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Bac blanc : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation.
Corpus de textes :
TEXTE 1 : La Fontaine, « La Tortue et les deux Canards », Fables, Livre X, 1678.
TEXTE 2 : La Bruyère, « Ménippe », Les Caractères, Du Mérite personnel, 1688.
TEXTE 3 : Jean-Jacques Rousseau, Confessions, Livre Premier, 1782
TEXTE 4 : Victor Hugo, « Fable ou Histoire », Les Châtiments, Livre III, 1853.
TEXTE 1.
La Tortue et les deux Canards
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Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère ;
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire :
« Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. » On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
« Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise. »
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s'étonne partout
De voir aller en cette guise
L'animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l'un et l'autre Oison.
« Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
- La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. » Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose :
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage1.
Ce sont enfants tous d'un lignage2.
La Fontaine, Fables, Livre X, Fable II, 1678.
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Lien de parenté.
Famille.
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TEXTE 2.
Dans Les Caractères, l’auteur dresse une série de portraits d’individus en grande partie
imaginaires, mais représentatifs de divers comportements humains.
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Ménippe est l’oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent
pas ; il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l’esprit des
autres qu’il y est le premier trompé, et qu’il croit souvent dire son goût ou expliquer sa
pensée, lorsqu’il n’est que l’écho de quelqu’un qu’il vient de quitter. C’est un homme qui est
de mise3 un quart d’heure de suite, qui le moment d’après baisse, dégénère, perd le peu de
lustre qu’un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde4. Lui seul ignore combien il est
au-dessous du sublime et de l’héroïque ; et, incapable de savoir jusqu’où l’on peut avoir de
l’esprit, il croit naïvement que ce qu’il en a est tout ce que les hommes en sauraient avoir :
aussi a-t-il l’air et le maintien de celui qui n’a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte
envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s’en cache pas, ceux qui passent le
voient, et qu’il semble toujours prendre un parti, ou décider qu’une telle chose est sans
réplique. Si vous le saluez quelquefois, c’est le jeter dans l’embarras de savoir s’il doit
rendre le salut ou non ; et pendant qu’il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l’a
fait honnête homme, l’a mis au-dessus de lui-même, l’a fait devenir ce qu’il n’était pas. L’on
juge, en le voyant, qu’il n’est occupé que de sa personne ; qu’il sait que tout lui sied5 bien, et
que sa parure est assortie ; qu’il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les
hommes se relayent pour le contempler.
La Bruyère, Les Caractères, Du Mérite personnel, 1688.
TEXTE 3.
Dans Les Confessions, l’auteur raconte des événements de sa vie. Ici il narre une anecdote située
dans une période de son enfance où, avec son cousin, il était en pension chez un pasteur, M.
Lambercier.
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O vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutez-en l'horrible
tragédie, et vous abstenez de frémir si vous pouvez !
Il y avait, hors la porte de la cour, une terrasse à gauche en entrant, sur laquelle on allait
souvent s'asseoir l'après-midi, mais qui n'avait point d'ombre. Pour lui en donner, M.
Lambercier y fit planter un noyer. La plantation de cet arbre se fit avec solennité : les deux
pensionnaires en furent les parrains ; et, tandis qu'on comblait le creux, nous tenions l'arbre
chacun d'une main avec des chants de triomphe. On fit, pour l'arroser, une espèce de bassin
tout autour du pied. Chaque jour, ardents spectateurs de cet arrosement, nous nous
confirmions, mon cousin et moi, dans l'idée très naturelle qu'il était plus beau de planter un
arbre sur la terrasse qu'un drapeau sur la brèche, et nous résolûmes de nous procurer cette
gloire sans la partager avec qui que ce fût.
Pour cela nous allâmes couper une bouture d'un jeune saule, et nous la plantâmes sur la
terrasse, à huit ou dix pieds de l'auguste noyer. Nous n'oubliâmes pas de faire aussi un creux
autour de notre arbre : la difficulté était d'avoir de quoi le remplir ; car l'eau venait d'assez
loin, et on ne nous laissait pas courir pour en aller prendre. Cependant il en fallait
absolument pour notre saule. Nous employâmes toutes sortes de ruses pour lui en fournir
durant quelques jours ; et cela lui réussit si bien, que nous le vîmes bourgeonner et pousser
Être de mise = avoir de la valeur, se mettre en avant.
Montrer la corde = laisser voir qu’on n’a plus de ressources, qu’on n’a plus rien à dire, qu’on est usé.
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« tout lui sied bien » = tout lui va bien, tout lui convient bien.
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de petites feuilles dont nous mesurions l'accroissement d'heure en heure, persuadés, quoiqu'il
ne fût pas à un pied de terre, qu'il ne tarderait pas à nous ombrager.
Comme notre arbre, nous occupant tout entiers, nous rendait incapables de toute application,
de toute étude, que nous étions comme en délire, et que, ne sachant à qui nous en avions, on
nous tenait de plus court qu'auparavant, nous vîmes l'instant fatal où l'eau nous allait
manquer, et nous nous désolions dans l'attente de voir notre arbre périr de sécheresse. Enfin
la nécessité, mère de l'industrie, nous suggéra une invention pour garantir l'arbre et nous
d'une mort certaine : ce fut de faire par-dessous terre une rigole qui conduisît secrètement au
saule une partie de l'eau dont on arrosait le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur, ne
réussit pourtant pas d'abord. Nous avions si mal pris la pente, que l'eau ne coulait point ; la
terre s'éboulait et bouchait la rigole ; l'entrée se remplissait d'ordures ; tout allait de travers.
