VIAGER Article IEIF – 2T14
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VIAGER Article IEIF – 2T14
No 68. 2e TRIMESTRE 2014 Gestion collective LES FONDS VIAGERS, DES PRODUITS D’ÉPARGNE OUVERTS À TOUS ? par Cécile Bouzoulouk et François Lemoine Fondateurs, Valcor Invest Le tassement des pensions de retraite, l’allongement de la durée de vie, les charges financières du quatrième âge…, les raisons sont nombreuses de voir le viager immobilier retrouver une nouvelle jeunesse. Mais quel viager ? Celui de nos grands-parents a fait long feu. Place aux fonds viagers en gestion collective ! Si toutefois on veut bien les rendre accessibles à tous les épargnants. V ieux de vingt siècles, inscrit dans le Code civil en 18041, le viager immobilier n’en demeure pas moins un marché confidentiel. Il représenterait moins de 1 % des transactions immobilières enregistrées en France, selon des sources statistiques au demeurant peu fiables. que les solutions existantes à la disposition des particuliers pour investir dans le viager sont soit dangereuses soit élitistes. Puis nous nous attarderons sur les solutions trouvées par les institutionnels pour investir de façon rentable et responsable sur le marché du viager. Le viager est pourtant une formidable solution patrimoniale pour les personnes âgées, qui leur permet tout à la fois d’améliorer le confort de leurs vieux jours, de sécuriser les revenus du conjoint survivant pour un couple, de transmettre par anticipation une partie du patrimoine aux enfants grâce à la perception d’un bouquet… Le tout en procédant aux adaptations nécessaires de leur cadre de vie habituel ! Nous nous efforcerons enfin de poser les bases d’un véhicule d’investissement mutualisé pour le grand public. Avec le ferme espoir de piquer la curiosité des organismes de gestion collective, particulièrement dans le contexte difficile de recherche de performance dans les supports d’investissement grand public. Le viager est donc au cœur des problématiques sociétales liées au vieillissement et s’inscrit naturellement dans le souhait sans arrêt réaffirmé des personnes âgées de « bien vieillir à domicile ». Il a toute sa place dans l’initiative gouvernementale de la filière « Silver économie »2. Il est également devenu l’objet de nombreuses attentions dans la presse et se trouve à l’origine de quelques initiatives institutionnelles, notamment le fonds spécialisé de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) annoncé avec le soutien bienveillant du gouvernement. LES SOLUTIONS D’INVESTISSEMENT EN VIAGER POUR LES PARTICULIERS Mais si les avantages des fonds de viagers paraissent clairs pour l’acheteur institutionnel, le particulier qui souhaite investir de façon sécurisée dans ce marché n’a pas encore la possibilité de le faire. Au travers de cet article, nous montrerons, dans un premier temps, 1. Articles 1968 et suivants du Code civil. 2. Filière économique au service des personnes âgées. 1. L’achat unique de gré à gré Dans une vente en viager traditionnelle, le vendeur continue d’habiter son propre logement jusqu’à la libération, et l’acheteur ne perçoit donc aucun loyer. L’acheteur n’acquiert et ne paie que la valeur occupée de l’immeuble. Les modalités d’acquisition sont les suivantes : l’acheteur paie une partie de la transaction au comptant (le bouquet) et la valeur résiduelle du prix est versée sous la forme d’une rente viagère, qui court jusqu’à la disparition du vendeur. C’est donc le crédirentier qui, comme son nom l’indique, fait crédit à l’acheteur à hauteur de la valeur économique de la rente qui lui est due. 49 50 IEIF RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES Gestion collective Le premier risque que l’acheteur en viager accepte de porter est un risque de fluctuation des prix inhérent à toute transaction immobilière. Le second risque est celui du viager à proprement parler, c’est-à-dire l’incertitude sur la durée du service de la rente (le risque « Jeanne Calment », crédirentière centenaire et un temps doyenne des Français). Le troisième risque est lié à l’indexation des rentes versées au crédirentier (le risque inflationniste) qui amplifie le risque viager. 