thèse et considère que les saisies constituent des mesures préalables. Enfin, la Cour de justice a jugé, dans son arrêt AS AUTOTEILE (1985), que la compétence exclusive du juge du lieu d’exécution sur les questions d’exécution ne s’étend pas, suivant une logique de principal à accessoire, aux questions de fond qui ne relèvent pas de l’exécution elle-­‐même. S’il est vrai en effet que l’opposition à exécution relève bien de la matière d’exécution, le juge ne peut connaître des questions de fond qui lui seraient soumises dans le cadre de cette opposition. 2) Deuxième niveau : comparution volontaire du défendeur (24) Le tribunal devant lequel le défendeur comparaît et plaide sur le fond, sans contester la compétence du juge, est compétent. Cette disposition s’applique en toutes matières, sauf lorsqu’un juge dispose d’une compétence exclusive conformément à l’article 22. 33
En effet, la Convention de Munich a créé l’Office Européen des Brevets dont on ne dit qu’il produit des brevets européens que parce qu’ils sont attribués au terme d’une procédure européenne. Pour le reste, les brevets doivent toujours être enregistrés dans chaque Etat, et il ne suffit pas de le faire à Munich. Le terme brevet européen est donc très abusif. Toutefois, cette situation va probablement bientôt changer avec le brevet unitaire européen qui vaudra pour tout le territoire européen (à l’instar du US Patent aux USA), à l’exception de l’Espagne et de l’Italie, pour des raisons linguistiques (seules trois langues ont été retenues pour la procédure : l’anglais, le français, et l’allemand). Il est vrai que les efforts en vue de la promotion de ce brevet unitaire durent depuis trnete ans, mais il semble que l’on touche enfin au but, puisqu’en juillet 2012, le Conseil européen a approuvé le projet, lequel est actuellement discuté par le Parlement. 34
En l’espèce, la Cour avait eu à se prononcer sur une action paulienne visant à révoquer un acte translatif de propriété. Itsiq Benizri 19 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Ainsi, dans son arrêt BILLAS (2010), la Cour a ainsi jugé que cette disposition est applicable même en matière de compétence protectrice. Dans son arrêt ELEFANTEN SCHUH (1981), la Cour a précisé que toute contestation de la compétence doit se faire in limine litis, soit avant la première défense, notion qui est définie par le droit national35. Enfin, dans son arrêt GERLING (1983), la Cour a jugé que l’on peut valablement se défendre au fond dans cette première défense, à condition que l’on conteste la compétence à titre principal et que la défense au fond ne soit que subsidiaire. 3) Troisième niveau : compétences protectrices (8, 15 et 18) Le législateur européen est intervenu dans trois matières particulières pour promouvoir des règles destinées à protéger une partie réputée faible dans un contrat. Il s’agit des contrats de consommation, de travail, et d’assurance. Pour ces trois types de contrat, il est dérogé à l’ensemble des règles des niveaux 4 et 5, mais pas aux règles de compétence des niveaux 1 et 2 (CJ, BILLAS)36. On établit une distinction selon que la partie faible est demanderesse ou défenderesse à l’action. Si elle est défenderesse, elle ne peut être assignée qu’au lieu où elle réside ; si elle est demanderesse, elle peut choisir d’assigner le demandeur dans l’Etat dans lequel il est domicilié ou à l’endroit le plus proche d’elle (soit le domicile du consommateur et de l’assuré, mais le lieu où il travaille pour le travailleur). La possibilité de déroger aux règles susmentionnées par une clause attributive de juridiction est très limitée. La partie faible peut s’en prévaloir, mais pas l’autre partie. Et, dans tous les cas, les deux premiers niveaux restent d’application. De plus, la clause doit avoir été établie après la naissance du litige. 4) Quatrième niveau : les clauses attributives de juridiction/clauses d’élection de for (23) Les parties peuvent convenir, dans le contrat qui les lie, d’une clause par laquelle elles désignent le juge compétent en cas de litige entre elles. Le juge qui est saisi alors qu’il n’est pas celui qui a été désigné par la clause attributive de juridiction doit donc se juger incompétent. Cette clause ne peut valoir que si elle n’empiète pas sur les restrictions des règles protectrices et de compétence exclusive. Les clauses attributives de juridiction ont d’abord pour effet de donner au juge désigner une compétence exclusive pour connaître du litige en question. Il faut toutefois 35
En Belgique, il s’agit du dépôt des premières conclusions. Voy. supra, p.20. 36
Itsiq Benizri 20 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 bien voir que la compétence exclusive de l’article 22 est absolue et oblige le juge à vérifier sa compétence, alors que celle qui est établie par l’article 23 est relative, en ce sens qu’elle écarte les compétences du 5ème niveau uniquement sans résister aux règles des niveaux supérieurs. De plus, au sens de l’article 23, la compétence du tribunal désigné par la clause est exclusive sauf convention contraire des parties, ce qui implique que l’article 23 autorise les clauses d’élection de for qui ne sont pas exclusives. Les clauses attributives de compétence ont également un effet de prorogation et de dérogation37. La clause n’oblige que les parties au contrat et non les tiers. Dans son arrêt TILLY RUSS (1984), la Cour de Justice a jugé que le cessionnaire d’un contrat peut être lié par une clause attributive de juridiction, mais que le régime de l’opposabilité de cette clause à ce cessionnaire était déterminé par la loi applicable au contrat. Notons que les actionnaires d’une société sont également liés par la clause intégrée dans les statuts de la société, puisqu’ils y ont accès (CJ, POWELL38). Pour que l’article 23 s’applique, il faut que trois conditions soient remplies : au moins l’une des deux parties au procès doit être domiciliée dans l’UE (a), la clause attributive de juridiction doit désigner les tribunaux d’un Etat membre (b), s’inscrit dans le cadre d’une situation internationale (c), est valable sur le fond du droit (d) et respecte un certain formalisme (e). a. Au moins l’une des deux parties au procès doit être domiciliée dans l’UE Si cette condition n’est pas respectée, la clause ne s’applique pas entièrement. En effet, une clause attributive de juridiction a deux effets : rendre le tribunal désigné compétent et écarter la compétence des tribunaux non choisis. Si l’une des deux parties a son domicile dans l’UE, les deux effets jouent. Mais si aucune des deux parties ne l’a, l’effet de prorogation ne s’applique pas. Dans ce cas, on peut toujours proroger la compétence, mais alors c’est le droit national qui s’applique. Par contre, l’effet dérogatoire s’applique. On fait jouer l’effet de dérogation en excluant la compétence des autres juridictions de l’UE. Il faut toutefois souligner que, très prochainement, entrera en vigueur la Convention de La Haye de 2005 sur les clauses d’élection de for par laquelle l’UE sera liée, de sorte que, lorsqu’un litige naîtra entre deux parties ressortissantes d’Etats qui ont ratifié la convention de la Haye, et que l’un de ces deux Etats n’est pas un Etat membre de l’UE, alors ce sera la convention qui s’appliquera et plus le règlement de Bruxelles I. 37
Voy. supra. Voy. infra, p.22. 38
Itsiq Benizri 21 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b. La clause attributive de juridiction désigne les tribunaux d’un Etat membre c. Une situation internationale est en cause La question de savoir si l’article 23 du règlement s’applique aux contrats purement internes n’a pas encore été tranchée, les avis divergeant. Cela étant, dans son arrêt ZELGER (1980), la Cour a jugé qu’une clause d’élection de for peut tout à fait valablement désigner un juge qui n’a aucun lien avec l’affaire en cause. d. La clause doit être valable sur le fond du droit D’abord, il faut que la clause se rapporte à une hypothèse déterminée de façon suffisamment précise. La Cour de Justice a défini cette notion de manière large. Ainsi, dans son arrêt POWELL (1992), la Cour a jugé qu’une clause d’élection de for, directement incluse dans les statuts d’une société et disposant que tout litige à naitre entre les associés et la société relèverait de la compétence du juge désigné, est suffisamment précise. Notez qu’en octobre 2012, la Cour de cassation de France s’est prononcée sur une clause attributive de juridiction : elle a jugé simplement potestative et donc inadmissible la clause contractuelle qui laissait à une partie le choix de la juridiction compétente alors que l’autre était liée par la compétence du juge désigné par la clause. Toutefois, le professeur critique cette jurisprudence, considérant que la Cour a appliqué à tort la théorie française des conditions simplement potestatives sur le droit européen. Ensuite, la clause doit bénéficier d’une certaine validité substantielle. Cette validité s’apprécie à l’aune du droit national, quoique la question de savoir de quel droit national il s’agit fait encore débat. Dans son arrêt ELEFANTEN SCHUH (1981), la Cour a jugé que seules les questions relatives au fond du contrat doivent être appréciées à l’aune du droit national, les conditions de forme devant respecter les règles du règlement Bruxelles I. En l’espèce, était en cause une clause rédigée en allemand qui avait été jugée non valable sur base du droit belge qui exigeait qu’elle le soit en néerlandais. e. Formalisme Enfin, la clause doit respecter l’une des quatre formes prévues par le règlement. Ces formes sont exhaustives et alternatives. Itsiq Benizri 22 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 1. La clause est écrite Dans son arrêt COLZANI (1976), la Cour a précisé qu’une clause attributive de compétence exprimée dans des conditions générales imprimées au verso d’un contrat n’est valable qu’à condition que le contrat signé par les parties comporte un renvoi exprès à ces conditions générales. Par ailleurs, « Toute transmission par voie électronique permettant de consigner durablement une information est considérée comme revêtant la forme écrite39 » (art. 23, al.2 du règlement). 2. La clause résulte d’un accord verbal confirmé par écrit Cette formalité requiert la réunion de trois conditions : il faut qu’un accord verbal portant spécifiquement sur la clause ait été spécifiquement confirmé par une partie au moins au contrat, et que la partie qui a reçu la confirmation écrite ne se soit pas opposée ou n’ait pas manifesté d’objection à l’égard de cette clause. 3. Forme conforme aux habitudes des parties dans leurs rapports commerciaux Une clause d’attribution de juridiction peut être valablement conclue dès lors qu’elle relève d’un contrat conclu de manière habituelle entre des parties dans le cadre de relations d’affaires habituelles entre elles. 4. Forme conforme aux usages de commerce international La clause conclue conformément aux usages du commerce international qui prévalent dans une branche donnée du commerce est valable. Toutefois, en pratique, on ne recourt que rarement à ce procédé, tant il est difficile d’apporter la preuve de l’existence d’usages spécifiques à une branche du commerce au niveau de la conclusion du contrat. 5) Cinquième niveau : les compétences ordinaires, spéciales ou dérivées (2, 5, et 6) Lorsque l’on ne se trouve pas à l’un des quatre niveaux supérieurs, trois grandes catégories de règles sont susceptibles de s’appliquer. Ces règles ne sont liées par aucun rapport hiérarchique, de sorte que le demandeur peut librement choisir laquelle de ces règles il appliquera : for du défendeur (art. 2), compétences spéciales (art. 5), ou compétences dérivées (art. 6). a. Le domicile du défendeur L’article 2 du règlement Bruxelles I dispose que : « Sous réserve des dispositions du Règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membres sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ». 39
Par exemple, un email. Itsiq Benizri 23 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Il s’agit d’une règle ordinaire de base considérée comme de droit naturel dans la tradition civiliste : actor sequitur forum rei. C’est une compétence générale qui est toujours disponible. Pour les personnes physiques, le domicile est défini par le droit national (59). Dans son arrêt DEVISSER (2012) la Cour a jugé que, lorsque le domicile du défendeur est inconnu, mais qu’il est probablement un citoyen de l’UE, on peut présumer qu’il est domicilié dans un pays de l’UE pour l’accomplissement des règles de compétence spéciale, à moins qu’il n’existe des indices probants qui permettent de conclure qu’il est domicilié dans un Etat tiers. Pour les personnes morales et pour la mise en œuvre de cette règle40, le domicile est situé, au sens de l’art. 60 du règlement, au lieu de leur siège statutaire, de leur administration centrale ou de leur principale établissement. Une société peut donc avoir plusieurs domiciles, puisque son siège, son administration centrale ou son établissement principal peuvent être situés dans des Etats membres différents. Dès lors, le demandeur peut choisir en lequel de ces lieux il assignera la personne morale. Certes, il en résulte un forum shopping, mais l’on estime que les sociétés doivent savoir à quoi elles s’exposent en s’éparpillant ainsi. Enfin, il faut souligner que le règlement donne une compétence générale et non spéciale aux juridictions des Etats41. Pour ce qui est de la compétence spéciale, on appliquera donc les règles de droit interne. b. Les règles de compétence spéciale en matière contractuelle (5 §1) En matière contractuelle, le juge compétent est celui du lieu de l’exécution du contrat. Dans son arrêt JACOB HANDTE (1992), la Cour a jugé que l’on se trouve en matière contractuelle chaque fois qu’il y a un engagement librement assumé entre parties. En l’espèce, se posait la question de savoir quelle était la nature de l’action introduite par un sous-­‐
acquéreur contre un fabricant, lequel vendait à un grossiste qui vendait à son tour à un détaillant. En Allemagne, l’action du détaillant contre le fabricant était réputée être contractuelle. La Cour a rejeté cette qualification, considérant qu’il n’y a pas d’engagement librement assumé entre un détaillant et un fabricant. Dans son arrêt TACCONI (2002), la Cour a logiquement jugé que la responsabilité précontractuelle n’entre pas dans le champ de la matière contractuelle. 40
Il convient d’être particulièrement attentif au fait que cette définition est différente de celle du siège d’une personne morale/société au sens de l’art. 22 pour les litiges relatifs à l’annulation des décisions prises par les personnes morales. 41
L’application du règlement désignera donc, par exemple, les juridictions de l’Etat belge comme juridictions compétentes, mais jamais les juridictions de Bruxelles. Itsiq Benizri 24 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La Cour a encore précisé, dans son arrêt EFFER (1982), qu’il importe peu que le litige porte sur la question de l’existence même du contrat : on se trouve toujours en matière contractuelle. Dans son arrêt REUNION EUROPEENNE (1998), la Cour a également précisé que l’action en responsabilité qui n’est pas contractuelle est nécessairement extracontractuelle. Quant au lieu d’exécution du contrat, il faut distinguer selon qu’il s’agit d’un contrat de vente de marchandises (1) ou de fournitures de services (2), ou d’un autre type de contrat (4). S’il s’agit d’un contrat de vente de marchandises ou de fournitures de services, le juge compétent est celui du lieu d’exécution du contrat, soit le lieu de délivrance des marchandises pour la vente, ou le lieu de fourniture du service pour la fourniture de services. Il résulte de la jurisprudence de la Cour un système de détermination du lieu d’exécution en trois temps (3). En tout cas, l’article 5 §1 ne s’applique pas si le lieu d’exécution est situé dans un Etat tiers à l’UE (CJ, SIX CONSTRUCTIONS, 1989) ou si l’obligation litigieuse n’a pas de limitation géographique (CJ, BESIX,2002). 1. Fourniture de services Dans son arrêt CAR TRIM (2010), la Cour a jugé qu’il faut interpréter les notions de vente de marchandises ou de fournitures de services de manière autonome et communautaire. Dans son arrêt FALCO (2009), la Cour a jugé que la notion de fourniture de services ne peut pas être entendue au sens général du droit communautaire, qu’il s’agit d’une notion propre au règlement Bruxelles I, et qu’elle implique une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération. La Cour a confirmé cette position dans son arrêt CAR TRIM (2010). D’aucuns ne manquent pas de critiquer cette approche très restrictive de la notion de fourniture de services, car elle aboutit à appliquer les règles de la Convention de Bruxelles toutes les fois où l’on ne se trouve pas en matière de fourniture de services. 2. Vente de marchandises Dans son arrêt WOOD FLOOR (2010), la Cour a jugé que le fait qu’une chose doive être produite ou fabriquée avant d’être livrée ne suffit pas à conclure que le contrat en cause n’est pas un contrat de vente. Itsiq Benizri 25 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Pour déterminer si le contrat portant sur la livraison d’une chose à fabriquer est ou non une vente de marchandises, il faut se poser la double question de qui fournit les matériaux et de la nature des obligations qui pèsent sur le vendeur. Ainsi, si le vendeur fournit les matériaux nécessaires à la fabrication des marchandises, cela tend à considérer qu’il s’agit bien d’un contrat de vente, alors que l’on penchera plutôt pour une réponse négative si c’est l’acheteur qui les fournit. De même, on tendra à considérer que le contrat en cause est une vente lorsqu’il apparaîtra que le vendeur est responsable de la conformité de la chose livrée par rapport à la chose achetée, alors que l’on penchera pour la qualification de contrat de fourniture de services si l’accent est davantage mis sur les conditions du processus de fabrication plutôt que sur la garantie de la chose livrée. 3. Le système de détermination du lieu d’exécution en trois temps tel qu’il résulte des arrêts CAR TRIM et WOOD FLOOR de la Cour de Justice Dans un premier temps, il convient de déterminer ce que prévoit le contrat (5, §1b). A cet égard, la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt ELECTROSTEEL (2011), que le juge saisi doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms42. («international commercial terms»), élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000. Dans un deuxième temps, en l’absence de disposition du contrat déterminant le lieu d’exécution, il faut avoir égard au lieu d’exécution matériel du contrat, ce qui ne peut se faire, par définition, que si le contrat a été exécuté. Dans son arrêt WOOD FLOOR, la Cour a jugé que ce critère implique que l’on prenne en compte le lieu de livraison finale des marchandises, c’est-­‐à-­‐dire celui où elles ont été remises à l’acheteur. Dans un troisième temps, si le contrat n’a pas été exécuté, la Cour a jugé, dans son arrêt CAR TRIM (2010), que le lieu d’exécution du contrat est le domicile du prestataire de services ou de l’acheteur, selon les cas. Dans le cas où il y aurait plusieurs lieux d’exécution du contrat, la Cour a jugé, dans son arrêt COLOUR DRACK (2007), que le lieu d’exécution devant être retenu est le lieu de l’exécution principale du contrat, en vertu de l’adage accessorium sequitur principale. Lorsqu’il est impossible de déterminer le lien de principal à accessoire, chaque tribunal de chaque lieu d’exécution est compétent. Ainsi, dans son arrêt REHDER (2009), la Cour de Justice a jugé que le lieu principal des services fournis par une compagnie d’aviation est le lieu de prise en charge et de destination des passagers. Le demandeur en action peut porter son action en justice à l’un ou l’autre de ces lieux, à son choix. 42
Pour les INternational COmmercial TERMS élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000. Itsiq Benizri 26 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 4. Les autres contrats Lorsque le contrat ne consiste ni en une vente de marchandises, ni en une prestation de services, ou lorsqu’il consiste en une vente de marchandises ou une prestation de services mais que les marchandises doivent être livrées ou les services prestés dans un Etat tiers à l’UE, le tribunal compétent est celui du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande. Pour identifier le lieu de l’obligation litigieuse, il faut, dans un premier temps, identifier l’obligation litigieuse (CJ, DE BLOOS). A cet égard, la situation dans laquelle il n’y a qu’une seule obligation litigieuse ne pose pas problème : le tribunal compétent est celui du lieu où cette obligation devait être exécutée. La situation est en revanche plus problématique lorsqu’il y a plusieurs obligations litigieuses. Dans ce cas, la Cour a jugé, dans son arrêt SHENAVAIL (1987), qu’il convient de tenir compte de l’obligation principale, en raison de l’adage accessorium sequitur principale. Là encore, s’il n’est pas possible de déterminer un lien de principal à accessoire, et que toutes les obligations se valent, la Cour a jugé, dans son arrêt LEATHERTEX (1999), que le juge du lieu d’exécution de chaque obligation litigieuse est compétent pour connaître de l’obligation exécutée dans son for. Dans un deuxième temps, une fois l’obligation litigieuse identifiée, il faut déterminer le lieu d’exécution de l’obligation principale ou de chacune d’entre elles, selon les cas (CJ, TESSILI). Si les parties ont elles-­‐mêmes identifié le lieu d’exécution dans le contrat, ce lieu détermine la compétence du juge (CJ, ZELGER, 1980). Il existe toutefois un tempérament à cette règle : le juge désigné par le lieu d’exécution identifié par les parties ne sera pas compétent lorsque ce lieu sera le résultat d’une convention artificielle sans aucune correspondance avec la réalité et ayant pour effet de contourner les conditions de validité qui délimitent le champ des clauses attributives de juridiction (CJ, MSG, 1997). La Cour n’a pas encore eu l’opportunité d’étendre ou non ce tempérament à la matière de vente de marchandises et fourniture de services, mais le professeur est d’avis qu’elle lui est applicable. Si les parties n’ont pas elles-­‐mêmes désigné le lieu d’exécution de l’obligation litigieuse, le lieu d’exécution est déterminé par l’application du droit national applicable au contrat en cause selon les règles de conflit de loi du juge saisi43 (CJ, TESSILI, 1976). Ce système n’a évidemment pas échappé aux critiques du fait de sa complexité et du fondement de la compétence du juge sur le domicile du demandeur, contre l’esprit général du régime Bruxelles-­‐Lugano qui se fonde toujours sur la compétence du domicile du défendeur. 43
Ainsi, si un juge belge est amené à conclure que la loi applicable à un contra est la loi espagnole, il déterminera le lieu d’exécution du contrat selon ce que le droit espagnol prévoit à cet égard. Itsiq Benizri 27 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 c. Les règles de compétence spéciale en matière d’obligation alimentaire (5 §2) Les principes exposés ci-­‐après ne s’appliquent qu’aux actions intentées AVANT le 18 mai 2011, date à laquelle est entré en vigueur le Règlement dit obligations alimentaires. Toutes les actions introduites à partir de cette date sont donc régies par ce dernier Règlement44. En la matière, le Règlement Bruxelles I est donc devenu désuet. Le tribunal compétent pour connaître d’un litige relatif à une obligation alimentaire est celui domicile ou de la résidence habituelle du créancier. Le tribunal compétent pour connaître d’un litige relatif à une obligation alimentaire relative à une action en droit des personnes, c’est-­‐à-­‐dire d’une demande accessoire à une question d’Etat des personnes, est celui qui est saisi de cette question générale. Deux conditions encadrent cette compétence : d’une part, il faut que la loi du for reconnaisse cette compétence à ce juge et, d’autre part, la compétence ne peut pas se fonder sur la seule nationalité de l’une des parties. L’obligation alimentaire se définit comme toute prestation fixée en fonction des ressources et besoins des intéressés (CJ, DE CAVEL II) : son paiement peut donc être ou non échelonné (CJ, VAN DEN BOOGAARD). Le Règlement Bruxelles I s’applique même lorsque la demande alimentaire est introduite dans le cadre d’une procédure qui, du fait de son objet, échappe à son champ d’application45 (CJ, DE CAVEL I). d. Les règles de compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi-­‐délictuelle (5 §3) En matière délictuelle ou quasi-­‐délictuelle, le tribunal compétent est celui du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (forum delicti). Dans son arrêt KALFELIS (1988), la Cour a jugé que relève de la matière quasi-­‐
délictuelle toute action visant à mettre en cause la responsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle, c’est-­‐à-­‐dire à une obligation librement assumée entre parties, conformément à la jurisprudence JACOB-­‐HANDTE. Dans ce même arrêt, la Cour a jugé que, lorsque une action met en cause, à la fois une responsabilité contractuelle et une responsabilité extracontractuelle, il n’y a pas de connexité (sauf applicabilité de l’article 6) et il faut appliquer l’article 5§1 dans le premier cas et l’article 5§3 dans le second. Par ailleurs, si la notion de lieu du fait dommageable ne pose aucune difficulté de compréhension lorsque tous les éléments du délit sont localisés dans un même Etat 44
Voy. infra, p.103. Ainsi le Règlement s’appliquera-­‐t-­‐il lorsqu’une demande alimentaire aura été introduite dans le cadre d’une action en divorce. 45
Itsiq Benizri 28 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 (délit simple), la question est plus épineuse lorsque les différents éléments du délit sont localisés dans des Etats différents (délit complexe). Dans son arrêt BIER c. MINES DE POTASE D’ALSACE (1976), la Cour de Justice a jugé que, dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d’entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-­‐délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l’expression « lieu ou le fait dommageable s’est produit », doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal du lieu où le dommage est survenu, ou du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage. Dans son arrêt SHEVILL (1995), la Cour de Justice a précisé, afin de limiter le forum shopping que pouvait entraîner sa jurisprudence BIER c. MINES, que les juridictions du lieu du fait générateur sont compétentes pour réparer l’intégralité des dommages, alors que les juridictions du lieu où le dommage s’est produit ne sont compétentes que pour réparer les dommages causés sur leur territoire. Naturellement, cette jurisprudence est difficilement transposable lorsque les délits ont été causés via internet. Selon les uns, partisans de la théorie du ciblage, il est possible de cibler le lieu dans lequel le dommage se produit au moyen de différents critères, tels que la langue ou la monnaie du site, etc. En ce sens, il convient, par exemple, de prendre en compte le public du site, davantage que sa simple accessibilité dans un pays déterminé (Cass. Fr., BOSS, 2005. Revirement de jurisprudence par rapport à Cass. Fr., CASTELLBLANCH, 2003). Selon les autres, il convient d’appliquer la jurisprudence BESIX : trop de tribunaux étant compétents, il faudrait alors considérer que l’article 5§3 n’est pas applicable et s’en tenir à l’article 2. Dans son arrêt eDATE et MARTINEZ (2011), la Cour de Justice a jugé que en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts (lieu du fait générateur du dommage). Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été (lieu de survenance du dommage). Celles-­‐ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie. Itsiq Benizri 29 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Dans son arrêt WINTERSTEIGER (2012), la Cour a jugé qu’un litige relatif à l’atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre peut être porté soit devant les juridictions de l’État membre dans lequel la marque est enregistrée, soit devant celles de l’État membre du lieu d’établissement de l’annonceur. En l’espèce, l’annonceur mis en cause invoquait la théorie de la focalisation selon laquelle le tribunal n’est compétent que si le site est focalisé sur sa région, à défaut de quoi toutes les juridictions du monde seraient compétentes. Dans un premier temps, la Cour de Justice a retenu l’approche qui avait déjà été la sienne dans son arrêt eDATE et MARTINEZ, en distinguant le fait générateur du dommage du dommage lui-­‐même. Quant au fait générateur du dommage, l’avocat général estima qu’il s’agissait du lieu du serveur auprès duquel le mot-­‐clé avait été réservé. La Cour ne suivit toutefois pas ses conclusions et estima qu’il s’agissait du lieu de l’établissement de l’annonceur qui avait demandé le de ce mot-­‐clé. La Cour se basait ainsi sur son arrêt GOOGLE (2011) dans lequel elle avait estimé que la responsabilité pour le référencement de mots-­‐clés sur internet ne reposait pas sur les épaules de celui qui opérait le référencement (soit Google), mais sur l’annonceur. Quant au lieu de survenance du dommage, la Cour ne retint ni le critère du centres des intérêts de la victime, ni la théorie de la focalisation : la théorie de la, focalisation ne vaut que pour les contrats conclus 46
