A-2006/N°16- L`externalisation des politiques migratoires

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A-2006/N°16- L`externalisation des politiques migratoires
Siréas
asbl
Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale
Année
2006
DOCUMENT n° 16
Analyses et études
L’EXTERNALISATION DES POLITIQUES
MIGRATOIRES : RENFORCEMENT DES
ECARTS NORD-SUD ET VIOLATION DES
DROITS HUMAINS
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L’externalisation des politiques migratoires : renforcement des écarts nord-sud
et violation des droits humains
Comme en témoigne l’octroi de visas, utilisés depuis longtemps pour interdire l’accès à un
pays en amont de ses frontières, la délocalisation du contrôle des frontières et la mise en place
d’un cordon sanitaire autour de l’espace Schengen n’est pas totalement nouvelle. Plus
récemment cependant, les états de destination tentent d’établir des rapports de coopérations
avec les états d’origine et de transit, par le biais de partenariat et de financement les incitant à
maîtriser le départ des migrants et à mieux contrôler leurs frontières.
Une forte illustration de ce phénomène est les campagnes de dissuasion destinées à
décourager les migrants potentiels de tenter leur chance en Europe qui sont progressivement
apparues ces dernières années à l’est et au sud de l’Union Européenne. Mise en place par
l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) dans différents pays à l’est de
l’Union Européenne (Albanie, Arménie, Géorgie, Kazakhstan, Moldavie, Roumanie, Serbie et
Monténégro et Ukraine) ces campagnes mettent en avant les dangers de l’immigration
clandestine, les risques de se retrouver aux mains des mafias actives dans la traite des êtres
humains, les difficultés de trouver sa place dans les pays d’Europe occidentale, etc. Leur but
est de diffuser des informations censées inciter les ressortissants des pays concernés à
percevoir l’immigration non comme une chance mais comme une source de dangers.
Les campagnes d’information ont recours à des affiches publicitaires représentant le plus
souvent des belles femmes blanches dans des situations de détresse et dans des attitudes
caractéristiques des travailleuses du sexe, complétées par des slogans tels que ‘Le retour à la
maison ne sera pas facile’, ‘Es-tu certaine de savoir ce qui t’attend ?’, ‘La confiance aveugle a
ouvert les yeux trop tard’ ou ‘Penses-tu que cela ne peut jamais t’arriver ?’, ‘Veux-tu
échanger ta dignité, ta liberté et ta santé pour une cage ?’,‘Tu seras vendue comme une
poupée !’. En 2005 en Ukraine, on trouvait de grandes affiches représentant un passeport avec
la photo d’une jeune femme barrée de l’inscription ‘vendue’.
En Moldavie, un film intitulé ‘Lylia 4-ever’racontant l’histoire d’une jeune fille de 16 ans
devenue victime de la traite des êtres humains a été diffusé aussi bien sur les chaînes
nationales que lors de projections organisées dans des villes et villages. Les écoles l’ont
2
également inclus dans leur programme et des ONG ont été formées par les agences locales de
l’O.I.M. pour donner des conseils et répondre aux questions posées après les projections1.
En Ukraine, les chaînes de télévision ont diffusé un spot publicitaire montrant un migrant
préparant sa valise : la caméra s’attarde sur les différents documents officiels nécessaires au
départ, et plus particulièrement sur un passeport ouvert portant de manière très visible
l’inscription LABOUR VISA (visa de travail) ; on voit ensuite l’émigrant à l’aéroport ou dans
2
une gare, refusant de confier son passeport à quelqu’un d’autre . En Moldavie, un spot
télévisé fait la promotion d’une ligne téléphonique grâce à des artistes locaux qui donnent des
‘conseils amicaux’ à l’audience du type : ‘Si vous voulez aller à l’étranger, c’est OK. Je
respecte votre décision mais ne vous précipitez pas. Informez-vous. Prenez le temps d’appeler
3
la hotline’ .