2. L’investissement dans des « tours de table » très discrets Comme nous venons de le voir, l’achat individuel en viager peut être rémunérateur… au prix d’un grand aléa sur la rentabilité finale de l’opération. Pour réduire le risque de sur-longévité du vendeur, il existe une méthode simple en apparence : celle de la mutualisation qui permet de bénéficier d’un effet de diversification. En effet, plus on détient de biens acquis en viager, plus les lois statistiques se vérifient, et l’engagement de paiement des rentes dans la durée se trouve sécurisé. C’est ainsi que de nombreuses initiatives « spontanées » ont vu le jour dans cette mouvance, en dehors de toute réglementation. Des « placements privés » sont également proposés par des sociétés qui ne sont pas toujours conseils en investissement, encore moins sociétés de gestion de portefeuilles. Pour réduire le risque de surlongévité du vendeur, il existe une méthode simple en apparence : celle de la mutualisation On est ici totalement en dehors du cadre réglementaire de l’AMF1. L’investisseur dans ce type de produits n’est donc pas protégé et n’a aucune assurance sur l’expertise des promoteurs en matière de viager (qu’il s’agisse de la modélisation de la transaction ou du portefeuille envisagé) ou en matière de service des rentes viagères (sujet extrêmement technique dont les assureurs sont les vrais professionnels), sans parler du montage juridique très discutable de certains. Les sommes confiées à ces officines peuvent donc être entièrement perdues du fait d’une gestion indélicate ou non professionnelle. 3. L’investissement dans des produits financiers haut de gamme, non accessibles au grand public Face à ces offres d’investissement incontrôlées, il existe des produits d’investissement élaborés par quelques sociétés de gestion reconnues. On pense à « 123 Viager », la Sicav contractuelle de 123 Venture consacrée au viager, ou à « Silver Estate 1 », futur fonds professionnel spécialisé (ex-FCPR contractuel) de Périal. Ces produits ont été dûment déclarés à l’AMF (ils n’ont pas à être agréés comme les OPCVM grand public), et le sérieux des établissements qui les ont conçus est incontestable. Mais ils ont la particularité de ne s’adresser qu’aux « clients professionnels », anciennement désignés sous l’appellation d’investisseurs qualifiés ou d’inves- 1. Autorité des marchés financiers. 2. Désigne les investisseurs particuliers. tisseurs dont la souscription initiale est au moins de 30 000 € et qui ont occupé pendant au moins un an, dans le secteur financier, une position professionnelle leur ayant permis d’acquérir une connaissance de la stratégie mise en œuvre par l’OPCVM qu’ils envisagent de souscrire. Ce sont donc des véhicules d’investissement qui s’adressent à une fraction très restreinte des épargnants. De surcroît, ces fonds sont des produits financiers s’apparentant aux véhicules de placement en valeurs mobilières mais avec un sous-jacent immobilier. Ils constituent donc une catégorie hybride et peu lisible pour les investisseurs particuliers. Toutes ces raisons expliquent le développement relativement timide de ces fonds et les encours très faibles gérés. Il existe enfin des solutions « sur-mesure » qui ont été conçues pour des particuliers fortunés au travers des family-office ou des banques privées, mais il est difficile d’avoir des statistiques fiables sur ces placements privés. La cible de ces montages n’est clairement pas le retail2 auquel s’adressent les autres produits d’investissements immobiliers classiques. LES VIAGERS POUR LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS Le viager est une solution très attractive pour mobiliser le patrimoine immobilier des personnes âgées. L’allongement de la durée de vie, le déséquilibre des comptes publics et en particulier de l’assurance vieillesse, le désir accru des personnes âgées de vieillir à domicile plaident pour une forte augmentation de l’offre immobilière en