Anna Rocca Se frayer un chemin de retour : Lalla Essaydi et ses
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Anna Rocca Se frayer un chemin de retour : Lalla Essaydi et ses
Anna Rocca Se frayer un chemin de retour : Lalla Essaydi et ses espaces Anna Rocca C’est cela, du reste, qu’il convient peut-être de nommer inspiration et non je ne sais quel miraculeux souffle divin ; la rencontre de l’ « autre » qui secoue la mémoire, déclenche le processus de création et par là rend possible le déploiement de l’origine. -- Mohamed Rachdi (Art et mémoire 23) Dans cette citation de l’artiste contemporain marocain Mohamed Rachdi, l’ « autre » se présente sous différentes formes – « une personne, un visage, un sourire, une parole ou un regard, […] une œuvre, […] une couleur, une matière, une lumière… » (Art et mémoire 23) — et coïncide avec l’inspiration, à savoir tout ce qui touche l’artiste et bouscule en même temps son passé, son présent et son futur. Par rapport au passé, l’ « autre » ébranle l’artiste car il incarne : « cette puissance d’appel qui m’interpelle en secouant ma faculté d’oubli et de rappel » (22) ; l’ « autre » rend aussi possible l’inclusion dans l’œuvre d’art d’éléments liés au passé, en faisant ressentir : « la présence de l’origine à l’œuvre » (23). Par rapport au présent, la création artistique qui ressort de cette rencontre aide à sublimer le présent, à lui donner un « visage vivant et souriant » (23). Enfin, l’œuvre d’art ouvre le futur en donnant naissance à : « une oasis capable de fascination, d’enchantement et d’envoûtement » (23). Autrement dit, ce qui surgit de la Anna Rocca rencontre avec l’ « autre » élargit l’horizon et le potentiel de ce qui est réel, et permet à l’artiste de recréer une réalité qui inclut un excès : son côté magique et mystérieux. L’oasis dont Rachdi nous parle est un lieu réel, Goulmina, son lieu de naissance dans le sud-est du Maroc, qu’il a quitté à l’âge de vingt ans pour la France. L’oasis est aussi sa recréation artistique, « le récit des complexes retrouvailles avec le terreau natal » et le lieu où l’activité artistique trouve « son point d’origine » (7, 15). L’art de Lalla Essaydi, artiste contemporaine marocaine, prend aussi sa source en son propre lieu de naissance, se posant tout d’abord la question du retour et la manière de l’envisager, une fois qu’on vit hors du pays natal. Ce qui entraîne une interrogation sur quoi inclure, écarter, préserver, faire sien et transformer parmi toutes les expériences avec ces plusieurs ‘autres’. Ainsi faisant, elle arrive à se frayer un chemin de retour à travers la création artistique. Comme elle nous le dit elle-même : At a certain point, I realized that in order to go forward as an artist, it was necessary to return physically to my childhood home in Morocco and to document the world that I have left in a physical sense, but of course, never fully left in any deeper, more psychological sense. […] I needed to return to the culture of my childhood if I wanted to understand my unfolding relation to the « converging territories » of my present life. (Les Femmes du Maroc 16) [À un certain moment, je me suis rendu compte que si je voulais avancer comme artiste, il était nécessaire de retourner physiquement dans ma maison d’enfance au Maroc et de décrire l’univers que j’avais laissé physiquement, mais évidemment jamais laissé complètement, dans un sens plus profond et psychologique. […] J’avais besoin de retourner à la culture de mon enfance si je voulais comprendre le développement de ma relation avec les « territoires convergents » de ma vie au présent].1 Née et ayant grandi à Marrakech, Lalla Essaydi passe vingt ans de sa vie en Arabie Saoudite, pendant lesquels elle suit des cours en été à l’École des Beaux-Arts à Paris. Elle déménage ensuite aux États-Unis, et à Boston, elle obtient un diplôme et une maitrise en arts plastiques. Actuellement, elle vit à New York et travaille entre cette ville, Boston et le Maroc. Né au Maroc, et vivant en France, la démarche de Mohamed Rachdi, artiste plasticien, commissaire d'expositions, critique d’art et chercheur universitaire, explore l’importance de la mémoire individuelle et collective par rapport à oubli et à l’invention créatrice. En 2008, son exposition Les Rosaces du désir à Casablanca, a marqué le retour de l’artiste dans son pays. L’affinité entre Lalla Essaydi et Mohamed Rachdi serait alors celle de l’éloignement du lieu d’origine et du désir de le recréer à travers l’imagination ; cette tension provoque, pour le dire dans les mots de Rachdi : « la dynamique du potentiel mnésique et qui déclenche le travail de l’imagination » (17). Toutefois, là où l’oasis de Goulmina est pour Rachdi le « cadre de tous les plaisirs, jeux et rêveries » de son enfance et adolescence, le palais d’Essaydi à Marrakech dans lequel elle revient pour situer beaucoup de ses photographies, lui renvoie la mémoire des moments de son adolescence passés en isolement (16). Cet ancien palais de famille, pas loin de la ville de Marrakech, qui pour la plupart du temps restait inhabité, était utilisé par les parents de la jeune fille pour la punir à chaque fois qu’elle désobéissait.2 La réappropriation d’Essaydi de cet espace fait écho aux mots de Rachdi quand il dit que la distance, à savoir l’expérience de Anna Rocca l’exil, « déclenche le travail de l’imagination » (17), à tel point qu’il nous enrichit : « C’est dire donc que pour créer, il faut savoir instaurer de l’écart, prendre une distance propre à transfigurer l’absence