avec des consommateurs (CJ, PAMER et ALPENHOF, 2010) , et le critère du centre des intérêts de la victime ne vaut qu’en matière d’atteinte à la vie privée (CJ, eDATE et MARTINEZ, 2011). La Cour de Justice part du point de vue que les droits intellectuels (droit à la marque) sont strictement territoriaux. Et donc la compétence est nécessairement celle du tribunal du lieu d’enregistrement. Selon le professeur, cette interprétation est totalement défectueuse du fait d’une erreur méthodologique grave, faisant dépendre la solution du litige uniquement de son fond. Elle crée une compétence automatique au lieu d’enregistrement de la marque, alors qu’on peut imaginer une situation dans laquelle une marque serait enregistrée en Belgique, serait liée à un produit vendu exclusivement en Belgique -­‐ imaginons que le même terme désigne un produit qui n’aurait rien à voir avec ce produit et avec ce marché. Il n’y aurait aucun rattachement de l’activité litigieuse ! C’est le raisonnement tenu dans eDATE mais qui ne l’est plus ici. La compétence est automatique et absolue, dès qu’une société a un droit à la marque dans un pays, elle pourra toujours l’assigner devant les juridictions de ce pays, sans que le défendeur puisse contester cette compétence. Dans son arrêt MARINARI (1995), la Cour a précisé que la compétence du tribunal du lieu où le dommage est subi vise uniquement le dommage initial, direct et immédiat, à l’exclusion de tout dommage indirect. Dans son arrêt REUNION EUROPEENNE (1998), la Cour a jugé que, en matière de transport international de marchandises, le lieu ou l’événement cause s’est produit peut être difficile, voire impossible à déterminer. Dans une telle hypothèse, il appartient au créancier d’attraire le débiteur devant le tribunal du lieu où le dommage est survenu, lequel ne saurait être le lieu de la livraison finale ou de la constatation du dommage. C’est donc le lieu de livraison initial qui compte. 46
Voy. infra, p.67. Itsiq Benizri 30 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La Cour a confirmé cette jurisprudence dans son arrêt ZUID-­‐CHEMIE47 (2009), considérant que le dommage direct n’est pas établi selon le lieu de la livraison finale, mais en fonction du lieu où le produit est utilisé et a été transformé. On ne tient donc compte que du dommage initial, et non du dommage par ricochet. Enfin, il faut relever que le texte permet d’introduire des actions préventives, puisque l’on peut agir au lieu où le dommage risque d’être produit. e. Les règles de compétence spéciale en matière d’action civile liée à la commission d’une infraction pénale (5 §4) Le tribunal saisi de l’action publique peut connaître de l’action civile, à condition que la loi de l’Etat le permette. f. Les règles de compétence spéciale en matière de contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement (5 §5) Le tribunal compétent en matière de contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement est celui du lieu où ces succursales, agences ou établissements se trouvent. Dans son arrêt SOMAFER (1973), la Cour de Justice a jugé que la notion de succursale, d’agence ou de tout autre établissement implique un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère, pourvu d’une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceux-­‐ci, tout en sachant qu’un lien de droit éventuel s’établira avec la maison mère dont le siège est à l’étranger, sont dispensés de s’adresser directement à celle-­‐ci, et peuvent conclure des affaires au centre d’opérations qui en constitue le prolongement. L’article 5§5 ne s’applique pas à l’activité exercée de manière indépendante, sauf levée du voile de l’incorporation. En revanche, dans son arrêt SCHOTTE (1987), la Cour a jugé que cette disposition s’applique lorsqu’une société exerce ses activités au moyen d’une société indépendante portant le même nom et ayant la même direction, qui agit et conclut des affaires en son nom et dont elle se sert comme d’un prolongement, en raison de l’apparence et de la confusion créée. g. En matière de trust (5 §6) Le tribunal du domicile du trust est compétent pour connaître des litiges relatifs aux relations internes du trust, soit les actions contre le fondateur, contre le trustee ou contre le bénéficiaire du trust. 47
En l’espèce, une action en responsabilité extracontractuelle pour produits défectueux avait été introduite par l’utilisateur final d’un produit chimique livré à une autre société qui l’a transformé en un produit fini défectueux qu’elle a ensuite livré dans un autre Etat. Itsiq Benizri 31 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 h. En matière maritime (5 §7) En principe, on applique l’article 5§3. Dans les matières dans lesquelles il existe des conventions spéciales comprenant des règles particulières, celles-­‐ci continuent à s’appliquer, au détriment du règlement (71). i. Compétences dérivées (6) En principe, la connexité n’est pas en elle-­‐même un critère de compétence : chaque affaire doit être amenée devant le juge compétent selon les règles propres qui le déterminent. L’article 6 permet au juge compétent pour connaître d’une affaire de connaître d’une affaire qui lui est connexe, soit lorsqu’il y a intérêt à juger ensemble des demandes afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (CJ, KALFELIS, 1988). Diverses hypothèses sont envisagées. h.1. Pluralité des défendeurs D’abord, il se peut qu’il y ait plusieurs défendeurs à la cause (6§1). Dans ce cas, toutes les actions peuvent êtres portées devant les tribunaux de l’Etat membre du domicile de l’un des défendeurs48. Cette disposition n’est applicable qu’à condition l’action soit portée devant le for du domicile de l’un des défendeurs et qu’il existe un lien de connexité entre les demandes. Dans son arrêt ROCHE NEDERLAND49 (2006), la Cour a donné une interprétation restrictive de l’article 6§1 du Règlement, considérant qu’il ne s’applique pas dans le cadre d’un litige en contrefaçon d’un brevet européen mettant en cause plusieurs sociétés, établies dans différents Etats contractants, pour des faits qui auraient été commis sur le territoire d’un ou de plusieurs de ces Etats, même dans l’hypothèse où lesdites sociétés, appartenant à un même groupe, auraient agi de manière identique ou similaire, conformément à une politique commune qui aurait été élaborée par une seule d’entre elles. Il faut en effet, pour que l’article 6§1 soit applicable qu’il y ait identité des situations de fait et de droit entre les différentes actions. Or, comme ce qui était en cause ici, c’était la violation d’un brevet, et qu’il n’existe pas de brevet unitaire, chaque action portait sur chaque brevet national, de sorte qu’il n’y avait pas identité de l’action 48
Ainsi, si une société française agit contre une société allemande et une société belge, elle peut les assigner à son choix devant le juge de l’un de ces pays. 49
Etait en cause en l’espèce un litige en matière de contrefaçon de brevets. Les demandeurs agirent en justice contre les filiales du groupe ROCHE qui vendait des médicaments contrefaits. Une seule action fut introduite contre toutes les filiales, aux Pays-­‐Bas. Itsiq Benizri 32 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 juridique ! Cet arrêt a été fortement critiqué, puisque c’était le même médicament qui était en cause et que les législations nationales étaient somme toute assez proches. Dans son arrêt PAINER (2011), la Cour a fait application de l’article 6§1 à une situation pourtant fortement similaire à l’arrêt ROCHE, jugeant qu’il n’était pas exigé que les bases juridiques de l’action soient les mêmes contre les différents défendeurs. On se demanda alors s’il s’agissait ou non d’un revirement de jurisprudence. Dans son arrêt SOLVAY (2012), la Cour a constaté que l’on reprochait aux différentes sociétés du groupe d’avoir violé les mêmes parties nationales du brevet européen, alors que, dans ROCHE, on reprochait à chaque entreprise d’avoir violé le brevet local. La Cour a donc fait application de ROCHE, tout en concluant à l’application de l’article 6§1…Il y a tout de même un infléchissement de ROCHE : pour décider s’il y a connexité, la juridiction nationale peut avoir égard au fait qu’est invoqué la même partie des brevets, mais aussi au fait que les différentes sociétés ont agi de concert dans la contrefaçon. Cet élément avait été précisément exclu dans l’arrêt ROCHE ! En pratique, l’article 6.1 sert à pratiquer le forum shopping : on tente toujours de lier les affaires entre elles là où on le veut. Le risque est donc d’assigner un défendeur fictif50. Dans son arrêt FREEPORT (2007), la Cour a jugé qu’il n’est pas nécessaire d’établir de manière distincte que les demandes n’ont pas été formées à la seule fin de soustraire l’un des défendeurs aux tribunaux de l’Etat membre où il est domicilié. h.2. Demande en garantie ou en intervention (6§2) Une partie peut attraire en garantie ou en intervention un défendeur domicilié dans un Etat membre devant le tribunal d’un autre Etat membre saisi de la demande originaire. Il n’est pas requis à cet effet d’être devant le domicile du défendeur, mais l’abus de procédure est condamné. h.3. Demande reconventionnelle dérivant d’un contrat ou du fait sur lequel est fondé la demande originaire (6§3) La partie qui est assignée en justice devant un juge peut introduire une action reconventionnelle devant lui à condition, évidemment, que cette demande dérive du contrat en cause ou du fait sur lequel est fondée la demande originaire. h.4. Action contractuelle en matière immobilière (6§4) En principe, l’article 22§1 dispose que le juge compétent pour connaître d’une action réelle ne peut l’être pour connaître de l’action contractuelle qui en résulte51. Toutefois, l’article 6§4 dispose que, en matière contractuelle, si l'action peut être jointe à une 50
Ainsi, si un demandeur souhaite assigner une société anglaise devant les tribunaux belges alors qu’il ne le peut pas, il peut assigner une autre partie domiciliée en Belgique comme codéfendeur. 51
Par exemple, la demande en dommages et intérêts résultant d’une condamnation pour violation d’un droit réel. Itsiq Benizri 33 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 action en matière de droits réels immobiliers dirigée contre le même défendeur, le juge du tribunal de l'État membre sur le territoire duquel l'immeuble est situé est compétent. j. Règles de coordination de compétence et de procédure Ces dispositions visent à régler les conflits de compétence naissant entre différentes juridictions saisies d’une même affaire. j.1. Mesures provisoires ordonnées par un juge autre que le juge compétent au fond (31) Quelles que soient les compétences de fond, les juges sont a priori toujours compétents pour émettre des mesures provisoires, conformément au droit national. Comme cette règle permet de contourner le système hiérarchique mis en place par le Règlement, la Cour de Justice a restreint le champ d’application de cette disposition. Ainsi, dans son arrêt VAN UDEN (1998), la Cour a jugé, outre le fait que le juge compétent au fond peut prendre toutes les mesures provisoires qu’il veut sans aucune restriction, qu’un juge non compétent sur le fond ne peut ordonner de mesures provisoires qu’à la double condition que de vraies mesures provisoires aient été demandées (soit des mesures destinées à préserver une situation dans l’attente du jugement au fond et dont les effets doivent être réversibles) et qu’il existe un lien de connexion réelle entre l’objet de la mesure et le territoire du for saisi. Notez qu’une partie de la doctrine et de la jurisprudence ajoute une troisième condition : celle de l’urgence. La jurisprudence et la doctrine sont toutefois divisées sur ce point, et la Cour de justice ne s’est pas prononcée sur la question. Au sujet de la première condition, la Cour d’appel de Bruxelles a jugé, dans l’arrêt MEME TCHITE, qu’une mesure provisoire doit être réversible, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisque tous les matches joués par le joueur n’allaient évidemment pas être rejoués au cas où il aurait perdu son procès. Meme Tchite a déjà joué pour deux équipes nationales de football, et le règlement de la FIFA prévoit qu’on ne peut pas jouer pour trois équipes nationales. Il assigne alors la FIFA pour se voir reconnaître le droit de jouer pour l’équipe nationale belge. La FIFA est établie en Suisse. Pour pouvoir l’assigner à Bruxelles possible, le joueur a demandé une mesure provisoire : pouvoir jouer pour l’équipe en attendant la décision au fond de la FIFA. Cela lui aurait permis de jouer et, en cas de défaite au tribunal, il aurait arrêté de jouer. Dans l’arrêt SAINT PAUL DAIRY (2005), la Cour de Justice a jugé que la déposition de témoin n’est pas une mesure provisoire. Le professeur estime que cette jurisprudence ne vise qu’un cas particulier et ne doit pas être étendue aux autres modes de preuve. Par ailleurs, s’il y a urgence52, le professeur estime que le témoin doit pouvoir être entendu dans le cadre d’une mesure provisoire. 52
Par exemple, si le témoin est mourrant. Itsiq Benizri 34 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Au sujet de la seconde condition, il faut observer que les mesures provisoires ne sont pas limitées au territoire du juge. Dans son arrêt SOLVAY (2012), la Cour de Justice a jugé que le juge du provisoire peut prendre des mesures extraterritoriales. Par ailleurs, le fait qu’un juge dispose d’une compétence exclusive n’empêche pas un autre juge d’adopter des mesures provisoires sur le même objet. Or, dans l’arrêt GAT53, la Cour avait jugé que lorsqu’un juge est saisi d’une question relevant de la compétence exclusive d’un autre juge, il doit laisser le soin à cet autre juge d’en connaître. L’arrêt SOLVAY permet donc de déduire que l’enseignement de la jurisprudence GAT ne s’applique que sur le fond. Enfin, la notion de connexion réelle fait discussion. L’arrêt LES FILMS DE L’ELYSEE (2009) du Président du Tribunal de Commerce de Bruxelles semble s’orienter vers une conception stricte de la notion. j.2. Vérification de la compétence On peut se poser la question de savoir si le juge doit vérifier d’office sa compétence. A cet égard, deux cas de figures doivent être examinés. Si le défendeur ne comparaît pas (26), le juge doit d’office vérifier son incompétence ainsi que, avant de prononcer le jugement par défaut, si le défendeur a eu connaissance de l’action en temps utile pour pouvoir se défendre. Si le défendeur comparaît (24), le juge ne doit pas soulever d’office la question de l’incompétence et doit s’en remettre à la décision du défendeur de contester ou non la compétence. j.3. Procédures parallèles Le Règlement Bruxelles I s’efforce d’éviter que plusieurs juridictions soient saisies d’un même litige au moyen de deux règles : la litispendance et la connexité. j.3.a. La litispendance (27) La règle de litispendance est relativement simple : lorsque deux juges de l’UE sont saisis de la même affaire, seul le premier juge saisi est compétent à condition que le litige dont les tribunaux de deux Etats membres différents au moins sont saisis oppose exactement les mêmes parties dans le cadre d’actions qui ont le même objet et la même cause. Au niveau de l’identité des parties, la Cour de justice a jugé que les parties sont considérées comme identiques lorsqu’elles sont des personnes juridiquement 53
Voy. supra, p. 18. Itsiq Benizri 35 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 différentes mais ayant des intérêts identiques54. La Cour a également jugé que les parties sont considérées comme identiques lorsqu’elles correspondent partiellement55. Au niveau de l’identité d’objet, la Cour de Justice a interprété largement la notion et a jugé, dans son arrêt THE TARTRY (1994) qu’il faut mais il suffit que les choses demandées entretiennent entre elles des éléments d’inconciliabilité56. Quant à l’identité de cause, la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt THE TARTRY, qu’elle renvoie à l’idée de faits et règles invoqués comme fondement de la demande. Elle a rappelé, dans son arrêt GUBISH (1987), qu’il y a identité de cause lorsque différents litiges sont fondés sur un même rapport juridique. Dans son arrêt GASSER (2003), la Cour de Justice a jugé qu’une clause attributive de juridiction ne peut pas faire exception à la règle de litispendance. De même, l’abus de procédure ne peut pas faire exception à cette règle. En revanche, la Cour a jugé dans son arrêt OVERSEAS UNION (1991) que la litispendance ne joue pas en cas de compétence exclusive du second juge. En tout cas, la litispendance a pour effet que le deuxième juge doit surseoir à statuer et se juger incompétent une fois que le premier juge saisi a établi sa compétence. A cet égard, il est particulièrement important de déterminer le moment de la saisine. En Europe, il existe deux systèmes de saisine : dans l’un, comme en Belgique, le demandeur signifie l’action au défendeur par exploit d’huissier, après quoi celle-­‐ci est enregistrée ; dans l’autre, comme en Angleterre, d’abord on procède à l’enregistrement, ensuite on signifie l’action. Le législateur a dès lors décidé que la saisine a lieu au moment de la signification dans le premier système, et au moment de l’enregistrement dans le deuxième. j.3.b. La connexité (28) Lorsque la litispendance n’est pas applicable au motif que les conditions ne sont pas réunies, mais qu’il existe un rapport étroit entre les actions, le juge saisi en deuxième lieu a la faculté mais pas l’obligation de sursoir à statuer en faveur du juge saisi en premier. 54
En l’espèce, l edemandeur avait introduit une action contre une assurance dans un Etat avant d’en introduire une autre contre l’assuré dans un autre Etat. 55
Ainsi, si deux parties saisissent deux juges, et que le deuxième d’entre eux est également saisi par une troisième partie, la litispendance s’applique et profite au premier juge pour les deux parties identiques. La troisième partie, elle, peut poursuivre l’action devant le deuxième juge, y compris dans ses rapports avec les deux premières. 56
On peut imaginer, par exemple, qu’un juge soit saisi d’une demande d’exécution d’un contrat alors qu’un autre serait saisi d’une demande d’annulation du même contrat. Itsiq Benizri 36 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 j.3.c. Méthodes qui ne peuvent pas être utilisées La Cour de Justice a précisé que les règles de litispendance et de connexité sont les seules qui peuvent être utilisées pour régler le problème des compétences parallèles. Or il se fait que des solutions antérieures au Règlement Bruxelles I avaient été dégagées, en particulier par la common law. Ainsi, les tribunaux de common law avaient développé la doctrine du forum non conveniens, laquelle permet à un juge compétent pour connaître d’un litige de ne pas exercer sa compétence pour permettre au juge d’un autre Etat considéré comme plus approprié d’en connaître. Un tel mécanisme serait inconcevable dans les systèmes de tradition romano-­‐germanique, puisque le juge compétent est tenu de statuer, à défaut de se rendre coupable de déni de justice. Les tribunaux anglais avaient eux-­‐mêmes reconnus, et ce dès l’origine, que cette doctrine ne pouvait pas être applicable dans l’UE entre juges d’Etats membres. Ils avaient toutefois continué à l’exercer dans leurs relations avec les Etats tiers à l’UE. Dans son arrêt OWUSU (2005), la Cour de Justice a interdit la pratique du forum non conveniens y compris dans les relations entre Etats membres et Etats tiers à l’UE, au motif que les compétences prévues par le Règlement Bruxelles I sont obligatoires (2). Une autre pratique existe dans le common law : l’injonction anti-­‐suit, par laquelle un juge ordonne à une partie de mettre fin à l’action qu’elle a portée à l’étranger. Dans son arrêt TURNER (2004), la Cour de justice a interdit la technique de l’injonction anti-­‐suit sur base du principe de confiance mutuelle qui doit exister entre juges européens. Dans son arrêt WEST TANKER (2009), la Cour avait également jugé qu’une injonction anti-­‐suit ne peut pas interdire à une partie d’agir devant un juge en violation d’une clause d’arbitrage. La doctrine anglaise est extrêmement insatisfaite de cette jurisprudence, l’injonction anti-­‐suit permettant d’éviter les abus de procédure. Toutefois, la Cour de Justice est uniquement préoccupée par la liberté de circulation des jugements et leur reconnaissance mutuelle. Ces deux arrêts concernent les anti suit dirigés contre les tribunaux d’autres Etats membres de l’UE. La Cour de Justice ne s’est pas encore prononcée sur la validité des injonctions anti-­‐suit prononcées vis-­‐à-­‐vis de juridictions hors UE. Itsiq Benizri 37 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 REGLES GENERALES DE DROIT COMMUN : CODE DE DIP Les Règles qui se trouvent dans le Code de DIP ne s’appliquent que lorsqu’aucune disposition de droit européen ou international ne trouve à s’appliquer. Ces règles s’appliquent en matière civile et commerciale quand le défendeur est situé en dehors de l’UE puisque, dans ce cas, le Règlement renvoie au droit national et, en matière de statut personnel, quelque soit le lieu du domicile du défendeur. Le Code de DIP comporte des règles de compétence générale et des règles de compétence spéciale. Nous ne dirons ici qu’un bref mot au sujet des règles de compétence spéciales, celles-­‐
ci n’étant approfondies que dans la partie spéciale du cours. Pour l’heure, il s’agira simplement de retenir que, en matière d’obligations contractuelles (96§1), le juge belge est compétent lorsque l’obligation est née ou doit être exécutée en Belgique ; qu’en matière extracontractuelle (96§2), sa compétence est établie lorsque le fait générateur de l’obligation est survenu ou menace de survenir en Belgique, ou si le dommage est survenu ou menace de survenir en Belgique ; ou le dommage est en Belgique ; en matière de biens (85), lorsque le bien est située en Belgique ; en matière de quasi-­‐contrat, lorsque le fait dont découle l’obligation quasi-­‐
contractuelle est situé en Belgique. Les règles de compétence générale, énumérées à l’article 5 du Code de DIP, s’appliquent dans toutes les matières qui entrent dans le champ d’application visé par le Code, sauf dans les cas où celui-­‐ci y déroge expressément. Ces règles sont très semblables à celles du Règlement Bruxelles I, le législateur belge s’étant inspiré de cet instrument. 1. Le for du défendeur (5) Les juridictions belges sont compétentes lorsque le défendeur est domicilié ou a sa résidence habituelle en Belgique lors de l’introduction de la demande. Cette règle vaut également dans l’hypothèse où il y aurait plusieurs défendeurs dont l’un seulement serait domicilié ou aurait sa résidence habituelle en Belgique, sauf le cas où l’introduction de la demande aurait eu pour seul objectif de traduire un défendeur en dehors de la juridiction de son domicile ou de sa résidence habituelle : c’est l’exception de détournement de for dans l’hypothèse des codéfendeurs. 2. Le for de la succursale Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant l’exploitation de l’établissement secondaire d’une personne morale qui n’a ni domicile ni résidence habituelle en Belgique lorsque cet établissement est situé en Belgique lors de l’introduction de la demande. Itsiq Benizri 38 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 3. Clauses attributive de juridiction (6 et 7) Les parties ne peuvent prévoir de clause attributive de juridiction qu’à condition qu’elles aient la libre disposition de leurs droits, ce qui exclut la plupart des matières personnelles et constitue une condition plus restrictive que celles qui sont établies par l’art. 23 du Règlement Bruxelles I. En outre, la clause doit avoir été établie à l’occasion d’un rapport de droit déterminé et avoir été valablement conclue. Si le clause désigne un juge belge (6), il est compétent, sauf s’il constate que l’affaire n’a pas de lien significatif avec la Belgique, et ce afin d’éviter les coûts de la justice. Si la clause désigne un juge étranger et qu’une partie assigne l’autre en Belgique en violation de la clause (7), en principe, le juge belge renvoie les parties au juge désigné. Il refuse toutefois de se dessaisir s’il constate qu’il est prévisible que la décision qui sera rendue par le juge étranger ne sera pas reconnue en Belgique. Si le juge belge a une compétence fondée sur le déni de justice (11), compétence qui ne peut être utilisée qu’à titre exceptionnel, c’est-­‐à-­‐dire lorsque la saisine d’un juge étranger est impossible ou déraisonnable et que le litige présente des liens étroits avec la Belgique, le juge belge est compétent, même s’il y a une clause attributive de juridiction. 4. Comparution volontaire du défendeur sans contestation de compétence (6§1, al.2) Le juge belge devant lequel le défendeur comparaît est compétent pour connaître de la demande formée contre lui, à moins que cette comparution ait pour objet principal de contester sa compétence. 5. En cas de demande reconventionnelle, en intervention ou en garantie (8) Le juge belge compétent pour connaître d’une demande l’est également pour connaître d’une demande en garantie ou en intervention (à moins que celle-­‐ci n’ait été formée que pour traduire hors de la juridiction normalement compétente celui qui a été appelé) et d’une demande reconventionnelle dérivant du fait ou de l’acte sur lequel est fondée la demande originaire. Ces règles imitent celles qui sont prévues à l’article 6, 2° et 3° du Règlement Bruxelles I. 6. En cas de simple connexité entre causes Au contraire du Règlement Bruxelles I qui ne donne compétence au juge en raison de la connexité de différents litiges que par exception (art. 7 du Règlement), le Code de DIP dispose de manière générale que le juge belge compétent pour un litige est compétent pour connaître de tous ceux qui lui sont connexes. Itsiq Benizri 39 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 7. La compétence fondée sur le déni de justice (11) Le juge belge est compétent lorsque la saisine du juge étranger est impossible ou déraisonnable et que la cause présente des liens étroits avec les Belgique. 8. Règles de coordination a. Les mesures provisoires (10) Le juge belge est compétent pour prendre des mesures provisoires ou conservatoires ainsi que des mesures d’exécution relatives à des personnes ou des biens se trouvant en Belgique au moment de l’introduction de la demande, même si les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître du fond de l’affaire, et à condition qu’il s’agisse de mesures provisoires et que l’urgence nécessite de les adopter. b. Litispendance (14) Le juge belge saisi en second lieu d’une demande entre les mêmes parties, ayant le même objet et la même cause, peut surseoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision étrangère, mais uniquement dans le cas où le juge premier saisi est amené à rendre une décision qui sera reconnue en Belgique. c. Compétence interne (13) Afin de déterminer lequel des juges belges sera compétent une fois que l’on aura établi la compétence des juridictions belges, on appliquera le Code judiciaire ou, à défaut, le Code de DIP et, à défaut, seront compétences les juridictions de l’arrondissement de Bruxelles. Itsiq Benizri 40 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 L’EFFET DES JUGEMENTS : RECONNAISSANCE ET EXECUTION 1. Le principe fondamental de Bruxelles I Le Règlement Bruxelles I est basé sur le principe de libre circulation des jugements. Ce principe à valeur quasi constitutionnelle, puisqu’il est fondé sur l’article 81 TFUE, et que la coopération judiciaire européenne repose tout entièrement sur lui. Il convient de bien distinguer la reconnaissance (2) et l’exécution des jugements (3). 2. La reconnaissance des jugements La reconnaissance consiste en l’intégration d’une décision étrangère dans l’ordre juridique national. Le principe applicable en la matière est celui de la reconnaissance de plein droit des jugements à l’intérieur de l’espace judiciaire européen. Une partie peut contester cette reconnaissance, mais elle est présumée être valable. Il est également possible de demander la confirmation de cette reconnaissance. Enfin, si la reconnaissance est invoquée de façon incidente devant la juridiction d’un Etat membre, celle-­‐ci est compétente pour en connaître. 3. L’exécution des jugements L’exécution des jugements consiste à conférer la force exécutoire à un jugement étranger, lequel doit être exécutoire, même par provision, dans son Etat d’origine. Au contraire de la reconnaissance, l’exécution n’est pas automatique, et il faut pour l’obtenir passer par une procédure préalable que l’on appelle exequatur, laquelle consiste à transformer un jugement rendu dans un Etat membre en un jugement local afin de procéder à des mesures d’exécution. Le Règlement Bruxelles I utilise une autre terminologie : la procédure vise à la déclarer la force exécutoire du jugement. En fin d’année 2012, le Parlement européen a adopté le projet de réforme du Règlement Bruxelles 57