viager dans un avenir proche. Face à cette évolution que tous les spécialistes du marché du viager anticipent, l’acheteur individuel est appelé à se marginaliser au profit des investisseurs institutionnels. Ces derniers sont, aujourd’hui, les seuls acteurs en mesure de « dépoussiérer » le marché du viager immobilier. En effet, dans le cadre du viager « intermédié » (offre professionnelle ou sociale), la relation interpersonnelle vendeur-acheteur disparaît et l’organisme acheteur confère à la transaction une garantie institutionnelle très sécurisante pour le vendeur. Les investisseurs institutionnels – assureurs, caisses de retraite, mutuelles en premier lieu – sont très sensibles aux problématiques du vieillissement tant d’un point de vue sociétal qu’en raison de l’impact sur leurs propres engagements financiers. Ils trouvent au travers des fonds de viagers une opportunité d’investissement alternative, décorrélée et socialement responsable. Ils peuvent percevoir une prime de risque attractive tout en neutralisant le risque viager par un effet de mutualisation (nos travaux théoriques No 68. 2e TRIMESTRE 2014 Gestion collective ont d’ailleurs étudié les seuils minima de mutualisation et indiquent qu’au-delà de 100 viagers, le risque lié à l’incertitude sur la durée du service des rentes est pratiquement neutralisé1). Trois fonds viagers. L’intérêt des investisseurs institutionnels pour les fonds de viagers commence donc à se matérialiser et on peut étudier in vivo un certain nombre d’initiatives écloses ces derniers mois. 51 viagers en tant que classe d’actifs à la fois rentable et socialement responsable. On ne peut que se féliciter de cette évolution/révolution du marché du viager et des perspectives intéressantes pour le financement du vieillissement et de la dépendance. Mais on peut regretter que rien n’ait été inventé pour permettre au grand public de participer à un pan du développement de l’investissement immobilier résidentiel, pourtant quelque peu en panne ces derniers temps. Inadaptation des véhicules traditionnels. La quesuLa première initiative sur le sujet du viager mutua- lisé est venue du monde mutualiste. Il s’agit de Coremimmo, une SCI détenue par l’UMR2 dotée de 40 millions d’euros pour la première tranche d’investissement. Seuls sont éligibles les sociétaires de l’UMR qui peuvent ainsi vendre leur logement et rester chez eux aussi longtemps que possible ou voulu. La vente en viager est ici un peu particulière car elle consiste en un paiement unique au moment de la transaction (100 % bouquet), sans rente servie par l’acquéreur. Cette solution laisse la possibilité au vendeur de transformer tout ou partie du capital reçu en rente viagère auprès d’un assureur et simplifie considérablement l’investissement pour le groupe mutualiste. uUne deuxième initiative notable vient du monde coopératif. Il s’agit du projet des Trois Colonnes, foncière de viager, lauréat du programme d’investissement d’avenir (PIA) cofinancé par la CDC qui propose d’acheter des biens en viager sous forme d’un bouquet et d’une rente viagère. Trois Colonnes fait appel aux investisseurs individuels pour un tiers de son financement, le reste se répartissant entre les fonds publics issus du PIA et le crédit coopératif. uEnfin, il convient de parler de l’initiative la plus notable : le fonds spécialisé lancé par la CDC et ses co-investisseurs pour un montant de 100 millions d’euros investis en viager occupé. Poussé par Henri Emmanuelli dès l’été, ce projet salué par le ministère de Mme Delaunay fait l’objet d’une mise en compétition auprès des sociétés de gestion de la place et propose, au travers d’un cahier des charges très exigeant, d’acquérir des viagers occupés auprès des personnes âgées (un portefeuille d’environ 600 biens devrait ainsi être constitué et cédé au fur et à mesure de la libération des biens). VERS UN VÉHICULE ADAPTÉ POUR LES PETITS ÉPARGNANTS ? Il semble donc qu’au travers de ces différents projets, un véritable intérêt des investisseurs institutionnels soit en train de naître et de grandir