en catalyseur de l’imagination créatrice. L’exil est créateur » (19).3 C’est en revenant plusieurs fois dans ce palais, très chargé au niveau psychologique, qu’Essaydi prend conscience d’un autre espace qui s’ouvre à elle : « the space of imagination, of self-creation » [« l’espace de l’imagination, de l’autocréation »] (Converging Territories 26). Le fait de choisir l’espace de punition pour situer Converging Territories [Territoires Convergents], sa première série photographique à laquelle l’artiste travaille de 2001 à 2005, ouvre sa mémoire à de nouveaux sens. Ayant repeuplé l'espace vide de son enfance de femmes qui interagissent entre elles, Essaydi conjure les fantasmes du passé : en faisant interagir ces derniers avec les nouvelles images, l’artiste rend possibles des dynamiques de transformation entre le présent et le passé. Car le passé, donné comme figé et résistant, une fois séduit par la force créative du présent, finit par se déliter et se faire transformer. Forte de cette prise de conscience, dans sa deuxième série photographique, Les Femmes du Maroc, l’artiste est maintenant prête à s’engager d’une manière provocatrice avec la peinture orientaliste, soit dans son côté séduisant soit dans son côté perverti. En redonnant ainsi à l’espace sa caractéristique essentielle, celle d’inclure et d’accueillir, à savoir de réarranger les éléments et leur façon de s’associer l’un à l’autre, Essaydi s’ouvre ainsi un chemin de retour et donne une forme personnelle à son sentiment d’appartenance. De ses trois séries photographiques, Converging Territories de 2005, Les Femmes du Maroc de 2009 et Harem de 2010, cette étude portera sur les transformations de l’espace dans Converging Territories et Les Femmes du Maroc. Ces derniers sont aussi les titres des deux livres qui ont accompagné les expositions ; le premier a été introduit par Amanda Carlson, le deuxième par Fatema Mernissi. Afin de mieux comprendre l’art de Lalla Essaydi, et en particulier ce qui a été considéré par un critique comme une réappropriation problématique des peintures orientalistes dans Les Femmes du Maroc, voyons très brièvement le contexte général dans lequel l’art contemporain arabe se situe. Le contexte d’interprétation de l’art contemporain arabe Au niveau du marché et de son fonctionnement, à la différence de l’art contemporain de pays tels que la Russie et la Chine, qui en Occident a paru dans les galeries, dans les musées et par conséquent dans le marché au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, l’art des pays arabes a été présenté jusqu’à très récemment exclusivement dans les musées ethnologiques ou dans des galeries à orientation ethnique (Shabout 1, Roques 128). D’après Karin von Roques ce qui a fait souvent obstacle à la compréhension de l’art contemporain arabe a été d’abord, le fait que généralement, de la difficulté à comprendre quelque chose qui ne nous appartient pas au niveau culturel, dérive l’habitude de surimposer une vision préconstituée sur le sujet étrange : « Thus the West asks what is authentically Arab in a work of art while in fact searching for elements that serve the cliché of exoticism » [« De cette manière, l’Occident demande ce qui est authentique dans une œuvre d’art arabe quand en vérité ce qu’il cherche ce sont des éléments qui renforcent les clichés d’exotisme »] (130). Ensuite, Roques souligne, comment un préjugé occidental très répandu soit celui de penser que puisque le modernisme n’a jamais eu lieu dans le monde arabe, par conséquent il n’y a pas eu d’évolution dans l’art moderne ou contemporain (130). Anna Rocca A partir de ce préjugé se renforce la confusion entre l’art arabe et l’art islamique réduisant ainsi l’art arabe aux arts classiques de l’Islam, à savoir l’arabesque, la miniature et la calligraphie, qui ont été compris comme typiquement orientales (Shabout 2-3, Roques 130). En revanche, Nada Shabout montre comment l’art moderne arabe n’a ni ses racines dans les manuscrits islamiques ni n’en reflète la continuation, et ainsi souligne: « Islamic art, like Renaissance or Baroque art, is a product of its time. Modern Arab art, conversely, responds to a twenty-first century lifestyle and technology. […] it draws upon Arab concrete realities » [« L’art islamique, pareillement à la Renaissance ou à l’Art Baroque, est un produit de son temps. L’art moderne arabe, par contre, répond au style de vie et à la technologie du XXIe siècle. […] il s’appuie sur des réalités arabes concrètes] (10).4 Même au niveau de l’esthétique, poursuit Shabout, les cultures occidentales ont assimilé erronément l’art arabe et l’art islamique ; en vérité, là où l’esthétique de l’islam répond à des idéaux religieux, celle de l’art moderne arabe se forme par rapport à des idéaux nationaux et laïques qui ont été forgés aussi en relation avec l’Occident (35). À ce propos, pendant l’entretien de Lalla Essaydi avec Acelya Yonac en 2011, au moment où cette dernière lui demande si l’islam est un point de départ de son exploration, l’artiste répond : « My work is not about religion at all. Islam is my religion and I have no problem with my beliefs. I am more concerned about the social and cultural issues » [« Mon travail n’est pas du tout sur la religion. L’islam est ma religion et je n’ai aucun problème avec mes croyances. Je suis plus préoccupée par les questions sociales et culturelles »]. Le contact avec l’Occident a indirectement favorisé un développement de l’art moderne arabe car, en émulant l’esthétique occidentale à la fin du XIXe