I . Cette réforme comporte une modification majeure en matière d’effet des jugements, en ce sens qu’il supprime l’exequatur. Le défendeur pourra certes contester l’exécution, mais ces possibilités sont très limités et très encadrées, l’idée étant de limiter au maximum ces cas. Une fois l’exequatur obtenu (40 et 53), il est signifié au défendeur qui peut le contester. C’est à ce moment que la procédure devient contradictoire (42 et 43). Le juge vérifie alors s’il n’y a pas un motif de non exequatur, ceux-­‐ci étant limitativement énumérés par le Règlement Bruxelles I58. A cet égard, il est interdit au juge de réviser une affaire au fond (36). Il ne peut pas davantage contrôler la compétence du juge de l’Etat d’origine. Par exception, le juge peut se livrer à un tel contrôle lorsque la compétence en cause constitue une compétence exclusive, ou encore lorsqu’elle consiste en une règle de compétence 57
Voy. supra p.10, et infra p. 85. Partant, ces motifs de non exequatur ne sont pas examinés dans la requête unilatérale. L’obtention de la déclaration exécutoire sur requête unilatérale est donc automatique. 58
Itsiq Benizri 41 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 protectrice, mais uniquement en matière d’assurance et de consommation (mais pas en matière de contrats de travail). 4. Motifs de refus de reconnaissance et d’exécution des jugements (34) Il n’existe que trois motifs de refus de reconnaissance ou d’exécution des jugements (34). Ceux-­‐ci sont d’interprétation restrictive. Il s’agit de la contrariété manifeste à l’ordre public de l’Etat requis (a), de la violation des droits de la défense lorsqu’un jugement a été rendu par défaut (b), et de l’existence d’une contrariété avec une autre décision (c). a. Contrariété manifeste à l’ordre public de l’Etat requis Un Etat ne peut pas incorporer dans son ordre juridique une décision contraire à l’ordre public. Dans son arrêt KROMBACH (2000)59, la Cour de Justice a jugé que cette contrariété doit être manifeste, de telle manière que ce motif de refus conserve un caractère exceptionnel. Le Règlement de Bruxelles a intégré cette condition à l’article 34,1°. Dans son arrêt RENAULT (2000), la question se posait de savoir si la violation du droit de la concurrence européen par un juge était un motif de refus d’exequatur. La Cour a jugé que l’erreur ne suffit pas à conclure à la contrariété manifeste de l’ordre public. Il existe une certaine tension entre les arrêts KROMBACH et RENAULT. Celle-­‐ci s’explique par le fait que, dans le premier cas, était en cause l’ordre public procédural alors que, dans le second, il s’agissait d’ordre public de fond. b. Violation des droits de la défense dans le cadre d’un jugement rendu par défaut L’exequatur d’un jugement rendu par défaut peut être refusé s’il est démontré que le défendeur n’avait pas reçu l’acte introductif d’instance en temps utile pour pouvoir se défendre. Toutefois, ce motif de refus n’est pratiquement plus susceptible d’être utilisé, car il ne peut être invoqué par le défendeur défaillant qui n’aurait pas introduit de recours contre la décision rendue par défaut alors qu’il était en mesure de le faire. c. Contrariété manifeste à l’ordre public de l’Etat requis Si un jugement a déjà été rendu dans un Etat dans un sens, le juge de cet Etat ne peut pas accepter de reconnaître un jugement étranger en sens contraire. En principe, cette situation ne devrait pas de produire du fait de l’existence des règles de connexité et litispendance. 59
A l’époque, la Cour statuait encore sur la Convention de Bruxelles, qui n’exigeait pas que ce caractère manifeste de la contrariété. Itsiq Benizri 42 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Si un jugement a déjà été rendu dans un autre Etat, entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, le juge d’un Etat membre ne peut pas reconnaître un autre jugement étranger s’il est inconciliable avec ce premier jugement, et à condition celui-­‐ci réunisse les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’Etat membre du juge saisi. 5. Régime de droit commun du Code de DIP Dans le Code de DIP, le principe est celui de la reconnaissance de plein droit des jugements rendus à l’étranger (22§1). Par conséquent, tout jugement étranger reconnu de plein droit permet de pratiquer sans autorisation préalable du juge des saisies n’importe quelle saisie conservatoire (1414, C. jud.). Quant à l’exequatur, la procédure se divise la aussi en deux étapes : procédure unilatérale, puis contradictoire. A nouveau, le juge doit vérifier qu’il n’existe pas un motif de refus de reconnaissance du jugement étranger. Ces motifs sont au nombre de sept (25§1). a. Contrariété manifeste à l’ordre public Le Code de DIP consacre la théorie retenue par la Cour de cassation dite du caractère atténué de l’exception d’ordre public. En vertu de cette théorie, ce sont les effets de la reconnaissance ou de l’exécution de la décision étrangère et non la décision elle-­‐même qui doivent être manifestement incompatibles avec l’ordre public international belge pour que le juge en refuse la reconnaissance. Cette incompatibilité s’apprécie en tenant compte, notamment, de l’intensité du rattachement de la situation avec l’ordre juridique belge et de la gravité de l’effet produit. b. Violation des droits de la défense Ce motif est plus large que dans le Règlement Bruxelles I, car il ne se cantonne pas aux jugements rendus par défaut, mais s’étend à tous les droits de la défense tels qu’ils sont conçus en droit belge et dans l’article 6 CEDH. c. Fraude à la loi normalement applicable Dans les matières dans lesquelles les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, le Code de DIP prévoit que le juge contrôle la loi applicable afin de sanctionner la partie qui se déplace à l’étranger pour d’y obtenir un résultat au fond qu’elle n’aurait pas pu obtenir devant son juge naturel. Itsiq Benizri 43 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 d. Inconciliabilité des décisions Les jugements étrangers ne sont ni reconnus ni exécutés en Belgique lorsqu’ils sont inconciliables avec une décision rendue en Belgique ou rendue antérieurement à l’étranger et susceptible d’être reconnue en Belgique. Il en va de même pour les décisions obtenues à la suite d’une demande introduite à l’étranger après l’introduction d’une demande en Belgique, alors que cette dernière implique les mêmes parties, porte sur le même objet, et est encore pendante. Cette disposition vise à éviter que les parties ne se livrent à une course au jugement. e. Contrôle de la compétence indirecte Le juge belge refuse de reconnaître le jugement étranger lorsque celui-­‐ci porte sur une matière qui relève de la compétence exclusive des juridictions belges, ou lorsque le juge étranger n’a pu fonder sa compétence exorbitante que sur la présence du défendeur ou de biens sur son territoire. f. Recours ordinaire dans l’Etat d’origine Le juge ne reconnaît ni n’exécute la décision étrangère qui peut encore faire l’objet d’un recours ordinaire dans l’Etat dans lequel elle a été rendue. g. Saisine étrangère postérieure mais simultanée à une saisine belge Le juge ne reconnaît ni n’exécute une décision lorsqu’elle résulte d’une résulte d’une procédure qui a été initiée à l’étranger alors que le juge belge était déjà saisi mais n’avait pas encore statué. Itsiq Benizri 44 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 LES PROCEDURES EUROPEENNES SIMPLIFIEES Cette section regroupe deux grands volets : les Règlements portant les procédures simplifiées (1) et l’assistance judiciaire internationale (2). 1. Les Règlements portant les procédures simplifiées L’Union européenne a voulu simplifier la récupération des créances et l’exécution des jugements dans des matières spécifiques et sous certaines conditions particulières. A cet égard, il existe trois règlements permettant d’obtenir un jugement qui sera automatiquement exécutable dans toute l’UE, sans qu’un exequatur soit requis. Ces règlements ne s’appliquent que pour les litiges transfontières et sont caractérisés par le fait qu’ils requièrent l’usage de formulaires standardisés et disponibles dans toutes les langues. Ces procédures simplifiées sont toutefois optionnelles, en ce sens qu’elles permettent aux parties de simplifier l’exécution de leurs jugements, mais qu’il est toujours possible de revenir aux dispositions du Règlement Bruxelles I. En pratique, elles ne sont que peu utilisées. Ces règlements ont pour objet le titre exécutoire européen (a), la procédure d’injonction de payer (b), et les petits litiges (c). a. Règlement sur le titre exécutoire européen du 21 avril 2004 (TEE) Les jugements rendus en matière de créances incontestées peuvent faire l’objet d’un titre exécutoire européen qui sera délivré par le juge du lieu d’exécution. Celui-­‐ci remplit un formulaire qui devient le TEE. Le règlement établit un certain nombre de conditions qui doivent être respectées. b. Règlement sur la procédure d’injonction de payer européenne du 12 décembre 2006 Sur requête unilatérale, le juge peut prononcer une ordonnance visant à contraindre une personne de payer. Cette procédure n’est disponible que pour les créances contractuelles, pécuniaires, exigibles et liquides. Si l’injonction est obtenue, la décision qui la prononce doit être signifiée au débiteur qui peut faire opposition dans les 30 jours de la signification devant le même juge. S’il y a opposition, la procédure devient contradictoire. Itsiq Benizri 45 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 S’il n’y a pas opposition dans les délais prévus, l’injonction devient exécutoire dans tous les Etats membres. c. Règlement concernant la procédure européenne de règlement des petits litiges du 11 juillet 2007 Cette procédure constitue un outil qui a été conçu au profit des consommateurs, afin de simplifier leurs contestations. Elle se fait au gré de formulaires standardisés, et uniquement par écrit : il n’y a ni comparution, ni plaidoirie. Les litiges visés sont ceux qui portent sur un montant principal de 2000 euros maximum, hors frais. Si le défendeur introduit une demande reconventionnelle en demandant des dommages qui dépassent les 2000 euros, la procédure simplifiée s’arrête. 2. L’assistance judiciaire internationale En principe, en droit international privé, tout ce qui touche à l’organisation de la procédure dépend de la loi nationale (lex fori). Toutefois, pour faciliter la coopération entre autorités étrangères, des règles ont été mises en place en matière de signification des actes judiciaires à l’étranger (a) et d’obtention des preuves à l’étranger (b). a. Signification des actes judiciaires à l‘étranger Cette section expose la manière dont un acte judiciaire est communiqué à l’étranger (signification, notification, etc.) dans le système international (i), national (ii) et européen (iii). i. En droit international En droit international, la Convention de La Haye de 1965 est basée sur le système des autorités centrales : chaque Etat partie à la Convention doit désigner une autorité centrale (il y en a une par pays) qui est identifiée dans l’instrument de ratification de l’Etat et qui est responsable pour organiser la signification. En Belgique, ce travail incombe à une cellule au sein du ministère des affaires étrangères. Parallèlement à cela, il existe des méthodes alternatives et facultatives qui peuvent être utilisées à moins que l’Etat de destination ne s’y oppose. On peut ainsi passer par la voie diplomatique, consulaire, ou simplement postale, ou encore faire appel à une personne pouvant signifier dans l’Etat étranger. Itsiq Benizri 46 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 i. En droit national En droit belge, l’article 40 C. jud. Prévoit deux modes de signification : la voie diplomatique et la voie postale. i. En droit européen En droit européen, le règlement sur la signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires du 10 décembre 2007 permet une coopération judiciaire directe entre les autorités chargées d’effectuer la signification sans passer par une quelconque autorité centrale. Là encore, il existe d’autres méthodes subsidiaires et alternatives : la voie consulaire ou diplomatique et l’envoi postal via recommandé avec accusé de réception. Dans ce dernier cas, et au contraire de ce qui est prévu par la disposition de La Haye, les Etats de destination ne peuvent émettre aucune réserve. Notez que ce Règlement n’est pas applicable au Danemark, lequel n’est lié que par le Règlement n°1348/2000. b. Obtention des preuves à l’étranger La méthode classique pour obtenir des preuves à l’étranger, c’est la commission rogatoire : le juge d’un Etat se déplace dans un autre. Cette procédure est lourd, lente, et inefficace. Il existe bien la Convention de La Haye du 19 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger, mais elle n’a toujours pas été ratifiée par la Belgique, alors qu’elle l’a été par tous ses pays voisins. Cette Convention repose également sur un système d’autorités centrales. En droit européen, le Règlement du 28 mai 2001 sur l’obtention des preuves60 apporte deux grandes innovations par rapport à la Convention de La Haye. La première innovation du Règlement consiste en la suppression du passage par l’autorité centrale, puisque l’on permet le contact direct entre autorités chargées de récolter les preuves. Les juridictions des Etats membres doivent s’aider dans un délai de 90 jours. La violation de ce délai n’est frappé d’aucune sanction, mais il est le plus souvent respecté61. 60
Ce règlement n’est pas davantage que les autres applicable au Danemark. Ce délai présente également un intérêt en lui-­‐même au regard de celui qui est organisé par la Convention de La Haye, puisque ce dernier est de neuf à dix-­‐huit mois. 61
Itsiq Benizri 47 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La seconde innovation du Règlement consiste en l’organisation d’un système d’obtention de preuves directe par le juge d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre. Ce mécanisme connaît toutefois deux limites : d’abord, il faut procéder à une demande d’autorisation préalable à l’organisation centrale de l’Etat requis, lequel peut refuser ou conditionner l’autorisation ; ensuite, l’exécution directe ne peut avoir lieu que sur une base volontaire et ne peut donc jamais être assortie de mesures coercitives. Cette dernière limitation s’inscrit donc dans la continuité directe de l’arrêt LOTUS62. Dans son arrêt ST PAUL DAIRY (2005), la Cour de Justice a jugé qu’autoriser la saisine directe du juge local aurait pour effet de contourner les mécanismes d’obtention de preuves du Règlement. On ne peut donc pas saisir directement le juge du lieu où se trouvent les preuves. Il faut saisir le juge de son Etat, lequel collecte les preuves dans un autre Etat, mais sans passer par le juge local qui n’est pas compétent. Cela signifie-­‐t-­‐
il que ces procédures ont un caractère exclusif et que l’on ne peut pas utiliser d’autres méthodes ? Dans son arrêt LIPPENS (2012), la Cour a répondu à la question soulevée par son arrêt ST PAUL DAIRY et qui consistait à savoir si cette dernière jurisprudence signifiait que les procédures du Règlement ont un caractère exclusif, de sorte qu’aucune autre méthode ne pourrait être utilisée en dehors de celles qu’il prévoit. La Cour a jugé que le juge peut utiliser les procédures nationales et se dispenser de celles qui sont établies par le Règlement lorsqu’il est compétent pour connaître du fond de l’affaire, ou encore lorsque les preuves sont obtenues sur une base volontaire. Ce dernier aspect est toutefois encore relativement incertain. Dans son arrêt PRO-­‐RAIL (2013), la Cour a jugé que la juridiction d’un État membre, qui souhaite qu’un acte d’instruction confié à un expert soit effectué sur le territoire d’un autre État membre, n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu par ces dispositions afin de pouvoir ordonner cet acte d’instruction. 62
Voy. supra, p.4. Itsiq Benizri 48 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Théorie générale des conflits de lois La problématique des conflits de lois peut-­‐être résolue de différentes façons (1). Là aussi, l’Union européenne est intervenue afin d’harmoniser la matière (2). 1. Diversité des méthodes de solution Il y a d’abord l’approche directe : on soumet la question de droit à des règles matérielles spéciales qui vont répondre directement à la question de droit international63. Ensuite, l’approche indirecte, dite méthode conflictualiste, et qui consiste à déterminer, en cas de conflit de loi, quelle est la loi applicable. Au sein de l’approche indirecte, on peut encore distinguer deux méthodes : la méthode bilatérale (a) qui part de la question de droit, et la méthode unilatérale (b) qui part de la règle de droit. Enfin, certains auteurs ont entendu créer une troisième méthode : la méthode communautaire (c). a. La méthode bilatérale, dite également méthode savignienne64 Pour résoudre les conflits de loi, la méthode bilatérale identifie la question de droit dans un premier temps, en identifie la nature dans un deuxième temps. Enfin, elle identifie l’élément localisateur du rapport de droit selon sa nature propre, ce qui permet de déterminer quel est l’Etat avec lequel ce rapport de droit a les liens les plus significatifs, et donc de rattacher objectivement ce rapport à un ordre juridique déterminé dont on appliquera la loi65. C’est cette méthode qui a été préférée dans les instruments de droit européen. b. La méthode unilatérale La méthode unilatérale, au contraire de la méthode bilatérale, n’est ni abstraite ni neutre, ce que le juge va partir des règles de droit de son ordre juridique et vérifier si son champ d’application recouvre le rapport de droit en cause, auquel cas il l’appliquera. Il en résulte une primauté de la lex fori par rapport aux autres lois qui seraient susceptibles 63
Ainsi, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises. De Savigny, théoricien de la méthode. 65
On peut, pour illustrer ces principes théoriques, prendre l’exemple d’un accident de voiture comprenant un élément d’extranéité. La première étape consiste à identifier la nature de la question de droit. En l’espèce,il s’agit de la responsabilité extracontractuelle. La deuxième étape consiste à identifier la nature de cette question de droit. En l’espèce, il s’agit de l’indemnisation. Enfin, la troisième étape consiste à identifier l’élément localisateur du rapport de droit selon sa nature propre. Ici, on considérera qu’il s’agit du lieu de l’accident ou du lieu du fait dommageable. Par conséquent, la loi applicable sera celle du lieu de l’accident. 64
Itsiq Benizri 49 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 de s’appliquer. Ce n’est que dans le cas où la lex fori ne serait pas applicable que le juge examinerait si une loi étrangère ne l’est pas. Lorsque plusieurs Etats utilisent concurremment cette méthode, le juge saisi choisit la loi applicable en déterminant quel est l’Etat qui a la volonté la plus affirmée de régir la situation en cause. Cette méthode prévaut dans les matières publiques et administratives en Belgique. En droit international privé belge, elle est subsidiaire à la méthode bilatérale. c. La méthode communautaire Certains auteurs ont suggéré que, au sein de l’UE, la méthode bilatérale était dépassée, et qu’une nouvelle approche, basée sur un raisonnement communautaire devait être privilégiée. Cette méthode serait basée sur les principes de reconnaissance mutuelle et du pays d’origine en vertu desquels chaque Etat membre doit reconnaître la législation de chacun des autres Etats membres (CASSIS DE DIJON). Par conséquent, en application de ces principes, dans l’UE, la loi applicable serait toujours celle de l’Etat d’origine66. Quoique cette doctrine n’ait pas été suivie par la jurisprudence, elle a tout de même influencé certaines directives67 et jurisprudences68 relatives au droit international privé. Ces exemples très limités ne permettent toutefois pas pour autant de conclure à l’existence d’une règle générale conforme à cette doctrine. 2. La règle de conflit en droit international privé belge et européen Tant en droit international privé belge qu’européen, c’est la règle de conflit bilatérale qui prédomine. Celle-­‐ci consiste, pour rappel, en un raisonnement en trois étapes : l’identification des catégories de rattachement (a), la qualification (b), et enfin la détermination du facteur de rattachement (c). a. Les catégories de rattachement En droit international privé belge, les catégories de rattachement sont globalement, mais non exclusivement, les suivantes : le statut personnel, le statut des actes juridiques, des faits juridiques, des biens, de la procédure, et de la forme. Le Code de DIP est organisé sur base de ces catégories. 66
Par exemple, le droit grec pour un produit grec ayant causé un dommage à un tiers. Ainsi, la directive sur le commerce électronique interdit aux Etats membres d’imposer l’application de leur loi lorsqu’il en résulte une entrave à l’accès au marché par rapport à la loi du pays d’origine. 68
Une jurisprudence abondante de la Cour de Justice oblige les Etats membres à reconnaître l’existence et la capacité des personnes morales telles qu’elles sont régies par leur loi d’origine. 67
Itsiq Benizri 50 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 En droit européen, il n’existe que deux critères de rattachement : les obligations contractuelles (Rome I) et extracontractuelles (Rome II). b. La qualification L’opération de qualification, qui consiste à rattacher une question de droit à l’une des catégories précitées, n’est pas toujours chose aisée. D’abord, parce qu’il arrive fréquemment qu’une question de droit touche plusieurs catégories de rattachement. Le Code de DIP résout la plupart de ces cas. Ensuite, parce qu’il arrive qu’un même concept ait une signification différente dans les différents ordres juridiques susceptibles de s’appliquer à la question en cause. On parle alors de concept préjudiciel. Cette question n’est pas résolue par le Code de DIP. Il faut encore soulever le problème de la détermination de la loi applicable à une question préalable, c’est-­‐à-­‐dire à une question de droit qui doit être résolue avant de pouvoir traiter la question principale qui fait l’objet de l’action. Une première solution consiste à soumettre la question préalable à la même loi que la question principale. Cette solution n’est toutefois pas retenue en pratique, car elle revient à appliquer une loi différente à une même question de droit selon que cette question est préalable ou isolée. On préfère donc soumettre la question préalable à la loi qui lui est propre, indépendamment de la question principale. Enfin, parce qu’il arrive qu’une même question de droit soit qualifiée de manière différente par le droit international privé du for et par le droit international privé de l’Etat étranger avec lequel la question a des liens. Le Code de DIP n’a pas tranché la question très controversée de la loi applicable à la qualification. Quatre solutions ont dès lors été proposées : la qualification lege fori (b1), lege causae (b2), combinée (b3), et supranationale (b4). b.1. La qualification lege fori La doctrine majoritaire considère que le juge saisi doit qualifier la question de droit qui lui est soumise selon la loi du for, au motif que la qualification consiste en l’interprétation de la règle de conflit de lois du for, de sorte qu’il faut qualifier selon la loi du for, et que qualifier selon la loi étrangère supposerait que la question de la loi applicable serait résolue avant même que le juge n’ait connu de la règle de conflit à mettre en œuvre. Cette doctrine est parfois critiquée, en ce sens qu’elle a pour effet de nier l’existence de la règle étrangère, et qu’elle risque de dénaturer le droit étranger lorsque le juge est saisi d’une question relative à une institution inexistante dans son propre droit. Dans l’AFFAIRE DES MALTAIS (1889), la Cour d’appel d’Alger n’a pas suivi cette doctrine, ce que BARTIN, juriste français, lui reprocha vivement. Itsiq Benizri 51 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b.2. La qualification lege causae Selon d’autres, le juge saisi doit qualifier selon la loi étrangère. Cette approche est toutefois problématique : comment qualifier selon la loi étrangère, alors que le but même de la qualification est de déterminer si le droit étranger est applicable ? b.3. La qualification combinée lege fori et lege causae Selon cette troisième approche, il convient de combiner les deux méthodes en deux étapes. Dans cette optique, d’abord, le juge qualifie selon la lex fori. Si celle-­‐ci est désignée, l’opération est terminée. Si un droit étranger est retenu, le juge passe à la seconde étape et vérifie que la qualification retenue est conforme au droit étranger. b.4. Concepts autonomes internationaux Cette dernière approche rejette toutes les précédentes, considérant qu’elles sont viciées par l’acceptation du fait que la qualification pourrait être nationale, alors que le but même du droit international privé est l’harmonisation des solutions. Par conséquent, les catégories de rattachement et les critères de qualification doivent être définis de manière supranationale. Cette solution a été consacrée en droit européen et dans les Convention internationales. c. Le facteur de rattachement Le facteur de rattachement consiste à rattacher une situation juridique à un ordre juridique. On peut les regrouper en trois catégories principales : ceux qui sont liés à la personne, physique ou morale (c.1.), ceux qui sont liés au territoire (c.2.), et ceux qui sont liés à la volonté des parties (c.3.). Il peut toutefois arriver qu’à une même situation juridique correspondent plusieurs facteurs de rattachement. Dans ce cas, différentes hypothèses peuvent se présenter (d.1.). c.1. Les facteurs de rattachement liés à la personne physique ou morale On peut mentionner la nationalité (1), le domicile (2), et la résidence habituelle (3). 1. La nationalité (3 C. DIP) La nationalité est un facteur de rattachement souvent utilisé dans le statut des matières personnelles. Chaque Etat détermine, selon sa loi nationale, qui sont ses nationaux (§1). Itsiq Benizri 52 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Dans le cas où une personne aurait plusieurs nationalités, il faut distinguer selon qu’elle bénéficierait de la nationalité belge ou non (§2). Si c’est le cas, alors c’est cette dernière qui prime (Cass., 2009). Dans le cas contraire, le juge fera primer la loi de l’Etat avec lequel la personne en cause possède les liens les plus étroits en considérant, notamment, le lieu de sa résidence habituelle. Si la nationalité belge est l’une de ces nationalités, elle prime sur les autres (3 §2,1° C. DIP). La Cour de cassation a encore fait application de cette règle dans un arrêt du 4 décembre 2009. Si la nationalité belge n’est pas l’une de ces nationalités, la loi de l’Etat avec lequel la personne en cause possède les liens les plus étroits au vu de l’ensemble des circonstance et en tenant compte, notamment, de la résidence habituelle, prime sur les autres (3 §2,2° C. DIP). Dans son arrêt GARCIA AVELLO (2003), la Cour de Justice a jugé qu’un Etat membre ne peut pas refuser de donner une suite favorable à une demande de changement de nom pour des enfants mineurs résidant dans cet Etat et disposant de la double nationalité dudit Etat et d’un autre Etat membre, alors que cette demande a pour objet que ces enfants puissent porter le nom dont ils seraient titulaires en vertu du droit et de la tradition du second Etat membre. Par conséquent, l’article 3 §2, 1° C. DIP viole le droit européen. Cette violation ne touche que la détermination des noms, et non leur reconnaissance. En effet, le Code DIP dispose que le changement de nom obtenu par un Belge à l’étranger est reconnu en Belgique si la personne possède également une seconde nationalité d’un Etat membre de l’UE, et si les règles relatives à la détermination du nom applicables dans cet Etat membre ont été respectées (39, 1° C. DIP). Dans le même ordre d’idées, la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt GRUNKIN PAUL (2008), que la loi d’un Etat membre ne peut pas avoir pour effet de ne pas reconnaître le double nom qu’une personne porte dans un autre Etat membre, au motif que cela constituerait un obstacle à la libre circulation des personnes. Dans son arrêt ILONKA VON SAYN-­‐WITTGENSTEIN (2010), la Cour de Justice a jugé que la loi d’un Etat membre peut avoir pour effet de ne pas reconnaître le nom de famille nobiliaire qu’une personne porte dans un autre Etat membre, au motif qu’une telle restriction répond à des considérations impérieuses d’intérêt général et constitue donc une restriction à la libre circulation des personnes qui peut être admise. Notez que la nationalité des apatrides et des réfugiés est déterminée par le lieu de leur résidence habituelle. 2. Le domicile (4 §1 DIP) Le domicile n’est qu’un facteur de faible importance en matière de conflit de lois. Itsiq Benizri 53 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le domicile d’une personne physique correspond à son lieu d’inscription sur les registres de la population. Le domicile d’une personne morale correspond à son siège statutaire. 3. Le résidence habituelle (4 §2 DIP) La résidence habituelle d’une personne physique est son lieu d’établissement à titre principal, compte tenu des circonstances de nature personnelle ou professionnelle qui révèlent des liens durables avec ce lieu ou la volonté de nouer de tels liens. La résidence habituelle d’une personne morale est son établissement principal, compte tenu en particulier du centre de direction, ainsi que du centre des affaires ou des activités et, subsidiairement, du siège statutaire. c.2. Les facteurs de rattachement liés au territoire Il s’agit de la localisation d’un fait juridique, d’un acte juridique, ou d’un bien. c.3. La volonté des parties : autonomie de la volonté Les parties peuvent choisir la loi applicable à leurs relations privées sous certaines conditions. d.1. Les règles de conflit à rattachement multiple Il peut arriver qu’à une même situation juridique correspondent plusieurs facteurs de rattachement. Dans ce cas, différentes hypothèses peuvent se présenter. Le cumul disjonctif désigne la situation dans laquelle différents facteurs de rattachement sont utilisés simultanément pour régler des aspects distincts d’une même question69. Le cumul distributif désigne la situation dans laquelle un facteur de rattachement unique est utilisé mais appliqué différemment à plusieurs personnes70. Le cumul limitatif désigne la situation dans laquelle plusieurs facteurs de rattachement s’appliquent, et que seul celui qui implique la loi la plus restrictive est choisi. Le cumul électif désigne la situation dans laquelle plusieurs facteurs de rattachement s’appliquent, et que les parties disposent du libre choix du facteur qu’ils souhaitent. 69