pour les fonds de tion à se poser est de savoir si les véhicules traditionnels de gestion collective en immobilier à destination du grand public (SCPI ou OPCI) sont adaptés à l’acquisition de biens en viager. Au premier abord, la réponse semblait négative pour plusieurs raisons : uCes fonds ont tous pour objet principal la location des biens immobiliers. Or, dans le cas du viager occupé, il y a bien un occupant mais il n’est pas locataire et ne procure aucun revenu au véhicule d’investissement. uDans ces fonds, l’acquisition spéculative n’est pas encouragée, bien au contraire : durée de détention minimum des actifs, taux de rotation des portefeuilles limité... Une stratégie de revente systématique des biens libérés exposerait un tel fonds viager au risque de requalification fiscale en marchand de biens, en dépit d’une durée de détention par définition aléatoire. uDe plus, l’acquisition des biens immobiliers selon les modalités traditionnelles du viager (avec paiement pour tout ou partie en rentes) entraîne un endettement difficilement maîtrisable. En effet, les rentes payées au crédirentier durant le reste de sa vie créent un engagement financier dans la durée pour le fonds dont l’estimation théorique est possible mais qui ne pourra être vérifiée qu’a posteriori. L’AMF considère que le levier ainsi généré dans le fonds est incompatible avec la souscription du grand public et classe donc ce type d’investissement dans les investissements alternatifs à réserver aux clients professionnels. Une solution : la SCPI de capitalisation. Une possibilité existe néanmoins pour permettre l’investissement retail dans le viager, celle qui s’appuie sur le véhicule immobilier préféré des épargnants : la SCPI de capitalisation. En effet, une SCPI de capitalisation à l’image de Pierre 48, pour n’en citer que l’exemple le plus connu, pourrait acquérir des logements en viager libre ou occupé, décider d’un paiement en 100 % bouquet sans service d’une rente viagère pour simplifier la gestion du fonds et éviter le levier au sein du véhicule, puis mettre en location les biens immobiliers une fois que le délaissement du bien par le crédirentier est définitif. 1. Cf. C. Bouzoulouk & F. Lemoine, « La renaissance du viager par la gestion collective », in Réflexions immobilières, n° 62, p. 62, 4e trimestre 2012. 2. Union mutualiste retraite, union de mutuelles et d’unions relevant du Code de la mutualité. Les investisseurs institutionnels sont, aujourd’hui, les seuls acteurs en mesure de « dépoussiérer » le marché du viager immobilier 52 IEIF RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES Gestion collective Ainsi, l’engagement financier du fonds est totalement maîtrisé et l’objet social est conforme à la philosophie originelle des SCPI. Du fait de l’acquisition décotée des biens en viager, le rendement locatif s’en trouverait amélioré et permettrait sans doute de proposer ces logements libérés avec des loyers relevant du secteur intermédiaire. LA FINANCE RESPONSABLE AU SERVICE DE L’IMMOBILIER RESPONSABLE Même si le viager peut paraître un outil patrimonial désuet ou se heurter à des résistances morales, l’observation de l’ampleur du vieillissement démographique justifie la réflexion pour un modèle plus contemporain. Le viager, ou son équivalent modernisé, peut constituer une des voies alternatives du soutien à domicile des personnes âgées. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé une loi sur le vieillissement qui devrait comporter un volet logement et proposer d’utiliser le viager comme un des modes de financement possibles. Il est temps de dépasser les propositions parcellaires, incontrôlables ou segmentées pour tel ou tel investisseur. Les épargnants souhaitent aider leurs aînés à bien vieillir chez eux tout en réalisant pour eux un investissement rentable sur leur support favori : l’immobilier résidentiel. L’intérêt est là, la solution juridique existe, il ne reste qu’à trouver la société de gestion qui voudra prendre le projet à bras le corps et créer le premier fonds de viager pour tous.y