D’ambitieux programmes diffusent également des messages de lutte contre la traite auprès des
jeunes en Amérique centrale et en Europe. C’est notamment le cas de MTV EXIT, une
campagne multimédia entendant ‘arrêter l’exploitation et la traite’ et soutenue par l’Agence
Suédoise Internationale de Coopération au Développement en collaboration avec l’OIM4. La
star hollywoodienne Angelina Jolie présente un document intitulé ‘Trafic inhumain’ qui offre
une introduction au phénomène de la traite au travers d’histoires réelles. Le groupe de rock
R.E.M. a également été impliqué, sa tournée européenne de 2005 ayant été suivie par le
programme MTV EXIT : des associations de lutte contre la traite étaient présentes aux
concerts pour distribuer du matériel de prévention aux fans.
Enfin, au Maroc, le ton est quelque peu différent. Les candidats à la migration n’inspirent pas
la même victimisation que pour les femmes de l’Est et on trouve alors de slogans du type
‘Seule la migration légale garantit vos droits’.
1
«Lilya 4-Ever : Un film peut-il faire la différence ? », OIM Infos, mars 2004, pp. 18-19.
2
Voir http://www.iom.org.ua/index.php?id=53&sub_id=54&public_id=70&action=public_det&wlng=e
3
«Celebrities Spread the Word: ‘If you want to go abroad it’s OK… Get yourself informed. Find a little time to
call the hotline’», IOM News, juin 2004, pp. 21-22.
4
Voir http://www.mtvexit.org/
3
Contexte
Le contexte dans lequel s’élaborent ces campagnes est celui d’un durcissement des contrôles
de l’immigration. La plupart des pays occidentaux se préoccupent fortement – on pourrait
même dire de manière obsessionnelle – de la ‘perméabilité’ de leurs frontières et sont tenu de
mettre en place de nouvelles mesures pour les surveiller. Les murs construit le long de la
frontière entre les Etats-Unis et Mexique, les capteurs de chaleur corporelle, les détecteurs de
mouvements ou encore les radars dans le détroit de Gibraltar en sont l’expression la plus
flagrantes.
Les préoccupations sécuritaires ont accru cette volonté de contrôle et ont conduit à
l’utilisation de technologies biométriques toujours plus pointues pour se protéger des menaces
du terrorisme5. Mais il semblerait qu’au même titre que la lutte contre la traite des êtres
humains est utilisée pour justifier des campagnes qui entendent lutter contre la migration
illégale, les préoccupations sécuritaires sont ainsi utilisées pour justifier des politiques qui
leur pré-existaient et qui probablement auraient été conçues de toute façon.
A l’intérieur des états, la recherche des migrants en situation irrégulière s’intensifie chaque
année notamment par des contrôles sur les lieux de travail mais ces interventions donnent peu
résultats. Une autre option consiste à restreindre l’accès des clandestins aux services sociaux
et aux prestations de l’état-providence6. Le recours à ces méthodes, longtemps réservées à des
situations exceptionnelles comme les guerres, illustre le durcissement des politiques
migratoires.
La conséquence la plus troublante de ces politiques concerne le nombre de décès de migrants.
Migrer illégalement est devenu et devient de plus en plus dangereux. Les drames humains que
constitue la traversée de la méditerranée par des boat people partis des côtes africaines pour
échouer sur les plages sont la conséquence des barrières toujours plus hautes édifiées pour
barrer la route à ceux qui fuient la misère ou les conflits. Cornelius Wayne A. estime qu’au
moins un migrant meurt quotidiennement à la frontière entre les États-Unis et le Mexique,
5
Thomas Rebekah Alys Lowri, « Biometrics, international migrants and human rights », Commission Mondiale
sur les Migrations Internationales (Genève): Global Migration Perspectives no. 17, 2005.
6
Cohen Steve, Beth Humphries et Ed Mynott (dir.), From Immigration Controls to Welfare Controls, Londres,
Routledge, 2002.
4
principalement d’hypothermie, déshydratation, insolation ou noyade7. En Europe : Eschbach
et al. estiment qu’au moins 920 immigrants sont morts en tentant d’atteindre l’Europe entre
1993 et 19978. L’actualité de ses derniers mois ne vient certainement pas alléger ces
constatations. Ces tragédies issues des flux clandestins ne sont pas propres aux pays
occidentaux ; des décès ont été recensés au large des côtes australiennes, à la frontière entre le
Mexique et le Guatemala et dans le Sahara. Dans tous les cas, ces chiffres sont probablement
inférieurs à la réalité car personne ne sait combien de corps se perdent en silence. Ces
constatations nous incitent à adhérer au point de vue d’Alain Maurice selon lequel la mortalité
des candidats à l’asile serait devenue un mode de régulation des flux migratoires9. En effet,
les mesures technologiques prises par l’Union Européenne sont en partie une des causes de
ces drames humains. Pourtant, ce sont ces types de solutions auxquels on alloue les budgets
les plus élevés.