Ainsi, l’application de la loi du lieu de situation aux biens immeubles et de la loi de la résidence habituelle du défunt aux biens meubles dans le cadre d’une dévolution successorale. 70
Ainsi, l’application de la loi nationale à chaque futur époux dans le cadre de la formation d’un mariage, lorsque ces époux n’ont pas la même nationalité. Itsiq Benizri 54 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le cumul de validation désigne la situation dans laquelle plusieurs facteurs de rattachement s’appliquent, et préférence est donnée à celui qui implique une loi qui fait produire des effets juridiques à l’institution en cause. On retient donc les éléments les moins sévères. Le cumul alternatif désigne la situation dans laquelle la facteur de rattachement désigne plusieurs lois applicables, et où la préférence est donnée à l’une d’elles. Le rattachement en cascade (échelle de Kegel) désigne le cas dans lequel il est fait application d’un facteur de rattachement à défaut d’applicabilité d’un autre, et ainsi de suite. d.2. Le conflit mobile Le conflit mobile désigne la situation dans laquelle un facteur de rattachement se déplace dans le temps et dans l’espace71. Selon la théorie des droits acquis, il faut retenir la loi applicable telle quelle fut déterminée par le facteur de rattachement à l’origine, quand bien même celui-­‐ci se serait déplacé72. D’autres proposent la transposition des solutions classiques de droit transitoire, laquelle consiste à faire application immédiate de la nouvelle loi aux effets à venir, et de la loi ancienne aux effets échus. Le Code de DIP retient les deux approches et détermine au cas par cas le moment à prendre en compte pour chaque question. d.3. Les conflits de système Les conflits de système désignent la situation dans laquelle les systèmes de droit international privé de différents Etats entrent en conflit. A cet égard, la question se pose de savoir si, dans les cas où la règle de conflit du for désignerait un droit étranger, il ne faudrait considérer que le droit matériel interne de ce droit ou l’ensemble de son système juridique, en ce compris ses règles de conflit de loi. La théorie du renvoi opte pour la seconde solution. Il y a renvoi au premier degré lorsque la règle de conflit de lois du for désigne une loi étrangère, alors que la règle de conflit de lois de cette loi étrangère désigne elle-­‐même la loi du for. 71
Ainsi, la modification de la résidence habituelle, ou le changement de nationalité, le déplacement d’un bien, etc. 72
La section 5 et les articles 19 et 21 du Code de DIP font application de cette théorie. Itsiq Benizri 55 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Il y a renvoi au second degré lorsque la règle de conflit de lois du for désigne une loi étrangère, alors que la règle de conflit de lois de cette loi étrangère désigne elle-­‐même la loi d’un troisième Etat. Il y a enfin renvoi au troisième degré lorsque la règle de conflit de lois du for désigne une loi étrangère, alors que la règle de conflit de lois de cette loi étrangère désigne elle-­‐
même la loi d’un troisième Etat, et que la règle de conflit de lois de la loi de ce troisième Etat désigne encore la loi d’un quatrième Etat. La théorie du renvoi a le mérite de respecter le droit étranger dont elle fait une application intégrale plutôt que partielle. Elle permet également d’assurer une certaine harmonie entre la règle de conflit du for et la règle de conflit étrangère. Enfin, elle conduit souvent à un renvoi au premier degré, ce qui permet au juge d’appliquer la loi du for. Toutefois, cette théorie implique également un abandon de la souveraineté du for au profit de la souveraineté de la loi étrangère. Surtout, elle plonge la question dans un cercle vicieux, puisque le renvoi au droit du for devrait concerner l’ensemble de ce droit, en ce compris les règles de conflit, de sorte que la règle de conflit d’un Etat A renverrait au droit d’un Etat B, dont la règle de conflit renverrait à nouveau à l’Etat A, et ainsi de suite. La théorie du double renvoi ou foreign court theory consiste, pour le juge du for, à avoir égard à la loi qu’aurait appliquée le juge étranger désigné par la règle de conflit de for. Le premier se met donc à la place du second. Quoique cette théorie soit parfois appliquée en droit anglo-­‐saxon, elle ne l’est jamais dans les systèmes juridiques de tradition romano-­‐germanique. En droit belge, la théorie du renvoi est interdite (16 C. DIP) : la règle de conflit de lois belge ne renvoie qu’au seul droit matériel du for étranger désigné, à l’exception de trois cas particuliers. Sont ainsi autorisés les renvois au premier degré en matière de capacité des personnes lorsque le droit national de la personne renvoie à la loi belge (34 §1, al.2), en matière de succession immobilière lorsque le droit de situation de l’immeuble désigne la loi de la dernière résidence du défunt (78 §2, al.2), et en matière de personnes morales, lorsque le droit du principal établissement de la personne morale désigne la loi du lieu de sa constitution (110 al.2). En droit européen, la théorie du renvoi est également rejetée (Règlements Rome I et II). En droit conventionnel, la théorie du renvoi fut consacrée dans certaines des Conventions les plus anciennes, mais elle est le plus souvent rejetée par les Conventions les plus récentes. Itsiq Benizri 56 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 3. L’application d’office de la règle de conflit et du droit étranger Dans son arrêt BABCOCK-­‐SMEULDERS (1980), la Cour de cassation a jugé que le juge belge a l’obligation d’appliquer d’office les règles de conflit de loi ainsi que le droit étranger que celles-­‐ci désignent éventuellement. Pour autant, les parties sont toujours libres de conclure un accord procédure sur la loi applicable, à condition que leur consentement soit explicite et que les parties aient la libre disposition de leurs droits. Par ailleurs, le juge peut mais ne doit pas appliquer des lois de police étrangères. 4. Les mécanismes correcteurs Les mécanismes correcteurs permettent d’écarter l’application de tout ou partie du droit désigné. Il s’agit de la clause d’exception (a), de la fraude à la loi (b), de l’ordre public international (c), et des lois de police (d). a. La clause d’exception La clause d’exception permet de déroger à la règle de conflit de lois lorsque la loi désignée par cette règle ne permet pas d’atteindre l’objectif que celle-­‐ci poursuit. Elle peut être générale73 ou spéciale74. La clause d’exception ne peut être mise en œuvre qu’à titre exceptionnel, et à condition que la situation en cause ne présente que de très faibles liens avec la loi désignée, alors qu’elle présente des liens très étroits avec une autre loi. Le caractère exceptionnel de ce type de clause justifie que l’on prenne en considération, dans leur application, le besoin de prévisibilité de la loi applicable et la théorie des droits acquis. b. La fraude à la loi Il y a fraude à la loi lorsqu’une partie utilise volontairement une règle de conflit de lois ou d’un facteur de rattachement dans le but d’échapper à l’application de la loi normalement applicable75. Selon l’approche objective, il y a fraude à la loi dès lors qu’une partie a simulé un élément d’extranéité. La Cour de cassation a fait application de cette théorie dans son arrêt AUDI NSU (1979). 73
Ainsi, l’art. 19 du Code de DIP. Ainsi, l’art. 4.3° du Règlement Rome I, et l’art. 4.3° du Règlement Rome II. 75
Ce mécanisme fit l’objet d’un arrêt célèbre de la Cour de cassation française dans l’affaire PRINCESSE DE BAUFFREMONT (1878). 74
Itsiq Benizri 57 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Selon l’approche subjective, il y a fraude à la loi dès lors qu’une partie a modifié un facteur de rattachement dans le but de contourner la loi applicable. La fiction ne suffit donc plus : ici, il faut démontrer l’intention frauduleuse de la partie. La fraude à la loi ne s’applique que dans les matières dans lesquelles les personnes ne disposent pas librement de leurs droits, soit le statut personnel ou familial. Ceci explique l’absence de ce mécanisme en droit européen, puisque les Règlements Rome I et II concernent, respectivement, les obligations contractuelles et extracontractuelles. Le Code de DIP, en revanche, instaure expressément le mécanisme de la fraude à la loi (18 C. DIP), mais la doctrine76 considère qu’il requiert d’établir le caractère fictif de l’élément de rattachement, conformément à l’approche objective, alors que le texte même de la loi semble pourtant consacrer l’approche subjective. Il y a donc un certain manque de clarté sur la question. En tout cas, la reconnaissance de la fraude à la loi a pour effet de rendre inopposable les faits et actes constitués dans le seul but d’appliquer la loi désirée. c. L’ordre public international L’ordre public international est une clause d’exception générale qui écarte les effets de la loi étrangère qui avait été désignée lorsque celle-­‐ci produirait des effets qui heurteraient manifestement77 les fondements de l’ordre public de la loi du for. Ce mécanisme est consacré tant en droit belge (21 C. DIP) qu’en droit européen (21 Rome I, 26 Rome II). Dans son arrêt VIGOUROUX (1950), la Cour de cassation a jugé que l’ordre public international ne recouvre que les principes qui sont essentiels à l’ordre moral, politique ou économique d’une société. Par conséquent, une règle d’ordre public international est toujours une règle d’ordre public interne, alors que l’inverse n’est pas vrai. Par ailleurs, le juge belge apprécie différemment l’ordre public international relatif à une même question de droit selon l’intensité du rattachement de la situation avec l’ordre juridique belge et la gravité de l’effet que produirait l’application du droit étranger (21, al.2 C. DIP). C’est ce que l’on appelle l’effet atténué de l’ordre public international. Lorsque le juge recourt à l’ordre public international pour écarter l’application d’une règle de droit étranger, il doit d’abord rechercher une règle de substitution à la règle écartée dans ce même droit étranger, et ce n’est qu’à la condition qu’il n’en ait pas trouvé qu’il pourra appliquer la loi belge. 76
RIGAUX et FALLON. Le terme renvoie à l’idée que, là encore, ce mécanisme doit être appliqué de manière exceptionnelle. 77
Itsiq Benizri 58 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 d. Les lois de police Les lois de police ou lois d’application immédiate constituent une règle matérielle impérative résolvant directement la question de droit soumise au juge, indépendamment de toute règle de conflit de loi. Elles sont consacrées tant en droit belge (20 C. DIP) qu’en droit européen (7 et 9, Rome I, 16, Rome II). Le Code de droit international privé (20) définit la loi de police comme une règle impérative ou d’ordre public spéciale qui s’applique lorsque le législateur l’a expressément décidé ou en raison du but manifeste de la loi, quel que soit le droit désigné par le confit de lois. Il s’agit là d’une définition fonctionnelle, qui définit les l’effet des lois de police et non leur contenu. La Convention de Rome utilise une définition de la même nature (7). En revanche, le Règlement Rome I offre une définition substantielle de la loi de police (9). Celle-­‐ci est ainsi définie comme une disposition impérative dont le respect est jugé crucial pour un Etat quant à la sauvegarde de ses intérêts publics. Quoique la doctrine minoritaire estime que cette définition implique que les lois qui protègent des intérêts privés ne peuvent pas être considérées comme des lois de police, la plupart des auteurs sont d’avis que cette définition ne limite pas le droit des Etats membres de définir eux-­‐mêmes la notion de loi de police. Enfin, il faut observer que le juge doit obligatoirement respecter les lois de police du for, alors que la réponse à cette question est plus diversifiée en ce qui concerne les lois de police étrangère. Ainsi, le système organisé par la Convention de Rome autorise mais n’oblige pas le juge à les appliquer, alors que cette application n’est autorisée que de manière très restrictive dans le Règlement Rome I. Le Règlement Rome II permet également au juge de les prendre en compte dans une certaine mesure. Enfin, le Code de droit international privé autorise, de manière générale, le juge à tenir compte des lois de police étrangère, pour autant qu’il existe des liens étroits entre la situation en cause et l’Etat dont on applique ces lois. Itsiq Benizri 59 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 PARTIE II LES REGLES SPECIALES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE Dans cette partie, nous étudierons les règles particulières de droit international privé qui s’appliquent spécialement en matière civile et commerciale (I), ainsi qu’en matière du statut personnel et familial (II). La matière civile et commerciale Dans cette section, nous exposerons les règles spéciales de droit international privé qui s’appliquent en matière d’obligations contractuelles (1) et non contractuelles (2). Nous aborderons ensuite la question des procédures collectives (3), des biens et trusts (4), et des personnes morales (5). 1. Les obligations contractuelles En matière d’obligations contractuelles, la compétence des juridictions est réglée par les articles 2, 5§1, 5§5 et 23 du Règlement Bruxelles I. La question des conflits de lois, elle, est réglée par la Convention de Rome pour les contrats conclu entre le 1er avril 1991 et le 17 décembre 2009, et par le Règlement Rome I pour les contrats conclu à partir du 17 décembre 2009. Tant la Convention de Rome que le Règlement Rome I s’appliquent aux obligations contractuelles qui relèvent de la matière civile et commerciale. Comme la notion d’obligation contractuelle est synonyme de matière contractuelle (5 §1 Bruxelles I), on peut se fonder sur la jurisprudence JACOB HANDTE de la Cour de Justice78 pour considérer qu’une obligation contractuelle consiste en un engagement librement assumé par les parties. Reste que certaines obligations contractuelles sont exclues du champ d’application de ces deux instruments, en particulier celles qui touchent au droit de la famille, au droit des sociétés, associations et personnes morales79, à la constitution des trusts et aux relations qu’ils créent entre les constituants, les trustee et les bénéficiaires, et au droit de la preuve. Le Code de droit international privé s’applique uniquement dans les matières qui échappent au champ d’application de la Convention de Rome et du Règlement Rome I. 78
Voy. supra, p. 24. L’exclusion concerne uniquement les questions qui relèvent directement du droit des sociétés, et non les actes purement contractuels. Une telle distinction n’est toutefois pas toujours évidente. Ainsi, dans le cas d’une vente d’actions, les questions relatives à l’obligation de paiement relèveront du Règlement Rome I ou de la Convention de Rome, alors que les questions relatives à l’exercice du droit de vote des actionnaires y échappera. 79
Itsiq Benizri 60 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Par ailleurs, il étend l’application des règles de ces instruments aux matières qui en sont exclues, à moins que la loi n’en dispose autrement. Au niveau conventionnel, il faut relever qu’il existe encore d’autres conventions qui comprennent des règles de conflits de lois dans des matières particulières80. Enfin, le droit communautaire dérivé qui comprend nombre de directives sectorielles constitue une frange importante des sources de règlement des conflits de loi. D’ailleurs, primauté est donnée au droit dérivé ainsi qu’aux législations nationales qui transposent le droit européen et le Règlement Rome I sur la Convention de Rome et le Règlement Rome I (23 Rome I et 20 Convention de Rome). Quant aux règles générales, il convient de distinguer les cas selon que les parties ont fait (a) ou non (b) le choix de la loi applicable. Il faut encore aborder la question du domaine de la loi applicable (c). a. Choix de la loi applicable Les parties à un contrat sont libres de choisir la loi applicable à leur relation contractuelle (3,1° Convention de Rome et Rome I). Ce choix peut être exprès ou tacite. Dans ce dernier cas, il doit être certain, en ce sens qu’il doit résulter des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Lorsque les parties ont inséré dans leur contrat une clause d’élection de for mais n’ont pas choisi la loi applicable, le choix de la juridiction fait par les parties est un facteur à prendre en compte pour déterminer si le choix de la loi a été clairement énoncé (Considérant 17, Rome I). Les parties peuvent modifier la loi applicable en cours de contrat à condition que cette modification ne porte pas atteinte aux droits des tiers et qu’elle n’affecte pas la validité formelle du contrat (3.2° Convention de Rome et Rome I). Elles peuvent également appliquer une loi à une partie du contrat et une autre à une autre partie (3.1° Convention de Rome et Rome I). En revanche et, quoique ni la Convention de Rome ni le Règlement Rome I ne répondent à la question, la doctrine majoritaire considère que les parties ne peuvent pas recourir à la pétrification, c’est-­‐à-­‐dire qu’elles ne peuvent pas soumettre le contrat à la loi telle qu’elle existe à un moment donné, sans tenir compte des modifications ultérieures de cette loi. 80
Ainsi, en matière de vente, transport, billet à ordre, chèques, etc. Itsiq Benizri 61 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b. Absence de choix de la loi applicable A cet égard, la Convention de Rome (b.1) et le Règlement Rome I (b.2) apportent des solutions différentes. b.1. La Convention de Rome (4) La Convention de Rome prévoit que, à défaut de choix de la loi applicable au contrat par les parties, cette loi sera celle du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (4,1°). C’est ce qu’on appelle la loi convenant au contrat. La notion de liens les plus étroits est établie au moyen d’un système de présomptions (4,2°,3° et 4°). Ainsi est-­‐il présumé de manière générale que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. La prestation caractéristique est définie comme la prestation qui distingue un contrat d’un autre, et non comme étant la prestation la plus importante d’un point de vue économique, par exemple. En général, il s’agit de la contreprestation du payement. A côté de cela, il existe encore des présomptions plus spécifiques. Ainsi, en matière d’immeubles et de transports, les liens les plus étroits sont présumés être ceux qui se rapportent au lieu de la situation de l’immeuble. Deux tempéraments sont apportés à ce système (4,5°). D’une part, l’application du paragraphe 2 est écartée lorsque la prestation caractéristique ne peut pas être déterminée, et les présomptions des paragraphes 2, 3 et 4 sont écartées lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays. D’autre part, une clause d’exception est prévue : les présomptions sont écartées s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qu’elles ont désigné. Dans son arrêt INTERFRIGO (2009), la Cour de Justice a jugé que le juge doit toujours commencer par tenter d’appliquer les présomptions au cas en cause, et que ce n’est que lorsqu’elles ne trouvent pas matière à s’appliquer qu’il peut recourir au mécanisme dérogatoire des liens les plus étroits. La Cour a également jugé qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence de liens faibles avec le pays désigné par la présomption. Il faut, mais il suffit, de démontrer que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre Etat. Itsiq Benizri 62 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b.2. Le Règlement Rome I (4) Le Règlement Rome I établit un système de présomptions pour sept contrats. Il faut d’ailleurs observer que les notions de vente de bien et de fourniture de service qui y figurent doivent être interprétées à la lumière du Règlement Bruxelles I (Considérant 17). Rappelons, à cet égard, que la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt FALCO81, qu’une fourniture de service implique une activité déterminée contre rémunération. Lorsque le contrat en cause n’est pas l’un des sept contrats visés par le système de présomptions du Règlement, ou lorsqu’il s’agit d’un contrat mixte, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. La résidence habituelle correspond à son administration centrale pour une société, personne morale ou association (19,1° al.1), à son établissement principal pour une personne physique agissant dans l’exercice de son activité professionnelle (19,1° al.2), et au lieu de situation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement si la prestation est fournie par une succursale, une agence ou tout autre établissement (19,2°). Le Règlement Rome I prévoit également une clause d’exception (4,3°) : lorsque le contrat est l’un de ceux pour lesquels une présomption est prévue mais qu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause qu’il présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays, ou lorsqu’il ne l’est pas et qu’aucune prestation caractéristique ne peut être déterminée, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. Afin de déterminer ce pays, il convient de prendre en compte, notamment, l’existence de liens étroits du contrat avec un ou plusieurs autres contrats (Considérant 20). Par ailleurs, la jurisprudence INTERFRIGO est transposable ici. c. Domaine de la loi applicable La loi applicable au contrat désignée conformément au Règlement Rome I ou à la Convention de Rome, dite lex contractus, régit notamment son interprétation, l’exécution des obligations qu’il engendre, les conséquences de l’inexécution totale ou partielle de ces obligations, y compris l’évaluation du dommage dans la mesure où des règles de droit la gouvernent, dans les limites des pouvoirs attribués à la juridiction saisie par son droit procédural, les divers modes d’extinction des obligations, ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l’expiration d’un délai, et les conséquences de la nullité du contrat (10 Convention de Rome, 12 Rome I). 81
Voy. supra, p.25. Itsiq Benizri 63 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La question se pose dès lors de savoir si la lex contractus régit également la formation du contrat (c.1), ses effets (c.2), son exécution (c.3), et la cession de créance (c.4). c.1. La formation du contrat En règle générale, la formation du contrat relève également de la lex contractus. Ce n’est toutefois pas le cas de la capacité : cette matière relève du statut personnel et n’entre donc pas dans le champ d’application de la Convention de Rome et du Règlement Rome I. Cependant, le Règlement Rome I prévoit une règle relative à la capacité : si une incapacité est prévue par la loi d’un Etat autre que celui où les deux parties étaient situées lors de la conclusion du contrat, elle ne pourra être invoquée qu’à condition que le cocontractant de l’incapable ait connu cette incapacité ou ne l’ait ignorée qu’en raison d’une imprudence de sa part (11 Convention de Rome, 13 Rome I). En revanche, la question de la validité du consentement et des vices de consentement relève de la lex contractus (8 Convention de Rome, 10,1° Rome I). Au niveau de l’effet du silence, il est toutefois précisé que, pour établir le fait qu’elle n’a pas consenti, une partie peut se référer à la loi du pays dans lequel elle a sa résidence habituelle s’il résulte des circonstances qu’il ne serait pas raisonnable de déterminer l’effet du comportement de cette partie d’après la lex contractus. Enfin, la forme du contrat est régie par la loi du lieu où l’acte est posé, suivant l’adage locus regit actum, ou par la lex contractus, au choix des parties (9 Convention de Rome, 11 Rome I). L’application de la règle locus regit actum est donc facultative. Elle n’est obligatoire que dans deux cas : en matière de contrats se rapportant à un immeuble et de contrats de consommation82. c.2. Les effets du contrat Les effets contractuels du contrat sont régis par la lex contractus. c.3. Exécution du contrat L’exécution du contrat est régie par la lex contractus. Ceci inclut la responsabilité contractuelle, les clauses limitatives de responsabilité, et l’exécution en nature ou par équivalent. Toutefois, les modalités d’exécution du contrat, qui recouvrent les mesures conservatoires, sont régies par la loi du lieu où elles doivent être prises (loi locale). Enfin, la monnaie de compte est soumise à la lex contractus, alors que la monnaie de paiement est soumise à la loi du lieu où le paiement doit être exécutée83. 82
Dans ce dernier cas, la loi applicable est celle de la résidence habituelle du consommateur. La monnaie de compte est l’unité de mesure de la prestation pécuniaire ; la monnaie de paiement est celle dans laquelle le paiement est effectué. 83
Itsiq Benizri 64 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 c.4. Cession de créance Les relations entre le cédant et le cessionnaire sont régies par la lex contractus du contrat de cession. Les relations entre le cédant et le débiteur cédé, ainsi qu’entre le cessionnaire et le débiteur cédé, sont régis par la lex contractus du contrat qui régit la créance cédée (27 Convention de Rome, 14 Rome I). Par conséquent, le caractère cessible de la créance, les conditions d’opposabilité de la cession au débiteur cédé ainsi que le caractère libératoire de la prestation faite par le débiteur sont régis par la loi applicable à la créance cédée. La question de l’opposabilité aux tiers de la cession de créance n’a en revanche pas encore été tranchée. d. Règles dérogatoires Les dispositions impératives (d.1), les lois de police (d.2) et l’ordre public international (d.3) permettent de déroger à la lex contractus. d.1. Les dispositions impératives Lorsque tous les éléments d’un contrat sont localisés dans un seul et même pays, le choix des parties de la loi d’un autre pays doit se faire dans le respect des dispositions impératives du pays dans lequel se trouvent ces éléments (3,3° Convention de Rome et Rome I). Dans son arrêt INGMAR (2000), la Cour de Justice a jugé que les parties ne peuvent pas choisir le droit d’un Etat non membre qui a pour effet de priver un agent commercial de la protection résultant de la directive européenne sur les agents commerciaux indépendants de 1986, au motif que celle-­‐ci instaure une protection impérative de l’agent commercial. S’inspirant de cet arrêt, le législateur européen a prévu que, lorsque tous les éléments d’un contrat sont localisés dans l’UE, le choix des parties de la loi d’un autre pays doit se faire dans le respect des dispositions impératives communautaires telles qu’elles ont été mises en œuvre par l’Etat membre du for (3,4° Rome I). La question se pose de savoir si cette disposition aura pour effet de modifier la jurisprudence INGMAR, en ce sens que cette dernière avait été établie alors qu’il ne s’agissait pas d’une situation purement interne à l’UE. La réponse est incertaine. d.2. Les lois de police Il faut distinguer les lois de police du for des lois de police étrangères (7 Convention de Rome, 9 Rome I). Itsiq Benizri 65 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le juge d’un Etat membre a l’obligation de respecter les lois de police du for, quelle que soit la lex contractus84 (7,2° Convention de Rome, 9,2° Rome I). Quant aux lois de police étrangères, la Convention de Rome et le Règlement Rome I prévoient des régimes différents. La Convention de Rome prévoit de manière générale la possibilité d’appliquer les lois de police étrangères lorsque la situation en cause présente un lien étroit avec cet Etat (7,1° Convention de Rome). Il faut toutefois observer que l’Allemagne, le Royaume-­‐