siècle, les artistes arabes ont commencé à se libérer de l’interdit de l’Islam vis-à-vis des images (Shabout 37). L’interdit des images a déterminé à l’origine des différences dans la manière avec laquelle les arts visuels se sont développés dans les pays arabes par rapport aux pays européens (Roques 130). C’est aussi à cause de cette interdiction que l’art arabe a été faussement catalogué par l’Occident comme art mineur ou art décoratif, incapable de représenter un espace tridimensionnel (Shabout 14). Mohamed Rachdi confirme dans le même sillage que : « En effet, cette prétendue interdiction de l’image n’a pas empêché l’éclosion et le développement de diverses expressions figuratives, par différentes formes plastiques, allant de la mosaïque, la fresque ou la miniature, jusqu’aux objets tridimensionnels » (93). Du côté occidental, de plus, l’interdit des images a été souvent sous-entendu comme un interdit sur toute image. En réalité, même s’il continue à influencer les artistes, il a changé dans le temps et a été différemment interprété par les écoles de loi islamique (Roques 130-31). Au XXe siècle, l’expérimentation des artistes arabes avec de nouvelles formes et techniques et de matériels différents, a déclenché une reprise et une transformation des genres traditionnels tels que la calligraphie et le décoratif, pareillement aussi à une réflexion historique et identitaire (Roques 132). Très récemment, c’est aussi grâce à l’aide de la nouvelle technologie des années quatre-vingt-dix, aussi bien qu’à l’utilisation croisée de plusieurs médias, qu’une explosion de formes a eu lieu. À ce propos, Fatema Mernissi souligne la manière dont la révolution sexuelle dans le monde arabe a pris la forme d’une apocalypse technologique où les femmes sont en féroce compétition avec les hommes, soit dans le monde de l’art soit dans celui des médias ; tous les deux frappés par le « tsunami of pan-Arab satellite television » [« tsunami de la télévision panarabe satellitaire »] qui pourrait s’étendre à 7000 chaînes en 2012 (« Lalla Essaydi » 9).5 Dans le même cadre d’effervescence technologique se situent : le projet à grande échelle de l’émirat d’Abu Dhabi afin de soutenir et étendre l’art arabe et son marché ; celui de Anna Rocca Qatar où a été ouvert le Musée d’Art Islamique en 2008; et celui de l’émirat de Sharjah qui a établi la première biennale d’art (Roques 128).6 C’est à partir de ce contexte que se situe la complexité des œuvres de Lalla Essaydi, peintre, photographe et artiste d’installation.7 Inspirée par son père, l’artiste a commencé à peindre dès son enfance, et aujourd’hui elle expose et vend son art dans plusieurs galeries d’Europe, des États-Unis, d’Afrique du nord et du Moyen-Orient. En 2010, le Musée du Louvre lui a acheté une œuvre.8 En 2008, à l’occasion de la première session de la Biennale d’hiver à Marrakech, Fatema Mernissi qui contemple l’art d’Essaydi, décrit celle-ci comme une femme dangereuse pour les hommes et puissante pour les femmes ; une artiste qui n’utilise pas seulement les mots, à la manière de Schéhérazade, mais envahit les deux industries les plus omnipotentes dans le secteur de la création de l’image : la télévision et le monde de l’art (« Lalla Essaydi » 9). La photographie et son potentiel Le danger dont Mernissi parle semble s’accroître quand on pense que l’instrument par excellence d’Essaydi est l’appareil photo. Parmi les médias visuels, la photographie semble être le moyen de représentation le plus puissant, auquel on associe traditionnellement les caractéristiques de : l’immédiateté, l’objectivité, et l’adhérence au factuel (Mary Vogl 2-3). Toutefois, l’idée que la photographie représente d’une façon immédiate la réalité, à savoir qu’elle s’approche le plus possible à ce qui est réel, a été largement mise en discussion et remplacée par la conviction qu’au contraire, elle négocie et interprète toujours la réalité et, pour cette raison, peut aussi la corrompre (Vogl 3). En outre, à cause de l’interdiction de la représentation visuelle par la religion islamique et du tabou sur l’image dans les traditions Arabo-Berbères, la photographie, plus qu’autres moyens artistiques, semble être la plus étrangère à ces cultures. En réalité, comme Mounira Khemir nous rappelle, au niveau historique : « L’opticien et homme de sciences arabe Ibn al-Haytham al-Hazen, […] (965-1038) fut le premier à faire un compte rendu écrit sur la camera obscura, cinq siècles avant Léonard de Vinci » (i). En outre, concernant l’étrangeté censée de la photographie, Khemir soutient que : « les souverains de toutes les dynasties ont eu leurs ateliers et leurs artistes. […] le Sultan Abdul Hamid II (1876-1909) eut son propre studio photographique et ses photographes officiels » (v). De nos jours, Vogl souligne, dans les pays de l’Afrique du Nord, l’utilisation de la photographie en tant qu’expression artistique est devenue de plus en plus répandue.9 Par rapport à l’histoire de la colonisation du Maroc, et en général du Maghreb, la photographie semble aussi nous renvoyer forcément à son abus, c’est-à-dire à l’instrumentalisation à caractère orientaliste. Toutefois, à propos de son analyse de la relation entre la photo et l’écrit, dans les œuvres de Michel Tournier, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Tahar Ben Jelloun et Leïla Sebbar, Vogl conclut ainsi : « If photography and writing, […] have the potential to stereotype, Orientalize, and exploit their subjects, they also have the power to educate, liberate, and empower them » [« Si la photographie et l’écriture, […] ont le potentiel de stéréotyper, d’Orientaliser, et d’exploiter leurs sujets, elles ont aussi le pouvoir d’éduquer, de libérer et d’émanciper »] (199). Dans le même sillage, Photography’s Other Histories [Les autres histoires de la photographie], présente la photographie d’une manière radicalement différente, entendue comme un moyen diffusé globalement et approprié localement (1). En particulier, Nicolas Peterson soutient que la photographie ne peut opérer que dans un terrain de Anna Rocca dialogue et de refus, ce qui nous fait réfléchir au potentiel du photographié(e) aussi bien qu’aux nouveaux artistes de la photographie (137). Dans le cas de Lalla Essaydi, le choix de devenir photographe et ainsi gagner sa popularité, elle ne l’avait pas prévu et y est arrivée un peu par hasard. Car au début, Essaydi utilise premièrement l’appareil photo pour aider son travail de peinture. Chaque œuvre d’art lui prenant jusqu’à six mois, elle a du mal à trouver des modèles pour si longtemps ; c’est à cause de cette difficulté qu’elle commence à travailler à partir de photos, qui deviennent ensuite ses œuvres d’art (Beem 212). Peut-être pour cette raison, Essaydi continue à ne pas se sentir photographe, et commente ainsi : « I do think of myself as a painter but it does not matter to me what medium I work in—painting, installation, video, film, photography, whatever makes it easy for my ideas to come across » [« Je me considère peintre mais le moyen d’expression que j’utilise n’est pas important pour moi –peinture, installation, vidéo, film, photographie, pourvu qu’il aide à exprimer mes idées »] (Beem 212). Si, traditionnellement, à la peinture était réservée une place préférentielle, car on lui associait la technique, l’imagination et l’interprétation personnelle, on voit bien de cette citation que pour Essaydi tous les moyens artistiques sont sur le même plan, la priorité étant donné à la capacité d’expression et de transmission d’un message. À la limite, on peut penser qu’aujourd’hui la photographie dépasse la simple représentation pour devenir, en utilisant les mots de Vogl : « a springboard for investigating broader questions of representations » [« un tremplin pour examiner des questions sur la représentation au sens plus large »] (6). L’extraordinaire potentialité de la photographie n’est pas seulement liée au fait qu’elle est utilisée de plus en plus comme un instrument puissant pour promouvoir le changement social (Vogl 3). Selon Christopher Pinney, la photographie a du potentiel imprévu parce que, là où l’imagination du peintre ainsi que son pinceau forment un filtre capable d’exclure l’autre, l’objectif d’un appareil photo : can never be closed because something extraneous will always enter into it. No matter how precautionary and punctilious the photographer is in arranging everything that is placed before the camera, the inability of the lens to discriminate will ensure a substrate or margin of excess, a subversive code present in every photographic image that makes it open and available to other readings and uses. (6) [ne peut être jamais fermé car il y aura toujours quelque chose d’étranger qui pénètre. Le photographe a beau être préventif et scrupuleux en arrangeant tout ce qui est placé avant l’appareil photo ; l’incapacité de l’objectif à distinguer garantira un substrat ou une marge d’excès, un code subversif présent en chaque image photo qui la rend ouverte et disponible à d’autres lectures et usages]. Chez Lalla Essaydi, la surprise que la photographie lui réserve continue jusqu’au moment du développement de ses photos. Elle nous dit que toutes les fois qu’elle travaille au Maroc, ne trouvant pas un bon studio pour développer ses photos, elle ne sait jamais ce qu’elle a créé jusqu’à ce qu'elle rentre aux États-Unis (Beem 212). À cause de cette « inability to exclude » [« inhabilité à exclure »], la photographie selon Pinney doit être considérée comme un terrain fertile, toujours en mouvement, qui donne aussi la possibilité de : « looking past » [« regarder au-delà »] (6). C’est à partir de cette dernière potentialité, qu’on analysera Converging Territories et Les Femmes du Maroc. La mémoire qui sort de la première série est celle de la maison vacante de famille, où la jeune fille était punie à Anna Rocca travers l’isolement. Dans la deuxième intervention, Essaydi s’engage directement avec la mémoire fantastique des orientalistes projetée sur l’Afrique du Nord, afin de la réinventer, cette fois à partir de sa propre sensibilité à elle. Lalla Essaydi et ses photographies-texte Converging Territories comprend vingt photographies, un texte de l’artiste, une introduction et un entretien d’Amanda Carlson. Le livre accompagne l’exposition d’Essaydi en solo à la Laurence Miller Gallery de New York en 2005. L’espace de claustration remémoré, aussi bien que celui recréé par le biais de la photographie, sont au centre de cette série. Espace de punition, de solitude, mais aussi de réflexion, permettant à l’artiste qui y revient, d’opérer dans un terrain fluide de dialogue, de refus, de prises de distances et de reconnexions. Le titre, nous révèle Essaydi, évoque un espace non-spécifique, indéterminé, entre passé et présent, entre ‘l’Est’ et ‘l’Ouest’ (Converging Territories 27). Il marque surtout un espace qui se veut d’abord politique, car le ‘territoire’ se construit par définition en rapport avec des communautés qui l’occupent. Dans ce cas, la communauté qui le revendique est exclusivement celle