Comme le fait remarquer Antoine Pécoud dans un article à paraître, le coût des contrôles n’est
pas seulement humain mais aussi financier. Les 25 pays les plus riches dépensent 25 à
30 milliards de dollars par an pour faire respecter les lois sur l’immigration10. Selon ce
dernier, ces coûts ne proviennent pas seulement des contrôles aux frontières, mais aussi de la
délivrance de visas et de permis de séjour, des poursuites à l’encontre des clandestins, de leur
détention et de leur expulsion, de l’inspection des lieux de travail et de la prise de sanctions
contre les employeurs, du traitement des dossiers des demandeurs d’asile et de la
réinstallation des réfugiés, ainsi que des recherches de clandestins. Pour mettre cette somme
en perspective, Antoine Pécoud propose de la juxtaposer avec celle consacrée au
développement. D’après une étude de la Banque Mondiale, les états dépensent annuellement
entre 40 et 60 milliards de dollars pour le développement, alors que 40 à 70 milliards de
7
Cornelius Wayne A., «Death at the Border: Efficacy and Unintended Consequences of US Immigration Control
Policy», Population and Development Review 27(4), 2001, p. 661-685; Martin Philip, Bordering on Control:
Combating Irregular Migration in North America and Europe, Genève, IOM Migration Research Series No 13,
2003.
8
Eschbach, Karl, Jacqueline Hagan, Nestor Rodriguez, Rubén Hernandez-Leon et Stanley Bailey, «Death at the
Border», International Migration Review 33(2), 1999, p. 430-454.
9
Alain Maurice Des dizaines de milliers de réfugiés tenus à distance, in Le Monde Diplomatique, mars 2004.
10
Martin Philip, Bordering on Control: Combating Irregular Migration in North America and Europe, Genève,
IOM Migration Research Series No 13, 2003.
5
dollars supplémentaires seraient nécessaires pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le
développement11.
Comme nous l’avons déjà noté plus haut, ce durcissement des contrôles migratoires produit
pas les résultats escomptés : l’immigration irrégulière persiste et les états semblent incapables
de maîtriser leurs frontières. Certains migrants sont certes arrêtés tandis que d’autres sont
expulsés. Mais la plupart échappe aux contrôles, en prenant plus de risques, en passant par
d’autres zones frontalières et en s’en remettant à des passeurs professionnels. L’écart entre les
buts affichés des politiques et leurs résultats est questionnant.
La question se pose donc de savoir s’il est réellement possible de maîtriser les flux
migratoires. Les difficultés sont multiples. La migration est maintenant structurellement
ancrée, tant économiquement que socialement, dans la plupart des pays, tant d’origine (sous la
forme de transferts de fonds notamment) que de destination (en tant que main d’œuvre bon
marché), la rendant presque impossible à stopper.
Externalisation des politiques migratoires ou la mise à l’écart du demandeur d’asile
L’externalisation des politiques migratoires entends pallier à cette incapacité de contrôle des
frontières en tentant d’étendre les chances de succès en s’alliant avec les pays d’origine des
candidats à la migration. Pour ce faire, quatre logiques sont mises en œuvre12 : la
délocalisation, la sous traitance, la privatisation et la déresponsabilisation.
Cette tendance à expédier toutes les procédures d’accès au territoire européen à l’extérieur de
l’Europe a des conséquences importantes. Les différentes mesures mises en place par l’Union
Européenne favorisent largement les mesures de protection dans les lieux proches des pays
d’origine des demandeurs d’asile. L’externalisation a comme conséquence importante
d’empêcher les demandeurs d’asile de trouver protection au sein de l’Union Européenne.
Cette manière de faire nous laisse penser que c’est le statut même du réfugié qui est mis en
cause.
11
Devarajan, Shantayanan, Margaret J. Miller et Eric V. Swanson, Goals for Development. History, Prospects,
and Costs, The World Bank: Policy Research Working Paper 2819, 2002.
