Le magnétisme - Observatoire Zététique

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Le magnétisme - Observatoire Zététique
Histoire de l’électromagnétisme : de Thalès au magnétisme animal
Richard Monvoisin
C
h’i pour les anciens Chinois, Prana pour les
hindous, Mana pour les Indiens du Pacifique,
Fluide vital pour les alchimistes du Moyen
Âge, Astrum de Paracelse, Fluide universel puis
Magnétisme animal pour Franz Anton Mesmer,
Orgone, ou Fluide vital, de Wilhelm Reich, effet Kirlian,
Fluide odique pour Von Reichenbach, Rayons N pour
le professeur Blondot, force-X pour L.E. Eernan, énergie préphysique pour George de la Warr, énergie éloptique pour T. Gaien Hieronymous, énergie biocosmique pour Oscar Brunier, énergie bio-plasma pour les
savants tchèques et soviétiques, ou magnétisme pour
nos guérisseurs franchouillards... Étrangeté de cette
description de fluide qu’Anciens comme Modernes associent, sous une pléthore de noms, au phénomène
de la Vie et de ses différentes facettes.
L’objectif de ce petit dossier est de donner une vision
succincte de l’électromagnétisme et de son histoire.
Le premier épisode va tenter, sous
vos yeux ébaubis,
d’éclaircir deux
choses : d’une part
pourquoi le phénomène « vital » a pratiquement toujours
été décrit comme un
fluide, et d’autre part
pourquoi électromagnétisme universitaire et magnétisme
des guérisseurs ont une terminologie semblable. Pour
cela, il faut remonter loin...
Le magnétisme comme action à distance
Les balbutiements de la physique : une pincée d’Empédocle, quelques gouttes d’Aristote
C
ommençons par un peu d’histoire. La physique de l’Antiquité était toute empreinte de
l’héritage d’un homme aussi présomptueux
que givré : Empédocle. Ce monsieur, totalement illuminé, habillé en toge et ceint d’un turban, érige l’Air, la
Terre, le Feu et l’Eau comme les quatre éléments de la
matière. Il n’a quasiment rien inventé : il a fauché l’Air
comme élément de base de la matière à Anaximène,
emprunté le Feu à Héraclite, l’Eau au vieux Thalès et
la Terre à Xénophane [1]. Empédocle, qui était très
romantique, ajouta à ces quatre éléments deux principes, l’Amour, qui les rapproche, et la Haine, qui les
sépare. Au début du monde l’Amour régnait, et tous
les éléments nageaient le dos crawlé dans un magma
informe. Vint la Haine, qui dissocia le magma, et les
choses décidèrent de se constituer.
A priori, selon Empédocle, le monde devrait se dissocier petit à petit, notre monde devrait disparaître et
l’univers connaîtrait alors la Haine absolue, jusqu’à
ce qu’enfin, l’Amour revienne, etc., en un cycle sans
fin...
Est-ce la peur de ce cycle infernal qui l’y poussa, la
légende susurre qu’il se jeta dans l’Etna devant ses
disciples ébaubis, ne laissant qu’une aura de mystère
mêlée à une odeur de pied autour de ses sandales.
Voici un extrait des propos qu’il tint avant de plonger
dans le cratère, puisqu’il n’écrivit plus rien ensuite,
sans doute à cause de la chaleur.
« Les premiers animaux et les premières plantes ne
sont pas nés dans leur intégrité, mais par parties séparées. Sur la Terre naquirent beaucoup de têtes sans
cous, et des bras erraient nus et privés d’épaules. Des
yeux vaguaient dépourvus de fronts, des membres solitaires erraient, cherchant à s’unir. Arrivent la Haine
et l’Amour. Il naquit ainsi des êtres aux pieds tournant
pendant la marche, aux mains innombrables, aux
membres emmêlés. Beaucoup de créatures naquirent
avec des faces et des poitrines regardant en différentes directions. Quelques-uns, progénitures de boeufs
à faces d’Hommes, tandis que d’autres, au contraire
venaient au monde, progéniture d’hommes à têtes de
boeufs, et des créatures en qui la nature des Hommes
et des Femmes était mélangée, et pourvue de parties
stériles. (...) Puis, avec la surabondance des éléments, et la beauté des femelles excitant le désir, ils
sont nés les uns des autres. Selon leur tempérament
particulier ils ont choisi de vivre dans l’eau, dans l’air
ou sur la terre ».
Il convient de préciser que cette impétueuse explication du monde ne rencontre plus le succès d’antan.
Mais antan en emporte le vent.
Le magnétisme
L
e mot magnétisme provient du minerai de magnétite, oxyde de fer tout noir, que l’on trouve à
l’état naturel sur toute la surface de la terre, mais
particulièrement dans les zones éruptives [2], et qui a
la faculté d’attirer le fer à distance.
Au Moyen Âge les Chinois, puis les Européens, dé-
couvrent d’autres propriétés curieuses de cette pierre
que l’on appela Aimant, et pour cause : outre attirer
le fer, si l’on frotte une aiguille du même fer sur cette
pierre, l’aiguille devient à son tour un aimant [3]. Il est
ainsi possible de constituer une chaîne maintenue par
une force invisible, force toujours utilisée en prestidi-
[1] Le 5e élément, lui, ne
fut conçu qu’à la fin du XXe
siècle, par Luc Besson.
[2] Les propriétés
magnétiques de la pierre
de Lydie (Aydin en Turquie)
ou de Magnésie (Bolos
en Grèce) étaient aussi
connues depuis l’Antiquité.
[3] Ce phénomène s’appelle
l’hystérésis magnétique.
Les dossiers de l’OZ
Le magnétisme
Cristal de
magnétite, minéral
naturellement
aimanté.
[4] À peu de choses près :
le Nord magnétique fluctue
légèrement.
[5] Le calorique a
succombé à ses blessures
lorsqu’on comprit que la
température d’un corps
était dû à l’agitation de
ses composants : plus
ses composants gigotent,
plus un corps est chaud,
et le transfert de chaleur
n’est que le transfert de
l’agitation des molécules à
leurs voisines, sous forme
de chocs… un peu comme
lorsqu’une troupe de
néo-punks se trémoussent
dans la fosse d’un concert,
et communiquent leur
agitation aux voisins, et
ainsi de suite. Analogie
limitée mais suffisante.
[6] Là, c’est carrément
contre intuitif : les ondes
ont, comme les préjugés,
la fâcheuse manie de se
propager dans le vide.
gitation. En outre, lorsque cette aiguille aimantée est
posée en équilibre sur un pivot, elle s’oriente toujours
dans la même direction [4], celle du nord magnétique.
La capacité de ce qui devint la boussole à trouver le
Nord avait de puissants relents de magie, et cet instrument fut d’abord utilisé pour prédire l’avenir. L’histoire
ne dit pas si les prédictions étaient bonnes, mais dès
l’an mille, peut être en désespoir de cause, les Chinois
lui trouvèrent une autre fonction : permettre aux marins de tenir un cap en mer.
Une autre matière était aussi connue pour sa capacité d’agir à distance : l’ambre. Cette résine fossile
solidifiée attire à elle, non pas le fer, mais tous les
corps légers tels les brins de paille ou les cheveux,
à condition d’être frottée avec un tissu ou de la laine
(ou de la peau de chat, mais je n’ai jamais tué de chat,
ou alors y a longtemps). Évidemment, en soi ce n’est
pas très utile, mais ne nous moquons pas : frotter une
règle en plastique et attirer les poils de bras de son
voisin rencontre toujours un franc succès.
