Hors de l`entreprise, les tracts échappent au contrôle de l
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Hors de l`entreprise, les tracts échappent au contrôle de l
JURISPRUDENCE DROIT SYNDICAL. La Cour de cassation confirme la différence de régime applicable aux tracts syndicaux selon leur lieu de diffusion. Les divergences de solution sont-elles toujours justifiées ? Hors de l’entreprise, les tracts échappent au contrôle de l’employeur L’ enceinte de l’entreprise n’est plus forcément le lieu privilégié de la distribution des tracts syndicaux. La distribution à l’extérieur de l’entreprise répond à divers objectifs. Elle permet au syndicat d’interpeller un autre public que les travailleurs, tels que les clients de l’entreprise ou les élus locaux, notamment sur la situation économique et sociale de l’entreprise. Elle vise aussi à s’adresser aux salariés dont le lieu habituel de travail ne se situe pas dans « l’enceinte de l’entreprise ». Enfin le syndicat peut chercher à s’affranchir des contraintes horaires inhérentes à la diffusion à l’intérieur de l’entreprise. Sur le plan juridique, l’enjeu est important : les moyens à la disposition de l’employeur pour s’opposer à la distribution divergent selon le lieu de celle-ci. L’article L. 2142-4 du Code du travail encadre en effet la distribution des tracts aux « travailleurs » et « dans l’enceinte de l’entreprise ». Qu’en est-il de la distribution aux salariés de l’entreprise mais à l’extérieur de son enceinte ? L’employeur peut-il s’opposer à la diffusion de tracts à ses salariés lorsqu’elle s’effectue dans les locaux d’une entreprise cliente dans laquelle les salariés sont en mission ? La Cour de cassation, qui a rarement l’occasion de se prononcer sur cette question, défend une application stricte de ce texte. En l’espèce, la société Bearingpoint France a son siège social situé à La Défense dans la tour EDF où elle occupe quelques étages. En raison de son activité de conseil en management et technologie, ses salariés, cadres dans leur très large majorité, bénéficient d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail. Nombreux sont également ceux qui sont en mission à l’extérieur de l’entreprise chez leur principal client EDF (v. CA Versailles, 8 janv. 2009, Dr. ouvr. 2009, p. 295). 12 Les distributions en cause avaient eu lieu à plusieurs endroits : dans le hall d’entrée de la tour de La Défense, sur le parvis de la tour, devant les locaux d’un établissement de la société EDF à Boulogne-Billancourt et finalement au sein même de ce dernier établissement. LES ENJEUX DE L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 2142-4 L’article L. 2142-4 du Code du travail réglemente la distribution des tracts aux travailleurs lorsqu’elle s’effectue dans l’enceinte de l’entreprise. Le texte impose qu’elle s’effectue « aux heures d’entrée et de sortie du personnel ». Cette exigence exclut la distribution pendant les pauses (Cass. crim., 12 févr. 1979, n° 77-93.799), pendant les heures de repas pris dans l’enceinte de l’entreprise (Cass. soc., 9 juin 1983, n° 82-11.087) ou encore dans les bureaux en dehors des heures de travail (Cass. soc., 27 mai 1997, n° 95-14.850). Dans l’enceinte de l’entreprise, la section syndicale est libre du choix du lieu de la diffusion sous réserve de ne pas apporter un trouble injustifié à l’exécution normale du travail ou à la marche de l’entreprise (Cass. crim., 21 févr. 1979, n° 77-92.618, Bull. crim., n° 81). Une distribution contraire à ces directives justifie la saisine immédiate du tribunal de grande instance par l’employeur pour obtenir sa suspension. La distribution cessera donc sans qu’une discussion ne s’engage sur le contenu du tract. Lorsque la diffusion se fait à l’extérieur de l’entreprise, l’article L. 2142-4 du Code du travail n’est pas applicable (Cass. soc., 28 févr. 2007, n° 05-15.228). La seule manière de s’opposer à la diffusion du document supposerait d’en contester le contenu. Or la liberté d’expression syndicale est protégée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (C. trav., art. L. 2142-5). Semaine sociale Lamy • 14 février 2011 • n° 1479 Seuls des propos injurieux ou diffamatoires permettent d’obtenir, en l’absence de contestation sérieuse, l’interdiction de la diffusion (Cass. soc., 5 juill. 