Uni, le Luxembourg et le Portugal se sont réservés le droit de ne pas appliquer cette règle (22 Convention de Rome). La Règlement Rome I prévoit que seules les lois de police étrangères du lieu d’exécution du contrat peuvent être appliquées, à condition qu’elles rendent l’exécution du contrat illégale (9,3° Rome I). d.2. Les lois de police Le juge d’un Etat membre peut écarter la lex contractus si son application est manifestement incompatible avec l’ordre public international du for (16 Convention de Rome, 21 Rome I). Cette règle vaut indépendamment du fait que la lex contractus ait fait l’objet d’un choix par les parties ou qu’elle s’applique à défaut de choix formulé par elles. e. Règles propres à certains contrats e.1. Vente de marchandises En matière de conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I reste applicable. Ainsi, l’action peut-­‐elle être intentée devant le tribunal du for du lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées (5,1°,b). Les parties peuvent également insérer une clause d’élection de for dans leur contrat (2). En matière de conflit de lois, il existe de nombreux instruments de conflits de lois et de droit matériel. Les instruments de conflit de lois sont la Convention de Rome et le Règlement Rome I. La Convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation est en vigueur en France et aux Pays-­‐Bas, mais pas en Belgique. Quant à la Convention de 1986 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, elle n’est pas encore entrée en vigueur. 84
Alors que les dispositions impératives ne s’appliquent que dans l’hypothèse où le contrat serait purement interne. Itsiq Benizri 66 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le Règlement Rome I n’affecte pas l’application de ces Conventions, mais il prime sur elles en matière de contrats formés exclusivement entre Etats membres (25 Rome I). L’instrument de droit matériel en la matière est la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises. Elle s’applique dans les ventes internationales réalisées entre professionnels. La Convention de Vienne s’applique directement lorsque le vendeur et l’acheteur sont tous les deux situés dans les Etats contractants, et indirectement lorsqu’ils ne le sont pas mais que la loi désignée par la règle de conflit de loi appliquée est celle d’un Etat qui a ratifié la Convention. e.1. Contrat de consommation Les Règlements Bruxelles I et Rome I prévoient un régime protecteur du consommateur passif en matière de contrat de consommation. Le consommateur est ainsi protégé lorsque le professionnel accomplit des activités dans l’Etat où le consommateur a sa résidence habituelle (notion d’accomplissement/réalisation des activités), ou lorsque le professionnel dirige des activités dans l’Etat du consommateur (notion de direction des activités). Dans ce contexte, la question s’est posée de savoir ce qu’il fallait entendre par notion d’accomplissement et de direction des activités lorsque celles-­‐ci étaient réalisées via internet. Dans ses arrêts PAMER et ALPENHOF (2010), la Cour a jugé que la simple accessibilité d’un site internet ne suffit pas à considérer qu’il y a direction d’activités dans l’Etat de la résidence du consommateur. Le consommateur n’est protégé que lorsque le commerçant manifeste sa volonté d’établir des relations commerciales avec les consommateurs de l’Etat de résidence habituelle du consommateur. La Cour a relevé un certain nombre d’indices qui tendent à indiquer qu’une telle volonté existe dans le chef du commerçant, sans pour autant juger que ces indices étaient limitatifs. Ainsi : la nature internationale de l’activité, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autre que celle qui est parlée ou utilisée au lieu où est établi le commerçant, la possibilité de réserver ou de confirmer une réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’existence d’un service après-­‐vente accessible dans l’Etat du consommateur, ou encore l’utilisation d’un nom de domaine autre que celui de l’Etat commerçant. En tout cas, le consommateur passif bénéficie d’un système de protection tant du point de vu du conflit de juridictions que du point de vue du conflit de lois. Au niveau du conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I établit trois règles de base. Itsiq Benizri 67 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Lorsque le consommateur est défendeur, le commerçant ne peut l’assigner que dans l’Etat dans lequel il a son domicile (16,2°). Lorsque le consommateur est demandeur, il peut à son choix assigner le commerçant dans l’Etat dans lequel ce dernier a son domicile ou dans l’Etat dans lequel il a lui-­‐même son domicile (16,1°). Les clauses d’élection de for ne sont autorisées qu’à la condition qu’elles aient été conclues après la naissance du différend, ou qu’elles permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux de l’Etat de son domicile ou du domicile du commerçant (17). Au niveau du conflit de lois, le Règlement Rome I établit deux règles de base. Les parties peuvent choisir la loi applicable au contrat, mais ce choix ne peut pas avoir pour effet de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de l’Etat de sa résidence habituelle (6,2°). Si les parties n’ont pas choisi de loi applicable au contrat, le contrat sera régi par la loi de l’Etat où le consommateur a sa résidence habituelle (6,1°). e.2. Contrat de travail Au niveau du conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I établit trois règles de base. Lorsque le travailleur est défendeur, il doit nécessairement être assigné dans l’Etat de son domicile (20,1°). Lorsque le travailleur est demandeur, il peut assigner à son choix l’employeur dans l’Etat du domicile de ce dernier, dans l’Etat où il accomplit habituellement son travail, ou encore dans l’Etat du dernier lieu où il a accompli son travail (19,1° et 2°). La Cour de Justice a interprété largement la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » afin de garantir au travailleur la protection la plus étendue. Ainsi, ce lieu désigne celui où se situe le bureau au départ duquel le travailleur organise ses activités ou, à défaut, celui où il exerce la majeure partie de son travail ou, à défaut, celui où se trouvait l’établissement qui l’a embauché. Les clauses d’élection de for ne sont valables qu’à condition qu’elles aient été conclues après la naissance du différend ou si elles permettes au travailleur de saisir un autre tribunal que celui de son domicile, du domicile de l’employeur, du lieu où il accomplit habituellement son travail, ou encore du dernier lieu où il a accompli son travail (21). Itsiq Benizri 68 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Au niveau des conflits de lois, le Règlement Rome établit deux règles de base. Les parties peuvent choisir la loi applicable au contrat, mais ce choix ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de l’Etat dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail (8,1°). Une clause d’exception tempère toutefois cette règle : si la situation présente des liens étroits avec un Etat autre que celui qui est désigné par le choix des parties, ce sont les règles impératives de cet Etat qui devront être respectées. Si les parties n’ont pas choisi la loi applicable au contrat, celui-­‐ci sera régi par la loi de l’Etat du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou, à défaut, du lieu où il accomplit son travail85 (8,2°). Si la loi applicable ne peut pas être déterminée sur base de cette règle, le contrat sera régi par la loi du lieu où est situé l’établissement qui a embauché le travailleur (8,3°). Là encore, une clause d’exception est prévue : s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qui est visé par les dispositions précédentes, c’est la loi de cet autre pays qui s’appliquera (8,4°). e.3. Contrat d’assurance Au niveau du conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I établit trois règles de base. Lorsque l’assuré, le preneur d’assurance ou le bénéficiaire est défendeur, il ne peut être assigné que dans l’Etat de son domicile (12,1°). Lorsque l’assuré, le preneur d’assurance ou le bénéficiaire est demandeur, il peut assigner à son choix dans l’Etat du domicile de l’assureur ou dans l’Etat de son propre domicile (9). Les clauses d’élection de for ne sont valables qu’à condition qu’elles aient été conclues après la naissance du différend ou si elles permettent à l’assuré, le preneur d’assurance ou le bénéficiaire de saisir un tribunal autre que celui de son domicile ou de celui de l’assureur (13). Notez que cette disposition établit encore trois cas dans lesquels une telle clause serait valable. Au niveau des conflits de lois, le Règlement Rome établit deux règles de base. Les parties peuvent choisir la loi applicable au contrat, mais ce choix est limité à cinq possibilités limitativement énumérées par le Règlement (7,3°). Si les parties n’ont pas choisi la loi applicable au contrat, celui-­‐ci sera régi par la loi de l’Etat du lieu où le risque est situé au moment de la conclusion du contrat (7,3° in fine). 85
Par exemple, dans le cas où le travailleur n’y exercerait qu’un travail temporaire. Itsiq Benizri 69 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 e.4. Contrat de transport Au niveau du conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I n’établit aucune règle spécifique, de sorte qu’il est renvoyé au droit commun : un contrat de transport est un contrat de fourniture de services au sens de l’article 5. Par ailleurs, les clauses d’élection de for sont autorisées. Au niveau du conflit de lois, le Règlement Rome I établit des règles distinctes selon que le contrat en cause consiste en un transport de marchandises ou de passagers. En ce qui concerne les contrats de transport de marchandises, les parties peuvent choisir la loi applicable au contrat, sous réserve des lois de polices, exceptions d’ordre public, etc. A défaut de choix, la loi applicable sera celle de la résidence habituelle du transporteur, à condition que celle-­‐ci corresponde au lieu de chargement, de livraison ou de résidence habituelle de l’expéditeur des marchandises. Si aucune de ces conditions n’est remplie, la loi applicable est celle du lieu de livraison des marchandises. En ce qui concerne les contrats de transport de passagers, les parties ne peuvent choisir que la loi de l’Etat de la résidence habituelle du passager ou du transporteur, la loi de son centre d’activités, du lieu de départ du transport, ou du lieu de destination du transport. A défaut de choix, la loi applicable est celle de la résidence habituelle du passager à condition qu’elle corresponde à la loi du lieu de départ ou d’arrivée. Si cette condition n’est pas réunie, la loi applicable est celle du lieu de résidence habituelle du transporteur. e.5. Chèques et billets à ordre Voy. la Convention de Genève du 19 mars 1931. e.6. Clause d’arbitrage Voy. la Convention de New York du 10 juin 1958 ainsi que la Convention de Genève du 21 avril 1961. 2. Les obligations non contractuelles Au niveau du conflit de juridictions, le Règlement Bruxelles I trouve à s’appliquer (2 pour la compétence générale et 5§3 pour la compétence spéciale). Au niveau du conflit de lois, le Règlement Rome II s’applique. Le Code de DIP ne s’applique que lorsque ce Règlement est inapplicable. Le Règlement Rome II s’applique certainement86 aux litiges nés après le 11 janvier 2009 (32). Son champ d’application est universel, de sorte qu’il est applicable dès lors et 86
Comme le Règlement est entré en vigueur le 11 juillet 2007, et que son texte dispose qu’il s’applique aux faits générateurs de dommage survenus après son entrée en vigueur (31), on s’interrogea sur la question de savoir s’il devait s’appliquer à partir de cette première date ou à partir du 11 janvier 2009, date à laquelle il devenait applicable (32). La Cour de Justice a été saisie de la question. Reste que la question ne se pose pas pour les litiges survenus après le 11 janvier 2009. Itsiq Benizri 70 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 à la seule condition qu’un juge d’un Etat membre de l’UE ait été saisi. Il règle les conflits de lois dans les litiges relatifs aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale. A cet égard, il faut observer que les notions de matière civile et commerciale et d’obligation non contractuelle se définissent de la même manière que pour le Règlement Bruxelles I87. Le Règlement Rome II ne s’applique ni aux matières fiscales, douanières et administratives, ni à la responsabilité encourue par l’Etat pour les actes et omissions commis dans l’exercice de la puissance publique. Il ne s’applique pas davantage aux obligations non contractuelles qui découlent du droit de la famille, du droit des sociétés, des associations et des personnes morales, d’instruments négociables88, de relations entre les constituants, les trustees et les bénéficiaires d’un trust créé volontairement, d’un dommage nucléaire ou encore d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, en ce compris la diffamation (1)89. Toutes ces matières se voient donc appliquer le Code de DIP (99 C. DIP), à l’exclusion des matières visées par le Règlement Rome II (98 §4 C. DIP). Il existe encore d’autres instruments juridiques internationaux en matières d’obligations non contractuelles. On peut ainsi citer le droit communautaire primaire, la clause de marché intérieur présente dans certaines directives et en vertu de laquelle la loi applicable est celle du pays d’origine d’une entreprise, d’un bien ou d’un service qui aurait causé un dommage extracontractuel90, des directives dans certains secteurs déterminés, et les Conventions internationales. A cet égard, le Règlement Rome II consacre d’ailleurs la primauté des Conventions antérieures au Règlement qui ont été conclues avec des Etats tiers (28)91. Les sections suivantes exposent les règles générales prévues par le Code de DIP (a) et le Règlement Rome II (b), avant d’aborder les règles spéciales (c) et dérogatoires (d) du Règlement Rome II. a. Règles générales du Code de DIP (99) Le Code de DIP établit un système de rattachement en cascade, suivant le principe de l’échelle de Kegel. Ainsi, en principe, la loi applicable est celle de la résidence habituelle commune des parties, c’est-­‐à-­‐dire dans le même Etat (99 §1, 1°). Si les parties ne résident pas dans le même Etat, la loi applicable est celle de l’Etat où le fait générateur et le dommage sont localisés (99 §1, 2°). Enfin, si le fait générateur et le dommage ne sont pas survenus dans 87
Voy. supra les développements relatifs aux articles 1et 5 §3 du Règlement Bruxelles I ainsi que, en particulier, la jurisprudence JACOB HANDTE de la Cour de Justice, p. 24. 88
Ainsi, les lettres de change, chèques, billets à ordre, etc. 89
Notez toutefois que la Commission européenne s’apprête à proposer l’inclusion de l’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité, en ce compris la diffamation, dans le Règlement. 90
Voy., pour application, l’arrêt eDATE et MARTINEZ supra, p. 29. 91
Ainsi, la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière. Itsiq Benizri 71 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 un même Etat, la loi applicable sera celle qui entretient les liens les plus étroits avec l’obligation en cause (99 §1, 3°). Quant aux obligations non contractuelles dérivant d’actes de diffamation ou d’une atteinte à la vie privée ou aux droits de la personnalité, elles sont régies par le droit de l’Etat sur le territoire duquel le fait générateur où le dommage est survenu ou menace de survenir, au choix du demandeur, à moins que la personne responsable n’établisse qu’elle ne pouvait pas prévoir que le dommage surviendrait dans cet Etat (99 §2 C. DIP). b. Règles générales du Règlement Rome II (4) Le Règlement Rome I établit également un système de rattachement en cascade, suivant le principe de l’échelle de Kegel. A cet égard, il convient d’être particulièrement attentif à deux éléments : d’une part, le système de rattachement en cascade s’applique dans le cadre des règles générales et est donc exclu chaque fois qu’une règle spéciale trouve à s’appliquer (5-­‐
12) ; d’autre part, ce système ne suit pas l’ordre logique dans lequel sont établies les dispositions, c’est-­‐à-­‐dire que la cascade ne commence pas par le §1 pour poursuivre par le §2 et aboutit par le §3, mais qu’elle commence par le §2, poursuit par le §1 et aboutit par le §3 ! Ainsi, en principe, la loi applicable est celle de la résidence habituelle commune des parties, c’est-­‐à-­‐dire dans le même Etat (4,2°). Si les parties ne résident pas dans le même Etat, la loi applicable est celle de l’Etat où le dommage direct est survenu (4,1°). Enfin, une clause d’exception est prévue : les règles précédentes ne s’appliquent pas lorsque le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat, ce qui pourrait découler, notamment, d’une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question (4,3°). Dans ses arrêts DUMEZ (1990) et MARINARI (1995), la Cour de Justice a jugé que le lieu du dommage direct est le lieu du dommage initial, soit celui où le fait causal produit directement et immédiatement ses effets dommageables à l’égard de celui qui en est la victime immédiate, alors que, a contrario, le lieu du dommage indirect est celui du préjudice par ricochet, du préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial, soit le lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu. Par ailleurs, il faut observer que le Règlement ne résout pas la question du dommage direct qui serait localisé simultanément dans plusieurs Etats. Par conséquent, dans un tel cas de figure, et à défaut de résidence habituelle commune des parties (4,1°), il faudra appliquer la loi du lieu où le dommage est survenu pour chaque partie du dommage. Itsiq Benizri 72 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Il convient dès lors d’appliquer la jurisprudence SHEVILL92 de la Cour de Justice qui avait jugé que, lorsqu’un dommage survient dans plusieurs Etats, la victime peut agir en réparation du dommage local dans l’Etat dans lequel celui-­‐ci s’est produit (application de la loi locale uniquement) et en réparation de l’intégralité du dommage dans l’Etat où celui-­‐ci trouve son fait générateur (application de la loi applicable à chaque partie du dommage). c. Règles spéciales du Règlement Rome II (5-­‐12) Le Règlement prévoit des règles particulières en matière de responsabilité du fait des produits93 (c.1), de concurrence déloyale et d’actes restreignant la libre concurrence (c.2), d’atteinte à l’environnement (c.3), d’atteinte aux droits intellectuels (c.4), de grève ou de lock-­‐out (c.5), d’enrichissement sans cause et de gestion d’affaires (c.6), et de culpa in contrahendo (c.7). c.1. Responsabilité du fait des produits La loi applicable est celle de la résidence habituelle commune des parties (4 §2) ou, à défaut, du lieu de commercialisation du produit (5, 1°), à condition que celui-­‐ci coïncide avec le lieu de la résidence habituelle de la victime au jour du dommage (5,1° a) ou, à défaut, au lieu du pays d’achat du produit (5,1° b) ou, à défaut, au lieu où le dommage est survenu (5,1° c). Comme ces règles posent un problème de prévisibilité pour le fabricant du produit, le Règlement prévoit une exception de prévisibilité : sera applicable la loi de la résidence habituelle de l’auteur du fait générateur si celui-­‐ci ne pouvait raisonnablement pas prévoir la commercialisation du produit dans l’un des trois Etats désignés par les articles 5,1°, a, b, et c (5 1°, in fine). On voit en tout cas que le système établi par le Règlement est lacunaire, dans la mesure où il ne prévoit aucune solution dans l’hypothèse où le produit n’aurait pas été commercialisé dans l’un de ces trois Etats. Enfin, là encore, le Règlement prévoit une clause d’exception : s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat que celui qui a été désigné par la règle de conflit, la loi de cet autre Etat s’applique (5,2°). c.2. Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence (6) Les obligations non contractuelles résultant d’actes de concurrence déloyale qui affectent des concurrents indéterminés ou des consommateurs se voient appliqués la 92
Voy. supra, p.29. Il convient d’être vigilant quant au fait que cette règle ne s’applique pas lorsque l’on a acheté le produit défectueux, auquel cas l’action résulterait d’un contrat de vente et l’obligation en cause serait donc contractuelle, de sorte que le Règlement Rome II serait inapplicable, et que seul le Règlement Rome I pourrait être évoqué. 93
Itsiq Benizri 73 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 loi du lieu où les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être (6,1°). Les obligations non contractuelles résultant d’actes de concurrence déloyale qui affectent exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé se voient appliqués la loi telle qu’elle résulte de la règle de conflit prévue à l’article 4. Ainsi, la loi applicable est celle de la résidence habituelle commune des parties, c’est-­‐à-­‐dire dans le même Etat (4,2°). Si les parties ne résident pas dans le même Etat, la loi applicable est celle de l’Etat où le dommage direct est survenu (4,1°). Enfin, une clause d’exception est prévue : les règles précédentes ne s’appliquent pas lorsque le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat, ce qui pourrait découler, notamment, d’une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question (4,3°). Les obligations non contractuelles résultant d’actes restreignant la libre concurrence se voient appliquer la loi du lieu où le marché est affecté ou susceptible de l’être (6,3° a). Lorsque le marché est affecté ou susceptible d’être affecté dans plusieurs pays, le demandeur qui intente une action devant la juridiction du domicile du défendeur peut choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, à la double condition que le marché du pays choisi soit affecté directement et substantiellement par l’acte restreignant la libre concurrence et qu’il corresponde au lieu du domicile du défendeur (6,3° b). c.3. Atteinte à l’environnement (7) Les obligations non contractuelles qui résultent d’une atteinte à l’environnement se voient appliquer la loi du lieu où le dommage est survenu, à moins que la victime ne choisisse la loi du lieu du fait générateur. c.4. Atteinte aux droits de propriété intellectuelle94 (8) Les obligations non contractuelles qui résultent d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle se voient appliquer la loi du pays pour lequel la protection est revendiquée (lex loci protectionis). La doctrine et la jurisprudence sont divisées sur la question de la notion de lex loci protectionis. Selon la doctrine et la jurisprudence majoritaire, il convient d’appliquer la loi de destination : en ce sens, la lex loci protectionis est la loi du lieu où le dommage est subi. 94
Là encore, il faut préciser que seules sont visées ici les actions en responsabilité extracontractuelle, à l’exclusion de tout litige relatif à l’existence ou à la validité d’un droit de propriété intellectuelle, ce droit étant considéré comme un bien, de sorte que c’est le régime des biens qui lui est appliqué. Itsiq Benizri 74 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Selon la doctrine et la jurisprudence minoritaire, il convient d’appliquer la loi d’origine : en ce sens, la lex loci protectionis est la loi du lieu où les actes portant atteinte à la propriété intellectuelle sont localisés. La Cour de cassation française s’est prononcée en ce sens dans l’affaire WATER WORLD (2007), et le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait de même dans l’affaire GOOGLE (2008). c.5. Grève et lock-­‐out (9) Les obligations non contractuelles qui résultent d’une grève ou d’un lock-­‐out se voient appliquer la loi de la résidence habituelle commune des parties (4,2°) ou, à défaut, la loi du lieu où cette grève ou ce lock-­‐out ont été engagés. c.6. Enrichissement sans cause et gestion d’affaires (10 et 11) Les obligations non contractuelles qui résultent de l’enrichissement sans cause ou de la gestion d’affaires se voient appliquer la loi qui régit la relation préexistante entre parties (10,1° et 11,1°) ou, à défaut, la loi de la résidence habituelle commune des parties (10,2° et 11,2°), ou, à défaut, la loi du lieu où l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaire s’est produite (10,3° et 11,3°). Une clause d’exception est enfin prévue (11,4°). c.7. Culpa in contrahendo (12) Les obligations non contractuelles qui résultent d’une culpa in contrahendo se voient appliquer la loi qui aurait été applicable si le contrat avait été conclu, ce qui renvoie donc aux dispositions du Règlement Rome I, ou, à défaut, la loi de résidence habituelle commune des parties, ou, à défaut, la loi du lieu où le dommage direct est survenu (4). Là encore, une clause d’exception est prévue, mais uniquement dans les deux derniers cas. d. Règles dérogatoires Le Règlement prévoit diverses règles dérogatoires : le choix des parties (d.1), les lois de police (d.2), et l’ordre public international du for (d.3). d.1. Choix des parties (14) Les parties peuvent elles-­‐mêmes déroger aux règles de conflit de loi prévues par le Règlement en choisissant la loi applicable à l’obligation non contractuelle. Les parties peuvent exercer ce choix dans toutes les matières, à l’exclusion de la concurrence déloyale et des actes qui restreignent la libre concurrence (6,4°), ainsi que des atteintes aux droits de propriété intellectuelle (8,3°). Le choix des parties doit également et dans tous les cas respecter les conditions suivantes : d’abord, il doit résulter d’un accord postérieur à la survenance du fait Itsiq Benizri 75 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 dommageable (14,1°a) ou, si cet accord est antérieur à la survenance du fait dommageable, qu’il ait été librement négocié entre des personnes qui exercent une activité commerciale (14,1°b) ; ensuite, il doit être exprès ou résulter des circonstances de façon certaine (14,1° in fine) ; il ne peut pas non plus porter préjudice aux droits des tiers (14,1° in fine) ; enfin, il ne peut pas porter atteinte à l’application des dispositions impératives locales ou communautaires (14,2° et 3°). d.2. Lois de police (16) Les lois de police du for s’appliquent obligatoirement (16). Contrairement au Règlement Rome II, le Règlement Rome I ne prévoit pas d’application des lois de police étrangère. Le Règlement prévoit toutefois que le juge peut tenir compte des règles de sécurité et de comportement qui étaient en vigueur au lieu et au jour de la survenance du fait dommageable en tant qu’élément de fait (17), c’est-­‐à-­‐dire que le juge n’appliquera pas ces règles étrangères mais qu’il pourra les prendre en considération dans son appréciation de la cause (exposé des motifs). Il faut observer que le Règlement ne comporte pas de disposition similaire applicable aux dommages indirects. Le considérant n°33 du préambule joue toutefois ce rôle, encore qu’il ne soit applicable qu’en matière d’accidents de circulation de la route et que, si c’est la Belgique qui est concernée, on appliquera la Convention de La Haye du 4 mai 1971 plutôt que le Règlement. En effet, au contraire de bon nombre d’Etats membres de l’UE qui n’ont pas ratifié cette Convention, et pour lesquels on appliquera donc l’article 4 du Règlement Rome I, la Belgique applique cette Convention. Celle-­‐ci prévoit que la loi applicable à la responsabilité liée à un accident de la route est celle du lieu du fait générateur, soit de l’Etat sur le territoire duquel l’accident est survenu (3 Convention). Par dérogation à cette règle, la loi applicable sera celle du lieu où le véhicule a été immatriculé lorsqu’un seul véhicule est impliqué dans l’accident et qu’il est immatriculé dans un autre Etat que celui où il a eu lieu, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident et qu’ils sont tous immatriculés dans un seul et même Etat autre que celui où il a eu lieu, ou encore lorsque l’accident implique des tiers qui ont leur résidence habituelle dans l’Etat d’immatriculation (4). Par dérogation encore, la loi applicable sera celle du lieu où le véhicule est habituellement stationné lorsque les véhicules ne sont pas immatriculés ou le sont dans plusieurs Etats, ou lorsque ni le propriétaire, ni le détenteur, ni le conducteur du véhicule n’avaient leur résidence habituelle dans l’Etat d’immatriculation au moment de l’accident(6). Itsiq Benizri 76 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 d.3. Ordre public international du for (26) Le juge d’un Etat membre peut écarter la loi désignée par le Règlement Rome II lorsque son application est manifestement incompatible avec l’ordre public international du for. 3. Les procédures collectives d’insolvabilité En Europe, deux approches différentes des aspects internationaux des procédures d’insolvabilité coexistaient. Il y avait, d’une part, la théorie de l’universalité et de l’unité en vertu de laquelle l’insolvabilité du débiteur entraînait la création d’une masse commune et unique de tous ses biens, indépendamment du pays où ils pouvaient se trouver, et quel que soit la nationalité ou le domicile des créanciers. D’autre part, il y avait la théorie de la territorialité et de la pluralité en vertu de laquelle l’insolvabilité du débiteur s’étendant sur plusieurs territoires entraînait la constitution d’autant de masses de biens et de procédures distinctes qu’il y avait de pays dans lesquels les biens du débiteur était dispersés, chacune de ces procédures territoriales ne portant que sur les biens situés sur le territoire de l’Etat où la procédure avait été ouverte. Le Règlement relatif aux procédures d’insolvabilités95 combine ces deux approches : la théorie de l’universalité opère à titre principal, et la théorie de la territorialité à titre exceptionnel. Il est nécessaire, puisque le Règlement Bruxelles I exclut expressément de son champ d’application la matière des faillites, concordats et autres procédures analogues. Le Règlement s’applique uniquement aux procédures dans lesquelles le centre des intérêts principaux96 du débiteur est situé dans l’UE (considérant 14). Dès lors, si ce centre se trouve en dehors de l’UE, le Code de DIP trouvera à s’appliquer (116 et s. C. DIP). Les procédures visées sont les procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur et qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic97. Les procédures d’insolvabilité relatives aux entreprises d’assurance, aux établissements de crédit, aux entreprises d’investissement qui fournissent des services impliquant la détention de fonds ou de valeurs mobilières de tiers, et aux organismes de 95
Règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000. En anglais : Center Of Main Interests (COMI). J’utiliserai cette abréviation par la suite. 97
Ces procédures sont énumérées à l’Annexe A du Règlement. 96
Itsiq Benizri 77 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 placement collectif sont exclues du champ d’application du Règlement et sont régies par des directives (1,2°)98. Enfin, le Règlement ne s’applique qu’aux procédures ouvertes après le 31 mai 2002. Dans son arrêt GOURDAIN (1979), la Cour de Justice a jugé que toutes les décisions qui dérivent directement de la faillite et s’insèrent étroitement dans le cadre d’une procédure de liquidation des biens ou de règlement judiciaire sont exclues du champ d’application de la Convention de Bruxelles. La Cour a transposé cette jurisprudence dans son arrêt SCT INDUSTRI (2009). Dans son arrêt GERMAN GRAPHICS (2010), la Cour a jugé qu’une demande de reconnaissance d’un jugement qui avait pour effet de restituer à un créancier un bien qu’il aurait pu récupérer indépendamment de toute procédure d’insolvabilité ne s’insère pas étroitement dans une telle procédure et relève donc du champ d’application du Règlement Bruxelles I. Voyons à présent comment le Règlement résout les conflits de juridictions (a) et de lois (b). a. Conflit de juridictions Le Règlement prévoit deux types de procédure : la procédure principale, qui fait application de la théorie de l’universalité, et la/les procédure/s secondaire/s qui fait/font application de la théorie de territorialité. La procédure principale a pour effet de rendre compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité les juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur (3,1°). Cette procédure inclut tous les actifs du débiteur insolvable situés sur le territoire de l’UE et est automatiquement reconnue dans tous les Etats de l’UE dès son ouverture, à l’exception de ceux dans lesquels une procédure secondaire est ouverte (16 et 17). Elle s’étend donc à l’ensemble des matières qui touchent à la procédure de la faillite99 (CJ, SEAGON c/ DEKO MARTY, 2009). La/les procédure/s secondaire/s a/ont pour effet de rendre compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité les juridictions de l’Etat membre sur lequel le débiteur insolvable possède un établissement (3,2°). Cette procédure est limitée aux biens du débiteur qui se trouvent sur le territoire de cet Etat et ne peut être ouverte qu’à la demande son créancier (CJ, ZAZA RETAIL, 2011). La notion d’établissement est définie par le Règlement : il s’agit de tout lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique 98
Voy. les directives n°2001/17, 2001/24, 85/611 et 95/26. Ainsi l’action révocatoire introduite par le syndic d’une faillite relève-­‐t-­‐elle du Règlement. 99
Itsiq Benizri 78 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 avec des moyens humains et des biens100. L’établissement requiert donc la présence d’une structure comportant un minimum d’organisation et une certaine stabilité en vue de l’exercice d’une activité économique. La seule présence de biens isolés ou de comptes bancaires ne répond pas, en principe, à cette définition (CJ, INTEREDIL, 2011). Ce n’est pas le cas de la notion de centre des intérêts principaux du débiteur. Pour les personnes physiques exerçant une activité professionnelle, le COMI du débiteur correspond au lieu de leur domicile professionnel. Pour les personnes physiques en général, le COMI du débiteur correspond au lieu de leur résidence habituelle. Pour les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire (3,1°). La question de la notion de COMI a été particulièrement controversée en matière de groupe de sociétés. Selon certains, la présomption de la localisation du COMI au siège statutaire devrait toujours être renversée lorsqu’il s’agit d’un groupe de sociétés au motif que leur COMI est le siège de la société mère et non le siège statutaire. Il faut dire en effet que le Règlement prévoit que le COMI devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers (considérant 13). Selon d’autres, la présomption ne devrait être renversée qu’à condition qu’il ait été démontré que le siège statutaire de la filiale est purement fictif. Dans son arrêt EUROFOOD (2006), la Cour a jugé que, lorsqu’un débiteur est une filiale dont le siège statutaire et celui de la société mère sont situés dans deux Etats membres différents, la présomption selon laquelle le COMI de cette filiale est situé dans l’Etat membre où se trouve son siège statutaire ne peut être réfutée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation dudit siège statutaire est censée refléter. Tel pourrait être notamment le cas d’une société qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’Etat membre où est situé son siège social. En revanche, lorsqu’une société exerce son activité sur le territoire de l’Etat membre où est situé son siège social, le fait que ses choix économiques soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre Etat membre ne suffit pas pour écarter la présomption prévue par ledit règlement. 100
Ainsi, une succursale. Itsiq Benizri 79 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Dans son arrêt INTEREDIL (2011), la Cour a précisé que dans le cas d’un transfert du siège statutaire d’une société débitrice avant l’introduction d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, le COMI de cette société est présumé se trouver au nouveau siège statutaire de celle-­‐ci. La Cour a précisé que, dans l’hypothèse où le lieu de l’administration centrale d’une société ne se trouve pas au siège statutaire de celle-­‐ci, la présence d’actifs sociaux comme l’existence de contrats relatifs à leur exploitation financière dans un État membre autre que celui du siège statutaire de cette société ne peuvent être considérées comme des éléments suffisants pour renverser cette présomption qu’à la condition qu’une appréciation globale de l’ensemble des éléments pertinents permette d’établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de ladite société ainsi que de la gestion de ses intérêts se situe dans cet autre État membre. Dans son arrêt RASTELLI DAVIDE (2011), la Cour a encore ajouté qu’une juridiction d’un État membre qui a ouvert une procédure principale d’insolvabilité à l’encontre d’une société, en retenant que le COMI de celle-­‐ci est situé sur le territoire de cet État, ne peut étendre, en application d’une règle de son droit national, cette procédure à une deuxième société, dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre, qu’à la condition qu’il soit démontré que le COMI de cette dernière se trouve dans le premier État membre. b. Conflit de lois La loi applicable à une procédure d’insolvabilité principale ou secondaire est celle de l’Etat sur le territoire duquel cette procédure est ouverte (lex concursus – 4,1°). La lex concursus détermine tous les effets procéduraux101 et substantiels de la procédure d’insolvabilité sur les personnes et les rapports juridiques concernés et règle les matières qui lui sont soumises d’après l’énumération qu’en fait le Règlement (4,2°)102. La Cour de Justice a fait application de ces principes dans son arrêt MB PROTUB (2010). Il faut toutefois observer que, lorsqu’une procédure secondaire est ouverte, la lex concursus de la procédure principale ne régit pas les deux procédures : la procédure principale est régie par sa lex concursus, et la procédure secondaire par la lex concursus qui lui est propre et dont les effets sont limités aux biens situés sur le territoire visé. En outre, le Règlement prévoit certaines dérogations et atténuations à l’application de la lex contractus. Concernant les droits réels des tiers, l’ouverture de la procédure principale sur le territoire d’un Etat et la lex contractus ainsi désigné n’affectent pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers portant sur un bien situé dans un autre Etat membre au moment de l’ouverture de la procédure (5). 101
Ainsi, les conditions de l’ouverture, du déroulement et de la clôture de la procédure d’insolvabilité. Ainsi, l’identification des biens qui font l’objet du dessaisissement, les pouvoirs du syndic et du débiteur, etc. 102
Itsiq Benizri 80 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Concernant la compensation, l’ouverture de la procédure n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer la compensation de sa créance avec la créance du débiteur insolvable lorsque cette compensation est permise par la loi applicable à la créance du débiteur insolvable (6). Concernant la clause de réserve de propriété, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité contre l’acheteur d’un bien n’affecte pas les droits du vendeur fondés sur une clause de réserve de propriété lorsque ce bien se trouve sur le territoire d’un autre Etat membre que l’Etat d’ouverture103 (7). 4. Les personnes morales Le Règlement Bruxelles I (22 §2) et le Code de DIP (109) prévoient des dispositions spécifiques relatives aux conflits de juridictions en ce qui concerne les personnes morales (a). En revanche, seul le Code de DIP (110 et s. C. DIP) prévoit des règles spécifiques en matière de conflits de lois (b). Enfin, le droit européen a considérablement influencé la question de la reconnaissance des sociétés étrangères et du transfert de l’établissement principal des sociétés (c). a. Conflits de juridictions (22,2° Règlement et 109 C. DIP) Le Règlement Bruxelles I prévoit que sont seuls compétents, sans considération de domicile, en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales ayant leur siège sur le territoire d’un Etat membre, ou de validité des décisions de leurs organes, les tribunaux de cet Etat membre. Pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé104 (22,2°). Le Code de DIP prévoit quant à lui que, par dérogation aux dispositions générales du Code (5 et 6 C. DIP), les juridictions belges ne sont compétentes pour connaître de toute demande concernant la validité, le fonctionnement, la dissolution ou la liquidation d’une personne morale qu’à condition que l’établissement principal ou le siège statutaire de cette personne soit situé en Belgique lors de l’introduction de la demande (109 C. DIP). En pratique, on ne recourra au Code de DIP que dans deux cas : pour déterminer le siège, toujours, et donc même si le Règlement Bruxelles I est applicable, et pour déterminer la compétence du juge, mais uniquement dans le cas où le litige touche au 103
Voy. CJ, GERMAN GRAPHICS (2010). Pour rappel, deux systèmes permettent de déterminer la lex societatis, soit la loi applicable à une société : le système du siège réel, et le système de l’incorporation. Dans le premier (Belgique, France, Espagne), la loi applicable à une société est celle de l’Etat sur le territoire duquel le siège social réel de cette société est situé, soit le lieu où elle est gérée et d’où sont prises les décisions importantes. Dans le second (Angleterre, Italie, Suisse), la loi applicable à une société est celle de l’Etat où ont été accomplies les formalités nécessaires à sa constitution. 104
Itsiq Benizri 81 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 fonctionnement de la personne morale sans porter sur la validité des décisions de ses organes et que le défendeur à l’action n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat membre de l’UE. b. Conflits de lois (110 C. DIP) La personne morale est régie par le droit de l’Etat sur le territoire duquel son établissement principal est situé dès sa constitution (110 C. DIP), étant entendu que l’établissement principal d’une personne morale se détermine en tenant compte, en particulier, du centre de direction ainsi que du centre des affaires ou des activités et, subsidiairement, du siège statutaire (4 §3 C. DIP). L’établissement principal correspond donc au siège réel, soit le lieu depuis lequel la personne morale est effectivement gérée et administrée. Le siège statutaire n’est pris en considération que subsidiairement. Toutefois, le Code prévoit que, si le droit étranger désigne le droit de l’Etat en vertu duquel la personne morale a été constituée, le droit de cet Etat est applicable (110 §2 C. DIP). Il s’agit donc d’une application de la théorie du renvoi105. En ce sens, l’article 110 §2 déroge à l’article 16 qui interdit l’application de cette théorie. Le Code de DIP détermine également et non limitativement le domaine d’application de la lex societatis, soit la naissance, la vie et la mort de la société (111 §1). Par ailleurs, il précise que la personne morale ne peut pas invoquer une incapacité fondée sur des restrictions du pouvoir de représentation en vertu du droit applicable, à l’encontre d’une partie, si cette incapacité est inconnue du droit de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été passé par cette partie et si celle-­‐ci n’a pas connu et n’a pas dû connaître cette incapacité à ce moment (111 §2). Enfin, il faut observer que, en l’absence de toute solution explicite prévue par le Code de DIP, les sociétés non dotées de la personnalité juridique se voient appliquer la lex contractus. c. Droit européen En ce qui concerne la reconnaissance des sociétés étrangères, le Code de DIP prévoit que les sociétés qui ont été constituées dans un pays étranger et qui y ont leur établissement principal pourront faire leurs opérations en Belgique, y ester en justice, et y établir une succursale (58 C. soc.)106. 105
Voy. supra, p. 55. Ainsi, si une société a été incorporée à New York, mais que son principal établissement est situé à Londres, le Code de DIP désignera dans un premier temps la loi anglaise comme loi applicable, puisque le principal établissement de la société s’y trouve (110 §1). Mais, comme la loi anglaise repose sur le système de l’incorporation, elle renverra elle-­‐même au droit américain, et c’est donc ce dernier dont il sera fait application (110 §2). 106
Il n’est pas tout à fait inconcevable que cette disposition soit contraire au principe de libre circulation de droit européen… Itsiq Benizri 82 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 En ce qui concerne le transfert de l’établissement principal d’une société d’un Etat à un autre, le Code de DIP prévoit que le maintien de sa personnalité juridique est subordonné au respect des conditions de la loi de l’Etat du principal établissement originaire et de la loi du nouvel établissement principal (112 §1). Quant à la loi applicable en pareil cas, le Code prévoit que le droit applicable sera celui de l’Etat du nouvel établissement principal à partir du transfert (112 §2). Le droit européen a influencé ces questions à travers les principes de liberté d’établissement et de reconnaissance mutuelle en vertu desquels les Etats ne peuvent pas entraver la liberté d’établissement ou la reconnaissance de sociétés étrangères, à moins que les entraves ne poursuivent des raisons impérieuses d’intérêt général et qu’elles soient proportionnelles à l’objectif visé (CJ, CASSIS DE DIJON). Ainsi, dans son arrêt DAILY MAIL (1988), la Cour de Justice a jugé que le droit de l’UE n’interdit pas à un Etat membre de subordonner le transfert du siège social d’une société dans un autre Etat membre à certaines conditions. Les restrictions à la sortie ne sont donc pas interdites. Dans son arrêt CENTROS (1999), la Cour a jugé qu’un Etat membre ne peut pas refuser l’établissement, sur son territoire, de l’établissement secondaire d’une société constituée en conformité avec la législation d’un autre Etat membre dans lequel elle a son établissement principal107. Les restrictions à l’entrée sont donc interdites, car elles violent les libertés d’établissement et de circulation. La Cour de Justice a confirmé sa position dans son arrêt INSPIRE ART (2003), jugeant qu’un Etat membre ne peut pas soumettre l’exercice de la liberté d’établissement à titre secondaire sur son territoire d’une société constituée en conformité avec la législation d’un autre Etat membre à certaines conditions prévues en droit interne pour la constitution des sociétés, relatives au capital minimal et à la responsabilité des administrateurs108. Les raisons pour lesquelles la société a été constituée dans le premier Etat membre, ainsi que la circonstance qu’elle exerce ses activités exclusivement ou presque exclusivement dans l’Etat membre d’établissement ne la privent pas, sauf à établir au cas par cas l’existence d’un abus, du droit d’invoquer la liberté d’établissement garantie par le TUE. Dans son arrêt ÜBERSEERING (2002), la Cour a ajouté qu’un Etat membre ne peut pas dénier à une société sa personnalité juridique lorsque celle-­‐ci a été constituée conformément à la législation d’un autre Etat membre sur le territoire duquel elle a son établissement principal mais qu’elle est réputée avoir transféré cet établissement 107
En l’espèce, une société incorporée en Angleterre, conformément au droit britannique qui n’exige pas la constitution d’un capital minimum, et qui n’y exerçait aucune activité avait souhaité créer une succursale au Danemark, où elle exercerait l’ensemble de ses activités. Le Danemark a subordonné l’immatriculation de cette succursale à la condition qu’elle constitue un capital minimum pour protéger ses créanciers. 108
Cet arrêt se distingue de l’arrêt CENTROS en ceque la société qui avait été valablement constituée à l’étranger exerçait presque exclusivement ses activités aux Pays-­‐Bas. Itsiq Benizri 83 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 principal dans l’Etat membre en question, selon le droit de cet Etat109. Il s’agit à nouveau d’une interdiction des restrictions à l’entrée. Il s’agit donc d’un cas de figure différent de celui qu’exposer l’arrêt CENTROS : il s’agit ici de la question de l’installation de l’établissement principal et non secondaire d’une société, et donc de la mobilité des sociétés dans l’UE. La Cour a donc jugé que, lorsqu’une société transfère son établissement principal d’un Etat à un autre, elle ne doit pas se reconstituer conformément au droit du nouvel Etat qui l’accueille, mais doit être reconnue automatiquement par ce dernier. Fallait-­‐il conclure de l’ensemble de cette jurisprudence que la Cour de Justice condamnait la théorie du siège réel au profit de l’incorporation ? Et, partant, les Etats pouvaient-­‐ils encore choisir librement leur droit international privé en la matière ? D’une part, cette jurisprudence tendait à indiquer que les Etats ne pouvaient pas imposer de conditions de reconnaissance et de constitution découlant de leur droit national des sociétés ; d’autre part, le droit international privé de ces Etats impliquait que, lorsqu’une société avait son siège réel sur leur territoire, elle devait se soumettre à leur droit. Dans son important arrêt CARTESIO (2008), la Cour a jugé qu’un Etat membre peut empêcher une société constituée en vertu du droit national de cet Etat membre de transférer son siège dans un autre Etat membre tout en gardant sa qualité de société relevant du droit national de l’Etat membre selon la législation duquel elle a été constituée110. Toutefois, ce droit ne peut aller jusqu’à contraindre la société en cause à se dissoudre et à se reconstituer. Un Etat membre a donc l’obligation de reconnaître la continuité d’une personne morale, malgré son transfert et le changement de la loi applicable, lorsque cette société accepte d’elle-­‐même que la loi de l’Etat d’origine ne lui soit plus appliquée, et qu’elle se voit désormais appliquer la loi de l’Etat de transfert. L’arrêt CARTESIO de la Cour de Justice condamne donc à l’arrêt LAMOT de la Cour de cassation belge, puisque ce dernier exigeait, pour que la personnalité juridique puisse être maintenue en cas de transfert, qu’il fallait respecter le droit de l’Etat d’origine et le droit de l’Etat de destination, alors que le premier autorise un Etat à considérer que son droit reste applicable à une société en cas de transfert, mais qu’il ne peut imposer une dissolution ou une reconstitution pour autant. 109
En l’espèce, une société avait été valablement constituée aux Pays-­‐Bas, qui retiennent le critère du siège statutaire. Suite au rachat des actions de la société par des Allemands, son siège réel avait été transféré en Allemagne. Comme la société n’avait pas été constituée conformément au droit allemand, l’Allemagne avait considéré que la société n’existait pas et avait subordonné l’exercice d’une action en justice de la société à la condition que celle-­‐ci procède à sa dissolution puis à sa reconstitution afin de s’adapter aux exigences du droit allemand pour pouvoir jouir de la personnalité morale. 110
En l’espèce, la société CARTESIO avait été constituée en Hongrie et avait, par la suite, transféré son siège réel en Italie. Ce cas diffère donc de la jurisprudence CENTROS, en ce sens que tant l’Italie que la Hongrie appliquent le système du siège réel. La Hongrie refusa le transfert, au motif que le droit hongrois ne permettait pas à une société constituée en Hongrie de transférer son siège à l’étranger tout en continuant à être soumise à la loi hongroise. En ce sens, CARTESIO aurait dû être dissoute en Hongrie avant d’être reconstituée en Italie. Itsiq Benizri 84 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 In fine, il paraît difficile de déduire des principes généraux de cette jurisprudence qui se réfléchit au cas par cas. En tout cas, les règles du Code de DIP doivent être appliquées avec beaucoup de prudence. 5. Les biens et trusts Cette section aborde la question des conflits de juridictions (a) et de lois (b) en la matière. a. Conflits de juridictions En matière de biens, le Règlement Bruxelles I prévoit que sont seuls compétents, sans considération de domicile, en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les tribunaux de l’Etat membre où l’immeuble est situé (22,1°). En revanche, le Règlement ne prévoit aucune disposition spécifique en matière de meubles, de sorte qu’il faudra appliquer les règles générales (2 et 5). En matière de trusts, le Règlement prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, en sa qualité de fondateur, de trustee ou de bénéficiaire d’un trust constitué soit en application de la loi, soit par écrit ou par une convention verbale, confirmée par écrit, devant les tribunaux de l’Etat membre sur le territoire duquel le trust a son domicile (5,6°). Pour déterminer si un trust a son domicile sur le territoire d’un Etat membre dont les tribunaux sont saisis, le juge applique les règles de son droit international privé (60). Remarquez que, à partir du 12 janvier 2015, le Règlement Bruxelles I sera remplacé par le Règlement Bruxelles Ibis111. Le Règlement Bruxelles Ibis apporte six modifications notables au Règlement Bruxelles I. Premier apport – le Règlement Bruxelles Ibis supprime l’exequatur (41 §1 Bruxelles Ibis) : Alors que, dans le Règlement Bruxelles I, une procédure simplifiée permettait à une partie pouvait introduire une requête unilatérale devant le juge du pays concerné afin de lui demander d’exécuter la décision obtenue dans un autre Etat membre, le juge ne pouvant alors procéder qu’à une vérification formelle des documents, le Règlement Bruxelles Ibis va encore plus loin, puisqu’il supprime cette étape et assimile toute décision rendue dans un Etat membre à une décision rendue dans l’Etat membre requis. Lorsqu’un juge étranger a adopté une décision sous peine d’une sanction que l’ordre juridique du juge requis ignore, ce dernier doit prononcer la sanction qui s’en rapproche le plus. 111
Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 12 janvier 2013 et applicable aux jugements rendus après le 12 janvier 2015. Itsiq Benizri 85 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 En tout cas, la décision doit être signifiée au défendeur dans un délai raisonnable avant que la première décision décision d’exécution ne puisse être prise (considérant 12), ceci afin de lui permettre d’introduire une « demande de refus d’exécution ». Sur cette base, le juge saisi peut refuser d’exécuter la décision pour les mêmes motifs que ceux qui étaient déjà prévus dans le Règlement Bruxelles I. Toutefois, dans le Règlement Bruxelles Ibis, ce recours perd l’effet suspensif de plein droit qu’il avait dans le Règlement Burxelles I. Cependant, on peut encore demander la suspension à l’audience introductive d’instance. Deuxième apport -­‐ Relations avec les Etats tiers (17-­‐18 Bruxelles Ibis) : dans le système du Règlement Bruxelles Ibis, l’employeur et le cocontractant du consommateur, défendeurs à la cause, se voient appliquer les règles de compétence du Règlement même si leur domicile ne se trouve pas dans l’Union. Par ailleurs, le Règlement Bruxelles Ibis prévoit également que le juge d’un Etat membre peut surseroir à statuer au profit du juge d’un Etat tiers sur base de la litispendance, voire de la connexité, à condition que le juge de l’Etat tiers ait été saisi le premier, que sa décision soit susceptible d’être reconnue dans le for, et que ce déclinatoire de compétence soit motivé par un souci de bonne administration de la justice (33 Bruxelles Ibis – forum non conveniens). Troisième apport – Clauses attributives de juridiction (25 Bruxelles Ibis) : dans le système du Règlement Bruxelles I, lorsqu’une partie introduit une action devant un autre juge que celui qui a été désigné par une clause attributive de juridiction, en violation de cette clause, le juge désigné ne peut pas connaître de l’affaire tant que le juge saisi ne s’est pas jugé incompétent. Dans le système du Règlement Bruxelles Ibis, c’est au juge saisi d’attendre que le juge désigné statue. La loi applicable pour déterminer la validité substantielle d’une clause attributive de juridiction est celle de la juridiction désignée. La question de la validité formelle et substantielle est indépendante de la validité du contrat lui-­‐même : le contrat peut être valable et contenir une clause qui ne l’est pas, et réciproquement. Quatrième apport – Exclusion de l’arbitrage : le Règlement Bruxelles Ibis maintient l’exclusion de l’arbitrage déjà établie dans le Règlement Bruxelles I (1 §2, d) Bruxelles Ibis), mais il précise qu’il n’affecte pas la Convention de New-­‐York (73 Bruxelles Ibis) et son préambule comporte des directives d’interprétation de l’exclusion de l’arbitrage (considérant 12). Cinquième apport – Mesures provisoires : les mesures provisoires peuvent être prononcées par un juge qui n’est pas compétent sur le fond, mais elles ne peuvent être exécutées et reconnues de plein droit qu’à condition qu’elles aient été Itsiq Benizri 86 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 prononcées par le juge compétent sur le fond et dans le cadre d’une procédure contradictoire. Sixième et dernier apport – Nouveau for concernant les œuvres d’art (7 §4 Bruxelles Ibis – compétence spéciale) : le juge du lieu où le bien meuble est situé est compétent, mais cette compétence ne vaut que pour les biens meubles culturels. Si le défendeur est domicilié en dehors de l’UE et que le litige ne porte pas sur un immeuble, le Règlement est inapplicable et le Code de DIP s’applique. En matière de biens, le Code de DIP prévoit que les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant des droits réels sur un bien si ce bien est situé en Belgique ou est réputé l’être au motif qu’il est constitué d’un patrimoine composé d’un ensemble de biens affectés à une destination particulière112 et qu’il a ses liens les plus étroits avec la Belgique (87 §2 C. DIP) lors de l’introduction de la demande, ou, en cas de demande concernant des droits réels sur une créance, si le débiteur est domicilié ou a sa résidence habituelle en Belgique lors de l’introduction de la demande (85 C. DIP). En matière de trusts, le Code de DIP prévoit que les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant les relations entre le fondateur, le trustee ou le bénéficiaire d’un trust si le trust est administré en Belgique ou si la demande concerne des biens situés en Belgique lors de son introduction (123 §1 C. DIP). Le Code de DIP définit le trust comme la relation juridique créée par un acte du fondateur ou par une décision judiciaire par lequel des biens sont placés sous le contrôle d’un trustee afin de les administrer dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Cette relation juridique a trois caractéristiques : d’abord, les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ; ensuite, le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d’une autre personne pour le compte du trustee ; enfin, le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi (122 C. DIP). b. Conflits de lois En matière de biens, le Code de DIP prévoit que les biens sont régis par la loi de l’Etat du lieu où ils se situent (Lex rei sitae -­‐ 87 §1 C. DIP). Le Code détermine également le domaine d’application de la loi de manière non exhaustive (94 C. DIP). A cet égard, on retiendra en particulier l’opposabilité aux tiers d’un droit réel (94 §1 6° C. DIP). 112