Interprétation : l’âme et les effluves
P
our expliquer les attractions exercées par
l’aimant et l’ambre, les philosophes grecs ont
émis deux hypothèses très différentes. Pour
Thalès de Milet, (celui qui prenait l’eau pour principe)
ces pierres possèdent une « âme », c’est-à-dire une
puissance d’attraction interne. Elles peuvent agir à
distance en vertu de leur nature particulière. Mais
pour Platon, deux siècles plus tard, il ne peut y avoir
de « vertu attractive » s’exerçant à travers l’espace.
Les attractions doivent se justifier par un mouvement
de matière invisible entre l’aimant et le fer ou entre
l’ambre et la paille. Si l’on garde à l’esprit qu’en outre,
la perception globale de la physique était, depuis
Aristote, fortement causaliste, c’est-à-dire que chaque effet devait avoir une cause, et qu’en remontant
la chaîne des causes on devait parvenir à la cause
première, on pressent la difficulté d’interpréter l’action
d’attraction.
C’est comme ça que se posèrent les termes d’un
débat qui a traversé les siècles sous des formes diver-
ses. L’ambre frotté et l’aimant agissent-ils à distance,
sans intervention du milieu qui les sépare du corps
attiré ? Ou bien émettent-ils quelque chose que nous
ne voyons pas ?
Petit à petit, la notion de magnétisme recouvrant
tous les aspects d’action à distance, les vieux savants
postulèrent logiquement l’existence d’un intermédiaire, quel qu’il soit, dans les chaînes d’actions. Et lorsqu’une action s’exerce dans un « champ d’action »,
justement, il n’est pas surprenant de voir naître l’analogie avec le comportement d’un « effluve », fluide, qui
suinte, qui corrode, qui s’immisce. Et ce fut la naissance d’une vraie collection de ce genre de fluide, entre
autres le phlogistique pour justifier le combustions,
le calorique, pour expliquer les transferts de chaleur
[5], l’éther pour trimbaler les ondes [6], et surtout le
légendaire fluide vital. Certains de ces fluides furent
des contes à dormir debout (alors qu’on recherchait
des causes alitées...). Mais n’anticipons pas.
Le mystère de la vie
[7] Av. EC : avant l’Ère
Chrétienne. Difficile de
dater sur Jésus Christ,
personnage dont l’existence
n’est pas avérée. Mais l’Ère
Chrétienne a quant à elle
bien existée...
E
n parallèle, l’art médical et la science biologique se développaient péniblement. Un certain
Hippocrate posa le premier ballot.
Né en 460 av. EC [7], contemporain de Socrate et
du petit Platon, il s’inspire des quatre éléments d’Empédocle pour introduire l’idée des quatre humeurs.
Admettons que c’est un peu mystique, mais comme
c’est la première théorie rationnelle de la santé, on ne
peut guère se permettre de critiquer. Et comme nous
entrions à l’époque dans l’ère des causalités (cf. paragraphe précédent), Hippocrate fit de ses humeurs...
des fluides : le sang, le phlegme, la bile jaune et la
bile noire. Il décrivit alors la santé comme un cocktail
bien dosé : les quatre humeurs doivent être harmonieusement mêlées dans l’organisme et se trouvent
sous forme cuite par mélange et ... par chaleur vitale
! Voilà. Pour résumer, en cas de fatigue ou d’excès
de bouffe, une humeur serait produite en excès, ce
qui entraînerait une guerre entre humeurs, qui, une
fois séparées, redeviendraient « crues », c’est-à-dire
acides et irritantes. Passe le stade de l’effervescence,
et elles finissent viciées.
La thérapie d’Hippocrate ? La diète. Il faudrait provoquer le «mûrissement et l’évacuation des humeurs
viciées», par tous les moyens possibles : massages,
bains, frottements, onguents, ventouses, plantes diurétiques et saignées. En gros, des régimes « échauffants » pour phlegmatiques, « rafraîchissants » pour
Hippocrate, Aristote et Galien marquèrent la médecine
pendant près de 1600 ans avec leur théorie fluidique.
sanguins, « desséchants » pour bilieux ou « humidifiants » pour atrabilaire.
Bon, il faut l’avouer, c’est à peine mieux que Rika
Zaraï. Si le sang et la bile jaune existent bien, le
phlegme par contre, qu’il appelait aussi « pituite » et
qui désignait tout liquide transparent ou blanchâtre
(salive, morve, larmes, lymphe, plasma sanguin,
sperme et même matière grise du cerveau) est une
catégorie plus douteuse. Quant à la bile noire, l’« atrabile », porteuse de mélancolie d’instabilité, et soi-disant responsable du cancer, elle relève purement du
fantasme.
Vous me direz, il n’y a pas eu que Hippocrate, tout
de même, et vous auriez raison. Il y eut, parmi les illustres anciens Galien, au IIe siècle de notre Ere. Pour
faire succinct, il ajouta aux quatre humeurs d’Hippocrate les pneumas, ou esprits animaux : dans le res
mirabilis [8], merveilleux réseau enchevêtré de notre
cou, circuleraient ces pneumas, sortes de fluides
gazeux qui « animeraient » notre carcasse. Le thème
des pneumas sera décliné ensuite jusqu’à plus soif,
en de nombreux avatars, depuis l’éther jusqu’à l’âme,
même si, confronté à l’expérimentation, force est de
constater que le pneuma tique.
Hippocrate, Aristote et Galien firent autorité pendant
plus de 1600 ans, et médecine galénique et physique
aristotélicienne gouvernèrent si bien les modes de
pensée que les chercheurs allèrent jusqu’à adapter
leurs découvertes pour ne pas contredire les Anciens.
Léonard de Vinci lui-même trafiqua ses dessins d’anatomie pour les faire coller à ceux de Galien....
Mais surtout, voici que l’on voit naître il y a plus de
deux mille ans l’interprétation fluidique de la vie organique... et le miracle, c’est que ça marche encore !
[8] Tellement merveilleux
qu’on ne l’a jamais trouvé.
Comment la Science se contorsionna pour absorber les
fluides, et vit naître le magnétisme animal
« Ambréïcité ? »
Fort de cette dernière observation, Gilbert forge le
mot « électrique » à partir du grec êlektron, qui signifie
« ambre », pour qualifier la force d’attraction due au
frottement. Il faillit choisir les mots « ambricité » ou
« ambréïté » mais il a bien fait de s’abstenir. Dans son
De Magnete, Physiologia nova, plurimis & argumentis,
& experimentis demonstrata, (un des premiers livres
de science) il tire la conclusion suivante : la force
« électrique », qu’il appelle vertu électrique (vis electrica) et qui est arrêtée par les écrans, les flammes
ou l’air humide, doit provenir d’effluves issus du corps
frotté.
Quant à l’action de l’aimant sur le fer, en revanche,
elle reste pour lui une action immatérielle, une mise
[9] C’est pas vrai.
Crédit : British Geological Survey
A
la fin du XVIe siècle, William Gilbert (1544-1603)
un anglais de Colchester, médecin de la reine
Elisabeth et père de Danièle [9], s’intéresse à
la boussole, car une connaissance approfondie de
ses propriétés est nécessaire pour la navigation. Le
magnétisme n’était pour Gilbert qu’un passe-temps,
mais qu’il prit très au sérieux et lui coûta beaucoup
d’argent (£5000 pour l’achat du matériel selon son ami
Harvey [10]). Pour éviter la confusion entre l’action de
l’ambre, qu’il considère comme une simple curiosité,
et celle de l’aimant, porteuse d’applications pratiques,
Gilbert est le premier, en 1600, à souligner clairement
les différences entre les deux phénomènes.
3⁄4 un aimant attire seulement le fer, alors que l’ambre
attire tous les corps légers ;
3⁄4 un aimant agit à travers un écran de bois ou de
papier, pas l’ambre ;
3⁄4 un aimant possède deux pôles, pas l’ambre ;
3⁄4 l’humidité supprime l’action de l’ambre, pas celle
de l’aimant ;
3⁄4 le magnétisme est une propriété liée à une seule
substance, la magnétite (ou oxyde de fer). Par contre,
d’autres substances que l’ambre, tels le verre, la résine, le soufre..., attirent également les corps légers
après frottement.