1977, n° 76-11.506, Bull. civ., V, n° 456 ; Cass. soc., 25 juin 1981, n° 80-12.219, Bull. civ., V, n° 614). Un tel enjeu explique que les employeurs privilégient une action sur le terrain de l’article L. 2142-4, quel que soit le lieu de la distribution des tracts aux salariés. SON CHAMP D’APPLICATION : L’ENCEINTE DE L’ENTREPRISE w À l’exclusion des lieux de travail extérieurs à l’entreprise Dans son pourvoi, la société Bearingpoint France prétendait que le texte devait s’appliquer « dans tous les lieux où les salariés exercent leur activité professionnelle, y compris dans les locaux d’une autre entreprise lorsqu’ils y sont envoyés en mission ». Pour l’entreprise, il s’agissait d’éviter que son client ait connaissance de ces tracts lorsque la distribution est illicite. Or, elle l’était en l’espèce semble-t-il, puisqu’elle s’était déroulée pendant le temps de travail. Certains auteurs ont pu faire remarquer le caractère archaïque des dispositions de l’article L. 2142-4 du Code du travail lorsqu’il impose la distribution aux heures d’entrée et de sortie au regard des nouvelles organisations du travail, en particulier les horaires variables (P. Rennes, Dr. ouvr. 2009, p. 297). Ne l’est-il pas aussi lorsqu’il vise l’enceinte de l’entreprise alors que les lieux de travail se diversifient (mise à disposition, chantier, domicile du salarié) ? La Cour de cassation refuse d’étendre le champ d’application du texte. Elle s’en tient au sens le plus strict de l’enceinte de l’entreprise : « l’article L. 2142-4 se borne à organiser la diffusion de tracts […] aux travailleurs dans l’enceinte de l’entreprise ; […] n’y sont incluses ni la voie publique, ni les parties communes de l’immeuble où l’entreprise occupe des locaux, ni l’établissement d’un client au sein duquel des salariés de l’entreprise effectuent des missions ». Limitation des pouvoirs de l’employeur Lorsque la distribution des tracts n’a pas lieu dans l’enceinte de son entreprise, l’employeur n’est pas en mesure de s’y opposer aux motifs soit qu’elle ne se déroulerait pas aux heures d’entrée et de sortie, soit qu’elle perturberait le travail des salariés. Ainsi la Cour de cassation prend soin de relever que « la société Bearingpoint France ne pouvait invoquer ce texte pour contester la licéité des distributions de tracts syndicaux effectués en ces lieux ». Bien que la distribution se fasse sur le lieu de travail de ses salariés, l’employeur ne pourra lui-même invoquer la perturbation éventuelle du travail occasionnée par la diffusion. Quid des pouvoirs du chef de « l’entreprise extérieure » ? Bien que distribué à l’extérieur de l’entreprise intéressée par le contenu du tract, on ne saurait affirmer que la distribution des tracts dans l’enceinte d’une entreprise cliente est libre. Il paraît en effet difficile de traiter de la même manière la distribution de tracts dans des lieux dont la destination est si différente : lieux ouverts au public d’un côté, lieux de travail de l’autre. Si l’employeur ne peut s’opposer à la distribution des tracts à ses salariés sur des lieux de travail extérieurs, le chef de l’entreprise dans laquelle ces tracts sont distribués pourra le faire. Les conditions d’application de l’article L. 2412-4 du Code du travail sont en effet réunies : distribution dans « l’enceinte de l’entreprise » et « aux travailleurs » (indépendamment de leur lien de subordination avec l’entreprise). Exclusion d’un accord collectif contraire La solution permet également de porter un jugement critique sur l’accord collectif conclu par la société Bearingpoint France avec les syndicats CFE-CGC et CFTC à la suite de ces événements. Les dispositions conventionnelles interdisaient la distribution des tracts dans le hall de la tour EDF, à son entrée et au sein des établissements des clients. Elles imposaient la distribution à la sortie des ascenseurs des étages de la tour occupés par la société. Enfin pour permettre de contacter le personnel non sédentaire, la distribution dans les « bannettes individuelles » était