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OPINION LIBRE
Le concept barcelonais
du métro superposé
aurait-il sa place à Paris ?
Jean PIRAUD
ANTEA - Orléans
[email protected]
LE MÉTRO STANDARD
EUROPÉEN
Dans toute l’Europe, la conception des
nouvelles lignes de métros obéit le plus
souvent à un modèle standard, stabilisé
depuis le début des années 1990 :
- on creuse d’abord des stations à ciel
ouvert, dans des boîtes rectangulaires
entre parois moulées ;
- on relie ensuite les boîtes par un tunnel
monotube creusé au tunnelier.
Le système du bitube, qui avait la préférence dans les années 1980 car il était
censé être plus facile à réaliser et moins
générateur de tassements, est aujourd’hui
abandonné – sauf contraintes géométriques majeures : l’expérience montre
qu’il est nettement plus coûteux que le
monotube, sachant que l’on arrive maintenant à bien maîtriser des tunneliers d’un
diamètre suffisant pour y loger côte à
côte les deux voies d’un métro (Ø ext
9,50 m environ).
Les Espagnols ont utilisé ce concept de
manière intensive, en particulier à Madrid,
où le réseau de métro et de tram est
passé de 110 km en 1995 à 319 km (sic)
en 2007. A titre d’exemple, le dernier
plan quinquennal a compris 84 km de
lignes nouvelles, dont 41 km creusés au
tunnelier, 20 km en tranchée couverte et
5 km seulement en méthode traditionnelle ; cette dernière est donc quasiment
abandonnée, du fait des risques non totalement maîtrisables qu’elle implique - aux
dires des Espagnols - pour les ouvriers et
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pour les structures avoisinantes. Pour ce
qui est du creusement mécanique, 10 tunneliers à pression de terre étaient utilisé
simultanément sur les chantiers du métro,
dont 9 pour forer du monotube avec
voussoirs en béton armé.
ce système permet des économies considérables sur le coût des stations – surtout
dans les cas où, faute de place en surface,
on serait obligé de creuser à grands frais
une station entièrement souterraine. Et
c’est bien là l’avantage fondamental du
concept de Barcelone :
METTRE LES STATIONS
DANS LES TUNNELS !
• le petit diamètre des émergences facilite leur implantation, ce qui « libère » le
tracé en plan et permet de multiplier et
d’optimiser les correspondances ;
C’est sans doute cette pratique intensive
des grands tunneliers qui a conduit les
Espagnols, ou plutôt les Catalans, à pousser
le raisonnement jusqu’au bout : pourquoi
ne pas augmenter encore un peu le
diamètre du tunnel afin d’y loger aussi les
stations ? C’est ce concept révolutionnaire qui est mis en application sur la
ligne 9 du métro de Barcelone, longue de
47 km avec ses ramifications (dont 28 km
en tunnel foré). Cette nouvelle ligne a
déjà été décrite deux fois dans TOS (n° 172
et 190), mais elle n’a pas reçu l’attention
qu’elle mérite car sa configuration est
unique au monde :
- les deux voies sont superposées dans un
monotube Ø ext 12 m, tout comme les
quais des stations,
- les stations sont accessibles par des
puits circulaires en parois moulées Ø 26
à 32 m, équipés de batteries d’ascenseurs ; on fait d’abord les parois moulées
des puits, le tunnelier les traverse puis
on excave les puits.
En dépit d’un léger surcoût lié au diamètre
du monotube et au plancher intermédiaire,
TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 212 - MARS/AVRIL 2009
• l’accès aux stations par des puits autostables permet d’implanter la ligne à
grande profondeur pour un surcoût
minime ; cette faculté est particulièrement utile à la fois pour passer les structures existantes (bâtiments, métros,
égouts…), pour desservir les quartiers
périphériques, particulièrement montueux à Barcelone (certains puits sont
profonds de 60 m) – mais aussi pour
multiplier les stations, vu leur faible
coût.
Comme dans les autres métropoles européennes, le métro de Barcelone comprend
principalement 8 lignes radiales, qu’il
était nécessaire d’interconnecter, tout en
desservant les nouveaux quartiers construits
depuis les années 1950, ainsi que de nouveaux pôles d’activité excentrés : Université,
gare de Sagrera, foire-exposition, aéroport... C’est l’objet de cette ligne 9, qui
contourne et enserre un centre-ville de
1,6 millions d’habitants (pour une agglomération qui dépasse les 5 millions) ; elle
comprendra 52 stations, dont 32 en puits
OPINION LIBRE
profonds et 19 en correspondance. Le
coût de construction est estimé à
6 500 Ma, avec une mise en service échelonnée de 2009 à 2014.