[10] William Harvey, celui
qui découvrit la circulation
sanguine en entaillant
les biches du jardin de la
reine !
La terrella de Gilbert,
un modèle du magnétisme terrestre.
en forme à distance de la matière dont il reconnaît le
caractère mystérieux.
En passant, il se hasardera dans son 3ème livre (le
De magnete en compte six) à traiter des propriétés
directionnelles de l’aimant, mais aussi des détails à
propos de la magnétisation d’aiguilles et de la distribution du magnétisme dans une terrella (pierre de
magnétite sphérique). Ses travaux sur cette dernière
lui permirent de tirer une analogie avec le champ magnétique de la Terre, ce qui n’est pas rien, et à tenter
une explication du géomagnétisme terrestre, avant de
mourir, ce qui arrive [11].
Notons que dans son livre 6, il associe de façon
erronée les mouvements stellaires et le magnétisme
- qu’il considère comme un soutien à la théorie copernicienne. Ce livre 6 fut considéré comme inacceptable
par les religieux de l’époque et fut retiré de la vente.
Il a de la chance : l’Angleterre est à cette époque
plus tolérante que d’autres pays. La même année, en
Italie, Giordano Bruno, qui n’était pas cru, finissait cuit
sur un bûcher, inaugurant avant l’heure la mode de
l’homme au foyer... (hum)
[11] De la peste.
En parallèle, et la chimie fluidique ?
P
endant que la science électrique balbutie,
des savants tentent d’expliquer au moyen de
théories les réactions chimiques qu’ils observent. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, dans
la lignée des iatrochimistes, qui prêtent une attention
particulière aux théories de Paracelse [12], le médecin, économiste et chimiste allemand Johann Joachim
Becher construit un système chimique autour de ce
principe. Il suppose que lorsque la matière organique
brûle, une substance volatile se vaporise. Son disciple
Georg Ernst Stahl en fait le fondement d’une théorie
qui survivra dans les cercles chimiques pendant près
d’un siècle : l’hypothèse du phlogistique.
Stahl suppose que lorsqu’une substance brûle, sa
partie combustible se dégage dans l’air. Il appelle
cette partie le phlogistique, du mot grec signifiant « inflammable ». Selon lui, la corrosion des métaux est
analogue à la combustion et implique donc la perte
du phlogistique. Les plantes absorbent le phlogistique
de l’air et en sont donc gorgées. Chauffer la chaux ou
des oxydes métalliques au feu de bois leur redonne le
phlogistique. Par conséquent, la chaux est un élément
et le métal un composé.
Cette théorie, qui va à l’encontre de la conception
actuelle de l’oxydoréduction, implique la mutation
cyclique d’une substance - quand bien même dans
[12] Paracelse réfuta les
quatre éléments pour en
prendre trois autres : le
Mercure, le Soufre et le Sel.
la mauvaise direction -, et certains phénomènes observés peuvent s’expliquer par cette mutation. Elle va,
nous allons le voir, être réfutée par Lavoisier, dans le
dernier quart du XVIIIe siècle. Mais elle est une excellente illustration du courant aristotélicien des interprétations physiques, dont nous avons parlé.
Le Vitalisme
L
[13] On désigne désormais
la chimie organique par
« chimie générale du
Carbone ».
a théorie du vitalisme a été énoncée vers les années 1600. Elle consiste en une force vitale (que
seuls possèderaient les organismes vivants)
indispensable à la synthèse d’un produit organique
c’est-à-dire un produit organisé, synthétisé par des
organismes vivants.
Je vous le donne en mille : il faudra attendre plus de
200 ans que Friedrich Wöhler parvienne à synthétiser
une matière organique en laboratoire, démontrant
ainsi qu’une force vitale n’est pas nécessaire pour
obtenir des produits synthétisés par des organismes
vivants. Il synthétisera l’urée.
Un peu avant ses découvertes, son maître suédois
Berzelius venait de déclarer de façon quelque peu
malheureuse qu’on ne parviendrait jamais à préparer
par voie synthétique des composés formés dans les
organismes vivants. Il fallait pour cela une... « force
vitale » (vis vitalis). Berzelius s’est comme qui dirait
« déchiré ».
Friedrich Wöhler est
considéré comme le pionnier
de la chimie organique grâce
à sa synthèse (accidentelle)
de l’urée à partir du cyanate
d’ammonium en 1828,
marquant ainsi la fin du
vitalisme.
Notons que la distinction chimie organique – chimie
minérale date de cette époque, et que ces termes devraient peut-être être revus [13]...
Le mercure superstar
U
n siècle après les travaux de Gilbert, les phénomènes électriques sont encore considérés
comme des effets mineurs. Cependant, des
sociétés scientifiques, créées en Europe et dans ce
que l’on appelle, - bien qu’il n’ait rien de nouveau - le
Nouveau Monde, organisent des rencontres régulières entre savants et publient rapidement les nouvelles
recherches dans leurs Mémoires. Une kyrielle d’expériences sont réalisées.
Ainsi, à la Royal Society de Londres, les séances où
sont montrées la décomposition, à l’aide d’un prisme,
de la lumière du Soleil en arc-en-ciel, la production de
lumière dans le noir par le phosphore et les merveilles
du monde vues sous un microscope, rencontrent
beaucoup de succès.
Les instruments qui permettent de faire ces démonstrations prennent de plus en plus d’importance.
La Royal Society engage en 1703, sous la présidence
de Newton, un constructeur d’instruments, Francis
Hawksbee, qui va classer, entretenir et étudier tous
les instruments inventés au XVIIe siècle : prisme pour
décomposer la lumière, pompe à vide, microscope,
télescope, thermomètre, baromètre...
Les baromètres, constitués d’un tube de verre rempli
de mercure retourné sur une cuve contenant le même
élément n’avaient à première vue aucun rapport
avec l’électricité. Mais ils recelaient un « mystère » :
lorsqu’on les transporte dans l’obscurité, des lueurs
bleutées apparaissent dans l’espace vide surmontant
le mercure. « Creboodew ! » se serait exclamé Hawksbee.
Hawksbee, qui contrairement à ses baromètres,
n’était pas la moitié d’une cloche, pense à un effet
de frottement du mercure contre les parois de verre,
puisque les lueurs n’apparaissent que lorsque le tube
est secoué. Ne peut-il pas obtenir les mêmes lueurs
en frottant l’extérieur du tube avec ses mains ? C’est
le cas. Mieux encore, le mercure est inutile. Une
boule de verre vidée de son air produit les fameuses
lueurs lorsqu’elle est frottée avec la main. À tel point
que, affirme Hawksbee, lorsque la boule est mise
en rotation grâce à une roue tournée rapidement, la
lumière émise permet de lire un livre dans une pièce
non éclairée !
En outre, et c’est là qu’il reconnaît le caractère électrique du phénomène, la boule frottée attire les objets
légers. Les attractions sont bien plus fortes qu’avec
Générateur construit par Francis Hawksbee. D’après
Physico-Mechanical Experiments, 2nde Ed., Londres (1719).
un simple morceau d’ambre frotté. On sent même les
effets du « vent électrique » sur la peau (vieille image
de l’« effluve »), et des fils disposés autour de la boule
sont vivement repoussés et se dressent suivant ses
rayons. Cette boule de verre frottée pendant qu’elle
tourne est la première machine produisant des effets
électriques importants.