Par exemple, un fonds de commerce. Itsiq Benizri 87 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Quid lorsque ce bien a été déplacé d’un Etat à l’autre ? En principe, la loi applicable est celle du lieu où le bien se situe au moment où le droit réel est invoqué sur ce bien (87 §1 C. DIP). Le Code prévoit toutefois des dispositions spécifiques. Ainsi, lorsque le litige porte sur l’acquisition ou la perte d’un droit réel, le droit applicable est celui de l’Etat sur le territoire duquel le bien était situé au moment de la survenance des actes ou des faits invoqués pour fonder l’acquisition ou la perte de ces droits (87 §1 al. 2 C. DIP). Quant aux biens en transit, ils sont régis par le droit de l’Etat de destination (88 C. DIP). En ce qui concerne la localisation des biens, le Code n’établit pas de règle pour les biens meubles ou immeubles corporels : il suffit de se fier à la réalité des choses, il s’agit d’une question de fait. En revanche, il pose des règles particulières pour certains biens corporels ou incorporels dont la localisation peut s’avérer malaisée. Ainsi, les patrimoines d’affectation sont présumés être localisés sur le territoire de l’Etat avec lequel ils présentent les liens les plus étroits (87 §2). Les créances sont localisées en Belgique si le débiteur a sa résidence en Belgique (85). Les droits réels sur créances sont régis par la loi de l’Etat de résidence habituelle du constituant des droits sur la créance (87 §3). Les effets réels de la cession de créance sont régis par la loi de l’Etat de résidence habituelle du cédant de la créance. La question de la loi applicable à une cession de créance est complexe : la lex rei sitae régit les questions réelles de la cession de créance, soit son opposabilité aux tiers ; la lex contractus régit les questions contractuelles de la cession de créance, soit les droits et obligations qui découlent du contrat de cession. Selon le Code de DIP, cette lex rei sitae est celle de la résidence habituelle du cédant ou, si c’est un droit réel créé sur une créance, la loi du constituant. Le Règlement Rome I établit des règles concernant les diverses relations en cause : les relations entre le cédant et le cessionnaire sont régies par la lex contractus du contrat de cession, les relations entre le cédant et le débiteur cédé, entre le cessionnaire et le débiteur cédé, le caractère cessible de la créance, les conditions d’opposabilité de la cession au débiteur cédé ainsi que le caractère libératoire de la prestation faite par le débiteur sont régis par la loi qui régit la créance cédée, et les conditions d’opposabilité de la cession de créance aux tiers, on applique la lex rei sitae, soit la loi de l’Etat de résidence habituelle du cédant. Les moyens de transport sont régis par la loi de l’Etat du lieu de l’enregistrement dans un registre public (89). Les titres négociables sont régis par la loi du lieu de situation du registre où figure l’inscription en compte. Sauf preuve contraire, le registre est présumé être situé au lieu de l’établissement principal de la personne qui tient le compte (91). Les droits attachés Itsiq Benizri 88 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 aux titres et leur caractère négociable se voient appliquer la loi de l’Etat d’émission du titre, sans préjudice du droit applicable à d’autres aspects directement ou indirectement liés aux titres concernés (91 §3). Les droits de propriété intellectuelle sont régis par la loi du lieu où la protection de ces droits est demandée (lex protectionis113 -­‐ 93). Sont seulement visées les questions réelles, et non extracontractuelles, pour lesquelles il faudra se rapporter au Règlement Rome II. La détermination du titulaire originaire d’un droit de propriété industrielle114 est régie par le droit de l’Etat avec lequel l’activité industrielle présente les liens les plus étroits. Enfin, en matière de trusts, il faut relever que ceux-­‐ci sont totalement exclus du Règlement Rome I, alors que le Règlement Rome II n’exclut que les trust contractuels, volontaires, et s’applique donc uniquement aux trusts involontaires qui visent notamment à remédier des situations de type enrichissement sans cause et gestion d’affaires. Par conséquent, pour les trusts volontaires, il faudra appliquer le Code de DIP (124-­‐
125 C. DIP). Celui-­‐ci prévoit que les questions relatives au principe d’autonomie, soit essentiellement les relations entre trustee et bénéficiaire, sont régies par la loi choisie par le fondateur ou, à défaut de choix, par la loi de résidence habituelle du trustee au moment de la constitution du trust, alors que les questions réelles sont soumises à la lex rei sitae, soit la loi de situation du bien sur lequel porte le trust (125 §2). 113
Voy. supra, p. 74. Soit les brevets et marques, mais non les droits d’auteur. 114
Itsiq Benizri 89 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La matière du statut personnel et familial Dans cette section, nous exposerons les règles spéciales de droit international privé relatives au statut individuel (1), aux relations familiales (2), et aux successions (3). 1. Le statut individuel Le Règlement Bruxelles II bis115 et le Code de DIP règlent la question des conflits de juridictions. Les conflits de lois sont réglés par le Code de DIP, à défaut d’instrument de droit européen applicable. Seront exposées-­‐ci après les règles de conflits de juridictions et de lois relatives à l’état et la capacité des personnes (a), l’autorité parentale (b), la tutelle et la protection des incapables (c), les noms et prénoms (d), et l’absence (e). a. L’état et la capacité Le conflit de juridictions est réglé par le Code de DIP qui prévoit une compétence spéciale : les juridictions belges sont compétentes pour connaître des demandes relatives à l’état ou à la capacité d’une personne si celle-­‐ci a sa résidence habituelle en Belgique au moment de l’introduction de la demande, ou si elle est de nationalité belge lors de l’introduction de la demande (32 C. DIP). Le conflit de lois est réglé par le Code de DIP, qui prévoit l’application de son article 34 si aucune disposition spécifique du Code ne régit la situation en cause116 (règle d’application résiduelle). Le principe en la matière est que la loi applicable à l’état et à la capacité d’une personne est la loi de l’Etat dont elle a la nationalité117 (34 §1, al.1 C. DIP). Toutefois, cette loi sera la loi belge si le droit étranger conduit à son application (théorie du renvoi, ici au premier degré – 34 §1, al.2). Par dérogation, les incapacités liées à un rapport juridique sont régies par la loi applicable à ce rapport juridique (34 §2 C. DIP). 115
Règlement du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. 116
Par exemple, les dispositions relatives au nom ou à l’autorité parentale. 117
La loi de la nationalité est également applicable en matière de réassignation sexuelle, c’est-­‐à-­‐dire de changement de sexe, à moins que cette loi n’interdise un tel changement (exception d’ordre public international – 35ter C. DIP) Itsiq Benizri 90 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 b. L’autorité parentale Le conflit de juridictions est réglé par le Règlement Bruxelles II bis qui s’applique en matière civile à toute question relative à la responsabilité parentale au sens large, qu’elle se pose ou non à l’occasion d’un divorce. Le Règlement énumère ne manière non exhaustive les matières qui relèvent de cette responsabilité (1,2°). Dans son arrêt C. (2007), la Cour de Justice a jugé que la notion de matière civile au sens du Règlement Bruxelles IIbis est une notion autonome qui doit s’interpréter largement. Elle a ainsi dérogé à sa jurisprudence EUROCONTROL118, considérant que relevait de cette matière le placement d’un enfant dans une famille d’accueil lorsque cette décision avait été adoptée dans le cadre de règles de droit public relatives à la protection de l’enfance par une institution de droit public. Dans son arrêt HEALTS SERVICE EXECUTIVE c. SC (2012), la Cour de Justice a jugé qu’une décision de placement de placement d’enfant dans un centre fermé relève de la responsabilité parentale au sens du Règlement Bruxelles IIbis, pour autant que ce placement soit ordonné dans le but de protéger l’enfant et non de le sanctionner. C’est donc l’objet de la décision qui est déterminant. Notez que ce critère pose question puisque, en Belgique en tout cas, toutes les décisions judiciaires prises à l’égard d’un mineur de moins de 16 ans sont censées et réputées l’être pour le protéger, et non pour le sanctionner. 1) La règle générale La règle générale prévue par le Règlement est la compétence des juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel l’enfant a sa résidence habituelle au moment où la juridiction est saisie. Dans son arrêt A. (2009), la Cour de Justice n’a pas défini la résidence habituelle de l’enfant, mais a jugé qu’elle implique une certaine intégration dans un environnement social et familial. La Cour a identifié des facteurs que le juge doit prendre en compte pour constater cette intégration. Ceux-­‐ci sont liés tant au séjour de l’enfant qu’aux activités qu’il mène, à sa nationalité, à la langue qu’il parle, et aux rapports sociaux et familiaux qu’il entretient. La volonté de s’établir sur un territoire n’a en revanche pas été retenue. Dans son arrêt MERCREDI (2010), la Cour de Justice a jugé que, en raison du bas âge de l’enfant, les facteurs pris en compte par le juge pour déterminer sa résidence habituelle peuvent se rapporter au parent plutôt qu’à lui-­‐même. 2) Les exceptions à la règle générale Il existe toutefois six exceptions à cette règle de compétence générale. 118
Voy. supra, p. 11. Itsiq Benizri 91 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Première exception : lorsqu’un enfant déménage légalement d’un Etat membre dans un autre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, les juridictions de l’Etat membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant qui ont déjà rendu une décision en matière de responsabilité parentale demeurent compétentes pendant trois mois, sous certaines conditions. Elles peuvent être saisies sur base d’une prorogation volontaire de compétence, laquelle suppose l’accord de toutes les parties. Deuxième exception : le juge saisi d’une demande en divorce est également compétent pour connaître de toute question relative à la responsabilité parentale si au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et si la compétence de ce juge a été acceptée par les deux époux et qu’elle répond à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les parents peuvent également convenir de donner compétence aux juridictions d’un autre Etat membre avec lequel l’enfant a un lien étroit, sous certaines conditions (12). Troisième exception : le juge de l’Etat membre dans lequel l’enfant se trouve physiquement est compétent lorsque la résidence habituelle de l’enfant ne peut pas être déterminée, ou lorsque l’enfant est réfugié ou déplacé à la suite de troubles dans son pays (13). Quatrième exception : Lorsqu’aucune des juridictions d’un Etat membre n’est compétente en vertu des dispositions précitées, la compétence est déterminée, dans chaque Etat membre, par la loi nationale (14). Cinquième exception : Les juridictions d’un Etat membre qui sont compétentes peuvent transférer leur compétence au juge d’un autre Etat membre si elles estiment que ce juge est mieux placé pour connaître de l’affaire, dans l’intérêt supérieur de l’enfant (clause de forum non conveniens – 15). Sixième exception : Les juridictions autres que celles qui sont normalement compétentes peuvent être saisies s’il s’agit de prendre des mesures provisoires et conservatoires. Dans son arrêt A. (2009), la Cour de Justice a posé les conditions de cette compétence : il doit y avoir urgence et les mesures ordonnées doivent être provisoires et territoriales. Dans son arrêt DETICEK (2009), la Cour de Justice a précisé qu’un simple changement de circonstances ou un processus graduel ne justifient pas l’urgence afin de ne pas renforcer la position du parent responsable d’un déplacement illicite. C’est dans le même but que la Cour de Justice a jugé, dans son arrêt POVSE (2010), qu’une décision de justice attribuant la garde d’un enfant aux deux parents prise à titre de mesure provisoire ne peut pas être considérée comme une décision n’impliquant pas le retour de l’enfant. Itsiq Benizri 92 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Notez d’ailleurs qu’une décision de justice relative au non-­‐retour de l’enfant dans son pays d’origine ne peut être prise que par le juge de ce pays d’origine, et non par le juge du pays dont l’enfant ne devrait pas revenir. Dans son arrêt ZARRAGA (2010), la Cour de Justice a jugé que la question de savoir si l’enfant aurait dû ou non être entendu par le juge ayant statué ne pouvait pas être invoquée devant le juge d’un autre Etat membre pour s’opposer à l’exécution, dans cet Etat, de la décision rendue. Ce droit de l’enfant à être entendu, qui est fondé sur la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, aurait pu être invoqué devant le juge ayant statué, mais il n’aurait pu être invoqué que devant lui, et non devant un autre, pour s’opposer à l’exécution de la décision rendue. 3) Enlèvement international d’enfant (10) Les juridictions de l’Etat membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son enlèvement conservent leur compétence, sauf dans deux cas. 4) Litispendance (19,2°) Lorsqu’une demande en matière de responsabilité parentale a le même objet et la même cause et est introduite auprès de juridictions d’Etats membres différents, le juge saisi en second lieu a l’obligation de surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence du premier juge saisi soit établie. Le second juge se dessaisit lorsque la compétence du premier juge est établie. Le Règlement prévoit également une détermination autonome de la date de la saisine (16). 5) Mesures provisoires (20) Lorsqu’il y a urgence, les juridictions d’un Etat membre qui ne sont pas compétentes sur le fond peuvent prendre des mesures provisoires et conservatoires prévues par la loi de cet Etat membre, relatives aux personnes et aux biens présents dans cet Etat. 6) Reconnaissance et exécution des décisions (21 et 28-­‐36) Le Règlement consacre la reconnaissance de plein droit dans chaque Etat membre des décisions rendues en matière de responsabilité parentale (21). Il prévoit également une procédure simplifiée pour l’exécution des décisions rendues en matière de responsabilité parentale (28-­‐36). Les motifs de refus de reconnaissance et d’exécution sont très limités. Ainsi, la Cour a jugé dans son arrêt POVSE (2010), que le fait qu’une décision contradictoire à la décision qui a été rendue dans l’Etat membre dans lequel on demande la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ait été prise dans l’Etat Itsiq Benizri 93 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 d’origine ne suffit pas à refuser la reconnaissance de la décision de l’Etat d’origine. La préférence est toujours donnée à la décision de l’Etat d’origine. Dans son arrêt HEALTH SERVICE EXECUTIVE c. SC (2012), la Cour de Justice a jugé que la décision de placement d’un enfant dans un centre fermé relève de l’exécution, et non de la reconnaissance. 7) Loi applicable (35 C. DIP) En principe, l’autorité parentale est régie par la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’enfant a sa résidence habituelle. Par dérogation, la loi applicable sera celle de la nationalité de l’enfant si la loi de la résidence habituelle ne permet pas d’assurer la protection que requièrent la personnalité de l’enfant ou ses biens (exception d’ordre public international – 35 §2 al.1) ou la loi belge, lorsqu’il s’avère impossible matériellement ou juridiquement de prendre les mesures prévues par le droit étranger applicable (35 §2 al.2). Lorsque le lieu de la résidence habituelle a changé, la loi applicable est celle de la nouvelle résidence habituelle de l’enfant, mais uniquement pour déterminer l’autorité parentale dans le chef d’une personne qui n’est pas déjà investie de cette responsabilité. c. La tutelle et la protection des incapables Le conflit de juridictions est réglé par le Code de DIP : les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant la tutelle ou la protection de la personne d’un incapable si la personne en cause a sa résidence habituelle en Belgique ou si la personne en cause est de nationalité belge (33 C. DIP). Par ailleurs, lorsque le juge belge est compétent pour connaître d’une demande principale en divorce ou en nullité du mariage, et que la question de la tutelle se pose de manière accessoire, le juge belge sera compétent pour en connaître. Enfin, le Code de DIP prévoit deux critères complémentaires pour fonder la compétence du juge belge : la localisation des biens en Belgique pour les demandes concernant l’administration des biens d’un incapable et l’urgence, pour les mesures devant être prises à l’égard d’une personne se trouvant en Belgique (33 C. DIP). Le conflit de lois est réglé par la Convention de La Haye du 12 juin 1902 sur la tutelle des mineurs et le Code de DIP. On peut encore citer la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection des incapables majeurs, mais celle-­‐ci n’a pas encore été ratifiée par la Belgique. En revanche, la France et l’Allemagne l’ont fait. La Convention de La Haye du 12 juin 1902 prévoit que la tutelle des mineurs qui sont les ressortissants de l’un des Etats contractants et qui ont leur résidence habituelle sur le territoire de l’un de ces Etats (9) se voit appliquer la loi de la nationalité du mineur (1). Itsiq Benizri 94 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Cette Convention ne s’applique que si la loi désignée est celle d’un Etat contractant (Convention fermée). Lorsque la Convention de La Haye du 12 juin 1992 n’est pas applicable, il faut se référer au Code de DIP, lequel prévoit que la tutelle et la protection de la personne ou des biens d’un incapable sont régies par la loi de la résidence habituelle de la personne en cause au moment des faits qui donnent lieu à l’ouverture de la tutelle ou à l’adoption des mesures de protection (35 C. DIP). Toutefois, si le droit désigné ne permet pas d’assurer la protection que requièrent la personne ou ses biens, celui-­‐ci est écarté au profit de la loi de la nationalité de la personne en cause. Enfin, lorsqu’il s’avère impossible, matériellement ou juridiquement, de prendre les mesures prévues par le droit étranger désigné, le droit belge est applicable. d. Les noms et prénoms Le conflit de juridictions est réglé par le Code de DIP (36) : les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande tendant à déterminer le nom ou les prénoms d’une personne si la personne en cause est de nationalité belge ou si cette personne a sa résidence habituelle en Belgique. En revanche, les autorités belges ne sont compétentes pour connaître de toute demande tendant à changer le nom ou les prénoms d’une personne qu’à condition qu’elle soit de nationalité belge au moment de l’introduction de la demande. Les effets des jugements rendus sont reconnus, mais il existe des motifs de refus de reconnaissance (39). Le conflit de lois est réglé par le Code de DIP (37-­‐38). La détermination du nom et du prénom d’une personne est régie par la loi de la nationalité de la personne concernée. L’effet d’un changement de la nationalité sur le nom et le prénom est régi par la loi de la nouvelle nationalité. Le changement de nom ou prénom d’une personne, que ce soit par acte volontaire ou par effet de la loi, est régi par la loi de la nationalité de la personne concernée au moment du changement. Le cas où une même personne a plusieurs nationalités requiert que l’on examine si, parmi celles-­‐ci, figure ou non la nationalité belge (3 §2 C. DIP)119. e. L’absence Le conflit de juridictions est réglé par le Code de DIP (40) : es juridictions belges sont compétentes si l’absent est de nationalité belge, s’il avait sa résidence habituelle en 119
Voy. supra, p. 52 et s. les très importants arrêts GARCIA AVELLO, GRUNKIN PAUL et ILONKA VON SAYN-­‐
WITTGENSTEIN de la Cour de Justice. Itsiq Benizri 95 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Belgique au moment de sa disparition, ou si l’action concerne des biens de l’absent qui sont situés en Belgique lors de l’introduction de la demande. Le conflit de lois est réglé par le Code de DIP (41) : l’absence est régie par la loi de la nationalité de l’absent ou, à titre subsidiaire, la loi de la résidence habituelle de la personne absente lorsque la loi de sa nationalité ne connaît pas le mécanisme de l’absence et ses conséquences juridiques. L’administration provisoire de ses biens est réglée par la loi de l’Etat de sa résidence principale ou, si cette loi ne permet pas de l’organiser, par la loi belge. 2. Les relations familiales Cette section examine la question du conflit de juridictions et de lois dans le cadre de la promesse de mariage et du mariage lui-­‐même. a. La promesse de mariage Le Code de DIP ne prévoit aucune règle spécifique en matière de conflit de juridictions pour la promesse de mariage. Il faut donc appliquer les règles générales du Code. En revanche, le Code de DIP prévoit une règle spécifique pour déterminer la loi applicable (45). C’est un système de rattachement en cascade : la promesse de mariage est régie par la loi de l’Etat de résidence habituelle commune des futurs époux au moment de la promesse ou, à défaut, par la loi de la nationalité commune des futurs époux ou, à défaut, dans les autres cas, par la loi belge. b. Le mariage Les autorités belges sont compétentes pour célébrer le mariage si l’un des futurs époux a la nationalité belge, s’il a son domicile en Belgique, ou s’il a sa résidence habituelle depuis au moins trois mois en Belgique (44 C. DIP) Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant le mariage ou ses effets si l’un des époux a sa résidence habituelle en Belgique au moment de l’introduction de la demande et pour autant que celle-­‐ci soit conjointe, si la résidence habituelle commune des époux se situait en Belgique, moins de douze mois avant l’introduction de la demande, si l’époux demandeur a sa résidence habituelle en Belgique depuis plus de douze mois lors de l’introduction de la demande, ou si les deux époux ont la nationalité belge lors de l’introduction de la demande (42). La loi applicable aux conditions de forme du mariage est celle du lieu de célébration du mariage (locus regit actum – 47 §1 C. DIP). Le Code de DIP donne des exemples des matières que cette loi régit (47 §2 C. DIP). La loi applicable aux conditions de fond du mariage est celle de la loi nationale de chaque époux et pour chaque époux (46 C. DIP). Si l’une des dispositions de l’une de ces Itsiq Benizri 96 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 lois interdit le mariage homosexuel, cette loi est écartée à condition que l’un des futurs époux ait la nationalité d’un Etat qui autorise le mariage homosexuel ou sa résidence habituelle dans un tel Etat. La loi applicable aux effets personnels120 du mariage est celle du lieu de l’Etat où chacun des deux époux a sa résidence habituelle ou, à défaut, celle de la nationalité des époux si celle-­‐ci est commune ou, à défaut, la loi belge (48 §1 C. DIP). Le Code donne quelques exemples des matières que cette loi régit (48 §2 C. DIP). Par dérogation, les questions relatives aux droits des époux sur le logement principal de la famille et les meubles qui le garnissent sont régies par la loi du lieu de situation de cet immeuble121 (48 §3 C. DIP). c. Le régime matrimonial122 Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant le régime matrimonial, si en cas de demande conjointe, l’un des époux a sa résidence habituelle en Belgique lors de l’introduction de la demande, si la dernière résidence habituelle commune des époux se situait en Belgique moins de douze mois avant l’introduction de la demande, si l’époux demandeur a sa résidence habituelle depuis douze mois au moins en Belgique lors de l’introduction de la demande ou si les époux sont belges lors de l’introduction de la demande (42 C. DIP). La loi applicable au régime matrimonial est déterminée selon que les parties en ont choisie une ou non. Les époux peuvent choisir la loi applicable à leur régime matrimonial, avant ou pendant le mariage, mais ce choix est restreint : Ils ne peuvent choisir que la loi de l’Etat sur le territoire duquel ils fixeront pour la première fois leur résidence habituelle commune, la loi de l’Etat de la résidence habituelle de l’un des époux au moment du choix ou la loi de l’Etat de la nationalité de l’un des époux au moment du choix (49 C. DIP). Si les époux choisissent la loi applicable, ils doivent lui soumettre l’ensemble du régime matrimonial. 120
Cette disposition ne vise donc pas les questions relatives aux régimes matrimoniaux, comme la solidarité des époux pour les dettes contractées par l’un d’eux (49-­‐54 C. DIP). Elle vise toutefois certains effets patrimoniaux, comme la perception des revenus ou la contribution des époux aux charges du ménage. 121
Cette question ne vise donc pas les questions relatives à la liquidation du régime matrimonial. 122
Les dispositions du Code de DIP relatives à la loi applicable en matière de régime matrimonial ne s’appliquent qu’aux mariages formés à partir de l’entrée en vigueur du Code, soit le 1er octobre 2004. Pour les mariages formés avant cette date, la loi applicable était et est toujours déterminée par l’article 3 §3 du Code civil, soit la loi nationale commune des deux époux au moment du mariage ou, à défaut, la loi de la première résidence habituelle commune des époux et ce, sauf changement du régime matrimonial, auquel cas une nouvelle loi pouvait trouver à s’appliquer. Itsiq Benizri 97 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Ils peuvent également modifier la loi applicable pour l’avenir uniquement, ou rétroactivement, mais alors à la condition de ne pas porter atteinte aux droits des tiers (50 C. DIP). Si les époux n’ont pas choisi la loi applicable à leur régime matrimonial, la loi applicable est celle de l’Etat où les époux fixent leur première résidence habituelle commune ou, à défaut, la loi de la nationalité commune des époux, ou, à défaut, la loi du lieu de célébration du mariage (51 C. DIP). Le Code établit une liste non exhaustive des matières que la loi applicable au régime matrimonial régit (53 C. DIP). La loi applicable à la forme du choix du régime matrimonial est la loi applicable au régime matrimonial ou à la loi de l’Etat du lieu du choix (locus regit actum facultative – 52 C. DIP). Le Code prévoit toutefois une règle de droit matériel : quelle que soit la loi applicable, le choix devra toujours faire l’objet d’un écrit daté et signé par les deux époux (52 C. DIP). Si les parties changent de régime matrimonial, la forme de ce changement est régie par la loi du lieu où elle est effectuée (locus regit actum obligatoire – 52 §2 C. DIP). Notez enfin que le Code prévoit un système de protection des tiers (54 C. DIP). d. Le divorce La règle de conflit de juridictions est déterminée par le Règlement Bruxelles II bis. Le Règlement Bruxelles II bis prévoit de nombreux critères alternatifs : la nationalité commune des époux ou la résidence habituelle, qu’il s’agisse de la résidence habituelle et commune des époux, de leur dernière résidence si l’un d’eux y réside encore, de la résidence habituelle de l’un ou l’autre des époux en cas de demande conjointe, de la résidence habituelle du défendeur, ou de la résidence habituelle du demandeur s’il y réside depuis au moins un an avant l’introduction de la demande ou six mois s’il a aussi la nationalité de cet Etat123 (3,1°). Vu le nombre important de juridictions pouvant être saisies, et vu la règle de litispendance européenne qui oblige tout juge de surseoir à statuer si un juge à été saisi avant lui, il résulte de cette règle un forum shopping important. Dans son arrêt HADADI (2009), la Cour de Justice a jugé que bien que ce système encourage le forum shopping, il n’est pas contraire aux objectifs du Règlement, à savoir faciliter l’accès à la justice. 123