UNE APPLICATION
POSSIBLE AU GRAND
PARIS ?
Cette configuration n’est pas sans analogie
avec la rocade de métro envisagée dans
la proche banlieue parisienne, à quelque
2 à 5 km à l’extérieur du Boulevard périphérique (projet « Métrophérique »,
encore appelé « Arc Express »). Ce projet
de rocade a des objectifs très comparables à ceux de la ligne 9 de Barcelone :
- irriguer la proche banlieue, dont la densité se rapproche de celle de Paris ;
- mailler le réseau ferroviaire, qui est resté
presqu’exclusivement radial ;
- renforcer la desserte de pôles tertiaires
existants (la Défense) ou en développement (La Plaine-Saint-Denis, Seine
Amont…).
Comme toutes les rocades, ce Métrophérique ne vaudra que par la qualité des correspondances qu’il offrira avec le système
ferroviaire existant (tram, métro, RER…).
Or les stations à desservir sont déjà enserrées dans un tissu urbain très dense, qui
n’offre le plus souvent aucun espace
dégagé pour creuser des stations à ciel
ouvert, ce qui conduit à faire soit de
coûteuses expropriations, soit des stations
entièrement souterraines, donc aussi chères que le tunnel qui les relie. Le système
barcelonais, en intégrant les stations dans
un monotube profond, permettrait de libérer le tracé du métro des contraintes de
surface, tout en assurant facilement des
correspondances parfaites.
On peut même avancer que cette simplification radicale du problème des stations
est particulièrement bien adaptée à
l’esprit français : on sait hélas que le sens
de l’intérêt général et le respect des autorités y sont bien peu développés – et on
peut imaginer les années de tractations,
recours et retards divers que subirait un
projet qui devrait tailler à vif dans le tissu
urbain…
Pour ce qui est du tunnel lui-même, l’expérience réussie du tunnel Duplex de l’A86
(Rueil-Vélizy) a montré qu’un même tunnelier pouvait aujourd’hui forer sans difficultés
la quasi-totalité des terrains de la région
parisienne, même à grande profondeur, et
ce sans provoquer de désordres en surface.
AVANTAGES ANNEXES
DU CONCEPT
BARCELONAIS
Outre la nouvelle liberté offerte aux
concepteurs en matière de tracé, le système barcelonais présente en soi une
série d’avantages annexes, dont certains
seraient particulièrement intéressants
pour Paris :
- l’implantation possible à grande profondeur est un atout pour franchir et desservir aisément les collines de la
moyenne banlieue (La Défense, le mont
Valérien, les hauteurs de l’Est parisien),
mais aussi pour traverser facilement la
Seine à moindre coût, en passant sous
son lit avec le tunnelier ;
- les tunneliers étant des machines à rendement croissant, l’exécution d’un tronçon d’une dizaine de kilomètres sans
s’arrêter à chaque station permettrait de
gagner plusieurs années sur le délai de
creusement du tunnel ;
- l’espace libre à côté des voies permet
de garer facilement des rames, de loger
certaines installations techniques (plus
besoin de niches), et facilite l’inspection
et l’entretien ; de plus, cet espace disponible pourrait constituer une galerie
technique continue autour de Paris,
d’une grande valeur potentielle pour la
collectivité ;
- en cas d’incendie, l’indépendance totale
des deux demi-tubes simplifie l’évacuation et améliore la sécurité globale du
système ;
- les stations pourront être allongées à
volonté lorsque le trafic le justifiera,
pour un surcoût minime.
Espérons que les ingénieurs chargés d’étudier le projet sortiront des sentiers battus et évalueront sans parti pris les avantages potentiels de cette invention venue
du Sud. Vérité au-delà des Pyrénées… ●
s RÉFÉRENCES
DEULEFEU i PALOMAS, C. et al – La
linea 9 del metro de Barcelona, eficaz
interconexion – Cauce 2000, Revista de
ingeneria civil, 2007, n° 138, pp. 60-69.
DELLA VALLE, N. – The new line 9 of
Barcelona metro – Tunnels & Ouv. souterrains, n° 172, juillet 2002, pp. 251-257.
BORRAS GABARRO,J. et al. – Line 9 of
metro Barcelona : a new way for building
metropolitan railways. Actes des journées
AFTES de Toulouse, oct. 2002, pp. 243245.
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