Les lueurs produites dans la boule de verre de
Hawksbee étaient dues à des décharges électriques
se produisant entre deux points de sa surface. En fait,
le vide n’était pas parfait dans la boule, où il restait un
peu d’air raréfié. Les décharges dans les gaz raréfiés
sont aujourd’hui utilisées pour l’éclairage. Selon le
gaz utilisé dans un tube, on obtient des couleurs différentes : orange avec les lampes à vapeur de sodium
(éclairage routier), bleutée avec les lampes à vapeur
de mercure... tout cela grâce au baromètre.
Conducteurs et isolants
I
ntéressé par les expériences électriques de
Hawksbee, Stephen Gray, le frère de Denise [14],
cherche en 1729 de nouveaux corps électriques,
capables, comme l’ambre ou le verre, d’attirer les
corps légers par frottement. Bizarrement, il est impossible d’obtenir la moindre attraction en frottant des
métaux. Mais ne serait-il pas possible de transmettre
les effluves électriques d’un tube de verre frotté à un
objet métallique ?
Alors qu’il vérifiait l’électrisation d’un tube de verre
frotté en testant l’attraction qu’il exerce sur des plumes, Gray constata que celles-ci sont attirées aussi
bien par les bouchons de liège qui ferment le tube
pour éviter l’entrée de la poussière que par le verre. La
« vertu électrique » (terme typiquement aristotélicien)
se transmet donc du corps frotté, le verre, à un corps
simplement en contact avec lui, le bouchon.
Le contact peut être prolongé : une corde fixée au
bouchon transmet cette « vertu » jusqu’à une boule
d’ivoire accrochée à son extrémité. Pour tenter la
transmission sur une plus grande distance, il suspend
une longue corde de chanvre le long d’une galerie,
avec plusieurs allers et retours, maintenue horizontale
à l’aide de ficelles fixées au plafond. Mais il n’y a alors
plus aucune attraction électrique sur la boule d’ivoire
fixée à l’extrémité de la corde...
Un ami, Wheeler, suggère à Gray de remplacer
les ficelles qui soutiennent la corde par des fils de
soie qui, beaucoup plus fins, ne devraient pas laisser échapper les effluves électriques. L’expérience
réussit alors : les attractions sont transmises au bout
d’une corde de chanvre de plus de 200 mètres. Un
des fils de soie s’étant cassé, Gray et son ami le remplacent par un fil de cuivre, aussi fin mais plus solide.
Étonnement : il n’y a plus aucune attraction sur la
boule d’ivoire. Gray tire cette conclusion : « Quand les
effluves arrivent aux fils métalliques qui supportent la
corde, ils passent par ceux-ci jusqu’aux poutres où ils
sont fixés et ne progressent plus le long de la corde ».
Ce qui importe, comprend-il, c’est la nature du fil et
non sa finesse.
Tous les corps sont alors testés pour découvrir quels
sont ceux qui laissent perdre la «vertu électrique» et
ceux qui la conservent. Les métaux, l’eau, mais aussi
les légumes transmettent les effluves. Le verre, la
résine, les cheveux les conservent, parce que je le
vaux bien. Pour d’autres substances, les résultats
sont incertains. Ces expériences où le chanvre et
la soie se comportent différemment, où les résultats
dépendent de l’humidité de l’air et d’autres facteurs
encore, étaient bien difficiles à débrouiller. Gray parvient à distinguer deux catégories de corps : les conducteurs, qui laissent s’enfuir les effluves électriques,
et les isolants, qui les conservent à leur surface. Les
corps conducteurs sont aussi ceux qui ne peuvent pas
s’électriser par frottement.
[14] C’est pas vrai.
Les premiers principes d’électricité
U
n chimiste de l’Académie des sciences de
Paris, Charles-François de Cisternay Du Fay
(1698-1739) voit dans les travaux électriques
de Gray l’occasion de flamber. Il montre ainsi que
tous les corps peuvent être électrisés par frottement.
Si l’expérience n’a pas réussi jusqu’alors avec les
métaux, explique-t-il, c’est qu’ils doivent absolument
être tenus par un manche isolant, ou suspendus par
un fil isolant, afin que l’électricité ne s’enfuit pas vers
le sol à travers le corps de l’expérimentateur ou vers
le plafond par l’intermédiaire d’un fil conducteur. Avec
son pote Nollet, il va mettre en scène cette découverte, pour le plus grand plaisir des spectateurs (voir
plus loin)
Ayant ainsi clarifié et généralisé les notions de conducteur et d’isolant, Du Fay étudie un autre «caprice»
des expériences électriques : les attractions sont
parfois suivies d’une vive répulsion. Ainsi, une petite
feuille d’or attirée par une tige de verre frottée en est
violemment repoussée après l’avoir touchée. Est-ce
un simple rebondissement ? Pour vérifier son hypothèse selon laquelle il s’agit d’une vraie répulsion due
au fait que la tige a communiqué une partie de son
électricité à la feuille d’or, Du Fay multiplie les expériences. Or la feuille est toujours repoussée après le
contact avec la tige. Un corps non électrisé qui reçoit
de l’électricité par contact avec un corps électrisé est
repoussé par celui-ci.
Le +, le – et la première châtaigne
D
eux sortes d’électricité. Troublant, inattendu !
Du Fay est perplexe : « Ce qui me déconcerta
prodigieusement fut l’expérience suivante : on
frotte un tube de verre pour le rendre électrique et on
laisse tomber dessus une feuille d’or. Sitôt qu’elle a
touché le tube, elle est repoussée vers le haut et demeure presque immobile à une distance de huit ou dix
pouces. Ayant ainsi élevé en l’air une feuille d’or audessus du tube, j’en approchai un morceau de résine
frottée et rendue électrique; la feuille s’y attacha surle-champ... J’avoue que je m’attendais à un résultat
tout contraire parce que, selon mon raisonnement, la
résine, qui était électrique, devait repousser la feuille
qui l’était aussi; je répétai l’expérience un grand nombre de fois...».
Ainsi, la résine frottée attire la feuille d’or qui a été
électrisée par contact avec le tube de verre. La même
feuille est, par contre, repoussée par un deuxième
tube de verre frotté. Le verre et la résine ont donc
un comportement opposé à l’égard de la même
feuille d’or. Certains corps se comportent comme
le verre, d’autres comme la résine. Du Fay imagine
alors qu’il existe deux sortes d’électricité, qu’il baptise « vitrée » et « résineuse ». Deux corps de même
électricité se repoussent et deux corps d’électricités
différentes s’attirent.
Pour reconnaître quelle est la nature de l’électricité
acquise par un corps frotté, il suffit de l’approcher d’un
fil électrisé par contact avec une résine frottée : si le fil
est attiré par l’objet, celui-ci est d’électricité vitreuse; si
le fil est repoussé, l’électricité du corps est résineuse.
Les deux sortes d’électricité distinguées par le
frottement de la résine et du verre sont aujourd’hui
appelées « positive » et « négative ». Deux corps
électrisés positivement se repoussent. Deux corps
électrisés négativement se repoussent également.
Enfin, un corps positif et un corps négatif s’attirent.
Vers 1750, Kuneus, élève de Petrus Van Musschenbroek (1692-1761) cherchait à électriser l’eau contenue dans un bocal en lui transmettant les charges
d’une machine électrique. Cette machine électrique
primitive, composée d’une boule en soufre que l’on
faisait tourner à la main, avait été inventée vers
1670 par Otto Von Gericke (1602-1686), physicien
allemand et bourgmestre de Magdeburg [15]. Kuneus
n’observait rien de particulier dans l’eau et stoppa son
expérience. Et c’est en prenant le vase à la main qu’il
prit la première belle châtaigne de l’histoire des sciences, ce qui ne l’a pas beaucoup fait rire ! D’ailleurs,
Van Musschenbroek qui répéta l’expérience, écrivait
[15] Là où eut lieu
l’expérience des
hémisphères du même
nom, entre lesquels on fit
un vide poussé qui colla
si bien les 2 parties qu’un
attelage de chevaux ne les
sépara pas.
