livres Une pensée captive

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livres Une pensée captive
livres
L I V R E S
Une pensée captive
Articles de La Nouvelle Critique
(1948-1956)
de Jean-Toussaint
Desanti
Introduction et commentaires
par Maurice Caveing
PUF, collection « Quadrige Grands textes »,
Paris, 2008, 448 p., 19 €
T
OUT LE MONDE N’A PAS LA CHANCE
d’avoir été stalinien, et d’en être
sorti après avoir fait l’expérience
personnelle de la folie dont était porteur
l’engagement militant dans le marxismeléninisme. Ceux qui se demandent comment et pourquoi des intellectuels rigoureux,
brillants, et épris de liberté, ont pu se faire librement les chiens de garde du stalinisme le plus absurde, dans la France d’après la Libération, ceux-là ont intérêt à se
procurer le recueil de textes de Jean-Toussaint Desanti: Une pensée captive, Articles de
La Nouvelle Critique (1948-1956).
L’introduction et les commentaires sont de Maurice Caveing, philosophe qui partagea en grande partie l’itinéraire de Desanti.
Dans ses articles de la revue du Parti pour les intellectuels, Desanti se fait polémiste contre ses propres amis, tel Merleau-Ponty, et applique sans retenue la ligne
définie par Jdanov sur la position de parti en philosophie et dans les sciences. Certes,
le titre le plus choquant « Science bourgeoise et science prolétarienne » semble avoir
été ajouté par le directeur de la revue, Jean Kanapa. Mais cela aussi fut accepté par lui
sans regimber.
Il faut saluer l’honnêteté de la démarche qui vise à ne rien cacher des aberrations
qui sont devenues incompréhensibles dans le contexte actuel. Cette honnêteté fut
d’abord celle de Desanti lui-même, mort en 2002, et elle est aujourd’hui celle de
Maurice Caveing. Mais ce recueil va plus loin. Il nous livre un aperçu du travail
entrepris par Desanti à partir du début des années 1960 pour réfléchir sans complaisance sur le pire de son aventure d’intellectuel communiste.
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histoire & liberté
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Le recueil reproduit un entretien avec sa femme Dominique Desanti[1] qui parut
en 1975, et dans lequel il analyse son expérience personnelle de ce qu’il nomme « la
pensée captive ». Il en propose une approche historique et philosophique, reconnaissant en particulier l’importance du bénéfice que le Parti offrait à ses intellectuels en
échange de leur fidélité inconditionnelle: le sentiment du pouvoir.
On trouve à la fin du recueil le passionnant et bouleversant Hommage à JeanToussaint Desanti de Simone Debout-Olesgkiewicz, paru en 1989[2], qui évoque leur
commune participation à la Résistance, faisant revivre au passage l’admirable figure
de François Cousin, et brossant de Louis Aragon un portrait au vitriol que l’on n’oubliera pas.
Au total, un livre nécessaire à la compréhension d’une pathologie des intellectuels. La forme caricaturale appartient sans doute à un passé définitivement révolu,
mais l’expérience n’a pas suffi à immuniser les intellectuels d’aujourd’hui contre la
tentation marxiste. C’est pourquoi on aurait aimé que Desanti, au-delà de la critique
de l’esprit de Parti qu’il mène à son terme, s’interroge davantage sur la pensée de
Marx elle-même, sur les ressorts de la fascination qu’elle a exercé sur lui.
Mais voilà, il semble qu’il en avait soupé du marxisme, et qu’il a choisi de se
consacrer à des objets de recherche plus conformes à sa passion pour la philosophie,
telles les idéalités mathématiques.
André Sénik
1. Dominique DESANTI, Les Staliniens, Fayard, 1975.
2. Simone DEBOUT (dir.), Hommage à Jean-Toussaint Desanti, Mauvezin, coll « Trans-Europ-Repress », 1991.
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