des femmes, comme l’artiste souligne dans cet entretien : « My work is about women, by women, toward women, of women. And it’s about confinement and freedom, constraint and control ; about beauty and objectification ; about the surface and what’s lying below, the spaces within, between, and without. It's subversive and provocative ; sensual and ritualistic » [« Mon travail est sur les femmes, par les femmes, vers les femmes, des femmes. Et il concerne la claustration et la liberté, la contrainte et le contrôle ; la beauté et l’objectivation ; il concerne la surface et ce qui est en dessous, les espaces internes, les espaces au milieu, et les espaces externes. Il est subversif et provocateur ; sensuel et ritualiste »] (« Lalla Essaydi’s Haunting Photography Flaring Morocco »). La relation entre les femmes et leurs territoires se présente dans toute sa complexité et procède par la suite d’un processus à la fois « multivalent » et « uncertain » [« plurivalent » et « incertain »] (Converging Territories 27). Il est plurivalent car il se forme à partir de l’assimilation d’une multiplicité d’espaces et de cultures qui font partie du vécu d’Essaydi, comme elle-même le souligne : « There is the very different space I inhabit in the West, a space of independence and mobility. It is from there that I can return to the landscape of my childhood in Morocco, and consider these spaces with detachment and new understanding » [« Il y a l’espace très different que j’habite en Occident, un espace d’indépendence et de mobilité. C’est à partir de là que je peux revenir au paysage de mon enfance au Maroc, et considérer ces espaces à distance et à partir de nouveaux points de vue »] (Les Femmes du Maroc 17). L’espace à créer est aussi incertain car il est constamment en devenir et toujours en mouvement ; il n’est pas établi ou socialement reconnu ; il n’existe qu’à partir de l’imagination d’Essaydi et de son art. L’artiste à ce propos commente : « When I’m in Saudi Arabia, they call me the Moroccan. In Morocco, they call me the Saudi. In the West, I am someone from a different culture. I had to create my own space. My work gives me a sense of belonging that I couldn’t find in a physical space » [« Quand je suis en Arabie Saoudite, ils m’appellent la Marocaine. Au Maroc, ils m’appellent la Saoudienne. En Occident, je suis quelqu’un d’une autre culture. J’ai dû créer mon propre espace. Mon travail me donne un sens d’appartenance que je ne pouvais trouver dans un espace physique »] (Converging Territories 28). Une fois dans sa maison vide d’enfance, l’artiste prépare le scénario de ses photographies en remplissant l’espace inoccupé avec des femmes, des objets, et des réflexions personnelles, ces Anna Rocca dernières exprimées par le medium d’une écriture sur tissu qui ne se limite pas à couvrir l’espace ; elle le déborde, en devenant ce qu’Amanda Carlson définit : « a continuous streaming text » [« un texte coulant ininterrompu »] (« Leaving One’s Mark » 5). Car la calligraphie arabe écrite au henné couvre l’arrière-plan des photos et semble envahir les objets, les vêtements des femmes, leur corps et leur visage jusqu’à en couvrir toutes les surfaces.10 Quelquefois une autre calligraphie à grand caractères couvre le premier niveau d’écriture, pour symboliser, Essaydi explique : « the expanding complexity of my life as an Arab artist living in the U.S. » [« la croissante complexité de ma vie en tant qu’artiste arabe vivant aux États-Unis » (Converging Territories 28). Même si l’artiste tient à préciser que les photos ont été prises dans sa maison près de Marrakech, ni l’édifice ni la ville n’y figurent. Car pour elle, ce qui compte ce n’est pas de montrer le lieu, mais d’en faire une expérience physique : retourner dans cet espace qui la hante, et y travailler. Cela la force à s’écouter et à se comprendre par rapport aux émotions qui en sortent. Les sensations d’enfermement et de solitude sont les sentiments les plus puissants, qu’elle traduit dans chaque photo en créant un espace bourré d’écriture, délibérément très réduit, où les femmes sont contenues. La calligraphie arabe, qui se déroule en lignes horizontales tout au long de la photo, marque les draps blancs de coton épais recouvrant l’arrière-plan, le plancher, ainsi que les femmes et les parties exposées de leur corps : un bout de pied, de main ou de visage. La signification de ce confinement, Essaydi l’explique ainsi : « In my photographs, I am constraining women within space and also confining them to their ‘proper’ place, a place bounded by walls and controlled by men » [« Dans mes photographies, je restreins les femmes à l’intérieur de l’espace et je les confine aussi à leur ‘juste’ place, un espace limité par des murs et contrôlé par les hommes »] (Converging Territories 27). Malgré cela, en regardant ses photos, la sensation qu’on en a n’est ni celle de claustrophobie ni d’enfermement. Au contraire, on reste stupéfié par la grandeur et la beauté de ces images. Au centre de la scène, les femmes, celles-ci presque à dimension réelle, s’imposent à notre regard, et semblent nous dévisager, même quand elles nous tournent le dos ; elles sont, Mernissi souligne : « self-centered conspiring women » [« des femmes qui complotent, centrées sur elles-mêmes»] (« Lalla Essaydi » 10). L’uniformité de couleur et des signes qui enveloppe tout ne se trouve rompue, quelquefois, que par le noir des cheveux ; ce qui fait que l’espace devient femme et la femme devient espace. Cette identification défait l’association