[16] Actuellement Kamien
Pomorski en Pologne.
à Réaumur qu’il ne la recommencerait pour rien au
monde. Il venait pourtant de faire une découverte
capitale, le condensateur, que l’on appela par la suite
- bien qu’elle soit très jolie - bouteille de Leyde du nom
de la ville de Leyden où fut réalisée cette expérience.
« Je veux vous communiquer une expérience nouvelle, écrivit-il, mais terrible, que je ne vous conseille
pas de tenter vous même. »
Musschenbroek remarqua que les corps électrisés
perdent rapidement leur état électrique lorsqu’ils sont
exposés à l’air libre. Pour résoudre ce problème, il eut
l’idée d’entourer un objet électrisé par un corps non
conducteur. Il tenta l’expérience avec une bouteille
remplie d’eau qu’il tenait en main. Il électrisa l’eau en
y plongeant un fil de laiton relié à une machine électrique. Une fois la bouteille chargée, Musschenbroek
voulut retirer le fil de laiton. C’est alors qu’il crut mourir : « Tout à coup, j’eus ma main droite frappée avec
tant de violence, que j’eus tout le corps ébranlé comme d’un coup de foudre ; je croyais que c’était fait de
moi. Je ne vous conseille point de tenter vous-même
l’expérience ; je ne m’exposerais pas une seconde
Expérience
de la bouteille
de Leyde
inventée vers
1670 par Otto
Von Gericke et
ayant permis la
découverte du
condensateur.
fois au même choc, quand on m’offrirait la couronne
de France. »
Paraîtrait qu’Ewald Georg Von Kleist (1700-1748),
doyen de la cathédrale de Cammin [16] en Poméranie, fit à la même époque une découverte identique.
Mais les trompettes de la renommée sont, c’est bien
connu, bien mal embouchées.
La commotion électrique
Les expériences
d’électrisation de foules
se tenant par la main
furent nombreuses au
XVIIIe siècle.
L
’abbé Nollet fut le premier à réaliser l’expérience
de Musschenbroek en France. Malgré les avertissements de son correspondant de Leyden,
il reproduisit l’expérience lui-même : « Je ressentis
jusque dans la poitrine et les entrailles une commotion
qui me fit involontairement plier le corps et ouvrir la
bouche, comme il arrive dans les accidents où la respiration est coupée ; le doigt index de ma main droite,
qui tirait l’étincelle, reçut un choc ou une piqûre très
violente ; mon bras gauche fut secoué et repoussé de
haut en bas, au point de me faire quitter le vase à demi
plein d’eau que je tenais. »
En 1752, après avoir réalisé quelques tests, l’Abbé
Nollet fut en mesure de présenter son expérience de-
vant le roi et sa Cour : il électrisa toute une compagnie
de gardes-françaises - soit 240 hommes ! Quelques
jours plus tard, il répéta son expérience avec un
couvent de Chartreux : les religieux qui formaient une
chaîne humaine de près de 1700 mètres sursautèrent
en même temps ! Qu’est-ce qu’on se marrait ! L’expérience est très rapidement devenue très populaire
dans l’Europe toute entière.
Du Fay et Nollet reproduisant en public les travaux
de Gray et Wheeler, ils les améliorèrent. Gray et
Wheeler « électrisaient » un enfant ne touchant pas
terre et suspendu au plafond par des cordons de
soie : suffisait alors de toucher ses pieds avec un
bâton de verre frotté, et la tête de l’enfant attirait des
petits papiers.
Un jour que Du Fay était suspendu (on s’amuse
comme on peut), Nollet voulut retirer un papier collé,
et paf ! Une étincelle jaillit du corps de Du Fay ! C’était
la première reproduction d’une décharge électrique.
Du Fay améliora le phénomène de scène avec une
épée qui, brandie vers Nollet suspendu, laissait jaillir
une étincelle qui enflammait une vasque d’alcool tenue dans les mains de l’Abbé. Après ça, Copperfield
peut rosir.
Lavoisier
N
[17] Le mot gaz, forgé
par le chimiste flamand
J. B. Van Helmont à
partir du nom grec chaos,
apparaîtra pour la première
fois en français dans le
Dictionnaire de chimie de
P.-J. Macquer en 1766.
ous n’aborderons pas toute la contribution de
Lavoisier à la nomenclature chimique, mais
seulement sa participation à la grande fresque
électromagnétique, ce qui, nous allons le voir, nécessite un peu de temps. Tout d’abord, qui est donc ce
notable ?
La famille Lavoisier a pour berceau la petite ville
de Villers-Cotterêts, dans le Soissonnais. Externe au
collège Mazarin dont les cours de sciences étaient
réputés, le jeune Antoine Laurent se révéla un brillant
élève. Il suivit les leçons de mathématiques élémentaires de l’abbé Nicolas-Louis de La Caille, qui n’était
pas une buse, et qui avait installé un petit observatoire
dans l’établissement qui donna à Antoine le goût des
observations météorologiques.
À sa sortie du collège, il poursuivit ses études dans
deux directions, afin de suivre la double vocation
à laquelle le poussaient sa grande curiosité : celle
d’exercer des fonctions d’administrateur à l’échelon
élevé, correspondant à la fortune devant lui revenir,
et celle de se livrer en même temps à des recherches
scientifiques. Inscrit, suivant l’exemple paternel, à la
faculté de droit, il fut reçu bachelier, licencié en 1764,
et obtint le titre d’avocat en parlement.
Parallèlement à ses études juridiques, il suivit les
cours de physique expérimentale de l’abbé Nollet,
celui qui fait sursauter les moines, il apprit des rudiments de botanique avec Bernard de Jussieu au
Jardin du roi et assista aux cours de chimie que
l’apothicaire Guillaume-François Rouelle donnait en
son officine de la rue Jacob. Rouelle enseignait en
particulier la technique de manipulation des « airs »
[17], au moyen d’un appareillage constitué par des
tubes en verre coudés, aboutissant sous une cloche
plongeant dans une cuve à eau. L’enseignement de
Rouelle, s’il intéressa Lavoisier par les techniques
opératoires qu’il recommandait, le dérouta cependant
au point de provoquer de sa part les réflexions suivantes : « Lorsque j’ai commencé pour la première fois
à suivre un cours de chimie, quoique le professeur
Portrait d’Antoine Lavoisier et Marie-Anne Pierrette
Paulze, son épouse et collaboratrice, par JacquesLouis David (1788).
En 1784, Lavoisier fit partie d’une commission
nommée par Louis XVI pour pour étudier la pratique
du magnétisme animal avec le médecin JosephIgnace Guillotin, l’astronome Jean Sylvain Bailly, et
l’ambassadeur des Etats-Unis Benjamin Franklin.
que j’avais choisi passât pour le plus clair et le plus à
portée des commençants, quoiqu’il prît infiniment de
peine pour se faire entendre, je fus surpris de voir de
combien d’obscurité les premiers abords de la science
se trouvaient environnés. J’avais fait un bon cours de
physique... j’avais abordé avec quelque fruit les mathématiques élémentaires... J’étais accoutumé à cette
rigueur de raisonnement que les mathématiciens mettent dans leurs ouvrages. Jamais ils ne prouvent une
proposition que celle qui la précède ait été démontrée.
Tout est lié, tout est enchaîné depuis la définition du
point, de la ligne, jusqu’aux vérités les plus sublimes
de la géométrie transcendante.
« Dans la chimie, c’était tout une autre marche.