Rien ne nous rebuta : Labor omnia vincit improbus. 6 Nous creusâmes davantage la terre et
notre bassin, pour donner à l'eau son écoulement ; nous coupâmes des fonds de boîtes en
petites planches étroites, dont les unes mises de plat à la file, et d'autres posées en angle des
deux côtés sur celles-là, nous firent un canal triangulaire pour notre conduit. Nous plantâmes
à l'entrée de petits bouts de bois minces et à claire-voie, qui, faisant une espèce de grillage ou
de crapaudine, retenaient le limon et les pierres sans boucher le passage à l'eau. Nous
recouvrîmes soigneusement notre ouvrage de terre bien foulée ; et le jour où tout fut fait,
nous attendîmes dans des transes7 d'espérance et de crainte l'heure de l'arrosement. Après des
siècles d'attente, cette heure vint enfin : M. Lambercier vint aussi à son ordinaire assister à
l'opération, durant laquelle nous nous tenions tous deux derrière lui pour cacher notre arbre,
auquel très heureusement il tournait le dos.
A peine achevait-on de verser le premier seau d'eau, que nous commençâmes d'en voir couler
dans notre bassin. A cet aspect, la prudence nous abandonna ; nous nous mîmes à pousser
des cris de joie qui firent retourner M. Lambercier : et ce fut dommage, car il prenait grand
plaisir à voir comment la terre du noyer était bonne, et buvait avidement son eau. Frappé de
la voir se partager en deux bassins, il s'écrie à son tour, regarde, aperçoit la friponnerie, se
fait brusquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos
planches, et, criant à pleine tête : Un aqueduc ! un aqueduc ! frappe de toutes parts des coups
impitoyables, dont chacun portait au milieu de nos coeurs. En un moment les planches, le
conduit, le bassin, le saule, tout fut détruit, tout fut labouré, sans qu'il y eût, durant cette
expédition terrible, nul autre mot prononcé, sinon l'exclamation qu'il répétait sans cesse : Un
aqueduc ! s'écriait-il en brisant tout, un aqueduc ! un aqueduc !
On croira que l'aventure finit mal pour les petits architectes ; on se trompera : tout fut fini. M.
Lambercier ne nous dit pas un mot de reproche, ne nous fit pas plus mauvais visage et ne
nous en parla plus ; nous l'entendîmes même un peu après rire auprès de sa soeur à gorge
déployée, car le rire de M. Lambercier s'entendait de loin : et ce qu'il y eut de plus étonnant
encore, c'est que, passé le premier saisissement, nous ne fûmes pas nous-mêmes fort affligés.
Nous plantâmes ailleurs un autre arbre, et nous nous rappelions souvent la catastrophe du
premier, en répétant entre nous avec emphase8 : Un aqueduc ! un aqueduc ! Jusque-là j'avais
eu des accès d'orgueil par intervalles, quand j'étais Aristide9 ou Brutus : ce fut ici mon
premier mouvement de vanité bien marquée. Avoir pu construire un aqueduc de nos mains,
avoir mis en concurrence une bouture avec un grand arbre, me paraissait le suprême degré de
la gloire. A dix ans j'en jugeais mieux que César à trente.
Rousseau, Confessions, Livre Premier, 1782.
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Un travail acharné vient à bout de tout. Citation tirée du poème Les Géorgiques, de Virgile, 1er siècle avant J.-C.
Inquiétudes, angoisses.
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Exagération dans la manière de dire ou d'écrire, ici exagération dans le comportement, dans la manifestation d'un
sentiment.
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Aristide était un célèbre homme d'État athénien, Brutus est le nom de plusieurs hommes politiques de la Rome
antique.
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TEXTE 4.
Dans Les Châtiments, Victor Hugo s’attaque à Napoléon III, qui avait pris le pouvoir en se
proclamant empereur en 1851-1852. Il l’oppose fréquemment à son oncle, Napoléon Premier, les
qualifiant de « Grand » et de « Petit ».
Fable ou histoire
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Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : " Je suis
Le vainqueur des halliers10, le roi sombre des nuits ! "
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines11,
Egorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre12, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d'ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire13 vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : " Tu n'es qu'un singe ! "
Victor Hugo, Les Châtiments, Livre III, 1853.
Question sur le corpus de textes (4 points).
Montrer comment divers procédés d’écriture sont mis au service d’une critique de la vantardise, de
l’orgueil, de la prétention, qui se traduit par des genres et registres très variés.
Écriture : vous traiterez un seul des deux sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous ferez le commentaire de la fable de La Fontaine (texte 1).
Dissertation : La dénonciation des travers de l’espèce humaine prend de nombreuses formes
littéraires. Vous expliquerez comment on peut toujours, ou presque toujours, trouver cette intention
dans les textes du corpus, dans les œuvres que vous avez étudiées en classe ou lues
personnellement. Vous pourrez étendre votre réflexion au genre théâtral.
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Enchevêtrements de buissons serrés et touffus, d'un accès difficile.
Brigandage, pillage accompagné de violence.
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Grotte, ou ici repaire d’une bête sauvage.
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Celui qui combattait contre les bêtes fauves dans les amphithéâtres romains, ou dompteur de bêtes fauves dans les
cirques.
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