Le point sur l`émigration des médecins du Québec
Transcription
Le point sur l`émigration des médecins du Québec
Vision d’avenir Par François-Pierre Gladu, MD [email protected] Le point sur l’émigration des médecins du Québec 3 mythes déboulonnés L'INSTITUT CANADIEN D’INFORMATION sur la santé (ICIS) a récemment publié ses dernières statistiques. Elles sonnent le glas de trois idées préconçues largement véhiculées dans les médias à propos de l'exode des médecins. Vrai ou faux : L'exode ne concerne que les spécialistes. Faux. En fait, tant l'exode net en 20042005 que l'exode des cinq dernières années concerne davantage les médecins de famille que les spécialistes du Québec. Entre 2001 et 2005, au net, ce sont 80 médecins de famille et 57 spécialistes qui ont quitté le Québec. Pire, ce sont souvent les meilleurs qui partent vers d’autres cieux, privant le Québec d’une main-d’œuvre spécialisée dont il ne peut se passer. Enfin, chaque médecin qui part est une profonde source de démotivation pour les professeurs de médecine qui se sont investis dans leur formation, souvent bénévolement. Après l’échec des dernières négociations avec les médecins en 2006, on peut s’attendre à une nouvelle accélération de l’émigration des médecins au cours des prochaines années. Vrai ou faux : La tendance à l’exode des médecins du Québec s'est renversée en 2004-2005. Faux. C'est vrai pour l'exode vers l'étranger, mais l'exode vers les autres provinces et l'exode des médecins de famille se sont poursuivis. De 1996 à 2000, le Québec a subi une perte nette de 653 médecins, soit environ 0,9 % par an. De 2001 à 2005, la perte nette n’est plus que de 140 médecins sur 5 ans, soit 0,2 % par an. Ça semble peu, mais chaque médecin qui part déstabilise les hôpitaux et les patients (environ 1 000) qui étaient suivis par ces médecins. Les pertes brutes sont beaucoup plus importantes, mais elles sont compensées par l'arrivée de médecins étrangers en nombre plus important depuis deux ans. Par contre, ceux-ci ont plus de difficultés d'adaptation à la culture et à la langue, et plusieurs n'ont pas reçu une formation d’aussi grande qualité que celle dont les médecins d’ici ont bénéficié. Afin d’assurer des soins médicaux de qualité, le Collège des médecins doit contrôler les compétences des nouveaux arrivants, ce qui implique des coûts supplémentaires évidents. Enfin, les statistiques sur la perte nette de médecins ne tiennent pas compte des départs annuels de plusieurs dizaines de médecins formés ici qui quittent avant même d'avoir commencé leur pratique. Toronto Vrai ou faux : Les différences de rémunération des médecins entre les différentes juridictions n'ont rien à voir avec le départ des médecins. Faux. Les médecins du Québec ne quittent pas leur terre natale sur un coup de tête. Ils sont pour la plupart profondément attachés à la culture, à la langue et à leurs patients. Par contre, les lois du Québec des 15 dernières années ont étouffé la liberté professionnelle des nouveaux médecins et empêché, jusqu'à maintenant, l’incorporation de leur pratique : tout le contraire des autres provinces qui ont retroussé leurs manches pour attirer et garder les médecins chez elles, comme le Québec le fait pourtant pour les autres travailleurs des domaines biomédical et pharmaceutique. De plus, l'écart de 40 % de revenus à la moyenne des médecins canadiens et la détérioration des conditions de pratique dans les hôpitaux et les cliniques, conséquences directes du sousfinancement chronique du réseau de la santé, sont des facteurs qui peuvent pousser les médecins à quitter la province. En effet, les provinces qui sortent gagnantes des migrations de médecins sont celles qui leur offrent les meilleures conditions de pratique. On pense d'abord à la riche Alberta et à la puissante Ontario. Mais c'est la Colombie-Britannique, une province de richesse comparable à celle du Québec, qui sort grande gagnante des migrations interprovinciales grâce à une rémunération de 40 % plus intéressante, sans être la plus avantageuse au Canada, et à une qualité de vie comparable à celle du Québec. Les infirmières, les enseignants, les policiers du Québec et l'ensemble de la fonction publique du Québec accepteraient-ils que leur rémunération soit 40 % plus faible que celle de leurs confrères canadiens? Bien sûr que non, et le gouvernement leur offre une rémunération juste et équitable qui correspond à notre capacité de payer, soit à 2,5 % de la moyenne des salariés des gouvernements provinciaux. La situation des médecins, et celle de tout notre réseau de la santé, découle d'un choix politique et d’un abus de pouvoir dont l'électorat n'a même pas conscience. Il est grand temps de l’en informer, car le réseau se dirige à toute vitesse vers une privatisation qui ne fera qu’empirer les problématiques actuelles pour les patients et leurs proches. ⌧ L’auteur est médecin de famille, enseignant clinique à l’Université de Montréal et président de l’Association des jeunes médecins du Québec (www.ajmq.qc.ca) 12 S A N T É I N C . JANVIER/FÉVRIER 2007