entre la femme-encloîtrée et la femme victime et montre les énergies créatrices qui se déploient à l’intérieur de cet espace, malgré son exiguïté. Autrement dit, en partant de l’enfermement imposé par les règles patriarcales, Essaydi dévoile de ses femmes la détermination, la laboriosité et le potentiel d’élaboration intellectuelle, ce dernier représenté par l’écriture. L’écriture, à savoir la trace et la création, sert aussi de contrepoint aux sens d’isolement et de solitude que l’espace du confinement lui transmet. Elle agit au niveau symbolique : d’abord, l’écriture remplace le silence forcé de l’adolescente et traduit de la forme orale à celle écrite les chuchotements des femmes, qui semblent aussi réfléchir à leur situation. De plus, l’écriture est une des activités photographiées, car les femmes écrivent sur leurs tissus ou sur les murs, en faisant de cet acte leur identité primaire. Ensuite le henné, la teinture naturelle utilisée pour écrire, qui par nature n’est pas destinée à durer, symbolise la mémoire, « the reliving of a personal and collective past » « le fait de revivre un passé personnel et collectif » (Kinsey Katchka). Ensuite, la calligraphie, qui par tradition est une forme d’art sacré islamique liée au Coran, est ici utilisée par des femmes et traduit des réflexions personnelles de l’artiste. Ce qui Anna Rocca montre comment l’écriture agit aussi au niveau du contenu, en devenant message social : les phrases qu’Essaydi a prises de son journal sont adressées à un public qui peut lire l’arabe. À ce propos, Amanda Carlson met l’accent sur l’importance de la compréhension du texte si l’on veut apprécier la portée subversive de son art, et ainsi commente : « If you do not read Arabic, you might be duped into the suggestiveness of these images, misreading these bodies as available » [« Si on ne comprend pas l’arabe, on peut être trahi par le côté suggestif de ces images, mal interprétant ces corps comme disponibles »] (« Leaving One’s Mark » 5). Enfin, l’écriture sert le côté formel. En citant le mystique arabe musulman du moyen-âge, Muhi al-deen Ibn Arabi, qui dit qu’entre le mot et l’image il y a une relation flagrante et un clair mariage spirituel, Nada Shabout soutient en outre que le texte a été l’instrument le plus puissant pour stimuler l’imagination, et la lettre arabe s’affirmant, ainsi, comme un élément significatif dans le processus de création artistique (61). Ce qui suggère qu’à travers la calligraphie, Essaydi ouvre un autre espace de l’imagination, dans lequel le corps féminin se fond dans l’écriture et s’y confond jusqu’à se la réapproprier, en créant ainsi une continuité et un ancrage entre les femmes et leur culture. C’est surtout le processus qui accompagne la préparation de ses photos qui aide à bâtir un sentiment de coopération et de communauté, car il se développe à travers des rituels entre l’artiste et ses modèles—ces dernières, des femmes qu’Essaydi connait bien, qui viennent de son pays, et qui partagent la même condition d’expatriées. De ce processus, l’artiste parle ainsi : « Creating these photographs is performative » [« La création de ces photographies est une forme de performance »] (Les Femmes du Maroc 16) ; et encore : « It’s performance, painting and photography all in one » [« C’est à la fois de la performance, de la peinture et de la photographie »] (Beem 212). Le temps de mise en scène de l’espace photographique inclut d’abord l’écriture sur les tissues, qu’Essaydi prépare elle-même des mois en avance, quelquefois aidée par ses modèles. Après, il y a un temps de récréation et de dialogue, intégrant soit de la nourriture soit des boissons, où l’artiste et ses collaboratrices partagent leurs expériences et mémoires en tant que femmes marocaines. Pour faciliter l’identification des modèles aux caractères, il y a aussi un temps de discussion autour d’idées sous-jacentes à l’œuvre d’art, pendant lequel le photographe et les photographiées travaillent vers le même but, en établissant ainsi une communauté. Dans son entretien avec Ray Waterhouse, Essaydi nous explique que l’art, en tant que partage, produit de nouvelles perceptions et favorise des transformations personnelles qui à leur tour génèrent d’autres formes d’expressions ; c’est pour cela qu’elle décrit ce processus comme: « very liberating » [« très libérateur »] (« Lalla Essaydi. An Interview » 146). La série photographique de Les Femmes du Maroc est la continuation de Converging Territories, où, cette fois, l’exploration de la mémoire, par rapport à l’espace et aux femmes, ne se fait pas à partir d’un passé individuel, mais d’un imaginaire collectif : celui que la peinture orientaliste du XIXe siècle a projeté sur l’image de la femme maghrébine. Les dix-sept photographies s’inspirent de l’art de peintres orientalistes, parmi lesquels Jean-AugustDominique Ingres, Jean-Léon Gérôme et Eugène Delacroix. À ce dernier, pendant son premier voyage en Afrique du nord : « Le Maroc se révèle ainsi lieu de rencontre du rêve et de l’idéal esthétique incarné », et c’est en référence à l’œuvre de 1834, Les Femmes d’Alger, que le titre de la série d’Essaydi s’inspire (Djebar 145). En maintenant la même composition des peintures originelles, c’est-à-dire le placement et la relation entre les caractères, Essaydi élimine dans ces photos les figures masculines, couvre la nudité des femmes et utilise les procédures stylistiques de Converging Territories : la calligraphie au henné qui recouvre l’espace et les corps des Anna Rocca femmes ; l’espace