12
Emmanuel Blanchard Qu’est-ce que l’externalisation ? par publié le 20 mars 2006
6
La mise à l’écart des étrangers dans des camps installés à l’extérieur de l’Europe semble
prendre une place de plus en plus décisive même si on en fait peu allusion officiellement.
Cette manière de faire permet à l’Union Européenne d’agir loin des regards de l’opinion
publique et contribue à occulter les réelles conséquences de la fermeture des frontières. Des
pays tels que le Mexique ou le Maroc deviennent ainsi des zones tampon destinées à endiguer
l’émigration depuis l’Amérique Centrale ou l’Afrique subsaharienne13. Les conditions
inhumaines de détention des candidats migrants en Libye, en Mauritanie ou encore en
Ukraine, lorsqu’elles sont connues, sont mises sur le compte de la dureté des conditions de vie
locales et aucun contrôle ne peut être exercé sur les zones de détention.
Monsieur Ferenc Köszeg14 nous rapporte les conditions de vie déplorables dans un camp en
Ukraine où des milliers de demandeurs d’asile désireux de rejoindre l’Union Européenne sont
détenus au milieu de prisonniers de droit commun. Un rapport de Human Rights Watch15
dénonce les conditions de détentions épouvantables (surpopulation, accès limité voire
inexistant à l’air frais, impossibilité d’avoir un traitement médical…) ainsi que les abus
physiques, les agressions verbales, les vols… dont souffrent de nombreux détenus. Aussi, les
détenus n’ont généralement pas accès à un avocat et donc sont dans l’impossibilité de faire
une demande de libération. Etant donné que dans ce pays, le système de l’asile fonctionne à
peine, les demandeurs d’asile sont le plus souvent forcé au retour dans leur pays avant même
qu’ait été déterminé leur besoins de protection en tant que réfugié. Le rapport met en avant le
cas des Tchétchènes qui, détenus en Ukraine, sont forcés de retourner en Russie. Ceux qui
tentent d’entrer dans l’Union Européenne se voient dès lors refuser l’accès au droit d’asile. En
Ukraine, aucun Tchètchène n’a été reconnu réfugié. La pression de l’Ukraine préparant son
entrée dans l’Union Européenne influe certainement cette manière d’agir.
En Libye, un rapport de la Commission européenne – issu d’une mission exploratoire
déroulée en 2004 – fait état des conditions de traitements accablants des étrangers : les rafles
d'étrangers, l'enfermement dans des camps et les expulsions collectives, y compris de
13
Andreas Peter et Thomas J. Biersteker (dir.), The Rebordering of North America. Integration and Exclusion in
a New Security Context, New York, Routledge, 2003.
14
Comité Helsinki de Hungaria
15
‘On the Margins – Ukraine : Rights Violations against Migrants and Asylum Seekers at the New Eastern
Borders of the European Union’, novembre 2005
7
réfugiés, sont monnaie courante16. Malgré ce rapport et de nombreuses mises en garde
d’Amnesty International et du HCR, les ministres européens de l’immigration ont choisi
d’intensifier leur coopération avec la Libye. Il y a évidemment de quoi se questionner lorsque
les considérations relatives au respect des droits de l'homme relèvent de la stratégie dite à
long terme.
Différentes initiatives ont été mises en place pour favoriser la délocalisation.
Tout d’abord la notion de ‘pays sûrs’ adoptées par l’Europe depuis le début des années
nonante va dans ce sens. Cette mesure permet aux pays européens de refouler des réfugiés
dans les pays de transit ou d’origine, lorsque ces derniers sont considérés comme offrant
suffisamment de garantie pour leur sécurité. Cependant, la liste des pays dits sûrs est rarement
rendue publique et les pays de l’Union Européenne peinent à s’accorder sur une liste
commune étant donné, comme le note A. Maurice, que la création de cette liste dépend moins
du principe de pays sûr que des relations diplomatiques entre les pays.
Depuis juin 2002, une directive européenne introduit la notion d’asile interne qui prévoit
qu’avant d’accorder sa protection, le pays dans lequel le requérant demande l’asile doit
vérifier qu’il ne pouvait pas trouver de lieu où il pouvait être en sécurité dans son propre pays.