Dès les premiers pas, on commençait par supposer
au lieu de prouver, on me présentait des mots qu’on
ne savait point encore définir ou, du moins, qu’on ne
pouvait définir qu’en empruntant des connaissances
qui m’étaient absolument étrangères et que je ne pouvais acquérir que par l’étude de toute la chimie. Ainsi
on commençait la science en supposant déjà que je
la savais. »
La description que Lavoisier a laissée d’une aurore
boréale observée en 1763 constitue le plus ancien
document conservé touchant son activité scientifique.
L’étendue de ses travaux se diversifiera très vite, en
même temps qu’il lance sa carrière de grand propriétaire. Mais dès 1768, il entreprit d’approfondir la
nature des quatre éléments considérés depuis notre
comparse Empédocle comme porteurs d’une réalité
inaccessible à l’analyse scientifique : la terre, l’eau,
l’air et le feu.
En observant le développement d’un végétal dans
un vase empli de terre simplement arrosée, Van
Helmont avait cru pouvoir conclure que l’eau devait se
changer en terre pour former la masse de ce végétal.
Boyle avait abouti à la même conclusion, après avoir
constaté qu’une once d’eau distillée deux cents fois
dans un vase finissait par y laisser six drachmes de
terre. Lavoisier répéta l’expérience dans un pélican de
verre hermétiquement clos et pesé à l’avance, dans
lequel il maintint l’eau en ébullition durant cent jours.
Il constata que le poids total du système n’avait pas
varié et que la quantité de matière terreuse passée à
la longue en dissolution ou en suspension dans l’eau
avait un poids égal à celui perdu par le pélican.
Lavoisier s’intéressa ensuite aux problèmes de saturation des phosphates, à l’étude des sels magnésiens,
du bleu de Prusse, de l’acide spathique et de
l’acide citrique. Son attention ayant été attirée
en 1772 sur les nouveaux « airs » découverts
par Joseph Priestley, il décida d’étudier ces
« airs » et les phénomènes de la combustion.
Commençant par répéter les expériences de
ses prédécesseurs, il fut dès l’abord frappé
par l’augmentation du poids des métaux par
la calcination. Cette constatation lui ayant
montré l’inutilité de recourir à la théorie du
phlogistique il fit part de ses idées dans deux
articles anonymes publiés dans le Journal de
physique en octobre 1773 et en mars 1774. En janvier
1774, il fit paraître sous son nom le premier tome des
Opuscules physiques et chimiques, dans lesquels il
faisait l’historique des « émanations élastiques qui se
dégagent des corps pendant la combustion, pendant
la fermentation et pendant les effervescences » et exposait de « nouvelles recherches sur l’existence d’un
fluide élastique fixé (acide carbonique) dans quelques
substances et sur les phénomènes qui résultent de
son dégagement ou de sa fixation ». Priestley, de passage à Paris en octobre 1774, annonça à Lavoisier
qu’en chauffant sur une cuve à mercure le précipité
(oxyde mercurique rouge), au moyen des rayons solaires concentrés par une forte lentille, il venait d’obtenir ce qu’il appelait l’« air déphlogistiqué ». Lavoisier
refit l’expérience et fut le premier à comprendre que
l’air privé de phlogistique était en réalité un « air »
particulier. Il venait de découvrir que l’air de l’atmosphère était un mélange de deux gaz différents : l’air
vital (l’oxygène) et la mofette (l’azote), le phlogistique
n’ayant rien à voir dans sa composition.
Les expériences ultérieures de Lavoisier établirent
le rôle de l’air vital dans la formation de l’acide phosphorique et de l’acide sulfurique, ce qui l’amena à lui
donner en 1779 le nom de principe oxigine, qu’il écrira
plus tard principe oxigène (de oxus, acide), au sens de
principe acidifiant.
Dans toute combustion, reconnut Lavoisier, il y a
dégagement de la matière du feu et de la lumière. La
théorie du phlogistique reposait sur ce fait exact qu’il
se perd quelque chose dans les réactions chimiques,
notamment dans la combustion et l’oxydation, mais ce
quelque chose n’est pas de la matière pesante, c’est
de la chaleur. Lavoisier fut ainsi conduit à se représenter la chaleur comme un fluide igné, constituant la matière commune du feu, de la chaleur et de la lumière,
qu’il appela le calorique. De même que le rôle de l’eau
est double, suivant qu’il s’agit de l’eau de combinaison ou de l’eau de dissolution, il convient, écrivait-il,
de distinguer dans les corps le feu de dissolution,
c’est-à-dire le feu libre, celui qui se borne à élever
la température des corps, et le feu de combinaison.
Presque tous les corps, ajoutait-il, peuvent exister
dans trois états différents : l’état solide, l’état liquide,
l’état d’« air » ou de vapeur, tous trois ne dépendant
que de la quantité plus ou moins grande de la matière
du feu dont les corps sont pénétrés et avec laquelle ils
sont combinés.
Chaleur animale
P
assons sur sa théorie de la formation des
acides, qui amena progressivement Lavoisier
à considérer l’eau comme une substance
composée, et lançons-nous sur la piste qu’il traça vis
à vis de la chimie organique : il compara la chaleur
animale à celle des combustions vives, estimant que
l’air fournissait l’oxygène et la chaleur, tandis que le
sang véhiculait le combustible, restitué incessamment
par les aliments. En 1783, il reprit la question avec
Laplace. Tous deux mesurèrent les effets de la respiration d’un… cochon d’Inde, qu’ils comparèrent à la
combustion d’une bougie, en utilisant une balance et
un calorimètre.
« Lorsqu’un animal est dans un état permanent et
tranquille, de telle sorte qu’après plusieurs heures le
système animal n’éprouve point de variation sensible,
la conservation de la chaleur animale est due au
moins en grande partie, conclurent-ils, à la chaleur
que produit la combinaison de l’oxygène respiré avec
la base de l’air fixe que le sang lui fournit. »
La respiration, signala Lavoisier, est l’origine d’une
combustion lente, analogue à celle du charbon. En
1787, Berthollet découvrit que l’azote était le principal
constituant de l’ammoniaque, de l’acide prussique et
des matières animales. Cette découverte ruinait les
théories animistes et montrait définitivement que les
êtres vivants ne formaient pas un domaine différent du
reste de la nature, vérité qu’avait pressentie Lavoisier
en étudiant la respiration et la chaleur animales.
Ironie du destin, la suppression des Académies,
décrétée le 8 août 1793 par la Convention, précéda
de peu la fin de l’activité scientifique de Lavoisier,
marquée par son emprisonnement le 28 novembre
1793 en même temps que ses anciens collègues
de la Ferme. Les lettres qu’il recevait l’avaient rendu
suspect bien avant la loi du 17 septembre 1793. Le
gouvernement révolutionnaire considérait avec quelque raison les fermiers généraux comme des ennemis
de la République, qui devaient être guillotinés le 19
floréal an II (8 mai 1794). Le partisan de la monarchie
constitutionnelle qu’était Lavoisier portait, sans s’en
rendre compte, quelques-unes des contradictions
fondamentales de son époque. Par son activité à
la Ferme, il avait été l’un des soutiens financiers de
l’Ancien Régime, alors que, par ses travaux de laboratoire, il faisait progresser la science et contribuait
par là même à l’avènement au pouvoir de la grande
bourgeoisie. Que retenir ?
La question fut, comme sa tête, tranchée.
Mais avant de la perdre, Lavoisier consacra toute sa tête à traquer Mesmer.
R
[18] Rien à voir avec
l’acteur.