serré qui défie la profondeur et la perspective des peintures orientalistes ; et l’effet sépia qui répond aux contrastes nets des couleurs typiques de l’art orientaliste. Car, dans l’imaginaire de l’Occident, Mounira Khemir nous rappelle : « L’Orient devait apparaître différent, contrasté, haut en couleur et en lumière » (ii). La stratégie d’Essaydi de ‘répéter avec une différence’ nous rappelle celle suggérée par Luce Irigaray en 1977, de jouer de la mimésis, à savoir une : « Retraversée ludique, et confondante, qui permettrait à la femme de retrouver le lieu de son ‘auto-affection’ » (Irigaray 75). Ceci pour répondre à la critique de Benjamin Genocchio, lequel, n’ayant pas lu Irigaray, dans son article « Reviving the Exotic to Critique Exoticism » [« Ranimer l’exotique pour critiquer l’exotisme »], accuse l’artiste de laisser ses femmes : « stuck in the same Orientalist fantasy that she purports to critique. Instead of changing the way in which we see Arab women, these photographs revive old-fashioned stereotypes » [« coincées dans la même fantaisie orientaliste qu’elle se propose de critiquer. Au lieu de changer la manière avec laquelle nous regardons les femmes arabes, ces photos font revivre des stéréotypes démodés »]. Donc, le même, avec une différence, c’est-à-dire, comme Vogl le souligne, une logique de rénovation au lieu d’une innovation radicale (10). L’idée de partir des peintures orientalistes signifie ne pas nier leur influence, et comprendre la valeur de cette beauté esthétique dont Essaydi confesse avoir été fascinée (Waterhouse 149). L’action de rénover plutôt qu’innover se conforme bien à son art aussi, un art qui, comme l’artiste le déclare, veut inclure la fascination de l’Occident pour les cultures maghrébines, afin de montrer le côté voyeur de l’Orientalisme et en rendre conscient le public (Waterhouse 148).11 À propos de Les Femmes du Maroc, Fatema Mernissi souligne la manière dont la plupart des mots que les femmes écrivent sur leur corps et sur leurs vêtements effleurent la question du consumérisme, et indirectement, celle de la pornographie, cette dernière étant comme une des formes d’insécurité que le capitalisme a apportée ; tandis que les modèles, en nous regardant, rejettent l’idée d’être réduites à des objets sexuels (« Lalla Essaydi » 11).12 Pour comprendre la raison et la portée de cette objectivisation, il serait utile de rappeler très brièvement que : d’abord, comme Christelle Taraud le souligne, l’exploitation sexuelle convient fortement à la colonisation étant : « l’une des formes les plus pernicieuses de la domination » (291). Ensuite, l’image de l’odalisque passive et offerte traduit l’idée que : en Orient il serait encore possible de retrouver le paradis perdu, c’est-à-dire un rapport entre les hommes et les femmes qui soit « naturel » et « simple », conforme à la traditionnelle domination masculine. Rapport remis en cause, depuis la première moitié du XIXe siècle en Europe, par les actions conjuguées du féminisme ouvriériste et bourgeois. Le systématisme de la représentation, à l’intérieur des scènes de harems, de femmes orientales sexuellement soumises permettrait de court-circuiter, au moins symboliquement, la naissance d’une autre altérité féminine, conflictuelle et dangereuse, celle de la femme émancipée luttant pour ses droits. (293) Ce n’est pas par hasard que, presque deux siècles plus tard, ces femmes ‘orientales’, imaginées soumises ou, pire, à « l’amertume désespérée », revendiquent leur dignité de femme à travers une esthétique mirée à la rétablir (Djebar 153). À la peinture orientaliste, Essaydi répond ainsi par le biais d’une photographie ‘dés-orientaliste’, pour utiliser le mot « Dis-Orientalism » [« Dés-Orientalisme »] de Gannit Ankori, c’est-à-dire à travers un art qui : « reflects the hybrid Anna Rocca identities of the artists and their ‘fluid’ positions in an interstitial space between their oriental matrix and the dominant culture of the West » [« reflète les identités hybrides des artistes et leurs positions ‘fluides’ dans un interstice entre leur matrice orientale et la culture dominante occidentale »] (22).13 De nos jours, Essaydi souligne, sensibiliser le public est encore plus important afin de comprendre les doubles difficultés des femmes arabes vivant dans leur pays ou à l’étranger, car l’imaginaire de l’odalisque a été introjecté soit par l’Occident soit par l’Orient (Waterhouse 148). Pour conclure, l’espace interstitiel d’Essaydi est un espace de retour qu’elle se fraie dans ses passages entre sociétés et cultures distinctes, en lançant à ses dernières le défi d’interagir avec sa créativité toujours renouvelée. Cette « Shéhérazade digitale » est encore plus puissante que son prédécesseur, car elle représente ses femmes confabulant pendant le jour, tandis que Shéhérazade était autorisée à le faire seulement pendant la nuit (Mernissi « Lalla Essaydi » 12). Son influence s’est accrue surtout dans ces dernières années, qui l’ont vu remporter un succès international exemplaire, si on considère que la photo de sa réinterprétation de La Grande Odalisque d’Ingres occupe maintenant sa place au Musée du Louvre à Paris, près de son originel (Kinsey Katchka). En outre, après l’exposition de mars 2011 à la galerie Edwynn Houk à Zurich, en Suisse, le 1er avril 2011, Essaydi a eu un vernissage à la galerie nationale du Maroc Bab Rouah à Rabat où étaient présents le Ministre de la Culture, Bensalem Himmich, ainsi que les représentants du Ministère du Département des Arts et de