Toujours dans ce sens, les accords de réadmission permettent d’expulser les migrants avant
même qu’ils n’aient pu introduire quelconques procédures pour obtenir la protection des
autorités européennes. En effet, lorsque des ressortissants des pays signataires sont trouvés en
situation irrégulière sur le territoire d’un des Etats membres, le rapatriement vers le pays
signataire est facilité par l’accord et peut ainsi se faire dans des délais très rapides.
Enfin, le rôle dévolu aux transporteurs (surtout aux compagnies aériennes) déplace aux
guichets de départ le contrôle des documents relatifs à l’entrée sur le territoire. Conformément
à la convention de Schengen de juin 1990, de lourdes sanctions ont été progressivement
instaurées envers les compagnies de transport qui embarqueraient des étrangers suspects de
vouloir immigrer frauduleusement17.
16
Ferré Nathalie, « La Libye pour ‘externaliser’ le droit d'asile de l'UE ? », in Le Monde du 20 juillet 2005
17
Alain Morice, Des dizaines de milliers de réfugiés tenus à distance, in Le Monde Diplomatique, mars 2004, p
14 et 15
8
L’objectif de toutes ces mesures semble évident : l’urgence est bien que les migrants
n’atteignent jamais le sol européen. Si l’Union Européenne parle plutôt de ces programmes
comme ayant pour but la protection des migrants et des réfugiés, il semblerait que ce ne soit
que des ‘objectifs façades’ destinés à ‘vendre’ les programmes de l’Union Européenne.
Les campagnes d’information à la migration : illustration frappante
Comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, cette délocalisation du contrôle est une
tendance importante des politiques migratoires contemporaines et apparaît comme une
conséquence des insuffisances et des échecs des contrôles frontaliers traditionnels. Ces
campagnes d’information représentent des formes nouvelles de surveillance des frontières,
caractérisées par leur éloignement géographique.
Les campagnes d’information et de découragement des migrants représentent un volet – très
peu analysé jusqu’à présent – du tableau de la délocalisation. En effet, moins spectaculaire
que l’enfermement ou que les expulsions massives, les campagnes d’information ont comme
particularité d’apparaître sous un visage s’apparentant à des initiatives de type humanitaires.
Dès lors, tant sur le plan financier que sur le plan des partenaires des campagnes, l’O.I.M. est
parvenu à s’attitrer la sympathie de tous. En effet, entendant protéger les migrants des grands
dangers des mafias et des trafiquants d’êtres humains, l’O.I.M. peut compter tant sur la
collaboration des ONG locales que des écoles ou encore sur de nombreux bénévoles ainsi que
sur les budgets de développement mais également sur celle des gardes frontières, des
ministères locaux sur qui l’Union Européenne fait pression pour qu’ils gardent leurs migrants
sur leur territoire, etc. En d’autres termes, en présentant ces campagnes comme une initiative
à caractère humaniste et humanitaire, des acteurs, qui habituellement poursuivent des objectifs
différents, se rassemblent autour d’une même lutte : combattre la traite des êtres humains.
Cependant, à aucun moment l’O.I.M. ne soulève la contradiction évidente selon laquelle
moins les filières de migration légale (principalement l’octroi des visas) sont accessibles, plus
les filières illégales gagneront du succès. Aussi et comme nous l’avons noté précédemment,
plus les frontières deviennent étanches, plus les passeurs doivent se frayer des chemins
difficiles et dangereux. Dès lors, on est en droit de se questionner sur le sens et l’impact de
ces campagnes qui dissuadent les migrants de partir sans proposer aucune alternative de
filières légales. En effet, ces campagnes reposent sur des bases fragiles, dans la mesure où
elles établissent un lien direct et causal entre les informations dont dispose le migrant
9
potentiel et sa décision de partir. Comme l’attestent de nombreuses recherches, des
dynamiques structurelles largement indépendantes des décisions individuelles sont à l’œuvre
dans l’émigration ; de plus, les relations entre contexte social, informations et comportements
individuels sont complexes et la diffusion d’informations ne suffit pas à modifier le
comportement des migrants. Mais ce lien postulé entre informations et décisions de partir
s’avère nécessaire dans la quête de contrôle mentionnée ci-dessus : face à la difficulté de
contrôler les portes de l’Europe, les politiques s’attachent à persuader les migrants de ne pas
partir, comme s’il était plus facile de les convaincre que de les arrêter à la frontière.
10