prévue. Un tel accord est assurément nul en ce qu’il comporte des dispositions restrictives à la liberté d’expression syndicale. Il avait été en l’espèce frappé d’opposition par les syndicats CGT et CGT-FO. La société Bearginpoint France prétendait exclure un tel accord du champ d’application des dispositions normalement applicables aux conventions collectives de travail au motif que son objet n’entrait pas dans l’énumération proposée à l’article L. 2222-1 du Code du travail. S’il avait été retenu, l’argument aurait autorisé la réglementation conventionnelle de l’exercice des activités syndicales à l’extérieur de l’entreprise. différence de solutions appliquées à des configurations pourtant semblables : – dans un cas un hall d’entrée, lieu privatif mais néanmoins ouvert au public dans lequel peuvent se croiser salariés et clients de l’entreprise dans lequel le syndicat ne peut laisser des tracts au risque qu’ils tombent entre les mains d’un client ; – dans l’autre cas, un hall d’immeuble partie commune, lieu de passage des salariés comme des clients, considéré comme un lieu de libre diffusion des tracts syndicaux. UNE DUALITÉ DE RÉGIME TOUJOURS JUSTIFIÉE ? Dans certaines situations, la dualité de régime paraît anachronique : fautw À l’exclusion de la voie il contraindre les syndicats à sortir de publique Il s’agit là d’une confirmation. Dans l’entreprise pour s’adapter aux horaires l’arrêt du 28 février 2007 précité la Cour variables des salariés ? Faut-il appliquer de cassation avait considéré que l’article un régime différent à des lieux semL. 2412-4 du Code du travail ne s’ap- blables selon qu’ils sont une partie pripliquait pas à l’extérieur de l’entreprise. vative ou commune (hall d’entrée) ? Cet arrêt permet aussi de poser la En conséquence, l’employeur ne pouquestion de l’exercice vait s’opposer à la disdu droit syndical auprès tribution de tracts à ses des salariés dont le clients dès lors que cette La liberté syndicale lieu de travail habituel distribution se faisait devant les locaux de n’implique-t-elle pas que n’est pas sédentaire, ou l’entreprise. Dans l’afla distribution soit libre qui travaillent dans l’enceinte d’une autre faire Bearing point quel que soit le lieu entreprise dans le cadre France, les délégués syndicaux s’étaient de diffusion avec la seule d’une mise à disposisemble-t-il assurés de limite de ne pas tion ou de l’exécution distribuer les tracts aux perturber l’exécution normale de leur travail (chantiers, par exemple). salariés de la société. du travail lorsqu’elle Les tracts syndicaux Il faut souligner la s’effectue sur le lieu de peuvent-ils être distridifférence de solutions à laquelle la dualité de travail? bués par les représentants syndicaux de régime applicable à la l’entreprise visée par le distribution de tracts tract dans des lieux de conduit : la jurisprudence s’oppose en effet à ce que soient travail qui ne lui appartiennent pas ? laissés des tracts dans l’enceinte de l’en- Quel régime conviendra-t-il d’applitreprise dans un lieu accessible à des quer à la distribution si le lieu de trapersonnes étrangères à l’entreprise tels vail, tel un chantier, ne peut pas être que le hall d’un hôpital accessible aux considéré comme l’enceinte d’une envisiteurs et aux malades (Cass. crim., treprise ? La liberté syndicale n’implique-t-elle 30 janv. 1973, n° 72-92.034, Bull. pas que la distribution soit libre quel crim., n° 55). que soit le lieu de diffusion, avec la seule limite de ne pas perturber l’exécution w À l’exclusion des parties normale du travail lorsqu’elle s’effectue communes d’un immeuble En excluant du champ d’application sur le lieu de travail ? L’évolution passe de l’article L. 2142-4 du Code du travail a priori par une intervention législative. n les parties d’un immeuble que l’entreu Cass. soc., 18 janv. 2011, n° 09-12.240 P + B prise partage avec d’autres, la jurisprudence restreint l’enceinte de l’entreprise Odile Levannier-Gouël à une partie privative dont l’accès peut Maître de conférences à être réglementé par la direction. l’Université de Poitiers On est à nouveau frappé par la Semaine sociale Lamy • 14 février 2011 • n° 1479 13