150401 LC 2015 12 07 Mgr Wintzer fiche n°11

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150401 LC 2015 12 07 Mgr Wintzer fiche n°11
Aux évêques de France
OFC 2015, n° 11
Je n’aime pas le rap ; dois-je m’en excuser ?
Il y a quelques jours, il m'a été donné de vivre deux événements culturels bien différents
dans la même journée. J'ai d'abord assisté à la projection d’A 14 ans, premier film d'une jeunefemme de vingt-cinq ans, Hélène Zimmer, puis, dans la soirée, je suis allé à un concert classique
donné à la Philharmonie de Paris.
Il faut se réjouir que la France ait fait le choix culturel, et financier, de construire, grâce à Jean
Nouvel, la grande salle de concerts classiques qui manquait à la capitale. Même si, deux mois
après son ouverture, des finitions manquent encore et si l'on ressort avec quelques traces de
peinture sur son vêtement, cette salle est une belle réussite, d'abord pour la musique et son
acoustique exceptionnelle, et pour le geste architectural.
Ce qui m'a frappé, dans cette journée, c'est le contraste entre deux mondes. Le film A 14 ans suit le
parcours de trois filles durant les saisons qui se succèdent au long de leur classe de 3ème. La parole
tient la première place dans ce film, une parole violente, souvent agressive, parsemée de jurons,
dont le sujet principal est le sexe, parlé plus que réel. Les trois filles sont de familles éclatées,
recomposées, vivant dans des conditions matérielles plutôt aisées ; la seule musique qu'elles
écoutent est le rap, avec les clips qui vont avec : des gros noirs, sniffant de la coke et entourés de
filles en string maquillées comme des camions ! Ce film rappelle, en moins bien cependant, une
excellente série de films produits et diffusés par ARTE dans les années 90 : Tous les garçons et les
filles de leur âge. Hélas, ces films ne sont plus accessibles, on peut souhaiter qu'ils connaissent un
jour une édition DVD.
On ne peut s’empêcher d’éprouver la vacuité de l’existence de ces adolescentes en manque
d’estime, de reconnaissance, n’ayant pour but, à ce moment de leur vie qui est ici montré, et aussi
pour leur avenir, que de ne pas se « faire emmerder » ni « briser les c… ». Sans le langage et sa
richesse, les relations humaines et leurs expressions verbales sont tout de même bien pauvres.
Sans doute que ces filles, comme la plupart de celles de leur génération, ne sont jamais allées à un
concert classique, y découvrant des choses qui dépassent une existence souvent vaine. Alors
qu’une nouvelle réflexion est menée au sujet des collèges et de l’enseignement qui doit y être
dispensé, je ne peux m’empêcher de souligner combien l’éveil artistique, même s’il ne passe pas
seulement par les concerts classiques, est indispensable à l’éducation. C’est à la mesure où, dans
l’enfance et la jeunesse, on aura été éveillé aux arts, d’hier et d’aujourd’hui, que l’avenir sera ou
non ouvert.
Observatoire Foi et Culture - Conférence des évêques de France
58 av de Breteuil 75007 Paris
Tel. : 01 72 36 69 64
mail : [email protected]
Mais allons à la Philharmonie de Paris. Les œuvres qui furent interprétées ce soir de mars 2015
sont le concerto pour violon de Sibelius et la 10e symphonie de Chostakovitsch. L'orchestre était
l'une des meilleures phalanges européennes, le Concertgebouw d'Amsterdam, et la violoniste
Anne-Sophie Mutter. Lorsque l'on réentend une œuvre célèbre, on se souvient de la première fois
où on l'a découverte, non pas par le disque mais en concert. Tout comme un film ne s'apprécie que
dans une salle, de même la musique doit être entendue en direct. Pour Sibelius, ce fut à la chapelle
du lycée Corneille de Rouen, l'orchestre était dirigé par Mariss Jansons et le violon tenu par Gidon
Kremer. Quant à Chostakovitsch, c'était à l'Albert Hall de Londres à l'occasion des Prom's.
A Paris, la baguette était tenue par Andris Nelsons, un Letton à la carrière internationale. Ces chefs
du nord sont parfaitement à l'aise dans un tel répertoire. Sa manière de diriger – que j'appréciais
puisque j'étais assis derrière l'orchestre, je pouvais ainsi avoir le chef face à moi – était d'un
extraordinaire dynamisme, allant même jusqu'à presque danser à certains moments, il m'a rappelé
un grand chef russe, Yuri Temirkanov, à la présence elle aussi extraordinaire. Andris Nelsons, très
démonstratif sans doute, mais redoutablement efficace dans sa direction, appréciée de l'orchestre
qui l'a applaudi à la fin du concert.
Les formidables contrastes des œuvres jouées sont magnifiquement servis par l'acoustique de la
salle, des pianissimi les plus subtils aux fortissimi impressionnants. L'orchestre de Chostakovitsch
permet cela, comptant ici jusqu'à huit contrebasses, et tout le reste à l'avenant. De plus l’orchestre
d’Amsterdam maîtrise parfaitement ce compositeur dont il enregistra l’intégrale des symphonies,
dans les années 80, sous la baguette de son chef d’alors Bernard Haitink.
C’est vrai, les choses sont mélangées, le programme culturel de cette journée évoquée ici le
manifeste. Le juste et l'injuste, le beau et le laid, le bon goût et le mauvais goût, la vertu et la faute ;
mais c'est en ce mélange que chacun trace une route qui ne conduit pas nécessairement à la
perdition. C’est par la saisie de ce réel heureusement complexe que l’on aimera percevoir dans une
œuvre, qui peut-être ne montre ni dieu ni diable, une expression ou bien de Dieu ou bien du diable.
La destinée humaine est toujours à l’aune d'un tel discernement
+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
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