[19] Ce fut l’une des
premières occasions pour
le Tout-paris d’écouter de
l’harmonica.
appelons-nous : selon l’acception commune
depuis Galien, les maladies seraient provoquées par une diminution du fluide vital ; pour
les guérir, il fallait donc rétablir celui-ci. On pensa,
puisque le fluide agissait à distance, que les malades
pouvaient donc être traités à distance. Ainsi, en 1621,
le chimiste flamand Van Helmont écrivit un ouvrage
Sur le traitement magnétique des plaies. Sa thèse,
tombée ensuite dans l’oubli, fut remise à l’honneur
au XVIIIe siècle par le médecin viennois Franz Anton
Mesmer (1734-1815), et ce fut le début de la vogue du
magnétisme animal.
L’Allemagne fut le berceau du magnétisme animal :
depuis le milieu du siècle, on lui attribuait des cures
miraculeuses, auxquelles le charlatanisme avait eu
la plus grande part. Antoine Mesmer, né à Mersbourg
(Souabe) en 1733, groupa en corps de doctrine les
résultats qu’il avait obtenus sur ses malades par
l’emploi méthodique du magnétisme animal; il s’était
servi d’abord d’aimants artificiels ; bientôt il se vanta
de guérir toutes les maladies névralgiques par la puissance de sa seule volonté, et sans le moindre contact
avec le malade.
À la suite d’une vive polémique qu’il avait soutenue
contre les principaux médecins de l’Allemagne, au
sujet du traitement empirique et charlatanesque d’une
jeune malade, il fut forcé de quitter Vienne, en 1778.
Il vint à Paris, et n’y trouva que peu de sympathies
jusqu’à ce qu’il eût fait connaissance avec Deslon
[18], médecin du comte d’Artois. Ce médecin devint
alors le plus chaleureux apôtre du magnétisme animal, qui fut accueilli comme la plus belle découverte
des temps modernes par la société aristocratique.
La Faculté de médecine se prononça contre la nouvelle thérapeutique, qu’on nommait le mesmérisme,
et Deslon, mis à l’index par ses collègues, n’osa plus
défendre ouvertement les théories de Mesmer. Celuici, chahuté et repoussé par la Faculté, s’appuyait sur
les protecteurs qu’il s’était faits à la cour et dans les
classes riches. Il faisait mine de vouloir quitter Paris,
mais la reine l’invita, en sous main, à y rester, et un
ministre du roi, le baron de Breteuil, lui promettait une
pension de 30 000 fr. s’il consentait à former des élèves. Quarante personnes notables s’associèrent dans
le but de retenir Mesmer en France, et lui payèrent
chacune cent louis pour qu’il leur apprît les secrets
Franz Anton Mesmer
(1734 – 1815), médecin
allemand, fondateur
de la théorie du
magnétisme animal
connue sous le nom de
mesmérisme.
du magnétisme, qu’elles s’engageaient sur l’honneur
à ne jamais révéler. Cette association, qui prit le nom
d’Ordre de l’Harmonie, se constitua selon le rite de la
franc-maçonnerie.
Mesmer crut pouvoir appliquer lui-même le magnétisme animal au traitement des maladies de nerfs.
Dans une salle semi obscure, où l’air respirable se
trouvait saturé de parfums, une grande cuve fermée
remplie d’eau sulfureuse était traversée par des tiges
de fer recourbées qui servaient de conducteurs au
fluide et qui le transmettaient aux malades par des
anneaux métalliques que chaque patient attachait à
quelque partie de son corps.
Les malades venaient s’asseoir en cercle autour de
ce baquet magnétique (c’est ainsi qu’on l’appelait, et
qui n’était que quelques bouteilles de Leyde jointes)
les pieds posés sur un coussin de paille, et se tenaient
silencieusement immobiles, quelquefois formant
ensemble par le contact des mains un chaîne non
interrompue, pendant qu’une musique mélodieuse
s’élevait d’un orchestre invisible [19]. Les assistants,
sous l’influence d’une étrange surexcitation des sens,
éprouvaient des sensations spasmodiques extraordinaires, qui se terminaient souvent par des convulsions
et des accès de folie.
La Faculté s’émut des dangers d’une pareille médication, si contraire à tous les principes de la science,
et deux commissions, composées de physiciens et
de médecins de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, furent chargées, par ordre de
Louis XVI, d’étudier le magnétisme animal dans ses
causes et dans ses effets (12 mars 1784). Les deux
commissions, qui comptaient entre autres Franklin et
surtout Lavoisier, présentèrent leurs rapports, qui repoussaient la doctrine de Mesmer par des conclusions
identiques. Ils déclarèrent que les phénomènes magnétiques devaient être attribués à l’imagination des
personnes faibles et crédules, et que les cures dites
magnétiques, étant dues à l’imagination et à l’esprit
d’imitation, ne pouvaient être que suspectes et dan-
gereuses. Cet arrêt de la Science renversa le baquet
magnétique sur la tête de Mesmer, qui, considéré dès
lors comme un audacieux charlatan, quitta le royaume
à la hâte, dans la crainte d’avoir à restituer les 340 000
livres de souscriptions qu’il avait reçues des quarante
dupes de l’Ordre de l’Harmonie. Il alla mourir obscurément, le 5 mars 1815, dans sa ville natale, non sans
avoir essayé de faire revivre encore quelques fois le
système que la science avait condamné.
Le magnétisme animal
L
e Magnétisme Animal est considéré en effet par
Mesmer comme un feu invisible qui ne peut pas
être objectivé expérimentalement. Il ne peut
pas être mesuré, ni pesé ou visualisé. Il ne peut être
expérimenté que par les sens, ce qui n’est pas sans
rappeler certains phénomènes thérapeutiques actuels
qualifiés de « parallèles ». En tant que thérapeutique
privilégiée du système nerveux, le Magnétisme Animal entretient des rapports intimes avec la douleur. Le
lien est tel que Mesmer prescrit la nécessité absolue
de la « crise » pour assurer la guérison. Dans son
mémoire de 1799, Mesmer nous décrit le mode de
fonctionnement de cette « inflammation magnétique
animale « Il justifie la logique de la crise en se référant
à la tradition et en ayant recours aux théories mécanistes et vitalistes de cette fin de XVIIIe siècle.
Malgré son caractère irrationnel, cette découverte
se proclame médecine universelle car, selon Mesmer,
ce feu invisible plus subtil que l’éther imprègne et dynamise la matière. En tant qu’agent physique, il est
le « fluide universel », le support matériel des fluides
animaux circulant dans l’espace comme dans le corps
humain (cf. Galien). Il est en quelque sorte l’âme du
Monde, le moteur pneumatique de cet « Homme-Machine » [20] décrit par la médecine mécaniste. Il est le
digne héritier du fluide alchimique, le substitut du défunt « phlogistique ». Bref, nouvel-âge avant l’heure,
Mesmer s’emballe un peu.
La thèse chimique vitaliste s’incarne ici au mieux :
elle suggère l’existence d’un corps élastique immatériel, impondérable, atmosphérique, circulant dans
l’espace. Ce fluide imprègne intimement la Nature
pour la dynamiser et la transformer.
L’examen de la Commission Royale est sans appel :
le Magnétisme Animal est une médecine de l’imagination et son agent thérapeutique est une supercherie.
Ridiculisée par la Raison triomphante, cette médecine
des sciences naturelles bascule dans les pseudosciences. Lavoisier, grand pourfendeur de ce mythe
du feu invisible, écrit dans son traité élémentaire de
chimie : « C’est sur les choses qu’on ne peut voir ni
palper qu’il est important de se tenir en garde contre
les écarts de l’imagination »
Soubresaut : le Fluide vital de Galvani
A
rrive Luigi Galvani,
médecin et physicien
italien, né à Bologne
en 1737. S’intéressant aux
phénomènes électriques
dans les organismes vivants, Galvani entreprend
vers 1780, en pleine période
mesmérienne, une série de
recherches sur les réactions
de grenouilles soumises à
une stimulation électrique.