Certains auteurs estiment que cette différence de délai basée sur la nationalité du demandeur est discriminatoire. Itsiq Benizri 98 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le défendeur intégré à l’UE, c’est-­‐à-­‐dire le défendeur ayant sa résidence habituelle dans un Etat membre ou étant ressortissant d’un Etat membre, se voit appliquer les dispositions du Règlement de manière exclusive (6). Le défendeur qui n’est pas intégré à l’UE et pour lequel aucune des juridictions d’un Etat membre n’est compétente sur base des dispositions du Règlement, voit la compétence du juge se déterminer sur base des règles nationales (7). Les effets des jugements sont reconnus de plein droit, et leur exécution bénéficie d’une procédure simplifiée. La question se pose de savoir s’il faut reconnaître ou non la répudiation. Le Code de DIP prévoit que la Belgique ne reconnaît pas la répudiation, à moins que l’acte ait été homologué par une juridiction, qu’aucun époux n’avait la nationalité d’un Etat qui ne reconnaît pas la répudiation, qu’aucun époux n’avait sa résidence habituelle dans un Etat qui ne la reconnaît pas lors de l’homologation, et que la femme ait accepté de manière certaine et sans contrainte la répudiation (57 C. DIP). Le fait qu’un juge contrôle le respect des droits de l’épouse au cours de la procédure et la sanctionne ne lui enlève pas la qualification de répudiation, dès lors que cette procédure n’est ouverte qu’à l’époux, et non à l’épouse (Cour d’appel de Bruxelles, 2006). Enfin, le khol, qui est une procédure de droit musulman introduite par l’épouse qui peut mettre fin au mariage en payant une compensation à son époux, n’est pas une forme de répudiation. La loi applicable au divorce est déterminée par le Règlement Rome III, applicable depuis le 21 juin 2012 aux divorces après cette date. Il ne s’applique pas aux matières périphériques au divorce lui-­‐même (1, Rome III). Le Règlement Rome III ne lie pas tous les Etats membres (1, Rome III). Cela étant, le Règlement Rome III a un champ d’application universel. Enfin, notez que le Règlement exclut expressément la théorie du renvoi. La loi applicable varie selon que les époux en ont choisi une ou non. Les époux peuvent choisir la loi applicable au divorce, mais leur choix est limité à la résidence, ou la dernière résidence à condition que l’un y vive encore, de la nationalité de l’un des époux, ou la loi du for (Rome III). Ce choix peut être fait jusqu’à une certaine date, ou au cours de la procédure, mais uniquement, dans ce dernier cas, si le droit national le permet. Itsiq Benizri 99 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Pour exprimer valablement un choix quant à la loi applicable, les époux doivent établir un acte qu’ils ont eux-­‐mêmes écrit, daté et signé. S’ils ont leur établissement dans un Etat membre, ils doivent respecter le formalisme de cet Etat (locus regit actum obligatoire) ou, si leur résidence habituelle est dans deux Etats différents, c’est celui de l’un ou l’autre de ces Etats (locus regit actum facultatif). Si les époux n’ont pas choisi la loi applicable au divorce, la loi applicable est la loi de l’Etat où les époux ont leur résidence habituelle, ou, à défaut, la loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle commune des époux si l’un d’eux y réside encore et que cette résidence n’ait pas pris fin depuis plus d’un an ou, à défaut, de la loi de l’Etat de la nationalité commune des époux ou, à défaut, la loi de l’Etat dont la juridiction est saisie (55 §1 C. DIP). Toutefois, si les époux veulent convertir une séparation de corps en divorce, la loi applicable à la conversion est celle qui régissait la séparation de corps, sauf choix différent des époux. En cas de pluralité de nationalités, il faut avoir égard aux règles prévues par la loi du for, mais dans le respect des règles de droit européen, ce qui fait clairement référence à la jurisprudence GARCIA AVELLO (considérant n°22, Rome III). Il existe trois dérogations à ces règles : • La loi désignée est écartée lorsqu’elle est manifestement incompatible avec la loi du juge saisi (exception d’ordre public international) ; • La loi du for s’applique lorsque la loi désignée ne prévoit pas le divorce ou n’accorde pas à l’un des époux une égalité d’accès au divorce en raison de son sexe ; • Aucune disposition du Règlement n’oblige le juge d’un Etat membre dont la loi ne prévoit pas le divorce ou le prévoit mais ne considère pas qu’il y mariage valable124 à prononcer le divorce (13, Rome III). e. Les relations de vie commune Les relations de vie commune sont définies comme toute situation de vie commune donnant lieu à enregistrement par une autorité publique et ne créant pas, entre les cohabitants, de lien équivalent au mariage (58 C. DIP). Quant à la compétence administrative, le Code de DIP prévoit que l’enregistrement de la conclusion de la relation de vie commune ne peut avoir lieu en Belgique que lorsque les parties y ont leur résidence habituelle commune au moment de la conclusion, et que l’enregistrement de la cessation de cette relation ne peut avoir lieu en Belgique que lorsque la conclusion de la relation a été enregistrée en Belgique (59 C. DIP). 124
Par exemple, dans le cas où le divorce serait demandé d’un couple homosexuel marié en Belgique serait demandé en Allemagne. Itsiq Benizri 100 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Quant à la compétence judiciaire, les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande portant sur la validité ou les effets d’une relation de vie commune, même si elle a été enregistrée à l’étranger, si en cas de demande conjointe, l’un des époux a sa résidence habituelle en Belgique lors de l’introduction de la demande, si la dernière résidence habituelle commune des époux se situait en Belgique moins de douze mois avant l’introduction de la demande, si l’époux demandeur a sa résidence habituelle depuis douze mois au moins en Belgique lors de l’introduction de la demande ou si les époux sont belges lors de l’introduction de la demande (59 et 42 C. DIP). Quant à la loi applicable, il s’agit de celle de l’Etat sur le territoire duquel il y a eu le premier enregistrement (60 C. DIP). f. La filiation biologique Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande concernant l’établissement ou la contestation de paternité ou de maternité si, lors de l’introduction de la demande, l’enfant a sa résidence en Belgique, ou si la personne dont la paternité ou la maternité est invoquée ou contestée a sa résidence habituelle en Belgique, ou si l’enfant et la personne dont la paternité ou la maternité est invoquée ou contestée ont la nationalité belge (61 C. DIP). La loi applicable aux demandes concernant l’établissement ou la contestation de paternité ou de maternité est celle de la nationalité de cette personne au moment de la naissance de l’enfant, ou au moment où l’acte de reconnaissance est posé en cas d’établissement volontaire de la filiation (62 C. DIP). La loi applicable aux demandes concernant l’établissement ou la contestation de paternité ou de maternité est celle de la nationalité de cette personne au moment de la naissance de l’enfant, ou au moment où l’acte de reconnaissance est posé en cas d’établissement volontaire de la filiation (62 §2 C. DIP). La loi applicable aux conflits de filiation est fonction de la raison qui motive la pluralité de filiations (62 §2 C. DIP) : • En cas de pluralité de filiations en raison d’un lien de filiation établi de plein droit et un lien de filiation découlant d’un acte volontaire, primauté est donnée à la loi qui régit le premier lien (al.1) ; • En cas de pluralité de filiation en raison de deux filiations établies de plein droit, primauté est donnée à la loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits (al.1) ; • En cas de pluralité de filiations en raison de deux filiations découlant d’un acte volontaire, primauté est donnée à la loi qui régit la première reconnaissance (al.2). Itsiq Benizri 101 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 La loi applicable au consentement de l’enfant est celle de la nationalité de l’auteur, ou de la résidence habituelle de l’enfant si la première n’exige pas le consentement de l’enfant et n’en prévoit pas les modalités (62 §1 al.2). La loi applicable aux effets de la filiation est fonction de la matière dans laquelle elle s’insère : autorité parentale, nom, obligation alimentaires, ou droits successoraux125. Le Code dresse une liste non exhaustive des matières que le droit applicable à la législation régit (63 C. DIP). Par ailleurs, il faut noter que la loi étrangère pourra toujours être écartée si elle est contraire à l’ordre public international belge. Enfin, le Code prévoit qu’un acte de reconnaissance peut être établi en Belgique si l’auteur est belge, est domicilié ou a sa résidence habituelle en Belgique, ou si l’enfant est né en Belgique, ou s’il y a sa résidence habituelle (64 et 65 C. DIP). L’acte de reconnaissance est établi selon les formalités prévues par la loi applicable à la filiation, c’est-­‐à-­‐dire par la loi de la nationalité de l’auteur, ou par la loi de l’Etat sur le territoire duquel il est établi (locus regit actum facultatif). g. La filiation adoptive Le Code de DIP prévoit des règles de compétences exclusives pour l’établissement de l’adoption et la conversion d’une adoption simple en adoption plénière ou pour la révocation d’une adoption (66 C. DIP). Ainsi, pour l’établissement de l’adoption, les juridictions belges sont seules compétentes uniquement si l’un des adoptants ou l’adopté est belge ou a sa résidence habituelle en Belgique lors de l’introduction de la demande. Pour la conversion d’une adoption simple en adoption plénière, ou pour la révocation d’une adoption, les juridictions belges sont seules compétentes aux mêmes conditions, auxquelles il faut ajouter l’établissement de l’adoption prononcée par un tribunal en Belgique. La reconnaissance des décisions étrangères en matière d’adoption se fait de plein droit, mais elle peut être contestée devant le juge belge qui la refusera si elle ne respecte pas les conditions générales de reconnaissance du Code de DIP, ou si elle ne respecte pas les conditions spécifiques à la matière, à savoir le respect des formalités locales d’adoption et l’absence de contrariété à l’ordre public international, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant. La loi applicable à l’établissement de la filiation adoptive est celle de la nationalité de l’adoptant ou de la nationalité commune des adoptants ou, à défaut, de la résidence habituelle de l’un et l’autre des adoptants ou, à défaut, la loi belge (67 C. DIP). 125
A cet égard, il est donc renvoyé aux sections concernées. Itsiq Benizri 102 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Il existe toutefois un certain nombre d’atténuations et de dérogations à ce principe général. Ainsi, la loi étrangère désignée est écartée au profit du droit belge si elle nuirait manifestement à l’intérêt de l’adopté et que les adoptants ont des liens manifestement plus étroits avec la Belgique (exception d’ordre public international – 67 al.3 C. DIP). De plus, les consentements de l’adopté et/ou de ses parents biologiques/représentants légaux sont régis par le droit de l’Etat sur le territoire duquel l’adopté a sa résidence habituelle. Toutefois, si le droit étranger ignore l’adoption ou ne prévoit pas l’exigence de consentement de l’adopté, le droit belge s’applique (exception d’ordre public international – 68 C. DIP). Par ailleurs, les règles d’application immédiate belges (lois de police) doivent être respectées si l’adoption est réalisée en Belgique : les adoptants doivent être aptes à adopter pour de justes motifs, le consentement de l’adopté est requis s’il a plus de 12 ans, et les consentements des père et mère naturels le sont également en cas d’adoption plénière. Enfin, il faut observer que la Convention de La Haye de 1993126 règle certaines questions en matière d’adoptions internationales : un système d’échange d’informations et de certificats entre Etat d’origine et Etat de destination est organisé afin de garantir les consentements requis et le respect de l’intérêt de l’enfant. Si ces formalités sont respectées, la décision de l’adoption est automatiquement reconnue dans les autres Etats contractants. h. Les obligations alimentaires La compétence des juridictions en la matière est établie par le Règlement obligations alimentaires127. Divers chefs alternatifs de compétence sont prévus : la résidence habituelle du défendeur ou du créancier d’aliments (3), la compétence accessoire du juge compétent selon le droit national pour connaître d’une demande relative à l’état des personnes ou d’une action relative à la responsabilité parentale, à moins que cette compétence ne se fonde que sur la nationalité des parties (3), les clauses d’élection de for, sous certaines conditions (4), la comparution volontaire du défendeur (5), ou encore le forum necessitatis, soit la règle fondée sur la nécessité qui permet de saisir un juge de l’UE en l’absence de juge compétent à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE (7). Notez que le Règlement prévoit des règles relatives à la litispendance (12), à la connexité (13), et aux mesures provisoires (14). 126
Convention de La Haye de 1993 sur la protection internationale des enfants et la coopération internationale en matière d’adoption, en vigueur depuis le 1er septembre 2005. 127
Règlement n°4/2009, dit obligations alimentaires, et applicable depuis le 18 juin 2011. Itsiq Benizri 103 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Les jugements rendus en matière d’obligations alimentaires dans un autre Etat membre de l’UE bénéficient d’une reconnaissance et d’une exécution automatique. Aucun exequatur n’est donc exigé : le créancier d’aliments dispose d’un Titre Exécutoire Européen (TEE). Le défendeur qui n’a pas comparu dans l’Etat membre d’origine peut demander un réexamen de la décision devant la juge de cet Etat membre (19). Le Règlement prévoit des motifs de refus ou de suspension temporaire de l’exécution. La loi applicable aux obligations alimentaires est la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments (15 Règlement, 3,1° Protocole de La Haye du 23 novembre 2007). 3. Les successions Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière successorale si le défunt avait sa résidence habituelle en Belgique au moment de son décès, ou si la demande porte sur des biens situés en Belgique lors de son introduction (77 C. DIP). La loi applicable varie selon qu’il s’agit d’une succession ab intestat128 (a) ou d’une succession testamentaire (b). Le régime actuel est toutefois appelé à être remplacé par un nouveau Règlement à partir de 2015 (c). a. Succession ab intestat La loi applicable à la succession mobilière est celle de la dernière résidence habituelle du défunt (78 §1 C. DIP). La loi applicable à la succession immobilière est celle du lieu où l’immeuble se situe (78 §2 al.1 C. DIP). Toutefois, si la loi de l’Etat étranger où se situe l’immeuble a pour effet de rendre applicable la loi de l’Etat sur le territoire duquel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès, c’est cette dernière qui s’applique (théorie du renvoi – 78 §2 al.2 C. DIP). Les biens meubles sont réputés être situés au lieu de la résidence habituelle du défunt au moment du décès (80 §2 C. DIP) ; les biens immeubles, au lieu où ils se situent. Le Code établit une liste non exhaustive des matières que la loi applicable à la succession régit (80 C. DIP). La loi applicable au règlement du passif successoral n’est pas réglée par le Code en cas de pluralité de masses successorales. La question de la contribution à la dette est irrésolue. Quant à la question de l’obligation à la dette, on sait au moins que la réponse du fait que l’on considère la succession comme une universalité à l’égard des créanciers ou non. Dans le premier cas, chaque masse est tenue de la totalité du passif, et les 128
C’est-­‐à-­‐dire une succession légale, telle qu’elle esrt régie par la loi en l’absence de testament. Itsiq Benizri 104 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 créanciers peuvent donc s’adresser à n’importe quelle masse pour demander le paiement total des dettes, quelle que soit la loi applicable à la masse successorale visée. Dans le second cas, chaque masse n’est tenue qu’à une part de la dette proportionnelle à l’actif. b. Succession testamentaire Une personne peut choisir la loi applicable à l’ensemble de sa succession, mais il est limité en ce sens qu’il ne produira ses effets qu’à la condition que, au moment de son choix ou de son décès, cette personne possédait la nationalité de l’Etat dont elle a choisi la loi ou y avait sa résidence habituelle (79 C. DIP). Les dispositions testamentaires sont interprétées selon les règles de la loi choisie par le testateur pour régir sa succession (84 C. DIP). Si le défunt a rédigé un testament sans choisir la loi qui lui serait applicable, ses dispositions testamentaires seront interprétées suivant la loi de l’Etat avec lequel elles présentent les liens les plus étroits. Cet Etat étant présumé être, jusqu’à preuve du contraire, celui sur le territoire duquel le défunt avait sa résidence habituelle au moment où il a rédigé la disposition en cause. Par ailleurs, le choix de la loi applicable ne peut pas avoir pour effet de priver un héritier de la réserve que lui assure la loi régissant la succession ab intestat. A défaut de choix de la loi applicable, on applique la loi régissant la succession ab intestat. Le Code établit une liste non exhaustive des matières que la loi applicable à la succession régit (80 C. DIP). Enfin, une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-­‐ci répond aux formes prévues par la loi du lieu où le testateur a rédigé son testament, par la loi de la nationalité du testateur, par la loi du lieu où le testateur avait son domicile ou sa résidence habituelle ou, pour les immeubles uniquement, par la loi du lieu où ceux-­‐ci se situent (83 C. DIP, Convention de La Haye du 5 octobre 1961129). On s’efforce ainsi de ne pas considérer le testament comme non valable (favor testamenti). c. Le « Règlement successoral européen » ou « Règlement sur les successions transfrontières » L’Union européenne a adopté un Règlement que l’on appelle Règlement successoral européen ou Règlement sur les successions transfrontières le 4 juillet 2012130. 129
Le principe qui sous-­‐tend cette Convention est le favor testamenti : il consiste à assurer de la manière la plus large possible la validité des dispositions testamentaires quant à leur forme. 130
Le nom complet du Règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 n’est jamais exprimé en pratique, pour la simple et bonne raison qu’il est interminable et particulièrement indigeste. Le voici, pour information : « Règlement relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen ». Ci-­‐après, dans et pour cette section, je l’appelle simplement « le Règlement ». Itsiq Benizri 105 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Ce Règlement s’applique dans tous les Etats membres de l’Union, à l’exception du Royaume-­‐Uni, de l’Irlande, et du Danemark (considérants 82 et 83131). Il ne s’applique qu’aux successions, à l’exclusion des matières fiscales, douanières et administratives132 (1). Le Règlement est applicable aux successions ouvertes après le 16 août 2015. Dans le système du Règlement, la compétence du juge varie selon que le défunt avait sa dernière résidence habituelle dans ou en dehors de l’Union. Si le défunt avait sa dernière résidence habituelle dans l’Union (4), les tribunaux compétents pour connaître de toutes les questions successorales sont ceux de l’Etat membre dans lequel elle se trouvait. Le principe d’effectivité gouverne la matière : lorsque la masse successorale comprend des actifs dans un Etat extérieur à l’Union, le juge peut décider de ne pas statuer sur ces biens si l’on peut s’attendre à ce que sa décision n’y sera pas reconnue ou exécutée (12). Si le défunt avait sa dernière résidence en dehors de l’Union, les juridictions de l’Etat membre dans lequel sont situés des bien successoraux sont compétents pour statuer sur l’ensemble des biens successoraux, si le défunt avait la nationalité de cet Etat membre au moment de son décès, ou s’il y avait sa résidence habituelle antérieure, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle (10). Le Règlement prévoit également une règle de forum necessitatis : lorsque aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu du Règlement, les juridictions d'un État membre peuvent, dans des cas exceptionnels et à condition que l’affaire présente un lien suffisant avec cet Etat membre, statuer sur la succession si une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers133 avec lequel l'affaire a un lien étroit (11). Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure (39). Dans le système du Règlement, la loi applicable varie selon que le défunt en avait choisie une ou non. 131
Ces considérants renvoient à ceux du Règlement successoral européen. Les numéros indiqués en gras et entre parenthèses ci-­‐après, dans cette section, renvoient aux articles correspondants de ce Règlement. 132
Sont donc notamment exclus du champ d’application du Règlement les régimes matrimoniaux, les droits réels, et le fonctionnement des registres fonciers. La liste des matières exclues du champ d’application du Règlement est fixée en son article premier. Il y est donc renvoyé. 133
Dans le langage du Règlement, un “Etat tiers” désigne un Etat qui n’est pas membre de l’UE. Itsiq Benizri 106 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 A cet égard, il convient de rappeler que le Règlement a un champ d’application universel : Il s’applique donc à toute loi qu’il désigne, même si cette loi n’est pas celle d’un Etat contractant (20). Si le défunt n’a pas choisi la loi qu’il souhaitait voir s’appliquer à sa succession, toute la masse de la succession est soumise à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt (21). Il n’y a donc plus de morcellement de la succession, comme c’est le cas du fait de l’application des règles du Code de DIP. C’est l’innovation majeure du Règlement. Cette règle générale se voit toutefois accompagnée d’une clause d’exception (21 §2) : la loi de la résidence habituelle du défunt est écartée à titre exceptionnel s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du critère de la dernière résidence habituelle. Dans ce cas, la loi applicable à la succession serait celle de cet autre État. Le Règlement ne définit pas la notion de « résidence habituelle du défunt », mais son préambule permet de s’en faire une idée. Ainsi, afin de déterminer la résidence habituelle, l'autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l'État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du Règlement (considérant 23). Dans le cas où le défunt était parti vivre à l’étranger dans un autre Etat que son Etat d’origine pour des raisons professionnelles ou économiques, la dernière résidence habituelle peut être celle de son Etat d’origine dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale (considérant 24). Dans le cas où un défunt vivait de façon alternée dans plusieurs Etats ou voyageait d’un Etat à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un Etat, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l'appréciation globale de toutes les circonstances de fait si le défunt était ressortissant de l'un de ces États ou y avait l'ensemble de ses principaux biens (considérant 24). Le défunt peut choisir la loi qu’il souhaite voir s’appliquer à sa succession, mais ce choix est limité à la loi de sa nationalité au moment de son décès (22 §1, al.1). Si le testateur a plusieurs nationalités, il peut choisir la loi de tout État dont il possède la nationalité au moment où il fait ce choix ou au moment de son décès (22 §1, al. 2). Itsiq Benizri 107 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Le choix de la loi applicable par le testateur peut être formulé de manière expresse ou implicite, en ce qu’il résulterait des termes du testament (22 §2). Il n’y a pas, dans le Règlement, au contraire de ce que l’on trouve dans le Code de DIP, de règle visant à sauvegarder la réserve des héritiers réservataires. Le Règlement admet une application très limitée du renvoi (34). Il comprend également une règle de conflit alternative quant à la validité formelle du testament (27 – favor testamenti). Le Règlement comporte encore une exception d’ordre public international (35). A cet égard, la question ne manquera certainement pas de savoir si la réserve relève de l’ordre public international ou non. Enfin, notez que le Règlement crée un certificat successoral européen qui permet aux héritiers de faciliter l’établissement de leur qualité d’héritier dans l’UE (63). 108 Itsiq Benizri Droit international privé 2012 -­‐ 2013 Table des matières INTRODUCTION GENERALE 1 1. A. B. C. 2. A. B. C. NOTIONS DE BASE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE 1 NOTION DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE DOMAINE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE DEUX CONCEPTIONS DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE : UNIVERSALISTE ET PARTICULARISTE 1 1 2 SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE 3 LES SOURCES INTERNATIONALES LES SOURCES EUROPEENNES LES SOURCES NATIONALES 3 4 7 PARTIE I -­‐ REGLES GENERALES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE 9 LES CONFLITS DE JURIDICTION 9 1. INTRODUCTION 2. LA COMPETENCE INTERNATIONALE 3. L’EFFET DES JUGEMENTS 4. LES PROCEDURES EUROPEENNES SIMPLIFIEES 5. LE REGIME DU REGLEMENT BRUXELLES I 1) LE CHAMP D’APPLICATION DU REGLEMENT RATIONE MATERIAE 2) LE CHAMP D’APPLICATION DU REGLEMENT RATIONE LOCI 3) LE CHAMP D’APPLICATION DU REGLEMENT EN MATIERE D’EFFET DES DECISIONS 4) PERSPECTIVES D’AVENIR ET REGLES UNIFORMES DU REGLEMENT 6. LE SYSTEME DE COMPETENCES DU REGLEMENT BRUXELLES I 1) PREMIER NIVEAU : COMPETENCE EXCLUSIVE (22) 2) DEUXIEME NIVEAU : COMPARUTION VOLONTAIRE DU DEFENDEUR (24) 3) TROISIEME NIVEAU : COMPETENCES PROTECTRICES (8, 15 ET 18) 4) QUATRIEME NIVEAU : LES CLAUSES ATTRIBUTIVES DE JURIDICTION/CLAUSES D’ELECTION DE FOR (23) 5) CINQUIEME NIVEAU : LES COMPETENCES ORDINAIRES, SPECIALES OU DERIVEES (2, 5, ET 6) 9 9 10 10 11 REGLES GENERALES DE DROIT COMMUN : CODE DE DIP 38 1. LE FOR DU DEFENDEUR (5) 2. LE FOR DE LA SUCCURSALE 3. CLAUSES ATTRIBUTIVE DE JURIDICTION (6 ET 7) 4. COMPARUTION VOLONTAIRE DU DEFENDEUR SANS CONTESTATION DE COMPETENCE (6§1, AL.2) 5. EN CAS DE DEMANDE RECONVENTIONNELLE, EN INTERVENTION OU EN GARANTIE (8) 6. EN CAS DE SIMPLE CONNEXITE ENTRE CAUSES 7. LA COMPETENCE FONDEE SUR LE DENI DE JUSTICE (11) 8. REGLES DE COORDINATION A. LES MESURES PROVISOIRES (10) B. LITISPENDANCE (14) C. COMPETENCE INTERNE (13) 38 38 39 39 39 39 40 40 11 14 15 15 15 16 19 20 20 23 40 40 40 Itsiq Benizri 109 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 L’EFFET DES JUGEMENTS : RECONNAISSANCE ET EXECUTION 41 1. 2. 3. 4. A. B. C. 5. A. B. C. D. E. F. G. LE PRINCIPE FONDAMENTAL DE BRUXELLES I LA RECONNAISSANCE DES JUGEMENTS L’EXECUTION DES JUGEMENTS MOTIFS DE REFUS DE RECONNAISSANCE ET D’EXECUTION DES JUGEMENTS (34) 41 41 41 42 CONTRARIETE MANIFESTE A L’ORDRE PUBLIC DE L’ETAT REQUIS VIOLATION DES DROITS DE LA DEFENSE DANS LE CADRE D’UN JUGEMENT RENDU PAR DEFAUT CONTRARIETE MANIFESTE A L’ORDRE PUBLIC DE L’ETAT REQUIS 42 42 42 REGIME DE DROIT COMMUN DU CODE DE DIP 43 CONTRARIETE MANIFESTE A L’ORDRE PUBLIC VIOLATION DES DROITS DE LA DEFENSE FRAUDE A LA LOI NORMALEMENT APPLICABLE INCONCILIABILITE DES DECISIONS CONTROLE DE LA COMPETENCE INDIRECTE RECOURS ORDINAIRE DANS L’ETAT D’ORIGINE SAISINE ETRANGERE POSTERIEURE MAIS SIMULTANEE A UNE SAISINE BELGE 43 43 43 44 44 44 44 LES PROCEDURES EUROPEENNES SIMPLIFIEES 45 1. LES REGLEMENTS PORTANT LES PROCEDURES SIMPLIFIEES A. REGLEMENT SUR LE TITRE EXECUTOIRE EUROPEEN DU 21 AVRIL 2004 (TEE) B. REGLEMENT SUR LA PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER EUROPEENNE DU 12 DECEMBRE 2006 C. REGLEMENT CONCERNANT LA PROCEDURE EUROPEENNE DE REGLEMENT DES PETITS LITIGES DU 11 JUILLET 2007 2. L’ASSISTANCE JUDICIAIRE INTERNATIONALE A. SIGNIFICATION DES ACTES JUDICIAIRES A L‘ETRANGER B. OBTENTION DES PREUVES A L’ETRANGER 45 THEORIE GENERALE DES CONFLITS DE LOIS 49 1. A. B. C. 2. A. B. C. 3. 4. A. B. C. D. DIVERSITE DES METHODES DE SOLUTION 49 LA METHODE BILATERALE, DITE EGALEMENT METHODE SAVIGNIENNE LA METHODE UNILATERALE LA METHODE COMMUNAUTAIRE 49 49 50 LA REGLE DE CONFLIT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE BELGE ET EUROPEEN 50 LES CATEGORIES DE RATTACHEMENT LA QUALIFICATION LE FACTEUR DE RATTACHEMENT 50 51 52 L’APPLICATION D’OFFICE DE LA REGLE DE CONFLIT ET DU DROIT ETRANGER LES MECANISMES CORRECTEURS 57 57 LA CLAUSE D’EXCEPTION LA FRAUDE A LA LOI L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL LES LOIS DE POLICE 57 57 58 59 45 45 46 46 46 47 Itsiq Benizri 110 Droit international privé 2012 -­‐ 2013 PARTIE II 60 LES REGLES SPECIALES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVE 60 LA MATIERE CIVILE ET COMMERCIALE 60 1. 2. 3. 4. 5. LES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES LES PROCEDURES COLLECTIVES D’INSOLVABILITE LES PERSONNES MORALES LES BIENS ET TRUSTS 60 70 77 81 85 LA MATIERE DU STATUT PERSONNEL ET FAMILIAL 90 1. LE STATUT INDIVIDUEL A. L’ETAT ET LA CAPACITE B. L’AUTORITE PARENTALE C. LA TUTELLE ET LA PROTECTION DES INCAPABLES D. LES NOMS ET PRENOMS E. L’ABSENCE 2. LES RELATIONS FAMILIALES 3. LES SUCCESSIONS 90 90 91 94 95 95 96 104 111 Itsiq Benizri 

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