la Galerie Tindouf Marrakech. Dans cette exposition, pour la première fois, les trois séries photographiques d’Essaydi, Converging Territories, Les Femmes du Maroc et Harem, ont été unies sous un même nom : « The Power of Writing » [« Le Pouvoir de l’écriture »]. Cette exposition se déplacera ensuite au Musée National de Fez, à la galerie Nationale, au Musée National de Meknès, et enfin, au Musée National de Tanger. À ce propos Essaydi commente: « It is a coming back I was dreaming about since the beginning of my career » [« C’est un retour dont j’ai rêvé dès le début de ma carrière »] (Entretien avec Acelya Yonac). Le retour, qui souvent se révèle utopique et possible uniquement sous la forme de recréation nostalgique, devient ici privilège, car accompagné d’une reconnaissance artistique au niveau national qu’Essaydi semble avoir gagné grâce aussi à sa volonté de ne rien perdre de ce qu’elle considère comme ses propres traditions. Salem State University Notes 1 À partir d’ici toutes les traductions de l’anglais vers le français me sont propres. Dans Converging Territories, l’artiste nous dit que cette réalité, qui fait écho à une pratique répressive de sa société basée sur l’isolement des filles, a été récemment abandonnée. 3 À propos de l’aspect créatif de l’exile, dans son essai “Reflections on exile” paru en 1984 et ensuite inclus dans Reflections on Exile and Other Essays Cambridge, MA : Harvard UP, 2000, Edward W. Saïd met en évidence comment un des rares aspects positifs de l’exile soit celui de : « the originality of vision » [« l’originalité de la vision »], car à partir de l’exil il y a cette « awareness of simultaneous dimensions » [« conscience de dimensions simultanées »] (186). 4 Dans le chapitre 1 « Formation and Transformation » [Formation et transformation], Shabout analyse l’influence des mouvements artistiques d’avant-garde sur les artistes arabes tels qu’Art and Freedom [Art et Liberté] fondé en 1938 en Egypte et Baghdad Modern Art Group [Groupe d’Art Moderne Baghdâd] formé en 1951 en Irak par l’artiste Jawad Salim. Ce dernier groupe en particulier définissait un style local et des nouvelles prises de 2 Anna Rocca conscience de l’artiste, telles que : l’interprétation de la société à partir des événements courants ; la recherche d’un équilibre entre la créativité individuelle et celle de groupe ; la perception de l’œuvre d’art comme une forme de communication entre l’artiste et le public ; et l’éducation de ce dernier aux expressions multiples de l’art. Au lieu d’imiter la nature, l’artiste devient ainsi un intellectuel qui se définit en termes de responsabilités individuelles et sociales. Ces idées influenceront les artistes du Maroc, et leur donneront aussi l’opportunité de rejoindre une arène internationale – surtout à partir de congrès internationaux des artistes tenus à Rabat en 1963 et en 1964 (25-31). 5 Mernissi reprend ici l’expression utilisée par Anfal Al-Qallaf dans son article « Tsunami al fadaiyat . . . Ila Ayn ? » dans Bariq Al-Dana 59 (2008) : 26. 6 À Abu Dhabi, plus d’un milliard de dollars a été réservé pour les musées satellitaires du Louvre et du Guggenheim ; plus de cent milliard de dollars ont été investis pour le développement à proximité sur l’île de Saadiyat, d’un centre culturel de niveau international ; cinq musées, un parc biennal avec un ensemble de pavillons d’art, un centre des arts du spectacle, des hôtels et des galeries ont été planifiés aussi (von Roques 128). 7 Généralement, on appelle ‘artiste d’installation’ un(e) artiste dont les interventions sur l’espace incorporent des techniques mixtes afin de stimuler l’expérience sensorielle du public. 8 En 2011, seulement aux États-Unis, on a prévu des expositions au musée d’Art Moderne de North Carolina, au musée Bates de Maine aussi bien qu’au prestigieux Smithsonian Museum d’Art Africain de Washington DC. 9 Pour une liste de photographes du Maroc et d’Afrique du Nord, voir le ch. 3 et le Postscript [Postface], note 2 p. 199. 10 Dans l’introduction à Les Femmes du Maroc, Fatima Mernissi dit que l’écriture sur tissu, Washi, a été inventée par les femmes au 9e siècle à Baghdâd en tant que technique de séduction. Elle ajoute que dans le dictionnaire Ibn Manzur on trouve l’association entre washi, l’art d’embellir, et le mensonge. De cette association Mernissi souligne la liaison entre cette écriture qui séduit et les techniques déstabilisatrices (12). 11 Voir à ce propos la Postface de Femmes d’Alger dans leur appartement d’Assia Djebar, 145-64. 12 Une des phrases d’Essaydi à laquelle Mernissi fait référence est la suivante : « I can’t prevent experiencing shame when I feel spiritually denuded » [« Je ne peux pas éviter de ressentir de la honte quand je suis dépouillée spirituellement »]. 13 Selon Ankori, le mot « Dis-Orientalism », que Gannit Ankori reprend à son tour de l’œuvre Orientalism [Orientalisme] d’Edward Saïd, utilisé dans le contexte de l’art palestinien, revêt trois acceptions : d’abord, il renvoie à la ferme conviction que cet art défait l’exclusivité de la perspective occidentale en donnant de l’autonomie aux artistes d’Orient ; ensuite, le terme fait allusion à la perte géographique de la terre de Palestine, à partir de 1948, visible au niveau artistique en tant que désorientation des artistes palestiniens ; enfin, il veut traduire la fluidité de ces artistes souvent entre des espaces, marqués soit par la matrice orientale soit par celle à dominance occidentale (22). 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