Il découvre dans un premier
temps que les cuisses de
ces batraciens disposées
sur une plaque de verre et
recouvertes d’une feuille de
métal réagissent quand une charge électrique est appliquée dans la partie haute de la colonne vertébrale
de l’animal. Il fait une trouvaille inattendue en 1786 :
un des assistants provoque au cours d’une dissection
des contractions spectaculaires sans avoir déclenché
la moindre décharge électrique. Il a juste touché la
cuisse d’une grenouille suspendue à une grille en fer
par un crochet de cuivre avec un scalpel métallique !
Ce sacré Luigi croit qu’il a enfin découvert l’électricité
animale, le fameux fluide vital cher à Mesmer.
Prorogeant ainsi le mythe prométhéen, vieux comme
le monde, il écrit dans De Viribus Electricitatis in motu
musculari commentarius en 1791 qu’un puissant courant électrique serait chez tous animaux le véhicule de
l’influx nerveux de contractions musculaires, et que ce
véhicule serait le grand secret de la vie.
Cette hypothèse, qui rappelle l’épisode précédent,
provoque rapidement des remous et attire les foudres
d’Alessandro Volta qui, en 1792 et 1793, s’ingénie à
démonter les théories de Galvani. Depuis l’Univer-
sité de Pavie, Alessandro est intrigué par la nécessité
d’utiliser deux métaux différents pour qu’une décharge
puisse avoir lieu. Très vite, il met en avant l’idée que
la grenouille n’a d’autre rôle que de « subir » une décharge électrique, décharge qui viendrait de l’outil utilisé pour mettre en contact nerf et muscle. Il remarque
qu’un arc fait d’une lame de cuivre fixée à une lame
de fer produit une sensation lumineuse lorsqu’il est
mis en contact avec la paupière et l’oeil, ainsi qu’une
saveur acidulée lorsqu’il relie les deux faces de la
langue. D’après Volta, les travaux de Galvani ne prouvent pas l’existence d’une électricité animale, mais au
contraire celle d’une électricité métallique.
L’habileté de Volta réside dans le fait qu’il ne met pas
en doute les expériences de Galvani mais qu’il les interprète simplement différemment. La réplique de Galvani et de ses partisans ne se fait pas attendre. Galvani parvient à recréer des contractions musculaires
sur des animaux morts sans utiliser d’objet métallique.
Mais Volta a d’ores et déjà transporté le problème de
l’électricité dans le domaine de la physique tellement il
est sûr de ses conclusions. Grâce à son électromètre
fabriqué quelques années auparavant, Volta montre
que le simple contact entre un disque en cuivre et un
disque en zinc fait apparaître une charge électrique.
C’est ainsi qu’une véritable rivalité s’établit entre
Galvani et Volta, Volta « démontant » successivement toute nouvelle expérience de Galvani tendant
à apporter de l’eau au moulin de l’électricité animale.
Dans l’Europe entière, on assiste à une véritable
guerre entre les partisans de la théorie de Volta et les
« galvanistes ».
Lorsqu’en 1797, les troupes de Bonaparte envahissent l’Italie, seuls les fonctionnaires italiens qui prêtent
un serment d’allégeance à Napoléon restent en place.
Galvani fait partie de ces quelques fonctionnaires
d’état qui refuseront toujours d’admettre la domination
[20] Renvoie à la
conception de l’AnimalMachine de Descartes,
l’animal n’étant qu’un amas
de leviers, engrenages et
autres valves.
[21] Si aujourd’hui, il est
évident que l’électricité est
bien d’origine physique
et non animale, il faut
quand même admettre
que Galvani aura quand
même eu raison sur
certains points. Longtemps
on a reproché à Galvani
d’avoir été « chanceux »
dans ses découvertes
sans pour autant savoir les
interpréter efficacement.
Mais on sait aujourd’hui
que de faibles tensions
apparaissent lors des
contractions musculaires,
ce que Galvani aura été
le premier à observer lors
de ses expériences sans
utiliser de métaux. De la
même façon, la théorie de
Volta n’est pas parfaitement
exacte. Ce n’est pas le
simple contact entre deux
métaux différents (comme
l’a annoncé très tôt Volta)
qui produit de l’électricité
mais au contraire des
réactions électrochimiques
qui ont lieu au contact des
deux métaux différents.
[22] Des tests de ce type
furent nombreux. Le dernier
en date fut effectué à
l’Observatoire zététique en
décembre 2003.
des armées françaises. Il est donc obligé de quitter
son poste à l’Université. La controverse s’arrête donc
au plus fort de son développement. Galvani mourra le
4 décembre 1798, avant que Volta la lui tienne haute
(Volta), et ce dans le total anonymat.
Ainsi, en deux coups de cuiller à pot, Volta envoie
bouler le Fluide vital électrique, achève au poignard
toute velléité d’électricité animale et en profite pour
créer la première pile, faite de métaux différents séparés par des disques de carton humide [21].
Pour l’anecdote, Volta, fayot, n’hésitera pas à prêter
serment et sera récompensé quelques années plus
tard suite à ses travaux sur la pile électrique.
Conclusion
E
n guise de petite conclusion, j’attirerai votre
regard sur deux points :
Primo, l’Histoire des Sciences permet de comprendre pourquoi les explications par les «fluides»
sont si satisfaisantes intellectuellement. Notre préhension du monde porte le lourd poids des scientifiques
ventrus qui firent au cours de l’Histoire notre système
interprétatif : il n’est donc pas étonnant de voir que le
magnétisme enseigné et le magnétisme animal, personnel, etc.… subsistent encore, même chez certains
scientifiques. L’un est prédictif mais complexe, l’autre
est archaïque et jusqu’à présent faux, mais intuitif :
rien d’étonnant que, lorsque la vie nous confronte à un
phénomène étrange, l’interprétation fantasmatique et
intuitive prenne le pas (d’ailleurs, les quatre éléments
font toujours rêver, suffit de regarder le cinéma).
L’épisode Mesmer est édifiant à cet égard, et s’il y
aurait à redire des protocoles de l’époque, les conclusions auxquelles parviennent les commissions chargées d’investiguer sont transposables actuellement.
Secundo, l’hypothèse du fluide vital ou du magnétisme fait florès dans toutes les interprétations de
guérisons pseudo-naturelles. Elle se décline en diverses explications plus ou moins «énergétiques», mé-
langeant au grand dam des physiciens les notions de
force, de champ, de puissance, d’énergie en un vrac
New Age incompréhensible, mais fort propice à dire
tout et n’importe quoi. Pourtant aucun phénomène
magnétique n’a encore jamais été mis en évidence
dans les procédés de soin des guérisseurs et des
rebouteux.
Les ouvrages d’Yves Rocard, grand physicien mais
piètre expérimentateur en sourcellerie, ont ravivé la
croyance de phénomènes magnétiques en ce domaine (notamment par le truchement des fameux
cristaux de magnétite dont tout péquin moyen serait
doté aux articulations). Mais les expériences ayant
tenté d’habiliter ces thèses ont fait chou blanc, et les
protocoles de tests rigoureux en double aveugle infirment les hypothèses magnétiques dans les mains des
magnétiseurs [22].
Pourtant le magnétisme reste une valeur sûre - il
suffit de regarder le nombre d’ouvrages traitant du
sujet au rayon Esotérisme de la Fnac - et l’hypothèse
du fluide magnétique suscite toujours autant d’engouement. A croire qu’à défaut d’être un phénomène
réel, cette hypothèse soulève encore de nos jours une
énergie... renouvelable.
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L’Observatoire zététique est une association loi 1901 créée en 2004 à Grenoble et qui a pour objectif de développer
l’esprit critique grâce, entre autres, à la diffusion d’informations sceptiques et la vulgarisation de la méthodologie
scientifique par l’étude de phénomènes réputés « extraordinaires ».

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